Communication présentée par :

V. P. (représentée par le Comité Helsinki de Bélarus)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

20 novembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquées à l’État partie le 24 septembre 2018 (non publiées sous forme de document)

Date des constations :

28 juin 2021

Objet :

Discrimination à l’égard des femmes, droits en matière de sécurité sociale

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Discrimination fondée sur le genre restreignant l’accès des femmes à la pension de retraite

Article(s) de la Convention :

1, 2 [al. b) à d) et f)) et 11 (par. 1 al. e)]

Exposé des faits

L’auteure de la communication est V. P., de nationalité bélarussienne, née en 1961. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des alinéas b) à d) et f) de l’article 2 et de l’alinéa e) du paragraphe 1 de l’article 11, lu conjointement avec l’article premier, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur dans l’État partie le 3 septembre 1981 et le 3 mai 2004, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil, le Comité Helsinki de Bélarus.

Rappel des faits présentés par l’auteure

En février 2016, ayant atteint l’âge de la retraite fixé à 55 ans, l’auteure a déposé une demande de pension de retraite auprès de la Commission locale des pensions. Elle avait alors accumulé 24 ans, 2 mois et 19 jours d’expérience professionnelle générale (toutes les périodes d’emploi rémunéré, ainsi que les études, le congé de maternité et le service militaire obligatoire, entre autres, sont compris dans le calcul). Sur cette période, ses états de service ouvrant droit à pension (en d’autres termes, les périodes d’emploi assorties de paiements de cotisations au fonds d’assurance retraite) étaient de 12 ans, 10 mois et 24 jours.

Le 26 février 2016, la Commission a rejeté la demande de pension de retraite au motif que l’auteure n’avait pas accumulé suffisamment d’années de service ouvrant droit à pension. Elle a noté que, conformément à l’ordonnance no 534 du Président du Bélarus en date du 31 décembre 2015 (en vigueur depuis le 1er janvier 2016), il fallait avoir cotisé au fonds d’assurance retraite pendant au moins 15 ans et 6 mois pour avoir droit à la pension de retraite. Au moment des faits, l’ordonnance no 534 était en conflit avec la loi bélarussienne sur le régime des pensions (la loi sur les pensions) : l’article 15 de la loi disposait que dix années de service ouvrant droit à pension étaient nécessaires pour avoir droit au régime de pensions contributives. L’article 11 de la même loi introduisait des conditions préalables supplémentaires, à savoir avoir accumulé vingt ans d’expérience professionnelle générale (indépendamment du paiement de cotisations au fonds d’assurance retraite) et avoir atteint l’âge de 55 ans pour les femmes.

Le 31 mai 2016, l’auteure a déposé un recours administratif contre la décision rendue le 26 février 2016 auprès de la Commission du travail, de l’emploi et de la protection sociale du Comité exécutif de la région de Minsk. La décision de la Commission des pensions a été reconnue comme étant fondée, et le recours déposé par l’auteure a été rejeté.

En juillet 2016, l’auteure a fait appel devant le tribunal de district de Borisovskiy. Elle a notamment indiqué qu’entre 1998 et 2009, elle s’était occupée de ses enfants, jusqu’à ce que son fils cadet atteigne l’âge de 14 ans. Elle s’était ensuite occupée d’une personne handicapée, du 6 avril 2009 au 1er mai 2010 et du 23 septembre 2011 au 1er février 2016 (soit pendant plus de cinq ans et demi au total). S’il avait été tenu compte des périodes visées entre 2009 et 2016, ainsi que de son congé de maternité, dans son expérience professionnelle générale, cela n’avait pas été le cas dans ses états de service ouvrant droit à pension. La forte augmentation du nombre d’années de service ouvrant droit à pension requises l’empêchait d’avoir réellement la possibilité de bénéficier de la pension de retraite. Dans le même temps, l’auteure ne peut pas encore bénéficier du régime social de pensions non contributives, car celui-ci n’est accessible qu’aux femmes âgées d’au moins 60 ans.

