Nations Unies

CAT/C/NGA/COAR/1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

21 décembre 2021

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales formulées en l’absence du rapport initial du Nigéria *

1.En l’absence du rapport initial de l’État partie, le Comité a examiné l’état d’application de la Convention au Nigéria à ses 1852e et 1855e séances, les 16 et 17 novembre 2021. Conformément à l’article 67 (par. 3) de son règlement intérieur, il a informé l’État partie de son intention d’examiner les mesures prises pour protéger les droits reconnus par la Convention ou leur donner effet, en l’absence de rapport, et d’adopter des observations finales. Il a examiné les renseignements fournis par des sources nationales et internationales, y compris d’autres mécanismes des Nations Unies, et adopté les présentes observations finales à sa 1868e séance, le 26 novembre 2021.

A.Introduction

2.Le Nigéria a adhéré à la Convention le 28 juin 2001. L’État partie avait l’obligation, en vertu de l’article 19 (par. 1) de la Convention, de soumettre son rapport initial le 28 juin 2002 au plus tard. Chaque année par la suite, le Nigéria a été inscrit sur la liste des États parties dont le rapport accusait un retard, qui figure dans le rapport annuel présenté par le Comité aux États parties et à l’Assemblée générale. Par une lettre datée du 27 juin 2012, le Comité a rappelé à l’État partie qu’il attendait toujours son rapport initial et qu’étant donné le retard important dans la soumission de celui-ci il pouvait examiner la situation dans le pays en l’absence de rapport. Le 10 décembre 2012, l’État partie a fourni au Comité des renseignements sur la mise en place, les attributions et les activités du Comité national contre la torture, comme suite à la lettre que le Président de celui-ci avait adressée au Comité le 26 septembre 2012. Par une lettre datée du 30 septembre 2019, le Comité a rappelé une nouvelle fois à l’État partie qu’il attendait toujours son rapport et qu’il pouvait examiner la situation dans le pays en l’absence de rapport. Il a également invité l’État partie à accepter la procédure simplifiée de présentation des rapports, qui l’aiderait à élaborer son rapport initial. En l’absence de réponse, le Comité a informé l’État partie, par des lettres datées du 9 décembre 2019 et du 27 mars 2020, qu’il avait décidé d’examiner l’application de la Convention en l’absence de rapport à sa soixante et onzième session. En raison de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) et de ses conséquences sur le fonctionnement des organes conventionnels et le déroulement des sessions en présentiel, le Comité a informé l’État partie, par une lettre datée du 5 octobre 2020, que l’examen de la situation dans le pays était reporté à sa soixante-douzième session. Le 10 septembre 2021, le Comité a informé une nouvelle fois l’État partie qu’il pourrait examiner la situation dans le pays en l’absence de rapport à sa soixante-douzième session, conformément à l’article 67 de son règlement intérieur. Il se félicite de ce que, le 22 octobre 2021, l’État partie a confirmé sa présence à la soixante-douzième session et sa participation ultérieure au dialogue.

3.Le Comité regrette toutefois que, pendant plus de dix-neuf ans, l’État partie ne se soit pas acquitté de l’obligation de soumettre des rapports qu’impose l’article 19 de la Convention, ce qui l’a empêché d’apprécier l’application de la Convention par l’État partie en se fondant sur un rapport initial.

4.Le Comité constate avec regret que malgré les engagements pris par l’État partie, à l’issue de l’Examen périodique universel mené par le Conseil des droits de l’homme en 2018, de renforcer la mise en œuvre de ses obligations internationales et sa coopération avec les mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme, notamment en faisant rapport à tous les organes conventionnels,l’État partie ne s’est pas encore acquitté de ses obligations en matière de soumission de rapports au titre de la Convention.

B.Aspects positifs

5.Le Comité constate avec satisfaction que, depuis son adhésion à la Convention, l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, le 28 juin 2001 ;

b)Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, le 28 juin 2001 ;

c)Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, le 27 septembre 2001 ;

d)La Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, le 16 juin 2003 ;

e)Le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le 22 novembre 2004 ;

f)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 27 juillet 2009 ;

g)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le 27 juillet 2009 ;

h)La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le 27 juillet 2009 ;

i)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, les 25 septembre 2010 et 27 septembre 2012, respectivement ;

j)La Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif s’y rapportant, le 24 septembre 2010 ;

k)La Convention relative au statut des apatrides et la Convention sur la réduction des cas d’apatridie, en 2011 ;

l)La Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, en 2012.

6.Le Comité salue également l’adoption par l’État partie des mesures législatives et institutionnelles ci-après dans des domaines intéressant la Convention :

a)La loi sur les droits de l’enfant, en 2003 ;

b)La loi portant ratification et application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, en 2004 ;

c)La loi sur l’administration de la preuve, en 2011 ;

d)La loi relative à la Commission nationale des droits de l’homme, en 2010 ;

e)La loi sur la prévention du terrorisme, en 2011 ;

f)La loi sur le Conseil de l’aide juridique du Nigéria, en 2012 ;

g)La loi relative à l’administration de la justice pénale, en 2015 ;

h)La loi interdisant la violence sur autrui, en 2015 ;

i)La loi contre la torture, en 2017 ;

j)La loi sur l’administration pénitentiaire, en 2019 ;

k)La loi portant création de la police nigériane, en 2020 ;

l)La loi relative à l’autonomie financière du pouvoir judiciaire, en 2020 ;

m)Les règles relatives à la procédure d’application des droits fondamentaux, en 2009 ;

n)Le plan d’action visant à faire cesser et à prévenir le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés, en 2017 ;

o)Le plan d’action national pour la promotion et la protection des droits de l’homme et le plan de travail stratégique pour la période 2019-2022 ;

p)La création du Département chargé de l’administration et de la réforme de la justice pénale.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Application directe de la Convention par les juridictions nationales

