Nations Unies

CCPR/C/FRA/6

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 janvier 2023

Original : français

Anglais, espagnol et français seulement

Comité des droits de l’homme

Sixième rapport périodique soumis par la France en application de l’article 40 du Pacte, selon la procédure facultative d’établissement des rapports, attendu en 2022 * , **

[Date de réception : 11 août 2022]

I.Introduction

1.La France prie le Comité des droits de l’homme de bien vouloir trouver ci-dessous le sixième rapport périodique sur l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

2.La préparation du présent rapport a été réalisée en concertation avec la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Créée en 1947, cette institution a été entérinée par la loi no 2007-292 du 5 mars 2007. Accréditée de Statut A auprès de l’ONU, conformément aux Principes de Paris elle est composée de 30 représentants de la société civile (ONG et syndicats), de 30 personnalités qualifiées, ainsi que du Défenseur des droits, d’un représentant du Conseil économique, social et environnemental, d’un député et d’un sénateur. Son rôle est notamment rôle est de conseiller le gouvernement et le Parlement dans le domaine des droits de l’homme et de contrôler les engagements internationaux de la France en assurant le suivi de la mise en œuvre des recommandations émanant des organes internationaux et régionaux.

II.Réponses aux questions posées dans la liste de points (CCPR/C/FRA/QPR/6)

A.Réponse aux questions posées au paragraphe 1

3.En premier lieu, le Gouvernement n’a pas d’évolution notable à présenter sur des évolutions du cadre juridique et institutionnel de promotion et de protection des droits de l’homme qui seraient survenues depuis 2015 et le 5ème rapport périodique.

4.En deuxième lieu, sur les renseignements demandés :

a)Les modalités de la rétention de sûreté ont été précisées de manière jurisprudentielle

5.Pour rappel, créé par la loi du 25 février 2008, l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale dispose qu’à titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l’issue d’un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l’exécution de leur peine, qu’elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l’objet à l’issue de cette peine d’une rétention de sûreté. La chambre criminelle de la Cour de cassation, sur le fondement de l’article 706-53-16 du Code de procédure pénale a ainsi estimé que la juridiction régionale de la rétention de sûreté ne pouvait se prononcer sur une mesure de rétention de sûreté qu’après avoir vérifié que la personne condamnée avait effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge médicale, sociale et psychologique adaptée (décision du 28 mars 2018). La juridiction judiciaire assure ainsi un contrôle étroit de cette mesure qui ne peut être prononcée que dans des cas exceptionnels.

6.Depuis la création de cette mesure, les juridictions françaises ont prononcé 16 rétentions de sûreté concernant 10 personnes condamnées, certaines personnes condamnées ayant été soumises à plusieurs mesures de rétention de sûreté.

•9 personnes ont été placées en surveillance de sûreté, mais seule 1 personne condamnée fait encore l’objet d’une mesure en cours ;

•1 personne n’a eu aucune mesure, s’agissant de la personne condamnée, dont le cas d’espèce a été à l’origine de la décision précitée rendue par la Cour de cassation le 28 mars 2018.

b)S’agissant des remarques du CCPR/C/121/4 sur les techniques de renseignement

7.Le Gouvernement renvoie d’abord aux questions 9 et 10, posées explicitement par le Comité et qui sont traités plus bas.

8.Le cadre juridique créé par les lois du 24 juillet 2015 et du 30 novembre 2015 a été modifié plusieurs fois par le législateur, afin de renforcer le rôle de l’autorité administrative indépendante chargée des contrôles, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Enfin, en 2021, le législateur a procédé à une révision du cadre légal applicable au renseignement à l’occasion de la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. Cette loi a notamment complété le cadre juridique applicable aux techniques de renseignement pour le préciser et l’adapter, notamment, aux besoins des services de renseignement et à la jurisprudence internationale, afin de placer l’ensemble des opérations d’exploitation et la transmission de données par ces services sous le contrôle a posteriori de la CNCTR. En outre, dans deux cas particuliers, la loi subordonne la transmission de renseignements à la délivrance d’une autorisation préalable du Premier Ministre après avis de la commission. Le législateur a également pris en compte la jurisprudence de la CJUE « La Quadrature du Net E.A. » du 6 octobre 2020, qui a jugé que l’accès à des données de connexion par des autorités publiques doit être soumis au contrôle préalable d’une juridiction ou d’une autorité administrative indépendante dotée d’un pouvoir contraignant. La loi prévoit ainsi désormais que lorsque le Premier Ministre délivre une autorisation de mise en œuvre d’une technique de renseignement après avis défavorable de la CNCTR, le Conseil d’Etat est immédiatement saisi par la commission et doit statuer dans un délai de vingt-quatre heures. La décision du Premier Ministre ne peut être exécutée avant que le Conseil d’Etat ait statué, sauf en cas d’urgence dûment justifiée et si le Premier Ministre a ordonné sa mise en œuvre immédiate. Un tel caractère d’urgence ne peut cependant être invoqué lorsqu’est concernée une personne titulaire d’un mandat parlementaire ou exerçant la profession de magistrat, d’avocat ou de journaliste. La loi limite en outre la faculté dont dispose le Premier Ministre d’invoquer l’urgence pour certaines techniques de renseignement parmi les plus intrusives. Lorsque la technique implique la pénétration dans un lieu privé à usage de domicile, seule la prévention du terrorisme lui permet de faire usage de cette faculté. Une telle faculté n’a cependant jamais trouvé matière à s’appliquer, tous les avis défavorables émis par la CNCTR, sans exception, ayant été suivis par le Premier Ministre.

c) S’agissant enfin des accusations d’abus sexuels en Centrafrique

9.Le Gouvernement rappelle que sous réserve des engagements internationaux de la France, les militaires français déployés à l’étranger au titre des forces pré-positionnées ou dans le cadre d’opérations extérieures qui se rendraient coupables de crimes ou de délits hors du territoire de la République, y compris hors service, sont justiciables de la juridiction de droit commun spécialisée en matière militaire de Paris.

10.En l’espèce, cinq procédures ont été diligentées par les autorités judiciaires françaises, à la suite d’allégations recueillies par le ministère des armées, faisant état d’abus sexuels sur mineurs commis par des soldats français déployés en République Centrafricaine (RCA) entre 2014 et 2015.

11.Trois d’entre elles ont donné lieu à des décisions de classement sans suite de la part des autorités de poursuites, les faits apparaissant insuffisamment caractérisés.

12.Une quatrième procédure, initiée en 2014 sur la base d’un signalement du ministère des armées, relayant des informations transmises par les Nations Unies faisant état d’allégations de viols sur mineurs commis par des militaires français sur le site de M’Poko, a donné lieu en 2015 à l’ouverture d’une information judiciaire au tribunal judiciaire de Paris. Cette procédure a abouti à une ordonnance de non-lieu de la part du magistrat instructeur le 11 janvier 2018. Cette décision confirmée par la cour d’appel de Paris est aujourd’hui définitive.

13.Une dernière enquête, ouverte en 2016 à la suite d’un signalement du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, est actuellement toujours en cours.

14.En troisième lieu, le Gouvernement rappelle que les constatations du Comité des droits de l’homme, organe non juridictionnel institué par l’article 28 du Pacte international sur les droits civils et politiques, ne revêtent pas de caractère contraignant à l’égard de l’Etat auquel elles sont adressées. Cela ressort notamment du 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui stipule : « Le comité fait part de ses constatations à l’Etat, partie intéressée, et au particulier ». Toutefois, le Gouvernement met en œuvre de bonne foi ces constatations autant qu’il le peut.

15.S’agissant plus spécifiquement des constatations dans les affaires Hebbadj c. France et Yaker c. France sur le port du voile intégral, le Gouvernement tient à rappeler que la loi no 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public a pour objectif premier de prévenir les pratiques tendant à dissimuler son visage, qui sont susceptibles de constituer un danger pour la sécurité publique et qui méconnaissent les exigences minimales de la vie en société. Cette loi ne vise ainsi pas à interdire une pratique ou une manifestation religieuse particulière. La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt SAS c. France du 1er juillet 2014 (no 43835/11) a jugé que le respect des exigences minimales de la vie en société, le « vivre ensemble », peuvent se rattacher au but légitime que constitue la protection des droits et libertés d’autrui. Elle a en conséquence estimé que la loi en cause n’était pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Dans ces conditions, et pour les raisons davantage développées par le Gouvernement en réponse aux constatations en cause, il n’a pas été procédé à des amendements de la loi en cause.

16.S’agissant des constatations dans l’affaire Singh c. France, si le Gouvernement n’entend pas modifier les dispositions nationales imposant de poser « tête nue » sur les photographies d’identité des documents officiels compte tenu, notamment, des impératifs de sécurité et de lutte contre la fraude, et de la validation de la règlementation française par la Cour européenne des droits de l’homme, il est toujours resté ouvert à la possibilité d’organiser des rencontres techniques avec les associations portant sur les questions liées aux photographies apposées sur les documents d’identité. Le Gouvernement rappelle ainsi que, dans ce cadre, des délégués des associations sikhes françaises et européennes ont été reçus.

17.S’agissant enfin de l’affaire Cochet c. France, M. Cochet a pu introduire des recours indemnitaires suite aux constatations du Comité (CCPR/C/102/D/1876/2009). Toutefois, si une faute lourde a été retenue en appel, la cour d’appel condamnant l’Etat à réparer des préjudices à M. Cochet et la société Acolyance, cet arrêt a été cassé par l’assemblée plénière de la Cour de cassation. La Cour de cassation a en effet estimé qu’aucun texte ou principe général du droit de l’Union européenne, ni une jurisprudence bien établie de la CJUE, ni le principe de l’application rétroactive de la peine plus légère fait obstacle à ce que soient poursuivies et sanctionnées les fausses déclarations en douane ayant pour but ou pour effet d’obtenir un avantage quelconque attaché à des importations intracommunautaires commises antérieurement à la mise en place du marché unique. Par suite, l’application par la Cour de cassation de l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 ne contrevenait pas au droit de l’Union. Il n’y avait donc pas lieu d’indemniser M. Cochet et la société Acolyance de leurs préjudices, en l’absence de faute permettant l’engagement de la responsabilité de l’Etat du fait d’une décision de justice.

B.Réponse à la question posée au paragraphe 2

18.Le Gouvernement rappelle d’abord qu’outre le retrait de 1988 sur l’article 19, l’Etat français avait, par une communication reçue le 26 juillet 2012, notifié au Secrétaire général qu’il avait décidé de retirer partiellement, la réserve à l’article 14, paragraphe 5 formulée lors de l’adhésion. Cela faisait suite à l’introduction de la possibilité d’appels des décisions en matière criminelle devant la Cour d’assises. La réserve à l’article 14§5 ne porte plus que sur certaines infractions jugées par le Tribunal de police – certaines infractions au Code de la route comme des amendes pour stationnement illicite par exemple. Même ces jugements sont susceptibles de recours en cassation.

19.Pour le reste, l’Etat a maintenu ses réserves et n’envisage pas à ce jour de les lever.

C. Réponse aux questions posées au paragraphe 3

20.En premier lieu, il est fondamental de rappeler que les autorités françaises ne disposent d’aucun élément attestant d’une pratique généralisée de contrôles d’identité « au faciès ». En tout état de cause, de telles pratiques sont interdites et l’organisation de la police et de la gendarmerie permet de prévenir la violation d’une telle interdiction.

21.Les prérogatives des forces de sécurité intérieure en matière de contrôles d’identité sont strictement encadrées par des dispositions normatives afin qu’ils ne présentent pas de caractère discriminatoire. Au visa de l’article 78-2 du Code de procédure pénale :

•Les contrôles d’identité sur initiative des forces de sécurité intérieure doivent être motivés par une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne, objet du contrôle, « a commis ou tenté de commettre une infraction ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit » ;

•Les contrôles d’identité de police administrative doivent être de nature à « prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ». La Cour de cassation exige, en ce sens, une motivation faisant état d’une réalité concrète, de nature à caractériser la menace à l’ordre public fondant l’exécution d’un contrôle d’identité ;

•Les contrôles d’identité réalisés sur réquisition écrite du procureur de la République doivent, conformément aux réserves d’interprétation formulées par le Conseil Constitutionnel le 24 janvier 2017, être limités dans leur périmètre infractionnel et circonscrits dans le temps et dans l’espace.

22.La prévention des contrôles d’identité discriminatoires repose tant sur les obligations déontologiques des policiers et des gendarmes que sur le contrôle ex-post opéré par l’autorité judiciaire, en sa qualité de gardienne des libertés individuelles, suite à leur réalisation.

23.S’agissant des obligations déontologiques les dispositions réglementaires actuelles du Code de la sécurité intérieure, dont le non-respect est susceptible de constituer une faute disciplinaire, tendent à prévenir tout risque de contrôle d’identité discriminatoire. Ils doivent en particulier accomplir leur mission « en tout impartialité » (art. R. 434-11 du Code de la sécurité intérieure) et, pour les contrôles d’identité, ne se fonder sur « aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler », sauf signalement précis motivant le contrôle (art. R. 434-16). Enfin, les policiers et les gendarmes portent en outre depuis 2014 un numéro d’identification individuel (RIO : référentiel des identités et de l’organisation) propre à assurer leur visibilité et identification par la société civile.

24.En deuxième lieu, toute personne qui s’estime victime d’un contrôle d’identité discriminatoire a la possibilité d’assigner l’agent judiciaire de l’Etat en réparation de son préjudice moral, sur le fondement de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire.

25.La Cour de cassation estime que constitue une faute lourde engageant la responsabilité de l’Etat, le contrôle d’identité réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable (arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 9 novembre 2016). Ils peuvent être indemnisés à ce titre.

26.Par ailleurs, les personnes s’estimant victimes d’un contrôle d’identité discriminatoire, ont la possibilité de déposer plainte auprès des services de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) ou de l’Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale (IGGN) qui exercent, sur l’ensemble du territoire national, une mission générale d’inspection des directions et services de la DGPN et la DGGN. À ce titre, elles diligentent, en toute indépendance, des enquêtes judiciaires, d’initiative ou sur instruction de l’autorité judiciaire. Dans le cadre de leur pouvoir disciplinaire, elles diligentent également des enquêtes administratives susceptibles d’aboutir à des sanctions disciplinaires.

27.En 2020, 5420 signalements ont été reçus sur la plateforme des signalements des particuliers de l’IGPN, dont 180 pour des propos discriminatoires et 85 pour des pratiques discriminatoires.

