Communication présentée par :

S. A. O. (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

7 décembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquée à l’État partie le 22 février 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

29 octobre 2018

* Adoptée par le Comité à sa soixante et onzième session ( 22 octobre- 9 novembre 2018 ).

** Les membres du Comité ci-après ont participé à l’examen de la communication : Ayşe Feride Acar, Gladys Acosta Vargas, Nicole Ameline, Magalys Arocha Domínguez, Gunnar Bergby, Marion Bethel, Louiza Chalal, Esther Eghobamien-Mshelia, Naéla Gabr, Hilary Gbedemah, Nahla Haidar, Yoko Hayashi, Lilian Hofmeister, Ismat Jahan, Dalia Leinarte, Rosario G. Manalo, Lia Nadaraia, Aruna Devi Narain, Bandana Rana, Patricia Schulz et Wenyan Song.

L’auteure de la communication est S. A. O., de nationalité somalienne, née en 1989. Elle a sollicité l’asile au Danemark en 2014, mais sa demande a été rejetée et elle risque maintenant l’expulsion vers la Somalie. Elle affirme que son expulsion constituerait une violation par le Danemark des articles 2 d), 12, 15 et 16 de la Convention, lus conjointement avec le principe de non-refoulement tel qu’énoncé dans la recommandation générale no 32 (2014) du Comité relative aux aspects liés au genre des questions touchant les réfugiées, les demandeuses d’asile et de la nationalité et l’apatridie des femmes. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 21 mai 1983 et le 22 décembre 2000, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil.

Dans sa lettre initiale, datée du 7 décembre 2015, l’auteure a prié le Comité de demander au Danemark de suspendre son expulsion le temps que son dossier soit examiné. Le 22 février 2016, lors de l’enregistrement de la communication, le Comité a transmis cette requête à l’État partie. Le 11 août 2016, l’État partie a informé le Comité que, le 22 février 2016, la Commission danoise des recours des réfugiés avait suspendu le délai fixé pour l’expulsion de l’auteure.

Rappel des faits présentés par l’auteure

Après le décès de son père en 2005, l’auteure est partie vivre dans la famille de son oncle à Baardheere, dans la région somalienne de Gedo. Elle a une sœur cadette, qu’elle n’a cependant pas contactée depuis son arrivée au Danemark. La famille de son oncle la battait, s’adressait à elle de façon brutale et la traitait comme une esclave. Elle était amoureuse de S., qu’elle retrouvait au magasin de celui-ci. Elle souhaitait épouser S., mais la famille de son oncle s’est opposée à cette union et a arrangé son mariage avec F., un homme plus âgé. Elle ne connaissait pas F., mais précise que celui-ci appartenait à un clan de la ville de Baardheere et qu’il était le beau-frère de son oncle.

Le jour du mariage, l’auteure n’a pas été autorisée à participer à la cérémonie qui a eu lieu à la mosquée. Lorsqu’elle a appris que la cérémonie avait pris fin, elle a rendu visite à S. Son oncle et la femme de celui-ci sont alors arrivés et l’ont battue. Ils ont menacé de la lapider au motif qu’elle était mariée et ne pouvait donc pas avoir d’ami. L’auteure affirme qu’aucun agent de police n’était présent et que seuls des membres des Chabab se trouvaient à proximité, mais qu’elle ne s’est pas plainte auprès d’eux pour éviter de créer des problèmes.

L’auteure a été enfermée dans l’une des chambres de la maison familiale pendant deux jours, puis son mari est arrivé. La femme de son oncle a menacé de la dénoncer aux Chabab si elle refusait de reconnaître F. comme étant son mari. F. a frappé l’auteure avec un bâton. L’auteure a déclaré que, pour pouvoir quitter la maison, elle a reconnu son mariage avec F. Elle a été libérée, mais faisait l’objet d’une étroite surveillance. Les membres de la famille ont entamé les préparatifs de la fête de mariage, qui devait avoir lieu le lendemain. Ils ont décoré la maison et préparé l’animal qui serait abattu pour l’occasion. S. a envoyé un ami prévenir l’auteure qu’elle devait se tenir prête parce qu’il enverrait une voiture la chercher plus tard dans la soirée pour l’aider à s’échapper.

Le coût du voyage de l’auteure a été pris en charge par sa tante, par S. et par la mère de celui-ci. Craignant pour sa sécurité, S. devait également prendre la fuite, mais il a dû retarder son départ en attendant le remboursement d’une somme d’argent.

L’auteure affirme que si elle n’avait pas immédiatement pris la fuite, elle aurait été séquestrée par son oncle. Elle s’est dans un premier temps rendue en Éthiopie, où elle a été informée par la mère de S. que celui-ci avait été arrêté sur la base d’accusations portées par son oncle.

