Nations Unies

CRC/C/89/D/74/2019

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

16 mars 2022

Original : français

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 74/2019 * , **

Communication présentée par :

Z. S. et A. S. (représentés par un conseil, KlausfranzRüst-Hehli)

Victime(s) présumée(s) :

K. S. et M. S.

État partie :

Suisse

Date de la communication :

20 septembre 2018 (date de la lettre initiale)

Date des constatations :

10 février 2022

Objet :

Expulsion vers la Fédération de Russie ; accès aux soins médicaux

Question(s) de procédure :

Défaut d’autorisation ; non-épuisement des recours internes ; défaut de fondement des griefs ; irrecevabilité ratione temporis;justiciabilité des droits consacrés par la Convention

Question(s) de fond :

Intérêt supérieur de l’enfant ; recours effectif ; droit à la santé ; torture et mauvais traitements

Article(s) de la Convention :

2, 3, 4, 6 (par. 2), 8 (par. 2), 11, 12, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 31, 32, 34, 36 et 37 (al. a))

Article(s) du Protocole facultatif:

7 (al. c), e), f) et g))

1.1Les auteurs de la communication sont Z. S., née en 1982, et A. S., né en 1975, tous deux de nationalité russe et originaires de Tchétchénie. Ils soumettent la communication au nom de leurs enfants, K. S., né en 2006, et M. S., née en 2012, tous deux également de nationalité russe. Les auteurs allèguent que l’État partie a violé les droits de K. S. et de M. S. au titre des articles 2, 3, 4, 6 (par. 2), 8 (par. 2), 11, 12, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 31, 32, 34, 36 et 37 de la Convention. Ils sont représentés par un conseil,KlausfranzRüst-Hehli. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 24 juillet 2017.

1.2Le 6 février 2019, conformément à l’article 6 du Protocole facultatif, le groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas présenter de demande de mesures provisoires au titre de l’article 6 du Protocole facultatif et de l’article 7 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 26 avril 2012, les auteurs et K. S. sont arrivés en Suisse, où ils ont déposé une demande d’asile, affirmant qu’ils avaient été menacés par les autorités tchétchènes à la suite du refus d’A. S. d’espionner une connaissance. L’Office fédéral des migrations a rejeté leur demande par décision du 27 septembre 2012, au motif que les allégations des auteurs ne remplissaient pas les exigences de vraisemblance. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette décision par arrêt du 5 février 2013. Le 16 décembre 2013, les auteurs, K. S. et M. S., née pendant la procédure, sont volontairement retournés en Fédération de Russie.

2.2Le 3 août 2015, la famille s’est rendue à nouveau en Suisse et y a déposé oralement une nouvelle demande d’asile. Elle a été placée dans le centre de Seeben destiné aux demandeurs d’asile déboutés, sans scolarisation ou aide publique sociale, malgré l’absence de décision formelle concernant ce placement et une soustraction de l’aide sociale. De telles décisions sont prescrites par la loi sur l’administration de la justice administrative de Saint‑Gall. Le 9 octobre 2015, sans avoir organisé d’audition, le Secrétariat d’État aux migrations a refusé la demande au motif que les descriptions des auteurs ne remplissaient ni les conditions de l’article 3 de la loi no 142.31 du 26 juin 1998 sur l’asile, concernant la qualité de réfugié, ni celles de l’article 7 de ladite loi concernant la crédibilité de leurs allégations. Le 21 septembre 2017, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours introduit par les auteurs.

2.3Dès sa naissance en août 2012, M. S. était presque sourde et avait besoin d’un implant cochléaire. Pendant les séjours de la famille en Suisse, elle recevait une formation en langue des signes allemande, ce qui était insuffisant pour permettre le développement de ses capacités linguistiques. Pourtant, dans son arrêt du 5 février 2013, le Tribunal administratif fédéral n’a pas considéré la possibilité pour elle d’avoir accès à un implant cochléaire en Fédération de Russie. Le 9 novembre 2016, en réponse à une demande d’un médecin traitant du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent relative à un soutien médical approprié et à une éducation spécialisée pour M. S., faite en vertu de l’article 443 du Code civil suisse, l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte de Toggenburg a répondu qu’une telle demande était appropriée d’un point de vue médical, mais qu’elle avait déjà été faite par le Centre de neurologie, de développement et de réadaptation de l’enfant de l’Hôpital pédiatrique de Suisse orientale, et rejetée par l’Association des maires du canton de Saint‑Gall. En outre, l’Office cantonal des migrations avait refusé oralement le financement d’un implant. Selon une lettre du 31 août 2016 de l’Hôpital cantonal de Saint-Gall, M. S. est presque sourde des deux côtés et son développement linguistique et général est retardé. La lettre précise qu’un implant cochléaire est indiqué, que la mise en place d’un tel système n’est possible que dans les premières années de la vie et qu’une supervision d’au moins deux ou trois ans serait nécessaire. Les auteurs invoquent également un rapport de l’Hôpital pédiatrique de Suisse orientale daté du 24 juillet 2017, qui confirme ces éléments et souligne la nécessité pour M. S. de fréquenter une école spécialisée pour les enfants malentendants.

