Communication présentée par :

Promo-LEX

Au nom de :

V. C. (décédée)

État partie:

République de Moldova

Date de la communication:

Le 20 juillet 2016 (présentation initiale)

Références:

Communiquées à l’État partie le 24 février 2016 (non publiées sous forme de document)

Date des constatations:

9 juillet 2020

Objet :

Violence fondée sur le genre et fait de ne pas avoir assuré une réparation

Question(s) de procédure:

Consentement de l’auteur

Question(s) de fond:

Mort violente de l’auteure aux mains de son mari et absence de recours utile

Articles de la Convention:

1 et 2 [al. a), c), e) et f) ]

Article du Protocole facultatif:

2

Exposé des faits

L’auteur de la communication est l’association Promo-LEX agissant avec le consentement de P., l’exécutrice testamentaire de V. C.. L’auteur affirme que la République de Moldova a violé les droits de V. C., ressortissante moldove née en 1961, aujourd’hui décédée, reconnus par les paragraphes a), c), e) et f) de l’article 2, lus en parallèle avec l’article premier, de la Convention. La Convention et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour la République de Moldova le 31 juillet 1994 et le 28 mai 2006, respectivement.

Rappel des faits présentés par l’auteur

En 2008, V. C. a épousé C. Ils n’avaient pas d’enfant et habitaient à Chisinau, dans un petit appartement appartenant à V. C., qui n’avait ni famille proche ni parents et, en tant que femme handicapée, était fortement dépendante de son mari.

La relation de V. C. avec son mari s’est détériorée en 2013 et elle a alors été régulièrement victime de violence conjugale et isolée. Son mari la frappait et la battait, lui tirait les cheveux et lui jetait des objets. Il l’empêchait régulièrement de quitter l’appartement et de parler aux voisins. Il lui a également infligé des violences verbales et psychologiques. Le comportement du mari était souvent lié à une consommation excessive d’alcool et « déclenché » par la réticence de V. C. à lui acheter de l’alcool.

Entre décembre 2013 et janvier 2014, V. C. a téléphoné à cinq reprises aux services d’urgence de la police et à l’agent de police chargé de son secteur, D. P., pour dénoncer sa maltraitance de la part de son mari. Ses voisins ont également téléphoné à la police en son nom.

D. P. se rendait régulièrement dans l’appartement du couple pour discuter de la violence de C. À ces occasions, C. n’a reçu que des avertissements verbaux concernant son « comportement inacceptable ». La police n’a à aucun moment en 2013 mis en œuvre les mesures de protection disponibles pour V. C. La police ne lui a pas offert de protection et ne l’a pas informée de son droit d’engager des procédures pour obtenir une ordonnance de protection.

Le 9 janvier 2014, V. C. a téléphoné à la police pour signaler les violences physiques et psychologiques infligées par son mari, ainsi que son abus d’alcool continu. Des agents de police ont été envoyés à l’appartement et C. a été accusé de trouble à l’ordre public en vertu de l’article 354 du Code des infractions de la République de Moldova. C. a plaidé coupable et a été condamné à une amende de 200 lei (soit environ 15 dollars É.-U.). Toutefois, l’accusation ne tenait pas compte de toute la gravité de la plainte, ni de la maltraitance dont V. C. avait été victime. La possibilité d’engager une poursuite contre C. en vertu des dispositions du Code pénal portant précisément sur les infractions relevant de la violence familiale ne semble pas avoir été prise en considération. Après l’attaque du 9 janvier 2014, V. C. a emménagé chez une voisine, P., ayant peur de rester dans son propre appartement en raison des menaces de son mari.

Le 10 janvier 2014, C. a reçu un avertissement écrit et a été enregistré comme « agresseur familial » à Chisinau, et un « plan individuel pour la prévention de la violence familiale » a été élaboré dans le but de prévenir de nouvelles violences contre V. C. Le plan contenait six points d’intervention. Rien n’indique, toutefois, que des mesures concrètes aient été prises pour que ces points d’intervention soient mis en œuvre ou fassent l’objet d’un suivi, ni pour que V. C. bénéficie de services de protection ou de soutien.

Le 14 janvier 2014, V. C. a engagé une procédure de divorce.

Le 19 janvier 2014, V. C. est retournée dans l’appartement du couple ; elle a informé son mari qu’elle avait l’intention de divorcer et lui a demandé de déménager. Le même jour, à la suite d’une dispute, C. a attaqué V. C. avec un couperet, la frappant plusieurs fois à la tête. Elle a immédiatement perdu connaissance. Après avoir entendu des bruits forts venant de l’appartement, P. a appelé la police. À leur arrivée, ils ont trouvé la porte ouverte et V. C. étendue sur le sol dans une mare de sang. Par suite de l’attaque, V. C. a été frappée de paralysie et avait de la difficulté à parler. Le 20 janvier 2014, C. a été arrêté. Le 16 septembre 2014, V. C. est décédée des suites de ses blessures.

Le 30 décembre 2015, C. a été reconnu coupable du meurtre de sa femme par le Tribunal du secteur central de Chisinau. Il purge actuellement une peine d’emprisonnement de huit ans. Cette peine a été confirmée par la Cour d’appel de Chisinau. L’auteur affirme que la condamnation de C. n’est pas suffisante pour exclure la responsabilité de l’État partie pour les actes ou omissions survenus avant le décès de V. C., y compris les violences fondées sur le sexe graves et répétées subies en milieu familial.

Situation juridique de Promo-LEX

L’auteur note que selon l’article 2 du Protocole facultatif, les communications sont présentées par des particuliers, ou au nom de particuliers qui affirment être victimes d’une violation des droits énoncés dans la Convention. L’auteur soutient qu’il est justifié et approprié que Promo-LEX présente la présente communication au nom de V. C. qui, aujourd’hui décédée, ne peut donner son consentement. V. C. avait été représentée aux fins de sa procédure de divorce par S., avocate chez Promo-LEX. V. C. ayant été une orpheline sans famille survivante, biologique ou adoptive, et sans enfant, elle n’avait aucun parent proche à qui l’auteur aurait pu demander le consentement approprié. Cependant, Promo-LEX a obtenu le consentement écrit de P., la voisine de V. C., qui était l’une de ses amies les plus proches et qu’elle avait nommée exécutrice testamentaire et chez qui, le 9 janvier 2014, elle avait trouvé refuge contre la violence infligée par son mari.