L’auteure explique qu’elle a demandé à la Commission danoise des recours des réfugiés de prendre en compte son besoin de protection et d’examiner sa requête sous l’angle de la Convention. Selon l’auteure, la Commission n’a absolument pas tenu compte de la Convention, alors qu’elle traitait le dossier d’une femme seule, originaire de l’un des pays les plus dangereux qui soient pour les femmes. De plus, l’auteure appartient au clan minoritaire des Achraf, ce qui complique encore davantage sa situation. Il importait que la Commission prenne en compte le risque que l’auteure subisse des actes de violence fondée sur le genre en cas de retour forcé. Toutefois, elle a fondé sa décision sur des considérations de crédibilité, sans tenir compte du besoin de protection de l’auteure.

Le 1er décembre 2015, la majorité des membres de la Commission danoise des recours des réfugiés ont rejeté la demande d’asile de l’auteure, estimant que les explications fournies par celle-ci étaient imprécises et contradictoires. Ils n’ont pas considéré que, dans l’éventualité où l’auteure retournerait en Somalie sans entourage masculin, celle-ci courrait le risque d’être victime d’actes d’agression visés à l’alinéa2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers. En outre, selon eux, le fait que l’auteure prétende devoir se rendre à Baardheere depuis Mogadiscio ne pouvait amener la Commission à tirer une conclusion différente. D’après l’auteure, bien qu’une minorité des membres de la Commission aient estimé qu’elle risquait d’être victime de persécutions en cas d’expulsion, la majorité d’entre eux ont rejeté sa demande, arguant que son récit ne leur paraissait pas crédible et que le fait d’être une femme seule craignant d’être persécutée en Somalie ne constituait pas un motif suffisant pour obtenir l’asile au Danemark.

L’auteure ajoute que des mutilations génitales féminines lui ont été infligées par le passé et que, en tant que femme vivant en Somalie, elle a été opprimée tout au long de sa vie. Dans une société dominée par les hommes, elle n’a pas pu trouver d’aide auprès des autorités. Son souhait et son droit de choisir son mari n’ont pas été respectés, son oncle ayant voulu la marier de force à un homme qu’elle ne connaissait pas. Certes, les Chabab ne contrôlent plus la zone, mais il n’en demeure pas moins que la société somalienne est très patriarcale et opprime les femmes désireuses de s’émanciper, notamment en perpétuant des pratiques violentes, telles que les crimes d’honneur.

Selon l’auteure, au-delà de toute considération de crédibilité, il est un fait qu’elle est une femme seule, originaire de l’un des pays les plus répressifs et discriminatoires à l’égard des femmes. L’auteure avait notamment justifié sa demande d’asile en mentionnant qu’elle courait le risque d’être victime d’actes de violence fondée sur le genre en Somalie, y compris de viol. Une femme ne peut se déplacer en Somalie sans la protection d’un entourage masculin. Divers groupes contrôlent les routes et profitent de la domination masculine pour persécuter les femmes seules.

L’auteure craint également d’être persécutée par sa propre famille dans sa ville natale. Bien que la zone soit sous le contrôle des forces gouvernementales, il n’y a pas à Baardheere d’autorités capables de la protéger de la violence sexuelle et sexiste. Ainsi, en plus d’être victime de cette forme de violence, elle ne recevra aucune protection policière ou autre.

L’auteure affirme que les autorités n’ont pas examiné sa demande d’asile compte tenu des obligations que leur imposait la Convention, ce que son conseil les avait pourtant expressément invitées à faire.

L’auteure affirme également que son expulsion vers la Somalie constituerait une violation par le Danemark des articles 2 d), 12, 15 et 16 de la Convention, ainsi que du principe de non-refoulement tel qu’énoncé dans la recommandation générale no 32(2014) du Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

L’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête dans une note verbale datée du 11 août 2016. À titre préliminaire, il informe le Comité que, le 22 février 2016, la Commission des recours des réfugiés a suspendu le délai fixé pour l’expulsion de l’auteure après la soumission par le Comité d’une demande de mesures conservatoires. L’État partie rappelle les faits : l’auteure, de nationalité somalienne et née en 1989, est entrée au Danemark le 15 août 2014 sans papiers en règle et a demandé l’asile. Le 20 août 2015, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande. Le 1er décembre 2015, la Commission a confirmé ce refus.

L’État partie approfondit l’analyse du raisonnement suivi par la Commission des recours des réfugiés dans sa décision du 1er décembre 2015. L’auteure a justifié sa demande d’asile en indiquant qu’elle craignait que sa famille et son mari la persécutent pour s’être opposée au mariage. Elle a affirmé que, début 2013, son oncle avait arrangé son mariage avec le frère de sa femme. Environ une semaine plus tard, le mariage a eu lieu en l’absence de l’auteure. Le jour du mariage, elle s’est rendue au magasin de son ami S., mais son oncle et la femme de celui-ci sont arrivés, l’ont battue et l’ont séquestrée dans la maison familiale pendant deux jours. Elle a ensuite contacté S., qui a organisé sa fuite quelques jours plus tard.