28.Concernant la plateforme des signalements des particuliers de l’IGGN, et malgré la procédure totalement déclaratoire et sans filtre permettant à toute personne s’estimant mécontente de l’action des gendarmes d’émettre un signalement, il convient de relever que ceux portant spécifiquement sur des contrôles d’identité sont très marginaux par rapport au volume total de signalements. Pour l’année 2021, cette plateforme a ainsi recueilli 2 344 signalements. Sur l’ensemble de ces signalements, 987 relevaient de la compétence de l’IGGN, dont 15 (soit 1,5 %) faisaient état de comportements et/ou de propos potentiellement discriminatoires toutes allégations confondues, dont des contrôles d’identité abusifs.

29.Un particulier peut également se tourner vers la plateforme « antidiscriminations.fr » du Défenseur des droits, lancée le 12 février 2021 et destinée à accompagner les personnes victimes ou témoins de discriminations, quel qu’en soit le motif et le domaine. Cette nouvelle plateforme, dont la création avait été souhaitée par le Président de la République, a enregistré en un an 14 000 sollicitations, portant majoritairement sur des conflits liés aux origines ou au handicap. Sur l’ensemble de ces sollicitations, les forces de l’ordre ont été mises en cause dans une proportion de l’ordre de 5 %. Le Défenseur des droits peut saisir l’IGGN et l’IGPN.

D. Réponse aux questions posées au paragraphe 4

30.En premier lieu, le droit pénal français permet de sanctionner un comportement ou discours de haine. Dans le Code pénal, les articles 225-1 à 225-4 sanctionnent les discriminations, et les articles 132-76 et 132-77 prévoient une aggravation de la peine lorsque les faits ont été commis à raison de la haine de l’autre. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse constitue un autre socle permettant de lutter contre les discours de haine, notamment grâce à l’article 24 alinéa 7 qui vient réprimer la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ou religieuse, l’article 33 alinéa 3 relatif à l’injure publique et l’article 32 alinéa 2 qui sanctionne la diffamation publique. L’arsenal législatif a été élargi avec la loi du 24 août 2021 qui a créé un délit de mise en danger d’autrui par la diffusion d’informations personnelles (art. 223-1-1 du CP).

31.La répression des crimes et discours de haine constitue une priorité de politique pénale mise en œuvre par le Gouvernement de longue date. Dès 2003, le ministère de la Justice a demandé aux parquets de désigner un magistrat référent en matière de lutte contre l’antisémitisme. Depuis la circulaire du 11 juillet 2007 et la dépêche du 5 mars 2009, tous les parquets ont désigné un magistrat référent, soit 205 sur l’ensemble du territoire. Ils sont chargés de favoriser l’accès à la justice des victimes d’actes ou de discours de haine et d’améliorer la qualité de la réponse pénale. Aux côtés de ces magistrats référents, tous les magistrats bénéficient d’une offre de formations en matière de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, dispensées par l’Ecole nationale de la magistrature. La politique pénale menée en la matière repose sur la conclusion de partenariats entre le ministère de la Justice et des associations luttant contre le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie.

32.En deuxième lieu, le ministère de la Justice s’est engagé dans une politique pénale pour remédier au décalage entre le taux d’infractions racistes/discriminatoires dénoncé par les associations et le faible taux d’affaires traitées par les parquets ou jugées par les tribunaux. Cette politique vise à faciliter le dépôt de plainte et à libérer la parole des victimes, comme en témoigne la circulaire du 4 avril 2019, laquelle souligne la nécessité d’appeler l’attention des responsables des forces de l’ordre sur la nécessité de sensibiliser leurs services sur la qualité de l’accueil des victimes d’agressions à caractère raciste, antisémite ou homophobe. Par la circulaire du 17 mai 2021 relative à la lutte contre les infractions commises à raison de l’orientation sexuelle, le ministre de la Justice a rappelé aux procureurs la possibilité qu’il leur est reconnu d’attirer l’attention des forces de l’ordre sur la nécessité d’être attentif à l’accueil des victimes d’agressions homophobes.

33.Cette circulaire s’inscrit dans la démarche de professionnalisation de la mission d’accueil dans laquelle s’est engagée la police nationale depuis 2014. Des enquêteurs sont chargés d’évaluer, coordonner et optimiser l’organisation de l’accueil du public et assurent le rôle de référents racisme, antisémitisme et discriminations. En 2018, une expérimentation d’un réseau d’enquêteurs mieux formés a eu pour objet de sensibiliser les officiers et agents de police judiciaire amenés à recueillir des plaintes et diligenter des enquêtes aux spécificités de cette matière. En outre, dans chaque zone de défense, policiers et gendarmes se voient dispenser une formation d’une journée au cours de laquelle leur sont présentés les crimes de haine et rappelées les techniques d’enquête en la matière. Cette formation, associant policiers, gendarmes et magistrat, a été concluante, et l’expérimentation étendue à tout le territoire sur décision de la DILCRAH, à compter du 1er juillet 2019. On peut donner en exemple dans cette formation, contre les discours et les crimes motivés par la haine, un module de travail avec le mémorial de la maison d’Izieu, une intervention du mémorial de la Shoah, ainsi qu’une conférence donnée par l’association Flag.

34.En troisième lieu, face à la recrudescence du phénomène de haine en ligne, le ministère de la Justice a, par circulaire du 24 novembre 2020 et pour apporter une réponse visible et unifiée, créé le pôle national de lutte contre la haine en ligne, section spécialisée au sein du parquet de Paris, compétent pour connaître des propos diffusés sur Internet visibles depuis n’importe quel point du territoire lorsqu’ils sont susceptibles de constituer les infractions des infractions de harcèlement et de discours de haine et de provocation à la haine en ligne. Depuis le 4 janvier 2021, date de son entrée en vigueur effective, ce pôle s’est saisi de 502 procédures.

35.En outre, un observatoire de la haine en ligne a mis en place des groupes de travail, analysant notamment les mécanismes de diffusion de la haine en ligne.

36.En quatrième lieu, s’agissant des moyens policiers mis en œuvre, le Gouvernement souligne d’abord que les effectifs de la plateforme de signalement en ligne des contenus et comportements illicites du ministère de l’Intérieur (plateforme PHAROS, rattachée à la direction centrale de la police judiciaire de la police nationale), compte actuellement 51 agents, fonctionnaires de police et militaires de gendarmerie, qui assurent désormais son fonctionnement 24h/24. A titre d’exemple, en 2020, la plateforme PHAROS a reçu 289 590 signalements (dont 8,1 % dans le domaine des discriminations), 263 825 signalements en 2021 (dont 5,7 % dans le domaine des discriminations) et 100 362 signalements au premier semestre 2022 (dont 6,6 % dans le domaine des discriminations).

37.En outre, en août 2020 une division de lutte contre les crimes de haine a été créée au sein de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH). Elle traite et coordonne les enquêtes pénales sur les crimes et délits complexes à caractère raciste, xénophobe, anti-religieux ou commis à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime, y compris numérique. Par ailleurs, des aides aux enquêteurs facilitant la bonne compréhension des enjeux et la bonne qualification des faits ont été préparées par l’OCLCH et diffusées au sein des forces de l’ordre (comme le guide de l’enquêteur « Sanctionner les discriminations et les infractions à caractère raciste, anti religieux et anti-LGBTI » refondu en 2020, le guide « Infractions haineuses » publié en 2020).

38.Une politique de prévention a été mise en œuvre, à l’instar de la création par la gendarmerie de 81 maisons de protection des familles, dont la lutte contre les discriminations constitue un enjeu prioritaire. Par ailleurs, des mesures ont été prises par les autorités françaises pour soutenir les victimes. En effet, dans le cadre du plan national interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme 2018-2020, et du plan national interministériel d’actions pour l’égalité́ des droits contre la haine et les discriminations anti LGBT+ 2020-2023, différentes mesures ont été prises autour de deux objectifs :

a)Mieux prendre en compte toutes les victimes ;

b)Assurer l’effectivité́ de la sanction et renforcer la protection et la prévention pour mieux accompagner les victimes.

39.On peut citer, en outre, la possibilité de déposer une pré-plainte en ligne sur les questions de discrimination et d’infractions de provocation à la discrimination, diffamation et injure racistes, la mise en place de comités opérationnels de lutte contre le racisme et l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (CORAH) à l’échelon départemental. Enfin, s’agissant des forces de l’ordre, plusieurs textes encadrant l’accueil des victimes dans les commissariats et brigades de gendarmerie. Ainsi, une charte de l’accueil du public existe depuis 2004 ainsi qu’un code de déontologie depuis 2014. Ces deux textes garantissent notamment un accès facilité, une écoute attentive et un accueil respectueux pour les victimes d’infractions pénales.

40.En cinquième lieu, s’agissant de la lutte contre la discrimination spécifique envers les Roms et les gens du voyage, la France a reconnu en 2016, lors d’une cérémonie d’hommage avec un discours du Président de la République sa responsabilité dans l’internement des nomades et les violences à leur égard dans les années 1940. Le 30 juin 2021, le principe d’une campagne nationale de communication visant à sensibiliser le grand public sur le mode de vie mobile a été validé par la Commission nationale consultative des gens du voyage (CNCGDV). Enfin, la Stratégie française 2020-2030 pour « l’égalité, l’inclusion et la participation des Roms » a été présentée par la DIHAL en mars 2022.

41.En sixième et dernier lieu, s’agissant des statistiques, dans le contexte de la pandémie, en 2020, 7 759 affaires à caractère raciste ont été orientées par les parquets, comportant 6 740 personnes mises en cause, soit une hausse de respectivement 5 % des affaires et 4 % des auteurs par rapport à 2019. 51 % des 6 740 auteurs orientés par les parquets ont fait l’objet d’un classement sans suite en raison de l’impossibilité d’exercer des poursuites. Dans 81 % des cas, le classement intervient parce que l’infraction est insuffisamment caractérisée. Dans 7 % des cas, ce classement s’explique par l’extinction de l’action publique, du fait de la prescription des faits, très courte en la matière. Par ailleurs, en 2020, 45 % des réponses pénales se sont traduites par une poursuite devant les juridictions, et 55 % par une procédure alternative aux poursuites. S’agissant du volume des condamnations, en 2020, 955 infractions à caractère raciste ou commises avec cette circonstance aggravante de racisme ont été condamnées, soit un volume de condamnations en hausse en 2020 de +10,1 % (867 infractions en 2019).

E. Réponse aux questions posées au paragraphe 5

42.Depuis le début de la crise sanitaire, les pouvoirs publics français ont veillé à ce que les conséquences socioéconomiques de la crise sanitaire n’exacerbent pas les inégalités, la discrimination ou l’exclusion pour certaines catégories vulnérables de la population telles que les personnes vivant dans la pauvreté, les personnes handicapées, les personnes sans domicile fixe, les minorités ethniques, les femmes et les personnes réfugiées et migrantes.

43.En premier lieu, la loi no 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a habilité le Gouvernement à assurer la continuité de l’accompagnement et la protection des personnes en situation de handicap et des personnes en situation de pauvreté afin de lutter contre la discrimination et l’exclusion durant les périodes de confinement ou de couvre-feu. Par exemple, certaines prestations ont été prolongées sans nouvelle demande. En outre, l’adaptation des conditions d’ouverture, de reconnaissance ou de durée des droits relatifs à la prise en charge des frais de santé et aux prestations en espèce des assurances sociales ainsi que des prestations familiales, des aides personnelles au logement, de la prime d’activité et des droits à la protection complémentaire en matière de santé a permis d’assurer la continuité des droits des assurés sociaux et de leur accès aux soins. Le Gouvernement a également prolongé la période pendant laquelle l’expulsion des résidents pour non-paiement était proscrite. Il a transmis des instructions aux préfets dans le but de prévenir les expulsions locatives ou des coupures d’électricité, de chaleur et de gaz des locataires concernés durant les périodes de trêve étendue sans incidence sur les finances des bailleurs ni des fournisseurs concernés. Enfin, en 2021 a été décidé l’allocation de 30 millions d’euros afin de créer 26 centres et maisons de santé, situés en quartiers prioritaires de la politique permettant un accompagnement à la fois médical, psychologique et social aux habitants.

44.En deuxième lieu, concernant les personnes sans domicile fixe, le Gouvernement a, dès mars 2020, maintenu les places hivernales 2019-2020 et ouvert de nouvelles places à titre exceptionnel. Ce sont près de 43 000 places d’hébergement qui ont été ouvertes depuis le mois de mars 2020, portant le parc d’hébergement généraliste à un niveau historique de 203 000 places dès la fin de l’année 2020. Le Gouvernement a décidé de maintenir le parc d’hébergement généraliste au niveau haut de 200 000 places jusqu’à fin mars 2022.

45.Des centres d’hébergement spécialisés ont également été créés, dès mars 2020, pour accueillir les personnes malades sans gravité du Covid-19 qui ne pouvaient pas être suivies dans leur structure collective car les conditions de prise en charge n’étaient pas réunies (pas de possibilité d’isolement, risque comorbidité, etc.) et pour les personnes à la rue. Il s’agit, non pas de centres de soins, mais de centres d’hébergement permettant l’hébergement et l’isolement sanitaire de personnes malades non graves. 3 600 places en centres d’hébergement spécialisés ont été ouvertes au plus fort de la crise.

46.Une large distribution de masques (environ 153 millions de masques) a permis de garantir la protection des personnes en situation de précarité. En outre, 50 millions d’euros de crédits ont été mobilisés pour distribuer des chèques d’accompagnement personnalisé (alimentation, hygiène) pour les personnes sans domicile et sans ressource qui n’avaient pas accès à une offre d’aide alimentaire, à un service de restauration et aux produits de première nécessité. Les distributions effectuées ont concerné plus de 90 000 personnes dont une part substantielle d’enfants (20 % environ des bénéficiaires) et de personnes seules (entre 15 % et 24 % des bénéficiaires selon les mois de distribution). Le Gouvernement a également déclenché deux plans d’urgence destinés aux opérateurs de l’aide alimentaire. En effet, suite à ces distributions, le Gouvernement a annoncé le 23 avril 2020 un premier plan de soutien à l’aide alimentaire doté de 39 millions d’euros et destiné à l’ensemble du territoire national. Un second plan d’urgence de 55 millions d’euros a été lancé en juillet 2020 dont plus de 80 % délégués aux services déconcentrés afin de permettre de soutenir les actions spécifiques menées sur les territoires pour maintenir l’accès aux biens essentiels des publics précaires (alimentation, hygiène) dans le contexte de crise.

47.Le secteur de l’hébergement et de l’insertion des personnes sans domicile fixe a également bénéficié des crédits du plan France Relance et de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté permettant la création de :

•1 000 places ont été financées pour des personnes en situation de grande marginalité suite à un long parcours de rue et des problématiques de santé mentale et/ou d’addiction ;

•1 500 places ont été créées pour les femmes enceintes ou accompagnées d’un nourrisson sans solution de logement ou d’hébergement ;

•137 accueils de jours, et 8 centres d’hébergement dans les Outre-Mer ont été rénovés.