7.Le Comité salue l’adoption de la loi contre la torture, qui est applicable sur l’ensemble du territoire de l’État partie. Il se dit toutefois préoccupé par le manque d’informations sur la manière dont les tribunaux nationaux appliquent directement la Convention dans la pratique et sur les cas dans lesquels les articles de la Convention ont été appliqués directement par ces juridictions (art. 2 et 12).

8. L’État partie devrait dispenser aux membres du pouvoir judiciaire et aux avocats une formation spécifique sur les moyens d’appliquer directement la Convention et de faire valoir devant les tribunaux les droits consacrés par ses dispositions, et fournir, dans son prochain rapport périodique, des renseignements sur les cas dans lesquels les dispositions de la Convention ont été invoquées devant les tribunaux nationaux .

Interdiction absolue de la torture

9.Le Comité note que la définition de la torture qui figure dans la loi contre la torture englobe les actes de torture infligés pour intimider ou contraindre une personne ou un tiers pour tout motif fondé sur une forme de discrimination, quelle qu’elle soit, mais ne vise toutefois pas les actes susceptibles de constituer des faits de torture commis uniquement à des fins de discrimination, contrairement à ce que prévoit la Convention. Il constate en outre avec inquiétude que la loi contre la torture ne vise pas la tentative de commettre un acte de torture, comme le fait l’article 4 de la Convention, et ne contient aucune disposition interdisant de prévoir un délai de prescription ou d’accorder une amnistie ou une grâce pour les actes de torture (art. 1er et 4).

10. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De poursuivre ses efforts pour rendre sa définition de la torture pleinement conforme à l’article 1 er de la Convention et d’y ajouter la formule « ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit » afin que cette fin figure expressément parmi les différentes fins auxquelles sont commis les actes de torture qui y sont visées ;

b) D’inscrire dans la loi contre la torture une disposition qui érige en infraction la tentative de commettre un acte de torture ;

c) De préciser et de garantir que la loi ne saurait prévoir expressément la prescription du crime de torture, conformément à l’observation générale n o 3 (2012) du Comité sur l’application de l’article 14, et que la torture est expressément exclue du champ d’application des dispositions relatives à l’amnistie ou à la grâce .

Garanties fondamentales

11.Le Comité accueille avec satisfaction la promulgation de la loi sur l’administration de la justice pénale et l’engagement pris par l’État partie dans le cadre de l’Examen périodique universel de continuer à renforcer le système judiciaire, mais il est préoccupé par les nombreuses lacunes qui persistent dans le respect des garanties fondamentales, malgré les dispositions juridiques existantes, notamment par :

a)Les nombreux cas de personnes placées en garde à vue pour une durée supérieure au délai légal de vingt-quatre ou quarante-huit heures (en violation de l’article 35 de la Constitution et de l’article 62 de la loi sur la police) ;

b)Les allégations d’arrestations arbitraires et de détentions au secret sans que les personnes concernées soient autorisées à prendre contact avec un proche ou un tiers de son choix et l’absence d’utilisation systématique et cohérente de registres des personnes privées de liberté, à tous les stades de la détention, et des données qu’ils contiennent ;

c)Les informations selon lesquelles les personnes arrêtées ne reçoivent pas systématiquement des informations sur le motif de leur arrestation et sur leurs droits, y compris le droit d’être représenté par un avocat ;

d)Le fait qu’il est difficile d’obtenir une aide juridique dans la pratique, malgré la création du Conseil de l’aide juridique du Nigéria, dont les bureaux dans les 36 États sont sous-financés ;

e)L’absence d’enregistrement audio ou vidéo systématique des interrogatoires pendant la garde à vue, malgré l’obligation expresse faite par la loi ;

f)L’absence d’examen par un médecin indépendant dès le début de la détention (art. 2).

12. Le Comité invite instamment l’État partie à :

a) Garantir le droit des détenus d’être traduits dans le plus court délai devant un juge, ou d’être libérés, et de contester la légalité de leur détention, quel que soit le stade de la procédure ;

b) Veiller à ce que la privation de liberté soit consignée avec précision dans des registres à tous les stades de la procédure, et garantir le droit des personnes privées de liberté d’informer un proche ou une autre personne de leur choix de leur arrestation ou de leur détention ;

c) Veiller à ce que les personnes arrêtées et détenues soient immédiatement informées des accusations portées contre elles et des faits qui leur sont reprochés et puissent avoir rapidement accès à un avocat ou à une aide juridique gratuite tout au long de la procédure, y compris pendant l’interrogatoire initial et l’enquête, conformément aux Principes de base relatifs au rôle du barreau et aux Principes et lignes directrices des Nations Unies sur l’accès à l’assistance juridique dans le système de justice pénale ;

