Nations Unies

CAT/C/53/D/489/2012

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 janvier 2015

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 489/2012

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-troisième session,3-28 novembre 2014

P résentée par:

Asghar Tahmuresi,représenté par un conseil, Urs Ebnöther

Au nom de:

Asghar Tahmuresi

État partie:

Suisse

Date de la requête:

20 janvier 2012(date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

26 novembre 2014

Objet:

Expulsion vers l’Iran

Questions de procédure:

-

Questions de fond:

Risque de torture en cas d’expulsion

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante-troisième session)

concernant la

Communication no 489/2012

Présentée par:

Asghar Tahmuresi, représenté par un conseil,Urs Ebnöther

Au nom de:

Asghar Tahmuresi

État partie:

Suisse

Date de la requête:

20 janvier 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 26 novembre 2014,

Ayant achevé l’examen de la requête no 489/2012, présentée au nom d’Asghar Tahmuresi en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,inhumains ou dégradants

1.1Le requérant est Asghar Tahmuresi, citoyen de la République islamique d’Iran (ci‑après «l’Iran»), né le 1er mars 1976. Il affirme que son expulsion vers l’Iran constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le requérant est représenté par un conseil, Urs Ebnöther.

1.2Le 26 janvier 2012, le Comité a prié l’État partie, en vertu du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant tant que la requête serait à l’examen.

Rappel des faits exposés par le requérant

2.1Le requérant, de nationalité iranienne, est originaire de Karaj en Iran. Il a quitté cette ville après avoir été surpris avec l’épouse d’un mollah. Craignant des persécutions en raison de la position sociale du mari de cette femme, et suite à la perquisition de la maison de ses parents, il a décidé de quitter illégalement l’Iran le 3 avril 2003 et s’est rendu en Suisse.

2.2En Suisse, le requérant est devenu membre de l’Association démocratique pour les réfugiés (ADR), association à caractère politique dont l’objectif est de «combattre la République islamique et de protéger les droits de l’homme» en Iran. Il y est entré en août 2006 et il est, depuis, devenu responsable des activités politiques de l’ADR pour les cantons de Lucerne et de Schwytz. Il a régulièrement participé aux réunions du comité exécutif de l’association. Il a pris part à diverses manifestations dans toute la Suisse, ainsi qu’à la distribution, notamment à des responsables politiques devant le parlement de Lucerne, du mensuel de l’organisation, Kanoun, qui critique le régime iranien.

2.3Le 15 avril 2003, le requérant a déposé une demande d’asile en Suisse. Celle-ci a été rejetée le 21 juin 2004 par l’Office fédéral suisse des réfugiés (devenu aujourd’hui l’Office fédéral des migrations ou ODM). Le même jour, l’intéressé a introduit un recours contre cette décision auprès de la Commission suisse de recours en matière d’asile (aujourd’hui remplacée par le Tribunal administratif fédéral suisse), qui l’a débouté le 14 juillet 2006.

2.4Le 24 mai 2007, le requérant a déposé une deuxième demande d’asile, en mettant en avant ses activités politiques en Suisse. L’Office fédéral des migrations a rejeté cette nouvelle demande le 28 août 2007. Et, le 18 mars 2010, le Tribunal administratif fédéral a, de nouveau, refusé de faire droit au recours introduit contre la décision de l’Office fédéral des migrations.

2.5Le 3 août 2010, le requérant a déposé pour la troisième fois une demande d’asile. Il faisait valoir que ses activités politiques en exil s’étaient intensifiées et qu’il se trouvait de ce fait plus exposé encore qu’auparavant. Il indiquait également être, depuis le 1er janvier 2010, à la tête de l’ADR pour les cantons de Lucerne et de Schwytz. Le 16 août 2010, l’Office fédéral des migrations l’a, une fois encore, débouté au motif que son exposition et ses responsabilités politiques accrues n’avaient pas modifié sa situation juridique aux fins de l’asile. L’intéressé s’est pourvu contre cette décision le 24 août 2010, mais le Tribunal administratif fédéral l’a débouté le 12 décembre 2011, par une décision définitive.

2.6Il a été ordonné au requérant de quitter le pays avant le 3 janvier 2012, par deux courriers, émanant de l’Office fédéral des migrations, en date du 19 décembre 2011, et de l’Office des migrations et de l’asile de Lucerne, en date du 23 décembre 2011.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi forcé en Iran constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention.

