Communication présentée par  :

N.M. (représentée par un conseil, Howard Kennedy)

Au nom de  :

L’auteure

État partie  :

Turquie

Date de la communication  :

4 juin 2015 (date de la lettre initiale)

Références  :

Communiquée à l’État partie le 22 juillet 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision  :

9 juillet 2018

L’auteure de la communication est N.M., de nationalité singapourienne, née en 1976. Elle se dit victime de la violation, par la Turquie, des articles 2, 3, 15 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle est représentée par un conseil, Howard Kennedy. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la Turquie le 20 décembre 1985 et le 29 octobre 2002, respectivement.

Rappel des faits présentés par l’auteure

En 1997, l’auteure a épousé un homme de nationalité turque, avec lequel elle a eu deux filles en Turquie. La première, Z.K., est née en 1999 et la seconde, H.K., en 2001.

En 2003, la famille a déménagé en Malaisie. En 2004, l’époux a quitté le domicile conjugal après avoir prononcé un talaq, par lequel il se séparait de sa femme. Les deux filles sont restées vivre chez leur mère, en Malaisie. L’auteure a conservé les passeports des enfants et d’autres documents d’identité, dont leurs autorisations de sortie du territoire. La même année, une procédure officielle de divorce a été engagée devant le tribunal de la charia à Singapour.

Le 28 mars 2005, sans le consentement de l’auteure, le père des enfants s’est procuré auprès du consulat de Turquie à Singapour des « lettres de consentement » et des documents de voyage turcs pour H.K. L’auteure affirme qu’elle ignorait tout de ces démarches. Le 16 février 2006, le père a retiré les enfants de leur école et les a soustraites à leur foyer sans le consentement de l’auteure. Le père a « proféré des menaces et s’est montré violent à l’égard de la mère ». Par la suite, il a rendu les enfants à leur mère, qui a signalé les faits à la police.

Le 24 février 2006, alors que, comme convenu par les parents, le père passait un week-end avec les enfants, il a saisi cette occasion pour les enlever et les emmener de Malaisie en Turquie. Le 27 février 2006, le frère du père a informé l’auteure que ses enfants étaient en Turquie. L’auteure a rapporté les faits à la police malaisienne et un mandat d’arrêt a été émis à l’encontre du père. Le 29 février 2006, l’auteure a porté plainte auprès du consulat de Turquie à Singapour puis, début mars, elle s’est rendue en Turquie.

Parallèlement, en mars 2006, le père a intenté en Turquie une action en divorce contre l’auteure, assortie d’une demande de garde des enfants. Le 21 mars 2006, dans un rapport d’expert présenté à un tribunal turc des affaires familiales, il a été recommandé qu’en cas de divorce les enfants soient confiés à la garde de l’auteure, le père conservant la garde à titre provisoire. Le 4 avril 2006, l’action intentée par le père a été rejetée par un tribunal des affaires familiales de Kocaeli, le père ayant retiré sa demande de divorce et de garde d’enfants.

Le 10 avril 2006, l’auteure a fait une déposition auprès de la police turque, dans laquelle elle a donné l’adresse du père et décrit en détail l’enlèvement des enfants en Malaisie. Elle a également déclaré vouloir récupérer ses enfants. Le 18 avril, elle a fait une déposition auprès du Procureur général d’Istanbul et, le même jour, a déposé une demande de divorce en Turquie, à Kocaeli, auprès d’un second tribunal des affaires familiales. Le 25 juillet 2007, la procédure de divorce a été abandonnée, l’auteure ayant retiré sa demande dans une lettre datée du 4 juin 2007.

En parallèle, le 18 avril 2006, le père a engagé une procédure de divorce en Turquie.

Le 8 août 2006, le divorce entre l’auteure et le père a été officiellement prononcé à Singapour. Le tribunal a accordé la garde des enfants à l’auteure, mais les enfants sont restés en Turquie avec leur père.

Le 19 mars 2007, les experts chargés par le Bureau du Procureur général de Turquie de comparer la signature de l’auteure et celle figurant sur les lettres de consentement ont rendu leur rapport, dans lequel ils concluaient, à partir d’une analyse de photocopies des lettres et non des originaux, que la signature figurant au bas des lettres autorisant la délivrance de documents de voyage pour le départ des enfants de Singapour était bien celle de l’auteure. En se fondant sur ce rapport, le 21 mars 2007, le Bureau du Procureur général a décidé de ne pas poursuivre le père pour enlèvement et pour faux. Le 4 mai 2007, l’auteure a fait appel de cette décision auprès d’une haute cour pénale de Sakarya, qui l’a déboutée le 14 mai 2007.