d) Fournir les ressources humaines et financières nécessaires au bon fonctionnement de toutes les antennes locales du Conseil de l’aide juridique ;

e) Faire en sorte que les interrogatoires des personnes privées de liberté soient enregistrés sur un support audiovisuel , que les enregistrements soient conservés dans un lieu sûr et sous le contrôle d’organes de surveillance et qu’ils soient mis à la disposition des enquêteurs, des détenus et des avocats, et fournir le soutien technique et financier nécessaire à la police pour faciliter l’application de cette recommandation ;

f) Veiller à ce que les détenus aient le droit de demander et d’obtenir un examen médical effectué par un médecin indépendant ou un médecin de leur choix et à ce qu’ils puissent bénéficier de cet examen sans conditions et en toute confidentialité dès leur arrivée dans un poste de police, un centre de détention ou une prison ;

g) Dispenser une formation adéquate et régulière sur les dispositions légales applicables, contrôler le respect de ces dispositions et sanctionner tout manquement de la part des fonctionnaires .

Allégations de torture, de mauvais traitements, de détention arbitraire et d’usage excessif de la force

13.Le Comité prend note avec satisfaction de l’action menée en vue de réformer la police, notamment de l’adoption de la loi sur la police et de la révision de l’ordonnance 237 sur les forces de police, qui reprennent les normes internationales, mais il reste préoccupé par les informations selon lesquelles il est fait un usage excessif de la force, y compris de la force meurtrière sous la forme de tirs conduisant à des exécutions extrajudiciaires, lors des arrestations ou des opérations de maintien de l’ordre pendant les manifestations. Il est également préoccupé par la militarisation croissante des activités de maintien de l’ordre menées dans le cadre d’opérations conjointes, comme lors des manifestations qui se sont tenues à Lagos le 20 octobre 2020 sous le slogan #EndSARS, ainsi que dans le contexte du confinement imposé pour contenir la propagation de la COVID-19, qui a donné lieu à 38 plaintes pour exécution extrajudiciaire déposées auprès de la Commission nationale des droits de l’homme, ou encore lors d’autres manifestations ayant eu lieu dans les États du sud‑est. Il est en outre vivement préoccupé par les allégations de fautes graves commises par la Brigade spéciale de lutte contre le vol à main armée de la police nigériane. Il prend note de la réponse de l’État partie à ces allégations, indiquant que la Commission nationale des droits de l’homme a été chargée de mener des enquêtes, que des commissions d’enquête judiciaire ont été créées au niveau fédéral et dans les États, et que la brigade spéciale a été démantelée. Il note que les commissions judiciaires auraient reçu 2 500 plaintes pour torture et mauvais traitements, arrestations et détentions arbitraires et exécutions extrajudiciaires, mais demeure préoccupé par le fait qu’aucun rapport d’enquête sur ces plaintes n’a été rendu public et que les auteurs de ces actes restent impunis. Certaines de ces commissions auraient cessé de siéger faute de financement. Le Comité est également préoccupé par la manière dont la police applique une loi de 2014 aux personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes, notamment pour légitimer les arrestations et les détentions arbitraires, ainsi que par les informations concernant les détentions arbitraires sans inculpation pénale ni déclaration de culpabilité, et les mauvais traitements infligés aux personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial dans des établissements publics et privés, notamment des centres de guérison religieux et traditionnels, ainsi qu’aux toxicomanes, en particulier par les membres de l’Agence nationale de détection et de répression des infractions liées à la drogue et dans les centres de réadaptation pour toxicomanes (art. 1er, 2, 11 à 14 et 16).

14. L’État partie est instamment invité à :

a) Veiller à ce que les membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité continuent de recevoir une formation sur l’interdiction absolue de la torture et sur le recours à la force, y compris l’ordonnance 237 sur les forces de police, qui tienne compte des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ;

b) Rendre publiques les conclusions des commissions d’enquête judiciaire, faire en sorte que des enquêtes soient immédiatement menées par un organisme indépendant sur les allégations de violations commises par la police, les membres de la Brigade spéciale de lutte contre le vol à main armée et les forces de sécurité intervenant dans les activités de maintien de l’ordre, et fournir des données ventilées sur les poursuites engagées, les réparations accordées aux victimes et les ressources allouées à cette fin ;

c) Mettre fin aux détentions arbitraires et aux agressions contre les personnes handicapées, les toxicomanes et les personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes et enquêter sur ces faits, en poursuivre les auteurs présumés et assurer des recours utiles aux victimes .

Irrecevabilité des aveux obtenus par la torture

15.Le Comité note avec satisfaction que le cadre juridique en place interdit l’utilisation d’aveux obtenus par la torture (loi contre la torture, loi sur l’administration de la preuve et loi relative à l’administration de la justice pénale), mais il est préoccupé par les informations dénonçant un recours persistant à la torture lors des interrogatoires menés par les policiers, les militaires et les membres de la Force civile mixte. Malgré les garanties juridiques existantes, notamment l’enregistrement des aveux (voir plus haut, par. 11) ou la possibilité de dénoncer devant un juge les violences subies, de nombreuses informations montrent que les aveux obtenus par la contrainte sont acceptés dans la pratique, en violation de la loi. Le Comité regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information concrète sur l’application de ces garanties juridiques par les juges dans la pratique (art. 2, 10 et 15).