3.2À l’appui de cette affirmation, il allègue qu’en cas d’expulsion il courrait un risque réel d’être soumis en Iran à un traitement contraire à la Convention, pour les raisons ci‑après:

a)La situation générale des droits de l’homme du pays s’est détériorée depuis l’élection présidentielle de juin 2009 et les manifestations de grande ampleur qui l’ont suivie. La situation en matière de respect des droits fondamentaux a continué de se dégrader et les autorités ont montré une tolérance nulle à l’égard des manifestations ou rassemblements pacifiques, dont les participants ont été systématiquement placés en détention et soumis à la torture;

b)Renvoyant à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme rendu en l’affaire R.  C. c.S uède , le requérant affirme que les dirigeants politiques ne sont pas les seuls exposés à des persécutions et au risque d’être arbitrairement arrêtés, soumis à des mauvais traitements ou à la torture, mais que quiconque participe de manière pacifique à des manifestations et exprime son opposition au régime actuel s’y trouve également exposé. Il a également été souligné que l’Iran se situe au deuxième rang mondial en ce qui concerne le nombre annuel des exécutions capitales, lesquelles sont souvent prononcées à l’issue de procès inéquitables ou motivés par des considérations politiques;

c)Le fait que le requérant ait quitté l’Iran illégalement pose un risque supplémentaire que les autorités s’intéressent à lui s’il était renvoyé dans ce pays;

d)Le requérant était membre actif de l’ADR dans les cantons de Lucerne et de Schwytz. À la date de l’examen de sa troisième demande d’asile par le Tribunal administratif fédéral, il dirigeait l’ADR pour ces deux cantons. Le Tribunal a néanmoins estimé que l’exposition de l’intéressé n’avait pas encore atteint «un niveau suffisant … pour qu’il y ait lieu de penser qu’il courait un risque de persécution en Iran» et cela alors même que cette instance avait considéré dans des décisions antérieures que les membres de l’association détenant des postes de direction se trouvaient à un niveau d’exposition tel qu’il y avait lieu de croire qu’ils courraient le risque d’être persécutés en cas de renvoi forcé vers ce pays.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Par une note en date du 13 juin 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la requête. Il considère que, même si la situation des droits de l’homme en Iran est à divers égards source de préoccupation, le pays n’est pas en proie à une violence généralisée, et que le requérant n’a pas établi qu’il courait un risque prévisible, personnel et réel d’être soumis à la torture.

4.2L’État partie relève que le requérant a déclaré, au cours de sa première procédure de demande d’asile, qu’il avait été frappé par un policier en Iran. Or, il n’a pas mentionné cet incident dans la requête qu’il a présentée au Comité, lequel ne saurait par conséquent le prendre en considération en tant que facteur de risque lié au renvoi de l’intéressé dans ce pays. L’État partie observe aussi que le requérant n’a jamais été politiquement actif en Iran. De plus, lors de l’examen de sa demande d’asile, les autorités de l’État partie n’ont pas jugé crédible l’affirmation selon laquelle il y serait persécuté en raison de ses relations sexuelles supposées avec l’épouse d’un mollah.

4.3Pour ce qui est des activités politiques du requérant en Suisse, l’État partie soutient que, s’il est possible que les services secrets iraniens exercent une surveillance sur les activités politiques hostiles au régime iranien menées à l’étranger, ils ciblent plutôt des personnalités en vue dont les agissements dépassent le cadre d’une opposition de masse et qui occupent des fonctions ou déploient des activités d’une nature telle qu’elles pourraient représenter une menace concrète pour le régime. L’État partie affirme que le requérant ne correspond pas à ce profil; que les activités politiques auxquelles il dit prendre part sont des activités ordinaires pour de nombreux Iraniens en exil et que, même s’il avait éveillé l’intérêt des autorités iraniennes, elles ne le considéreraient pas comme présentant un danger potentiel pour le régime.

4.4L’État partie affirme que les autorités iraniennes savent très probablement que de nombreux Iraniens résidant à l’étranger tentent de se faire passer pour des dissidents afin d’obtenir l’asile. Il est probable qu’elles opèrent une distinction entre les véritables militants, susceptibles d’être des agitateurs politiques majeurs, et les personnes dont les activités ont principalement pour objectif ultime d’obtenir un titre de séjour à l’étranger. Les activités du requérant, y compris sa participation à des manifestations, la distribution d’un magazine et le fait que des photographies de lui figurent sur Internet, ne sont pas en elles-mêmes de nature à attirer l’attention des autorités iraniennes, car elles ne diffèrent pas des activités menées par de nombreux iraniens en Suisse. Les activités de l’ADR se déploient principalement en Suisse et ne sont pas connues à l’étranger. La famille du requérant n’avait pas connaissance de son engagement politique et ne semble pas avoir été inquiétée par les autorités iraniennes à raison de ses activités politiques.