Le 23 août 2016, le tribunal de district de Borisovskiy a rejeté le recours formé par l’auteure et a confirmé la décision de rejeter la demande de pension de retraite. Il a réaffirmé que l’auteure n’avait comptabilisé que 12 ans, 10 mois et 24 jours de service ouvrant droit à pension, une durée inférieure aux exigences fixées par l’ordonnance no 534. Les périodes mentionnées par l’auteure (durant lesquelles elle s’était occupée de ses enfants et d’une personne handicapée) ne pouvaient être prises en compte dans le calcul des états de service ouvrant droit à pension, car l’auteure ne cotisait alors pas au fonds d’assurance retraite. Le tribunal a également fait remarquer que l’ordonnance prévalait sur les dispositions de la loi sur les pensions.

L’auteure a interjeté appel devant le tribunal régional de Minsk. Elle a réitéré ses arguments et a fait valoir que le droit interne créait une situation de discrimination indirecte à l’égard des femmes, puisque la fourniture de soins non rémunérés au Bélarus incombait principalement aux femmes. L’auteure a notamment invoqué les dispositions de l’observation générale no 19 (2007) sur le droit à la sécurité sociale du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, dans laquelle le Comité a demandé que des mesures soient prises pour permettre aux femmes d’accéder, sur un pied d’égalité avec les hommes, aux fonds de prestations sociales, compte tenu des périodes d’inactivité dues à la nécessité de remplir des obligations familiales. Le 17 octobre 2016, le tribunal régional de Minsk a rejeté le recours formé par l’auteure et a pleinement approuvé le raisonnement du tribunal de première instance.

L’auteure a formé un recours au titre de la procédure de contrôle auprès du Président du tribunal régional de Minsk. Elle a réitéré les arguments qu’elle avait déjà soulevés devant les juridictions inférieures. Le 16 février 2017, son appel a été rejeté.

Le 17 juillet 2017, le Vice-Président de la Cour suprême du Bélarus a rejeté le recours formé par l’auteure au titre de la procédure de contrôle et a confirmé les décisions rendues par les juridictions inférieures.

Teneur de la plainte

L’auteure fait valoir que le rejet de sa demande de pension de retraite constitue une violation de l’alinéa e) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention, en ce qu’il entraîne une discrimination indirecte à l’égard des femmes. En effet, celles-ci font plus souvent face à des périodes d’inactivité car elles sont les principales responsables des enfants et des personnes handicapées. Par conséquent, elles ne sont pas en mesure d’accumuler le nombre d’années de service ouvrant droit à pension requis par la loi. L’auteure précise que, selon les informations communiquées par les représentants du Ministère du travail et de la protection sociale du Bélarus, en 2015, 99 % des personnes s’occupant d’enfants âgés de moins de 3 ans étaient des femmes. Elle estime que, si les dispositions du droit interne prévoient les mêmes exigences pour les hommes et pour les femmes, ces dernières bénéficient en réalité de conditions moins favorables. Il est beaucoup plus difficile pour les femmes d’accumuler le nombre requis d’années de service ouvrant droit à pension, en particulier lorsqu’il n’est pas tenu compte à cet égard de la fourniture de soins, alors même que l’État y voit une activité importante du point de vue social.

En 2010, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes avait déjà demandé à l’État partie d’adopter un texte de loi sur l’égalité des genres qui inclurait une définition de la discrimination directe et indirecte à l’égard des femmes. Aucune législation de ce type n’a été adoptée, ce qui constitue une violation des droits de l’auteure au titre de l’alinéa b) de l’article 2 de la Convention.

Conformément à l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention, l’État partie est tenu d’instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et de garantir, par le truchement des tribunaux nationaux compétents, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire. En l’espèce, l’auteure soutient que l’État partie ne lui a pas offert de telles garanties. La charge de la preuve quant à l’existence d’un traitement discriminatoire incombait à l’auteure. Les tribunaux nationaux n’ont pas tenu compte des dispositions des instruments juridiques internationaux.

L’auteure est d’avis qu’en adoptant l’ordonnance no 534 ainsi que d’autres textes de loi en vue de réviser à la hausse les exigences minimales concernant les états de service ouvrant droit à pension, l’État partie a violé les droits qu’elle tenait de l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention, étant donné que de telles dispositions touchaient les femmes de manière disproportionnée.