16. L’État partie devrait :

a) Adopter des mesures efficaces pour faire en sorte que, dans la pratique, les aveux, les déclarations et les autres éléments de preuve obtenus par la torture ou des mauvais traitements soient irrecevables, sauf contre les personnes accusées d’avoir commis des actes de torture, lorsqu’il s’agit de prouver que la déclaration a été faite sous la contrainte, et pour garantir que les procureurs et les juges demandent à tous les accusés dans les affaires pénales s’ils ont été torturés ou maltraités, que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements formulées dans le cadre de procédures judiciaires donnent lieu à une enquête rapide et efficace et que les auteurs présumés soient poursuivis et punis, et fournir des informations sur les affaires en question ;

b) Veiller à ce que tous les policiers, les agents de la sécurité nationale, les militaires, les juges et les procureurs suivent une formation obligatoire mettant l’accent sur le lien entre les techniques d’interrogatoire non coercitives, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements et l’obligation pour les organes judiciaires de déclarer irrecevables les aveux obtenus par la torture .

Détention provisoire et surpeuplement carcéral

17.Le Comité se félicite des efforts déployés par l’État partie pour remédier au recours excessif à la détention provisoire prolongée, responsable du surpeuplement chronique des centres de détention, et qui l’ont amené à adopter la loi relative à l’administration de la justice pénale, dont l’article 34 charge les présidents de tribunaux ou les magistrats au niveau des États d’assurer des inspections mensuelles dans les postes de police et autres lieux de détention relevant de leur juridiction, à l’exception des prisons, d’inspecter les registres des arrestations, d’ordonner la comparution des suspects et d’accorder des libérations sous caution. Il prend note des informations concernant la mise en œuvre du programme de désengorgement des prisons, notamment de la remise en liberté d’environ 2 000 détenus et de 160 mineurs, ainsi que des informations signalant que 7 813 détenus ont été libérés des centres correctionnels dans le but de réduire la surpopulation et de contrôler la propagation de la pandémie de COVID-19 en 2020. Il est toutefois préoccupé par le fait qu’environ 72 % de la population carcérale est toujours en attente de jugement, en dépit des mesures susmentionnées. Il note également que les détenus peuvent contester la légalité de leur détention devant un juge et déposer plainte auprès de la Commission nationale des droits de l’homme, mais constate avec regret que ce système est inefficace, notamment en raison des retards importants dans l’accès à la justice (art. 2, 11 à 13 et 16).

18. L’État partie devrait :

a) S’assurer que la loi relative à l’administration de la justice pénale soit correctement appliquée, en particulier que la détention provisoire fasse l’objet d’un contrôle effectif, que sa durée n’excède pas la durée maximale fixée par la loi et soit aussi brève que possible et que cette mesure reste exceptionnelle, nécessaire et proportionnée ;

b) Faire en sorte que la détention provisoire soit étroitement surveillée par les tribunaux ;

c) Tenir compte des enseignements tirés du programme fédéral de désengorgement et de la pandémie de COVID-19, et intensifier ses efforts pour réduire sensiblement la surpopulation carcérale, en ayant davantage recours à des mesures de substitution à la privation de liberté, telles que la libération conditionnelle ou la libération anticipée, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) ;

d) Veiller à ce que des mécanismes de plainte efficaces, indépendants et accessibles soient à la disposition de toutes les personnes privées de liberté et à ce que les plaintes fassent l’objet d’une enquête rapide, impartiale et approfondie .

Conditions de détention

19.Le Comité prend note de la déclaration de l’État partie sur les réformes en cours dans le secteur pénitentiaire, mais reste préoccupé par les nombreuses informations signalant de mauvaises conditions matérielles et sanitaires dans tous les lieux de privation de liberté, et une insuffisance de l’accès à des soins médicaux appropriés, y compris pour les personnes atteintes de maladies transmissibles, ainsi qu’à la nourriture et à l’eau. Il est également préoccupé par les informations concernant l’absence de séparation entre les détenus mineurs et les adultes et entre les détenus condamnés et les personnes en détention provisoire, ainsi que la détention de femmes enceintes et allaitantes et de personnes handicapées dans des établissements pénitentiaires généraux, sans accès à des services de santé appropriés. Il regrette l’absence d’informations fiables sur le nombre total de décès en prison, les causes de ces décès et les enquêtes s’y rapportant, par exemple en ce qui concerne les faits survenus à la prison d’Ikoyi en décembre 2019 qui ont été signalés (art. 2, 11 et 16).

20. L’État partie devrait :

a) Améliorer les conditions matérielles dans les locaux de détention de la police et les établissements pénitentiaires, notamment pour ce qui est de l’aération et de l’accès à une nourriture suffisante et à l’eau courante, et prendre des mesures pour rendre les conditions de détention et les procédures opérationnelles conformes à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) ;

b) Mettre en place des systèmes permettant de séparer les détenus mineurs des adultes et les détenus condamnés des personnes en détention provisoire, faire en sorte que les femmes soient détenues dans des conditions tenant compte de leurs besoins et que leurs enfants soient immédiatement libérés des lieux de détention, veiller à ce que les personnes handicapées soient détenues dans des conditions humaines et à ce que les prisons soient adaptées à leurs besoins, et faire en sorte que les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial , placées en détention provisoire ou condamnées, soient transférées des établissements de détention vers des hôpitaux psychiatriques ou des établissements de soins adaptés ;

