Nations Unies

CAT/C/53/D/492/2012

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

19 janvier 2015

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 492/2012

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-troisième session3-28 novembre 2014

Communication présentée par:

Abed Azizi (représenté par un conseil, Urs Ebnöther)

Victime présumée:

Abed Azizi

État partie:

Suisse

Date de la requête:

22 février 2012 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

27 novembre 2014

Objet:

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Questions de procédure:

-

Questions de fond:

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante-troisième session)

concernant la

Communication no 492/2012

Présentée par:

Abed Azizi (représenté par un conseil, Urs Ebnöther)

Victime présumée:

Abed Azizi

État partie:

Suisse

Date de la requête:

22 février 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 27 novembre 2014,

Ayant achevé l’examen de la requête no 492/2012, présentée par Abed Azizi en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

1.1Le requérant est Abed Azizi, ressortissant de la République islamique d’Iran, né le 14 avril 1983. Il affirme que son expulsion vers ce pays constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture. Le requérant est représenté par un conseil, Urs Ebnöther.

1.2Le 27 février 2012, le Comité a prié l’État partie, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant vers la République islamique d’Iran tant que la requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, de nationalité iranienne, appartient à la communauté kurde et est originaire de la localité de Negel. Par l’intermédiaire d’un ami, le requérant est entré en contact avec le Parti démocratique kurde d’Iran (PDKI). Le 11 novembre 2001, il a quitté la République islamique d’Iran pour s’enfuir en Iraq. Ce même jour, les Pasdarans (Gardiens de la Révolution iraniens) ont fouillé sa maison et saisi des tracts politiques. Son père a été arrêté et condamné à deux ans d’emprisonnement. De plus, l’ami qui l’avait mis en contact avec le Parti démocratique kurde d’Iran a également été arrêté et condamné à mort. Plus tard, sa condamnation a été commuée en réclusion à perpétuité. Après la remise en liberté de son père, la famille du requérant a été convoquée plusieurs fois par les autorités, qui voulaient savoir où se trouvait M. Azizi.

2.2Entre 2001 et 2006, le requérant a participé activement aux activités du PDKI en Iraq. En raison de frictions au sein du parti, il craignait de se faire tuer et a donc décidé de quitter l’Iraq.

2.3Le 27 novembre 2008, le requérant est entré illégalement en Suisse et a demandé l’asile. Le 23 novembre 2009, l’Office fédéral des migrations a rejeté sa demande. Le 7 décembre 2009, le requérant a formé un recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral, qui l’a débouté, le 23 décembre 2011. Par une lettre datée du 5 janvier 2012, l’Office fédéral des migrations a ordonné au requérant de quitter le pays avant le 31 janvier 2012.

2.4Depuis son arrivée en Suisse, le requérant a pris part activement à l’action de la section suisse du PDKI. Il a participé à plusieurs manifestations et publié des articles sur l’Internet. Son nom apparaît sur quatre autorisations délivrées par la police municipale de Zurich pour des campagnes politiques du PDKI à Zurich, en tant que membre du comité d’organisation de ces manifestations. Il a également assuré la présidence du comité exécutif régional du PDKI pour les cantons suisses de Zurich, Saint-Gall, Schaffhouse et Thurgovie.

2.5En Suisse, le requérant a commencé à s’intéresser au christianisme. Il a eu des contacts étroits avec l’église protestante à Turbenthal. Il s’est converti au christianisme et a été baptisé le 31 janvier 2010.

2.6Le Tribunal administratif fédéral est l’autorité suisse de dernier ressort en matière d’asile. Par conséquent, le requérant affirme qu’il a épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi forcé en République islamique d’Iran constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention.

3.2L’auteur fait valoir qu’il court un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à la Convention s’il est expulsé en République islamique d’Iran, pour les raisons suivantes:

a)La situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran s’est aggravée depuis l’élection présidentielle de juin 2009. Le respect des droits fondamentaux de l’homme a continué de s’y dégrader et le Gouvernement ne tolère pas les manifestations ou rassemblements pacifiques, procédant de façon systématique à l’arrestation et la détention des participants, qui sont soumis à la torture;

b)Le requérant affirme qu’il est dans la même situation que les deux chefs de sections cantonales de l’Association démocratique pour les réfugiés (un groupe d’opposition politique qui n’opère qu’en Suisse) qui, aux yeux du Comité, risquaient d’être persécutés s’ils étaient renvoyés en République islamique d’Iran;