4.5L’État partie conteste l’affirmation du requérant selon laquelle il présenterait un profil particulier du fait de ses fonctions au sein de l’ADR. Il considère que ses fonctions ont un caractère administratif. En sa qualité de responsable cantonal de l’association, il ne serait pas plus exposé que n’importe quel autre membre de l’ADR. L’État partie affirme qu’il est de notoriété publique que l’ADR mène systématiquement des activités destinées à fournir aux demandeurs d’asile des motifs personnels d’obtenir l’asile, en organisant des rassemblements hebdomadaires et en publiant sur Internet des photographies sur lesquelles les participants sont clairement reconnaissables. Un grand nombre des membres de l’ADR n’étaient pas politiquement actifs en Iran et ne sont devenus membres de l’association qu’après que l’asile leur a été refusé. Depuis que le Tribunal administratif fédéral a confirmé sa jurisprudence selon laquelle la seule qualité de membre de l’ADR ne suffit pas à constituer un motif subjectif d’octroi de l’asile, l’association a créé différentes fonctions, telles que responsable de la logistique ou de la sécurité, de sorte que quasiment tous ses membres occupent une «fonction de direction». Cette prolifération de postes de direction a pour effet d’amoindrir leur importance.

4.6L’État partie affirme que le requérant ne présente pas le profil d’un dissident susceptible d’être considéré comme dangereux par les autorités iraniennes. Il n’a pris part en Suisse à aucune activité politique hostile à l’Iran avant que le Tribunal administratif fédéral ne le déboute de sa demande d’asile, et son engagement politique soudain et récent reste superficiel et ne semble pas refléter de véritables convictions.

4.7L’État partie affirme que l’ensemble des allégations du requérant concernant le risque de persécutions auquel il serait exposé en Iran et, notamment, ses activités en Suisse, ont été examinées par les autorités compétentes suisses. La requête présentée au Comité ne comporte aucune information nouvelle, ni n’invoque aucune défaillance dans la procédure d’asile de l’État partie. Celui-ci renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle «c’est aux tribunaux des États parties à la Convention qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce». Et en particulier, le Comité ne devrait examiner les faits et les éléments de preuve que lorsqu’il peut être établi que «la manière dont les éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice». En l’espèce, les éléments de fait soumis par le requérant ne permettent pas d’établir la présence de telles irrégularités.

4.8L’État partie relève également la mention par le requérant de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire R.  C .c.S uède; or, dans cette affaire, le demandeur avait été en mesure d’établir qu’il avait subi des mauvais traitements en Iran en raison de son engagement politique et c’est sur ce fondement que la Cour a jugé que son renvoi forcé donnerait lieu à une violation de l’interdiction de la torture.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires en date du 10 septembre 2012, le requérant conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’aurait pas démontré qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à un traitement contraire à la Convention s’il devait être renvoyé en Iran. Il réaffirme que même les opposants ordinaires, de moindre envergure, manifestant pacifiquement contre le régime, et les demandeurs d’asile iraniens déboutés courent le risque d’être soumis à un traitement contraire à la Convention. Et, qu’eu égard au niveau élevé de ses activités politiques au sein de l’ADR, le risque de subir des persécutions auquel il serait exposé serait plus grand encore.

5.2Il affirme en outre qu’il n’a mentionné son passage à tabac que dans le cadre de sa première demande d’asile, car les procédures de demande ultérieures n’ont porté que sur des faits nouveaux. Bien qu’il n’en ait pas fait état dans la requête qu’il a adressée au Comité, cet incident doit être considéré comme l’un des facteurs ayant contribué à attirer l’attention des autorités iraniennes sur sa personne. Il compte aussi parmi les facteurs qui ont contribué à façonner ses opinions politiques.

5.3Le requérant soutient que son absence d’activités politiques en Iran tenait à la surveillance rigoureuse exercée par les autorités sur ce type d’activités, ainsi qu’à la répression sévère qui lui était associée. Autrement dit, cette absence d’activités ne donne aucune indication quant à son degré d’opposition au régime iranien, ni à l’ampleur de ses activités politiques en exil. Pour ce qui est de son engagement au sein de l’ADR, il affirme que des éléments d’information émanant de sources officielles, ainsi que d’autres sources, montrent que des activités politiques hostiles au régime, même au niveau des citoyens ordinaires, peuvent entraîner un risque réel et personnel de persécutions. Il affirme également qu’étant donné la forte présence de l’ADR sur Internet, on ne saurait tenir pour acquis que cette organisation est inconnue hors de Suisse.