L’auteur considère donc que les conditions de l’article 2 du Protocole facultatif sont dès lors satisfaites. D’après l’auteur, exiger le consentement de la victime dans tous les cas serait contraire à la fois à l’esprit et à la lettre de l’article 2 du Protocole facultatif, en vertu duquel des communications individuelles peuvent être présentées même au nom de ceux qui, pour quelque motif que ce soit, n’ont pas la capacité de consentir, dans les cas où telle présentation est justifiée. Ces cas doivent inclure ceux dans lesquels des organismes réputés assurant la défense des droits, comme Promo-LEX, cherchent à agir au nom d’une victime décédée ou incapable pour un autre motif de donner son consentement et dont les droits ne peuvent être protégés et défendus autrement. Cette interprétation, de l’avis de l’auteur, étend au maximum la capacité du Comité d’assurer l’accès à la justice à ceux qui ne peuvent y accéder en leur nom propre.

En outre, l’auteur avance qu’un tel droit d’agir comme mandataire à la suite du décès d’une victime de violence fondée sur le sexe, par suite de cette violence, est important pour assurer la protection universelle des droits des femmes en application de la Convention et garantir aux femmes le droit de ne subir aucune violence et le droit de vivre à l’abri de la peur et de la violence sur la base de l’égalité.

Épuisement des recours internes

L’auteur déclare que V. C. n’a pas demandé l’« ordonnance de protection de la victime » prévue par la loi parce qu’elle n’était pas au courant, et n’a jamais été informée par les autorités, de la possibilité de la demander. Malgré les nombreuses plaintes présentées à la police concernant le comportement violent de son mari, elle n’a jamais reçu de protection effective. Comme elle est maintenant décédée, il n’y a pas d’autres recours par lesquels une réparation effective pourrait être obtenue.

Par conséquent, l’auteur affirme que le fait d’exiger d’une victime qu’elle épuise les recours internes dont elle n’avait pas connaissance en raison de manquements de la part des autorités de l’État partie, en particulier lorsque ces manquements font partie de la plainte de la victime, porterait atteinte aux objectifs du Protocole facultatif. À cet égard, l’auteur souligne que les cas de violence familiale ont des caractéristiques particulières et que les auteurs de cette violence exercent souvent sur les victimes un pouvoir de coercition physique et psychologique. En conséquence, il est fréquent que les recours nécessitant des mesures de la part des victimes ne puissent être exercés pour obtenir une réparation effective.

Plainte

L’auteur affirme qu’en manquant à son obligation d’exercer la diligence voulue afin de protéger V. C. contre une menace connue de violence familiale, l’État partie a violé les droits que la victime tire des paragraphes a), c), e) et f) de l’article 2, lus en parallèle avec l’article premier, de la Convention.

Non-application

L’auteur soutient qu’en l’espèce, les violations de la Convention résultent principalement de lacunes dans l’application par l’État partie de son cadre juridique existant. Ces lacunes étaient apparentes tant à l’égard de la violence continue dont V. C. a été victime en 2013 que de la réaction des autorités à l’incident du 9 janvier 2014.

L’auteur affirme que la situation dans la République de Moldova tient aux facteurs suivants : a) le fait que les autorités, systématiquement, ne traitent pas la violence familiale comme une affaire criminelle grave ; et b) une absence de prise de conscience de la part des autorités de l’État, en particulier les agents de police, de leurs obligations à l’égard de la violence familiale. En particulier, l’auteur cite l’affaire Eremia et autres c. République de Moldova, dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a décidé que ce qu’avaient fait les autorités en réponse aux actes répétés de violence familiale que la requérante avait subi « ne s’analyse pas simplement en un manquement », mais a « eu pour effet de les cautionner à plusieurs reprises, ce qui traduit une attitude discriminatoire à l’égard de la requérante en tant que femme ».

Absence d’enquête

L’auteur affirme qu’aucune des plaintes que V. C. et ses voisins ont déposées n’a été suivie d’une enquête officielle et que les mesures prises par les autorités se sont limitées à des « avertissements » non officiels et à des « discussions » avec C., malgré le fait qu’il ne changeait aucunement son comportement. L’auteur ajoute que l’absence d’enquête a eu lieu malgré les dispositions suivantes de la législation nationale : a) l’article 28 du Code de procédure pénale de la République de Moldova ; et b) le paragraphe 6) de l’article 8 de la loi no 45-XVI du 1er mars 2007 sur la prévention et la répression de la violence familiale (la loi sur la violence familiale). Se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteur affirme qu’en l’espèce, les autorités, ayant eu connaissance des allégations de violence familiale de V. C., avaient l’obligation d’enquêter de leur propre initiative sur la nécessité d’agir pour prévenir cette violence. L’auteur affirme, en particulier, que le fait de ne pas avoir donné suite aux allégations en procédant dans les meilleurs délais à une enquête appropriée constitue une violation de l’article 2, lu en parallèle avec l’article premier, de la Convention.

Défaut de communication d’informations sur les services de protection et de soutien ou défaut de prise des mesures nécessaires à la prestation de ces services

En 2013, et même après l’incident très grave du 9 janvier 2014, la police n’a pas informé V. C. de la possibilité pour elle comme victime d’obtenir une ordonnance de protection ou d’engager de sa propre initiative des procédures en vue d’obtenir une telle ordonnance. De plus, ni V. C. ni C. n’ont été informés de l’existence d’organismes ou mis en contact avec des organismes offrant des services de counseling ou de réinsertion et qui auraient pu aider C. avec son problème d’abus d’alcool et le comportement violent en résultant ou offrir à V. C. de l’héberger dans un refuge temporaire. Par conséquent, l’État partie a manqué à ses obligations selon les articles 8, 10 et 11 de la loi sur la violence familiale.