2.4Quant à K. S., qui n’avait pas été entendu lors des procédures précédentes, celui-ci a déposé sa propre demande d’asile le 6 février 2018. Le 15 février 2018, sans l’avoir entendu, le Secrétariat d’État aux migrations a refusé d’entrer en matière sur la demande, qu’il a qualifiée de demande de réexamen. Le Secrétariat d’État a considéré que les motifs de la demande de K. S., notamment son diagnostic de stress post-traumatique et l’impact d’un retour en Fédération de Russie sur son développement scolaire, social, mental, intellectuel, linguistique et psychologique, avaient déjà été examinés lors des procédures précédentes. Le 5 mars 2018, le Tribunal administratif fédéral a rejeté son recours.

2.5Le 20 mars 2018, les auteurs ont déposé une demande de reconsidération de leur demande d’asile, faisant valoir qu’une imagerie par résonance magnétique était prévue pour M. S., afin de déterminer si les conditions anatomiques pour un implant cochléaire étaient remplies. Par décision incidente du 27 mars 2018, le Secrétariat d’État aux migrations a refusé de renoncer à l’exécution du renvoi. Le lendemain, la famille a été arrêtée et renvoyée en Fédération de Russie. La décision du Secrétariat d’État ne leur a jamais été communiquée et ils n’ont donc pas pu indiquer une adresse de correspondance conformément à la décision. Par décision interne du 20 avril 2018, le Secrétariat d’État a conséquemment radié la demande de réexamen.

2.6Le 24 avril 2018, l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte a ordonné la clôture d’une procédure concernant l’examen des mesures de protection de l’enfance pour M. S. et K. S., au motif qu’elle était devenue sans objet par suite du départ de la famille. Les auteurs soutiennent que l’Autorité n’a pas mentionné à leur représentant l’émission de sa décision et le délai pour faire appel, quand celui-ci venait consulter les pièces. Par décision du 2 juillet 2018, la Commission de recours du canton de Saint-Gall a rayé du rôle un recours déposé par un conseil qui n’était pas celui que les auteurs avaient autorisé, et qui n’avait pas utilisé un délai supplémentaire accordé pour présenter une autorisation.

2.7Par décision interne du 21 juin 2018, le Secrétariat d’État aux migrations a classé une nouvelle demande de réexamen et de visas pour que la famille puisse retourner en Suisse. Le 24 juillet 2018, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours introduit contre cette décision. Toujours en juillet 2018, en réponse à des correspondances indiquant que M. S. et K. S. n’étaient pas scolarisés et ne recevaient pas de traitement médical en Fédération de Russie, l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte de Toggenburg a fait savoir qu’elle n’entreprendrait pas d’autres démarches.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs se plaignent que l’État partie, en violation de l’article 4 de la Convention, a insuffisamment intégré la Convention dans le cadre de la loi fédérale sur l’asile, de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration, et de la loi sur l’administration de la justice administrative de Saint-Gall. En outre, l’autorisation accordée aux cantons par le législateur fédéral, à partir du 1er janvier 2008, de réduire l’aide sociale à l’aide d’urgence pour les demandeurs d’asile ayant reçu une décision de non-entrée en matière constitue une violation de l’article 4 de la Convention, en raison du principe de statu quo au moment où un État devient partie à la Convention.

3.2Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits de K. S. au titre de l’article 22 de la Convention, car ses autorités n’ont pas tenu compte de la Convention dans le traitement de sa demande d’asile, n’ont pas appliqué une notion de persécution spécifique à l’enfant, ne lui ont pas accordé d’assistance juridique et lui ont fait payer des frais de procédure élevés. En violation de l’article 12 de la Convention, K. S. n’a pas été interrogé, alors que le Secrétariat d’État aux migrations n’a pas mis en doute sa capacité de discernement et que la Convention ne contient pas d’âge minimal pour être entendu. De plus, K. S. a toujours été considéré comme étant légalement représenté par ses parents, qu’il n’a pas choisis pour le représenter.

3.3Selon les auteurs, l’Office cantonal des migrations a refusé à M. S. un implant cochléaire et a omis de lui faire connaître la langue des signes, en violation des articles 23 (par. 1), 24 (par. 1), 26 (par. 1) et 27, lus conjointement avec les articles 2 et 3 de la Convention. Les autorités de l’État partie l’ont renvoyée en Fédération de Russie en sachant que la pose d’un implant auditif n’y était pas garantie et sans examiner son appropriation de la langue des signes en Fédération de Russie. Selon les auteurs, l’accès aux services de soins spéciaux est incertain en raison de la corruption en Fédération de Russie, et aurait dû faire l’objet d’une enquête par les autorités de l’État partie. En outre, en violation de l’article 37 (al. a)) de la Convention, M. S. risque de souffrir d’isolement auditif pour le reste de sa vie. Elle risque d’être maltraitée, étant donné son incapacité à s’exprimer. Elle risque également d’être discriminée comme enfant, membre d’une minorité ethnique et religieuse, personne handicapée, fille, analphabète et même comme enfant d’une famille monoparentale, le père ayant disparu après le renvoi de la famille. Ainsi, M. S. court un risque d’exploitation, en violation des articles 32, 34 et 36 de la Convention. Compte tenu des relations personnelles de M. S., l’État partie était mieux préparé pour éviter de tels risques que la Fédération de Russie. L’État partie a aussi violé l’article 23 (par. 1) de la Convention à l’égard de K. S., car aucune recherche n’a été effectuée pour savoir s’il pouvait recevoir un traitement psychothérapeutique en Fédération de Russie.