c) Fournir des services de santé appropriés à tous les détenus, notamment à ceux qui présentent un handicap, et prévoir un examen médical complet et indépendant pour tous les détenus dès le début de la détention et à intervalles réguliers pendant toute la durée de la détention ;

d) Faire en sorte que tous les cas de décès en détention fassent rapidement l’objet d’une enquête approfondie et impartiale, y compris d’un examen médico-légal indépendant, prendre des mesures pour garantir l’allocation des ressources humaines et matérielles nécessaires pour assurer aux détenus des soins de santé appropriés, évaluer l’efficacité des programmes visant à prévenir le suicide et l’automutilation, ainsi que des programmes de prévention, de dépistage et de traitement des maladies chroniques, dégénératives, infectieuses ou contagieuses dans les prisons, et recueillir et fournir des données détaillées sur les décès en détention et sur leurs causes .

Surveillance indépendantedes lieux de privation de liberté et Protocole facultatif

21.Le Comité note que l’État partie a ratifié le Protocole facultatif le 27 juillet 2009 et qu’il a créé, le 29 septembre 2009, le Comité national contre la torture, qui est chargé de visiter les lieux de détention au Nigéria et d’enquêter sur toute plainte pour torture dans ces lieux. Il note également que le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a effectué une visite de conseil dans l’État partie en 2014, mais regrette que le Sous-Comité n’ait pas été notifié de la désignation d’un mécanisme national de prévention et qu’il n’ait effectué aucune visite officielle dans l’État partie à ce jour. Il constate en outre que le Comité national contre la torture a été créé par un mandat et non par un acte législatif régissant ses fonctions, ses attributions et son financement, et il est vivement préoccupé par le manque d’indépendance juridique, opérationnelle et financière de cet organe, qui relève du Ministère fédéral de la justice et ne dispose pas de ressources propres (art. 2, 11, 13 et 16).

22. L’État partie est instamment invité à :

a) Prendre des mesures pour rendre le fonctionnement du Comité national contre la torture conforme au Protocole facultatif se rapportant à la Convention et garantir son indépendance et pour doter le Comité national d’un personnel et de ressources suffisants ainsi que du budget nécessaire pour lui permettre de s’acquitter efficacement de son mandat de prévention, conformément aux Directives concernant les mécanismes nationaux de prévention ;

b) Envisager de solliciter l’assistance technique de l’ONU, notamment les conseils du Sous-Comité, en vue de la création du mécanisme national de prévention, conformément à l’article 11 du Protocole facultatif ;

c) Veiller à ce que tous les lieux de privation de liberté fassent effectivement l’objet de visites de contrôle régulières de la part d’un organisme indépendant comprenant du personnel médical que les visites puissent être effectuées sans préavis, et que les contrôleurs puissent avoir des entretiens confidentiels et privés avec les personnes privées de liberté, sans subir de représailles, et puissent rendre compte publiquement de leurs conclusions ;

d) Autoriser les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme et les acteurs de la société civile qui fournissent des services en matière de soins de santé et d’éducation à mener des activités de surveillance dans les centres de détention .

Mesures de lutte contre le terrorisme

23.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie s’est engagé, dans le cadre de l’Examen périodique universel de 2018, à adopter des mesures pour lutter contre l’impunité en mettant l’accent sur les crimes de Boko Haram. Il est toutefois préoccupé par la dégradation continue des conditions de sécurité due aux attaques systématiques de groupes armés non étatiques ainsi qu’aux heurts entre agriculteurs et éleveurs, qui ont entraîné le déplacement d’environ 2,9 millions de personnes dans le nord-est du pays, et par les informations selon lesquelles Boko Haram utilise des enfants comme combattants ou les soumet à d’autres formes d’exploitation à des fins de mariage forcé, d’esclavage sexuel et de travail forcé. Il est également préoccupé par les nombreuses allégations d’exécutions extrajudiciaires, de torture, de disparitions forcées et de violences sexuelles commises par les militaires et la Force civile mixte au cours des opérations de sécurité, mentionnées par la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires dans son rapport de 2021. Le Comité regrette l’absence d’informations sur les enquêtes et les poursuites menées, leur issue et les réparations accordées aux victimes, malgré la création en 2017 par l’État partie de la Commission spéciale d’enquête et du Groupe d’enquête présidentiel chargés d’examiner le respect par les forces armées de leurs obligations en matière de droits de l’homme et de leurs règles d’engagement. Il est en outre troublé par les informations concernant les cas de détention arbitraire et au secret, notamment de femmes et d’enfants soustraits à des acteurs non étatiques ou prétendument affiliés à ceux-ci, les décès dans les camps de personnes déplacées gérés par l’armée dans tout l’État de Borno en 2015 et 2016, le bombardement en 2017 du camp de personnes déplacées de Rann, qui a fait au moins 160 victimes, les décès et les mauvaises conditions dans les centres de détention militaires, en particulier dans la caserne de Giwa et sur la base militaire de Kainji, et l’absence d’enquêtes à ce sujet. Il salue le plan d’action visant à faire cesser et à prévenir le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés, signé par la Force civile mixte en 2017, mais reste préoccupé par les informations signalant l’utilisation de garçons âgés de 13 à 17 ans par des militaires à des fins d’appui dans l’État de Borno, en 2019 (art. 2, 11, 12 et 16).

