Comité des droits de l’enfant
Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant les communications nos 77/2019, 79/2019 et 109/2019*,**, ***
Communications présentées par : |
F. B. et consorts (représentés par un conseil, Marie Dosé), et D. A. et consorts (représentés par un conseil, Martin Pradel) |
Victime(s) présumée(s) : |
S. B. et consorts |
État partie : |
France |
Date des communications : |
1er mars, 13 mars et 25 novembre 2019 (dates des lettres initiales) |
Date de s constatations : |
8 février 2022 |
Objet : |
Rapatriement d’enfants dont les parents sont liés à des activités terroristes |
Question ( s ) de procédure : |
Compétence extraterritoriale |
Question ( s ) de fond : |
Mesures de protection ; droit à la vie ; accès aux soins médicaux ; détention arbitraire |
Article(s) de la Convention : |
2, 3, 6, 19, 20, 24 et 37 |
Article(s) du Protocole facultatif : |
5 (par. 1 et 2) et 7 (al. e) et f)) |
1.1Les auteurs des communications sont : F. B., agissant au nom de ses petits-enfants S. B. (2015), A. B. (2016) et A. S. B. (2018) ; N. S., agissant au nom de ses petits-enfants K. A. (2015) et M. A. (2018) ; S. A., agissant au nom de ses petits-enfants H. K. (2010), S. K. (2013) et H. K. (2016) ; Z. B., agissant au nom de son petit-fils S. B. (2017) ; A. D., agissant au nom de ses petits-enfants A. S. (2015), S. S. (2016), A. S. (2017) et I. S. (2017) ; A. N. R., agissant au nom de ses petits-enfants O. G. (2011), A. G. (2013), H. G. (2014), S. J. G. (2015), M. G. (2016) et S. G. (2018) ; S. D., agissant au nom de sa nièce I. J. (2008) ; M. D., agissant au nom de sa nièce S. D. (2013) ; L. L., agissant au nom de ses petits-enfants Q. L. (2010), H. L. (2014), I. L. (2016) et A. L. (2018) ; P. D., agissant au nom de ses petits‑enfants E. C. (2009), A. H. (2012), I. H. (2014) et Y. D. (2018) ; A. E., agissant au nom de ses neveux A. R. E. (2015) et H. E. (2017) ; S. G., agissant au nom de son petit-fils N. B. (2016) ; I. Z., agissant au nom de son neveu S. B. (2015) ; F. F., agissant au nom de son petit-fils Y. H. (2016) ; N. B., agissant au nom de son petit-fils S. B. (2017) ; N. B., agissant au nom de ses neveux D. B. (2013), A. B. (2014) et S. B. (2015) ; L. H., L. H. et D. A., agissant au nom de leurs petits-enfants M. A. (2013), A. A. (2014), J. A. (2016), A. A. (2017), S. H. (2017) et R. A. (2018) ; et C. D. et A. F., agissant au nom de leurs petits-enfants L. F. (2003), A. F. (2006), S. F. (2011), N. F. (2014) et A. A. (2017).
1.2Les auteurs sont de nationalité française, à l’exception de F. F., qui est de nationalité algérienne et réside en France. Les victimes sont toutes des enfants de ressortissants français – membres des familles des auteurs – qui auraient collaboré avec Daech. Certains de ces enfants sont nés en République arabe syrienne, d’autres y sont arrivés à un très jeune âge avec leurs parents. Ils sont actuellement détenus dans le nord-est du pays, dans les camps de Roj, d’Aïn Issa et de Hol, qui sont sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes. Les auteurs affirment que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour rapatrier les enfants en France, ce qui constitue, selon eux, une violation des articles 2, 3, 6, 19, 20, 24 et 37 de la Convention. Les auteurs sont représentés par des conseils. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 avril 2016.
1.3Les 13 et 27 mars et 4 décembre 2019, conformément à l’article 6 du Protocole facultatif, le groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a rejeté la demande de mesures provisoires présentée par les auteurs, qui demandaient que les enfants soient rapatriés en France. Le Comité a toutefois prié l’État partie de prendre les mesures diplomatiques nécessaires pour assurer à ces enfants la protection de leur droit à la vie et à l’intégrité, y compris l’accès à tous les soins médicaux dont ils pourraient avoir besoin.
1.4Le 30 septembre 2020, à sa quatre-vingt-cinquième session, et le 4 février 2021, à sa quatre-vingt-sixième session, le Comité a examiné la recevabilité des trois communications et les a considérées comme recevables dans la mesure où elles soulevaient des questions concernant les articles 2, 3, 6, 19, 20, 24 et 37 de la Convention. Le Comité a conclu que les enfants faisant l’objet de ces communications relevaient effectivement de la juridiction de l’État partie. Le Comité a pris note des déclarations des parties sur le rapatriement vers la France de S. H. et de sa mère, le 9 décembre 2019, ainsi que de S. D. et de S. B., le 15 mars 2019. À la lumière de ces informations, le Comité a mis fin à l’examen des communications présentées au nom de S. H., de S. D. et de S. B. Pour plus de précisions sur les faits, la teneur de la plainte, les observations et commentaires des parties concernant la recevabilité des communications et les délibérations du Comité sur la recevabilité, on se reportera aux décisions de recevabilité.