3.4En outre, en violation des articles 12, 13, 14 et 17 de la Convention, les autorités de l’État partie ont empêché M. S. d’acquérir la capacité de s’exprimer et d’être comprise et considérée par les adultes, et lui ont rendu difficile le développement de sa propre opinion. Ainsi, M. S. et K. S. n’ont eu accès ni au Secrétariat d’État aux migrations ni au Tribunal administratif fédéral. Ils n’ont jamais reçu de décision de la part de l’Office cantonal des migrations ou de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte concernant le refus d’un implant cochléaire, malgré l’article 24 de la loi sur l’administration de la justice administrative de Saint-Gall. De même, ils n’ont pas été informés de leur droit de se plaindre de leur placement à Seeben, du manque d’accès aux services sociaux qui en a résulté, et du refus de l’implant cochléaire.

3.5Les auteurs invoquent une violation de l’article 3 de la Convention, car les autorités de l’État partie n’ont pas systématiquement considéré les intérêts de M. S. et de K. S. Ils affirment que leur droit de ne pas être discriminés au regard de leurs handicaps respectifs et par rapport aux adultes en vertu de l’article 2 lu conjointement avec l’article 3 de la Convention a été violé par les autorités de l’État partie. De plus, ces dernières ont violé l’article 2 lu conjointement avec l’article 19 de la Convention, car l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte de Toggenburg n’a pas évalué les dangers menaçant les enfants, privant ainsi M. S. et K. S. d’une protection en tant qu’enfants migrants. En outre, le fait que l’Autorité n’a pas soutenu les parents dans leur prise en charge des enfants constitue une violation de l’article 19 de la Convention. Elle a également omis de transférer des mesures de protection qu’elle considérait comme nécessaires à ses homologues russes, comme l’exige la Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants.

3.6Les auteurs soutiennent que les conditions de vie dans le centre pour demandeurs d’asile constituent une violation des articles 27 (par. 1) et 31 lus conjointement avec l’article 2 (par. 1) de la Convention. M. S. et K. S. avaient des possibilités très limitées de se reposer, de pratiquer des activités de loisirs, de nouer des relations stables et de participer à la vie culturelle, faute d’argent et étant donné que la famille ne disposait que d’une pièce, ainsi que du fait de la distance qui séparait le centre du village le plus proche. Leur manque de contacts sociaux et de stimuli les a empêchés de développer des compétences sociales comparables à celles des enfants suisses, en violation de l’article 6 (par. 2) lu conjointement avec l’article 2 de la Convention. En violation des articles 28 (par. 1) et 29 de la Convention, M. S. et K. S. n’y ont pas été scolarisés. M. S. risque ainsi de rester dépourvue de capacités linguistiques pour le reste de sa vie. Les auteurs allèguent aussi une violation de l’article 2 (par. 2) de la Convention, car la famille a été privée de services sociaux dès le début de la deuxième procédure d’asile. Or, M. S. et K. S. y avaient droit en tant qu’enfants de Z. S. et A. S. demandant l’asile pour la première fois.

3.7Les auteurs affirment qu’en violation de l’article 20, lu conjointement avec l’article 3, ainsi que des articles 25 et 27 (par. 1) de la Convention, les autorités de l’État partie n’ont effectué aucune recherche sur la possibilité pour M. S. de recevoir un enseignement spécialisé ou sur le niveau de vie minimal en Fédération de Russie. Elles n’ont pas non plus enquêté sur le respect par la Fédération de Russie du Protocole facultatif à la Convention concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. En outre, en violation des articles 8 (par. 1) et 16 (par. 1) de la Convention, son renvoi a empêché M. S. de poursuivre sa communication avec l’audiopédagogue, qui était la seule personne avec laquelle elle pouvait communiquer. De plus, M. S. est née en Suisse, y a vécu pendant quarante-sept mois et n’avait aucun souvenir de la Fédération de Russie à son retour.

3.8Enfin, au vu des violations invoquées, les auteurs affirment que le renvoi de M. S. de Suisse a constitué une violation de l’article 11 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations datées du 20 septembre 2019, l’État partie note que le 22 octobre 2018, par suite de la soumission de la présente communication, M. S. a déposé auprès du Secrétariat d’État aux migrations une demande d’autorisation d’entrée en Suisse pour une violation de l’article 8 de la Convention. Par décision du 27 décembre 2018, le Secrétariat d’État n’est pas entré en matière sur cette demande, pour incompétence. Le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours le 23 avril 2019, observant que M. S. avait eu la possibilité de prendre position en première instance et en appel, et elle lui avait en effet adressé plusieurs lettres.

4.2L’État partie fait valoir que la communication est irrecevable faute d’autorisation valable. L’autorisation soumise a été présentée uniquement par K. S. et les auteurs, et ne mentionne pas M. S. M. Rüst-Hehli n’est donc pas autorisé à la représenter. De plus, le document n’a été daté que par M. Rüst-Hehli et non par les auteurs. En outre, la mention dans la communication que l’adresse de la famille en Fédération de Russie est inconnue suggère que celui-ci n’est plus en contact avec elle.

4.3Se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’État partie fait valoir que si l’article 12 de la Convention est directement applicable, tous les autres articles invoqués ne le sont pas, y compris l’article 3 de la Convention, qui ne constitue qu’un principe directeur.