48.Enfin, des dispositions permettant la vaccination des personnes vulnérables ont été développés dans le secteur de l’accueil, l’hébergement et l’insertion et d’autre part dans les foyers de travailleurs migrants. Ainsi par exemple, les centres d’hébergement ont pu prendre les rendez-vous directement auprès des centres pour les publics qu’ils accompagnent, dans le cadre d’une stratégie globale développée et transmise via la fiche foyers de travailleurs migrants.

49.En troisième lieu, décrétée grande cause du quinquennat par le Président de la République, l’égalité entre les femmes et les hommes a constitué une priorité du Gouvernement y compris durant la crise sanitaire. Les dispositifs décrits plus hauts ont ainsi veillé à favoriser la protection des femmes.

50.Cette lutte dans le cadre de la pandémie s’est inscrite dans un contexte de politiques plus larges. Le Gouvernement a mis en place des dispositifs spécifiques pour protéger les femmes victimes de violences conjugales ainsi que leurs enfants et contre les discriminations et les violences. Les interventions des forces de l’ordre à domicile dans la sphère familiale ont augmenté de 42 % entre 2019 et 2022. Afin de lutter contre l’augmentation des violences sexistes et sexuelles, le Gouvernement a ouvert 4 millions d’euros de crédits dans son budget.

51.En outre, l’accès aux droits fondamentaux des femmes tels que l’émancipation et le droit à disposer de leur corps ont été assurés grâce à des adaptations pour l’interruption volontaire de grossesse tandis que les frais relatifs à l’IVG ont été pris en charge à 100 % par l’assurance maladie. L’accès à la contraception a également été garanti grâce à la délivrance de la pilule sans renouvellement de l’ordonnance. Enfin, le versement de la pension alimentaire a été maintenu pendant le confinement pour les parents qui ne percevaient pas la pension alimentaire ou pour les parents qui, du fait de difficultés financières, ne pouvaient pas assurer le versement de la pension alimentaire grâce au prolongement temporaire de l’allocation de substitution à la pension alimentaire que constituait l’allocation de soutien familial.

F. Réponse aux questions posées au paragraphe 6

52.D’une part, le Gouvernement a adopté une série de mesures afin de faire face à la pandémie de Covid-19 avec une attention particulière aux garanties et libertés fondamentales. Les lois adoptées entre le 23 mars 2020 et janvier 2022 pour lutter contre la pandémie ont donné au Premier Ministre le pouvoir de prendre par décret les mesures générales de restriction de déplacement, de limitation à la liberté d’entreprendre ou celle de réunion et permis de procéder aux réquisitions de tous biens et services. Ces mesures, proportionnées, ont été, à chaque recours, contrôlées par les juridictions françaises. Entre outre, ces lois ont fait l’objet de saisine a priori du Conseil constitutionnel ainsi que de questions prioritaires de constitutionnalité.

53.Ces lois ont également habilité le Gouvernement à prendre une série d’ordonnances sur le fondement de l’article 38 de la Constitution pour faire face, en particulier, aux conséquences économiques, financières et sociales de l’épidémie (soutien à la trésorerie des entreprises, versement d’aides, recours à l’activité partielle, etc.).

54.La théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles a également pu fonder le décret no 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 pris par le Premier Ministre sur le fondement de ses pouvoirs de police générale.

55.D’autre part, les mesures prises pour faire face à la pandémie n’ont pas dérogé aux dispositions du Pacte. L’article 4 stipule, en effet, que « dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, l’Etat partie […] peut prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le Pacte ». L’adoption du régime d’état d’urgence sanitaire en mars 2020 n’a pas donné lieu à des dérogations aux droits reconnus par le pacte. Soucieux d’inscrire la lutte contre la pandémie dans le cadre permis par le droit international des droits de l’homme, le Gouvernement n’a pas notifié de dérogation par l’entremise du Secrétaire général des Nations Unies (art.4.3) – pas plus qu’elle n’a activé le dispositif de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme.

56.Le Gouvernement a adopté une série de mesures afin de garantir la continuité du service public et de l’accès à la justice (adaptations procédurales en matière de compétence territoriale, de délais de procédure et de jugement, aménagement aux règles relatives de la garde à vue, etc.) qui ont permis ainsi de garantir l’accès à un juge. Ensuite, le report du second tour des élections municipales en juin 2020 n’a pas porté atteinte à l’article 25 du Pacte (droit de voter et d’être élu). En effet, la suspension et le report des élections étaient justifiés par les circonstances en raison de la propagation de l’épidémie en l’état des connaissances scientifiques, des mesures de confinement qui interdisaient la tenue de rassemblements publics et de la limitation de contacts entre les personnes. Par ailleurs, le délai du report a été strictement encadré dans le temps puisque le second tour a eu lieu trois mois après le premier tour.

57.Si les confinements et les couvre-feux ont pu porter une atteinte à l’article 12 (droit de circuler librement) en limitant les déplacements en dehors du domicile ou à l’étranger, ces mesures étaient nécessaires, adaptées et proportionnées au regard de l’aggravation de la crise sanitaire notamment en 2020 ainsi que l’a rappelé à de nombreuses reprise le Conseil d’Etat français, saisi en urgence sur ce type de mesure. La gestion localisée de l’épidémie, permise par l’article 2 de la loi no 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire a permis de cibler les mesures selon les situations territoriales et donc de proportionner l’action au risque. Ces ingérences s’inscrivaient donc dans les possibilités reconnues à l’article 12.3 de la Convention.

G. Réponse aux questions posées au paragraphe 7

58.Le régime de l’état d’urgence trouve son fondement dans la loi no 55-385 du 3 avril 1955 modifiée, relative à l’état d’urgence. À la suite des attentats perpétrés à Paris dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, le gouvernement a décrété l’état d’urgence par l’adoption du décret no 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi du 3 avril 1955. L’état d’urgence a été prorogé à six reprises par le législateur et a pris fin le 1er novembre 2017 à minuit. Plus de 12 000 mesures ont été mises en œuvre sur ce fondement entre novembre 2015 et novembre 2017.

59.En premier lieu, plusieurs types de mesures ont pu être pris. Toutes ces mesures ont pu être contestées devant le juge administratif, pour les annuler, les suspendre dans le cadre de procédures d’urgence, ou obtenir réparation en cas de mesure illégale constituant une faute, lorsqu’un préjudice était caractérisé.

60.Les perquisitions administratives : 4 484 ont été faites entre novembre 2015 et octobre 2017 dont 65 ont été contestées jusqu’en appel. Près de 1 000 procédures judiciaires ont été ouvertes pour des infractions en lien avec le terrorisme. L’ensemble de ces perquisitions a donné lieu à 552 interpellations et 464 gardes à vue, ainsi qu’à la saisie de plus de 600 armes dont près de 80 armes de guerre.

61.Les assignations à résidence permettent notamment, dès lors qu’il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », d’astreindre une personne à demeurer dans un lieu d’habitation déterminé, durant une plage horaire également déterminée. Elles peuvent être assorties de certaines obligations complémentaires (obligation de pointage, remise des titres d’identité et de voyage ou interdiction de se trouver en relation avec une personne identifiée). Au total, 446 personnes ont été assignées à résidence entre le 14 novembre 2015 et le 1er novembre 2017.

62.En outre, l’article 5 de la loi du 3 avril 1955 donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie compris dans une circonscription dans laquelle l’état d’urgence a été déclaré pour « instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé », de sécuriser certains lieux en instaurant des restrictions d’accès, individuelles ou collectives, lors de rassemblements humains liés à de grands évènements ou à des contingences particulières (en particulier les élections). Cette mesure a été utilisée à près de 70 occasions pour la sécurisation de différents types d’évènements et des lieux particulièrement sensibles sur la période donnée.

63.La loi du 3 avril 1955 permet au représentant de l’État dans le département d’interdire « le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ». Au total, 638 mesures ont été prises pour interdire à certaines personnes la fréquentation de salles de prière ou d’autres lieux (fans zone, abords de manifestations culturelles, récréatives ou sportives) ou leur participation à des manifestations, motif pris d’un comportement gravement contraire à l’ordre public au cours de manifestations précédentes, ayant pour but d’entraver l’action des pouvoirs publics.

64.Si la loi de 1955 permet des dissolutions d’association ou de groupement de fait, aucune n’a été prononcée pendant la période en cause. Dix-neuf mosquées ont été fermées sur le fondement de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955, soit à raison du caractère radical des prêches tenus par l’imam qui constituaient des appels à la haine, à la violence et à la discrimination entre les religions, soit à raison des activités qui s’y tenaient telles que l’organisation de filières de recrutement pour le djihad ou d’écoles coraniques endoctrinant au djihad, dont quatre ont fait l’objet d’un recours contentieux. Le Gouvernement rappelle au demeurant que, dans ce cadre d’usage de la loi sur l’état d’urgence, il a notifié le 23 novembre 2015 au Secrétaire général des Nations Unies une information au titre de l’article 4 du Pacte – en parallèle de l’utilisation de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme notifiée au Conseil de l’Europe et qui a pris fin le 1er novembre 2017.

65.En second lieu, s’agissant des suites de telles mesures.

66.Dans trois procédures, les éléments issus de l’arrêté d’assignation à résidence ont pu conduire le parquet de Paris à solliciter la révocation de la mesure en cours (un contrôle judiciaire et une mesure de placement sous surveillance électronique) ou à mettre à exécution une peine en application de l’article 723-16 du Code de procédure pénale.

67.En outre, entre 2015 et 2017, 23 procédures d’associations de malfaiteurs terroristes ont été ouvertes grâce aux perquisitions administratives (permettant de caractériser l’infraction ou de corroborer d’autres éléments), étant précisé que plusieurs perquisitions administratives ont pu donner lieu à une seule et même enquête judiciaire.

68.Le Gouvernement souligne que l’une d’entre elle a grandement contribué à déjouer un projet d’attentat d’ampleur en avril 2017, pendant la campagne des élections présidentielles.

H. Réponse aux questions posées au paragraphe 8

69.Le Gouvernement renvoie, pour certaines des précisions demandées, à la question précédente.

70.Pour le reste, il souligne que l’arsenal législatif et réglementaire a dû être adapté à l’évolution d’une menace persistante. Si le risque d’attaques planifiées depuis la zone irako-syrienne apparaît, en l’état, moins prégnant, les attentats commis sur notre territoire en fin d’année 2020 et en avril 2021, qui ont couté la vie à cinq personnes, démontrent la persistance d’une menace endogène, incarnée par des individus difficilement détectables, n’ayant pas séjourné auprès de Daech, et répondant aux appels permanents au meurtre diffusés par les organisations terroristes.

71.L’adaptation de l’arsenal législatif a été fait par la loi SILT du 30 octobre 2017, dont les mesures ont été pérennisées par la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. Cette adaptation a suivi la feuille de route élaborée par le Premier Ministre au sein du Plan d’Action Contre le Terrorisme (PACT), mis en place en 2018 et qui fait l’objet d’une mise à jour au cours de l’année 2021. Ainsi, depuis 2017, cinq lois ont été votées afin de renforcer les moyens d’actions déployés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme tout en prévenant et combattant la radicalisation violente. Le Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi a priori ou par une question prioritaire de constitutionnalité, peut assurer le contrôle de ces lois au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, proches de ceux du Pacte. Le juge ordinaire peut également, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, vérifier leur conventionnalité.

72.Les lois permettent des mesures nécessaires pour lutter contre le terrorisme, que le Gouvernement entend présenter. Leur application est contrôlée, selon les cas, par les juges administratifs et judiciaires.

73.En premier lieu, s’agissant de périmètre de protection, l’article L. 226-1 du CSI donne au préfet, lorsqu’un lieu ou un événement est exposé à un risque d’acte de terrorisme à raison de sa nature ou de l’ampleur de sa fréquentation, la possibilité d’instaurer par arrêté un périmètre de protection où l’accès et la circulation à l’intérieur même de la zone sont réglementés.

74.L’instauration d’un périmètre de protection permet aux forces de sécurité de l’État et, le cas échéant, aux policiers municipaux et aux agents privés de sécurité sous le contrôle d’officiers de police judiciaire, de dissuader ou d’empêcher les personnes susceptibles de commettre un acte à caractère terroriste de pénétrer dans un lieu ou à l’intérieur de l’enceinte d’un événement particulièrement exposé.

75.Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision no 2017-695 QPC du 29 mars 2018, considéré que, dès lors qu’un arrêté préfectoral déterminait de façon précise les conditions de mise en place d’un périmètre de protection (étendue et durée) et énonçait des règles d’accès et de circulation en son sein (vérifications) de nature à respecter les impératifs de la vie privée, familiale et professionnelle, le champ d’application de la mesure était « strictement borné » et apportait « les garanties nécessaires » pour assurer l’équilibre « entre d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit au respect de la vie privée ».

76.Le Conseil constitutionnel a néanmoins formulé trois réserves en indiquant que les agents agréés exerçant une activité privée de sécurité devaient en pareil cas se borner à assister les agents de police judiciaire, qu’ils étaient placés « sous l’autorité d’un officier de police judiciaire » et qu’il appartenait « aux autorités publiques de prendre les dispositions afin de s’assurer que soit continûment garantie l’effectivité du contrôle exercé sur ces personnes par les officiers de police judiciaire ».

77.Cette dernière réserve a été inscrite à l’article 2 de la loi du 30 juillet 2021 (art. L. 611-1, 1° du CSI). Ce même article précise désormais que pour les lieux faisant l’objet du périmètre de protection, l’arrêté ne peut être renouvelé qu’une seule fois, pour une durée ne pouvant excéder un mois, dès lors que les conditions ayant conduit à l’instauration du périmètre de protection continuent d’être réunies.

78.En quatre année d’application, sur près de 640 périmètres de protection, un seul arrêté instaurant un périmètre de protection a fait l’objet d’un recours contentieux dont l’exécution a été partiellement suspendue. Cette suspension était prévue en tant que l’arrêté concernait les avocats, au motif qu’il ne prévoyait pas de les exonérer des mesures de palpation de sécurité, d’inspection visuelle et de fouille de ses porte-documents alors que ces derniers peuvent contenir des documents couverts par le secret professionnel, corollaire des droits à la défense de leurs clients (TA Pau, ordonnance du 23 août 2019, no 1901885).

79.En deuxième lieu, s’agissant de fermetures de lieux de culte, l’article L. 227-1 du CSI permet à l’autorité administrative de prononcer la fermeture des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes.

80.Dans sa décision no 2017-695 QPC du 29 mars 2018 précitée, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur avait assuré une juste conciliation entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public, au nombre desquels figure la prévention du terrorisme et, d’autre part, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes.