1.5Par suite des décisions du Comité sur la recevabilité des trois communications et à l’occasion de la transmission le 23 juin 2021 de ses observations sur le fond de la communication no 77/2019, l’État partie a fait valoir qu’O. G., A. G., H. G. et S. G. avaient fait l’objet d’un rapatriement en juin 2020. De même, K. A. et M. A. ont fait l’objet d’une mesure de rapatriement en janvier 2021. Dans leur réponse du 20 septembre 2021, les auteurs ont confirmé que la plainte était devenue sans objet concernant O. G., A. G., H. G., S. G., K. A. et M. A. Ils ont constaté également que la communication était devenue sans objet s’agissant de S. B., qui a été expulsé depuis la Turquie le 22 juillet 2021.
Observations de l’État partie sur le fond
2.1Les 22 et 23 juin 2021, l’État partie a présenté des observations sur le bien-fondé des communications. Il rappelle qu’il est le pays d’Europe occidentale qui a procédé au plus grand nombre de rapatriements de mineurs –35 mineurs français au total– et qu’il contribue activement à la réponse humanitaire au bénéfice des personnes déplacées et réfugiées du nord-est syrien.
2.2L’État partie souligne qu’à ce jour, les auteurs n’ont apporté aucun élément qui démontre que les enfants faisant l’objet des présentes communications sont exposés à un risque pour leur droit à la vie et leur droit à la santé,ou qu’ils sont retenus arbitrairement par les Forces démocratiques syriennes. La difficulté pour ces forces à contrôler le camp et à se rendre dans certaines zones ne leur permet pas d’identifier et de localiser les personnes de nationalité étrangère qui y sont retenues. En particulier, dans la communication no77/2019, les auteurs n’indiquent pas la localisation précise d’une partie des enfants. Enfin, s’agissant des enfants victimes qui seraient retenus à Roj, les auteurs n’apportent que des éléments très généraux sur les conditions de rétention desdits enfants, pour la plupart relatifs à la situation à Hol. Dès lors, il n’existe à ce jour aucun élément de preuve permettant d’établir que ces enfants se trouveraient dans les camps de Roj et de Hol, et se trouveraient exposés aux violations alléguées de la Convention.
2.3En tout état de cause, même si les enfants étaient bien retenus dans le camp de Roj, il n’y aurait pas, pour autant, de violation de la Convention. À titre liminaire, s’agissant du grief portant sur la détention arbitraire, l’État partie souligne que le fait que les autorités du nord‑est syrien ne constituent pas un État n’a pas pour effet de rendre arbitraire la rétention dont les enfants victimes –qui sont parties à un conflit armé non international– feraient l’objet. En effet, cette privation de liberté est prévue par le droit international humanitaire, qui permet de priver de liberté des personnes ayant combattu dans les rangs de Daech, ainsi que leurs conjoints et enfants, pour des raisons impérieuses de sécurité.
2.4L’État partie fait valoir qu’il ne découle ni de la Convention ni des travaux ou des constatations des différents comités de l’Organisation des Nations Unies que pèserait sur les États parties une obligation positive de procéder au rapatriement de leurs ressortissants susceptibles d’être exposés à des traitements inhumains ou dégradants. Une telle obligation n’a pas non plus été dégagée par la Cour européenne des droits de l’homme. D’ailleurs, une telle obligation se heurterait en pratique au principe de la souveraineté des États dans lesquels les violations alléguées seraient commises. Elle excéderait par ailleurs ce à quoi les États ont souhaité s’engager en ratifiant la Convention, qui ne peut pas être ainsi interprétée.
2.5En effet, il ne découle en aucune façon du droit international coutumier, de la jurisprudence internationale ou encore de la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 que pèserait sur les États une obligation de rapatrier leurs ressortissants, y compris lorsqu’ils sont susceptibles de subir des traitements inhumains ou dégradants à l’étranger. Si le rapatriement peut constituer, dans certaines circonstances, un des moyens de mise en œuvre de l’assistance consulaire, il ne constitue aucunement une obligation pour l’État d’envoi. L’absence de rapatriement de leurs ressortissants par la grande majorité des États membres du Conseil de l’Europe démontre qu’il existe un consensus sur ce point –si une telle obligation pesait à leur charge, ils auraient tous engagé des négociations aux fins de rapatrier leurs ressortissants. Aucune obligation de rapatriement ne découle non plus du droit interne, ni le Conseil d’État ni le Conseil constitutionnel n’ayant conclu à l’existence d’une telle obligation.