L’auteur affirme que le fait de ne pas avoir informé V. C. de la possibilité d’obtenir une ordonnance de protection et de ne pas avoir demandé une telle ordonnance en son nom et le manque de clarté de la part de la police à cet égard sont tous contraires à la recommandation générale no 19 (1992) du Comité sur la violence contre les femmes (par. b) et t) de l’article 24).

L’auteur soutient que la loi sur la violence familiale ne prévoit pas de dispositions assurant effectivement la protection immédiate des victimes de violence familiale et n’indique pas clairement qui est en droit de présenter une demande d’ordonnance de protection. En outre, l’auteur affirme que la loi ne contient pas de description expresse de la procédure à suivre pour obtenir une ordonnance de protection à la demande de la victime ou à l’initiative de la police, des travailleurs sociaux ou des procureurs. De plus, la loi ne donne aucune information sur les mécanismes et obligations précis liés à l’application de telles ordonnances. L’auteur affirme que ces manquements constituent une violation par l’État partie de son obligation de veiller à ce que les lois contre la violence fondée sur le sexe accordent une protection adéquate à toutes les femmes et respectent leur intégrité et leur dignité, et de son obligation de prendre toutes les mesures juridiques et autres nécessaires pour procurer une protection effective aux femmes contre la violence fondée sur le sexe.

Solutions proposées

En ce qui concerne les solutions possibles, l’auteur recommande que l’État partie : a) prenne les mesures nécessaires pour que les femmes victimes de violence familiale bénéficient effectivement des services de protection et de soutien appropriés ; b) renforce la mise en application et le suivi des lois existantes en agissant avec la diligence voulue pour prévenir la violence à l’égard des femmes et intervenir en cas de violence ; c) dispense une formation obligatoire aux officiels chargés de l’application de la loi, y compris aux policiers, sur l’application des lois existantes et, particulièrement, sur la nécessité de veiller à ce que les femmes soient informées des recours et de la protection à leur disposition.

Observations de l’État partie sur le fond

L’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond par une note verbale datée du 6 avril 2017. Il déclare qu’au cours de la période de 2012 à 2014, la police est intervenue en réponse à trois plaintes de V. C. concernant des actes de violence familiale. Ces actes ont été enregistrés dans les « registres d’autres informations concernant les infractions et les incidents » de l’Inspectorat central de la police du Service de police de Chisinau et examinés dans les limites de la compétence de la police ; V. C. a été informée des résultats de ces examens. L’un des incidents a été examiné en application de l’article 274 du Code de procédure pénale, examen qui a conduit à l’ouverture d’une affaire pénale contre C., qui a été portée devant les tribunaux le 31 mars 2014.

L’État partie déclare que le 10 janvier 2014, afin d’empêcher C. de commettre des actes de violence et de surveiller son comportement, on a procédé à son enregistrement et pris des mesures préventives individuelles, conformément aux paragraphes 90 et 91 des instructions méthodologiques relatives aux interventions des Divisions des affaires intérieures aux fins de la prévention et de la répression de la violence familiale, approuvées par le Ministère des affaires intérieures dans son ordonnance no 275 du 14 août 2012.

L’État partie déclare que le 3 avril 2014, le Service de l’aide sociale du secteur central a été informé par téléphone de l’état grave dans lequel se trouvait V. C. Un examen a alors été effectué sur place. Il a été constaté que V. C. avait quitté l’hôpital dans un état grave, qu’elle était paralysée et qu’elle avait du mal à parler, étant dans l’incapacité de s’exprimer. Elle était soignée par P., qui avait fait état de la dispute de V. C. avec son mari qui avait dégénéré en violence physique, à la suite de quoi V. C. avait été transportée en ambulance aux urgences avec des blessures graves, tandis que C. avait été arrêté.

L’État partie déclare que pendant l’enquête, P., qui s’occupait de V. C., a été informée de la nécessité d’obtenir une représentation en justice, des services d’assistance et des prestations sociales proposés par le Service d’aide sociale, et du droit de demander une assistance médicale. Parallèlement, l’Association médicale territoriale avait été prévenue afin que les services médicaux nécessaires soient assurés, et le 4 avril 2014, V. C. avait été hospitalisée. Après avoir quitté l’hôpital, V. C. avait continué d’être soignée par P.

En outre, le 31 janvier 2014, le Tribunal du secteur central de Chisinau a rendu en faveur de la victime, V. C., une ordonnance de protection imposant certaines restrictions prévues par la loi à son agresseur, C. Conformément à la loi sur la violence familiale, des agents de police ont signifié l’ordonnance à C., l’informant des restrictions qui lui étaient imposées par le tribunal et lui signalant, sous signature, sa responsabilité selon la loi en cas de non-respect de l’ordonnance. Parallèlement, un agent de police a entamé la procédure de contrôle de l’application des restrictions imposées par le tribunal. L’État partie ajoute que, durant la période d’exécution de l’ordonnance, l’agent de police n’a signalé aucune violation des mesures. L’État partie indique également que l’Inspectorat central de la police a indiqué qu’il prenait toutes les mesures nécessaires pour prévenir les situations de conflit et les actes de violence familiale.

Enfin, l’État partie souligne que la peine de huit ans d’emprisonnement prononcée contre C. a été confirmée par la Cour d’appel le 22 avril 2016.