4.4L’État partie soutient que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes concernant les griefs relatifs aux mesures de protection et au séjour de M. S. et de K. S. dans le centre pour demandeurs d’asile. Premièrement, ils ont eu connaissance des décisions de l’Association des maires du canton de Saint-Gall et de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte, mais n’ont pas entrepris de démarches pour en faire appel. Deuxièmement, ils n’ont pas non plus entrepris de démarches pour se plaindre de leur placement dans le centre pour demandeurs d’asile, des conditions de vie dans ce centre ou de leur accès à l’éducation. M. S. a bénéficié régulièrement depuis 2015 d’un service éducatif de la petite enfance, elle a fréquenté le groupe de jeu du service audiopédagogique et a bénéficié d’un enseignement de la langue des signes. Dès 2016, elle a fréquenté l’école enfantine du centre et était accompagnée par une enseignante spécialisée du service audiopédagogique. Dès début 2017, Z. S. a également participé au cours de langue des signes. Par ailleurs, les auteurs n’ont soumis aucune plainte pour discrimination fondée sur le handicap et n’ont pas épuisé les voies de recours en ce qui concerne leur demande de réadmission en Suisse, pour laquelle le Secrétariat d’État aux migrations n’était pas compétent pour rendre une décision sur le fond.

4.5L’État partie fait valoir que les griefs concernant la première procédure d’asile et la décision de l’Association des maires du canton de Saint-Gall sont irrecevables ratione  temporis, ces décisions ayant été prises avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, le 24 juillet 2017.

4.6L’État partie fait valoir également qu’un nombre de griefs sont irrecevables, car insuffisamment motivés. Ainsi, concernant les griefs formulés au titre des articles 2 (par. 2), 13, 14 et 17 de la Convention, les auteurs n’expliquent pas en quoi les droits de M. S. et de K. S. ont été violés. De même, ils ne fournissent aucun élément pour étayer une violation de l’article 8 de la Convention et ne justifient pas leur allégation selon laquelle M. S. a une identité suisse, plutôt que russe. Concernant le grief tiré de l’article 11 de la Convention, les autorités suisses ont examiné la question de savoir si le retour de la famille était licite, raisonnablement exigible et possible. Au titre de l’article 16 de la Convention, les auteurs ne démontrent pas en quoi la rupture de la relation de M. S. avec l’audiopédagogue constitue une ingérence illégale ou arbitraire dans sa vie privée. Les griefs formulés au titre des articles 32, 34, 36 et 37 sont quant à eux de nature abstraite et hypothétique.

4.7L’État partie fait valoir en outre que d’autres griefs sont manifestement mal fondés. Concernant la plainte au titre de l’article 12 de la Convention, il fait observer que, selon la pratique du Secrétariat d’État aux migrations, le discernement des enfants est généralement présumé dans la procédure d’asile à partir de l’âge de 14 ans. Or, au moment de la décision du 9 octobre 2015, M. S. et K. S. n’étaient âgés que de 3 ans et 9 ans, respectivement. Le Secrétariat d’État les a inclus dans les demandes d’asile des parents en examinant s’ils avaient le statut de réfugié, étant donné que leurs intérêts coïncidaient. En outre, la famille a bénéficié d’une représentation légale. Dans son arrêt du 5 mars 2018, le Tribunal administratif fédéral a observé l’absence d’indications selon lesquelles le représentant n’aurait pas pu défendre les intérêts des enfants, et a conclu qu’une audition de K. S. n’était pas nécessaire. La deuxième procédure concernait une deuxième demande d’asile et a donc été décidée sans une nouvelle audition. En outre, les demandes de réexamen n’impliquent pas un droit d’être entendu. Les auteurs ne précisent pas quels faits M. S. et K. S. n’ont pas pu faire valoir en raison de l’absence d’une audition séparée.

4.8De même, l’État partie fait valoir que les griefs au titre de l’article 3 de la Convention sont manifestement mal fondés. Il fait observer que le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral ont examiné de manière détaillée les problèmes de santé de K. S. et de M. S., ainsi que les questions d’une scolarisation adaptée et du minimum vital. Dans son jugement du 5 février 2013, le Tribunal a conclu que l’hémophilie de K. S. pouvait être traitée en Fédération de Russie, comme elle l’avait été par le passé. Quant à la déficience auditive de M. S., le Tribunal a observé que les enfants, jusqu’à l’âge de 14 ans, bénéficiaient d’un traitement médical gratuit en Fédération de Russie dans la mesure où ils étaient assurés, et que la Constitution russe garantissait un traitement médical de base gratuit à tous ses citoyens. Le Tribunal a donc conclu que la déficience auditive de M. S. pouvait être traitée en Fédération de Russie. Dans son arrêt du 21 septembre 2017, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles qui s’opposeraient au renvoi, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il a reconnu qu’il était douteux que K. S. puisse recevoir un traitement pour son syndrome de stress post-traumatique en Tchétchénie, mais a rappelé que la famille disposait de possibilités de vol intérieur et pouvait accéder aux traitements requis à Moscou ou dans d’autres villes, où la famille avait séjourné par le passé et où elle avait des contacts, de la famille et des amis. Le Tribunal a également examiné le bien-être des enfants, constatant que K. S. avait passé la majorité de sa vie en Fédération de Russie et que M. S. y avait passé deux ans, et que cette dernière était encore en âge préscolaire. Le Tribunal a constaté qu’il n’y avait pas de degré d’intégration important en Suisse et qu’il n’y avait pas de risque qu’ils soient exposés à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans son arrêt du 5 mars 2018, le Tribunal a constaté que les revendications de K. S. ainsi que celles des parents auprès de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte avaient déjà été examinées dans les procédures antérieures, et que la situation de la famille n’avait pas changé significativement.