Enfin, l’auteure affirme que l’État partie a également violé les droits que lui confère l’alinéa f) de l’article 2 de la Convention, car il n’a pas abrogé les lois et règlements qui constituent une discrimination. Elle note que l’État partie a adopté l’ordonnance no 233 du Président du Bélarus en date du 29 juin 2017, laquelle établit, entre autres dispositions, que les personnes qui s’occupent de personnes handicapées ne doivent avoir accumulé que dix ans de service ouvrant droit à pension pour avoir droit à la pension de retraite. Toutefois, l’ordonnance dispose que ces mêmes personnes sont tenues de cumuler davantage d’années d’expérience professionnelle générale (trente-cinq ans pour les femmes et quarante ans pour les hommes). Par conséquent, loin de mettre fin à la pratique discriminatoire, elle introduit une nouvelle différence de traitement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

L’État partie a présenté ses observations dans une note verbale datée du 26 décembre 2018.

En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que les décisions rendues par les tribunaux nationaux qui sont déjà entrées en vigueur peuvent faire l’objet d’un recours formé au titre de la procédure de contrôle. L’auteure a effectivement fait appel de la décision en date du 23 août 2016 rendue par le tribunal de district de Borisovskiy auprès du Président du tribunal régional de Minsk et du Vice-Président de la Cour suprême du Bélarus. Elle ne s’est pas prévalue de son droit de former un recours au titre de la procédure de contrôle auprès du Président de la Cour suprême. En outre, elle n’a pas déposé de requête auprès du parquet pour contester les décisions des tribunaux. La communication est donc irrecevable au regard de l’article 4 du Protocole facultatif, l’auteure n’ayant pas épuisé tous les recours internes disponibles.

En ce qui concerne le fond de l’affaire, l’État partie se réfère à la Constitution du Bélarus, qui garantit l’égalité des chances à tous les citoyens. Le Code du travail du Bélarus consacre l’égalité du droit au travail pour les femmes et pour les hommes. Toute discrimination fondée sur l’âge ou le genre est expressément interdite. L’État partie s’efforce d’atténuer les stéréotypes historiques et culturels qui influent sur la répartition des obligations familiales entre les femmes et les hommes. Les femmes, qui sont plus susceptibles de faire face à des périodes d’inactivité, bénéficient de garanties spéciales visant à faciliter leur réinsertion professionnelle. Il existe notamment des programmes éducatifs et des services d’orientation professionnelle destinés, entre autres, aux femmes approchant l’âge de la retraite. Par conséquent, les taux de chômage sont plus bas chez les femmes que chez les hommes (3,6 % chez les femmes contre 5,7 % chez les hommes en 2018, et 4,2 % chez les femmes contre 7,5 % chez les hommes en 2016).

L’État partie soutient que le droit interne prévoit un large éventail de régimes de retraite, notamment un régime de pensions de retraite contributives et un régime social de pensions non contributives. À l’époque des faits, la pension de retraite était accessible aux femmes qui avaient atteint l’âge de 56 ans et aux hommes qui avaient atteint l’âge de 61 ans (l’âge d’ouverture des droits à pension est actuellement revu à la hausse, à raison d’un relèvement progressif de l’âge de départ à la retraite de six mois par an en vue d’atteindre l’âge de 58 ans pour les femmes et de 63 ans pour les hommes en 2022). Les femmes et les hommes ont droit à une pension sociale lorsqu’ils atteignent l’âge de 60 ans et de 65 ans, respectivement. La différence d’âge a été introduite de sorte à garantir une égalité de fait et à tenir compte des répercussions qu’ont les stéréotypes culturels sur la répartition des obligations familiales entre les femmes et les hommes. En outre, lorsqu’elles atteignent l’âge de la retraite, les femmes sont libres de continuer à travailler sans qu’aucune restriction imposée par la loi ne leur fasse obstacle.