Modifications législatives

L’État partie informe le Comité que le 28 juillet 2018, il a adopté la loi no 196 modifiant et complétant diverses dispositions relatives à la prévention et à la répression de la violence familiale, afin d’harmoniser le cadre juridique national avec les normes internationales. La nouvelle loi englobe une version révisée de certaines des définitions de la loi sur la violence familiale et intègre une nouvelle « ordonnance d’interdiction en situation d’urgence » dans le mécanisme de protection des victimes, à titre de mesure provisoire que la police met en œuvre pendant une période maximale de dix jours afin de retirer l’agresseur immédiatement du domicile familial et de lui imposer un ensemble de restrictions en vue de prévenir les actes violents. L’État partie informe également le Comité que, le 6 février 2017, il a signé la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la répression de la violence à l’égard des femmes et la violence familiale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

Dans ses commentaires datés du 22 août 2017, l’auteur souligne que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication ni la capacité juridique de l’auteur et n’invoque pas la règle de l’épuisement des recours internes.

L’auteur affirme que l’État partie ne répond pas aux griefs principaux formulés concernant la violation des paragraphes a), c), e) et f) de l’article 2, lus en parallèle avec l’article premier, de la Convention.

En ce qui concerne les mesures prises par l’État partie avant l’attaque contre V. C. du 19 janvier 2014 ayant entraîné son décès, l’auteur affirme qu’elles étaient insuffisantes pour que l’État partie soit acquitté de son obligation de faire preuve de la diligence voulue pour protéger V. C. contre une menace connue de violence familiale. En particulier, l’auteur affirme que l’État partie n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher la violence familiale. Les observations de l’État partie confirment que la police était pleinement consciente que V. C. était victime de violences familiales répétées, mais n’en a jamais informé les services sociaux compétents, et confirment ainsi l’existence de graves lacunes dans les mécanismes internes de suivi et de soutien en cas de violence. De plus, même si l’État partie déclare que la police avait examiné les plaintes de V. C. dans les limites de sa compétence, il n’a présenté aucune information ou preuve pour contredire l’affirmation selon laquelle les mesures prises par la police se limitaient à de simples avertissements et discussions non officiels avec C., soulignant ainsi le fait que ces mesures n’avaient rien accompli pour protéger effectivement V. C. contre de nouveaux actes de violence graves. L’auteur considère également que l’État partie a confirmé qu’il n’a pas donné accès à C. à des services de counseling ou de réinsertion, ni à V. C. à des services de protection et de soutien. De plus, l’auteur souligne que l’État partie n’a donné ni précision ni preuve à l’égard de la mise en œuvre, du suivi ou de l’application des mesures préventives individuelles du 10 janvier 2014, ni d’information sur l’existence d’une ordonnance de protection en faveur de V. C. après le grave incident de violence familiale du 9 janvier 2014.

En ce qui concerne les mesures prises par l’État partie après l’attaque du 19 janvier 2014, l’auteur affirme qu’elles ne répondent pas aux allégations de non-protection. Le fait d’informer V. C. et P. de l’aide et des services sociaux disponibles seulement après que V. C. avait subi une attaque de la part de son mari laquelle attaque, en fin de compte, a été mortelle, n’a fait que mettre en évidence les lacunes flagrantes quant à la communication antérieure de cette information. L’auteur affirme en outre que l’État partie ne produit pas de copie de l’ordonnance de protection qui aurait été rendue en faveur de V. C. le 31 janvier 2014, qu’il n’y a aucune preuve de l’existence d’une telle ordonnance dans le dossier de la procédure pénale contre C. et que l’Inspectorat central de la police n’en a pas produit de copie conformément à sa demande. Or, fait critique, même si une telle ordonnance avait été rendue, elle n’aurait eu aucune utilité pratique, étant donné que C. a été arrêté le 20 janvier 2014 et est demeuré en détention depuis cette date.

Quant à la procédure pénale contre C., elle a été entamée le 20 janvier 2014, c’est-à-dire après l’attaque mortelle. L’auteur affirme donc que la seule procédure pénale pertinente contre C. n’a été entamée qu’en rapport avec l’attaque même que l’État partie n’avait pas empêchée par la prise de mesures de prévention adéquates et qui, en fin de compte, a causé le décès de V. C. L’auteur conclut que si des mesures supplémentaires avaient été prises à l’égard des attaques précédentes, l’attaque mortelle n’aurait peut-être jamais eu lieu. L’auteur réaffirme que la poursuite engagée subséquemment n’exclut pas la responsabilité de l’État partie.

En ce qui concerne les renseignements produits par l’État partie sur les changements apportés à la législation, l’auteur affirme qu’ils ne répondent pas aux allégations formulées et qu’ils auraient été insuffisants pour que l’État partie soit acquitté de ses obligations. L’auteur se réjouit de l’engagement pris par l’État partie en vue de prévenir et de combattre la violence familiale et d’harmoniser sa législation avec les normes internationales. L’auteur souligne toutefois que ces changements législatifs se sont produits des années après la mort de V. C. et n’ont donc aucun rapport avec la question de savoir si l’État partie s’est acquitté de ses obligations envers V. C. de son vivant. Enfin, l’auteur affirme que ces changements législatifs ne règlent pas certaines questions critiques comme l’écart démontrable entre les dispositions techniques des lois applicables et la capacité et la volonté des autorités compétentes de les appliquer.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Conformément à l’article 64 de ses règles de procédure, le Comité doit déterminer si la communication est recevable selon le Protocole facultatif. En application du paragraphe 4 de la règle 72, il doit faire cette détermination avant de se prononcer sur le fond de la communication.

Le Comité constate que la présente communication a été soumise sans le consentement exprès de la victime présumée d’agir en son nom. Il constate que l’État partie n’a soulevé aucune objection pour ce motif.

À cet égard, le Comité fait observer à titre préliminaire que le libellé de la deuxième phrase de l’article 2 du Protocole facultatif à la Convention prévoit expressément la possibilité de présenter des communications sans le consentement de la victime, à condition que l’auteur puisse justifier qu’il agit au nom de celle-ci, sans un tel consentement. De l’avis du Comité, refuser d’enregistrer des affaires comme celle-ci en se fondant sur l’absence de consentement exprès empêcherait le Comité d’examiner les motifs de cette communication et, compte tenu de leur gravité, cela peut aboutir à l’impunité. Le Comité considère que les communications peuvent être présentées sans le consentement de la victime lorsque a) il est impossible pour la victime de présenter une communication ou de désigner un représentant, comme dans le cas d’une personne décédée ; ou b) lorsque l’auteur peut justifier qu’il agit au nom de la victime, sans son consentement exprès. Dans ce cas, l’auteur doit présenter par écrit les motifs qui justifient sa capacité d’agir sans consentement.