4.9L’État partie observe qu’après la clôture de la première procédure d’asile, la famille a décidé de retourner volontairement en Tchétchénie, sans faire usage d’un projet de réintégration comprenant une aide économique et médicale ou recourir aux services médicaux en Fédération de Russie. Les allégations concernant les risques de violation de la Convention sont donc de nature hypothétique. En outre, la famille peut faire valoir ses droits par des voies de recours en Fédération de Russie.

4.10Quant aux griefs au titre des articles 2 et 19 de la Convention, concernant l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte, l’État partie observe que cette dernière ne pouvait pas ordonner la pose d’un implant cochléaire en cas de statut de résidence incertain. Selon l’Hôpital pédiatrique de Suisse orientale, de telles interventions ne sont pas effectuées en l’absence d’un statut de résident, étant donné la nécessité d’un suivi constant pendant au moins deux ou trois ans. L’État partie note que les autorités d’asile ne sont pas liées par les décisions de l’Autorité, mais qu’elles en tiennent compte, comme cela a été fait dans la présente affaire.

4.11Subsidiairement, l’État partie soutient que la communication est sans fondement, pour les mêmes raisons que celles évoquées précédemment.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans leurs commentaires datés du 19 décembre 2019, les auteurs soutiennent que l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte de Toggenburg et l’Association des maires du canton de Saint-Gall ne les ont pas informés de leurs décisions. La lettre de l’Autorité datée du 9 novembre 2016 ne leur était notamment pas adressée et ils n’ont pas été informés des voies de recours possibles, y compris concernant l’aide sociale et leur traitement dans le centre pour demandeurs d’asile. Le service éducatif dans ce centre, y compris l’enseignement de la langue des signes, était rudimentaire et ne répondait pas aux critères légaux relatifs aux qualifications et aux effectifs du personnel, à la durée de l’enseignement et à son contenu. En outre, leurs représentants dans la procédure d’asile ne disposaient pas de moyens financiers pour les représenter ailleurs. De plus, la décision du Secrétariat d’État aux migrations datée du 27 mars 2018 ne leur a pas été notifiée avant leur renvoi le lendemain, et ils n’ont donc pas pu indiquer une adresse de correspondance ni déposer un recours.

5.2Les auteurs contestent que l’autorisation ne concerne pas M. S. Ils notent que les autorités n’ont fourni une aide d’urgence à M. S. que lors de son deuxième séjour en Suisse, et affirment que l’État partie ne lui a pas fourni le soutien nécessaire pour développer ses capacités linguistiques. En vertu du Code civil suisse et de l’article 5 de la Convention, Z. S. est son représentant légal. Le conseil est en contact avec les auteurs par l’intermédiaire de l’audiopédagogue, même si le contact est très laborieux.

5.3Les auteurs contestent que la communication soit irrecevable ratione temporis dans la mesure où elle concerne les arrêts du Tribunal administratif fédéral datés du 21 septembre 2017 et du 5 mars 2018, et la décision du Secrétariat d’État aux migrations du 27 mars 2018. De plus, l’implant cochléaire est devenu urgent pour M. S. en 2018, soit après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie.

5.4Invoquant l’article 3 de la Convention, les auteurs affirment que les autorités de l’État partie ont méconnu l’importance de la stabilité, de la continuité et de la sécurité pour le développement des enfants. Elles n’ont pas non plus considéré l’incapacité de M. S. à communiquer efficacement avec sa mère et avec d’autres personnes, la situation des personnes sourdes en Tchétchénie ou encore la situation en matière de sécurité. Les auteurs contestent la possibilité de se prévaloir des voies de recours en Fédération de Russie. Le conseil note qu’il lui est très difficile d’obtenir des preuves concernant les conditions de vie actuelles de la famille en Fédération de Russie et que celle-ci a dû vivre dans la clandestinité depuis son renvoi.

5.5Au titre de l’article 4 de la Convention, les auteurs font valoir que l’État partie n’a pas pris de mesures dans toutes les limites des ressources dont il dispose, compte tenu de la différence entre les produits nationaux de la Suisse et de la Fédération de Russie. Ils font valoir que les autorités de l’État partie n’ont jamais mis en doute l’applicabilité directe de l’article 2 de la Convention et affirment que les articles invoqués sont tous directement applicables.

5.6Les auteurs affirment que le Secrétariat d’État aux migrations n’a pas démontré que M. S. pouvait recevoir l’implant cochléaire en Fédération de Russie, et n’a pas considéré le fait qu’elle ne comprenait que la langue des signes suisse allemande ainsi que les risques de discrimination auxquels elle est confrontée en Fédération de Russie. Le Secrétariat d’État n’a pas non plus identifié les intérêts qui pourraient prévaloir sur l’intérêt de M. S. à vivre en Suisse. Son identité linguistique est le suisse allemand et elle n’a aucune connaissance de sa nationalité russe. L’audiopédagogue remplit un rôle affectif et linguistique important pour elle. La décision de renvoi l’a ainsi empêchée de développer son identité et d’acquérir une langue, en violation des articles 8 et 12 de la Convention.

5.7Les auteurs réaffirment que la politique du Secrétariat d’État aux migrations consistant à n’entendre que les enfants âgés d’au moins 14 ans viole l’article 12 de la Convention. Ils affirment que les intérêts des enfants sont toujours différents de ceux des parents. Cependant, K. S. n’a jamais eu la possibilité de choisir son propre représentant.