La Commission des recours des réfugiés n’a pu accepter comme véridiques ni la déclaration faite par l’auteure pour justifier sa demande d’asile, qui lui paraissait invraisemblable et forgée de toutes pièces, ni la déclaration faite devant elle, qui ne semblait pas être le reflet de faits effectivement vécus par l’auteure. La majorité des membres de la Commission ont souligné qu’il était peu plausible que la demandeuse ait rendu visite à S. dans le magasin de celui-ci le jour où elle se serait mariée, puis à nouveau quelques jours plus tard, et que S. soit resté en Somalie alors qu’il avait prétendument été menacé de mort. Les arguments avancés pour justifier le fait que S. n’ait pas pu quitter la Somalie n’étaient pas non plus crédibles, en particulier dans la mesure où celui-ci a pu, avec l’aide de la tante paternelle de l’auteure, réunir les fonds qui ont permis à l’auteure de fuir vers l’Europe.

Les motifs invoqués par l’auteure pour justifier sa demande d’asile ne pouvant être acceptés comme véridiques, la majorité des membres de la Commission des recours des réfugiés n’ont pas non plus pu considérer comme fidèles à la réalité les allégations selon lesquelles l’auteure n’aurait pas d’entourage masculin en cas de retour en Somalie et courrait pour cette seule raison le risque de subir des violences visées à l’article 7 de la loi sur les étrangers. Le fait que l’auteure doive se rendre à Baardheere depuis Mogadiscio ne pouvait amener la Commission à tirer une conclusion différente. Par conséquent, la Commission a estimé que l’auteure n’avait pas démontré de façon convaincante qu’elle courrait un risque particulier de persécution en cas de retour en Somalie.

L’État partie a également fourni des informations détaillées sur l’organisation, les compétences, la composition, les prérogatives, le fonctionnement et l’indépendance de la Commission, ainsi que sur le fondement juridique de ses décisions, sur la prise de ses décisions, sur son mode d’appréciation des preuves et sur la documentation dont elle disposait.

En ce qui concerne la recevabilité de la requête, l’État partie estime que l’auteure n’a pas été en mesure d’en faire la démonstration devant le Comité. En d’autres termes, l’auteure n’a pas démontré à suffisance qu’elle courrait en Somalie un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de violence fondée sur le genre. Par conséquent, la communication devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, parce qu’elle est manifestement mal-fondée.

En ce qui concerne le fond de la requête, l’État partie fait tout d’abord remarquer que, dans la présente communication, l’auteure n’a fourni aucune information qu’elle n’avait pas déjà communiquée aux services de l’immigration et à la Commission des recours des réfugiés. L’expulsion de l’auteure ne constituerait pas une violation de la Convention. À l’appui de cette affirmation, l’État partie fait observer, s’agissant de la crédibilité de l’auteure, que la Commission apprécie la crédibilité des demandeurs d’asile en s’appuyant sur une évaluation globale, notamment des déclarations et du comportement du demandeur lors de son audition devant elle, qu’elle met en regard des autres informations figurant dans le dossier, y compris des renseignements sur la situation du pays dont est originaire le demandeur et des informations recueillies dans le cadre de l’affaire. Si les déclarations du demandeur d’asile semblent cohérentes, la Commission les considère en principe comme véridiques. Si les déclarations sont caractérisées par des contradictions, des inconstances, des ajouts ou des omissions, la Commission cherche à obtenir des éclaircissements.

Selon la décision prise par la Commission des recours des réfugiés le 1er décembre 2015, la majorité des membres de la Commission ont estimé que les déclarations faites par l’auteure pour justifier sa demande d’asile ne pouvaient être considérées comme véridiques. Ils ont souligné, en particulier, qu’il leur paraissait peu plausible que l’auteure se soit rendue le jour où elle se serait mariée, puis à nouveau quelques jours plus tard, au magasin de S., situé non loin du domicile familial. Ils ont également insisté sur le fait qu’il était improbable que S. soit resté en Somalie alors qu’il avait reçu des menaces de mort. Étant donné que la présente communication ne comporte aucune nouvelle information attestant la crédibilité de l’auteure, l’État partie ne saurait considérer comme véridiques les déclarations de celle-ci. En outre, dans la communication qu’elle a adressée au Comité, l’auteure n’a pas remis en cause l’évaluation menée par la Commission pour apprécier sa crédibilité.

En ce qui concerne l’appréciation de la crédibilité de manière générale, l’État partie invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier l’affaire R. C. c. Suède, dans le cadre de laquelle la Cour a observé, dès le départ, qu’il y avait un désaccord entre les parties en ce qui concerne les faits, et que le Gouvernement avait mis en cause la crédibilité de l’auteur et souligné certaines incohérences dans son récit. Elle a reconnu qu’il était souvent difficile d’établir avec précision la réalité des faits dans des affaires comme celle-ci, et admis, en tant que principe général, que les autorités nationales étaient les mieux placées pour évaluer non seulement les faits mais, plus particulièrement, la crédibilité des témoins, car c’était elles qui avaient eu l’occasion de voir l’intéressé, de l’entendre et d’apprécier son comportement.