c)Le requérant a été un membre actif du PDKI en Suisse. D’après lui, des informations dignes de foi confirment que les autorités iraniennes observent de très près et enregistrent les activités politiques des membres de la diaspora iranienne et que les demandeurs d’asile et les réfugiés sont l’objet d’une surveillance étroite de la part des ambassades d’Iran et de leurs réseaux d’informateurs;

d)Le requérant s’est converti au christianisme. Il affirme que les personnes converties au christianisme sont considérées en République islamique d’Iran comme des citoyens de seconde zone, sont la cible de groupes musulmans radicaux et persécutés même par leur propre famille. Les demandeurs d’asile qui ont été déboutés sont interrogés très longuement quand ils rentrent en République islamique d’Iran et il est donc très probable que les autorités découvrent que le requérant s’est converti;

e)Étant donné qu’il a quitté la République islamique d’Iran clandestinement, le requérant estime probable que les autorités s’intéressent à lui et découvrent son passé, ce qui lui ferait courir un risque supplémentaire.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1.Dans une note datée du 15 août 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la plainte. Il indique que les autorités fédérales ont évalué minutieusement le risque de persécution encouru par le requérant en République islamique d’Iran et conclu que la communication ne contenait aucun élément nouveau qui n’ait pas déjà été évalué par l’Office fédéral des migrations et par le Tribunal administratif fédéral.

4.2L’État partie considère que même si la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est inquiétante à plusieurs égards, le pays ne connaît pas une violence généralisée. Le requérant mentionne un risque général mais il n’a pas démontré que lui-même court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture. L’État partie objecte également que les demandeurs d’asile déboutés ne subissent pas de persécutions quand ils retournent en Iran, même s’ils ont quitté le pays illégalement.

4.3L’État partie fait valoir que par le passé le requérant n’a pas été soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Il ajoute que le requérant n’a pas le profil d’un opposant politique important qui représente un danger pour le régime iranien en raison de ses activités politiques à l’étranger, et son récit concernant ses activités politiques en République islamique d’Iran manque de crédibilité et qu’il n’a pas prouvé que les autorités iraniennes ont engagé une quelconque action contre lui.

4.4L’État partie note que le requérant déclare participer activement aux activités politiques de la section du PDKI en Suisse et prend part à des manifestations contre le régime iranien et que des films et des photographies montrant sa participation à de telles activités sont sur l’Internet. Son nom apparaît sur les autorisations délivrées par la ville de Zurich pour l’organisation d’activités politiques et il est le Président du comité exécutif du PDKI pour les cantons de Lucerne, Schwyz et Zug.

4.5L’État partie reconnaît que les autorités iraniennes surveillent systématiquement les activités politiques de leurs citoyens à l’étranger. Toutefois, l’attention des autorités se porte principalement sur des personnes qui ont un profil particulier, dont les actes vont au‑delà de l’opposition collective et qui occupent des fonctions ou accomplissent des actions susceptibles de représenter une menace concrète pour le régime. L’État partie affirme que le requérant n’a pas ce profil là; les activités auxquelles il dit participer sont courantes pour de nombreux Iraniens exilés et ne sont pas de nature à rendre le requérant potentiellement dangereux pour le régime iranien, même si les autorités apprenaient son existence. Le simple fait d’appartenir à une organisation politique à l’étranger, de participer à des manifestations contre le régime, de porter des banderoles et de scander des slogans ne suffit pas pour être considéré comme un danger en cas de retour dans le pays.

4.6L’État partie affirme que même si les autorités iraniennes sont probablement au courant des activités politiques d’un grand nombre d’Iraniens à l’étranger, elles ne peuvent pas surveiller et identifier chacun d’eux. Elles savent également que de nombreux Iraniens qui vivent à l’étranger cherchent à se présenter comme des dissidents pour obtenir l’asile. L’engagement politique du requérant est caractéristique de l’opposition collective et il n’a pas le profil d’un opposant sérieux et dangereux pour le régime. L’État partie signale que depuis le 9 juillet 2009, le Tribunal administratif fédéral a une position plus stricte à l’égard des groupes iraniens en Suisse qui ont, semble-t-il, pour objectif de donner plus de visibilité à leurs membres afin d’influer sur la procédure d’asile.