5.8Au titre de l’article 19 de la Convention, les auteurs affirment qu’un manque de ressources de la part de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte de Toggenburg ne justifierait pas la non-fourniture de l’implant cochléaire. La pose d’un tel implant est une mesure de protection garantie par l’article 307 du Code civil suisse et l’article 19 de la Convention. L’Autorité en a reconnu la nécessité pour M. S., mais a voulu éviter de créer un obstacle à son déplacement. Selon les auteurs, l’Association des maires du canton de Saint‑Gall est une entité privée qui a usurpé la fourniture de l’aide d’urgence sans avoir conclu d’accord à cet égard avec la moindre commune.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité note que l’État partie soutient que la communication est irrecevable faute d’autorisation valable, car M. S. n’a pas donné son consentement à être représentée, les auteurs n’ont pas daté leurs signatures, et le conseil a perdu le contact avec la famille depuis leur renvoi en Fédération de Russie. S’agissant du consentement de M. S., le Comité note l’argument des auteurs concernant l’incapacité de celle-ci à donner son consentement exprès à sa représentation par le conseil des auteurs. Il considère que les auteurs, en tant que parents de M. S., ont justifié leur action et, compte tenu des informations figurant au dossier, que la soumission de la communication correspond à l’intérêt supérieur de M. S. en vertu de l’article 13 (par. 3) du Règlement intérieur au titre du Protocole facultatif. En ce qui concerne l’absence de date associée à la signature des auteurs, le Comité note toutefois que la procuration, signée par les auteurs et K. S., autorise le conseil à présenter au Comité une communication individuelle au nom de ceux-ci et à les représenter devant le Comité. Finalement, le Comité note l’explication du conseil selon laquelle il reste en contact avec la famille. Il note également que les difficultés rencontrées par le conseil dans ses contacts avec les auteurs sont dues à l’expulsion de la famille de Suisse et que le dossier ne contient pas d’indications selon lesquelles ils auraient perdu tout intérêt à poursuivre la communication. Par conséquent, le Comité considère que l’article13 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’admettre la communication. Au vu de tout ce qui précède, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif d’examiner la communication.

6.3Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel, parmi les griefs des auteurs, seul l’article 12 de la Convention est directement applicable. À cet égard, le Comité rappelle que la Convention reconnaît l’interdépendance et l’égale importance de tous les droits (civils, politiques, économiques, sociaux et culturels) qui permettent à tous les enfants de développer leurs aptitudes mentales et physiques, leur personnalité et leur talent dans toute la mesure possible. Il rappelle également que l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré à l’article 3 de la Convention, représente un triple concept qui est à la fois un droit de fond, un principe interprétatif et une règle de procédure. Le Comité note qu’aux termes de l’article 5 (par. 1 a)) du Protocole facultatif, les communications individuelles peuvent être présentées contre un État partie à la Convention par des particuliers ou des groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou de groupes de particuliers qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention. De ce fait, il estime que rien dans l’article 5 (par. 1 a)) du Protocole facultatif ne permet de conclure à une approche limitée aux droits dont la violation peut être invoquée dans la procédure d’examen de communications individuelles. Le Comité rappelle également qu’il a eu l’occasion de se prononcer sur des violations prétendues des articles invoqués dans le cadre du mécanisme de communications individuelles.

6.4En vertu de l’article 7 (al. d)) du Protocole facultatif, le Comité a vérifié que la même question n’avait pas déjà été examinée par le Comité et qu’elle n’avait pas été ou n’était pas en cours d’examen au titre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

6.5Le Comité note que l’État partie soutient que les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours internes concernant leurs griefs relatifs au manque de mesures de protection médicale, éducative et sociale prises et aux conditions de vie de M. S. et de K. S. dans le centre pour demandeurs d’asile. Il note également l’argument des auteurs selon lequel ils n’ont jamais reçu les décisions de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte, de l’Association des maires du canton de Saint-Gall et de l’Office cantonal des migrations, et que la lettre de l’Autorité datée du 9 novembre 2016 ne leur était pas adressée. Le Comité relève qu’il ressort du dossier que le handicap de M. S. était documenté depuis au moins le 16 janvier 2013. Si les auteurs affirment avoir effectué diverses demandes à ce sujet, ils ne semblent pas avoir entrepris de démarches en vue d’une action judiciaire pour absence de notification de décisions. De même, la famille ne semble pas avoir entrepris de démarches en vue d’une action judiciaire pour contester son placement dans le centre, en août 2015, ou les conditions de vie dans ce dernier. Le Comité constate que rien n’indique qu’il aurait été inefficace pour les auteurs de se plaindre de l’absence de décisions ou de l’absence de notifications de telles décisions. En outre, le Comité ne peut pas conclure, sur la base de la simple affirmation des auteurs quant à l’insuffisance des moyens financiers de leurs représentants dans la procédure d’asile pour les représenter ailleurs, qu’aucun recours n’était à leur disposition. Conséquemment, le Comité conclut que les griefs au titre des articles 2, 3, 6, 12, 13, 14, 17, 19, 23, 24, 26, 27, 28, 29 et 31 de la Convention sont irrecevables en application de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif, dans la mesure où ils concernent le placement de M. S. et de K. S. dans le centre pour demandeurs d’asile et le manque de mesures de protection médicale, éducative et sociale.

6.6Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel les griefs concernant la première procédure d’asile sont irrecevables ratione temporis. Il considère toutefois que les effets de cette procédure, notamment l’examen par les autorités de l’État partie de la possibilité de poser un implant cochléaire pour M. S. en Fédération de Russie, ont persisté après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le Comité conclut donc que l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner les griefs relatifs à cette procédure dans cette mesure.