En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Somalie, l’État partie note que l’auteure a affirmé être une femme seule, sans entourage, et risquer pour cette seule raison, compte tenu de son appartenance clanique, d’être victime de persécutions sexistes en Somalie. Il signale que la Commission des recours des réfugiés, lorsqu’elle s’est prononcée sur le recours, le 1er décembre 2015, avait connaissance du rapport du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés intitulé « UNHCR position on returns to southern and central Somalia » (juin 2014) et l’a pris en considération, de même que d’autres documents d’information. L’auteure n’a pas démontré de façon convaincante qu’elle était en conflit avec son oncle et n’aurait pas d’entourage masculin en cas de retour en Somalie. Il lui incombait d’invoquer des motifs suffisants pour justifier sa demande d’asile, mais elle n’a pas été en mesure d’apporter la preuve de ce qu’elle avançait. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle l’auteure serait une femme seule, sans entourage, ne saurait être considérée comme un fait avéré.

L’État partie ajoute que, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire R. H. c. Suède, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que, de son avis, il pouvait être établi qu’une femme célibataire retournant à Mogadiscio sans disposer de la protection d’un réseau masculin serait exposée à un risque réel de vivre dans des conditions constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Toutefois, selon l’État partie, la présente affaire ne saurait être appréciée autrement à la lumière de cet arrêt, dans la mesure où les circonstances factuelles diffèrent considérablement. La situation en Somalie, notamment dans la région de Gedo, n’est pas telle que toute femme qui y retourne risque d’être victime de violences. L’État partie se réfère également à des documents d’information émanant du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord (2016) et de l’Office fédéral autrichien de l’immigration et de l’asile (2015), selon lesquels la ville natale de l’auteure est maintenant sous le contrôle de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et de l’Alliance nationale somalie. En outre, il fait observer que la jurisprudence de la Commission des recours des réfugiés n’exige pas qu’une femme renvoyée à Mogadiscio ait un entourage masculin. Une fois arrivée à Mogadiscio, l’auteure pourrait contacter sa famille et demander de l’aide pour se rendre jusqu’à sa ville natale.

Quant à la question de la violence fondée sur le genre en Somalie, l’État partie répète que l’auteure n’a pas démontré à suffisance qu’elle courrait un risque réel, personnel et prévisible si elle retournait en Somalie. Les déclarations faites par l’auteure pour justifier sa demande d’asile ne pouvant être considérées comme véridiques, sachant qu’il ne peut être accepté comme un fait avéré qu’elle ait été mariée de force à un homme plus âgé et qu’elle ait entretenu une relation avec un autre homme avant son mariage, l’État partie estime qu’il ne peut être démontré que l’auteure courrait un risque réel, personnel et prévisible, si elle retournait en Somalie, d’être victime de formes graves de violence fondée sur le genre ou de mauvais traitements exercés par sa famille, par les autorités ou par d’autres acteurs. Il ajoute que le fait que l’auteure ait subi des mutilations génitales féminines n’est pas en soi un motif d’octroi de l’asile et n’implique pas forcément qu’elle sera victime d’actes de violence fondée sur le genre à l’avenir.

En ce qui concerne l’appartenance de l’auteure au clan minoritaire des Achraf, l’État partie fait observer que ce fait ne peut à lui seul donner lieu à une appréciation différente des circonstances de l’affaire. Il ressort de documents d’information émanant du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (2015) que, dans les régions du sud et du centre de la Somalie, hors de Mogadiscio, les clans dominants peuvent être en mesure de protéger leurs membres et les membres de groupes minoritaires avec lesquels ils ont noué des relations ou des liens.

L’État partie ajoute que l’absence de référence explicite à la Convention dans la décision rendue le 1er décembre 2015 ne signifie pas que la Commission des recours des réfugiés a omis de prendre en considération le risque que l’auteure soit victime de violences et bafoué ainsi le droit de celle-ci d’être protégée au titre de la Convention. Dans la majeure partie du texte de sa décision, la Commission renvoie uniquement aux dispositions de la loi sur les étrangers, et pas à celles des conventions qui sous-tendent la législation danoise et que le Danemark est tenu de respecter.

Selon l’État partie, dans la présente affaire, la Commission des recours des réfugiés a pris en considération toutes les informations pertinentes. La présente communication n’a mis en lumière aucune nouvelle information indiquant que l’auteure risquerait d’être victime de persécutions ou de violences justifiant l’octroi de l’asile. L’État partie se réfère aux constatations adoptées par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire P. T. c. Danemark : « Le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque ». Il fait également observer que, dans ses constatations relatives à l’affaire M. et M me  X c. Danemark, le Comité des droits de l’homme a noté ce qui suit : « Le Comité constate que la demande de statut de réfugié présentée par les auteurs a été soigneusement évaluée par les autorités de l’État partie, qui ont conclu que les déclarations des auteurs concernant le motif de la demande et le compte rendu des événements qui étaient à l’origine de leur crainte d’être torturés ou tués n’étaient pas crédibles. Le Comité constate aussi que les auteurs n’ont pas mis en évidence une irrégularité quelconque dans le processus de prise de décisions ni un facteur de risque qui n’aurait pas été suffisamment pris en compte par les autorités de l’État partie. Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne peut pas conclure que les auteurs seraient exposés à un risque réel de traitement contraire aux articles 6 ou 7 du Pacte s’ils étaient renvoyés ».