81.Le Conseil constitutionnel a notamment souligné l’existence de plusieurs garanties : le législateur a limité à six mois la durée de la mesure et n’a pas prévu qu’elle puisse être renouvelée. L’adoption ultérieure d’une nouvelle mesure de fermeture ne peut reposer que sur des faits intervenus après la réouverture du lieu de culte. La fermeture du lieu de culte doit être justifiée et proportionnée, notamment dans sa durée, aux raisons l’ayant motivée.

82.L’arrêté de fermeture est assorti d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures, à l’expiration duquel la mesure peut faire l’objet d’une exécution d’office. Enfin, elle peut faire l’objet d’un recours en référé devant le juge administratif. La mesure ne peut alors être exécutée d’office avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d’une audience publique.

83.Les dix décisions de fermeture de lieux de culte prises ont été confirmées par le juge administratif.

84.L’article 3 de la loi du 30 juillet 2021 a élargi les modalités d’application de la mesure de fermeture des lieux de culte en permettant de prononcer également la fermeture de lieux dépendant du lieu de culte visé par la mesure lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ces locaux connexes peuvent être utilisés aux mêmes fins que le lieu de culte dont la fermeture a été prononcée,

85.En troisième lieu, des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) peuvent être mises en œuvre par l’autorité administrative à des fins de prévention d’actes de terrorisme, mais non au regard d’une simple menace pour l’ordre et la sécurité publics, comme en période d’état d’urgence.

86.L’encadrement et les conditions strictes d’adoption d’une telle mesure ont amené le Conseil constitutionnel à déclarer les dispositions du CSI relatives aux MICAS conformes à la Constitution (décision no 2017-691 QPC du 16 février 2018). Il a ainsi relevé tout d’abord qu’en créant ces mesures, le législateur avait poursuivi l’objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et définit avec précision les conditions de recours à la mesure de police en cause en limitant son champ d’application à des personnes soupçonnées de présenter une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.

87.Ces mesures doivent reposer sur des faits circonstanciés, étayés par les notes des services de renseignement (« notes blanches ») qui sont versées au débat contradictoire en cas de recours contentieux.

88.La valeur probante de telles notes a été rappelée par une jurisprudence constante du Conseil d’État en la matière, lequel a jugé qu’elle ne saurait être mise en cause dès lors que lesdites notes ne sont pas sérieusement contestées par le requérant (CE, sect. 11 décembre 2015, Cédric D., no 395009 ; CE, 23 décembre 2015, R., no 395229 ; CE, 31 janvier 2018, Association des musulmans du Boulevard National, no 417332). Il en résulte que les notes des services peuvent être utilisées par le juge comme élément d’appréciation mais demeurent soumises à son analyse critique.

89.En quatre années d’application, près de 500 mesures initiales individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été prises. Seules 11 décisions de suspension ou d’annulation de MICAS ont été prononcées par le juge administratif. Leur régime a été adapté par la loi du 30 juillet 2021, qui comprend une possibilité d’interdire de paraitre dans un lieu défini, après prise en compte de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée (art. L. 228-2 et suivants du Code de la sécurité intérieure).

90.À aussi été introduit une mesure d’interdiction de fréquenter certaines personnes (art. L. 228-5 du CSI), contrôlée par le Conseil constitutionnel et qui ne doit pas, pour pouvoir être prononcée, porter atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale (art. 4 de la loi du 30 juillet 2021).

91.En quatrième lieu, les visites domiciliaires (et le cas échéant les saisies et l’exploitation des données saisies) créées par la loi « SILT » du 30 octobre 2017 doivent répondre à des critères définis de façon plus restrictive que les perquisitions administratives qui existaient dans le cadre de l’état d’urgence, et sont soumises à une autorisation préalable de l’autorité judiciaire.

92.Compte tenu des garanties apportées, le Conseil constitutionnel a conclu que le législateur avait « strictement borné le champ d’application de la mesure qu’il a instaurée », « apporté les garanties nécessaires » et « assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée, l’inviolabilité du domicile, la liberté d’aller et venir » et « le droit à un recours juridictionnel effectif » (décision no 2017-695 du 29 mars 2018).

93.Sur les 629 requêtes qui ont été adressées au juge des libertés et de la détention en quatre années d’application de la loi « SILT », 66 ont fait l’objet d’une ordonnance de refus.

94.De même, rares sont les cas où l’exploitation des données saisies durant la visite a été refusée par le juge des libertés et de la détention. Sur les 241 requêtes aux fins d’exploitation des supports de données saisis introduites en quatre années d’application de la loi « SILT », au 31 octobre 2021, seules 11 ont été rejetées.

95.Les recours formés entre le 1er novembre 2020 et le 31 octobre 2021 contre les décisions du juge des libertés et de la détention ont porté sur 44 visites domiciliaires. Ces dernières ont été dans la grande majorité confirmées par le juge d’appel.

96.Enfin, les quatre principales dispositions de la loi SILT – à savoir les périmètres de protection, les fermetures de lieux de culte, les MICAS et les visites domiciliaires – font l’objet d’un contrôle renforcé par le Parlement, qui a été maintenu par la loi du 30 juillet 2021. Ainsi, le Gouvernement remet chaque année un rapport détaillé au Parlement sur la mise en œuvre desdites mesures. Il remet également chaque semaine aux commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale copie des mesures prises ou mises en œuvre par les autorités administratives sur le fondement de la loi SILT. Le Parlement dispose, en outre, de la faculté de procéder à des auditions des personnes appelées à mettre en œuvre de ces mesures.

97.Afin de compléter les outils de prévention des actes de terrorisme, la loi du 30 juillet 2021 permet également à tous les préfets et aux services de renseignement d’être destinataires des informations relatives à la prise en charge psychiatrique d’une personne qui représente, par ailleurs, une menace grave pour l’ordre public à raison de sa radicalisation.

98.La communication de ces informations doit respecter les conditions suivantes :

•Elle doit être limitée au seul suivi d’une personne qui représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics à raison de sa radicalisation à caractère terroriste ;

•Les destinataires des informations devront se limiter au préfet et à une partie des services de renseignement ;

•Les échanges devront être limités dans le temps. En effet, les informations transmises ne pourront porter que sur des faits antérieurs de moins de trois ans à compter de la date de levée de la mesure de soins sans consentement ;

•Enfin, les informations communiquées devront être limitées aux seules données d’identification (nom, prénoms, domicile, sexe, date et lieu de naissance) et à celles relatives à la situation administrative de la personne.

99.Ainsi, ces dispositifs sont nécessaires, et contrôlés précisément au stade de leur création et de leur application. Le Gouvernement entend également souligner que, si depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’actualité de l’état de la menace en matière terroriste est dominée par sa forme liée à l’islamisme radical de type sunnite, le dispositif français de lutte antiterroriste ne vise aucune communauté religieuse en particulier, la qualification pénale d’infraction terroriste supposant la caractérisation d’éléments matériels et intentionnels spécifiquement prévus par la loi, qui reposent sur des comportements objectivables et sont déconnectés de toute référence religieuse.

100.L’étude des procédures pénales dont la justice antiterroriste française a eu – et a actuellement – à connaître démontre que ces qualifications ne sont pas exclusivement mobilisées à l’encontre de faits ressortant d’une menace terroriste islamiste. Ils ont également été mises en œuvre dans la poursuite, l’instruction et le jugement de faits s’apparentant à d’autres formes de terrorisme (terrorismes séparatistes en lien par exemple avec l’E.T.A. ou le PKK, ou, s’agissant d’un phénomène croissant au cours des derniers mois, terrorisme en lien avec les mouvances d’ultra-droite).

101.Enfin, la CNCDH dispose des informations pour les évaluer au regard des droits de l’homme (par exemple, Avis sur le suivi de l ’ état d ’ urgence du 18 février 2016).

I. Réponse aux questions posées au paragraphe 9

102.La France s’est dotée, depuis le 24 juillet 2015, d’une loi relative au renseignement, soumise au Conseil Constitutionnel, et qui a encadré les techniques de renseignement et les a soumises au contrôle de la CNCTR. La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement a modifié certaines dispositions en complétant notamment les garanties applicables, en plus d’adapter les moyens nécessaires aux services de renseignement pour protéger efficacement les intérêts fondamentaux de la nation.

103.En substance le législateur a entendu renforcer le contrôle préalable de la CNCTR sur l’ensemble des techniques de renseignement utilisées sur le territoire national en attribuant un caractère suspensif à ses avis défavorables. En effet, par principe, en vertu de l’article L. 821-1 du Code de la sécurité intérieure, avant d’être autorisée par le Premier Ministre, chaque technique de recueil de renseignement doit faire l’objet d’un avis préalable rendu par la CNCTR.

104.Pour donner plus de poids au contrôle de la CNCTR, le mécanisme d’avis défavorable suspensif a été généralisé à l’ensemble des techniques de recueil de renseignement par la loi du 30 juillet 2021. Obligatoirement saisi de toute autorisation délivrée en dépit d’un avis défavorable de la CNCTR, le Conseil d’Etat doit se prononcer dans les vingt-quatre heures. La décision d’autorisation du Premier Ministre ne peut être exécutée tant que le Conseil d’Etat n’a pas statué, sauf en cas d’urgence dûment justifiée et si le Premier Ministre a ordonné la mise en œuvre immédiate de la technique en cause, ce qui ne peut être invoqué pour les professions ou mandats protégées – dont les journalistes – mentionnés à l’article L. 821-7 du Code de la sécurité intérieure. En outre, il ne peut être recouru à ces mesures que pour un nombre limitativement énuméré de finalités (prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation mentionnées à l’article L. 811-3 du Code de la sécurité intérieure), et les données de surveillance collectées sont soumises à des conditions strictes d’exploitation et de conservation. Le Conseil d’Etat a considéré, dans son avis sur le projet de loi, que le choix du législateur, qui combine un mécanisme d’avis conforme d’une autorité administrative indépendante avec celui d’un contrôle préalable et effectif d’une juridiction dès lors que le Premier Ministre passerait outre l’avis défavorable de la CNCTR, était conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles applicables.

105.La loi du 30 juillet 2021 est en outre venue préciser le cadre applicable au partage de renseignements et d’informations entre services et autorités administratives nationales et a permis de clarifier les échanges entre services de renseignement nationaux. Ainsi, un service de renseignement peut transmettre des renseignements collectés, extraits ou transcrits dont il dispose si cela est nécessaire à l’exercice des missions du service destinataire. Une garantie supplémentaire a été attachée à cette possibilité : s’il s’agit d’une transmission de renseignements collectés pour une fin différente de celle qui en a justifié le recueil ou s’il s’agit de transmission de renseignements collectés – extraits ou transmis issus d’une technique que le service destinataire n’aurait pas pu mettre en œuvre – ces transmissions sont soumises à une autorisation préalable du Premier Ministre, après avis de la CNCTR. Dès que les transcriptions ou extractions ne sont plus indispensables à la poursuite des finalités du service, elles doivent être détruites.

106.Outre ces garanties, seules des finalités relevant de la défense ou de la prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, et limitativement énumérées à l’article L. 811-3 du Code de la sécurité intérieure peuvent légalement justifier le recours à des techniques de recueil de renseignement.

107.S’agissant enfin des droits reconnus par les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la CNCTR a forgé une doctrine précise à travers les avis qu’elle rend, permettant le respect des stipulations en cause. Elle considère notamment, dans le cas particulier des demandes fondées sur la « prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique », que cette finalité ne saurait ainsi être interprétée comme permettant la pénétration d’un milieu syndical ou politique ou la limitation du droit constitutionnel de manifester ses opinions, même extrêmes, tant que le risque d’une atteinte grave à la paix publique n’est pas avéré.

J. Réponse aux questions posées au paragraphe 10

108.La mise en œuvre des mesures de police administratives antiterroristes est suivi rigoureusement par les autorités françaises – tant par l’administration que par le Parlement – pour l’exécution des mesures décidées et l’évaluation de leur efficacité.

109.Comme mentionné plus haut, depuis 2016, les mesures de police administrative prononcées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, font l’objet d’une information précise et régulière des assemblées parlementaires.

110.Par ailleurs, le Gouvernement est légalement tenu de remettre chaque année au Parlement un rapport évaluant l’efficacité des mesures administratives antiterroristes.

111.En outre, la CNCTR rend compte au Parlement via un rapport d’activité, qu’elle a également décidé de rendre public. Ce rapport montre, pour l’année 2020, que la prévention du terrorisme motive près de la moitié des demandes de renseignement (46,3 % du total). Cette même année, 16,5 % des demandes ont été présentées sur le fondement de la finalité correspondant à la défense et à la promotion des intérêts majeurs de la politique étrangère, à l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et à la prévention de toute forme d’ingérence étrangère. La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées a représenté 14,4 % des demandes.

112.Enfin, d’après ce rapport, en 2020, 21 952 personnes ont été surveillées au moyen de techniques de renseignement, contre 22 210 l’année précédente. Parmi elles, 8 786 personnes (soit 40 % du total) l’ont été au titre de la prévention du terrorisme et 5 021 personnes (soit 22,9 %) sur le fondement de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées.

113.Pour le reste, le Gouvernement s’en rapporte aux éléments présentés dans les questions précédentes.

K. Réponse aux questions posées au paragraphe 11

114.En premier lieu, s’agissant des rapatriements humanitaires depuis la Syrie, les engagements internationaux de la France en matière de protection des droits de l’homme n’imposent pas à celle-ci de procéder au rapatriement de personnes qui ne relèvent pas de la juridiction de la France au sens de ces conventions internationales. En outre, ainsi que l’a jugé le juge national, tout rapatriement implique soit que la France engage des négociations avec des autorités étrangères soit qu’elle intervienne sur un territoire hors de sa souveraineté. Il suit de là que, la position arrêtée par les autorités françaises, conforme aux engagements internationaux de la France, est la suivante :

•Les adultes qui ont choisi de rejoindre les rangs d’une organisation terroriste doivent être jugés sur place, au plus proche du lieu où ils ont commis les faits ;

•À la différence de leurs parents, les enfants n’ont pas choisi de rejoindre la cause d’une organisation terroriste ; c’est la raison pour laquelle l’Etat français mobilise, de façon proactive, des moyens extrêmement importants pour les ramener, à chaque fois que cela est possible. Lorsque le rapatriement des enfants implique le retour de leur mère et que les conditions sur le terrain rendent ce retour possible, il est procédé au retour de ces mères, dès lors qu’elles l’acceptent et en toute connaissance de cause. Ces mères sont judiciarisées à leur arrivée en France. Ainsi, la France a procédé pour la première fois début juillet 2022 au rapatriement de mères (16) en même temps que le rapatriement de mineurs français (35).