4.7L’État partie réfute l’argument du requérant qui affirme qu’il a un profil particulier du fait de sa position au sein du PDKI. Il considère que les fonctions du requérant dans cette organisation sont administratives. Le requérant n’apparaît pas comme un opposant sérieux et dangereux pour le régime.

4.8L’État partie affirme que les autorités compétentes ont examiné toutes les déclarations du requérant concernant le risque de subir des persécutions en République islamique d’Iran et en particulier ses activités en Suisse. La communication adressée au Comité ne contient aucun élément nouveau et ne met en évidence aucun défaut dans la procédure d’asile de l’État partie. Celui-ci renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle «c’est aux tribunaux des États parties à la Convention qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce» et que le Comité ne devrait examiner les faits et les preuves que s’il peut être établi que «la manière dont les éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice». Dans la présente communication, les éléments présentés par le requérant ne montrent pas que la procédure ait été entachée de telles irrégularités.

4.9L’État partie note en outre que le requérant cite la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire R. C. c. Suède. Or, dans cette affaire le requérant avait prouvé qu’il avait été victime de mauvais traitements du fait de son engagement politique en République islamique d’Iran et la Cour avait donc estimé qu’il y aurait violation de l’interdiction de la torture s’il était renvoyé de force. Dans la présente affaire, le requérant n’a pas montré qu’il avait subi des mauvais traitements dans son pays et ses déclarations au sujet des activités politiques qu’il y aurait menées n’étaient pas crédibles.

4.10L’État partie maintient que sa conversion au christianisme à l’étranger ne fait pas courir au requérant le risque d’être persécuté en République islamique d’Iran à moins qu’elle n’ait donné lieu à une pratique active et ostentatoire. Le requérant n’a fait état d’aucune manifestation publique de sa foi chrétienne.

4.11L’État partie signale des incohérences factuelles dans les déclarations du requérant et souligne un manque de crédibilité. Pendant les interrogatoires devant l’Office fédéral des migrations, il s’est avéré qu’à peu près depuis décembre 2006 l’auteur vivait également en Allemagne où il avait demandé l’asile et qu’il avait ensuite été expulsé vers la Grèce où il avait vécu au moins un an et demi. Par conséquent, ce qu’il a raconté au sujet de son séjour en Iraq n’est pas crédible. De plus, les motifs pour lesquels il avait quitté la République islamique d’Iran ont été invoqués tardivement alors que la procédure d’asile était déjà bien avancée et ont donc été jugés douteux. Enfin, il avait fait des déclarations contradictoires au sujet de la perquisition que les autorités iraniennes auraient faites à son domicile en République islamique d’Iran.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 14 novembre 2012, le requérant conteste l’argument de l’État partie qui objecte qu’il n’a pas montré qu’il courait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à un traitement contraire à la Convention s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Il répète qu’il a participé à plusieurs manifestations contre le régime iranien, que son nom et des photographies apparaissent sur l’Internet dans le contexte de son activité au sein du PDKI, où il occupe des fonctions de responsabilité, et qu’il s’est converti au christianisme. Le fait qu’il ait quitté illégalement le territoire iranien, ses activités politiques et sa conversion au christianisme, sont des raisons suffisantes de croire qu’il risque d’être soumis à un traitement contraire à la Convention.

5.2Le requérant maintient qu’il n’y a pas que les grandes figures de l’opposition au régime qui risquent d’être jetées en prison, soumises à des mauvais traitements ou à des tortures. Il affirme également que, contrairement à ce que l’État partie fait valoir, ses activités au sein du PDKI ne sont pas seulement d’ordre administratif. Présider des sections cantonales du PDKI, organiser des manifestations et participer à des conférences sont des activités qui vont nettement au-delà d’un simple travail administratif. Son nom apparaît sur les autorisations délivrées pour des campagnes politiques et il était au comité d’organisation de ces manifestations dans lesquelles il a pris une part active.

5.3Le requérant affirme que les autorités iraniennes surveillent activement les sites Internet ainsi que les manifestations organisées à l’étranger. Il renvoie à un jugement de 2011 du Tribunal supérieur (Section de l’immigration et de l’asile) du Royaume-Uni, selon lequel les autorités iraniennes prennent systématiquement pour cible les individus qui participent à des manifestations politiques à l’étranger et ne font aucune distinction entre les véritables militants politiques et ceux que le Tribunal qualifie d’opportunistes.