24. L’État partie est instamment invité à :

a) Redoubler d’efforts pour assurer la sécurité de la population touchée par le conflit et pour prévenir les violations de ses droits fondamentaux par toute partie au conflit, et veiller à ce que les militaires et les membres de la Force civile mixte respectent les instruments relatifs aux droits de l’homme et le droit international humanitaire et cessent de détenir des femmes et des enfants pour des motifs arbitraires ;

b) Prendre des mesures pour accroître la transparence des enquêtes, notamment en publiant les conclusions des organismes chargés de ces enquêtes (voir plus haut, par . 23), continuer d’ouvrir sans délai des enquêtes impartiales et efficaces sur les allégations de violations commises dans le cadre d’opérations de lutte contre le terrorisme par des acteurs étatiques et non étatiques, en particulier les militaires et les membre de la Force civile mixte, poursuivre et punir les responsables des faits et garantir aux victimes l’accès à des recours utiles et à une réparation intégrale ;

c) Veiller à ce que les registres des arrestations et des décès de personnes détenues par les militaires soient examinés par un organe judiciaire, libérer immédiatement les enfants détenus dans tous les centres de détention militaires et ne recourir à la détention des délinquants mineurs qu’en dernier ressort et dans des locaux appropriés ;

d) Continuer de renforcer les efforts visant à prévenir l’utilisation d’enfants soldats, veiller à ce que les enfants ne soient pas utilisés dans des rôles de soutien par les militaires et enquêter rapidement sur de tels cas .

Institution nationale des droits de l’homme

25.Le Comité note que la Commission nationale des droits de l’homme a pour mandat de visiter les lieux de privation de liberté, de recevoir des plaintes, de mener des enquêtes, de se prononcer sur l’octroi d’indemnités et d’exiger l’exécution de ses décisions. Il note également qu’elle participe activement à des activités de conseil, de formation et de plaidoyer et contribue aux travaux de plusieurs organes d’enquête. Toutefois, il regrette de ne pas disposer d’informations sur la suite donnée aux 27 858 plaintes pour torture et mauvais traitements que la Commission a reçues entre 2019 et 2020, sur les indemnités accordées et versées, et sur les affaires transmises au procureur général au niveau fédéral et au niveau des États à des fins de poursuites. Il est en outre préoccupé par l’insuffisance des ressources allouées à cette institution (art. 2).

26. En ce qui concerne la Commission nationale des droits de l’homme, l’État partie devrait :

a) Consolider sa structure pour lui permettre de s’acquitter efficacement de son mandat dans toutes les régions du pays, et la doter de ressources humaines, financières et institutionnelles suffisantes, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) ;

b) Veiller à ce qu’elle traite rapidement et efficacement les plaintes pour torture et mauvais traitements et rende compte publiquement et régulièrement de l’issue des affaires et des indemnités accordées ;

c) Préciser les modalités de coordination avec le Comité national contre la torture pour ce qui est des visites des lieux de détention, faire en sorte d’éviter tout chevauchement s’il y a lieu, et renforcer le mécanisme d’orientation des plaintes .

Peine de mort

27.Le Comité prend note de la recommandation émise en 2003 par un groupe d’étude national tendant à l’instauration d’un moratoire sur la peine de mort et du fait qu’aucune exécution n’aurait eu lieu depuis 2016, mais il constate avec regret que des condamnations à mort ont continué à être prononcées en 2019 et 2020. Il prend acte de l’adoption de la loi sur l’administration pénitentiaire, en particulier de son article 12 (par. 2) c)) qui prévoit la commutation de la peine de mort en peine d’emprisonnement à vie pour les détenus qui ont passé plus de dix ans dans le couloir de la mort, ainsi que des réexamens périodiques des condamnations à mort effectués par le Comité présidentiel consultatif sur l’exercice du droit de grâce et les comités analogues mis en place au niveau des États. Il regrette toutefois l’absence de données officielles sur le nombre de personnes en attente d’exécution − certaines sources estimant ce nombre à pas moins de 2 700 − et l’absence de détails sur l’application de la disposition relative à la commutation de peine et sur les grâces accordées sur l’ensemble du territoire. Le Comité est consterné par les informations selon lesquelles la peine capitale peut être imposée dans 12 États soumis à la charia pour des infractions telles que l’adultère, l’apostasie, la sorcellerie ou les relations sexuelles entre personnes du même sexe. Il est également consterné de constater que, malgré la déclaration de l’État partie selon laquelle la peine de mort ne peut être imposée à une personne de moins de 18 ans (art. 16), cette sanction peut être prononcée à l’égard de mineurs, du fait que la définition de l’enfant dans la charia est vague, le critère retenu étant celui du début de la puberté.

28. Le Comité invite instamment l’État partie à :

a) Interdire immédiatement l’imposition de la peine de mort à toute personne de moins de 18 ans, conformément au droit fédéral, y compris dans les États soumis à la charia ;

b) Commuer toutes les condamnations à mort déjà prononcées en peines d’emprisonnement, conformément aux dispositions de la loi sur l’administration pénitentiaire, envisager d’instaurer un moratoire officiel sur la peine de mort pour toutes les infractions sur l’ensemble du territoire et de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, et fournir des détails sur les peines commuées et les grâces accordées .