Une personne a droit à la pension de retraite à condition qu’elle ait cotisé au fonds d’assurance retraite pendant dix ans (exigence entrée en vigueur le 1er janvier 2014), quinze ans (exigence entrée en vigueur le 1er janvier 2015) ou quinze ans et demi (exigence entrée en vigueur le 1er janvier 2016). Cette exigence est actuellement revue à la hausse, à raison de six mois par an, en vue d’atteindre vingt ans en 2025. Les exigences relatives aux états de service ouvrant droit à pension sont les mêmes pour les femmes et pour les hommes. Par ailleurs, il existe des régimes spéciaux applicables à certaines catégories de femmes. Par exemple, les mères de cinq enfants ou plus ou d’enfants handicapés ne sont tenues de justifier que de cinq années de service ouvrant droit à pension pour pouvoir bénéficier de la pension de retraite. Conformément au droit interne, il n’est pas tenu compte dans le calcul des années de service ouvrant droit à pension des périodes de prise en charge d’enfants et de personnes handicapées, des périodes d’études et du service militaire. Cette approche exclut dudit calcul non seulement les activités habituellement exercées par les femmes, mais aussi celles qui sont principalement exercées par les hommes (par exemple, le service militaire). Sur la période 2012-2017, la durée moyenne de ces activités était à peu près égale pour les hommes et les femmes (4,3 et 4,5 ans, respectivement).

La décision d’augmenter les exigences relatives à l’âge et aux états de service ouvrant droit à pension a été prise pour s’adapter au vieillissement de la population bélarussienne, une tendance que l’on observe dans de nombreux pays. Les nouvelles conditions mises en place sont adaptées et peuvent être remplies tant par les femmes que par les hommes. Selon les informations du Ministère du travail et de la protection sociale, pour la période 2012‑2017, la durée moyenne de service ouvrant droit à pension était de vingt-neuf ans pour les femmes et de 32,2 ans pour les hommes. D’après les statistiques nationales, en 2017, 96,7 % de toutes les femmes ayant atteint l’âge de la retraite bénéficiaient d’une pension de retraite (contre 89,4 % des hommes). Entre 2014 et 2016, seul 0,8 % de l’ensemble des femmes ayant atteint l’âge de la retraite se sont vu refuser une pension de retraite en raison d’états de service ouvrant droit à pension insuffisants (contre 0,6 % pour les hommes). Par conséquent, toute situation défavorable liée aux prestations de retraite pour les femmes ne découle pas de pratiques ou de règlements donnant lieu à une discrimination directe ou indirecte au Bélarus, mais de choix de vie personnels des personnes intéressées.

L’auteure comptabilise moins de treize ans de service ouvrant droit à pension. Elle s’est occupée non seulement de personnes handicapées mais également de ses enfants jusqu’à ce que le plus jeune atteigne l’âge de 14 ans, dépassant ainsi largement la période de trois ans prévue pour le congé de maternité. Un nombre insuffisant d’années de service ouvrant droit à pension constitue un motif légal justifiant le refus de la pension de retraite. L’auteure n’a pas non plus accumulé les trente-cinq années d’expérience professionnelle générale requises pour bénéficier du régime spécial créé en application de l’ordonnance no 233, grâce auquel les personnes s’occupant de personnes handicapées peuvent prétendre à la pension de retraite même lorsqu’elles ne comptabilisent que dix années de service ouvrant droit à pension.

Dans le même temps, l’auteure n’a fait appel aux services d’aide à l’emploi qu’en 2016. Entre le 22 juin et le 25 octobre 2016, elle était inscrite au chômage. Bien que les services sociaux lui aient fait parvenir plusieurs offres d’emploi, elle les a refusées ou n’a pas été engagée. L’État partie note que l’auteure n’a pas tenté de faire appel des rejets de sa candidature, alors même que tout rejet discriminatoire aurait pu être contesté devant les tribunaux. Le 25 octobre 2016, l’auteure a demandé à être radiée du registre des chômeurs. Elle n’a pas fait appel aux services d’aide à l’emploi par la suite. En tout état de cause, l’auteure bénéficiera du régime social de pensions non contributives lorsqu’elle atteindra l’âge de 60 ans.