2.6Contrairement à ce qu’a indiqué le Comité dans ses décisions sur la recevabilité des communications, l’État partie n’a aucunement la « capacité » de procéder aux rapatriements sollicités par les auteurs. Le rapatriement des enfants faisant l’objet des présentes communications ne dépend pas uniquement –contrairement à ce que les auteurs indiquent– de la seule volonté du Gouvernement de l’État partie mais, à l’inverse, de nombreux facteurs : l’accord des autorités du nord-est syrien, qui les retiennent ; l’accord des mères au rapatriement de leurs enfants ; les difficultés rencontrées par les Forces démocratiques syriennes à identifier et à localiser les ressortissants étrangers ; le fait que les ressortissants français retenus dans le camp de Roj ne sont pas sous le contrôle d’un État souverain, mais d’autorités de facto, qui ne permet pas non plus d’avoir recours au mécanisme de l’extradition, s’agissant des mères ; ainsi que la complexité et la dangerosité de telles missions, qui dépendent par nature des relations que chaque État entretient avec les différents acteurs du conflit armé dans lequel le nord-est syrien se trouve plongé. La présence clandestine de Daech au sein même du camp fait peser un risque pour la sécurité des opérations de rapatriement. Plusieurs membres de la sécurité intérieure du camp (Asayish), ainsi que des travailleurs humanitaires, ont été assassinés dans l’enceinte du camp au cours des derniers mois.
2.7En tout état de cause, si le Comité devait estimer que pèse sur l’État partie une obligation de rapatriement, celle-ci ne pourrait s’entendre que d’une obligation de moyen.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
Communication no 77/2019
3.1Dans leurs commentaires datés du 20 septembre 2021, les auteurs notent que les services de renseignements français ont déjà pu procéder à un recensement précis et régulièrement actualisé des enfants se trouvant dans les camps du nord-est syrien, comprenant leur état civil, leur localisation et, le cas échéant, lorsqu’ils ne sont pas nés sur place, la date de leur arrestation, celle de leur entrée dans les camps et celle de leur départ en République arabe syrienne. En outre, la pratique démontre que les prétendus « obstacles » au rapatriement invoqués par l’État partie, y compris l’absence de représentation diplomatique et consulaire en République arabe syrienne, ne l’ont aucunement empêché de procéder à cinq rapatriements par le passé, le recensement sur place par des délégations françaises ayant été matériellement possible. Le rapatriement est d’autant moins insurmontable que l’administration autonome du nord-est syrien réitère fréquemment son appel à la coopération internationale et au rapatriement, par les États de nationalité, de leurs ressortissants détenus dans les camps.
3.2Les auteurs considèrent que les éléments relatifs à la localisation des enfants ne sauraient être utilisés à des fins d’irrecevabilité, puisque le Comité a déjà déclaré la communication recevable et doit désormais se prononcer sur son bien-fondé. En toute hypothèse, la question de la localisation ne constitue pas un obstacle dirimant au rapatriement.
3.3Les auteurs notent que l’État partie ne conteste pas les atteintes alléguées aux obligations prévues dans la Convention. Ils font valoir que les obligations des États parties incluent l’obligation positive de prendre des mesures pour protéger les droits de l’enfant, notamment pour empêcher ou faire cesser toute atteinte portée aux droits protégés par la Convention, y compris par des tiers. Les auteurs soutiennent que l’État partie omet sciemment de prendre les mesures positives qui peuvent raisonnablement être attendues de lui pour protéger et garantir les droits des enfants visés par les communications, alors qu’il a parfaitement connaissance des atteintes graves qui y sont portées.
3.4Selon les auteurs, la décision des autorités françaises de ne pas procéder au rapatriement des enfants visés ne respecte pas leur droit de ne pas subir de discrimination, consacré par l’article 2 de la Convention, lu conjointement avec les articles 3, 6, 16, 24 et37. Les décisions implicites de refus de rapatriement de ces enfants sont, de façon évidente, motivées par les activités de leurs parents, soupçonnés d’être ou reconnus comme étant liés à des organisations terroristes. D’autres ressortissants français ont été rapatriés sans qu’il existe de critère clair, cohérent et permanent, expliquant pourquoi il serait plus juste de rapatrier des orphelins que des enfants accompagnés de leurs mères, alors que tous sont également soumis à des atteintes au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi qu’à leur droit à la vie, à la famille, à la santé et à ne pas faire l’objet de traitements inhumains ou dégradants ou de privation de liberté illégale.
3.5Sur le plan substantiel de l’article 3 de la Convention, le fait que l’État partie n’a pas rapatrié les enfants porte indéniablement atteinte à la protection de leur intérêt supérieur, puisqu’il a pour conséquence leur maintien en détention prolongée et indéfinie dans les camps, dans des conditions menaçant leur survie et leur intégrité physique, où ils manquent cruellement de soins, de vivres, d’eau, d’installations sanitaires et d’éducation, et où il existe un risque d’endoctrinement. Sur le plan procédural, en raison de la politique de rapatriement au cas par cas particulièrement obscure de l’État partie et de l’absence de décision explicite de refus de rapatriement –les demandes de rapatriement formulées sont toujours restées sans réponse–, il ne ressort aucunement de la « décision » des autorités françaises de ne pas procéder au rapatriement des mineurs visés par la communication que l’intérêt supérieur de l’enfant a été une considération primordiale ni même qu’il a été évalué. Pour satisfaire à ses obligations tirées de l’article 3 de la Convention, l’État partie doit organiser le rapatriement conjoint des mères et des enfants, afin de préserver le milieu familial.