Le 26 mai 2007 ou autour de cette date, l’auteure a secrètement emmené ses filles en République arabe syrienne, où elle a été détenue par les autorités. Les enfants et l’auteure ont été renvoyées en Turquie à la demande de l’Ambassadeur de Turquie en République arabe syrienne. Le 19 juillet 2007, un tribunal turc a statué que l’auteure ne serait pas poursuivie pour avoir emmené ses enfants en République arabe syrienne, décision confirmée en appel le 15 décembre 2007.

Le 5 février 2010, le Bureau du Procureur général de Kocaeli a jugé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre le père pour faux et enlèvement. Le 18 février 2010, l’auteure a fait appel de la décision auprès d’une seconde haute cour pénale de Sakarya, qui l’a déboutée le 28 avril 2010, confirmant la décision de ne pas poursuivre le père. Selon l’auteure, toutes les voies de recours internes quant aux griefs d’enlèvement et de faux ont donc été épuisées.

Parallèlement, le 18 décembre 2007, le père avait saisi le premier tribunal des affaires familiales de Kocaeli d’une action en divorce. Les procédures de divorce et d’octroi du droit de garde se sont achevées le 27 avril 2011 et, le 10 juin 2011, le tribunal a rendu sa décision, confiant la garde des enfants au père. L’auteure a interjeté appel le 15 juin 2011 devant la Cour de cassation de Turquie. Le 29 novembre 2011, elle a été informée que son recours serait examiné en mai 2012. Le 24 septembre 2012, la Cour de cassation a confirmé le jugement rendu en première instance.

L’auteure indique que, depuis l’enlèvement, elle n’a que très peu de contacts avec ses deux filles. Les tribunaux turcs ne l’ont autorisée à voir ses enfants que 4 à 5 heures par mois et les jours de fête religieuse, dans le cadre de visites surveillées, pour lesquelles elle doit se rendre en Turquie depuis la Malaisie par avion, à ses frais.

Lorsqu’elle s’est rendue en Turquie en 2006 et 2007, l’auteure a signalé à la police que le père s’était montré violent et agressif à son égard. Elle affirme également que le père n’a parfois pas respecté les modalités de visite entre elle et ses enfants fixées par les tribunaux.

Teneur de la plainte

L’auteure affirme être victime de discrimination sexiste au sens de la Convention, par violation de ses articles 2, 3, 15 (lu en parallèle avec la recommandation générale no 21 (1994) sur l’égalité dans le mariage et les rapports familiaux) et 16 1) c) et d). Elle fait valoir deux moyens. Le premier est que les autorités turques ont été incapables d’empêcher l’enlèvement de ses enfants et de protéger ses droits de mère. Le second est qu’elles l’ont privée d’une voie de recours effective devant les tribunaux.

L’auteure affirme qu’elle n’a pas signé les lettres de consentement à Singapour et que sa signature a été contrefaite. La seule preuve du contraire fournie par le père a été un rapport d’experts (voir par. 2.9) dont la conclusion était que la signature au bas des lettres de consentement étaient celle de l’auteure. Or les experts ont analysé des photocopies des lettres et non les originaux. L’auteure affirme que, quand bien même aurait-elle signé les lettres, le consulat de Turquie n’aurait pas dû délivrer de documents de voyage pour leurs filles. Le père soutient, lui, que l’auteure était présente au consulat lorsqu’il s’est fait remettre les documents de voyage, mais qu’elle portait un voile intégral et ne pouvait donc pas être identifiée. L’auteure soutient que les cachets apposés sur son passeport prouvent qu’elle était en Malaisie à cette date et que l’argument du père manifeste une attitude discriminatoire à l’égard des femmes qui choisissent de porter le voile. La présomption des autorités turques en faveur de la version des faits avancée par le père montre qu’une valeur moindre est accordée aux éléments de preuve fournis par l’auteure parce que celle-ci est une femme, en violation de l’article 15 de la Convention (lu en parallèle avec la recommandation générale no 21), et reflète une culture qui privilégie systématiquement le point de vue des hommes dans les affaires familiales, en violation de l’article 16 1) c) de la Convention.