L’État partie fait également remarquer que les ordonnances du Président ont été adoptées dans le strict respect du droit interne et prévalent sur les dispositions de la loi nationale sur les pensions. Il note que l’auteure conteste la légalité des ordonnances qui lui sont défavorables, mais pas de celles qui portent création de régimes préférentiels applicables à certaines catégories de personnes. À cet égard, l’État partie se réfère à l’ordonnance no 233, laquelle porte création d’un régime spécial pour les personnes qui ne sont pas en mesure d’accumuler le nombre requis d’années de service ouvrant droit à pension en raison de l’exercice d’autres fonctions cruciales sur le plan social. Les personnes éligibles sont tenues de cotiser au fonds d’assurance retraite pendant dix ans seulement. L’augmentation de la durée de l’expérience professionnelle générale requise (trente-cinq ans pour les femmes et quarante ans pour les hommes) ne revêt pas de caractère discriminatoire, mais traduit une incapacité à occuper un emploi régulier.

Enfin, l’État partie soutient que l’égalité de toutes les personnes devant la loi constitue un principe universel au Bélarus et qu’il n’est donc pas nécessaire d’introduire une législation spéciale relative à la lutte contre la discrimination. Il a communiqué une description générale des dispositions juridiques nationales pertinentes. Il précise que la Constitution du Bélarus consacre l’égalité des droits et des chances des femmes et des hommes. Conformément à l’article 42 de la Constitution, les femmes et les hommes ont droit à une rémunération égale pour leur travail. Le droit à un recours effectif sans aucune discrimination est consacré par le Code civil, le Code de procédure civile, le Code des infractions administratives et d’autres textes de loi. L’article 190 du Code pénal prévoit une responsabilité pénale en cas de restriction des droits ou d’introduction de distinctions fondées, entre autres, sur le sexe, la nationalité et l’âge. En outre, l’article 14 du Code du travail définit la discrimination et permet aux personnes concernées de demander aux tribunaux d’être protégées contre les pratiques discriminatoires.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

L’auteure a fait part de ses commentaires les 9 avril et 10 mai 2019.

Répliquant à la contestation de la recevabilité par l’État partie, l’auteure note, sur la base de la jurisprudence de longue date du Comité des droits de l’homme, que les recours formés au titre de la procédure de contrôle auprès du Président de la Cour suprême ou du parquet ne tombent pas sous le coup des recours à épuiser, en ce qu’il s’agit de recours extraordinaires laissés à la discrétion d’un procureur ou d’un juge.

En ce qui concerne le fond de l’affaire, l’auteure maintient que le droit interne du Bélarus ne contient pas de définition universelle de la discrimination. La définition prévue à l’article 14 du Code du travail est uniquement applicable aux relations de travail. Le Comité des droits de l’homme, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ont constaté l’absence du cadre juridique nécessaire à la mise en place d’un mécanisme de protection efficace contre la discrimination.

L’auteure note que les données statistiques communiquées par l’État partie ne sont pas pertinentes, car elles ne font état que de la situation générale et ne reflètent pas la situation personnelle de celles et ceux qui sont chargés de fournir des soins.

L’auteure fait également valoir que, si les exigences relatives à la durée de l’expérience professionnelle générale diffèrent entre les femmes et les hommes, l’État partie n’explique pas pourquoi il n’y a aucune différence dans le nombre requis d’années de service ouvrant droit à pension. Une telle situation est discriminatoire, car les femmes exercent plus fréquemment des activités qui ne sont pas prises en compte dans le calcul des états de service ouvrant droit à pension.

En outre, l’auteure soutient que sa décision de se consacrer à des activités de soins ne peut pas être considérée comme un refus intentionnel d’être éligible aux prestations de retraite par la suite, étant donné qu’elle ne pouvait pas anticiper que le nombre requis d’années de service ouvrant droit à pension augmenterait soudainement.

L’auteure affirme que l’État partie n’a pas donné de justifications raisonnables s’agissant de l’augmentation considérable, en très peu de temps, du nombre d’années de service ouvrant droit à pension requis. Par ailleurs, il n’y a eu ni période ni mesure de transition. Par conséquent, les femmes qui se trouvaient dans une situation similaire à celle de l’auteure ont été particulièrement touchées. Elle-même s’est retrouvée sans aucun appui, alors qu’elle ne pourra bénéficier de la pension sociale que lorsqu’elle aura atteint l’âge de 60 ans. Le fait de ne pas tenir compte de ces facteurs est contraire aux obligations de l’État partie au titre de l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention.