6.7En ce qui concerne les griefs des auteurs basés sur les articles 4 et 11 de la Convention, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ces plaintes et les déclare irrecevables en application de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

6.8Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel les griefs concernant les procédures d’asile sont manifestement mal fondés ou insuffisamment motivés. Il considère toutefois que cette partie de la communication soulève des questions de fond au regard de la Convention, dans la mesure où elle concerne le droit de K. S. d’être entendu en vertu de l’article 12 de la Convention, et la décision de renvoyer M. S. en Fédération de Russie compte tenu de son handicap auditif, en application des articles 3, 6 (par. 2), 24 et 37 de la Convention. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication recevable, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note le grief des auteurs selon lequel la décision des autorités de l’État partie de renvoyer M. S. en Fédération de Russie a violé ses droits en vertu des articles 3, 6 (par. 2), 24 et 37 de la Convention, car le Tribunal administratif fédéral n’a pas tenu compte de l’accès de M. S. à un implant cochléaire et à une éducation spécialisée en Fédération de Russie, et a décidé d’y renvoyer la famille en sachant que la pose d’un tel implant n’y était pas garantie et que l’absence d’un tel implant entraînerait pour M. S. un isolement auditif et un risque d’exploitation et de mauvais traitements. Selon les auteurs, le Tribunal a également négligé la question de savoir si K. S. aurait accès à un traitement psychothérapeutique en Fédération de Russie. Le Comité note que l’État partie conteste les allégations des auteurs et fait valoir que ses autorités ont respecté les droits des enfants énoncés dans la Convention.

7.3Le Comité rappelle que les États sont tenus de ne pas renvoyer un enfant dans un pays s’il y a des motifs sérieux de croire que cet enfant sera exposé à un risque réel de dommage irréparable, comme ceux, non limitativement, envisagés dans les articles 6 et 37 de la Convention. Le risque de violation grave devrait être apprécié eu égard à l’âge et au sexe de l’intéressé, par exemple en tenant compte des conséquences particulièrement graves pour les enfants d’une alimentation insuffisante ou d’une carence des services de santé. Le risque de violation grave devrait par ailleurs être évalué conformément au principe de précaution, et lorsqu’il existe des doutes raisonnables quant au fait que l’État de destination puisse protéger l’enfant contre ce risque, les États parties devraient s’abstenir d’expulser l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale dans les décisions concernant l’expulsion d’un enfant, et ces décisions devraient donner l’assurance − selon une procédure prévoyant des garanties appropriées − que l’enfant sera en sécurité, sera correctement pris en charge et jouira de ses droits.

7.4Le Comité rappelle également qu’il appartient généralement aux autorités nationales d’examiner les faits et les éléments de preuve, ainsi que d’interpréter et d’appliquer la loi nationale, à moins que l’appréciation faite par ces autorités ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. Il n’appartient donc pas au Comité de se substituer aux autorités nationales dans l’interprétation de la loi nationale et l’appréciation des faits et des preuves, mais de vérifier l’absence de caractère arbitraire ou de déni de justice dans l’appréciation des autorités, et de s’assurer que l’intérêt supérieur des enfants ait été une considération primordiale dans cette appréciation. Le Comité rappelle en outre que le principe du non-refoulement ne confère pas un droit à rester dans un pays sur la seule base d’une possible différence entre l’État d’origine et l’État d’asile en matière de services de santé, ou pour poursuivre un traitement médical dans l’État d’asile, sauf si ce traitement est essentiel pour la vie et le bon développement de l’enfant et ne serait pas disponible et accessible dans l’État de renvoi.

7.5Dans le cas d’espèce, le Comité note que dans son jugement du 5 février 2013, le Tribunal administratif fédéral a conclu que la perte d’audition pouvait être traitée en Tchétchénie, étant donné que les enfants tchétchènes bénéficient de soins médicaux gratuits jusqu’à l’âge de 14 ans, à condition qu’ils soient inscrits au régime d’assurance maladie obligatoire, et que la Constitution russe garantit des soins médicaux de base gratuits à tous les citoyens. Le Comité note en outre que le Tribunal, dans son jugement du 21 septembre 2017, a considéré les problèmes de santé de M. S., mais a observé qu’il n’y avait pas d’indices d’un danger concret pour elle au sens de l’article 84 (par. 4) de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration, comme l’indisponibilité d’un traitement médical essentiel dans le pays d’origine. Le Tribunal a examiné la disponibilité d’un traitement psychiatrique pour K. S. en Fédération de Russie, reconnaissant que si une telle disponibilité était douteuse en Tchétchénie, l’infrastructure médicale nécessaire était présente dans les villes d’autres parties du pays où la famille pourrait se réinstaller. Le Tribunal a également examiné l’accès au système de soins de santé, observant que les procédures de déclaration d’un lieu de séjour temporaire ou permanent en Fédération de Russie avaient été grandement simplifiées pour les Tchétchènes et qu’il n’y avait pas de discrimination systématique de ce groupe. Il a examiné aussi les conséquences du renvoi des enfants sur leur environnement social, scolaire et personnel et sur leur développement physique et mental, et a observé que, selon les rapports médicaux, les difficultés psychologiques et les troubles du développement des enfants pouvaient être traités dans un environnement stable qui pouvait être construit par les parents.