5.4Le requérant réfute l’argument de l’État partie selon lequel son récit n’est pas crédible. Il a signalé ses activités politiques pour le PDKI dans sa première demande d’asile. Cette demande a été rejetée et il en a déposé une nouvelle ayant pour motif ses activités politiques en Suisse. En raison des règles de procédure strictes sur l’asile, il n’est pas possible d’évaluer dans la deuxième procédure d’asile les faits exposés dans la première demande. C’est pourquoi, effectivement, la deuxième demande d’asile ne contenait pas d’autres éléments concernant ses activités politiques en République islamique d’Iran. Le requérant s’en tient à ses déclarations précédentes concernant ses activités politiques en République islamique d’Iran et en Iraq, qui augmentent la probabilité pour lui d’être exposé à un risque réel et personnel de traitement contraire à la Convention.

5.5Le requérant conteste l’affirmation de l’État partie qui considère que le régime iranien ne s’occupe que des opposants qui ont un profil déterminé. Il affirme qu’il y a des preuves solides montrant que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran se dégrade et que même des protestataires discrets et opportunistes sont persécutés. Le requérant affirme en outre être un membre actif et en vue de la section suisse du PDKI. Il ajoute qu’une simple recherche sur Google et un renvoi à des sites Web et des photos affichées sur l’Internet peuvent produire rapidement une liste de militants politiques en Suisse. Il rejette l’argument de l’État partie selon lequel ses activités politiques visent principalement à obtenir le droit de rester en Suisse, cette affirmation étant sans fondement.

5.6Concernant sa conversion au christianisme, le requérant réaffirme que de nombreuses sources confirment le risque de persécution, et même de condamnation à mort, pour conversion ou prosélytisme. Les demandeurs d’asile déboutés sont longuement interrogés quand ils rentrent en République islamique d’Iran. Il est donc probable que les autorités découvrent qu’il s’est converti. De plus, il est inacceptable de demander au requérant de ne pas pratiquer sa religion ouvertement. Même s’il essayait de cacher qu’il s’est converti, à terme sa nouvelle foi serait inévitablement découverte.

5.7Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui objecte qu’il n’a pas signalé son séjour en Grèce et en Allemagne, le requérant précise que s’il ne l’a pas fait, c’est en raison des graves violations des droits de l’homme que les demandeurs d’asile subissent en Grèce. Dans une lettre adressée à l’Office fédéral des migrations, en date du 11 novembre 2009, il a expliqué en détail toutes ces circonstances.

Observations supplémentaires du requérant

6.Dans une nouvelle lettre, datée du 7 novembre 2013, le requérant apporte des preuves supplémentaires de son activité politique et religieuse en Suisse et maintient que ces éléments sont une autre confirmation qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est envoyé en République islamique d’Iran.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête et procède donc à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité a examiné la requête à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

8.2Le Comité doit déterminer si en renvoyant le requérant en République islamique d’Iran l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou renvoyer une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit examiner s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant court personnellement le risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en République islamique d’Iran. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence dans l’État où le requérant doit être renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Toutefois, le Comité rappelle qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d'être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

8.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 concernant l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Convention (Refoulement et communications), dans laquelle il a établi que le risque de torture devait être apprécié en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de démontrer que le risque encouru est hautement «probable», le Comité rappelle que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments plausibles pour montrer qu’il court un risque «prévisible, réel et personnel». Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie. Il n’est cependant pas lié par ces conclusions et a la faculté, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, d’apprécier librement les faits en tenant compte de toutes les circonstances de chaque cause.

8.5Se référant à sa jurisprudence récente, le Comité rappelle que certaines informations indiquent qu’il est fait massivement et systématiquement usage en République islamique d’Iran de tortures psychologiques et physiques pour arracher des aveux et que des cas de détention et de torture visant des opposants politiques continuent d’être signalés. Le Comité note également une tendance récente à l’augmentation des placements en détention et des condamnations de particuliers qui exercent leur droit à la liberté d’expression et d’opinion, leur droit de réunion pacifique et leur droit d’association. Le Comité estime que cette situation est d’autant plus alarmante que la peine de mort est fréquemment prononcée et appliquée en République islamique d’Iran sans que les garanties judiciaires soient respectées et pour des infractions qui ne peuvent pas être qualifiées, comme l’exigent les normes internationales, de «crimes les plus graves». L’État partie lui-même a reconnu l’existence de cette situation en République islamique d’Iran.