3.6Ensuite, les auteurs soutiennent qu’il a été porté une atteinte disproportionnée au droit des enfants visés par la communication à la vie, à la survie et au développement (article 6 de la Convention), à leur droit d’entretenir des relations familiales avec leurs parents proches que sont leurs grands-parents, oncles et tantes, auteurs de la communication (article16), à leur droit au meilleur état de santé possible (article 24) et à celui de ne pas subir de traitements cruels, inhumains ou dégradants ou une privation de liberté illégale ou arbitraire (article37). Les auteurs sont d’avis que l’inaction de l’État partie à cet égard constitue une violation de son obligation positive de prévenir toutes ces atteintes. L’État partie avait parfaitement connaissance de la situation générale des camps du nord-est syrien et avait été alerté de la situation spécifique des enfants proches des auteurs à la suite des nombreux courriers de leur conseil et des demandes expresses de rapatriement. Au lieu de prendre toutes les mesures à sa disposition pour mettre fin à ces atteintes –la seule mesure raisonnable et conforme à ses obligations étant le rapatriement–, l’État partie décide, volontairement, de les laisser perdurer.
3.7Bien que les auteurs admettent qu’une obligation positive spécifique de rapatrier les enfants détenus dans les camps du nord-est syrien n’est pas expressément consacrée par les stipulations conventionnelles, ils la déduisent en l’espèce de l’obligation positive qu’a l’État partie de garantir les droits de l’enfant. Ils affirment que le rapatriement est le seul moyen dont l’État partie dispose pour mettre en œuvre ses obligations positives en l’espèce, conformément au droit international, ce qui fait naître, en raison des particularités et de la gravité de la situation, une obligation positive spécifique de rapatriement. À titre complémentaire, cette obligation positive peut être lue à la lumière du mécanisme de protection consulaire en droit international public.
Communications no 79/2019 et no 109/2019
3.8Dans leurs commentaires datés du 29 septembre 2021, les auteurs ont informé le Comité que, selon les dernières données publiées le 23 septembre 2021 par l’organisation non gouvernementale Save the Children, 62 enfants – soit environ 2 par semaine – sont décédés dans les camps de Hol et de Roj depuis le début de l’année 2021. En outre, une autre menace – celle de la propagation de nouvelles cellules de Daech dans ces camps – risque de prendre une ampleur difficile à maîtriser. De nombreuses institutions françaises et internationales ont unanimement dénoncé les conditions de vie des ressortissants français – et en particulier des enfants – détenus dans les camps du nord-est syrien, ainsi que le refus de l’État partie de procéder à leur rapatriement. Les auteurs s’inquiètent de l’état physique et psychologique des enfants, de leurs conditions de vie au sein du camp de Roj, de soins médicaux inadaptés et de leur privation d’éducation. De plus, contrairement à ce que soutient l’État partie, leur localisation au sein du camp de Roj est parfaitement connue de celui-ci.
3.9Les auteurs considèrent que, dès lors qu’il a été établi par le Comité que les enfants faisant l’objet des présentes communications se trouvaient sous la juridiction de l’État partie, ce dernier ne peut refuser de mettre en œuvre les mesures de protection nécessaires à l’égard de ses ressortissants mineurs sans violer ses engagements internationaux au titre de la Convention. Ils soulignent que les opinions politiques et religieuses des parents de ces enfants, si condamnables soient-elles du fait de leur rattachement à une idéologie extrémiste et contre les intérêts de l’État partie, semblent manifestement prises en considération par celui-ci pour ne pas garantir à ces enfants les droits dont ils disposent, en violation des dispositions des articles 2 et 3 de la Convention.
3.10Bien qu’il soit informé depuis plus de deux ans des conditions sanitaires déplorables dans lesquelles se trouvent les enfants visés par les présentes communications, détenus dans des camps situés dans une zone de conflit armé, et du risque de mort et de blessures graves auquel ils sont exposés, l’État partie refuse de mettre en œuvre les mesures nécessaires au respect des droits prévus à l’article 6 de la Convention. Force est de constater que plus de 250 enfants de nationalité française demeurent toujours détenus au sein des camps du nord‑est de la République arabe syrienne. Le choix de rapatrier certains enfants et pas d’autres crée une distinction entre les enfants, qui n’est pas acceptable et s’avère contraire aux engagements internationaux de l’État partie. Le retour des enfants peut être effectué en même temps que celui de leur mère, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. En tout état de cause, aucune disposition n’a été prise par les autorités françaises afin d’établir si le consentement des mères au rapatriement de leurs enfants sans elles serait donné.