L’auteure a signalé l’enlèvement de ses filles à la police turque le 10 avril 2006. Cependant, aucune action n’a été entreprise avant mars 2007. La lenteur excessive des procédures civiles et pénales, le fait que l’on n’ait pas donné suite en toute diligence à ses allégations et le fait qu’elle ait été privée d’une voie de recours effective constituent une violation de l’article 15 de la Convention, lu en parallèle avec la recommandation générale no 21.

Depuis le moment où l’auteure a signalé l’enlèvement à la police turque, les autorités ont été incapables de protéger ses droits de parent en faisant en sorte qu’elle puisse entretenir avec ses filles des contacts appropriés. En ne protégeant pas ces droits, l’État partie a enfreint l’article 16 1) d) de la Convention. Selon l’auteure, si les autorités n’ont pas fait appliquer les injonctions portant sur son droit de visite, c’est en raison de la conviction profondément ancrée que c’est le père qui, en sa qualité de « chef de ménage », décide principalement dans la famille, ce qui contrevient à l’article 16 1) c) de la Convention, lu en parallèle avec la recommandation générale no 21.

Observations préliminaires de l’État partie sur la recevabilité

Dans une note verbale datée du 16 septembre 2015, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il a affirmé que toutes les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées, puisque l’appel de l’auteure concernant le divorce et la garde des enfants était encore en instance, et que, en vertu de l’article 148 de la Constitution turque, l’auteure avait le droit de former devant la Cour constitutionnelle un recours individuel pour violation de ses droits fondamentaux, une fois connue l’issue de la procédure d’appel.

Commentaires de l’auteure relatifs aux observations préliminaires de l’État partie sur la recevabilité

Le 11 février 2016, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie, notant qu’elles étaient inexactes puisqu’aucune procédure d’appel n’était encore en instance dans son affaire. Elle précise que deux procédures distinctes ont été ouvertes en Turquie : une procédure pénale pour enlèvement et pour faux ; une procédure civile relative au divorce (droit de la famille).

Chacun peut saisir la Cour constitutionnelle pour faire appel d’un jugement rendu après le 23 décembre 2012 en invoquant les droits de l’homme et les libertés fondamentales protégés par la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Dans le cas de l’auteure, la procédure pénale a pris fin le 28 avril 2010, date à laquelle la seconde haute cour pénale de Sakarya a confirmé la décision de ne pas poursuivre le père pour faux et pour enlèvement. Cette décision étant antérieure à la date à laquelle la procédure d’appel devant la Cour constitutionnelle est entrée en vigueur, il n’est pas possible de former un tel recours. Toutes les voies de recours internes ont donc été épuisées au pénal.

Pour ce qui est de la procédure civile, la Cour de cassation a confirmé le jugement rendu en première instance le 24 septembre 2012. L’auteure affirme que, selon son avocat, son recours devant la Cour constitutionnelle n’aurait pas été examiné car elle n’avait pas qualité pour agir, son affaire étant une affaire privée. Elle ajoute que, quand bien même aurait-elle eu qualité pour interjeter appel, elle n’aurait pas pour autant eu accès à une voie de recours effective. En effet, comme la saisine de la Cour constitutionnelle n’aurait visé que l’instance en matière familiale, le recours n’aurait pas été effectif, les aspects pénaux et civils de l’affaire étant si étroitement liés qu’il n’aurait pas été possible d’aboutir à une solution juste et globale sur la base des seuls éléments relevant de ladite instance en matière familiale. L’auteure note que le Comité peut accorder une dérogation à la règle selon laquelle, pour qu’une communication soit recevable, ses auteurs doivent avoir épuisé toutes les voies de recours internes lorsqu’il a été établi que la saisie des juridictions nationales, y compris en appel, ne constitue pas une voie de recours effective.

L’auteure affirme en outre que son avocat en Turquie lui a assuré que, à la date de la lettre initiale, toutes les voies de recours internes avaient été épuisées. Elle estime que, si cette information s’avérait être fausse, elle ne devrait pas se voir priver de recours pour s’être appuyée sur les conseils d’un avocat négligent.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Dans une note verbale datée du 18 avril 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

L’État partie déclare en premier lieu que l’auteure n’a pas fourni d’éléments de preuve précis quant aux prétendues violations des articles 15 et 16 de la Convention. En outre, les dispositions de la Convention ne peuvent être invoquées en ce qui concerne le grief formulé par l’auteure selon lequel l’instruction n’a pas été menée avec la diligence voulue. En effet, les griefs concernant l’équité de l’instruction échappent à la compétence du Comité, qui ne peut connaître que des allégations de violation des droits consacrés par la Convention.