115.La France a ainsi conduit plusieurs opérations qui ont permis de ramener 72 enfants (dont 2 néerlandais, soit 70 mineurs français au total) particulièrement vulnérables et 16 femmes.

116.En outre, la France apporte un soutien humanitaire pour améliorer la situation dans le nord-est syrien. En 2022, la France versera aux acteurs humanitaires sur place 40 M€, dont 16 M€ seront consacrés à la stabilisation et 24 M€ à l’aide humanitaire. Cette aide bénéficie notamment aux acteurs humanitaires actifs dans les camps du Nord-Est syrien. Pour la période 2018-2022, plus de 30 M€ ont spécifiquement été alloués à la réponse humanitaire au bénéfice des personnes déplacées et réfugiées dans les camps du nord-est syrien.

117.En deuxième lieu, le Gouvernement rappelle d’abord que la France respecte la souveraineté de l’État irakien, avec lequel elle entretient par ailleurs des relations diplomatiques et des dialogues politiques réguliers. La France respecte en particulier l’indépendance de la justice irakienne. Cette attitude s’impose au traitement de l’ensemble des affaires judiciaires impliquant nos ressortissants à l’étranger. Cela étant dit, le Président de la République et le ministre ont rappelé, à chaque fois que nécessaire, l’opposition de la France à la peine de mort, en tous lieux et en toutes circonstances et leur souhait de voir ces sentences de citoyens français commuées. Les démarches françaises auprès des autorités irakiennes ont, au stade de ces écritures, permis que ces peines de mort ne soient pas exécutées.

L. Réponse aux questions posées au paragraphe 12

118.En premier lieu, l’article R. 434-18 du Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale prévoit que la force est employée uniquement « dans le cadre fixé par la loi, seulement si c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. [Le policier ou le gendarme] ne fait usage des armes qu’en cas d’absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut ».

119.Concernant la police nationale, l’inspection générale de la police nationale (IGPN) a mis en place à compter de 2018 une base de données de « recensement des personnes blessées ou décédées à l’occasion d’une mission de police ».

120.Pour l’année 2020, le bilan du recensement des particuliers blessés ou décédés, à l’occasion des missions de la police nationale, fait état de 114 déclarations réparties en 32 décès et 92 blessés (contre 27 décès et 144 blessés, en 2019) :

•Dans plus de 85 % des cas, les blessures ou décès se sont produits hors des locaux de police ;

•25 % des déclarations s’inscrivent dans le contexte d’une opération judiciaire ;

•Dans 12 % des cas, les faits se sont produits pendant une mesure de rétention (garde à vue, rétention pour ivresse publique et manifeste) ;

•Deux déclarations pour un décès sont en lien avec une affaire de terrorisme ;

•19 % (contre 40 % en 2019) des blessures sont intervenues lors d’une mission de maintien de l’ordre ou de violences urbaines.

121.Par ailleurs, plus de la moitié des blessures se sont produites sans l’usage d’une arme (59 %) démontrant ainsi l’importance de la formation aux techniques d’intervention. Il n’y a pas de comptabilisation spécifique des techniques d’immobilisation telles que le pliage ou le plaquage ventral. En outre, il convient de signaler que la clé d’étranglement est interdite depuis le 30 juillet 2021 et que des techniques d’interpellation alternatives sont désormais enseignées.

122.Concernant les décès, en 2020, dans la moitié des cas, la mort résulte des risques pris par la personne pour prendre la fuite ou de son état de santé préalable.

123.Concernant l’origine ou l’appartenance à une minorité ethnique, cette donnée n’est jamais renseignée car un tel recensement est illégal en France.

124.En ce qui concerne la gendarmerie nationale, on compte 7 décédés et 16 blessés (avec une interruption temporaire totale supérieure à 8 jours) en 2019, pour 8 décédés et 8 blessés en 2020, en lien avec l’action des unités de gendarmerie. Pour ces mêmes années, aucun décès n’est survenu à la suite ou au cours d’opérations de gendarmerie en raison d’un emploi excessif de la force ou de techniques d’immobilisation. Par ailleurs, en ce qui concerne la gendarmerie nationale, ni la technique du « pliage ventral », ni la technique du « plaquage ventral » ne sont enseignées, ni mises en œuvre.

125.Les gendarmes sont largement formés aux interpellations pour avoir le moins de risque possible de blessure des personnes interpellées. Plus de 11 000 stagiaires sont ainsi admis annuellement en formation qualifiante ou de perfectionnement dans ce centre national, reconnu comme pôle d’excellence européen.

126.Des formations relatives à la lutte contre la discrimination sont également organisées. Les formations sont systématiquement dispensées en présence des référents « égalité et diversité » de chaque école. Le Gouvernement souligne la mise en place dès 2018 de référents racisme, antisémitisme et discriminations au sein de chaque groupement de gendarmerie départementale en vue d’améliorer la prise en charge des victimes. Ce réseau s’appuie sur les 1740 correspondants territoriaux de prévention affectés dans les communautés de brigades et les brigades territoriales autonomes. Par ailleurs, un guide méthodologique relatif à la répression des discriminations élaboré par la direction générale de la gendarmerie nationale dès 2007 a été diffusé, actualisé en 2012 puis en 2018. Accessible en ligne par tout gendarme, il synthétise les différents types de discriminations, fournit des conseils en matière de prise en compte des victimes, ainsi que les méthodes pour diligenter avec efficience les enquêtes.

127.Les autres formations aux techniques et armes des forces de l’ordre, pour limiter les blessures, sont détaillées en réponse aux questions des paragraphes 18 et 24.

128.En deuxième lieu, des enquêtes judiciaires peuvent être ouvertes et donner lieu à condamnations. À titre d’illustration, en 2019, 1 460 enquêtes judiciaires ont été confiées à l’IGPN : 292 saisines étaient spécifiquement liées à l’usage de la force ou des armes lors des manifestations des gilets jaunes ; 1 322 enquêtes ont été closes et transmises à l’autorité judiciaire. En 2020, 1101 enquêtes judiciaires ont été ouvertes tandis que 1 167 étaient closes et transmises à l’autorité judiciaire. Entre 2015 et 2021, ont été prononcées 517 condamnations délictuelles par les juridictions françaises, dont 117 en 2021, pour des faits d’atteintes aux personnes par personne dépositaire de l’autorité publique (PDAP) : 74 % d’entre elles ont été assorties d’une peine d’emprisonnement ; 12 % ont fait l’objet d’une peine d’emprisonnement ferme.

M. Réponse à aux questions posées au paragraphe 13

129.À titre liminaire, il convient de rappeler que le Traité sur le commerce des armes (TCA) est mis en œuvre par les Etats parties (art. 14) avec l’assistance d’un secrétariat (art. 18), auquel les Etats parties adressent notamment un rapport annuel sur les exportations et importations autorisées ou effectuées (art. 13). Ainsi, aucune des stipulations du traité ne prévoit, s’agissant du suivi de son exécution, l’intervention du comité des droits de l’Homme, dont la compétence porte sur la seule application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte, lequel n’est d’ailleurs pas mentionné en tant que tel dans le TCA.

130.Les exportations françaises de matériels de guerre font l’objet d’un contrôle strict au travers d’une procédure d’instruction interministérielle rigoureuse. La Commission interministérielle d’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) est chargée d’étudier toute demande de licence d’exportation, avant décision du Premier Ministre. Cette décision est ainsi le résultat d’un examen minutieux, mené au cas par cas et de manière collégiale par les quatre membres à voix délibérative (MVD) composant la CIEEMG, qui étudie toute demande de licence en s’assurant du respect scrupuleux des engagements internationaux de la France, notamment au titre du Traité sur le commerce des armes ainsi que de la Position commune 2008/944/PESC et de ses huit critères d’évaluation. En particulier, au titre des articles 6 et 7 du traité sur le commerce des armes, la CIEEMG évalue la conformité de l’exportation projetée au droit international humanitaire ainsi qu’au droit international des droits de l’Homme. À cette fin, les services instructeurs prennent en compte et recoupent les données relatives au client final (conventions dont il est signataire, attitude passée et présente par rapport au respect du DIH), à l’évolution du contexte régional et international, et enfin au matériel lui-même et aux usages potentiellement contraires au droit international humanitaire et au droit international des droits de l’homme qui pourraient en être faits. Les administrations utilisent l’ensemble des sources à leur disposition. Lors de cette analyse, le respect des engagements internationaux de la France s’apparente à un verrou d’entrée : c’est seulement une fois que la conformité d’une demande est établie que l’examen des demandes de licences se poursuit.

131.En outre, une fois l’autorisation délivrée, lorsque la situation évolue au regard du droit international, les autorités disposent également du levier du réexamen des licences (abrogation, retrait, suspension) et du refus des nouvelles licences nécessaires au maintien en condition opérationnelle des équipements exportés. La majorité des licences accordées inclut par ailleurs des conditions d’encadrement de l’opération d’exportation qui contribuent à la remédiation des risques de mésusage.

132.Enfin, en aval de la décision, de nombreux contrôles sont opérés pour s’assurer du respect des conditions imposées dans la licence. Des agents habilités du ministère des armées réalisent des contrôles sur pièces et sur place au sein des entreprises exportatrices. Ces contrôles portent tant sur le respect du périmètre de la licence que le respect des conditions, et donnent lieu à sanction en cas de manquement. La Direction générale des douanes et droits indirects réalise quant à elle un contrôle ex ante de toute exportation qui a lieu au moment du dédouanement, après ciblage et blocage de certaines déclarations en douane.

133.Le pays et la région évoquée dans la question sont suivis de manière aussi précise que les autres destinataires.

N. Réponse aux questions posées au paragraphe 14

134.Depuis 2021, un nouveau recours judiciaire garantit un recours effectif contre les conditions indignes de détention, qui permet de se conformer à l’arrêt J.M.B. c. France et aux jurisprudences du Conseil constitutionnel (décision no 2020-858/859 QPC, 2 octobre 2020) et de la Cour de de cassation (chambre criminelle, 8 juillet 2020, 20-81.739). La loi no 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention a inséré dans le Code de procédure pénale un nouvel article 803-8 instituant un recours judiciaire en cas de conditions indignes de détention, ouvert tant aux personnes provisoirement détenues qu’aux personnes définitivement condamnées. Un décret d’application no 2021-1194 du 15 septembre 2021 a été adopté dans ce cadre.

135.Le régime de ce recours est particulièrement protecteur des requérants. La requête est introduite via une déclaration du requérant ou de son avocat, auprès des autorités judiciaires compétentes, ou auprès du chef d’établissement pénitentiaire. Le juge doit statuer sur la recevabilité de la requête dans un délai de 10 jours à compter de sa réception par une ordonnance motivée. Si la requête est recevable et fondée, le juge précise dans l’ordonnance les conditions de détention considérées comme indignes et demande à l’administration pénitentiaire d’y mettre fin dans un délai compris entre 10 jours et 1 mois maximum, notamment en transférant le détenu dans un autre établissement. Celle-ci doit adresser un rapport au juge sur les mesures prises ou proposées à la personne détenue.

136.À l’issue de ce délai, s’il estime que les mesures correctives n’ont pas mis fin aux conditions indignes de détention, le juge peut ordonner :

•Soit un transfèrement ;

•Soit une mise en liberté immédiate du détenu placé en détention provisoire (éventuellement assortie d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec bracelet électronique) ;

•Soit un aménagement de peine pour les condamnés.

137.Le juge peut toutefois refuser de prendre une de ces trois décisions si le détenu s’est opposé à un transfèrement qui lui a été proposé par l’administration pénitentiaire au titre des mesures correctives, sauf si le requérant est une personne condamnée et que ce transfèrement aurait causé une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale, eu égard au lieu de résidence de sa famille.

138.Les décisions du juge peuvent faire l’objet d’un appel. Si la requête est irrecevable ou infondée, le détenu en reçoit notification par une ordonnance motivée.

139.Depuis le 25 février 2022, les requêtes sur le fondement de l’article 803-8 du Code de procédure pénale peuvent être comptabilisées via Cassiopée (système informatique traitant les informations relatives aux procédures judiciaires), et le recensement est disponible depuis le 31 mars 2022. Au 1er juillet 2022, 30 ordonnances de juges des libertés et de la détention, et 132 ordonnances de juges d’application des peines, statuant sur le fondement de cet article 803-8, ont été rendues.

O. Réponse aux questions posées au paragraphe 15

140.Face à la pandémie de Covid-19, des mesures ont été rapidement prises par l’administration pénitentiaire afin d’éviter l’entrée et la propagation du virus dans les établissements, et pour garantir la continuité du service public pénitentiaire.

141.La gestion de la crise a été conduite en deux temps. Durant la première phase de confinement, des mesures de restrictions exceptionnelles ont été mises en place sur l’ensemble du territoire national, pour protéger la population carcérale, qui peut être sujette à des comorbidités, avec des mesures analogues à celles que connaissait la population générale (confinement strict sans visites et suppression des activités en détention, suspension de l’accueil physique des publics au sein des services publics de la justice). La deuxième phase a été marquée par le souci du maintien d’un équilibre durable entre les mesures de protection et l’effectivité des droits, avec une différenciation territoriale.

142.Les principes directeurs suivants ont guidé l’adoption de mesures de protection :

•Être en adéquation avec la stratégie gouvernementale ;

•Prendre en compte les situations territoriales (couvre-feu, confinement territorialisé, différentes zones d’alerte) ;

•Assurer la continuité du service public pénitentiaire ;

•Associer le ministère de la santé et les services déconcentrés ;

•Protéger les droits des personnes détenues.

143.En premier lieu, des mesures de protection analogues à celles mises en place pour le reste de la population, mais adaptées au milieu carcéral, ont été mises en œuvre. Ainsi d’une large communication autour des mesures barrière et la distribution régulière de produits d’hygiène et d’entretien (savon, eau de javel, lessive), des groupes de douche et de promenades réduits constitués des mêmes personnes, l’élaboration de protocoles, en étroite collaboration avec la direction générale de la santé, afin d’assurer le signalement et la détection des cas symptomatiques ainsi qu’une prise en charge et le contact tracing. En outre, la vaccination a été promue et mise en œuvre à partir de début 2021. En fonction du niveau de circulation du virus sur le territoire, des mesures gouvernementales plus restrictives ont pu être prises, comme pour le reste de la population.

144.Dans le contexte exceptionnel de confinement du mois de mars 2020, plusieurs mesures ont également été mises en œuvre pour assurer notamment le maintien des liens familiaux, l’assistance cultuelle, la lutte contre la pauvreté, l’accès aux droits de la défense. Des aides financières ainsi que des crédits téléphoniques supplémentaires, des messageries vocales et dans certains établissements des places d’appels visiophoniques ont été mis en place. Un numéro vert gratuit par culte a également été créé.