L’auteure note aussi que l’ordonnance no 233 ne lui a pas permis de remédier à sa situation car, bien que celle-ci ait réduit la durée de service ouvrant droit à pension requise, elle a également porté à trente-cinq ans la durée de l’expérience professionnelle générale requise pour les femmes. L’auteure soutient que l’État partie devrait tenir compte, dans la durée de l’expérience professionnelle générale, de la période passée à s’occuper d’enfants âgés de moins de 14 ans. Elle pourrait alors répondre aux exigences particulières introduites par l’ordonnance no 233.

L’auteure communique un tableau recensant ses périodes d’emploi et les autres activités qu’elle a exercées de 1975 à 2016 et indique qu’elle n’a pas pu trouver d’emploi rémunéré depuis mai 2010.

À la lumière de ce qui précède, l’auteure invite le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes à conclure à une violation des droits qu’elle tient de l’article 2 ainsi que de l’alinéa e) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention.

Le 4 avril 2020, l’auteure a soumis des observations complémentaires pour informer le Comité qu’elle n’était toujours pas en mesure de trouver un emploi et l’a prié de bien vouloir accélérer la procédure.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif. En application du paragraphe 4 de l’article 72, il doit prendre cette décision avant de se prononcer sur le fond de la communication.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, que la question n’avait pas déjà fait l’objet ou ne faisait pas actuellement l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes, car l’auteure n’a ni formé un recours au titre de la procédure de contrôle auprès du Président de la Cour suprême du Bélarus, ni fait appel des décisions rendues par les tribunaux auprès du parquet. Le Comité rappelle que, aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. À cet égard, il rappelle que les recours formés au titre de la procédure de contrôle auprès du Président d’un tribunal visant une décision de justice devenue exécutoire dépendent du pouvoir discrétionnaire d’un juge et constituent un recours extraordinaire. Il appartient à l’État partie de démontrer qu’il y a des chances raisonnables que cette procédure constitue un recours utile en l’espèce. Or, en l’espèce, l’État partie n’a pas démontré que les demandes adressées au Président de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle étaient accueillies dans des affaires semblables à celle dont le Comité est saisi et n’a pas indiqué, le cas échéant, dans combien d’affaires elles avaient abouti. Le Comité note également que l’introduction auprès du parquet d’une demande de contrôle visant des décisions judiciaires devenues exécutoires ne fait pas partie des recours qui doivent être épuisés aux fins du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif. Il estime donc que rien dans les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ne l’empêche d’examiner la présente communication.

N’ayant relevé aucun obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité la déclare recevable et procède à l’examen au fond.

Examen au fond

Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été transmis par l’auteure et par l’État partie, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’alinéa e) du paragraphe 1 de l’article 11, lu conjointement avec l’article premier, de la Convention, en rejetant sa demande de pension de retraite. Elle soutient notamment qu’un tel rejet entraîne une discrimination indirecte fondée sur le sexe, étant donné que les femmes font plus souvent face à des périodes d’inactivité car elles sont les principales responsables des enfants et des personnes handicapées. Par conséquent, elles ne sont pas en mesure d’accumuler le nombre total d’années de service ouvrant droit à pension requis par la loi. Par ailleurs, l’auteure affirme que l’État partie n’a pas respecté les obligations qui lui incombent au titre des alinéas b) à d) et f) de l’article 2 de la Convention, étant donné qu’il n’a pas abrogé les lois et règlements discriminatoires et n’a pas créé de cadre juridique national capable de garantir une protection juridictionnelle suffisante contre la discrimination fondée sur le sexe.

Le Comité doit donc déterminer si, en modifiant le cadre juridique et les exigences relatives à l’accès à la pension de retraite, modifications qui ont eu une incidence négative sur l’auteure, l’État avait manqué aux obligations qui lui incombaient au titre des alinéas b) à d) et f) de l’article 2 et de l’alinéa e) du paragraphe 1 de l’article 11, lu conjointement avec l’article premier, de la Convention.