Pour ce qui est de l’instance en matière familiale, l’État partie réaffirme que l’auteure n’ayant pas saisi la Cour constitutionnelle, elle n’a pas épuisé les voies de recours internes. À cet égard, il note que la décision rendue par la Cour de cassation le 24 septembre 2012 confirmant la décision du tribunal des affaires familiales de Kocaeli d’accorder la garde des enfants au père est devenue définitive le 3 janvier 2013, sans qu’aucune des parties n’ait demandé la rectification du jugement. La loi portant création et organisation de la Cour constitutionnelle de Turquie (loi no 6216), qui prévoit que chacun peut saisir la Cour constitutionnelle, est entrée en vigueur le 24 septembre 2012. En vertu de cette loi, tout jugement devenu définitif après le 23 septembre 2012 peut être contesté par ce moyen. Par ailleurs, l’État partie indique que le tribunal des affaires familiales de Kocaeli a estimé, compte tenu des dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant et après avoir dûment recueilli le point de vue et les préférences des enfants, qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de rester sous la garde de leur père. Le tribunal a constaté que les enfants vivaient avec leur père depuis longtemps et qu’elles étaient scolarisées en Turquie. Au cours de l’instance, lors d’une audition filmée, les enfants ont déclaré vouloir rester avec leur père tout en continuant de voir l’auteure. Une injonction provisoire a été prononcée pour permettre à l’auteure et aux enfants d’entretenir des relations personnelles, mais l’auteure a enlevé les enfants et les a emmenés en République arabe syrienne. En outre, les autorités malaisiennes ayant émis un mandat d’arrêt contre le père, celui-ci aurait été mis en détention s’il s’était rendu en Malaisie. L’auteure, en revanche, était libre d’entrer en Turquie et d’en sortir à sa guise. Le tribunal a également estimé que, si la garde était confiée à la mère, la relation entre les enfants et leur père serait brisée, ce qui nuirait à leur développement psychologique. Enfin, l’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas fourni d’éléments permettant de prouver qu’elle avait fait l’objet de discrimination sexiste lors de l’instance en matière familiale.

Commentaires supplémentaires de l’auteure

Le 21 août 2017, l’auteure a de nouveau soutenu que l’État partie l’avait privée d’une voie de recours effective en raison de son sexe. Elle estime que cette discrimination a été d’autant plus forte qu’elle n’est pas de nationalité turque et que le système juridique du pays favorise les hommes turcs à qui incombe, en leur qualité de chef de famille, la charge des enfants.

L’auteure affirme que l’État partie a manqué aux obligations que lui impose la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et qu’il a en outre fait fi des décisions des juridictions de Singapour et de Malaisie d’accorder à la mère la garde exclusive des enfants.

L’auteure estime que les principes d’équité procédurale et de régularité de la procédure ne relèvent pas uniquement du droit à une procédure équitable, mais qu’ils font également partie intégrante du principe d’égalité inscrit dans la Convention. En cela, ils ne sortent pas du champ d’application de la Convention.

L’auteure réfute l’affirmation de l’État partie selon laquelle la signature ayant permis l’obtention des documents de voyage des enfants n’est pas un faux et se dit prête à présenter les conclusions d’un expert singapourien de renommée internationale pour prouver que sa signature a bien été contrefaite. Elle affirme en outre que le compte rendu que l’État partie a fait de l’audition filmée des enfants est inexact.

L’auteure réaffirme qu’elle a épuisé toutes les voies de recours internes et conteste qu’une voie de recours effective soit encore ouverte devant la Cour constitutionnelle.

Tout en regrettant d’avoir emmené ses enfants en République arabe syrienne et disant sa volonté de récupérer ses enfants par des moyens légaux, l’auteure souligne qu’elle s’est vue contrainte d’agir par elle-même en raison des obstacles que les autorités turques n’ont cessé de placer sur son chemin.

Renseignements supplémentaires fournis par l’État partie

Le 13 novembre 2017, l’État partie a réitéré ses précédentes observations et souligné que son système juridique reposait sur le principe d’égalité devant la loi, que l’article 41 de sa Constitution posait l’égalité des hommes et des femmes et que son système de justice civile était fondé sur le principe d’égalité.