145.En complément de ces mesures, et à l’instar de plusieurs pays européens (Italie, Allemagne, Espagne, Portugal, Royaume-Uni, ...), des mesures exceptionnelles ont été mises en œuvre pour permettre la libération anticipée de certains détenus en fin de peine.

146.En deuxième lieu, des mesures ont été prévues par l’ordonnance no 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi d’urgence du 23 mars 2020, pour réduire la population carcérale et ainsi les risques de contagion et de désordre. Par l’application de ces mesures qui a donné lieu à plus de 6 000 libérations anticipées et la limitation des écrous entrant (- 6 500) liée à la baisse d’activité des juridictions, une baisse importante de la population carcérale a été constatée, de l’ordre de 12 500 détenus en moins en 3 mois (- 18 %). Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires est passé de 116,7 % avant la crise sanitaire à 96,9 %. Ainsi, au 1er juillet 2020, on dénombrait 58 723 détenus, contre 71 377 au 1er mars 2020.

147.Les deux mesures nouvelles (l’assignation à domicile et la remise de peine liée aux circonstances exceptionnelles) sont apparues adaptées et proportionnées. Leur durée de mise en œuvre a été circonscrite à la 1ère période de crise sanitaire (mars à juillet) et pour l’assignation à domicile à celle du confinement. Leur champ d’application a également été restreint par des critères d’exclusion visant les infractions les plus graves (crimes, faits de terrorisme, violences conjugales). Aucun incident notable n’a été relevé sur la période et peu de révocations de la mesure d’assignation ont été enregistrées (38 sur 2 133 libérations dans le cadre de l’assignation à domicile soit 1,7 % de révocations).

148.Ces sorties anticipées se sont donc organisées dans un cadre maîtrisé et ont permis de garantir un climat plus serein en détention limitant les incidents et garantissant de meilleures conditions de travail pour les personnels.

P. Réponse à aux questions posées au paragraphe 16

149.L’ordonnance no 2020-303 du 25 mars 2020 a adapté en urgence les règles de procédure pénale pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Il a notamment permis de garantir le droit d’accès à un avocat (utilisation de moyens de communication à distance ou présence effective de l’avocat)

150.L’article 16 de l’ordonnance prévoyait une prolongation de plein droit des délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique, dans certaines hypothèses strictement encadrées. Cette prolongation était applicable aux personnes majeures, ainsi qu’aux mineurs de plus de 16 ans uniquement en matière criminelle ou lorsqu’ils encouraient une peine d’au moins sept ans d’emprisonnement, détenus au cours d’une procédure d’instruction ou devant être jugés à l’issue de celle-ci. Cette prolongation ne pouvait s’appliquer qu’une fois au cours de chaque procédure.

151.Le Gouvernement rappelle que les articles 149 à 149-3 du Code de procédure pénale prévoient que « lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation ». Des indemnisations sont ainsi accordées :

Année

Nombre d ’ indemnisations exécutées

Montants versés dans l ’ année

Montant moyen versé

2021

484

10 830 098,90 €

22 376,23 €

01/01/2022 au 11/07/2022

312

7 513 554,63 €

24 081,91 €

152.En outre, les centres éducatifs fermés ont continué à fonctionner après le début du confinement. Dans le contexte du confinement, 62 % des mineurs absents ont bénéficié d’une décision du magistrat prescripteur leur permettant un retour en famille. Si des adaptations de contenus pédagogiques ont dû être faits, la continuité pédagogique pour les jeunes placés en centre a été assurée, majoritairement à distance.

153.La circulaire du 26 mars 2020 présentant les dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 a appelé l’attention des juridictions pour mineurs et des services éducatifs « sur la nécessité accrue de recourir prioritairement aux mesures alternatives à la détention provisoire, et revoir systématiquement la situation des mineurs actuellement en détention provisoire pour proposer, quand elle est possible, une mise en liberté accompagnée de mesures de sûreté ». Il y avait ainsi 804 mineurs détenus au 1er janvier 2020, 780 mineurs au 1er avril 2020, 670 au 1er juillet 2020.

154.Ces dispositions ont été applicables pour une durée limitée, puisque l’article 16-1 de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence a prévu un retour progressif au droit commun. Cet article prévoyait en effet, à compter du 11 mai 2020, la cessation des prolongations automatiques des détentions provisoires. Ces prolongations n’ont donc été appliquées qu’aux seuls titres de détention ayant expiré pendant la période du confinement.

155.Suite à la décision no 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021 le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le maintien de plein droit de la détention provisoire dans le contexte d’état d’urgence sanitaire, au motif que la nécessité du maintien en détention provisoire ne faisait pas l’objet d’un contrôle juge judiciaire et méconnaissait de ce fait l’article 66 de la Constitution. Ces dispositions ont été immédiatement abrogées, sans portée rétroactive. L’absence d’abrogation rétroactive des prolongations effectuées de plein droit n’a pas eu un fort impact, notamment s’agissant des mineurs, dans la mesure où la période d’application de l’ordonnance (du 26 mars 2020 au 11 mai 2020) a été courte et où les conditions d’application pour les mineurs étaient très restrictives.

Q. Réponse à aux questions posées au paragraphe 17

156.Dans le cadre du Second plan d’action national contre la traite des êtres humains (2019-2021), les acteurs nationaux se sont mobilisés, en particulier l’office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), qui lutte contre ces pratiques, et l’Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) dont les publics sont particulièrement vulnérables. Un plan s’agissant des enfants a également été mis en place. La Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains coordonne le travail en matière de la lutte contre la traite des êtres humains

157.En premier lieu, l’OCRTEH est à l’initiative de projets novateurs en matière de lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. Dans ce domaine, la protection des victimes et l’adaptation aux nouvelles technologies sont désormais des priorités.

158.Un plan d’action complet pour améliorer la prise en charge des victimes a ainsi été mis en place. Il a mis en œuvre la révision du modèle de procès-verbal d’audition de victimes, afin que leur soient notifiés systématiquement les droits spécifiques qui peuvent leur être accordés depuis 2016. Le plan prévoit également l’amélioration de l’information des victimes, des salles d’attente et d’audition et des partenariats avec des associations spécialisées.

159.Des mesures sont également prises pour faire face à l’essor de l’usage des nouvelles technologies. Notamment, une partie des enquêteurs de l’OCRTEH est formée à l’enquête sous pseudonyme (« cyberpatrouille ») et fait usage de manière croissante de cette technique spéciale d’enquête en ligne. Les téléphones des mis en cause sont systématiquement exploités pour pouvoir intégrer à l’enquête des éléments issus de communications cryptées. Les partenariats avec des entités privées telles qu’Airbnb ou Western Union permettent d’obtenir des réponses efficaces, à l’heure où les réseaux de traite ont recours de manière massive à ces services en ligne. Les coopérations internationales de l’Office permettent également de poursuivre les comportements de traite qui s’affranchissent des frontières, en particulier grâce aux outils numériques.

160.En deuxième lieu, l’OFPRA lutte également contre la traite. Une traite à des fins d’exploitation sexuelle de femmes et jeunes filles du Nigéria, mais également de Côte d’Ivoire, de Guinée, de la République démocratique du Congo est constatée. La demande d’asile du Nigéria est instrumentalisée par les réseaux de trafiquants d’êtres humains contraignant, parfois par la violence, leurs victimes à déposer une demande d’asile pour qu’elles régularisent leur situation administrative.

161.Dans ce contexte, l’OFPRA a poursuivi et développé ses actions dédiées. Ainsi, un groupe de référents « Traite des êtres humains », composé d’agents spécialisés, attache notamment une importance particulière à la conduite adaptée des entretiens avec les victimes de traite auto-identifiées ou présumées. Sa mise à jour en 2021 prend également acte des évolutions jurisprudentielles, comme de la possibilité de refuser ou retirer une protection au titre de l’asile aux personnes participant à la traite, et inversement. En outre, l’OFPRA renforce sur ces années 2021-2022 les ressources à disposition des équipes pour l’information et l’orientation des victimes vers leurs droits.

162.Ensuite, dans un contexte d’augmentation significative de ses effectifs sur la période considérée, l’OFPRA s’est attaché à renforcer la formation de ses agents, en particulier les officiers de protection instructeurs et les encadrants, à la thématique de la traite des êtres humains. Environ 450 agents ont été formés, soit l’ensemble des agents agissant dans ce domaine, au module « Traite des êtres humains ». Cet effort de formation se poursuit en 2022 pour les agents nouvellement recrutés et toute personne intéressée par le sujet. En parallèle, l’Office s’est doté d’outils pour renforcer l’appropriation par tous de la mise en œuvre de ses obligations de signalement aux autorités compétentes aux titres de l’article 40 du Code de procédure pénale et de l’enfance en danger ou risquant de l’être, qui peuvent concerner des victimes de traite majeures et mineures identifiées dans le cadre de la procédure d’asile.

163.Enfin, l’OFPRA forme dans le cadre de son Plan Vulnérabilité les interprètes à ces questions, et les interlocuteurs extérieurs. Il s’agit notamment des référents vulnérabilités de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), agents des Structures de premier accueil pour demandeurs d’asile (SPADA), travailleurs sociaux des structures d’hébergement du Dispositif national d’accueil (DNA).

164.En troisième lieu, la stratégie nationale d’accélération pour éliminer le travail des enfants, le travail forcé, la traite des êtres humains et l’esclavage contemporain à l’horizon 2030 propose de venir en renfort et en complément des plans d’action interministériels déjà existants. Elle vise à accroître et à accélérer les efforts de la France vers l’atteinte de la cible 8.7 des Objectifs de Développement Durable de l’Agenda 2030 des Nations Unies.

165.Cette stratégie jette ainsi les fondements d’une mobilisation renouvelée en offrant un cadre d’action global aux pouvoirs publics et aux parties prenantes. Ce cadre doit permettre d’agir sur notre territoire national, dans nos politiques européennes de commerce et d’investissement, dans notre coopération internationale en faveur d’une économie responsable, dans les chaînes d’approvisionnement des entreprises multinationales établies sur notre sol et dans notre commande publique.

166.L’engagement de la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, du ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité, ainsi que du Secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles en faveur du lancement de cette stratégie vise à protéger les populations vulnérables face aux pires formes d’exploitation en France et dans le monde. Sa mise en œuvre fera l’objet d’une évaluation périodique des parties prenantes impliquées dans sa conception, comme des instances de l’Alliance 8.7 dont le secrétariat est assuré par l’Organisation internationale du Travail à Genève.

167.Un plan national de lutte contre la prostitution des mineurs a été édicté, dans la continuité de ces actions, le 15 novembre 2021.

168.En dernier lieu, la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, instaure, dans le Code de commerce, de nouvelles obligations de vigilance à l’égard des sociétés les plus importantes, qui doivent établir et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance. La loi prévoit l’engagement de leur responsabilité en cas de manquement à ces nouvelles obligations visant à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, y compris lorsqu’elles sont commises par leurs filiales directes ou indirectes, en France et dans le reste du monde.

R. Réponse aux questions posées au paragraphe 18

169.Il convient de rappeler qu’une attention toute particulière est portée au respect des règles de déontologie lors de toutes les opérations de police menées par les effectifs de police et de gendarmerie à Paris et en petite couronne. Ces opérations sont organisées sous un contrôle strict de la hiérarchie.

170.En premier lieu, toute accusation et faute alléguée fait l’objet soit d’une enquête interne à l’initiative de l’administration, soit d’une d’enquête sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou à l’initiative d’une autorité administrative indépendante. À titre d’exemple, en 2016, lors d’une opération de mise à l’abri de migrants à Paris, un usage de bombe lacrymogène par un policier en dehors de tout ordre hiérarchique avait fait l’objet d’une sanction administrative. En novembre 2020, une sanction avait également été adoptée contre un policier qui avait fait un croche-pied à un manifestant. Deux autres enquêtes de l’IGPN sont également en cours concernant des opérations de police de décembre 2020 et juillet 2021.

171.Par ailleurs, les agents appartenant aux unités de force mobile reçoivent une formation systématique et obligatoire pour chaque arme qu’ils sont susceptibles d’employer. Les habilitations et les encadrements sont régulièrement renouvelés pour éviter les blessures. À titre d’exemple, concernant l’utilisation d’un lanceur de balles de défense de 40 mm, un superviseur est désormais désigné et formé pour assister le tireur. La doctrine d’emploi de ces équipements fait l’objet de rappels réguliers lors des préparations des dispositifs d’intervention. Par ailleurs, un effort a été entrepris pour fournir aux forces de l‘ordre des caméras piétons, dont l’emploi est encouragé et dont les enregistrements sont conservés selon des normes strictes garantissant l’impossibilité d’intervenir techniquement sur les enregistrements réalisés.

172.Concernant les allégations de harcèlement et/ou de violences policières pouvant être portées, par des particuliers ou des associations, contre les agents des forces de l’ordre, le recueil en est facilité via les plates-formes de signalement de l’inspection générale de la police nationale et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale. Une étude et une réponse à chaque sollicitation est systématiquement réalisée.

173.En deuxième lieu, dans le nord de la France, deux types d’intervention sont sensibles.

174.D’une part, les opérations d’évacuation des terrains illégalement occupés par des migrants, lesquelles exécutent une décision de justice. Chaque opération est accompagnée d’une mise à l’abri orchestrée par la préfecture. Ce type d’opération connaît rarement des incidents.

175.D’autre part, les dispositifs de lutte contre les traversées maritimes. Les forces de l’ordre peuvent rencontrer une hostilité des migrants souhaitant se rendre en Angleterre les obligeant à faire usage de la force pour mettre fin notamment à une situation de danger. Plusieurs notes de service ont été récemment diffusées pour rappeler les missions, la gestion des risques sanitaires, le cadre juridique d’intervention, l’usage des armes et la déontologie policière à Calais, ainsi que les modalités relatives aux opérations d’expulsion et de mise à l’abri des occupants sans droit ni titre du terrain.

176.Enfin, en ce qui concerne les sanctions disciplinaires, deux situations ont fait l’objet de poursuites disciplinaires depuis 2016 à Calais, Grande-Synthe et dans le nord de la France. Il s’est agi de deux exclusions temporaires de fonctions, prononcés en novembre 2021 pour des manquements portant sur l’usage disproportionné de la force en juillet 2018.

S. Réponse aux questions posées au paragraphe 19

177.En premier lieu, la France a rétabli ses contrôles aux frontières intérieures depuis novembre 2015 en raison de la persistance de la menace terroriste, conformément aux dispositions des articles 25 et 27 du Code frontières Schengen.