8.6Le Comité note que le requérant a été un membre actif de la section suisse du PDKI et a assuré la présidence du comité exécutif régional pour plusieurs cantons, qu’il a participé à diverses manifestations et publié des articles sur l’Internet. L’État partie n’a pas contesté ces informations. Le Comité note les observations de l’État partie qui affirme que les autorités iraniennes s’occupent surtout des personnalités en vue, qui pourraient représenter un danger concret pour le régime, que le requérant ne représente pas un tel danger, que les activités auxquelles il dit avoir participé sont des activités courantes pour de nombreux Iraniens en exil et qu’il n’y a pas lieu de considérer que le requérant pourrait être dangereux pour le régime iranien. Toutefois le Comité relève que d’après des sources d’information récentes, l’opposition de moindre importance est également surveillée de près en Iran. Le Comité note également des rapports fréquents faisant état de cas de persécutions de militants politiques appartenant à des minorités ethniques, et indiquant notamment que des Kurdes ont été exécutés récemment après avoir été condamnés à l’issue d’un procès inéquitable.

8.7Le Comité relève l’argument du requérant selon lequel sa conversion au christianisme l’exposerait à un danger de persécution et même au risque d’être condamné à mort pour conversion ou prosélytisme. Il note également l’argument de l’État partie qui objecte que la conversion au christianisme dans un pays étranger n’exposerait pas le requérant à un risque de persécution en République islamique d’Iran à moins qu’elle n’ait donné lieu à une pratique active et ostentatoire. Le Comité note que, d’après certaines informations récentes, les chrétiens, et en particulier les protestants et les musulmans convertis, subissent des persécutions dans le pays, des centaines de chrétiens ont été arrêtés et détenus ces dernières années et de nombreuses églises, notamment des lieux de culte protestants évangélistes, opèrent actuellement dans un climat de peur. D’après ces rapports: a) les personnes appartenant à des minorités religieuses, notamment les chrétiens, sont arrêtées et soumises à des tortures ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants et placées à l’isolement pendant de longues périodes afin de les faire avouer, souvent sans bénéficier de l’assistance d’un avocat; b) dans la plupart des cas les chrétiens sont jugés par des tribunaux révolutionnaires pour atteinte à la sécurité nationale mais certains sont poursuivis devant des juridictions pénales pour avoir exprimé leurs convictions religieuses, et des agents de l’État menacent régulièrement les personnes converties au christianisme de poursuites pour apostasie; c) souvent les poursuites et les procès ne sont pas conformes aux normes internationales, l’accès aux dossiers est limité et l’exercice du droit de présenter sa défense étant restreints; d) les autorités iraniennes au plus haut niveau ont décrété que les églises qui célèbrent l’office dans des maisons privées et les chrétiens évangéliques représentaient une menace pour la sécurité nationale. D’après des informations récentes, les chrétiens protestants sont de plus en plus l’objet de persécutions, et sont ainsi incarcérés pour avoir participé à des offices célébrés dans des maisons privées et de plus en plus souvent soumis à des pressions physiques et psychologiques intenses, notamment des menaces d’exécution, exercées sur des convertis chrétiens pendant leur détention.

8.8Compte tenu de toutes ces circonstances, en particulier de la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran, et de la situation personnelle du requérant qui poursuit activement des activités politiques contre le régime iranien à l’étranger, et eu égard à sa jurisprudence, le Comité est d’avis que le requérant peut très bien avoir attiré l’attention des autorités iraniennes. Il est également d’avis que la conversion du requérant au christianisme et son association avec des militants politiques kurdes aggravent le risque qu’il subisse des persécutions en cas de renvoi en République islamique d’Iran. À la lumière de ces considérations prises ensemble, le Comité considère que dans les circonstances particulières de la présente affaire il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en République islamique d’Iran. En outre, le Comité note que la République islamique d’Iran n’étant pas partie à la Convention, en cas de violation des droits du requérant dans ce pays, il n’aura pas la possibilité de demander la protection juridique du Comité.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’expulsion du requérant vers la République islamique d’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans les quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il a prises pour donner suite à la décision.