Le Comité rappelle que la Convention interdit toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. On parle de discrimination indirecte dans le cas de lois, de politiques ou de pratiques qui semblent neutres a priori, mais qui ont un effet discriminatoire disproportionné sur l’exercice des droits consacrés par la Convention eu égard à des motifs de discrimination interdits.

Le Comité rappelle que le droit à la sécurité sociale est fondamental pour garantir la dignité humaine de toutes les personnes. Ce droit a des conséquences financières importantes pour les États, mais ceux-ci doivent assurer au moins la satisfaction de l’essentiel de ce droit. Ils sont notamment tenus de garantir l’accès à un régime de sécurité sociale qui assure un niveau minimum indispensable de prestations, sans discrimination aucune. Les États devraient assurer des prestations de retraite, des services sociaux et d’autres formes d’aide en faveur de toutes les personnes âgées qui, quand elles atteignent l’âge fixé par la législation nationale, n’ont pas cotisé pendant la période minimale requise ou ne sont pas habilitées pour d’autres raisons à bénéficier d’une pension relevant d’un régime d’assurance retraite ou à d’autres prestations ou formes d’assistance au titre de la sécurité sociale, et qui n’ont pas d’autres sources de revenus. Dans les régimes non contributifs, il convient également de tenir compte du fait que les femmes sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les hommes, qu’elles sont souvent seules responsables des soins aux enfants et que, le plus souvent, elles n’ont pas de pension contributive.

Le Comité note que les États parties disposent d’une grande marge d’appréciation pour prendre les mesures qu’ils jugent nécessaires pour faire en sorte que chacun puisse exercer son droit à la sécurité sociale, notamment pour garantir que les régimes de retraite soient efficaces, viables et accessibles à tous. Les États peuvent ainsi définir des conditions pour l’affiliation à chacun des divers programmes de sécurité sociale et l’admission au bénéfice d’une pension de retraite ou d’autres prestations, sous réserve que celles-ci soient raisonnables, proportionnées et transparentes. De manière générale, ces conditions devraient être communiquées à tous en temps utile et de manière suffisante afin que l’accès à une pension de retraite soit prévisible, ceci étant d’autant plus nécessaire lorsque les mesures adoptées par les États parties sont de nature régressive et qu’aucun arrangement de transition n’est prévu pour en atténuer les effets négatifs.

Le Comité est d’avis que les États doivent réexaminer les restrictions à l’accès aux régimes de sécurité sociale pour veiller à ce qu’elles n’engendrent pas de discrimination de droit ou de fait à l’égard des femmes. Ils doivent tenir compte en particulier du fait qu’en raison de la persistance des stéréotypes et d’autres causes structurelles, les femmes consacrent beaucoup plus de temps au travail non rémunéré que les hommes, notamment en ce qui concerne les soins aux enfants, handicapés ou non. Ils devraient prendre des mesures pour s’attaquer aux facteurs empêchant les femmes de cotiser aux régimes de sécurité sociale qui subordonnent les prestations au versement de cotisations, ou pour veiller à ce que lesdits régimes intègrent ces facteurs dans les modalités de calcul des prestations, par exemple en tenant compte du temps passé, en particulier par les femmes, à élever des enfants, handicapés ou non, et à s’occuper d’adultes à charge.

En l’espèce, le Comité observe que l’auteure a atteint l’âge de la retraite mais qu’elle ne pouvait pas bénéficier de la pension de retraite en raison des nouvelles dispositions, car elle n’avait pas accumulé le nombre d’années de service ouvrant droit à pension requis.

Le Comité note que l’État partie a mis en place des régimes de retraite tant contributifs que non contributifs. Si les seconds sont uniquement sujets à l’âge, les premiers requièrent aussi une période de cotisation au fonds d’assurance retraite. Le Comité observe que cette période est d’une durée égale pour les femmes et pour les hommes. En outre, le droit interne ne prévoit pas qu’il soit tenu compte dans le calcul des années de service ouvrant droit à pension des périodes de prise en charge d’enfants et de personnes handicapées, des périodes d’études et du service militaire. À cet égard, le Comité rappelle l’argument de l’auteure selon lequel le fait de ne pas tenir compte de la fourniture de soins dans le calcul des états de service ouvrant droit à pension est discriminatoire à l’égard des femmes en ce que ces dernières sont plus souvent chargées de ces activités, en raison de l’influence qu’ont les stéréotypes culturels sur la répartition des obligations familiales entre les femmes et les hommes.