178.Les entrées en France par voie terrestre depuis un État frontalier doivent transiter par des points de passage autorisés, dont la liste est notifiée à la Commission européenne. Il appartient aux autorités compétentes de s’assurer que les ressortissants de pays tiers se présentant à la frontière remplissent les conditions requises pour être admis à entrer sur le territoire français et, à défaut, de leur notifier une décision de refus d’entrée. La décision du refus est écrite et motivée, avec information de la possibilité de former un recours. Aussi, le dépôt d’une demande d’asile du ressortissant de pays tiers a pour conséquence de suspendre l’effet de la décision de refus d’entrée le temps de son examen. Par conséquent, la procédure applicable dans le cadre du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures est conforme au principe de non-refoulement dans la mesure où la France n’éloigne, n’expulse ou n’extrade aucun ressortissant de pays tiers vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

179.De plus, la législation française interdit l’adoption de mesures d’éloignement à l’égard de mineurs et, en conséquence, prohibe le placement en rétention de mineurs non-accompagnés. Aucune mesure d’éloignement n’est mise en œuvre par les préfectures tant que le juge des enfants n’a pas statué sur la prise en charge du mineur par l’aide sociale à l’enfance et que les voies de recours ne sont pas épuisées.

180.En deuxième lieu, s’agissant des mesures prises pour garantir la présomption de minorité jusqu’au rendu de la décision finale du juge des enfants, il existe dans le Code civil une présomption simple d’authenticité des actes d’état civil étrangers produits. Des examens radiologiques osseux peuvent être ordonnés par l’autorité judiciaire (art. 388 du CC), avec le consentement éclairé de l’intéressé dans une langue qu’il comprend (Conseil constitutionnel, QPC no 2018-768, 21 mars 2019). Il revient au juge d’interpréter les conclusions des examens à la lumière des documents d’état civil et du rapport d’évaluation. En cas de doute, celui-ci bénéficie à l’intéressé (Cour de cassation, 1ère civ., 12 janvier 2022, no 20-17343). Pendant la phase d’évaluation de la minorité et de l’isolement, le jeune peut bénéficier des dispositifs de protection de l’enfance. Le Conseil d’Etat a rappelé la compétence du juge des référés du tribunal administratif, pour ordonner la poursuite de l’accueil provisoire d’urgence dans l’attente de la décision judiciaire (notamment, CE, 4 juin 2020 no 440686).

181.En troisième lieu, s’agissant de l’exécution de l’arrêt Kahn c. France les mineurs ne sont pas soumis aux règles de séjour des étrangers (art. L.411-1 du CESEDA). Les mineurs non accompagnés (MNA) ne peuvent donc faire l’objet d’une mesure d’éloignement. En outre, le dispositif permet la coopération du président du conseil départemental, du juge des enfants qui prononce une mesure de protection de l’enfant, et de la mission des MNA qui coordonne le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation. En cas d’inexécution de la mesure de protection décidée par le juge des enfants (art. 375 du CC), après audition du MNA assisté d’un avocat, un recours peut être déposé devant les juridictions administratives, y compris en urgence.

182.Un guide de bonnes pratiques relatif à l’évaluation de la minorité et de l’isolement des personnes se présentant comme MNA a été publié le 23 décembre 2019. Aussi, pour favoriser le repérage des MNA qui ne se présentent pas eux-mêmes aux services de l’ASE, les autorités ont développé les démarches d’« aller vers », en prenant appui sur des professionnels formés à cette fin. L’association Hors la rue a expérimenté à Paris un dispositif à destination des mineurs étrangers en errance sur la voie publique : elle va à leur rencontre et leur propose un travail d’accompagnement avec des éducateurs.

183.La loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfance a créé un article L. 221-2-5 au Code de l’action sociale et des familles (CASF), qui fait interdiction aux conseils départementaux de procéder à une nouvelle évaluation de la minorité et de l’isolement lorsque le mineur est orienté dans un nouveau département après évaluation par le département d’arrivée. Elle rend ainsi obligatoire l’utilisation du traitement automatisé de données à caractère personnel dit « Aide à l’évaluation de la minorité » (AEM) qui permet de mieux identifier les personnes qui se déclarent MNA, afin d’uniformiser les évaluations sur l’ensemble du territoire français.

184.De manière plus générale, toute personne se présentant comme MNA est prise en charge par les services de l’ASE du département dans lequel elle se trouve (art. L223-2 du CASF). Durant la période d’évaluation de sa situation par le département, elle bénéficie d’une mise à l’abri visant à assurer sa protection.

185.L’Etat participe financièrement à la prise en charge des personnes se présentant comme MNA (art. R221-12 du CASF). Sur le plan de la santé, l’Etat apporte une contribution de 100 euros par personne à la réalisation d’une première évaluation des besoins en santé des intéressés. Les MNA admis à l’ASE bénéficient ensuite de la protection maladie universelle. Du fait de la minorité, pour assurer l’exercice des droits par le mineur, un administrateur ad hoc est désigné en cas de maintien du mineur en zone d’attente pour la demande d’asile, et une tutelle peut être prononcée par le juge aux affaires familiales.

T. Réponse à aux questions posées au paragraphe 20

186.Pendant la période d’état d’urgence sanitaire, des mesures ont été prises pour garantir aux ressortissants étrangers le respect de leur droit au séjour et le maintien des droits sociaux.

187.Plusieurs ordonnances sont venues prolonger la durée de validité de certains titres de séjour permettant le maintien des effets juridiques attachés aux titres pendant toute la période de prolongation. De même, les délais pour déposer une demande ont pu être prolongés. Également, les demandes d’accès à l’aide médicale d’Etat ont pu être déposées en ligne et non en personne.

188.Ainsi qu’il a été vu, un dispositif exceptionnel a été mis en place durant le confinement de mars à mai 2020, permettant la création de places et l’orientation vers ces places d’hébergement. La crise sanitaire a entrainé une intensification des opérations de mise à l’abri pour protéger les publics à la rue en période de confinement, notamment les publics migrants isolés.

189.Au total, entre le début de la crise sanitaire et jusqu’au 11 mai 2020, date de fin du premier confinement, 3 463 personnes ont été orientées vers un hébergement du Dispositif national d’accueil. Un dispositif de tests à la Covid y a été déployé et des mesures d’adaptation ont été prises pour respecter la distanciation. Une politique de vaccination, pour vacciner tous les volontaires avant août 2021, dans les centres et hors centres via les structures du premier accueil des demandeurs d’asile, a été mise en place. Des permanences téléphoniques de soutien aux travailleurs sociaux ont été mises en place fin avril pour répondre au besoin de prise en charge des personnes vulnérables du point de vue de la santé mentale.

190.De nombreuses personnes sans abri et vulnérables ont également été mises à l’abri au sein du dispositif d’hébergement généraliste compte-tenu du principe d’inconditionnalité de l’accueil des personnes en situation de détresse. Le parc d’hébergement généraliste a donc pris en charge l’ensemble des personnes sans-abri qui le souhaitait quelle que soit leur situation administrative dans les 203 000 places ouvertes, avec 40 000 places supplémentaires ouvertes en quelques jours.

U. Réponse à aux questions posées au paragraphe 21

191.La loi no 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés porte sur plusieurs champs.

192.D’abord, elle modifie les règles encadrant l’usage des caméras piétons par les agents des forces de l’ordre et fixe un cadre juridique à l’utilisation de caméras installées sur des aéronefs télépilotés à des fins de sécurité civile (exemple : lutte contre les feux de forêts).

193.En outre, en définissant les finalités au titre desquelles le recours à ces dispositifs de captation est autorisé ainsi que la durée de conservation des données collectées et les personnes qui peuvent y accéder, la loi garantit les principes de proportionnalité et de nécessité.

194.Enfin, la loi autorise des agents de surveillance à détecter des drones y compris aux abords des bâtiments dont ils assurent la surveillance. Cependant, cette mission ne saurait être regardée comme étant une mission de surveillance générale de la voie publique puisque seuls les bâtiments dont ils sont chargés et leurs abords immédiats sont concernés. En outre, les agents ne sont autorisés qu’à recueillir des informations sur le drone, et non son propriétaire, pour les transmettre aux forces de l’ordre.

195.Les mesures d’application de ces dispositions sont soumises à l’avis préalable de la commission nationale de l’informatique et des libertés, laquelle est également compétente pour contrôler la mise en œuvre de ces dispositifs et leur conformité au cadre juridique relatif à la protection des données à caractère personnel.

196.Cette loi a fait l’objet d’un large contrôle avant sa promulgation par le Conseil constitutionnel (décision no 2021-817 DC du 20 mai 2021) qui a vérifié le respect de droits équivalents à ceux du Pacte, consacrés par la Constitution française.

V. Réponse aux questions posées au paragraphe 22

197.Les libertés d’expression et d’information font partie des valeurs fondamentales de la République française. Ceux qui l’exercent doivent pouvoir être protégés contre les procédures dites bâillons.

198.En premier lieu, le droit français protège la liberté d’expression.

199.La recherche d’un équilibre entre le respect de la liberté d’expression et la sanction des abus dans son exercice a conduit à l’instauration de règles procédurales dérogatoires du droit commun, notamment par l’adoption de la loi du 29 juillet 1881 veillant au respect de la liberté d’expression quand sont commises des infractions par voie de presse, et plus généralement, pour toute forme d’expression publique. Parmi les spécificités de la loi de 1881, se trouvent de courts délais de prescription publique (la loi du 24 août 2021 a porté de trois mois à un an le délai de prescription de l’action publique pour certains délits), la responsabilité en cascade, ou encore la limitation des cas dans lesquels la personne poursuivie peut être placée en détention provisoire.

200.En outre, une personne poursuivie pour diffamation peut produire, pour les besoins de sa défense et sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, « des éléments provenant d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction ou de tout autre secret professionnel s’ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires ».

201.Ensuite, la loi de 1881 protège le secret des sources des journalistes, s’agissant de la provenance comme des conditions d’obtention de l’information diffusée (art. 2). Elle concerne les informateurs des journalistes et l’ensemble des documents imprimés, des ordinateurs, téléphones et fichiers informatiques de journalistes permettant d’en identifier les sources.

202.Le Code de procédure pénale prévoit également des mesures dérogatoires en matière de perquisition au domicile d’un journaliste devant être effectuées par un magistrat et selon certaines formes (art. 56-2), de réquisition de l’autorité judiciaire devant respecter le principe du secret des sources (art. 60-1), de transcription des correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source (art. 100-5), et de l’audition d’un journaliste comme témoin dans le respect du secret de ses sources (art. 326).

203.Enfin, la loi de 1881 protège contre les ingérences, en reconnaissant à tout journaliste « le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, […] dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté ». Les entreprises de médias doivent se doter d’une charte déontologique. Le droit du travail protège les journalistes notamment en leur reconnaissant la possibilité de quitter une entreprise à tout moment, tout en percevant des indemnités de licenciement. Enfin, la loi du 24 août 2021 aggrave les peines encourues quand les comportements individuels visant à nuire gravement à une personne, à sa famille ou à ses biens, en dévoilant des informations personnelles la concernant, sont commis au préjudice d’un journaliste (art. 223-1-1 du CP).

204.En deuxième lieu, des dispositions générales assorties de sanction permettent de prévenir l’exercice de procédures bâillons en matières civile, commerciale et pénale :

•Le droit civil condamnecelui qui agit de manière dilatoire ou abusive à une amende civile d’un montant maximum de 10 000 euros (art. 32-1 du Code de procédure civile), sans préjudice des dommages-intérêts pouvant être réclamés par le défendeur (art. 1240 du CC) ; ainsi que les manœuvres dilatoires d’un plaideur (art. 118 du CPC) ;

•En droit commercial, il existe un dispositif spécifique sanctionnant toute personne agissant de manière dilatoire ou abusive sur le fondement d’une action en prévention, en cessation ou en réparation d’une atteinte au secret des affaires (art. L. 152-8 du Code de commerce) ;

•En matière pénale, la citation directe de la partie civile reconnue abusive ou dilatoire en cas de décision de relaxe ou de non-lieu à l’issue d’une information expose son auteur à une amende civile d’un maximum de 15 000 euros (art. 392-1, 177-2 et 212-2 du Code de procédure pénale).

205.En outre, la transposition de la Directive sur la protection des lanceurs d’alerte a ouvert le champ des réflexions et a permis d’adopter un dispositif spécifique de protection contre les procédures bâillons. Une amende de 60 000 euros est prévue en cas de procédure bâillon intentée contre un lanceur d’alerte, et le Code de procédure pénale a été modifié pour lever un obstacle procédural particulièrement préjudiciable en cas de poursuites fondées sur le délit de diffamation, qui empêchait le tribunal correctionnel de prononcer une amende civile lorsque l’action publique avait été mise en mouvement par une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction. La loi organique du 9 décembre 2016 prévoit que le Défenseur des droits est chargé d’orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte. La loi du 21 mars 2022 crée un nouvel adjoint au Défenseur des droits chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte et prévoit que toute personne pourra demander au Défenseur des droits de certifier sa qualité de lanceur d’alerte.

206.En troisième lieu, la France soutient l’initiative de la Commission européenne qui a adopté un plan d’action le 2 décembre 2020 pour protéger les journalistes et les défenseurs des droits contre les procédures bâillons. Est prévue l’adoption d’un instrument législatif ouvrant des garanties procédurales en matière civile contre les procédures bâillons, et d’un instrument non législatif qui inviterait les Etats membres à adopter des mesures de sensibilisation, de formation des professionnels du droit, de suivi des procédures bâillons, et de soutien pour les cibles de ces procédures. Cette initiative concernerait toutefois uniquement les procédures disposant d’une dimension transfrontalière.

W.Réponse aux questions posées au paragraphe 23

207.La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République entend apporter une réponse globale aux phénomènes de repli communautaire fondés sur des considérations religieuses, politiques ou philosophiques radicales. En bannissant les comportements séparatistes ou les discours qui les encouragent, cette loi poursuit l’objectif de protéger les valeurs cardinales de liberté, égalité, fraternité, qui constituent les fondements de la République française. Comme le rappelle la circulaire du 22 octobre 2021 de présentation de cette loi, cette dernière vise notamment à mieux protéger le fonctionnement des services publics grâce à la création d’un délit de menaces séparatistes. Il réprime les menaces, intimidations ou violences à caractère séparatiste, destinées à obtenir une adaptation des règles de fonctionnement d’un service public. Il permet une dissolution effective des associations générant de graves troubles à l’ordre public (art. L. 212-1 du CSI). Ces dissolutions peuvent être contestées par les associations devant les juridictions administratives, y compris en urgence.