L’État partie affirme que les mêmes garanties de procédure régulière ont été appliquées dans la présente affaire. Il renvoie également à la décision adoptée par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire N. c. Danemark : « Le Comité rappelle qu’il appartient en général aux organes des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreurs ou qu’elle a représenté un déni de justice. L’auteur n’a pas expliqué en quoi la décision rendue par la Commission des recours des réfugiés n’aurait pas rempli les critères susmentionnés, et n’a pas non plus fourni de motif sérieux de croire, comme il l’affirme, que son renvoi [...] l’exposerait à un risque réel de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief de violation de l’article 7 aux fins de la recevabilité et déclare la communication irrecevable [...]. »

L’État partie souligne que la Commission des recours des réfugiés, organe quasi judiciaire, a estimé, à l’issue d’une analyse approfondie de la crédibilité de l’auteure, de la documentation disponible et de la situation particulière de l’auteure, que celle‑ci n’avait pas démontré de façon convaincante qu’elle courrait le risque d’être victime de persécutions ou de violences en cas de retour en Somalie. Il souscrit à cette conclusion.

À cet égard, l’État partie rappelle également les conclusions tirées par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire Z. c. Danemark : « En l’absence d’élément indiquant que les décisions de la Commission des recours des réfugiés étaient manifestement déraisonnables ou arbitraires eu égard aux allégations de l’auteur, le Comité ne peut pas conclure que les renseignements dont il dispose montrent que l’expulsion de l’auteur [...] l’exposerait à un risque réel de traitement contraire à l’article 7 du Pacte. »

L’État partie rappelle que, dans la présente communication, l’auteure n’a pas fourni de nouvelles informations sur sa situation. Elle cherche plutôt à obtenir du Comité qu’il agisse comme un organe d’appel et procède à un nouvel examen des éléments factuels de son dossier. L’État partie estime que le Comité doit accorder une importance déterminante aux conclusions factuelles tirées par la Commission des recours des réfugiés, qui est la mieux placée pour apprécier les éléments de fait du dossier de l’auteure. Selon lui, il n’y a aucune raison de remettre en cause, et moins encore de rejeter l’appréciation de la Commission, selon laquelle l’auteure n’a pas été en mesure de prouver de façon convaincante qu’elle encourrait un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de persécutions si elle était renvoyée en Somalie et que son renvoi aurait pour conséquence nécessaire et prévisible la violation des droits qui lui sont conférés par la Convention. Par conséquent, le renvoi de l’auteure en Somalie ne constituerait pas une violation des articles 2 d), 12 et 16 de la Convention.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Le 24 février 2017, le conseil de l’auteure a formulé des commentaires. D’abord, il prend note des observations de l’État partie sur les éléments de preuve à l’appui de la communication et soutient que cette question semble étroitement liée au fond de l’affaire. En tout état de cause, le fait que l’auteure soit une femme seule qui risque d’être expulsée vers un pays qui n’est pas partie à la Convention, auquel s’ajoutent les informations générales confirmant sa peur d’être renvoyée dans ce pays, montre qu’elle a des preuves suffisantes à première vue en vertu des articles 1, 2 d), 12 et 15 de la Convention. Il réaffirme que la Commission des recours des réfugiés a été invitée à tenir compte expressément de la question de la Convention dans sa décision mais ne l’a pas fait. En outre, certains membres de la Commission ont voté contre la décision négative prise concernant le cas de l’auteure.

Sur le fond, le conseil fait valoir au contraire que, même si l’on devait admettre que sa version des faits manquait de crédibilité, l’auteure n’en est pas moins une femme seule originaire d’une région de la Somalie où elle ne peut plus retourner. Elle craint non seulement d’être persécutée par sa propre famille, mais également de subir d’autres formes sexistes de persécution de la part de la société somalienne dominée par les hommes. La société fortement patriarcale opprime les femmes qui cherchent à s’émanciper en usant de méthodes très violentes, notamment les crimes d’honneur. Le fait que l’auteure soit une femme seule en Europe montre clairement qu’en fuyant seule, elle s’est rebellée. À cet égard, le conseil renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire R. H. c. Suède (voir par. 3.11 ci‑dessus). Il rejette les arguments avancés par l’État partie à ce sujet et note que la Commission des recours des réfugiés n’a pas conclu que l’auteure serait en mesure de demander la protection nécessaire à partir de Mogadiscio afin de faire le déplacement pour rentrer. Cependant, ayant peur de sa famille, l’auteure ne serait pas en mesure d’obtenir le soutien nécessaire en question. De plus, le conseil fait valoir que le Gouvernement et l’AMISOM contrôlent certaines zones urbaines, mais que les routes sont contrôlées par les Chabab et des groupes criminels. Prétendre qu’un parent de sexe masculin se rendrait à Mogadiscio pour accompagner l’auteure donne à penser que le parent en question mettrait sa vie en danger.