3.11Rappelant que six enfants faisant l’objet des présentes communications sont nés sur le territoire syrien, de parents possédant la nationalité française, les auteurs font valoir que la situation subie par ces enfants porte atteinte à leurs droits fondamentaux d’être pourvus d’un état civil et d’une nationalité pour les enfants nés dans les camps, et de préserver leur identité et les relations avec leur famille, en violation des articles 7 et 8 de la Convention.
3.12Les auteurs invoquent également les articles 20, 24 et 28 de la Convention pour se plaindre de l’absence de prise en charge médicale, du fait que certains des enfants souffrent de blessures de guerre depuis plusieurs années, les exposant à des risques de maladie, de blessure et de mort imminente. En outre, chacun des enfants visés par les présentes communications souffre, a minima, d’un manque d’accès à l’eau et à la nourriture. Ils sont ainsi exposés aux conséquences délétères que la malnutrition provoque à un si jeune âge.
3.13Enfin, en faisant référence à l’article 37 de la Convention, les auteurs rappellent que les enfants détenus dans les camps du nord-est syrien le sont sans aucun titre de détention et ne font l’objet d’aucune poursuite judiciaire locale. Quant à l’affirmation de l’État partie selon laquelle la privation de liberté dont sont victimes les enfants correspondrait à une mesure d’internement administratif dans le cadre d’un conflit armé non international, les auteurs précisent que cette mesure exceptionnelle n’est admise que si la sécurité de l’État la rend « absolument nécessaire » ou pour « d’impérieuses raisons de sécurité ». En l’espèce, force est de constater que la détention des enfants dans les camps ne peut être justifiée par aucun de ces deux motifs. Ce sont, au contraire, les enfants détenus dans ces camps qui voient leur sécurité menacée.
3.14Au regard de la situation dramatique des enfants visés par les présentes communications, la seule mesure permettant leur protection effective est leur rapatriement sur le territoire français. Il est rappelé en outre que l’État partie entretient des contacts permanents avec les représentants des Forces démocratiques syriennes afin de suivre l’évolution de la situation en République arabe syrienne. Ainsi, l’État partie entretient avec les Forces démocratiques syriennes les contacts nécessaires lui permettant d’assurer aux enfants détenus sur zone la protection à laquelle ils ont droit.
Intervention de tiers sur le fond
4.1Le 23 juillet 2021, la Défenseure des droits a soumis une intervention de tiers portant sur le fond des trois communications. Après avoir instruit des réclamations similaires, elle a rendu, le 22 mai 2019, une décision aux termes de laquelle elle a constaté plusieurs violations de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) et de la Convention relative aux droits de l’enfant, et a adressé des recommandations au Gouvernement français. Selon la Défenseure des droits, la situation subie par les enfants retenus dans ces camps depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, et pour les plus jeunes depuis leur naissance, dans une zone de conflit armé, est incontestablement constitutive de traitements inhumains et dégradants, mettant leur vie en danger au sens des articles 6 et 37 de la Convention, et contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par l’article 3. Cette situation porte également atteinte à d’autres droits fondamentaux, notamment ceux d’être pourvu d’un état civil et d’une nationalité pour les enfants nés dans les camps, de préserver son identité et les relations avec sa famille (articles 7 et 8 de la Convention), d’être protégé par les autorités de l’État partie, de bénéficier de soins (articles 19, 20 et 24) et d’une éducation (article 28).
4.2En présence d’une telle situation avérée de violation des dispositions de la Convention et conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant garanti à l’article 3 de la Convention, l’État partie a un certain nombre d’obligations, notamment positives, envers ces enfants, ressortissants français, telles que l’adoption de mesures adéquates et effectives visant à mettre fin, dans les plus brefs délais, aux traitements résultant des conditions de détention dans les camps et à leur accorder une protection. La Défenseure des droits considère que seules l’organisation du retour des enfants avec leur mère sur le sol français et leur prise en charge par les services compétents sont à même d’assurer leur protection et de mettre un terme à la violation actuelle de leurs droits fondamentaux. Cette mesure – demandée vainement par ces familles depuis des mois – est tout à fait réalisable au vu des rapatriements d’enfants précédemment opérés par l’État partie.
Délibérations du Comité
Examen complémentaire de la recevabilité
5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable au titre du Protocole facultatif.
5.2Le Comité prend note des développements qui ont eu lieu après ses décisions sur la recevabilité des trois communications, mais qui se rapportent toutefois à leur recevabilité. À cet égard, s’agissant de la communication no 77/2019, le Comité prend note des déclarations des parties selon lesquelles O. G., A. G., H. G., S. G., K. A., M. A. et S. B. ont été rapatriés vers la France en juin 2020, en janvier 2021 et le 22 juillet 2021. À la lumière de ces informations, le Comité considère que la communication, qui portait sur le refus de l’État partie de rapatrier ces enfants, est devenue sans objet à leur égard et qu’il faudrait donc mettre un terme à son examen.
