NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.RESTREINTE*

CERD/C/72/D/38/20063 mars 2008

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATIONDE LA DISCRIMINATION RACIALESoixante‑douzième session18 février‑7 mars 2008

OPINION

Communication n o  38/2006

Présentée par:

Zentralrat Deutscher Sinti und Roma et consorts (représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Allemagne

Date de la communication:

29 août 2006 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

22 février 2008

[ANNEXE]

ANNEXE

OPINION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ POUR L ’ ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EN APPLICATION DE L ’ ARTICLE 14 DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L ’ ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE

Soixante ‑douzième session

concernant la

Communication n o  38/2006

Présentée par:

Zentralrat Deutscher Sinti und Roma et consorts (représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Allemagne

Date de la communication:

29 août 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 22 février 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 38/2006, soumise au Comité au nom de Zentralrat Deutscher Sinti und Roma et consorts en vertu de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Ayant pris en considération tous les renseignements qui lui avaient été communiqués par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

OPINION

1.1Les requérants sont l’association Zentralrat Deutscher Sinti und Roma (Conseil central des Sintis et des Roms allemands), agissant en son nom et au nom de G. W., le Verband Deutscher Sinti und Roma − Landesverband Bayern (section bavaroise de l’Association des Sintis et des Roms allemands), R. R. et F. R. Ils affirment être victimes d’une violation par l’Allemagne des alinéas a et c de l’article 4, et de l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Ils sont représentés par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 6 a) de l’article 14 de la Convention, le Comité a transmis la communication à l’État partie le 14 septembre 2006.

Rappel des faits

2.1Le commissaire de police judiciaire G. W., membre de la minorité sinti et rom, a écrit un article intitulé «Les Sintis et les Roms − En Allemagne depuis 600 ans», qui a été publié dans le numéro de juillet/août 2005 du Kriminalist, revue de l’Association des fonctionnaires de police judiciaire allemands (BDK). Dans le courrier des lecteurs du numéro d’octobre 2005, une lettre écrite par P. L., Vice‑Président de la section bavaroise de la BDK et commissaire de police de l’inspection criminelle de la ville de Fürth, a été publiée en réponse à l’article de G. W. Les auteurs ont précisé que Der Kriminalistétait lu par plus de 20 000 personnes, membres de l’une des plus importantes associations de fonctionnaires de police d’Allemagne. Le texte de la lettre de P. L. était le suivant:

«C’est avec intérêt que j’ai lu l’article de notre collègue G. W., lui‑même sinti, mais je ne peux pas laisser dire cela. Même à une époque où la protection des minorités est placée au‑dessus de tout et où les fautes commises par le régime nazi continuent de peser sur les générations ultérieures, il n’est pas possible d’accepter quelque chose d’aussi partial.

En tant que fonctionnaire de police chargé des atteintes aux biens, j’ai souvent été confronté à la culture, au mode de vie marginal − reflétant un certain esprit de conspiration − ainsi qu’à la criminalité des Sintis et des Roms. Nous nous sommes infiltrés dans la vie de délinquants tsiganes par le biais de groupes de travail et au moyen d’agents secrets (“Aussteiger”). Des Sintis nous ont dit qu’ils se sentaient comme des “asticots dans du lard” (“Made im Speck”) dans le système de protection sociale de la République fédérale d’Allemagne. Il fallait utiliser le système pour pratiquer le vol, la fraude et le parasitisme social sans aucun scrupule en raison des persécutions subies pendant le IIIe Reich. Ils considéraient comme non pertinent l’argument selon lequel les atrocités commises à l’encontre des juifs, des homosexuels, des chrétiens et des opposants politiques ne les avaient pas conduits à avoir des comportements criminels.

Comme l’écrit G. W., il n’existe pas de statistiques relatives au pourcentage de délinquants sintis et roms en Allemagne. S’il y en avait, il n’aurait pas pu écrire cet article. Mais il est certain que ce groupe de personnes, même s’il ne compte que 100 000 individus, occupe les autorités de manière disproportionnée.

Qui, par exemple, commet des vols dans tout le pays, notamment au détriment des personnes âgées? Qui se fait passer pour un agent de police afin de dérober les maigres économies que des retraités ont cachées dans le placard de la cuisine ou de la buanderie pour payer leurs obsèques? Qui, au prétexte de montrer des nappes, fait entrer des complices chez des personnes handicapées ou aveugles? Et que dire de l’arnaque du verre d’eau et du papier?

S’agit‑il vraiment d’un préjugé lorsque des citoyens se plaignent que les Sintis arrivent en Mercedes devant le Service de la protection sociale? N’est‑il pas vrai que presque aucun Rom n’a de travail régulier et ne paie de cotisations sociales? Pourquoi les membres de ce groupe s’isolent‑ils de la sorte, par exemple en se mariant entre eux, sans déclaration au Service de l’état civil? Pourquoi les pères des enfants sintis ne sont‑ils pas déclarés au Service d’aide sociale aux jeunes? (…)

Celui qui ne veut pas s’intégrer dans la société tout en vivant des prestations sociales ne peut prétendre avoir le sens de la communauté. Mes propos ne sont pas l’expression de ma seule opinion comme j’ai pu le constater en discutant avec de nombreux collègues. Ce ne sont pas des préjugés, des généralisations (“Pauschalisierungen”) ou des accusations, mais c’est le reflet de la réalité quotidienne d’une activité criminelle.

Je ne comprends absolument pas comment un fonctionnaire de police qui connaît cette situation peut être aussi partial dans son argumentation. Ses origines l’excusent en partie et sa carrière mérite des éloges, mais il devrait s’en tenir à la réalité des faits.».

2.2Les auteurs affirment que la lettre de P. L. contient de nombreux propos discriminatoires à l’égard des Sintis et des Roms. Ils estiment que P. L. a utilisé des stéréotypes racistes et dégradants, allant jusqu’à dire que la délinquance est une caractéristique essentielle des Sintis et des Roms. Ils notent en particulier que les termes «asticot» et «parasitisme» étaient utilisés par les nazis dans leur propagande contre les communautés juive, sinti et rom. Les auteurs affirment qu’une telle publication attise la haine envers les communautés sinti et rom, augmente les risques d’hostilité des fonctionnaires de police, et renforce l’exclusion sociale de cette minorité.

2.3En novembre 2005, après une protestation publique organisée par le Conseil central des Sintis et des Roms allemands, le Ministère bavarois de l’intérieur a suspendu P. L. de ses fonctions au commissariat de police de Fürth, au motif que les propos négatifs de portée générale visant des groupes de population précis, tels que les Sintis et les Roms dans le cas présent, n’étaient pas acceptables.

2.4Le 24 novembre 2005, le Conseil central des Sintis et des Roms allemands et R. R. ont porté plainte devant le Procureur du district de Heidelberg et, le 1er décembre 2005, la section bavaroise de l’Association des Sintis et des Roms allemands et F. R. ont déposé une plainte devant le Procureur du district de Nuremberg‑Fürth. Les deux plaintes ont ensuite été transmises à l’autorité compétente, à savoir le Procureur du district de Neuruppin (Brandenbourg). Le Procureur de Neuruppin a rejeté la première plainte le 4 janvier 2006 et la seconde le 12 janvier 2006, en développant le même raisonnement − c’est‑à‑dire que les éléments constitutifs de l’infraction qualifiée à l’article 130 du Code pénal allemand n’étaient pas réunis − et a donc refusé d’inculper P. L. d’une infraction au Code pénal.

2.5Le 12 janvier 2006, les auteurs ont fait appel devant le Procureur général ( Generalstaatsanwaltschaft ) du Land de Brandenbourg des deux décisions rendues par le Procureur du district de Neuruppin. Cet appel a été rejeté le 20 février 2006.

2.6Le 20 mars 2006, les auteurs ont interjeté appel devant la Cour suprême du Brandenbourg et ont été déboutés en date du 15 mai 2006. S’agissant des particuliers, la Cour a estimé que la plainte n’était pas fondée. S’agissant du Conseil central des Sintis et des Roms allemands et de la section bavaroise de l’Association des Sintis et des Roms allemands, elle a déclaré la plainte irrecevable au motif que leurs droits, en tant qu’associations, ne pouvaient avoir été atteints qu’indirectement.

2.7Les auteurs font valoir que le refus des autorités judiciaires d’engager des poursuites pénales privait les Sintis et les Roms allemands de toute protection contre la discrimination raciale. Ce faisant, l’État partie tolérerait que de telles pratiques discriminatoires se répètent. Les auteurs attirent l’attention sur une affaire similaire concernant des déclarations publiques à caractère discriminatoire visant les Juifs, dans laquelle la Cour suprême du Land de Hesse avait affirmé que les termes «parasite» et «parasitisme social» avaient été utilisés par le passé contre les Juifs à des fins malveillantes et diffamatoires, et avait estimé que de telles déclarations publiques déniaient aux membres d’une minorité le droit d’être considérés comme des membres égaux de la communauté.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment que l’Allemagne a violé les droits qui leur sont reconnus, en tant que particuliers et en tant que groupes par l’article 4 a) et c) et l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, étant donné que l’État partie ne leur offre pas la protection prévue par son Code pénal contre les publications qui contiennent des insultes visant des Sintis et des Roms.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note du 26 janvier 2007, l’État partie a formulé des observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Concernant la recevabilité, il fait valoir que le Conseil central des Sintis et des Roms allemands et que la section bavaroise de l’Association des Sintis et des Roms allemands n’ont pas qualité pour soumettre une communication au titre du paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention. Il affirme que seules les personnes ou les groupes de personnes qui se déclarent victimes d’une violation d’un droit énoncé dans la Convention peuvent adresser des communications au Comité. Aucune de ces deux associations ne se dit victime d’une action ou de l’inaction de l’État, et ne peuvent donc revendiquer la dignité due aux personnes. De plus, la communication diffère d’une autre affaire sur laquelle le Comité avait eu à se prononcer en l’espèce en ce que les plaignants ne dénoncent pas une atteinte à leur travail et ne déclarent pas être victimes en tant qu’organisations.

4.2L’État partie fait valoir qu’aucun des auteurs n’a étayé les griefs de violation de l’article 4 a) et c) de la Convention, et qu’aucun n’a épuisé les recours internes comme l’exige le paragraphe 2 de l’article 14. Il ajoute que les recours internes comprennent l’appel devant la Cour constitutionnelle fédérale et qu’aucun des auteurs ne s’est prévalu de ce recours, alors que rien ne permettait de penser qu’il était voué à l’échec. L’État partie fait valoir dans sa décision du 15 mai 2006 que la Cour suprême du Brandenbourg a déclaré la demande des deux premiers recourants irrecevable uniquement pour le motif qu’ils n’avaient pas la qualité de victime. Il considère, au moins en ce qui concerne les auteurs qui sont des personnes physiques, que la Cour constitutionnelle fédérale aurait pu examiner le jugement émis par la Cour suprême du Brandenbourg sur la liberté d’expression, garantie par l’article 5 de la Loi fondamentale allemande. Pour ce qui est de G. W., l’État partie note que ce dernier n’a pas engagé d’action pénale alors qu’il en avait la possibilité. Pour cette seule raison, il n’a pas épuisé les recours internes qui étaient à sa disposition et potentiellement utiles.

4.3Sur le fond, l’État partie nie qu’il y ait eu une violation de l’article 4 a) et c) et de l’article 6 de la Convention. En ce qui concerne l’article 4 a), l’État partie maintient que toutes les catégories d’infraction qui y sont visées tombent sous le coup de la loi pénale allemande, en particulier l’incitation à la haine raciale ou ethnique («Volksverhetzung») visée à l’article 130 du Code pénal. De plus, le Code pénal contient d’autres dispositions qui incriminent les actes racistes et xénophobes, par exemple l’article 86 (diffusion de propagande par des organisations inconstitutionnelles) et l’article 86 a) (utilisation de symboles par des organisations inconstitutionnelles). Les obligations découlant de l’article 4 a) de la Convention ont donc été pleinement prises en compte par l’article 130 du Code pénal et la protection n’a pas de lacunes à cet égard. Le fait que certains actes de discrimination ne soient pas expressément énoncés dans la disposition n’est pas contraire à la Convention. La liste figurant à l’article 4 a) de la Convention n’énumère pas tous les actes de discrimination imaginables, mais vise plutôt les actes de violence ou ceux qui ont pour but la propagande raciste.

4.4L’État partie ajoute que, conformément au paragraphe 2 de la Recommandation générale XV, l’article 130 du Code pénal allemand est effectivement appliqué. La législation pénale prévoit le principe de la légalité des poursuites, qui oblige les autorités chargées des poursuites à mener une enquête d’office sur le suspect et à engager une action publique si nécessaire. En l’espèce, l’État partie constate que le parquet a réagi immédiatement et que l’affaire a fait l’objet d’une enquête approfondie jusqu’à l’achèvement de la procédure par le Procureur du district de Neuruppin.

4.5En ce qui concerne l’interprétation et l’application de l’article 130 du Code pénal, l’État partie note que le Procureur du district de Neuruppin, le Procureur général du Brandenbourg et la Cour suprême du Brandenbourg n’ont pas estimé que les éléments constitutifs des infractions énoncées à l’article 130 ou à l’article 185 du Code pénal étaient réunis. Ces décisions montrent que tous les propos discriminatoires ne constituent pas une infraction d’incitation à la haine raciale ou ethnique, à moins de comporter un élément relatif à l’objectif de l’incitation à la haine raciale. L’État partie rappelle que dans toutes les décisions mentionnées il était relevé que les propos contenus dans la lettre étaient «déplacés», «de mauvais goût» et «injurieux et offensants». Il fait observer que ce qu’il faut déterminer avant tout c’est si les tribunaux ont correctement interprété les dispositions pertinentes du Code pénal. Il rappelle que les États parties ont une certaine latitude pour la mise en œuvre des obligations découlant de la Convention, en particulier en ce qui concerne l’interprétation de leurs normes légales nationales. En ce qui concerne les conséquences pour P. L. il signale que des mesures disciplinaires ont bien été prises à son encontre.

4.6Pour ce qui est de l’article 4 c) de la Convention, l’État partie nie en avoir violé les dispositions. Il fait observer que Der Kriminalistn’est pas publié par une autorité ou une institution publiques, mais par une association professionnelle. L’auteur de la lettre a publié celle‑ci à titre personnel, et non dans l’exercice de ses fonctions. L’absence de poursuites et de condamnation par le ministère public ne peut pas être considérée comme une violation des dispositions en cause, car pour qu’il y ait encouragement ou incitation il faut beaucoup plus que de simplement s’abstenir d’engager des poursuites pénales.

4.7Enfin, en ce qui concerne l’article 6 de la Convention, l’État partie maintient qu’en l’espèce, les autorités chargées des poursuites pénales ont agi rapidement et se sont pleinement acquittées de leurs obligations de protection effective en ouvrant immédiatement une enquête à l’encontre de P. L. Après un examen approfondi, les autorités ont conclu que le chef d’incitation à la haine raciale ou ethnique ne pouvait pas être établi et ont clos la procédure.

Commentaires des auteur s

5.1Dans une réponse du 7 mars 2007, les auteurs ont commenté les observations de l’État partie. Ils notent que les autorités allemandes n’ont pas ouvert d’enquête d’office sur l’affaire, mais qu’elles ont été poussées à agir par la plainte déposée par l’un des plaignants (le Conseil central des Sintis et des Roms allemands). Ils ajoutent qu’à ce jour le syndicat de police n’a en aucune manière désavoué l’article de P. L.

5.2Les auteurs font valoir que, bien que les organisations qui ont présenté conjointement la plainte n’aient pas été nommément attaquées dans l’article de P. L., il a été porté atteinte à leurs droits par l’incrimination sans nuances de l’ensemble de la minorité sinti et rom. Ils affirment que le dénigrement de la réputation sociale de la minorité a des retombées sur la réputation des organisations et leur capacité d’exercer une influence politique attendu, notamment, qu’elles agissent publiquement en tant que défenseurs de la minorité et qu’elles sont financées par l’État pour ce faire.

5.3Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, les auteurs affirment qu’une plainte devant la Cour constitutionnelle fédérale aurait été non seulement déclarée irrecevable mais n’aurait eu aucune chance d’aboutir, étant donné la jurisprudence de cette juridiction. Ils affirment ne connaître aucune affaire dans laquelle la Cour constitutionnelle fédérale aurait fait droit à un recours contre une décision concernant une procédure judiciaire.

5.4En ce qui concerne les dispositions du Code pénal, les auteurs doutent que les articles 130 et 185, avec leurs prescriptions très strictes, permettent de lutter efficacement contre la propagande raciste. Ils doutent que l’intention de la partie responsable «d’inciter à la haine contre des catégories de la population» (comme l’énonce l’article 130) soit absente en l’espèce, étant donné que P. L. est fonctionnaire de police.

5.5Les auteurs réaffirment que les appréciations exprimées dans l’article sur les communautés rom et sinti représentent une atteinte à la dignité de leurs membres, et qu’elles ne peuvent pas être considérées comme «l’expression acceptable d’une opinion», pas plus que comme «le sentiment et les impressions subjectifs d’un fonctionnaire de police». Si les mêmes appréciations avaient été portées sur des Juifs, elles auraient entraîné une intervention judiciaire de grande ampleur. Les auteurs ajoutent que l’État partie n’est pas défavorable à ce que ses fonctionnaires de police incriminent une catégorie entière de la population. L’approbation de telles déclarations publiques comporte le risque que d’autres fonctionnaires de police adoptent une attitude similaire à l’égard des Sintis et des Roms.

Observations supplémentaires des parties

6.Dans ses remarques en date du 31 mai 2007 et du 16 novembre 2007, l’État partie reprend pour l’essentiel les arguments exposés dans ses premières observations. Il affirme en particulier que l’article 130 du Code pénal a été utilisé avec succès par le passé pour agir contre la propagande d’extrême droite. Dans une communication du 27 juin 2007, les auteurs ont répondu aux remarques de l’État partie, en reprenant les arguments présentés antérieurement.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale doit, conformément à l’article 91 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu de la Convention.

7.2Le Comité relève que deux personnes morales figurent parmi les auteurs de la communication: le Conseil central des Sintis et des Roms allemands et la section bavaroise de l’Association des Sintis et des Roms allemands. Il prend note de l’objection de l’État partie qui fait valoir qu’une personne morale, contrairement à une personne physique ou à un groupe de personnes, ne peut pas adresser une communication ou revendiquer le statut de victime au titre du paragraphe 1 de l’article 14. Il prend également note de l’argument des auteurs qui affirment que les organisations ont présenté une plainte au nom de leurs membres en tant que «groupe de personnes» appartenant aux communautés rom et sinti, et qu’une atteinte à leurs droits propres découle des propos émis dans l’article considéré. Le Comité ne considère pas le fait que deux des auteurs soient des organisations comme un obstacle à la recevabilité de la communication. L’article 14 de la Convention énonce expressément la compétence du Comité pour recevoir des communications émanant de «groupes de personnes», et le Comité considère que, compte tenu de la nature des activités de ces organisations et du groupe de personnes qu’elles représentent, elles satisfont au critère relatif à la qualité de victime au sens du paragraphe 1 de l’article 14.

7.3Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie fait observer que les auteurs n’ont pas formé recours devant la Cour constitutionnelle fédérale. De leur côté les auteurs objectent que ce recours n’aurait eu aucune chance d’aboutir et renvoient à la jurisprudence de la Cour. Ils affirment − et l’État partie le reconnaît − que les personnes ne peuvent pas, en droit allemand, obliger l’État à engager des poursuites pénales. Le Comité a affirmé précédemment que l’auteur d’une communication est tenu d’épuiser uniquement les recours qui sont utiles dans les circonstances de son cas particulier. Il s’ensuit que, à l’exception de G. W., les requérants ont satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention.

7.4En ce qui concerne G. W., le Comité note que celui‑ci n’a pas porté plainte au pénal et n’était pas partie à la procédure engagée devant la Cour suprême du Brandenbourg. La communication est donc irrecevable en ce qui concerne G. W. pour non‑épuisement des recours internes.

7.5Pour ce qui est de l’article 4 c) de la Convention, le Comité accepte l’argument de l’État partie qui affirme que le BDK est une association professionnelle et non un organisme public, et que P. L. a écrit la lettre en cause à titre privé. Le Comité considère donc ce grief irrecevable.

7.6Au vu de ce qui précède, le Comité déclare la communication recevable en ce qui a trait à l’article 4 a) et à l’article 6 de la Convention et procède à son examen quant au fond.

7.7Sur le fond, le Comité doit déterminer avant tout si les dispositions du Code pénal allemand offrent une protection suffisante contre les actes de discrimination raciale. Les auteurs affirment que le cadre juridique existant et son application privent les Sintis et les Roms d’une protection effective. Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que le Code pénal contient les dispositions nécessaires pour assurer des sanctions effectives visant à lutter contre l’incitation à la discrimination raciale, conformément à l’article 4 de la Convention. Il estime qu’il appartient au Comité non pas de décider in abstracto si la législation interne est compatible ou incompatible avec la Convention, mais de déterminer si une violation a été commise dans le cas qui lui est soumis. Au vu des informations dont dispose le Comité, il n’apparaît pas que les décisions du Procureur de district et du Procureur général ainsi que celles de la Cour suprême du Brandenbourg aient été manifestement arbitraires ou aient représenté un déni de justice. De plus, le Comité note que l’article duKriminalista eu des conséquences pour son auteur, puisque des mesures disciplinaires ont été prises à son encontre.

8.Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, est d’avis que les faits dont il a été saisi ne font pas apparaître de violation de l’article 4 a) et de l’article 6 de la Convention.

9.Sans préjudice de ce qui précède, le Comité rappelle que l’article de P. L. a été perçu comme injurieux et offensant non seulement par les requérants, mais aussi par les autorités chargées des poursuites et par les autorités judiciaires qui ont examiné l’affaire. Le Comité souhaite attirer l’attention de l’État partie i) sur le caractère discriminatoire, insultant et diffamatoire des commentaires faits par P. L. dans la réponse qu’il a publiée dans Der Kriminalistet sur la portée particulière de propos de cette nature émanant d’un fonctionnaire de police, dont le devoir est de servir et protéger les particuliers et ii) sur la Recommandation générale XXVII, qu’il a adoptée à sa cinquante‑septième session, relative à la discrimination à l’égard des Roms.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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