L’État partie estime que les allégations de l’auteure en ce qui concerne la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants sortent du champ de compétence du Comité. En outre, la Malaisie n’est pas partie à cet instrument, qui ne peut donc s’appliquer en l’espèce. Enfin, l’État partie souligne que l’auteure n’a pas saisi la Cour constitutionnelle pour contester l’instance en matière familiale et que, par conséquent, toutes les voies de recours internes à cet égard n’ont pas été épuisées.

Renseignements supplémentaires fournis par l’auteure

Le 8 mars 2018, l’auteure a souligné que le Comité avait compétence pour connaître des questions relatives à la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, étant fondé à prendre en compte les principes généraux du droit international. L’auteure réaffirme avoir été victime de discrimination de la part de l’État partie, aussi bien en tant que femme qu’en tant qu’étrangère. Elle déclare une nouvelle fois que, si les enfants ne lui ont pas été rendus en toute diligence, c’est parce que le père a été favorisé en raison de son sexe. Enfin, elle rappelle que, selon elle, tous les recours internes ont été épuisés.

Délibérations du Comité : examen de la recevabilité

Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au titre du Protocole facultatif. En application de l’article 72 4), il doit prendre cette décision avant de se prononcer sur le fond de la communication.

Le Comité note que la question n’a pas déjà été examinée et n’est pas en cours d’examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête internationale ou de règlement international et qu’il n’est donc pas empêché par l’article 4 2) a) du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

Le Comité note également que l’État partie conteste la recevabilité de la présente communication au titre de l’article 4 1) du Protocole facultatif, au motif que l’auteure n’a pas fait appel auprès de la Cour constitutionnelle du jugement rendu le 24 septembre 2012 par la Cour de cassation, qui a confirmé la décision prise le 10 juin 2011 par le tribunal des affaires familiales de Kocaeli d’accorder la garde des enfants au père, laquelle décision, selon l’État partie, est devenue définitive le 3 janvier 2013. Ainsi, selon l’État partie, l’auteure n’a pas épuisé les recours internes.

Le Comité rappelle que, conformément à l’article 4 1) du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen.

Le Comité a pris note des explications de l’auteure, qui soutient que la règle voulant que toutes les voies de recours internes soient épuisées ne saurait s’appliquer à l’instance en matière familiale, puisqu’elle n’aurait pu saisir la Cour constitutionnelle qu’au regard de ladite instance et qu’un tel recours n’aurait pas été effectif, les aspects pénaux et civils de l’affaire étant si étroitement liés qu’il n’aurait pas été possible d’aboutir à une solution juste et globale sur la base des seuls éléments relevant de ladite instance en matière familiale. Le Comité note toutefois que les jugements rendus après le 23 septembre 2012 peuvent être contestés par saisine individuelle de la Cour constitutionnelle pour des motifs fondés sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales protégés par la Constitution turque et la Convention européenne des droits de l’homme. Nul ne conteste que cette procédure soit ouverte. En outre, aucun élément du dossier ne permet au Comité de conclure que cette voie de recours n’aurait pas été effective dans une affaire de divorce et de garde d’enfants ni que l’auteure n’aurait pas obtenu gain de cause par ce moyen si elle avait saisi la Cour constitutionnelle. Ainsi, l’auteure n’a pas démontré que l’appel ne pouvait être intenté dans des affaires de divorce et de garde d’enfants, ni que des appels semblables au sien avaient été rejetés par la Cour constitutionnelle sans avoir été examinés. Le Comité ne saurait accorder une exception aux critères de recevabilité fixés à l’article 4 1) du Protocole facultatif sur la seule assertion qu’un appel formé devant la Cour constitutionnelle turque ne constitue pas une voie de recours effective. Par conséquent, le Comité juge que la communication est, sous cet aspect, irrecevable au regard de l’article 4 1) du Protocole facultatif.

Le Comité a également pris note des griefs de l’auteure relatifs aux articles 2, 3, 15 (lu en parallèle avec la recommandation générale no 21) et 16 1) c) et d) de la Convention. Cependant, il note que l’auteure n’a pas fourni suffisamment de renseignements et d’explications à l’appui de ses griefs. En l’absence de renseignements et d’explications supplémentaires, le Comité estime que la communication est, sous cet aspect, irrecevable au regard de l’article 4 2) c) du Protocole facultatif.

En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 4 1) et 2) c) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.