5.3Le Comité relève ensuite que les auteurs ont soulevé pour la première fois des violations des articles 7, 8, 16 et 28 de la Convention seulement dans leurs commentaires sur le fond, et que celles-ci ne faisaient donc pas partie des arguments auxquels l’État partie avait été invité à répondre relativement à la recevabilité et au fond de l’affaire. Les auteurs n’ont pas montré pourquoi ils n’avaient pas pu avancer ces griefs à un stade antérieur de la procédure et ne les ont pas suffisamment étayés. Par conséquent, le Comité déclare ces griefs irrecevables en application de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.
5.4Par contre, le Comité constate que les griefs des auteurs basés sur les articles 2, 3, 6, 19, 20, 24 et 37 de la Convention ont été suffisamment étayés et procède à leur examen au fond.
Examen au fond
6.1Conformément à l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné les présentes communications en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.
6.2Le Comité doit notamment déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, le manque d’adoption par l’État partie de mesures de protection en faveur des enfants victimes retenus dans les camps de Roj, d’Aïn Issa et de Hol constitue une violation de leurs droits consacrés par la Convention. Les auteurs accusent l’État partie spécifiquement de n’avoir pas procédé au rapatriement des enfants en tant que seule mesure possible pour leur assurer les soins nécessaires, leur garantir le droit à la vie et au développement, et les protéger d’une détention arbitraire et des mauvais traitements.
6.3Le Comité prend note des arguments contradictoires avancés par les parties sur l’existence en droit international public ou en droit international relatif aux droits humains d’une obligation de rapatriement des nationaux, ou le contenu de la notion d’assistance consulaire qu’un État doit fournir à ses nationaux qui se trouvent en dehors de son territoire. Or, pour le Comité, la question reste de déterminer si, dans le contexte particulier des présentes communications, l’État partie a pris toutes les mesures nécessaires, avec la prise en compte du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant comme considération primordiale, pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la Convention et les garantir aux enfants victimes qui relèvent de sa juridiction.
6.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel il n’aurait pas la capacité de procéder au rapatriement des enfants, rapatriement qui ne dépendrait pas uniquement de la volonté de l’État partie, mais aussi de l’accord des autorités du nord-est syrien et des mères des enfants, et qui serait freiné par des obstacles d’identification des enfants et de sécurité de telles opérations. Le Comité reprend ici son constat sur la recevabilité dans le sens où l’État partie, en vertu du lien de nationalité avec les enfants détenus dans les camps, de l’information dont il dispose sur les enfants de nationalité française retenus dans les camps, et de son rapport avec les autorités syriennes, a la capacité et le pouvoir de protéger les droits des enfants en question, en prenant des mesures pour les rapatrier ou d’autres mesures consulaires. Cette capacité se reflète dans le fait que l’État partie a déjà procédé avec succès au rapatriement de plus d’une trentaine d’enfants français sans avoir signalé d’incidents dans l’exécution de ces rapatriements ou de refus de coopération de la part des Forces démocratiques syriennes. Bien au contraire, le Comité note que les dirigeants des Forces démocratiques syriennes ont exprimé à plusieurs reprises leur souhait que tous les étrangers détenus dans les camps soient rapatriés par leurs États de nationalité, ce qui laisse à l’État partie la décision de procéder ou non à un rapatriement. Quant à l’accord des mères des enfants, le Comité constate qu’un tel accord n’aurait pas été recherché. Il note également que, comme il l’avait constaté dans ses décisions sur la recevabilité des communications, la plupart des mères avaient donné leur consentement exprès à la présentation de ces communications au nom de leurs enfants.
6.5Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel les enfants victimes –dont la plupart sont des enfants en bas âge– parviennent à peine à survivre dans les camps de prisonniers contrôlés par les Forces démocratiques syriennes où ils sont retenus, situés dans une zone de guerre, vivent dans des conditions sanitaires inhumaines et ne peuvent satisfaire leurs besoins essentiels – y compris l’accès à l’eau, à la nourriture et aux soins de santé −, ce qui les expose à un risque imminent pour leur vie. L’État partie affirme que les auteurs n’ont pas démontré que les enfants faisant l’objet des présentes communicationsétaient exposés à des risques spécifiques, mais se sont bornés à se référer à la situation générale dans lesdits camps. Cependant, le Comité constate que les circonstances relatives à la sécurité, à la limitation de mouvement et à la situation sanitaire décrites sont applicables à tous les enfants retenus dans les camps, y compris les enfants victimes, qui ne sauraient échapper aux conditions de détention et de vie applicables aux autres habitants des camps. Le Comité est de l’avis que les préjudices ont été suffisamment identifiés et qu’il n’y a aucune raison de croire que les enfants qui sont spécifiquement nommés dans ces communications courent moins de risques que d’autres habitants des camps.