Le Comité est au courant de l’approche adoptée dans des affaires similaires par la Cour européenne des droits de l’homme. Par exemple, dans l’affaire Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie, la Cour a été saisie par une organisation non gouvernementale au nom du plaignant décédé, plus de quatre ans après son décès. Dans son arrêt, elle s’est notamment référée à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, créé en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon laquelle, à titre exceptionnel, une tierce partie peut présenter une communication au nom d’une victime. Une telle communication ne peut être examinée que si la tierce partie parvient à établir qu’elle a qualité pour présenter la communication. La victime peut autoriser un représentant à présenter en son nom une communication. Conformément au Règlement intérieur du Comité, une communication présentée au nom d’une victime peut également être admise s’il apparaît que la personne en question est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication. La Cour a constaté que des exemples typiques de telles situations se présentent dans les cas de disparition forcée lorsqu’il est allégué que la victime a été enlevée, quand elle a disparu ou quand il n’y a aucun moyen de savoir où elle se trouve, ou encore quand elle est en détention ou dans un établissement psychiatrique. Une tierce partie (généralement un proche parent) peut soumettre une communication au nom d’une personne décédée.

La Cour a également constaté que le Système interaméricain de protection des droits de l’homme avait adopté une approche similaire, en examinant des affaires introduites par des tierces parties, par exemple dans des cas de disparition forcée ou de détention.

La Cour a conclu que, eu égard aux circonstances exceptionnelles de l’espèce et à la gravité des allégations formulées, l’organisation non gouvernementale devait se voir reconnaître le droit d’agir en qualité de représentant de M. Câmpeanu, même si elle n’avait pas reçu d’autorisation d’agir en son nom et même si celui-ci était décédé avant l’introduction de la requête fondée sur la Convention. La Cour a indiqué que conclure autrement reviendrait à empêcher que ces graves allégations de violation de la Convention puissent être examinées au niveau international, avec le risque que l’État défendeur échappe à sa responsabilité découlant de la Convention par l’effet même de la non-désignation par lui, au mépris des obligations qui lui incombaient en vertu du droit interne, d’un représentant légal chargé d’agir au nom de la victime. Selon la Cour, permettre à l’État d’échapper ainsi à sa responsabilité serait incompatible avec l’esprit général de la Convention et avec l’obligation que l’article 34 de la Convention fait aux Hautes Parties contractantes de ne pas entraver l’exercice effectif du droit d’introduire une requête devant la Cour.

En l’espèce, le Comité constate que l’auteur n’aurait pas pu obtenir le consentement de V. C., celle-ci étant décédée, et que, comme elle était orpheline, sans famille biologique ou adoptive survivante et sans enfant, il n’y avait aucun proche parent à qui l’auteur aurait pu demander le consentement approprié. Le Comité note qu’une avocate travaillant pour l’auteur a représenté V. C. lors du procès devant les instances nationales. En outre, un parent proche de V. C. faisant défaut, l’auteur a obtenu le consentement de l’amie la plus proche et de l’exécutrice testamentaire de cette dernière, P., à l’appui de la présente communication, et a donc accompli des efforts raisonnables pour faire en sorte que sa capacité d’agir soit suffisante. Le Comité considère donc qu’en l’espèce, l’auteur a justifié valablement sa capacité d’agir au nom de V. C. sans son consentement exprès. Le Comité considère que, compte tenu des faits de la cause, de la vulnérabilité de la victime présumée, notamment après avoir été attaquée par son mari le 19 janvier 2014, ce qui a fait qu’elle a été frappée de paralysie et qui a par la suite causé sa mort, et de la gravité des allégations, il était objectivement impossible pour elle de donner son consentement pour qu’il soit agi en son nom, et qu’il est dans l’intérêt de la justice et de la lutte contre l’impunité d’autoriser l’organisation non gouvernementale Promo-LEX à agir en tant qu’auteur de la présente communication. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’article 2 du Protocole facultatif ne lui interdit pas d’examiner la communication.

En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité note que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes. Il note également que, V. C. étant maintenant décédée, il n’y a pas d’autre recours disponible permettant d’obtenir effectivement réparation. Le Comité estime donc que le paragraphe 1 de l’article 4 ne lui interdit pas de se prononcer sur le fond de la communication.

En ce qui concerne le paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que l’affaire n’a pas déjà été examinée et ne fait pas l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

Le Comité n’a aucune raison de déclarer la communication irrecevable pour quelque autre motif ; il la déclare donc recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été transmis par l’auteur et l’État partie, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits que reconnaissent à V. C. les paragraphes a), c), e) et f) de l’article 2, lus en parallèle avec l’article premier, de la Convention. Il s’agit donc pour le Comité de déterminer si l’État partie, par l’intermédiaire de l’ensemble de sa structure, y compris ses autorités, ses fonctionnaires, ses institutions, ses pratiques et sa législation, a fait preuve de la diligence voulue, a traité et examiné de manière adéquate les plaintes répétées de violence familiale de V. C. et lui a apporté une protection juridictionnelle effective, ainsi que des services de counseling et de réinsertion. Le Comité doit déterminer si l’État partie s’est acquitté des obligations positives qui, en vertu de la Convention, exigeaient de lui qu’il protège V. C. contre la discrimination, en considérant la violence familiale comme une manifestation flagrante et claire de discrimination à l’égard des femmes.

Le Comité rappelle qu’en vertu des paragraphes a), c), e) et f) de l’article 2 de la Convention, l’État partie a l’obligation de respecter le principe de l’égalité des hommes et des femmes, de protéger effectivement et juridiquement les femmes et de prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes, notamment en modifiant ou abrogeant non seulement les lois et dispositions réglementaires existantes, mais aussi les coutumes ou pratiques existantes constituant une discrimination à l’égard des femmes. Le Comité réaffirme que ces obligations incombent à tous les organes de l’État, y compris les agents de police.