208.Cette loi assure toutefois un équilibre avec la liberté d’association, qui dispose d’un statut constitutionnel (71-44 DC du 16 juillet 1971). Le régime de la dissolution est conforme aux exigences conventionnelles proches issues de la Convention européenne des droits de l’homme et du Pacte. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme considère que les États peuvent restreindre l’exercice des libertés d’expression et de réunion par le biais de la dissolution d’association (CEDH, 13 février 2003, Parti de la Prospérité c . Turquie, nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98). La Cour EDH n’admet la dissolution d’une association que si cette mesure répond à un besoin social impérieux, ce qui est le cas lorsque le régime prévu par la loi du 24 août 2021 est mis en œuvre.

209.S’agissant de la manifestation de ses convictions, notamment religieuses, dans l’espace public et/ou le port d’un signe religieux dans l’espace public, le principe de neutralité posé par la loi de 1905 suppose que les agents du service public se voient interdire de manifester leur croyance religieuse (ou leurs convictions politiques ou philosophiques), par des signes extérieurs, notamment vestimentaires. En revanche, le devoir de neutralité des agents du service public ne s’applique pas aux parents accompagnateurs de sorties scolaires. Cette exclusion du devoir de neutralité aux parents accompagnateurs lors d’une sortie scolaire s’explique par le fait que, contrairement à l’enseignant, les parents apportent une aide logistique bénévole et ne concourent pas à l’éducation des enfants lors de ces sorties.

210.Plus largement, le devoir de neutralité ne s’impose pas aux usagers du service public, le principe de laïcité leur garantissant la liberté de conscience et la possibilité de manifester leurs convictions religieuses, sous réserve de ne pas troubler l’ordre public et le bon fonctionnement du service public. Cette exclusion du devoir de neutralité explique que des signes ostensibles puissent être portés par tous dans l’espace public, dans la limite du respect de l’ordre public. Ainsi, depuis la loi du 11 octobre 2010, si le port d’un foulard religieux dans l’espace public est admis, il n’en saurait être de même d’un voile intégral, pour des raisons tenant à l’ordre public et au vivre ensemble. Le Conseil d’Etat a toutefois considéré que des arrêtés pris par les maires visant à interdire le port du « burkini » portaient une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle, en l’absence de risques de trouble à l’ordre public provoqués par cette tenue (v. CE, juge des référés, 2016, Association de défense des droits de l’homme – Collectif contre l’islamophobie en France, no 403578.).

211.Par ailleurs, la loi du 15 mars 2004 est venue encadrer le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse pour les élèves mineurs des établissements publics, sans toutefois leur interdire le droit de porter des signes discrets.

212.S’agissant des entreprises privées, celles-ci ne sont donc pas soumises au principe de neutralité, sauf circonstances particulières objectives. Pour renforcer la laïcité et la neutralité, la loi du 24 août 2021 a précisé que ces principes s’appliquent aux salariés des titulaires de contrats de marché public, des concessionnaires, des bailleurs sociaux et des organismes qui ont une mission de service public, à l’instar de la SNCF, de la RATP, des Aéroports de Paris ou des sociétés HLM.

213.Elle est également venue renforcer le principe de neutralité et de laïcité dans les services publics en renforçant le contrôle des actes des collectivités territoriales qui porteraient gravement atteinte à la laïcité ou à la neutralité dans un service public, pour permettre au préfet d’en demander la suspension au juge administratif qui statue dans les 48 h de sa saisine.

214.L’ensemble de ces régimes, et les garanties qui y sont attachées, sont compatibles avec le Pacte.

X. Réponse aux questions posées au paragraphe 24

215.En premier lieu, en matière de manifestations, le rôle des forces de l’ordre est avant tout de garantir l’exercice des libertés publiques, en particulier la liberté d’expression et de réunion pacifique, en garantissant la sécurité des manifestants. Lorsque la manifestation dégénère en attroupement (au sens de l’article 431-3 du Code pénal) et qu’il est nécessaire de maintenir ou de rétablir l’ordre public, les forces de l’ordre interviennent selon une législation, une réglementation et des techniques dument définies.

216.Alors que la France a connu des épisodes de troubles à l’ordre public, exceptionnels par leur durée et leur intensité (« Bonnets rouges », contestation du projet de l’aéroport de Notre Dame des Landes, manifestations contre la loi « Travail », mouvement des « Gilets jaunes »), et que les forces de l’ordre ont été accusées de recourir de manière excessive à la force, le ministère de l’Intérieur a souhaité adapter les règles d’emploi de la force publique. Le « schéma national du maintien de l’ordre » (SNMO), a été révisé en décembre 2021, et rend l’action de l’État plus intelligible.

217.Ainsi, la dissipation d’un attroupement peut être effectuée après des sommations de se disperser demeurées sans effet. Celles-ci sont faites par une autorité administrative ou un officier de police judiciaire qui ne fait pas partie des forces intervenantes. Le régime des sommations a été rénové afin que l’ordre donné aux manifestants soit clair et dénué d’ambiguïté. Tout usage de la force est précédé de trois sommations de se disperser, conformément au décret no 2021-226 du 5 mai 2021.

218.L’utilisation de moyens et d’armes de force intermédiaire est encadrée et fait l’objet d’une mise en œuvre progressive, prévue par le Code de la sécurité intérieure. Ainsi, l’emploi de la force par les représentants de la force publique n’est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public. La force déployée doit être proportionnée au trouble en cause et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé.

219.La première gamme d’armes utilisables est constituée des grenades à effet sonore, des grenades lacrymogènes et des grenades à main de désencerclement. Le lanceur de balle de défense peut être utilisé en complément « si des violences ou voies de fait sont exercées contre [les agents des forces de l’ordre] ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ».

220.L’utilisation de ces armes nécessite une formation sanctionnée par une habilitation spécifique qui doit être régulièrement renouvelée.

221.En deuxième lieu, concernant le numéro du relevé d’identité opérateur (RIO), son port est obligatoire pour tout agent des forces de l’ordre en intervention, qu’il agisse au sein d’une unité de maintien de l’ordre ou non.

222.Cette obligation à laquelle la hiérarchie doit veiller est clairement rappelée dans le Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale (art. R.434-15 du Code de la sécurité intérieure). Concernant la pratique du maintien de l’ordre, en cas de port d’une chasuble ou d’un gilet tactique susceptible de l’occulter, il est prévu que ce numéro soit apposé sur l’épaule de l’agent.

223.Enfin, il a été décidé que tout agent participant en unité constituée à un maintien de l’ordre devait être porteur d’un uniforme propre à assurer son identification, au besoin par un marquage dans le dos de l’unité à laquelle il appartient.

Y. Réponse aux questions posées au paragraphe 25

224.En premier lieu, s’agissant des « mesures adoptées pour suivre les allégations », la plateforme de signalement (PFS), créée en 2013 dans une logique d’amélioration du lien entre la police et la population, est un service administratif proposé à l’usager, sur Internet, via un formulaire en ligne, accessible depuis le site du ministère de l’Intérieur et qui permet aux usagers de saisir l’IGPN. La PFS ne constitue ni un service de plainte, ni un service d’enquête, ni un service d’urgence. La mission de cette plateforme est d’orienter au mieux le signalement vers le service de l’administration le plus à même d’y donner suite ou, le cas échéant, vers l’autorité judiciaire.

225.En 2019, selon le rapport annuel de l’IGPN, 660 signalements (sur un total de 4 792 signalements) en lien direct avec le mouvement ‘‘gilets jaunes’’ et celui des lycéens, ont été enregistrés. Le Gouvernement renvoie pour plus de détails à la question 3. La plateforme de signalement mise en place au sein de l’IGGN depuis 2013 a reçu environ 4500 signalements de particuliers entre 2018 et 2020. Sur ce total, 113, dont 23 liés aux gilets jaunes, dénoncent un usage de la force légitime non maîtrisé, disproportionné ou illégitime de la part des militaires de la gendarmerie, répartis sur la période susmentionnée.

226.En deuxième lieu, s’agissant des plaintes, durant le mouvement dit des gilets jaunes, à la suite de plaintes déposées du chef de violences par personnes dépositaires de l’autorité publique, 456 enquêtes judiciaires, diligentées sous l’autorité judiciaire, ont été confiées à l’IGPN et réalisées de manière indépendante et impartiale.

227.Entre les mois de novembre 2018 et décembre 2020, 88 % des enquêtes (soit 406) ont été closes et transmises à l’autorité judiciaire. 295 procédures judiciaires ont fait l’objet d’un classement sans suite. Les motifs de classement retenus résultent pour l’essentiel d’une infraction non caractérisée ou de l’absence d’infraction. Dans 70 % des cas, l’autorité judiciaire a conclu à la légitimité de l’usage de la force. Les 30 % restants comprennent notamment des cas où il a été impossible d’établir l’existence des faits ou lorsque les éléments étaient insuffisants pour identifier les agents qui en seraient responsables. En 2020, 19 fonctionnaires de police ont fait l’objet de poursuites judiciaires.

228.Dans le cadre des manifestations de gilets jaunes, les plaintes portaient à :

•36 % sur l’usage de lanceur de balles de défense et grenades,

•6 % sur des projectiles divers ;

•5 % sur l’usage de gaz lacrymogène ;

•38 % sur des coups et des matraques ;

•16 % (autres).

229.En ce qui concerne la gendarmerie, pour la période 2018-2020, le bureau des enquêtes judiciaires de l’IGGN a été saisie à 17 reprises par les autorités judiciaires pour des infractions en relation avec des violences commises par personne dépositaire de l’autorité publique au titre d’opérations de maintien de l’ordre liées au mouvement des « gilets jaunes ». À ce jour et parmi les enquêtes closes, aucune poursuite judiciaire n’a été engagée à l’encontre d’un gendarme. Les enquêtes menées par le bureau des enquêtes judiciaires de l’IGGN le sont de manière indépendante et impartiale. L’indépendance de l’IGGN a par ailleurs été reconnue par le Cour européenne des droits de l’Homme.

230.Enfin, s’agissant des réparations, en principe, le régime de responsabilité sans faute de l’État du fait des attroupements, prévu à l’article L. 211-10 du CSI et qui permet la réparation des préjudices, peut trouver à s’appliquer dans le cadre des préjudices subis à la suite des dommages liés aux manifestations notamment entre 2018 et 2020 (voir sur les conditions d’engagement, Conseil d’Etat, 2016, Société generali Iard, no 389835). Les demandes d’indemnisation doivent être envoyées à l’administration, et un éventuel refus peut donner lieu à un recours indemnitaire devant le juge administratif.

Z.Réponse aux questions posées au paragraphe 26

231.En premier lieu, il n’existe, en l’état du droit positif français, aucun fondement juridique permettant de recourir à des arrestations préventives. Seule la commission préalable d’un crime ou d’un délit justifie légalement une interpellation. Les circonstances de la commission d’une infraction, par exemple le fait qu’elle ait été commise lors d’un rassemblement public, ne font pas en tant que telles l’objet d’un suivi statistique.

232.En deuxième lieu, toutefois, les dispositions de la loi no 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations sont venues renforcer les dispositifs facilitant la détection, l’interpellation et la sanction des auteurs d’infractions commises pendant les manifestations. À cet égard, un délit de dissimulation du visage a été créé à l’article 431-9-1 du Code pénal et le champ de la peine d’interdiction de manifester a été étendu.

233.Cette loi a donné aux pouvoirs publics des moyens adaptés afin de lutter contre les casseurs, comme par exemple des procédures de traitement rapide pour faciliter la poursuite des infractions commises lors d’attroupements, ou la possibilité de prononcer une peine complémentaire d’interdiction de participer à une manifestation. Les dispositions de cette loi ont par ailleurs été déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 4 avril 2019. Selon le Conseil constitutionnel, le législateur a procédé à une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles et n’a pas porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Le Conseil constitutionnel a relevé les garanties, tenant à la définition stricte des conditions pour prononcer une interdiction de manifester, et le contrôle d’un magistrat judiciaire des opérations prévues, notamment d’inspection visuelle et de fouille de bagages, permettaient de protéger les libertés en cause.

234.En troisième lieu, le ministère de la Justice diffuse régulièrement, par le biais de circulaires, des instructions de politique pénale appelant l’attention des parquets sur les infractions susceptibles d’être commises lors des manifestations et rassemblements, et les invitant à mettre en œuvre une politique pénale adaptée empreinte de réactivité.

235.Ces instructions ont pour seul objectif de lutter contre ce phénomène et de poursuivre et d’interpeller les individus commettant des actions violentes afin de perturber le bon déroulement des manifestations et entraver la liberté de manifester qui appartient à tous en menaçant la sécurité des manifestants. Elles n’ont en aucun cas vocation à réprimer les personnes qui usent pacifiquement de leur liberté de manifester. Elles visent également à assurer la sécurité des manifestants pacifiques.

236.L’objectif est de dissuader ou d’empêcher les groupes violents ou de casseurs de participer à la manifestation et ainsi de permettre à celle-ci de se dérouler le plus paisiblement possible.

AA. Réponse aux questions posées au paragraphe 27

237.Les dispositions du précédent schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) avaient suscité des protestations de la profession des journalistes, notamment s’agissant de la nécessité d’une identification confirmée pour être autorisé à porter des équipements de protection et de l’accréditation des journalistes. Par décision du 10 juin 2020 (no 444849), le Conseil d’Etat a annulé plusieurs dispositions du SNMO relatives à l’activité des journalistes.

238.Dévoilé le 6 décembre 2021, l’addendum au SNMO consacré au travail des journalistes lors des manifestations prévoit notamment que les journalistes :

•Ne sont pas tenus de porter des signes distinctifs tels qu’un brassard ou un gilet « presse » ;

•Peuvent circuler librement au sein des dispositifs de sécurité ;

•Peuvent rester sur les lieux de la dissipation d’un attroupement, « dès lors qu’ils ne puissent être confondus avec les participants à l’attroupement et ne fassent pas obstacle à l’action des forces de l’ordre » ;

•Sont autorisés à porter des équipements de protection ;

•Un officier référent peut être désigné au sein des forces de l’ordre et un canal d’échange dédié peut être mis en place tout au long de la manifestation avec les journalistes qui en font la demande.

239.Il y est indiqué la mise en place de référents au sein des forces de sécurité intérieure et de formations tant initiales que continues relatives au droit de la presse, ainsi que des exercices conjoints, afin de développer une meilleure connaissance mutuelle.

240.Par ailleurs, l’article 2.2.5 du SNMO précise que le droit à l’image est défini et protégé pour tout citoyen comme pour les forces de l’ordre. Ces dernières ne peuvent toutefois pas s’opposer à la captation d’images ou de sons lors des opérations dans des lieux publics, à l’exception des personnels affectés dans des services soumis légalement à l’anonymat. Il est toutefois rappelé que la publication de fichiers recensant des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie constitue désormais une infraction (art. 266-16-2 du Code pénal).