Le conseil ajoute que l’auteure a été contrainte de se marier en Somalie mais elle a refusé d’obtempérer et pris la fuite. Il existe dans le pays un risque généralisé de violence fondée sur le genre, y compris les mutilations génitales féminines, les mariages forcés, les viols et d’autres formes de violence fondée sur le genre. L’auteure a raconté avoir été victime de violence sexuelle et sexiste avant de quitter le pays. Elle a clairement affirmé qu’en cas de retour, elle subirait un traitement contraire à la Convention. Toutefois, la Commission des recours des réfugiés ne fait aucune référence à son argument portant sur le risque de violence fondée sur le genre dans sa décision.

Le conseil soutient que les articles 12 et 15 de la Convention ont été violés. S’agissant de l’article 12, il précise que l’auteure a déjà montré des cicatrices de brûlures et qu’elle craint de subir à nouveau ces traitements, sans donner davantage d’explications. L’article 15 aurait été violé car l’auteure « n’a pas eu droit à un procès équitable » et « un homme/garçon n’aurait pas été ainsi traité dans le système juridique ».

Observations complémentaires de l’État partie

Le 26 juin 2017, l’État partie a présenté des observations complémentaires. Il note que l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle est une femme seule craignant d’être persécutée par les membres de sa famille ne peut être considérée comme une information nouvelle, car elle a déjà dit qu’elle était une femme seule devant la Commission des recours des réfugiés et dans sa communication. En revanche, cette affirmation montre qu’elle n’approuve pas la décision négative de la Commission. Se référant à la décision de la Commission en date du 1er décembre 2015 et à ses précédentes observations, l’État partie souligne qu’à la suite de l’évaluation faite par la Commission, il ne peut pas considérer comme un fait que l’auteure sera une femme seule ne pouvant compter sur le soutien d’hommes dans son entourage en Somalie, ou qu’elle était en conflit avec sa famille lorsqu’elle a quitté le pays.

Pour ce qui est de la référence faite par le conseil à l’affaire R. H. c. Suède et des arguments concernant la capacité de l’auteure de demander l’aide des hommes de sa famille pour son voyage de retour à sa ville natale, l’État partie fait observer que la Commission des recours des réfugiés a apporté un complément à ses observations du 23 juin 2016, conformément à sa pratique habituelle. Il n’a donc fait aucune interprétation de la décision de la Commission. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’exige pas que les femmes aient un entourage masculin à Mogadiscio. Étant donné qu’aucune information nouvelle n’a été fournie sur les liens familiaux de l’auteure, l’État partie continue de penser qu’elle a un entourage masculin qui serait en mesure de lui apporter une protection.

Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle la Commission des recours des réfugiés n’a pas pris en considération la Convention dans son appréciation, car elle ne faisait pas explicitement référence aux dispositions de la Convention dans sa décision, l’État partie note que cette question a été examinée par le Comité dans un certain nombre de cas soumis par le même conseil. Il cite la décision prise par le Comité en l’affaire K. S. c. Danemark, dans laquelle le Comité a également pris acte des griefs de l’auteure selon lesquels les autorités danoises de l’immigration n’avaient pas examiné son cas sous l’angle de la Convention ni fait mention de celle-ci dans leur décision, bien que son conseil ait soulevé cette question oralement et par écrit à l’audience devant la Commission de recours des réfugiés. Le Comité prend note de la réponse de l’État partie selon laquelle la Convention fait partie de l’ordre juridique interne et est pleinement prise en considération par la Commission dans l’examen des demandes d’asile. Il fait observer que l’avocat de l’auteure a demandé aux autorités de l’immigration d’examiner sa demande d’asile sous l’angle de la Convention, sans faire référence à des dispositions spécifiques de la Convention ni étayer les griefs de l’auteure par un quelconque article donné de celle-ci.

S’agissant de l’assertion du conseil selon laquelle une minorité des membres de la Commission des recours des réfugiés n’a pas accepté la décision négative prise par le Service danois de l’immigration, l’État partie invoque le paragraphe 6.3 de la décision du Comité dans l’affaire K. S. c. Danemark : en ce qui concerne les observations relatives à la minorité des membres de la Commission, l’État partie relève que l’auteure a plusieurs fois spéculé sur les faits et conclusions sur lesquels ces membres ont basé leur opinion. Il fait observer qu’en vertu de l’article 40 du règlement intérieur de la Commission, les décisions de la Commission sont adoptées à la majorité simple, et que les délibérations de la Commission sont confidentielles. Par ailleurs, selon l’article 41 du même règlement, immédiatement après la fin des délibérations, une note relative à l’affaire examinée doit être rédigée sur les résultats des délibérations, celle-ci n’étant pas confidentielle. L’État partie relève que la Convention n’emporte pas obligation de publier l’opinion de la minorité des membres de la Commission ; aucune obligation de ce type ne découle non plus du droit danois.