Le Comité note que l’État partie a adopté des mesures de protection contre la violence familiale en application de la loi sur la violence familiale, dont la possibilité de délivrer des ordonnances de protection, mais ces mesures n’ont été adoptées qu’après la mort de V. C.

En l’espèce, toutefois, le Comité note que malgré l’existence de la loi susmentionnée, les dénonciations répétées de V. C. à la police au cours de l’année 2013 à l’égard de la violence physique et psychologique que lui infligeait son mari n’ont conduit la police qu’à donner des avertissements verbaux à C. et à discuter avec lui de manière non officielle de son « comportement inacceptable » (voir les paragraphes 2.3 et 2.4 ci-dessus). Le Comité note, à cet égard, qu’aucun de ces faits n’ont été contestés par l’État partie.

Le Comité note également que le 9 janvier 2014, après l’appel de V. C. dénonçant les violences de son mari, des agents de police se sont rendus à son domicile. Par la suite, son mari a été condamné à une amende pour atteinte à l’ordre public et V. C. a décidé de s’installer chez sa voisine par crainte de la violence de son mari. Le Comité constate que l’État partie n’a pas contesté ce point et n’a pas non plus indiqué pourquoi, à ce stade, la police : a) n’avait pas évalué la gravité de la situation en tenant compte des plaintes antérieures de V. C., qui étaient déjà enregistrées dans les « registres d’autres informations concernant les infractions et les incidents » de l’Inspectorat central de la police du Service de police de Chisinau (voir le paragraphe 4.1 ci-dessus), en temps utile, afin de protéger effectivement V. C. en vertu de la législation pertinente ; et b) n’avait pas envisagé de demander une enquête sur les allégations portées contre C. en vertu des dispositions du Code pénal de la République de Moldova traitant expressément des infractions relevant de la violence familiale, étant donné les violences répétées contre V. C.

Le Comité constate également que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi, à ce stade, V. C. ne s’était pas vue offrir de services de counseling ou de réinsertion, ni de refuge et d’hébergement pour sa protection immédiate, ni pourquoi C. n’avait pas bénéficié de services de soutien et de réinsertion pour son alcoolisme, conformément à la législation sur la violence familiale de l’État partie. Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle la police n’a pas pris de mesures de protection en faveur de V. C. et ne l’a pas informée de son droit d’entamer une procédure en vue d’obtenir elle-même une ordonnance de protection en vertu de la loi sur la violence familiale. En outre, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle la loi ne contient pas de description expresse de la procédure à suivre pour obtenir une ordonnance de protection à la demande de la victime ou à l’initiative de la police, de travailleurs sociaux ou de procureurs.

Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle, le 10 janvier 2014, en vue d’empêcher C. de commettre des actes de violence et de surveiller son comportement, la police a procédé à son enregistrement et a pris des mesures préventives individuelles (voir le paragraphe 4.2 ci-dessus). Toutefois, le Comité constate que l’auteur souligne que l’État partie n’a donné ni précision ni preuve sur la manière dont ces mesures préventives individuelles avaient été concrètement mises en œuvre, ni sur leur suivi ou application (voir le paragraphe 5.3 ci-dessus).

Le Comité constate également que le 19 janvier 2014, C. a violemment attaqué V. C., la frappant plusieurs fois à la tête. Par suite de cette attaque, V. C. était paralysée et avait de la difficulté à parler et, le 16 septembre 2014, elle est décédée en raison de complications découlant de ses blessures. Le 20 janvier 2014, C. a été arrêté et, le 30 décembre 2015, il a été reconnu coupable du meurtre de sa femme et condamné à huit ans de prison. Le Comité prend note de la déclaration de l’État partie selon laquelle, le 31 janvier 2014, le Tribunal du secteur central de Chisinau a rendu une ordonnance de protection en faveur de V. C., appliquant certaines restrictions à C. Néanmoins, le Comité note également que l’auteur affirme qu’il n’y a aucune preuve de l’existence d’une telle ordonnance, que le dossier pénal de C. n’en contenait pas de copie et que l’auteur a été dans l’incapacité d’en obtenir une copie malgré ses demandes en ce sens et que, même si l’ordonnance avait été rendue, elle n’aurait eu aucune utilité pratique, étant donné que C. avait déjà été arrêté et est demeuré en détention depuis la date de son arrestation, le 20 janvier 2014.

En l’espèce, il est nécessaire d’évaluer le respect par l’État partie des obligations que lui imposent les paragraphes a), c), e) et f) de l’article 2 de la Convention en tenant compte du niveau de diligence et de sensibilité au principe de l’égalité des hommes et des femmes qu’a appliqué la police dans son traitement du cas de V. C., et des mesures préventives et de protection prévues qui ont été prises.

Le Comité considère que la police aurait déjà dû reconnaître le risque d’une poursuite des violences contre V. C., femme handicapée, après ses signalements répétés d’incidents de violence familiale et en particulier après l’incident du 9 janvier 2014. Dans ses observations, l’État partie lui-même qualifie ces incidents d’« actes de violence familiale » (voir le paragraphe 4.1). Le Comité considère que cette reconnaissance de la part de la police exigeait qu’elle comprenne ce que comporte la violence familiale et ce qu’étaient ses responsabilités en vertu de la loi sur la violence familiale en ce qui concerne le risque de nouvelles violences et qu’elle ait reçu une formation sur la façon de répondre de façon adéquate aux incidents de violence familiale en prenant en compte l’ensemble de la situation.