5.4Le requérant réaffirme qu’il a eu des relations extraconjugales avec la femme d’un mollah et que cette circonstance augmentait le risque qu’il soit persécuté en Iran. Le fait que les autorités suisses n’aient pas considéré cette circonstance comme crédible ne réduit pas le risque actuel de persécutions auquel il est exposé.

5.5Il conteste aussi l’affirmation de l’État partie selon laquelle il serait chargé de tâches purement administratives au sein de l’ADR. Il fait valoir qu’il prend part aux réunions du comité exécutif, qu’il est chargé du recrutement de nouveaux membres dans son canton et se rend régulièrement dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile. Il indique qu’il est entré à l’ADR peu après sa fondation et qu’il en a été un membre très actif au cours des six dernières années. Il réfute en outre l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’ADR serait un mouvement diffus, la plupart de ses membres occupant des postes de direction. Il affirme qu’en dehors des membres du comité exécutif et des responsables cantonaux, il n’y a que très peu d’autres fonctions importantes. Bon nombre d’entre elles sont occupées depuis des années par des personnes bénéficiant déjà du statut de réfugié, mais qui continuent néanmoins à faire campagne et à manifester.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Ne voyant aucune autre raison de considérer la communication comme irrecevable, le Comité passe à l’examen au fond des griefs présentés par le requérant au titre de l’article 3 de la Convention.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Il doit déterminer si, en expulsant le requérant vers l’Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être torturé en cas de renvoi en Iran. Il doit à cet effet tenir compte, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle néanmoins qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être personnellement soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque.

7.4Le Comité rappelle son Observation générale n° 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle il indique que «l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons». S’il n’est pas nécessaire que le risque soit «hautement probable», il doit néanmoins être personnel et actuel. Le Comité a établi que le risque d’être soumis à la torture devait être prévisible, réel et personnel. Il rappelle que s’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, il n’est pas lié par ces constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier les faits en se fondant sur les circonstances de chaque affaire.

7.5Renvoyant à sa jurisprudence récente, le Comité rappelle que des informations font régulièrement état du recours à la torture physique et psychologique en Iran pour obtenir des aveux, ce qui laisse penser que ces pratiques sont répandues et systématiques, et que l’on ne cesse de signaler des cas d’opposants politiques du régime en place détenus et torturés. Il considère cette situation comme d’autant plus alarmante que la peine de mort est souvent appliquée dans le pays, à l’égard de personnes qui n’ont pas bénéficié des garanties d’une procédure régulière et pour des infractions qui ne correspondent pas aux normes internationales relatives aux crimes les plus graves. L’État partie a lui-même reconnu l’existence d’une telle situation en Iran.

7.6Le Comité note que le requérant est un membre actif de l’ADR en Suisse depuis 2006, et qu’en tant que tel, son nom figure dans le mensuel Kanoun publié par cette organisation; qu’il a participé aux réunions du comité exécutif de ladite organisation, a été chargé du recrutement de nouveaux membres dans son canton et a régulièrement effectué des visites dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile. Il a pris part à des rassemblements et à des campagnes et des manifestations contre le régime iranien et sa photographie est apparue sur Internet. L’État partie n’a pas contesté ces informations. Le Comité prend note des observations de l’État partie indiquant que les autorités iraniennes ciblent des personnalités en vue susceptibles de présenter un danger particulier pour le régime iranien et que les activités de l’ADR se déploient principalement en Suisse et ne sont pas connues à l’étranger. Il observe cependant que le travail du requérant au sein de l’ADR ne se limitait pas à participer à des manifestations ou à s’acquitter de simples tâches administratives, mais le plaçait parmi les dirigeants d’une organisation publiquement opposée au régime iranien. Le Comité observe en outre que des rapports récents indiquent que même les opposants de moindre envergure sont étroitement surveillés en Iran et que les autorités iraniennes surveillent efficacement les communications par Internet et les détracteurs du régime tant dans le pays qu’à l’étranger.

7.7Au vu de l’ensemble de ces circonstances, y compris la situation générale des droits de l’homme en Iran, la situation personnelle de l’intéressé, lequel a poursuivi sa participation active à des activités politiques d’opposition au régime iranien à l’étranger, et gardant à l’esprit sa jurisprudence antérieure, le Comité est d’avis que le requérant pourrait avoir attiré l’attention des autorités iraniennes. Il considère par conséquent qu’il y a de sérieux motifs de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Iran. Le Comité relève en outre que, l’Iran n’étant pas partie à la Convention, dans l’éventualité d’une violation dans ce pays des droits qu’il tient de la Convention, le requérant serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour obtenir une forme quelconque de protection.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’expulsion du requérant vers l’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

9.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité prie instamment l’État partie de l’informer dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à la décision ci-dessus.