6.6Le Comité rappelle l’obligation des États parties d’adopter des mesures positives pour donner pleinement effet à l’exercice des droits de chaque enfant relevant de leur juridiction, au titre de l’article 4 de la Convention. Il considère que ces obligations sont renforcées lorsqu’il s’agit de protéger les enfants contre des mauvais traitements et des risques d’atteinte à leur droit à la vie. En l’espèce, le Comité constate que la situation de risque imminent pour la vie des enfants retenus dans les camps en République arabe syrienne a été signalée dans plusieurs rapports, y compris un document de séance de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne. Cette situation était bien connue par l’État partie, qui a procédé de sa propre initiative au rapatriement de plusieurs de ces enfants.
6.7Pour ce qui est de l’article 6 de la Convention, le Comité prend note des arguments des auteurs, étayés par des moyens de preuve, selon lesquels de nombreux enfants vivant dans les camps sont morts et que de telles morts continuent de survenir, et que les conditions de vie décrites, y compris le manque de nourriture et d’eau, représentent une menace imminente et prévisible pour la vie de tous les enfants qui sont détenus dans les camps. Le Comité note que l’État partie ne nie pas les conditions de vie dans les camps telles qu’elles sont décrites par les auteurs et le tiers intervenant. À la lumière de tout ce qui précède, le Comité estime qu’il existe des informations suffisantes permettant d’établir que les conditions de détention représentent une menace imminente et prévisible pour la vie des enfants victimes et que le manquement de l’État partie à les protéger constitue une violation de l’article 6 de la Convention.
6.8En ce qui concerne les allégations des auteurs au titre de l’article 37 (al. a)) de la Convention, le Comité estime qu’il y a suffisamment de preuves pour établir que la détention prolongée des enfants victimes dans les conditions décrites dans les camps, y compris en particulier l’absence de soins de santé, de nourriture, d’eau et d’installations sanitaires ainsi que d’éducation, a un impact sur leur développement et est constitutive de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’article 37 (al. a)) de la Convention.
6.9En outre, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la Convention ne lui impose pas une obligation positive de rapatrier ses ressortissants. Cependant, compte tenu de la connaissance qu’a l’État partie de la détention prolongée de ces enfants français dans une situation de danger de mort et de sa capacité d’intervention, le Comité considère que l’État partie a l’obligation positive de protéger ces enfants contre un risque imminent de violation de leur droit à la vie, ainsi que contre une violation effective de leur droit de ne pas être soumis aux traitements cruels, inhumains ou dégradants.
6.10Enfin, pour ce qui est des griefs des auteurs au titre de l’article 3 de la Convention, le Comité rappelle que l’intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui les concernent. Il rappelle également le paragraphe 18 de son observation générale no 14 (2013), où il a mentionné que l’inaction ou le défaut d’action et les omissions constituaient aussi des « décisions ». Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut que l’État partie n’a pas démontré avoir dûment tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants victimes lorsqu’il a évalué les demandes de rapatriement des auteurs, ce qui constitue une violation de l’article 3 de la Convention.
6.11Au vu de tout ce qui précède, et dans les circonstances particulières de l’espèce, le Comité conclut que le fait que l’État partie n’a pas protégé les enfants victimes constitue une violation de leurs droits au titre des articles 3 et 37 (al. a)) de la Convention, et que le manquement de l’État partie à protéger les enfants victimes contre une menace imminente et prévisible pour leur vie constituerait une violation de l’article 6 (par. 1) de la Convention.
6.12Étant parvenu à cette conclusion, le Comité ne juge pas nécessaire d’étudier si les mêmes faits constituent une violation des articles 2, 6 (par. 2), 19, 20, 24 et 37 (al. b)) de la Convention.
7.Le Comité, agissant en vertu de l’article 10 (par. 5) du Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 6 (par. 1) et 37 (al. a)) de la Convention.
8.En conséquence, l’État partie est tenu d’accorder aux auteurs et aux enfants victimes une réparation effective pour les violations subies. Il a également l’obligation de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité lui recommande :
a)De donner, de manière urgente, une réponse officielle à chaque demande de rapatriement des auteurs au nom des enfants victimes ;
b)De garantir que toute procédure visant à examiner ces demandes de rapatriement et la mise en œuvre de toute décision soient conformes à la Convention, en prenant en compte l’intérêt supérieur de l’enfant comme une considération primordiale et l’importance de prévenir de nouvelles violations des droits de l’enfant ;
c)De prendre les mesures positives et urgentes, en agissant de bonne foi, pour effectuer le rapatriement des enfants victimes ;
d)De soutenir la réintégration et la réinstallation de chaque enfant rapatrié ou réinstallé ;
e)Dans l’intervalle, de prendre des mesures supplémentaires pour atténuer les risques pour la vie, la survie et le développement des enfants victimes pendant qu’ils restent dans le nord-est de la République arabe syrienne.
9.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est aussi invité à inclure des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au Comité au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.