De plus, le Comité considère que le fait que C. n’a été puni que pour trouble à l’ordre public après l’incident du 9 janvier 2014 et le fait que l’incident n’a pas été examiné à la lumière de la législation en vigueur visant la prévention et la répression de la violence familiale révèlent que la police n’avait pas la capacité de comprendre l’ampleur et la gravité de la violence familiale contre les femmes et d’agir en conséquence, en procurant à V. C. des services de soutien et de réinsertion et des renseignements sur la possibilité d’obtenir une ordonnance de protection. Le Comité rappelle que la non-accessibilité à une protection immédiate, en particulier sous la forme d’un refuge temporaire, peut constituer une violation des obligations qu’imposent à l’État partie les paragraphes c) et e) de l’article 2 de la Convention.

Le Comité note que pratiquement aucune information n’a été donnée quant à l’application effective de la mesure préventive prise le 10 janvier 2014 et encore moins quant à l’existence et à l’efficacité de la seule ordonnance de protection qui aurait été rendue en faveur de V. C., le 31 janvier 2014. Le Comité considère qu’en tout état de cause, une telle ordonnance n’aurait eu aucune utilité pratique, car C., l’individu posant le risque de nouvelles violences contre V. C., avait déjà été privé de sa liberté au moment où l’ordonnance a été rendue, tandis que V. C. avait déjà été blessée mortellement à ce moment.

Enfin, le Comité partage l’avis de l’auteur selon lequel la seule procédure pénale pertinente contre C. n’a été engagée qu’en rapport avec l’attaque du 19 janvier 2014, attaque que l’État partie n’avait pas empêchée en prenant des mesures adéquates et qui, en fin de compte, a causé le décès de V. C., et selon lequel la poursuite et l’emprisonnement subséquents n’excluent pas la responsabilité de l’État partie.

Le Comité rappelle que la violence fondée sur le sexe, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes en vertu des principes généraux du droit international ou des conventions particulières relatives aux droits de l’homme, constitue une discrimination, au sens de l’article premier de la Convention. Conformément au devoir de diligence, les États parties doivent adopter et mettre en place des mesures pour lutter contre la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes commise par des acteurs non étatiques. Ils doivent disposer de lois, d’institutions et d’un système pour lutter contre ce type de violence. En outre, les États parties ont obligation de veiller à ce que ceux-ci soient effectivement mis en pratique et que tous les organes et agents de l’État les respectent et les fassent appliquer avec diligence. Le fait pour un État partie de ne pas prendre de mesures appropriées pour prévenir les actes de violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes quand ses autorités ont connaissance ou devraient avoir connaissance d’un risque de violence, ou de manquer à son obligation de mener des enquêtes, d’engager des poursuites, d’imposer des sanctions et d’indemniser les victimes et survivantes de tels actes, constitue une permission ou un encouragement tacite à agir de la sorte. Pareil manquement constitue une violation des droits de l’homme.

Tout en saluant l’adoption par l’État partie d’une nouvelle loi contre la violence domestique en 2018 et les efforts déployés pour faire face au problème de la violence familiale, le Comité considère que ces mesures n’ont pas été suffisamment mises en œuvre en l’espèce. La façon dont la police a continué de traiter le cas de V. C. n’était pas propice à la prévention de la violence familiale ni à la protection de V. C. contre cette violence. En outre, le Comité considère que la législation spécifique de l’État partie aurait dû être appliquée par tous les acteurs étatiques, y compris les agents de police, qui sont liés par les obligations de l’État partie.

Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les faits présentés révèlent que la manière dont l’affaire de V. C. a été traitée par les autorités de l’État partie constitue une violation de ses droits au titre des paragraphes a), c) e) et f) de l’article 2, lus en parallèle avec l’article premier, de la Convention.

En vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif et compte tenu des considérations ci-dessus, le Comité estime que l’État partie a manqué à ses obligations et a donc violé les droits de V. C. reconnus par les paragraphes a), c), e) et f) de l’article 2, lus en parallèle avec l’article premier, de la Convention.

Le Comité adresse les recommandations suivantes à l’État partie :

a)Recommandations d’ordre particulier : accorder à V. C. d’une manière notable et appropriée la reconnaissance post-mortem de son statut de victime de la violence familiale ;

b)Recommandations d’ordre général :

i)Enquêter diligemment et de manière exhaustive, impartiale et sérieuse sur toutes les allégations de violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes, veiller à ce que des poursuites pénales soient engagées dans tous les cas, traduire les auteurs présumés devant la justice de manière équitable, impartiale, rapide et opportune et leur imposer les sanctions appropriées ;

ii)Donner aux victimes de violence familiale un accès sûr et rapide à la justice, y compris, au besoin, à l’aide juridictionnelle gratuite, pour qu’elles disposent de recours et de moyens de réinsertion efficaces et suffisants, conformément aux orientations formulées dans la recommandation générale no 33 (2015) du Comité sur l’accès des femmes à la justice, et veiller à ce que les victimes de violence familiale et leurs enfants se voient offrir rapidement un soutien adéquat, y compris l’accès à un refuge et un accompagnement psychologique ;

iii)Dispenser aux agents chargés de l’application de la loi, y compris aux policiers, une formation obligatoire sur l’application du cadre juridique en matière de prévention et de répression de la violence familiale, notamment sur la définition de la violence familiale et sur les stéréotypes fondés sur le sexe, ainsi qu’une formation portant sur la Convention, le Protocole facultatif et la jurisprudence et les recommandations générales du Comité, en particulier les recommandations générales no 19, no 28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention, no 33 et no 35.

Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examine dûment les constatations et les recommandations du Comité, auquel il soumet, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est également invité à rendre les présentes constatations et recommandations publiques et à les diffuser largement afin de joindre tous les secteurs de la société.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente), signée par Hiroko Akizuki, Gunnar Bergby, Marion Bethel, Lia Nadaraia, Aruna Devi Narain, Bandana Rana et Wenyan Song, membres du Comité

Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à la conclusion, à laquelle est parvenue la majorité des membres du Comité, selon laquelle la communication no 105/2016 est recevable.