L’État partie fait observer que la situation générale en Somalie, notamment celle des femmes, n’est pas telle que toutes les personnes qui y retournent risquent de subir une atteinte au sens du paragraphe 2) de l’article 7 de la loi sur les étrangers. L’État partie renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire R. H. c. Suède et aux dernières informations générales, notamment le rapport établi par le Service danois de l’immigration et le Conseil danois pour les réfugiés intitulé : « South and central Somalia: security situation, al-Shabaab presence, and target groups ». Il ressort de ces informations que la ville d’origine de l’auteure est sous le contrôle de l’AMISOM.

L’État partie ajoute que l’auteure, dans ses observations du 24 février 2017, a déclaré que le Danemark avait violé l’article 12 de la Convention, puisqu’elle avait déjà montré des cicatrices de brûlures et qu’elle avait peur de subir de nouvelles attaques en cas de renvoi en Somalie. Il note que l’auteure n’a présenté aucune information sur des cicatrices tout au long de sa procédure d’asile ni dans sa communication initiale au Comité. Aucune information n’a été fournie faisant état de ce que les cicatrices résultaient du conflit qui sévit en Somalie, comme l’a suggéré l’auteure, ou que cette dernière craint de subir de nouvelles attaques. En conséquence, l’État partie rejette cette partie de la communication.

En ce qui concerne la référence faite par le conseil à l’article 15 dans sa précédente lettre, l’État partie note qu’aucun grief de ce type n’a été formulé précédemment. L’auteure n’a pas apporté la preuve de ses allégations selon lesquelles elle n’a pas bénéficié des mêmes garanties d’une procédure régulière que les hommes demandeurs d’asile tout au long de la procédure d’asile. Par conséquent, l’État partie estime qu’il est inutile de faire d’autres commentaires sur cette partie de la communication, qui devrait être jugée irrecevable car elle est manifestement mal fondée.

L’État partie réaffirme que la communication devrait être jugée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, car étant manifestement infondée. L’État partie affirme que, même si le Comité devait déclarer la communication recevable, il n’y aurait aucune violation des articles 2 d), 12, 15 et 16 de la Convention sur le fond en cas de retour forcé de l’auteure en Somalie.

Délibérations

Examen de la recevabilité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Aux termes de l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité peut décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle-même quant au fond.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité note que l’auteure affirme qu’au regard des articles 2 d) et 16 de la Convention ses droits avaient été violés et qu’elle a épuisé toutes les voies de recours internes dont elle disposait et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication pour ces motifs. Il fait observer que, selon la loi danoise, aucune décision de la Commission des recours des réfugiés ne peut être contestée devant les juridictions internes. En conséquence, il considère que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

Le Comité prend note des autres griefs que l’auteure tire des articles 12 et 15, dans la mesure où l’auteure a montré des cicatrices de brûlures dans le passé et craint de subir des attaques analogues en Somalie, et où elle n’a pas bénéficié d’un procès équitable et des mêmes garanties que les demandeurs d’asile de sexe masculin (voir par. 4.4 ci-dessus). En l’absence d’autres explications ou informations à ce sujet, le Comité considère que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

Le Comité rappelle l’allégation de l’auteure selon laquelle les autorités danoises n’ont pas apprécié son cas sous l’angle de la Convention, quand bien même son conseil leur a expressément demandé de le faire, et que son retour forcé en Somalie constituerait une violation par le Danemark des articles 2 d), 12, 15 et 16 de la Convention. Elle craint d’être persécutée par sa famille parce qu’elle avait refusé de se marier de force à un homme plus âgé et entretenait des relations avec une connaissance, et également parce que, en tant que femme seule dans une société patriarcale, elle serait exposée à des persécutions et des actes de violence fondée sur le genre et ne serait pas en mesure de se déplacer en sécurité de Mogadiscio à sa ville d’origine, les routes étant contrôlées par les Chabab ou des groupes criminels.