Annexe
Opinion conjointe concordante de Sopio Kiladze, Luis Ernesto Pedernera Reyna et Benoit Van Keirsbilck
1.Bien que nous soyons d’accord avec la conclusion à laquelle le Comité est parvenu dans cette affaire extrêmement difficile et sensible, nous pensons que celui-ci aurait dû examiner la violation des articles 6 (par. 2) et 37 (al. b)) de la Convention.
2.Le Comité a considéré à juste titre que les faits étaient suffisamment étayés en ce qui concerne les conditions de vie inhumaines et le manque de produits de première nécessité, y compris l’eau, la nourriture et les soins de santé, qui entraînent un risque imminent de mort. En outre, il a été prouvé que les enfants présents dans les camps du nord-est de la République arabe syrienne étaient détenus dans des conditions horribles, et privés de leur droit à l’éducation et au jeu, parmi de nombreux autres droits.
3.Même s’il n’est pas facile de définir toute l’étendue des droits consacrés par l’article 6 (par. 2) de la Convention, consacrant l’obligation pour les États parties d’assurer dans toute la mesure du possible la survie et le développement de l’enfant, le cas présent montre que le droit à la survie est sévèrement compromis et que le droit au développement ne peut en aucun cas être réalisé, même au niveau le plus bas possible. Les enfants victimes sont tous exposés au risque de malnutrition, qui a un impact durable sur leur développement. Cet impact sera plus important dans le cas d’enfants souffrant de blessures ou de maladies spécifiques. Le manque d’accès à l’éducation, y compris l’éducation de la petite enfance pour les plus jeunes d’entre eux, continuera également à nuire à leur développement à long terme.
4.Ayant constaté une violation de l’article 37 (al. a)) de la Convention et considérant que la situation équivalait à une violation effective des droits des enfants victimes de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Comité aurait dû poursuivre son raisonnement pour conclure qu’il y avait également une violation de l’article 6 (par. 2), étant entendu qu’il est tout simplement impossible pour un enfant de se développer pleinement dans le contexte d’un traitement inhumain et dégradant. L’obligation imposée de protéger les enfants de la violation de l’article 37 (al. a)) est la même que celle que l’on peut attendre de l’État partie pour protéger ces enfants d’une violation de l’article 6 (par. 2). Les États parties sont également responsables des omissions, selon l’article 4 de la Convention. Si l’État partie a l’obligation d’agir mais ne prend aucune mesure pour garantir les droits de l’enfant consacrés par la Convention, il doit être tenu responsable de cette omission. Afin de garantir la réalisation de l’article 6 (par. 2), l’État partie aurait dû rapatrier les enfants. L’État partie n’a pas apporté d’arguments raisonnables expliquant pourquoi le rapatriement de ces enfants en particulier n’était pas possible, alors que d’autres enfants ont de fait été rapatriés. Par conséquent, l’État partie est responsable d’une violation de l’article 6 (par. 2) de la Convention.
5.Quant à l’article 37 (al. b)) de la Convention, nous avons noté que la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne a constaté que « des milliers de femmes et d’enfants restent illégalement internés dans des camps à travers le nord‑est de la République arabe syrienne, dans le territoire contrôlé par les Forces démocratiques syriennes. Suspectés d’avoir des liens avec Daech, mais sans recours légal et sans date de fin de leur calvaire, ils sont livrés à eux-mêmes dans des conditions qui peuvent s’apparenter à un traitement cruel ou inhumain. […] Pourtant, la plupart des enfants étrangers restent privés de liberté, car leur pays d’origine refuse de les rapatrier. La plupart ont moins de 12 ans. Personne ne les accuse de crimes, et pourtant, depuis plus de trois ans, ils sont détenus dans des conditions horribles, privés de leur droit à l’éducation, au jeu, à des soins de santé appropriés. »
6.Les enfants victimes ne font l’objet d’aucun ordre de détention, et aucune action en justice n’est engagée contre eux au niveau local. En outre, le maintien en détention de jeunes enfants qui ne sont pas parties au conflit et qui devraient être traités avant tout comme des victimes est illégal, disproportionné et équivaut à une détention arbitraire, en violation de l’article 37 (al. b)) de la Convention, notamment des principes de dernier ressort et de la période la plus courte possible.
7.La question est de savoir si l’État partie est responsable de la détention des enfants victimes et donc de la violation de l’article 37 (al. b)) de la Convention. Celui-ci n’a pas agi directement pour détenir ces enfants. Cependant, en tant qu’État partie, il avait l’obligation de prendre des mesures pour assurer le retour des enfants conformément à l’article 4 de la Convention. L’État partie n’a pas rapatrié les enfants victimes, ce qui a conduit à leur détention prolongée, illégale et arbitraire. Par conséquent, nous sommes d’avis que l’État partie avait l’obligation et la possibilité effective d’empêcher la détention prolongée par le rapatriement et est donc responsable de son omission en application de l’article 37 (al. b)) de la Convention.