Le fait qu’un État partie ne conteste pas la recevabilité, comme c’est le cas ici, ne dispense pas le Comité de déclarer une communication irrecevable si l’une quelconque des conditions énoncées à l’article 4 du Protocole facultatif est remplie.

Notre conclusion ne devrait pas être interprétée comme une réticence ou un refus de notre part de reconnaître l’importante contribution des organisations non gouvernementales à la défense des droits des femmes consacrés par la Convention, d’une manière générale, et, plus particulièrement, à la formulation de communications soumises en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention. En outre, la vulnérabilité des femmes explique la disposition de l’article 2 du Protocole facultatif et de l’article 68 du règlement intérieur du Comité prévoyant la possibilité que des communications soient présentées par des tiers ou des personnes autres que la victime en vertu de la Convention, ce qui n’est pas le cas en vertu de divers autres instruments relatifs aux droits humains. Nous avons également gardé à l’esprit la recommandation générale no 33 du Comité sur l’accès des femmes à la justice, dans laquelle le Comité recommande que les États parties s’assurent que des règles permanentes permettent aux groupements et organisations de la société civile intéressés par une affaire donnée de présenter des pétitions et de participer aux débats [CEDAW/C/GC/33, par. 16 c)].

Nous sommes toutefois d’avis que la présentation d’une communication par un tiers devrait rester une exception à la règle générale énoncée à l’article 2 du Protocole facultatif, à savoir, que la communication devrait être présentée par la victime elle-même. Une communication sans le consentement de la victime ne peut être présentée qu’à titre exceptionnel, et le pouvoir discrétionnaire d’autoriser un tiers à présenter une communication au nom d’une victime ne devrait donc être exercé par le Comité que dans des circonstances exceptionnelles et justifiables. Nous recommandons la prudence, en particulier, s’agissant d’autoriser l’actio popularis sous la forme d’une communication au nom d’une victime en vertu du Protocole facultatif.

En l’espèce, la communication est présentée comme ayant été faite par Promo-LEX, une organisation non gouvernementale (« l’auteur »), au nom de V.C., une personne décédée (« la victime »). La victime n’a laissé aucun proche parent ou héritier qui aurait pu présenter la communication en son nom en vertu de l’article 4 du Protocole facultatif ou autoriser l’auteur à agir en son nom.

L’auteur n’a ni qualité ni pouvoir légal pour agir au nom de la victime. Il n’a pas un intérêt suffisant pour justifier l’introduction d’une action au nom de la victime sans son consentement. Il n’a pas reçu d’instructions pour agir au nom de la victime avant sa mort. L’un des avocats travaillant avec l’auteur, et non l’auteur lui-même, a représenté la victime dans son affaire de divorce. Il est probable que la question de la violence fondée sur le genre ait été soulevée dans l’affaire de divorce, mais il n’existe aucune preuve à cet effet.

L’exécuteur testamentaire n’a pas non plus le pouvoir d’agir au nom de la victime à cet égard ou de donner à l’auteur le pouvoir de présenter une communication au nom de la victime. Nous ne pouvons pas supposer que la victime aurait accepté que cette communication soit présentée.

Nous avons également examiné l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie (requête no 47848/08), qui contient des observations intéressantes sur la qualité pour agir. Outre les différentes dispositions relatives à la qualité pour agir énoncées à l’article 25 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’affaire peut être distinguée de la présente communication car elle concerne une victime souffrant d’un handicap mental, ce qui soulève des questions particulières quant à sa capacité. En l’espèce, la victime était en situation de handicap, mais aucune information ne permet de savoir si ce handicap était physique ou mental et si la capacité était en cause. Plus important encore, dans le cas de M. Câmpeanu, la Cour européenne a souligné que la qualité du Centre de ressources juridiques pour agir au nom de la victime n’était pas contestée dans le cadre d’une procédure interne. Les caractéristiques exceptionnelles invoquées par la Cour européenne pour justifier la qualité pour agir ne sont donc pas présentes ici.

Le Comité des droits de l’homme a établi par le biais d’un certain nombre de décisions sur la recevabilité qu’une communication présentée par un tiers au nom d’une victime présumée ne peut être examinée que si l’auteur justifie de son pouvoir de présenter la communication.

Nous concluons que l’auteur dans cette affaire n’avait pas un intérêt suffisant pour justifier l’introduction d’une action au nom de la victime sans son consentement, aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif.

En outre, la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif du fait que tous les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés, que ce soit du vivant de la victime ou après son décès. L’État partie n’a donc pas eu la possibilité d’examiner les présentes allégations et d’y répondre devant les tribunaux nationaux, et il n’a pas été établi qu’une telle démarche n’aurait pas apporté de remède efficace.

Enfin, nous estimons que la communication est irrecevable en vertu de l’alinéa d) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, car elle constitue un abus de la procédure de présentation d’une communication. La victime n’a pas exprimé le souhait d’être l’auteur d’une communication, et aucun recours individuel crédible à son égard n’est recommandé par le Comité. Nous considérons que l’État partie n’échapperait pas à sa responsabilité de répondre de toute violation de la Convention de sa part, car les recommandations générales formulées par la majorité en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 9 pourraient être faites dans les observations finales (voir, par exemple, CEDAW/C/MDA/CO/6, par. 23) à l’issue d’un dialogue constructif avec l’État partie en vertu des articles 2 et 5 de la Convention, et leur mise en œuvre pourrait être contrôlée grâce à une application rigoureuse du mécanisme de suivi. Autre possibilité, l’auteur aurait pu agir en vertu de l’article 8 du Protocole facultatif, en faisant valoir que le décès de la victime et celui d’autres victimes dans des circonstances similaires constituaient une violation grave ou systématique des droits des femmes dans l’État partie.

Étant donné que l’auteur, n’étant une victime ni directe ni indirecte, n’a pas pu justifier qu’il a le droit ou la capacité d’agir au nom de la victime sans son consentement, la communication constitue un abus de la procédure de présentation d’une communication et est irrecevable.

Nous concluons donc que la communication est, pour toutes les raisons susmentionnées, irrecevable.