Le Comité renvoie à sa recommandation générale no 32, selon laquelle, « en vertu du droit international des droits de l’homme, le principe de non refoulement fait obligation aux États de ne pas renvoyer une personne là où elle risque de subir de graves violations des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (par. 21). Il rappelle, en particulier, que les demandes d’asile fondées sur des considérations liées au sexe peuvent recouper d’autres motifs de discrimination tels que l’âge, la race, l’appartenance ethnique, la nationalité, la religion, la santé, la classe, la caste, le fait d’être lesbienne, bisexuelle ou d’avoir un autre statut (par. 16). Il renvoie en outre à sa recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes, dans laquelle il rappelle que la violence fondée sur le genre, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes en vertu des principes généraux du droit international ou des conventions particulières relatives aux droits de l’homme, constitue une discrimination, au sens de l’article premier de la Convention, et que parmi ces droits et libertés, on peut citer notamment le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture (par. 7). Il a encore précisé son interprétation de la violence à l’égard des femmes en tant que forme de discrimination sexiste dans sa recommandation générale no 35 (2017) sur la violence sexiste à l’égard des femmes, portant actualisation de la recommandation générale no 19, où il réaffirme l’obligation des États parties d’éliminer la discrimination à l’égard des femmes, y compris la violence fondée sur le genre, découlant des actes ou omissions de l’État partie ou de ses acteurs, d’une part ; et celle qui résulte des actes ou omissions des acteurs non étatiques, d’autre part (par. 21).

En l’espèce, le Comité constate qu’il n’a pas été allégué que l’État partie avait violé directement les dispositions de la Convention mais que la violation se matérialiserait si ses autorités renvoyaient l’auteure en Somalie, l’exposant ainsi à des formes graves de violence fondée sur le genre.

Le Comité prend note de l’assertion de l’auteure selon laquelle, bien que son conseil ait invité la Commission des recours des réfugiés à examiner sa demande d’asile sous l’angle de la Convention, la Commission n’a pas fait référence à la Convention dans sa décision. Le Comité rappelle qu’une grande importance devrait être accordée à l’appréciation faite par les autorités de l’État partie, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation relève manifestement de l’arbitraire ou représente un déni de justice. Il note également que le conseil de l’auteure, s’adressant à la Commission, n’a pas formulé de grief clair en vertu de dispositions spécifiques de la Convention, mais a plutôt invité les autorités à tenir compte de la Convention, d’une manière générale, au moment d’examiner la demande de l’auteure. Il note à cet égard que le fait que la Commission ne se réfère pas à une convention donnée dans sa décision signifie, en soi, qu’il n’a pas évalué un cas d’espèce sans tenir compte de la Convention en question. Par conséquent, et en l’absence de tout élément de preuve dans le dossier établissant que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable ou arbitraire en ce qui concerne les allégations de l’auteure, le Comité déclare irrecevable cette partie de la communication au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, parce qu’elle est manifestement mal fondée.

Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel toutes les allégations de l’auteure ont fait l’objet d’un examen approfondi de la part du Service danois de l’immigration et de la Commission des recours des réfugiés, qui les ont rejetées dans leur ensemble en raison de l’évaluation défavorable de la crédibilité de l’auteure qui entachait sa demande. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux autorités de l’État partie à la Convention d’apprécier les faits et éléments de preuve ou l’application du droit interne dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été partiale ou fondée sur des stéréotypes sexistes constitutifs de discrimination à l’égard des femmes, ou manifestement arbitraire, ou a constitué un déni de justice. À cet égard, il relève que l’auteure conteste en substance la manière dont les autorités de l’État partie chargées des questions de l’asile ont apprécié les éléments factuels de sa demande, appliqué les dispositions de la législation et tiré leurs conclusions selon lesquelles elle ne pouvait pas obtenir l’asile au Danemark. La question dont est saisi le Comité est donc de savoir si la décision concernant la demande d’asile de l’auteure a été entachée d’une irrégularité, en ce que les autorités de l’État partie n’auraient pas apprécié correctement le risque de violence grave fondée sur le genre auquel elle serait exposée en cas de renvoi en Somalie.

Le Comité note que les autorités de l’État partie ont estimé que la relation des faits par l’auteure manquait de crédibilité parce qu’elle présentait des incohérences factuelles et n’était pas suffisamment étayée, notamment pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle la famille de son oncle l’avait forcée à se marier et persécutée. Il note en outre que, nonobstant la conclusion susmentionnée concernant la crédibilité de l’auteure, l’État partie a aussi examiné la situation générale des droits de l’homme en Somalie.

Compte tenu de ce qui précède, et sans sous-estimer les préoccupations pouvant légitimement être exprimées sur la discrimination fondée sur le genre en Somalie et la situation générale des droits de l’homme dans ce pays, le Comité considère que l’auteure n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que l’évaluation de sa demande d’asile par les autorités danoises compétentes, y compris par la Commission des recours des réfugiés, et le fait qu’il n’ait pas été fait référence à la Convention dans la décision relative à sa demande, avaient entraîné une telle discrimination sexiste en l’espèce et qu’elle serait victime de persécutions en cas de retour forcé en Somalie. En outre, aucun élément du dossier ne permet au Comité de conclure que les autorités de l’État partie n’ont pas procédé à un examen suffisamment approfondi de la demande d’asile de l’auteure, ou que l’examen de sa demande, en tant que femme demandant l’asile, pourrait être entaché de vices de procédure ou d’arbitraire.

En conséquence, le Comité décide que :

a)La communication est irrecevable au regard du paragraphe2 c) de l’article4du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.