Châtiments corporels infligés aux enfants

29.Le Comité note avec une vive préoccupation que le recours aux châtiments corporels à l’égard des enfants, qu’autorise la loi (art. 295 du Code pénal applicable dans les États du Sud et art. 55 du Code pénal pour les États du Nord), est fréquent dans le cadre privé, notamment dans la famille et dans le contexte de la protection de remplacement. Il regrette que la loi de 2003 sur les droits de l’enfant n’ait pas été transposée dans la législation de tous les États. Il relève en particulier que l’article 11 de cette loi interdit la torture et les mauvais traitements et que son article 221 (par. 1) b)) interdit les châtiments corporels pour des infractions pénales. Il est consterné par les informations selon lesquelles l’article 11 de la loi n’est pas interprété comme interdisant les châtiments corporels infligés aux enfants dans le cadre privé et des châtiments corporels peuvent encore être infligés aux personnes de moins de 18 ans pour sanctionner une infractiondans les États soumis à la charia (art. 1er, 2, 4, 11 et 16).

30. L’État partie devrait :

a) Prendre de nouvelles mesures pour que la loi de 2003 sur les droits de l’enfant soit transposée dans la législation de tous les États sur l’ensemble du territoire, aligner l’interprétation de l’article 11 de cette loi sur les normes internationales, et interdire expressément en droit et dans la pratique, dans tous les contextes, les châtiments corporels à l’égard des enfants, infligés du fait d’actes ou d’omissions d’agents de l’État et d’autres personnes qui engagent la responsabilité de l’État au regard de la Convention pour sanctionner une infraction ou à des fins disciplinaires ;

b) Promouvoir le recours à des formes positives et non violentes de discipline plutôt qu’aux châtiments corporels, et mener des campagnes de sensibilisation du public aux effets néfastes des châtiments corporels, notamment sur les enfants .

Violence fondée sur le genre

31.Le Comité se félicite de l’adoption de la loi sur l’interdiction de la violence à l’égard des personnes, mais regrette que celle-ci ne soit pas encore applicable dans tous les États. Il prend note des mesures administratives prises par l’État partie, notamment de la déclaration par les gouverneurs des États d’un état d’urgence en ce qui concerne la violence fondée sur le genre, de la création par le Ministère de la justice d’unités spécialisées dans les questions de genre et de la création de centres d’orientation pour les victimes de violences sexuelles. Il demeure toutefois alarmé par le caractère généralisé des violences sexuelles et fondées sur le genre infligées par Boko Haram et par l’absence de protection contre les enlèvements de filles et de garçons commis par des groupes armés depuis 2014 dont il est fait état. Il est vivement préoccupé par les allégations de violences sexuelles commises contre des femmes et des filles par des officiers de la Force civile mixte, en particulier dans les camps installés dans l’hôpital et l’école secondaire de Bama, et par les allégations d’exploitation et de violence sexuelles dans les camps de déplacés gérés par l’État, les camps informels et les communautés locales de Maiduguri (État de Borno) et dans tout le nord-est. Il est aussi alarmé par le fait que les mutilations génitales féminines continuent d’être pratiquées sans que l’État partie prenne des mesures efficaces pour y mettre fin. Il est en outre préoccupé par le taux élevé de mortalité maternelle, souvent dans le cas de grossesses résultant d’un viol et du fait des entraves à l’accès à la contraception et de l’incrimination de l’avortement, sauf lorsque celui-ci a pour but de sauver la vie de la mère, autant de circonstances qui poussent les femmes à pratiquer des avortements illégaux et non médicalisés mettant en danger leur santé et leur vie (art. 2, 12 à 14 et 16).

32. Le Comité invite instamment l’État partie à continuer de s’employer à lutter contre toutes les formes de violence sexuelle et de violence fondée sur le genre, en particulier dans les cas d’actes ou d’omissions des autorités publiques ou d’autres entités qui engagent la responsabilité internationale de l’État partie au regard de la Convention . L’État partie devrait en particulier :

a) Redoubler d’efforts pour que la loi sur l’interdiction de la violence à l’égard des personnes soit transposée dans la législation de tous les États sur l’ensemble de son territoire ;

b) Prendre des mesures efficaces pour protéger les personnes déplacées à l’intérieur du pays, en particulier les femmes et les filles, prévenir et éliminer la pratique des mutilations génitales féminines et prévoir des mesures de protection pour les filles exposées à ce risque, et veiller à ce que des enquêtes efficaces soient menées sur tous les cas de violences fondées sur le genre commises par des acteurs étatiques et non étatiques, à ce que des poursuites soient engagées contre les auteurs présumés des faits et à ce que les victimes obtiennent réparation, notamment une indemnisation adéquate et l’accès à des services médicaux et à des conseils, et fournir des détails sur ces cas ;

c) Garantir l’accès à des services complets en matière de santé sexuelle et procréative et dépénaliser l’interruption volontaire de grossesse dans les cas où le fait de mener la grossesse à terme causerait des souffrances considérables à la femme, où la grossesse est le résultat d’un viol et où la grossesse n’est pas viable .