Le Comité considère que lorsqu’une communication contient des informations pertinentes indiquant prima facie l’existence d’une norme juridique qui, bien qu’elle soit formulée de manière neutre, pourrait en fait clairement affecter un pourcentage plus élevé de femmes que d’hommes, il appartient à l’État partie de démontrer qu’une telle situation ne constitue pas une discrimination indirecte fondée sur le sexe.

Le Comité prend note des informations statistiques fournies par l’État partie. Selon ces informations, la durée moyenne des activités exclues du calcul des états de service ouvrant droit à pension est à peu près égale pour les hommes et les femmes (4,3 et 4,5 ans, respectivement, pour la période 2012-2017). Par ailleurs, en 2017, une majorité prédominante de femmes ayant atteint l’âge de la retraite ont bénéficié d’une pension de retraite (96,7 % des femmes, contre 89,4 % des hommes). La part de femmes ayant atteint l’âge de la retraite qui se sont vu refuser une pension de retraite était globalement très faible et à peine plus élevée que celle des hommes. L’auteure n’a pas contesté la véracité des données statistiques fournies par l’État partie. En outre, le Comité remarque que l’État partie a mis en place un certain nombre de régimes de pension spéciaux assortis de conditions moins strictes pour le calcul des états de service ouvrant droit à pension, notamment pour les mères de plusieurs enfants ou d’enfants handicapés. Il y reconnaît une tentative de remédier aux effets de l’augmentation du nombre requis d’années de service ouvrant droit à pension sur les groupes les plus vulnérables. Compte tenu de ce qui précède, on ne peut pas dire que le cadre juridique en lui-même crée des conditions discriminatoires qui touchent les femmes de manière disproportionnée. Il reste au Comité à déterminer si l’application des règles relatives aux pensions dans le cas de l’auteure était conforme aux prescriptions de la Convention.

En premier lieu, le Comité note que l’auteure ne comptabilisait que 12 ans, 10 mois et 24 jours de service ouvrant droit à pension lorsqu’elle a atteint l’âge de la retraite. L’auteure s’est occupée de ses enfants entre 1998 et 2009, jusqu’à ce que son cadet atteigne l’âge de 14 ans. Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel elle a dû prolonger son congé de maternité au-delà de la période de trois ans prévue par la loi car son fils était souvent malade. Toutefois, l’auteure n’a pas précisé la nature des affections dont souffrait son fils et qui l’avaient forcée à s’abstenir de chercher un emploi rémunéré pendant une période aussi longue. En outre, si elle a indiqué qu’elle n’avait pas pu trouver d’emploi après 2009, elle n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas fait appel aux services d’aide à l’emploi avant 2016, ni pourquoi après avoir bénéficié d’une aide à l’emploi en juin 2016, elle y avait renoncé quelques mois plus tard, le 25 octobre 2016. Elle n’a pas non plus indiqué si elle avait tenté de contester devant les tribunaux des rejets de sa candidature par des employeurs du secteur privé.

Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que, si les modifications apportées à la loi sur les pensions ont manifestement eu une incidence sur la situation personnelle de l’auteure, l’incapacité de cette dernière à satisfaire aux exigences requises pour bénéficier de l’un des régimes de retraite contributifs ne saurait être entièrement imputée à l’État partie. L’auteure n’a pas suffisamment démontré qu’elle s’était vu refuser une pension de retraite en raison du cadre juridique national et de l’existence de pratiques bien plus défavorables aux femmes qu’aux hommes.

Agissant en vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité, conclut que les modifications apportées au cadre juridique interne et aux conditions d’attribution de la pension de retraite, ainsi que leurs incidences sur l’auteure, ne constituent pas une violation des alinéas b) à d) et f) de l’article 2, ni de l’alinéa e) du paragraphe 1 de l’article 11, lu conjointement avec l’article premier, de la Convention.