7.6Le Comité note cependant les informations dont il dispose selon lesquelles la pose d’un implant cochléaire ne peut être réalisée que dans les premières années de la vie d’un enfant, et que le fait de ne pas fournir un tel implant en temps voulu peut causer un préjudice important à la santé et au développement de l’enfant. Le Comité note également que M. S. avait 6 ans lorsque la famille a été renvoyée en Fédération de Russie, le 28 mars 2018, et que, selon les informations dont il dispose, il a été confirmé par un pédiatre le 14 mars 2018 qu’il était médicalement urgent que M. S. reçoive l’implant cochléaire, au plus tard cette même année, car c’était le seul moyen pour elle d’obtenir une réponse auditive. Le Comité est préoccupé par le fait que, malgré l’urgence médicale confirmée, les autorités de l’État partie ne semblent pas avoir vérifié spécifiquement si l’accès en temps voulu de M. S. à un implant cochléaire en Fédération de Russie serait garanti, en particulier à la lumière du fait que la famille devrait se réinstaller, et déménager dans un lieu de résidence en dehors de sa Tchétchénie natale pour garantir un accès continu à un traitement psychiatrique pour K. S., qui ne serait pas disponible en Tchétchénie. Dans ce contexte, il semble peu probable que la famille soit en mesure d’assurer un accès immédiat à un implant cochléaire pour M. S. À cet égard, le Comité rappelle que dans les cas où des enfants sont renvoyés dans leur pays d’origine, des mesures de réintégration efficaces doivent être prises, y compris des mesures de protection immédiates, en particulier pour assurer un accès effectif à la santé. En outre, le Comité note que les autorités de l’État partie ne semblent pas avoir examiné spécifiquement le soutien supplémentaire dont M. S. aurait besoin en tant qu’enfant handicapée, notamment la possibilité pour elle d’apprendre une autre langue des signes en Fédération de Russie. Le Comité note à cet égard que, selon un certificat médical daté du 31 août 2015, M. S. présentait un retard important dans son développement depuis son premier départ de Suisse, en décembre 2013. Compte tenu de toutes les circonstances spécifiques de la présente affaire, le Comité estime que les autorités de l’État partie n’ont pas pris toutes les mesures nécessaires pour garantir que M. S. aurait accès aux soins médicaux urgents et au soutien nécessaires à son développement adéquat. En conséquence, le Comité estime que l’État partie a violé les droits de M. S. au titre de l’article 24 lu conjointement avec les articles 3 et 6 (par. 2) de la Convention.

7.7Ayant tiré cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner les autres griefs des auteurs au titre de l’article 37 (al. a)) de la Convention fondés sur les mêmes faits.

7.8Le Comité note l’argument des auteurs selon lequel K. S. n’a pas été entendu dans le cadre des procédures d’asile. Il note également l’argument de l’État partie selon lequel K. S. n’a pas été entendu compte tenu de son jeune âge, et du fait que les intérêts des enfants coïncidaient avec ceux des parents et qu’il pouvait exercer son droit d’être entendu par l’intermédiaire des auteurs et de leur conseil. Le Comité note que l’article 12 de la Convention garantit le droit de l’enfant d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant. Il rappelle néanmoins que cet article n’impose aucune limite d’âge en ce qui concerne le droit de l’enfant d’exprimer son opinion, et qu’il décourage les États parties d’adopter, que ce soit en droit ou en pratique, des limites d’âge de nature à restreindre le droit de l’enfant d’être entendu sur toutes les questions l’intéressant. En outre, le Comité rappelle que les États parties doivent veiller à ce que les opinions de l’enfant ne soient pas seulement entendues comme une formalité, mais qu’elles soient prises au sérieux. Il rappelle également que dans le contexte des procédures d’immigration et d’asile, les enfants se trouvent dans une situation particulièrement vulnérable, raison pour laquelle il est urgent de mettre pleinement en œuvre leur droit d’exprimer leurs opinions sur tous les aspects des procédures d’immigration et d’asile, notamment en accordant à l’enfant une possibilité de présenter les raisons qui motivent sa demande d’asile. Le Comité rappelle aussi que la détermination de l’intérêt supérieur des enfants requiert que leur situation soit évaluée séparément, nonobstant les raisons ayant motivé la demande d’asile de leurs parents. Il ne partage conséquemment pas l’argument de l’État partie selon lequel K. S. ne devait pas être entendu car ses intérêts coïncidaient avec ceux des parents. Dès lors, le Comité estime que dans les circonstances de l’espèce, l’absence d’audience directe de K. S. constituait une violation des articles 3 et 12 de la Convention.

8.Par conséquent, l’État partie devrait accorder à M. S. une réparation effective, y compris une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que de telles violations des droits contenus dans les articles 3, 12 et 24 de la Convention ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité lui recommande de veiller à ce que les enfants aient systématiquement la possibilité d’être entendus dans toute décision les concernant, qu’ils reçoivent une information dans un langage qu’ils comprennent sur cette possibilité, le contexte et les conséquences de cette audition dans le contexte des procédures d’asile, et que les protocoles nationaux applicables au renvoi des enfants soient conformes à la Convention. L’État partie devrait également veiller à ce que l’examen des demandes d’asile d’un enfant fondé sur le besoin d’un traitement médical nécessaire à son développement comprenne une évaluation de la disponibilité et de l’accessibilité pratique de ce traitement dans l’État où l’enfant est renvoyé.

9.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est aussi invité à inclure des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au Comité au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles du pays.