Impunité : absence d’enquête et de poursuites concernant les actes de torture et les mauvais traitements

33.Compte tenu de l’ampleur des allégations et des plaintes dénonçant des actes de torture, des mauvais traitements et des actes de violence fondée sur le genre imputables à des acteurs non étatiques et à des agents de l’État, notamment des policiers, des membres de la Brigade spéciale de lutte contre le vol à main armée, des militaires et des membres de la Force civile mixte, des informations selon lesquelles les mécanismes de surveillance de la police, notamment la Commission des services de police et la Commission nationale des droits de l’homme, demeurent inefficaces, et du fait que de nombreux groupes et commissions d’enquête ont été créés en vain au niveau fédéral, au niveau des États et dans l’armée, le Comité est profondément préoccupé par la non mise en cause des responsabilités que traduit le nombre limité de mesures disciplinaires et de poursuites pénales signalées, qui contribue à créer un climat d’impunité (art. 1er, 2, 4, 11 à 13 et 16).

34. En plus des recommandations formulées plus haut, exhortant l’État partie à mener des enquêtes rapides et efficaces concernant les allégations de violations commises par des acteurs étatiques et non étatiques, le Comité engage l’État partie à :

a) Fournir des informations complètes et précises sur les sanctions disciplinaires et pénales prononcées à l’égard des policiers, des membres de la Brigade spéciale de lutte contre le vol à main armée et de la Force civile mixte et des militaires soupçonnés ou reconnus coupables d’actes de torture, de mauvais traitements, d’exécutions extrajudiciaires et de détentions arbitraires, entre autres, ainsi que contre des acteurs non étatiques ;

b) Prendre immédiatement des mesures pour mettre en place un mécanisme de surveillance de la police efficace et indépendant ;

c) Veiller à ce que les commissions judiciaires ou les commissions d’enquête ne soient pas simplement créées et utilisées pour remplacer les procédures pénales appropriées, et s’assurer qu’il n’existe pas de lien institutionnel ou hiérarchique entre les personnes chargées d’enquêter et les auteurs présumés des actes visés ;

d) Faire en sorte qu’en cas de torture ou de mauvais traitements, les fonctionnaires en cause soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pour toute la durée de l’enquête afin qu’ils ne puissent pas commettre une nouvelle fois les actes dont ils sont soupçonnés, exercer des représailles contre la victime présumée ou faire obstruction à l’enquête ;

e) Veiller à ce que la formation aux dispositions de la Convention et à l’interdiction absolue de la torture soit obligatoire pour les membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité, le personnel pénitentiaire, le personnel médical, les juges, les procureurs et les avocats et à ce que le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) devienne un élément essentiel de la formation .

Réparation, notamment sous forme d’indemnisation et de réadaptation

35.Le Comité salue l’adoption des articles 6 et 9 de la loi contre la torture, qui accordent aux victimes le droit d’être assistées par un conseil et de demander réparation pour les actes de torture et les mauvais traitements subis, et de la partie 32 de la loi de 2015 sur l’administration de la justice pénale, qui prévoit que les victimes d’infraction peuvent obtenir le remboursement de leurs dépenses et se voir accorder des mesures d’indemnisation, de réparation et de restitution, mais regrette l’absence de renseignements sur l’application concrète de ces dispositions, y compris de données sur les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements qui ont obtenu réparation à ce jour. Il regrette en outre l’absence d’informations sur la question de savoir si, outre le droit d’obtenir une indemnisation, les victimes d’actes de torture bénéficient d’une aide médicale ou de mesures de réadaptation psychosociale, et si des programmes de réadaptation particuliers ont été mis en place à leur intention (art. 2 et 14).

36. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce qu’une disposition de la loi contre la torture prévoie expressément que les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements ont le droit d’obtenir réparation, ainsi que les moyens nécessaires à une réadaptation aussi complète que possible, comme le prévoit l’observation générale n o 3 (2012) du Comité ;

b) Mettre en place des programmes de réadaptation à l’intention des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements, en collaboration avec les organisations de la société civile spécialisées, par exemple en mandatant pour ce faire des commissions d’enquête judiciaire établies sur l’ensemble du territoire, et allouer des ressources à la mise en œuvre de ces programmes .

Procédure de suivi

37. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir le 3 décembre 2022 au plus tard des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant les allégations de torture, de mauvais traitements, de détention arbitraire et d’emploi excessif de la force, en particulier celles qui mettent en cause des membres de la Brigade spéciale de lutte contre le vol à main armée , ainsi que les recommandations relatives à la détention provisoire et au surpeuplement carcéral, au mécanisme national de prévention et à la violence fondée sur le genre (voir plus haut, par . 14 b), 18, 22 et 32) . L’État partie est aussi invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales .

Autres questions

38. Le Comité encourage l’État partie à étudier la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention .

39. Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie .

40. L’État partie est invité à diffuser largement les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales et d’informer le Comité des activités de diffusion menées .

41. Le Comité demande à l’État partie de s’acquitter de l’obligation d’établir des rapports qu’impose l’article 19 de la Convention, et de soumettre son rapport, qui sera considéré comme le deuxième rapport périodique, d’ici au 3 décembre 2025 . À cette fin, il invite l’État partie à accepter d’ici au 3 décembre 2022 la procédure simplifiée d’établissement des rapports, dans le cadre de laquelle le Comité communique à l’État partie une liste de points avant que celui-ci ne soumette le rapport attendu . Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le deuxième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention .