Nations Unies

CAT/C/53/D/470/2011

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

19 janvier 2015

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 470/2011

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-troisième session(3-28 novembre 2014)

Communication présentée par:

X. (représenté par un conseil,Monique Bremi)

Au nom de:

X.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

15 juillet 2011 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

24 novembre 2014

Objet:

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Risque de torture lors du retour dans le pays d’origine

Article de la Convention:

3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante-troisième session)

concernant la

Communication no 470/2011

Présentée par:

X. (représenté par un conseil,Monique Bremi)

Au nom de:

X.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

15 juillet 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 24 novembre 2014,

Ayant achevé l’examen de la requête no 470/2011 présentée au nom de X. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est X., de nationalité iranienne, né en 1986. Sa demande d’asile a été rejetée en Suisse et, lorsqu’il a présenté sa requête, il attendait d’être expulsé vers la République islamique d’Iran. Il affirme que son expulsion vers la République islamique d’Iran constituerait une violation par la Suisse del’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Monique Bremi, de l’association «Beratungstelle für Asyl-und Äuslanderrecht».

1.2Le 20 juillet 2011, le Comité, par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la République islamique d’Iran tant que sa requête serait à l’examen. Le 27 juillet 2011, l’État partie a informé le Comité que l’Office fédéral des migrations avait demandé aux autorités compétentes de surseoir jusqu’à nouvel ordre à l’exécution de la mesure d’expulsion visant le requérant.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant était étudiant en comptabilité à l’Université libre de Téhéran. Il a aidé à organiser des manifestations pour protester contre les plans du régime visant à fabriquer des armes nucléaires et attaquer Israël. Après l’une de ces manifestations, le Herrassat, ou Bureau de surveillance des universités, l’a averti «qu’il parlait trop». Il a été accusé d’être un «contre-révolutionnaire». En 2007, il a été expulsé de l’Université, au motif qu’il aurait échoué à deux examens. Il n’a pas reçu notification d’une décision officielle à cet effet. Il affirme qu’il avait toujours été un excellent étudiant et que les résultats des examens avaient été falsifiés aux fins de son expulsion de l’Université.

2.2Après la réélection du Président Ahmadinejad en juin 2009, le requérant a pris part à plusieurs manifestations contre ce dernier. Le 27 décembre 2009, il a participé à une marche de protestation à Téhéran. La police et la milice bassidj ont dispersé les manifestants. Vers 13 heures, le requérant a été arrêté par deux Bassidjis, qui l’ont menotté et emmené dans un camion avec d’autres manifestants. Son téléphone portable et ses effets personnels ont été confisqués. Le requérant et un autre manifestant ont réussi à s’échapper du camion quand la porte du véhicule a été ouverte. Grâce à ses compétences en karaté, le requérant et l’autre manifestant sont parvenus à neutraliser les deux miliciens et à disparaître dans la foule.

2.3À la suite de cet incident, le requérant s’est caché chez sa grand‑mère. Le même jour, des policiers ont perquisitionné au domicile de ses parents et ont saisi, dans la chambre qu’il partageait avec son frère, son ordinateur portable, son passeport et son permis de conduire, son attestation d’exemption du service militaire, ses certificats de nationalité ainsi qu’un certain nombre de publications interdites. Celles-ci appartenaient à son frère. Le 30 décembre 2009 et le 3 janvier 2010, la maison a été de nouveau fouillée par des policiers qui ont déclaré au père du requérant que ce dernier serait poursuivi pour «coups et blessures contre un policier dans l’exercice de ses fonctions, possession de publications interdites et incitation au trouble». Le père du requérant a également été informé que ce dernier serait condamné à la peine capitale et que la sentence pourrait être allégée moyennant le versement de 100 millions de tomans. Les parents du requérant ont été contraints de fournir les coordonnées de tous leurs proches.

2.4Le 3 janvier 2010, le requérant a quitté le domicile de sa grand-mère et s’est réfugié dans la province de Zandjan, où il est resté jusqu’au 20 mars 2010. Pendant ce temps, une citation à comparaître émanant de la chambre 7 du tribunal révolutionnaire a été envoyée au domicile de ses parents, à Téhéran, et un mandat d’arrêt a été émis. Du 20 mars au 10 août 2010, le requérant s’est caché à Babol, dans la province de Mazandaran. Le 12 août 2010, il a quitté la République islamique d’Iran illégalement par bateau.

2.5Le 20 août 2010, il est arrivé en Suisse et a demandé l’asile. Lors des entretiens au titre de la demande d’asile, qui ont eu lieu les 6 et 23 septembre 2010, le requérant a fourni aux autorités suisses sa carte d’identité, son certificat de karaté et la citation à comparaître du tribunal révolutionnaire.

2.6Le 27 octobre 2010, l’Office fédéral des migrations a rejeté la demande du requérant au motif qu’elle manquait de crédibilité et a ordonné le renvoi du requérant en République islamique d’Iran. Le 20 juin 2011, le Tribunal administratif fédéral («le tribunal administratif») a rejeté l’appel du requérant.

2.7Le tribunal administratif a estimé que le récit du requérant n’était pas réaliste, qu’il était insuffisamment détaillé et incohérent. Premièrement, les propos du requérant ne semblaient pas crédibles car il avait d’abord indiqué qu’il était resté dans le camion pendant dix minutes mais par la suite il avait déclaré que sa détention avait duré près de trente minutes. En outre, il avait soutenu avoir été frappé sur la tête à trois ou quatre reprises, toutes les dix à quinze minutes environ, pendant qu’il était dans le camion. Deuxièmement, le tribunal administratif a estimé invraisemblable qu’on lui ait enlevé les menottes une fois dans le camion et qu’il ait été capable de maîtriser deux policiers et de s’échapper. Troisièmement, il ne paraissait pas crédible que le matériel interdit appartenant à son frère ait été entreposé dans la chambre qu’ils partageaient et que son frère n’ait pas été inquiété à ce sujet. Quatrièmement, le requérant n’avait pas expliqué pourquoi il avait gardé tous ses documents d’identité, à l’exception de sa carte d’identité, dans un seul sac, ce qui pouvait être interprété comme une tentative de sa part pour cacher aux autorités son véritable itinéraire. Cinquièmement, il ne paraissait pas crédible que les policiers qui avaient fouillé le domicile de ses parents aient été en mesure d’influer sur sa sentence. Sixièmement, la citation à comparaître soumise aux autorités suisses n’avait pas valeur probante car elle aurait pu facilement être un faux acheté en République islamique d’Iran. Enfin, même si le requérant avait quitté la République islamique d’Iran illégalement, comme il le prétendait, il ne courait aucun risque d’être soumis à des mauvais traitements ou à des persécutions dans son pays d’origine.

2.8Se référant aux informations émanant des organisations internationales non gouvernementales, le requérant maintient que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est restée critique, particulièrement après les élections présidentielles de 2009. Au cours de la seule année 2011, 300 personnes ont été exécutées. Le Comité lui-même a déclaré que la situation des droits de l’homme était «extrêmement préoccupante». Le requérant affirme en outre avoir été exclu de l’Université en raison de ses activités politiques; toutefois, les autorités suisses n’ont pas vérifié la véracité de cette information. Il avait participé à différentes manifestations après les élections de juin 2009 mais n’avait été arrêté qu’en décembre 2009. Le récit qu’il avait fait aux autorités concernant la manifestation de décembre 2009 et son arrestation ultérieure, y compris les personnes impliquées, était précis, détaillé et dénué de contradictions. Le représentant d’une ONG, qui assistait à l’entretien au titre de la demande d’asile, a estimé que les déclarations du requérant étaient crédibles et a indiqué que celui-ci avait décrit l’apparence des policiers sans hésitation.

2.9S’agissant des points soulevés par le tribunal administratif, le requérant fait valoir qu’il avait perdu la notion exacte du temps quand il avait été emmené dans le camion, car son arrestation, son menottage et son passage à tabac par les policiers l’avaient complètement perturbé. Il soutient que les prétendues incohérences dans l’indication de la durée de sa détention n’entachent pas la crédibilité de son récit. Il explique qu’on lui avait ôté les menottes comme aux autres personnes interpellées qui avaient été contraintes de s’allonger sur le plancher du camion. En employant des techniques de karaté, il avait jeté à terre un policier qui, à cause de la violente douleur ressentie, ne l’avait pas poursuivi lorsqu’il s’était échappé du camion. D’autre part, les Iraniens ont accès à des publications interdites et les consultent fréquemment, comme l’ont confirmé des sources gouvernementales et non gouvernementales. Il n’était donc pas surprenant que des documents compromettants pour son frère aient été conservés au domicile de leurs parents. En outre, le requérant avait l’intention de détruire ces documents mais les autorités avaient fouillé la maison avant qu’il ait eu le temps de s’en débarrasser. Il indique que son père avait conservé sa carte d’identité afin de la présenter pour demander des produits subventionnés. Par ailleurs, on sait généralement en République islamique d’Iran que la possession de documents interdits est punissable de la peine de mort. Étant donné la corruption généralisée dans le pays, il n’y avait rien d’inhabituel à ce que les policiers qui avaient fouillé le domicile de ses parents aient cherché à soudoyer son père en évoquant le châtiment probable qui attendait le requérant. Étant donné que son père n’avait pas cédé au chantage, la déclaration du requérant à cet égard n’a pas d’incidence sur sa crédibilité. Il indique qu’hormis la citation à comparaître qu’il avait présentée aux autorités suisses, il ne disposait pas d’autres pièces prouvant qu’il était recherché par les autorités iraniennes car, normalement, les mandats d’arrêt ne sont pas remis aux suspects. Rien n’indique que la citation à comparaître ne soit pas un document authentique: selon Amnesty International, il est rarement fait usage de faux en République islamique d’Iran. Quant à l’adresse figurant sur la citation à comparaître, c’est celle qui est couramment utilisée car elle est la plus proche de son domicile exact. Le requérant explique aussi que le fait de quitter la République islamique d’Iran illégalement est punissable d’une peine d’emprisonnement de trois ans maximum ou d’une amende ce qui, venant s’ajouter aux poursuites engagées pour les chefs d’inculpation retenus contre lui avant son départ de la République islamique d’Iran, risque d’alourdir sa peine.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi en République islamique d’Iran constituerait une violation, par la Suisse, des obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Il indique qu’il a formulé à maintes reprises des critiques contre le régime iranien et qu’il a été arrêté le 27 décembre 2009 au cours d’une manifestation contre le Gouvernement alors en place. Il a été accusé d’avoir fomenté des troubles, de posséder des documents interdits, et de coups et blessures sur un policier. Pour ces chefs d’inculpation, il risque une longue peine d’emprisonnement voire la peine capitale en République islamique d’Iran. La torture est généralisée dans les prisons iraniennes; dans une étude, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a déclaré que tout portait à croire que les forces de sécurité iraniennes s’étaient livrées à des actes de torture motivés par des raisons politiques après les manifestations en 2009. En outre, étant donné que le requérant a quitté la République islamique d’Iran illégalement et que sa demande d’asile a été rejetée3, il sera particulièrement exposé aux persécutions à son retour.

3.2Compte tenu de ce qui précède, le requérant affirme que s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, il courrait un risque réel et imminent d’être soumis à un traitement contraire à la Convention.

3.3Dans les autres observations qu’il a soumises par la suite, le requérant a soutenu que son adhésion à l’athéisme et à l’agnosticisme constitue un risque supplémentaire pour lui s’il est expulsé vers la République islamique d’Iran, car l’abandon de l’islam est passible de la peine de mort dans ce pays.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 18 janvier 2012, l’État partie a soumis ses observations sur le fond. Il rappelle les faits et les procédures engagées par le requérant en Suisse pour obtenir l’asile. Il note que les autorités compétentes en matière d’asile ont dûment pris en considération les arguments du requérant. Il déclare que la présente communication ne contient aucun élément nouveau susceptible d’infirmer les décisions des autorités compétentes.

4.2L’État partie rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la Convention les États parties ne peuvent expulser, renvoyer ou extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle sera soumise à la torture. Pour déterminer l’existence de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris, le cas échéant, de l’existence dans l’État concerné d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Se référant à l’Observation générale no 1 du Comité (1997) relative à l’application de l’article 3 de la Convention contre la torture dans le contexte de l’article 22, l’État partie ajoute que le requérant doit prouver qu’il court le risque «personnellement et actuellement» d’être soumis à la torture s’il est renvoyé dans son pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. D’autres motifs doivent être invoqués pour que le risque de torture soit jugé «réel». Les éléments suivants doivent être pris en compte pour évaluer l’existence d’un tel risque: preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine; allégations de tortures ou de mauvais traitements subis par le requérant dans un passé récent et éléments de preuve de source indépendante à l’appui de ces allégations; activités politiques du requérant à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine; preuves de la crédibilité du requérant; incohérences dans la présentation des faits par le requérant.

4.3En ce qui concerne l’existence de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, l’État partie fait valoir que cet élément ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risquerait d’être victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit déterminer si l’intéressé courrait «personnellement» le risque d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que le risque de torture est «prévisible, réel et personnel» au sens du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.4L’État partie reconnaît que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est préoccupante mais il réaffirme que cela ne constitue pas en soi un motif suffisant de conclure que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était refoulé. Il soutient que le requérant n’a pas prouvé qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé.

4.5En ce qui concerne les allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et l’existence de preuves y relatives de source indépendante, l’État partie souligne que le requérant n’a pas prétendu avoir été soumis à la torture ou à des mauvais traitements dans le passé. Bien qu’il ait déclaré aux autorités compétentes en matière d’asile qu’il avait été frappé dans le camion après son arrestation le 27 décembre 2009, il n’a pas mentionné cet élément dans sa communication au Comité. De surcroît, les autorités compétentes en matière d’asile n’ont pas jugé son récit crédible.

4.6En ce qui concerne les activités politiques du requérant, l’État partie note que tant devant les autorités suisses compétentes en matière d’asile que devant le Comité, l’intéressé a soutenu qu’il avait été exclu de l’Université en raison de son activisme politique pendant ses années d’études, qu’il avait participé aux manifestations contre le Président après juin 2009 et qu’il avait été arrêté lors du rassemblement de protestation le 27 décembre 2009. Les autorités compétentes en matière d’asile ont dûment examiné ses allégations et ne les ont pas jugées crédibles, d’autant qu’elles doutaient qu’il ait quitté la République islamique d’Iran à cause de son implication dans les manifestations de décembre 2009. De plus, le requérant n’a pas expliqué en quoi ses activités politiques antérieures l’auraient exposé au risque d’être soumis à la torture à son retour en République islamique d’Iran. Il n’a pas non plus soutenu avoir été soumis à un tel traitement en République islamique d’Iran au motif de ses activités politiques.

4.7En ce qui concerne la crédibilité du requérant et la cohérence des faits rapportés, les autorités suisses compétentes en matière d’asile ont établi que le récit du requérant n’était pas plausible. En particulier, elles n’ont pas ajouté foi aux propos du requérant selon lesquels il aurait agressé les policiers parce qu’ils avaient harcelé les femmes et les enfants lors de la manifestation du 27 décembre 2009. Ses allégations concernant l’arrestation dans le camion paraissaient également peu crédibles. Lors du premier entretien avec les autorités compétentes, le 6 septembre 2010, il avait déclaré que les policiers avaient compté les personnes interpellées présentes dans le camion toutes les quinze minutes mais, par la suite, il avait indiqué que son arrestation n’avait duré que dix minutes. De surcroît, lors du deuxième entretien, il avait indiqué que les policiers avaient compté les personnes interpellées toutes les dix à quinze minutes, qu’ils lui avaient donné des coups de pied à trois ou quatre reprises et que son arrestation n’avait pas duré plus de trente minutes. Le requérant avait répondu aux questions concernant la durée de son arrestation sans hésitation, sans faire la moindre allusion à la possibilité qu’il ait été perturbé lorsqu’il avait signé la transcription du premier entretien.

4.8En outre, les autorités compétentes en matière d’asile ont estimé que les allégations du requérant concernant les coups de pied donnés par le policier aux personnes interpellées présentes dans le camion et la façon dont le requérant s’était échappé du véhicule étaient des allégations superficielles en l’espèce. De surcroît, il ne paraissait pas vraisemblable que l’on ait ôté les menottes aux personnes interpellées, dont le requérant, car cela aurait accru le risque qu’elles s’échappent. D’ailleurs, lors du premier entretien, le requérant n’avait pas mentionné qu’on lui avait enlevé les menottes. Le récit qu’il faisait de la façon dont il s’était échappé du camion ne paraissait pas crédible, particulièrement étant donné le risque qu’il aurait pris en se battant avec le policier dans le camion et au regard de son affirmation selon laquelle les autres personnes interpellées étaient restées dans le camion après que lui‑même et l’autre manifestant se soient enfuis. Il n’avait pas expliqué comment ils auraient pu échapper aux policiers qui patrouillaient à l’extérieur du camion.

4.9L’État partie fait valoir que les autorités compétentes en matière d’asile n’ont pas jugé crédible que les documents interdits appartenant au frère du requérant aient été entreposés dans la chambre qu’ils partageaient, alors que le requérant était censé mener des activités politiques et avoir mauvaise réputation auprès des autorités iraniennes. De même, il n’était pas plausible que le frère du requérant n’ait pas eu de problèmes avec les autorités et que le requérant ait ignoré où son frère s’était procuré les publications interdites. Le requérant n’a pas expliqué de façon plausible au Comité pourquoi il n’avait pas fait le nécessaire pour détruire le matériel interdit et récupérer ses documents de voyage avant que les policiers ne perquisitionnent au domicile de ses parents. Le comportement de ces policiers lors de la fouille ne semble pas vraisemblable, en particulier les menaces qu’ils auraient proférées contre le père du requérant, étant donné que le requérant n’a pas expliqué en quoi ils auraient été en mesure d’influer sur la procédure à son encontre. Le requérant n’a pas non plus expliqué de façon plausible pourquoi tous ses papiers avaient été gardés dans un seul sac, à l’exception de sa carte d’identité qui aurait été conservée par son père. Selon les autorités compétentes en matière d’asile, le requérant ne voulait pas leur dévoiler ses documents d’identité car ils auraient indiqué la date réelle de son départ de la République islamique d’Iran et l’itinéraire qu’il avait emprunté.

4.10Les autorités compétentes en matière d’asile ont conclu que les allégations du requérant n’étaient pas fondées. Il n’avait pas expliqué l’origine des publications interdites appartenant à son frère et n’avait pas fourni de description détaillée du manifestant avec lequel il s’était échappé du camion ni du policier qui lui avait donné des coups de pied dans le camion. En outre, il n’avait pas décrit de façon suffisamment détaillée les trois visites effectuées par la police au domicile de ses parents, en particulier le comportement de ces derniers durant les visites en question.

4.11Les autorités compétentes en matière d’asile ont considéré que la citation à comparaître émanant du tribunal révolutionnaire n’avait pas valeur probante étant donné qu’il était facile de falsifier de tels documents en République islamique d’Iran. Le requérant n’avait pas fourni d’autres documents judiciaires, pour lesquels il était peut-être plus difficile de faire des faux. L’adresse figurant sur la citation à comparaître était différente de celle qu’il avait indiquée lors des entretiens pour la demande d’asile. Le requérant n’avait spécifié ni la teneur de la citation ni à quel moment il l’avait reçue ou avait pris connaissance de sa teneur, bien qu’il ait déclaré avoir discuté de ces détails lors d’un entretien téléphonique avec son père. Étant donné que la citation à comparaître est généralement délivrée en milieu de procédure, le requérant n’avait pas expliqué ce qu’il était advenu des autres pièces qui auraient dû être délivrées à un stade antérieur de la procédure, telles qu’une convocation pour interrogatoire émanant de la police, d’un juge d’instruction ou du Ministère de l’intérieur. Pourtant, en République islamique d’Iran, la mise en accusation par le Ministère de l’intérieur, comme cela était supposément le cas pour le requérant, est précédée par une enquête. L’État partie fait valoir que les conclusions des autorités compétentes en matière d’asile ne peuvent être invalidées par les arguments du requérant selon lesquels il est rarement fait usage de faux en République islamique d’Iran, que les mandats d’arrêt ne sont normalement pas remis aux suspects et que l’adresse indiquée sur la citation est celle couramment utilisée car elle correspond au lieu le plus proche de son domicile exact.

4.12En outre, selon les autorités compétentes en matière d’asile, le requérant n’avait pas indiqué son itinéraire de voyage exact, ce qui était inhabituel de la part d’un étudiant. Son récit manquait de détails personnels, notamment concernant les charges retenues contre lui en République islamique d’Iran, qui auraient dû normalement l’inciter à prendre les mesures nécessaires pour sa sécurité personnelle. De plus, il n’avait jamais été allégué, au cours de la procédure d’asile, que le requérant aurait souffert de troubles post-traumatiques ou que de tels troubles auraient été la cause de divergences dans les déclarations qu’il avait faites aux autorités compétentes.

4.13Les autorités compétentes en matière d’asile ont déterminé que le requérant n’avait pas prouvé qu’il avait quitté la République islamique d’Iran illégalement. L’État partie fait valoir que le manque de crédibilité de ses allégations de persécution corrobore cette conclusion. En outre, même si le requérant avait prouvé qu’il avait quitté son pays d’origine illégalement et que sa demande d’asile avait été portée à l’attention des autorités iraniennes, cela n’aurait pas suffi, en soi, pour conclure qu’il risquerait d’être soumis à des mauvais traitements ou à la persécution dans son pays d’origine.

4.14L’État partie conclut que, à la lumière de ce qui précède, il n’y a pas de motifs sérieux de craindre que le requérant soit concrètement et personnellement exposé à la torture s’il est renvoyé en République islamique d’Iran. Ses allégations et les éléments de preuve fournis n’autorisent pas à conclure que son retour l’exposerait personnellement à un risque prévisible et réel de torture. En conséquence, l’État partie invite le Comité à conclure que le renvoi du requérant en République islamique d’Iran ne constituerait pas une violation des obligations internationales de la Suisse au titre de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partieet réponses supplémentaires

5.1Le 3 avril 2012, le requérant a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il réaffirme que son expulsion vers la République islamique d’Iran l’exposerait personnellement à un risque réel d’être arrêté et soumis à la torture, en particulier du fait qu’il a critiqué à maintes reprises le régime politique iranien, qu’il appartenait à un groupe d’étudiants engagés politiquement, qu’il a été exclu de l’Université, qu’il a été accusé d’avoir fomenté des troubles, qu’il a pris part aux manifestations contre le Gouvernement iranien, qu’il a été arrêté pendant la manifestation du 27 décembre 2009 et s’est échappé en blessant un policier, qu’il était en possession de documents interdits, qu’il a fait l’objet d’un mandat d’arrêt, qu’il a été cité à comparaître par le tribunal révolutionnaire et qu’il a déposé une demande d’asile en Suisse. Il souligne qu’il a fourni une description détaillée des événements aux autorités compétentes en matière d’asile. Ses déclarations sont hautement crédibles et plausibles, en particulier compte tenu de sa situation personnelle et de la situation générale en République islamique d’Iran, et ne sauraient être considérées superficielles, contrairement à ce qu’affirme l’État partie.

5.2Le requérant se réfère à des informations de source indépendante pour souligner la gravité des préoccupations concernant les droits de l’homme en République islamique d’Iran, à savoir notamment la persécution des opposants politiques et le nombre encore croissant des arrestations et des exécutions publiques ainsi que l’arrestation des demandeurs d’asile déboutés et les mauvais traitements à leur encontre. Les Iraniens qui ont quitté le pays illégalement sont systématiquement interrogés à leur retour et peuvent être détenus pendant une période allant jusqu’à sept jours et/ou traduits devant le Tribunal spécial à l’aéroport de Merhabad à Téhéran, qui peut les condamner à une peine de deux ans d’emprisonnement pour sortie illicite du territoire. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’expulsion vers la République islamique d’Iran, étant donné la situation des droits de l’homme dans le pays et le risque spécifique que courent les Iraniens quand ils rentrent dans leur pays sans pouvoir produire la preuve qu’ils l’ont quitté légalement, constituerait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. En conséquence, le requérant conteste le bien-fondé de l’argument de l’État partie selon lequel il ne courrait pas le risque, s’il était expulsé, d’être soumis à des persécutions ou des mauvais traitements au motif qu’il avait quitté le pays illégalement.

5.3Il conteste en outre l’argument de l’État partie selon lequel les informations qu’il a présentées sont dénuées de fondement. Il soutient qu’il avait agressé des policiers pendant les manifestations de décembre 2009 parce qu’en tant qu’étudiant politiquement engagé et très fort en karaté, il était prêt à prendre le risque de défendre des femmes et des enfants contre le harcèlement. Les arguments de l’État partie sont infondés car ils ne satisfont pas à l’obligation d’évaluer la crédibilité des éléments de preuve utilisés par le tribunal administratif. Selon la pratique du tribunal, les déclarations des demandeurs d’asile ne peuvent pas être contestées uniquement sur la base d’une présomption ou d’une contradiction alléguée, sans que celle-ci soit davantage étayée par les autorités compétentes en matière d’asile, dans le but de transférer aux demandeurs d’asile la responsabilité de fournir des preuves irréfutables. On ne saurait s’attendre à ce que la charge de la preuve incombe uniquement au demandeur d’asile.

5.4Le requérant conteste l’argument de l’État partie selon lequel la citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire n’est pas authentique, dans la mesure où cet argument contredit les conclusions du tribunal administratif dans un autre cas: «Bien que l’Office fédéral des migrations doute de l’authenticité de l’élément de preuve, il n’a fourni aucun élément à l’appui de cette conclusion. En outre, en vertu du principe de la libre appréciation des éléments de preuve applicable dans les procédures administratives, on ne peut considérer qu’une photocopie a été manipulée ou qu’elle est dénuée de valeur probante uniquement en raison de la forme sous laquelle elle se présente, dès lors que son authenticité a été démontrée par le demandeur.».

5.5Se référant à un rapport d’Amnesty International, le requérant réfute l’argumentation de l’État partie concernant le déroulement des procédures criminelles en République islamique d’Iran. Il affirme, notamment, qu’un grand nombre des personnes arrêtées, en particulier les dissidents politiques, le sont sans qu’un mandat d’arrêt ait été émis. Le manque de transparence quant à la question de savoir quels organismes sont habilités à procéder à des arrestations favorise les abus et l’impunité. La plupart des procès en République islamique d’Iran sont manifestement iniques, en particulier ceux qui se déroulent devant les tribunaux révolutionnaires. Les juges qui président ces tribunaux dans les affaires politiques sont en fait des mercenaires chargés de l’exécution des politiques sécuritaires du régime. Le requérant réaffirme qu’un mandat d’arrêt en République islamique d’Iran se présente comme une autorisation de procéder à l’arrestation ou à la perquisition et non comme un document adressé ou délivré à l’intéressé. La manière dont a été conduite la perquisition au domicile de ses parents prouve que les autorités avaient été bien informées à son sujet.

5.6Le requérant confirme qu’il n’a pas allégué de troubles post-traumatiques et a décliné les offres d’accompagnement psychologique pendant la procédure d’asile. Toutefois, les études psychologiques montrent que les divergences entre les récits d’un entretien à l’autre sont un phénomène courant chez les demandeurs d’asile, même en l’absence de troubles post-traumatiques. Ces divergences sont susceptibles d’apparaître quand les détails demandés lors des entretiens revêtent pour les intéressés une importance secondaire par rapport à leur vécu et quand la teneur des entretiens est traumatisante pour eux. Étant donné que de telles divergences apparaissent dans de nombreuses demandes d’asile, il y a un risque croissant de conclure que les demandeurs d’asile ont inventé de toutes pièces leurs déclarations, simplement parce que celles-ci divergent d’un entretien à l’autre, et donc de ne pas statuer correctement.

5.7Le requérant conclut qu’il n’existe aucune raison de mettre en doute le bien-fondé de ses déclarations et que sa relation des événements est précise et hautement crédible. En conséquence, compte tenu de sa situation personnelle et de la situation des droits de l’homme dans le pays, il a de bonnes raisons de craindre d’être soumis à la torture s’il est renvoyé de force en République islamique d’Iran.

5.8Le 24 octobre 2013, le requérant a soumis une déclaration, datée du 22 juillet 2013, du Procureur général de la République islamique d’Iran selon laquelle, à leur retour, les personnes qui avaient quitté le pays à la suite des événements de 2009 seraient détenues lors de l’entrée sur le territoire et poursuivies. Le requérant déclare aussi qu’il se réclame activement de l’athéisme et de l’agnosticisme et qu’il a traduit de l’anglais en persan trois vidéos sur l’athéisme. Ces vidéos ne sont pas disponibles en ligne. Il affirme que ses conceptions athées et agnostiques, outre les observations qu’il a formulées précédemment et les publications interdites trouvées au domicile de ses parents lors de la perquisition du 27 décembre 2009, sont autant d’éléments qui renforcent ses craintes, au demeurant fondées, de faire l’objet de poursuites s’il est expulsé vers la République islamique d’Iran. Il explique que l’apostasie ou le renoncement à sa foi − l’islam, dans son cas − est passible de la peine de mort en République islamique d’Iran.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie, en l’espèce, n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles ni la recevabilité de la requête.

6.3Le Comité considère que la requête soulève des questions substantielles au titre de l’article 3 de la Convention qui doivent être examinées quant au fond. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité la déclare recevable.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Concernant le grief tiré par le requérant de l’article 3 de la Convention, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être victime de torture en cas de retour en République islamique d’Iran. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Ils’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1, aux termes de laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable», le Comité fait observer que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court «personnellement un risque réel et prévisible». Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Pour évaluer le risque de torture en l’espèce, le Comité note l’affirmation du requérant selon laquelle il court personnellement un risque prévisible et réel d’être persécuté, torturé et finalement condamné à mort et exécuté s’il est renvoyé en République islamique d’Iran, compte tenu des activités politiques qu’il y avait menées antérieurement, de son départ illégal du pays, du rejet de sa demande d’asile, de ses conceptions athées et agnostiques ainsi que des activités qu’il mène à cet égard en Suisse. Le Comité note également les observations de l’État partie concernant le manque de crédibilité du requérant, en particulier les doutes que suscite l’allégation selon laquelle il aurait quitté la République islamique d’Iran en raison de sa participation aux manifestations de décembre 2009. Il note que les considérations de l’État partie sont fondées, notamment, sur les éléments suivants: le manque de vraisemblance des raisons pour lesquelles le requérant aurait agressé les policiers durant la manifestation du 27 décembre 2009, ainsi que de la description de son arrestation et de sa fuite; les incohérences concernant la durée de sa détention dans le camion de la police; les propos irréalistes qu’auraient tenus les policiers pendant la perquisition au domicile de ses parents concernant les poursuites à son encontre; l’inauthenticité présumée de la citation délivrée par le tribunal révolutionnaire et le fait que le requérant n’avait pas pu indiquer quel avait été son itinéraire exact ni prouver qu’il avait quitté la République islamique d’Iran illégalement. Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’avait pas été torturé en République islamique d’Iran, affirmation que l’intéressé n’a pas contestée.

7.5Se référant à sa jurisprudence récente, le Comité rappelle que des informations font régulièrement état du recours à la torture physique et psychologique pour obtenir des aveux en République islamique d’Iran, ce qui laisse penser que ces pratiques sont répandues et systématiques. Selon les informations dont dispose le Comité, rien n’indique que cette situation ait connu une amélioration notable à la suite du changement intervenu à la tête de l’État en 2013. À cet égard, le Comité prend en considération les informations qui continuent de faire état de cas d’opposants politiques détenus et torturés. Le Comité considère cela comme d’autant plus alarmant que la République islamique d’Iran prononce souvent la peine de mort, procédant notamment à des exécutions publiques d’opposants politiques, et applique ce châtiment sans garantie d’un procès équitable et pour des infractions qui ne figurent pas parmi les crimes «les plus graves» au regard des normes internationales. Le Comité note que l’État partie lui-même a reconnu que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est préoccupante.

7.6Dans le cas d’espèce, le Comité note que le requérant affirme qu’il a été exclu de l’Université en raison de ses opinions politiques; qu’il a été arrêté par la police iranienne, détenu et passé à tabac dans un camion lors de la manifestation du 27 décembre 2009 contre le régime en place; qu’à la suite de cet incident la police a perquisitionné à trois reprises au domicile de ses parents et saisi des publications interdites qui s’y trouvaient; qu’il a quitté la République islamique d’Iran illégalement par crainte des persécutions; que le tribunal révolutionnaire l’a cité à comparaître; qu’il a demandé l’asile en Suisse mais que sa demande a été rejetée et que, pendant son séjour en Suisse, il a adopté des vues athées et agnostiques et traduit en persan des publications reflétant ces idées. Le Comité note que, selon le requérant, ces éléments démontrent qu’il court personnellement un risque réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Le Comité note également que l’État partie met en doute la crédibilité du requérant, au motif que sa relation des faits contenait des incohérences et des imprécisions et qu’il n’avait pas pu prouver l’authenticité de la citation à comparaître, par exemple en produisant un mandat d’arrêt à son nom. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les incohérences et les imprécisions qui peuvent caractériser l’exposé des faits par le requérant ne concernent pas des points matériels et ne remettent pas en cause la véracité générale de ses allégations. Le Comité note en outre que d’après les éléments du dossier, il ne semble pas que les autorités compétentes de l’État partie aient effectué la moindre vérification de la citation. De plus, d’après les informations contenues dans le rapport pour 2014 du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, 69 % des Iraniens détenus interrogés ont indiqué qu’ils avaient été arrêtés sans mandat ou après avoir répondu à une citation orale des services de renseignement ou des tribunaux révolutionnaires.

7.7Le Comité note l’observation de l’État partie selon laquelle même si le requérant avait prouvé qu’il avait quitté la République islamique d’Iran illégalement et que sa demande d’asile avait été portée à l’attention des autorités iraniennes, cela ne suffirait pas à prouver qu’il courrait le risque d’être torturé ou persécuté s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Le Comité considère toutefois que les informations fournies par le requérant démontrent que les Iraniens qui ont quitté le pays illégalement et qui ont demandé l’asile à l’étranger sans succès courent le risque d’être soumis à des persécutions et des mauvais traitements. À cet égard, le Comité note que l’État partie n’a pas réfuté l’allégation du requérant selon laquelle le 22 juillet 2013, le Procureur général de la République islamique d’Iran a déclaré que les Iraniens qui avaient quitté le pays à la suite des manifestations de 2009 seraient arrêtés et poursuivis à leur retour. Le Comité prend également en considération les informations fournies par le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran concernant le manque de progrès accomplis par les autorités iraniennes pour mettre fin au harcèlement, à l’intimidation, à la persécution et à la détention arbitraire des opposants politiques, notamment les étudiants, en réaction aux manifestations massives qui avaient suivi les élections de 2009.

7.8Le Comité note également que l’État partie n’a pas répondu à l’argument du requérant selon lequel s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, il risquerait d’être condamné à mort pour avoir adopté des vues athées et agnostiques, une démarche qui pourrait être interprétée par les autorités iraniennes comme l’abandon de l’islam. Il observe également que dans leurs récents rapports sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, le Rapporteur spécial et le Secrétaire général indiquent que de simples militants de l’opposition, notamment les étudiants à l’Université, sont étroitement surveillés en République islamique d’Iran et que des opposants politiques, des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et des membres des minorités religieuses sont arrêtés, inculpés, jugés et condamnés pour des crimes contre la sécurité nationale ou des crimes à caractère politique. Il note que selon des informations officielles, les autorités iraniennes s’efforcent systématiquement d’identifier et de punir, y compris de la peine de mort, les citoyens iraniens qui insultent l’islam ou critiquent le Gouvernement iranien sur l’Internet. Il considère donc que le requérant, compte tenu de son expulsion de l’Université, de sa participation aux manifestations de 2009, de son départ illégal de République islamique d’Iran, du rejet de sa demande d’asile à l’étranger et de ses opinions religieuses, attirerait selon toute probabilité l’attention des autorités lors du retour dans son pays d’origine, ce qui accroîtrait considérablement le risque qu’il soit arrêté, torturé et condamné à mort s’il est renvoyé dans son pays.

7.9Le Comité considère par conséquent qu’il y a de sérieux motifs de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Il relève en outre que ce pays n’étant pas partie à la Convention, le requérant, s’il y était renvoyé, serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour demander une quelconque forme de protection.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l’expulsion du requérant en République islamique d’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité considère que l’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en République islamique d’Iran ou dans tout autre pays où il court un risque réel d’être expulsé ou renvoyé en République islamique d’Iran. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à cette décision.