Nations Unies

CAT/C/53/D/473/2011

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 janvier 2015

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 473/2011

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-troisième session (3-28 novembre 2014)

Communication p résentée par:

Hussein Khademi et consorts (représentés par un conseil, Bernhard Jüsi)

Au nom de:

Hussein Khademi et consorts

État partie:

Suisse

Date de la requête:

3 août 2011 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

14 novembre 2014

Objet:

Expulsion des requérants vers la République islamique d’Iran

Questions de procédure:

Aucune

Questions de fond:

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante‑troisième session)

concernant la

Communication no 473/2011

Présentée par:

Hussein Khademi et consorts (représentés par un conseil, Bernhard Jüsi)

Au nom de:

Hussein Khademi et consorts

État partie:

Suisse

Date de la requête:

3 août 2011 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2014,

Ayant achevé l’examen de la requête no 473/2011, présentée par Bernhard Jüsi au nom de Hussein Khademi et consorts en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Les auteurs de la communication sont Hussein Khademi, né le 23 septembre 1956, sa femme Shahin Qadery, née le 8 juin 1969, et leurs enfants, Ramyar, Zanyar, Mazyar et Kamyar, nés respectivement en 1987, 1988, 1996 et 1997. Tous sont ressortissants de la République islamique d’Iran. Ils affirment que leur expulsion vers la République islamique d’Iran constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils sont représentés par un conseil, Bernhard Jüsi.

1.2Le 5 août 2011, en vertu de l’article 114 (ancien art. 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser les requérants vers la République islamique d’Iran tant que leur requête serait à l’examen. Le 23 août 2011, l’État partie a informé le Comité que l’Office fédéral des migrations avait demandé aux autorités compétentes de surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion visant les requérants jusqu’à nouvel ordre.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Hussein Khademi et sa famille sont d’origine ethnique kurde. M. Khademi est né à Divandareh, dans la province du Kurdistan, en République islamique d’Iran, et s’est installé à Marivan en 1969, où il a rejoint les peshmergas, une force armée du Parti démocratique du Kurdistan (iranien) (PDKI), à l’âge de 18 ou 20 ans. En tant que membre actif des peshmergas pendant trois ans, il a pris part à la fois à des opérations de combat et à des attaques contre des structures militaires. Il a également assisté et accompagné son père, chef de groupe au sein du PDKI. Après avoir quitté les peshmergas, il est allé travailler à Téhéran et à Bandar Abbas, avant de rentrer à Marivan en 1986. Il a épousé sa femme à Marivan, où travaillait comme boucher et possédait une petite échoppe.

2.2En 1991, M. Khademi a été convoqué par l’ETELAAT, la police des services de renseignement iraniens. À son arrivée au poste de l’ETELAAT, on lui a bandé les yeux et on l’a laissé durant trois jours dans une cour grillagée. Le quatrième jour, il a tenté de s’échapper mais a été rattrapé et battu par deux gardiens de prison. Il a eu plusieurs os de la main droite fracturés. L’ETELAAT l’a accusé d’espionner pour le compte du PDKI en exil, de mener des activités dissidentes et de menacer la sécurité nationale. Il a passé dix-huit mois à la prison de l’ETELAAT à Marivan, dont huit mois à l’isolement. Il a subi quasi quotidiennement des interrogatoires et des passages à tabac, a été flagellé et a reçu des décharges électriques. M. Khademi n’a appris où il se trouvait que huit mois après le début de sa détention.

2.3Au cours de l’été 1993, M. Khademi a été transféré à Sanandaj, a été officiellement poursuivi en justice et condamné à mort. Il a fait appel de sa condamnation avec succès, laquelle a été commuée en peine de quinze ans d’exil à la ville de Yazd. Pendant toute la durée de cette peine, il a dû se présenter à l’ETELAAT quotidiennement. Le père du requérant a lui aussi été arrêté, emprisonné pendant trois ans puis condamné à quinze années d’exil à la ville de Kashan.

2.4En mars 2001, M. Khademi est retourné à Marivan alors qu’il était en permission, pour rendre visite à sa mère et à ses sœurs à l’occasion du Novruz. Dans le centre-ville, des partisans de l’opposition manifestaient contre le régime. Le soir même, M. Khademi a reçu un appel téléphonique de son frère l’avertissant que l’ETELAAT était venue pour l’arrêter au motif qu’il avait été filmé se tenant à proximité des manifestants plus tôt dans la journée. Des membres de l’ETELAAT ont fouillé son domicile à Yazd à plusieurs reprises à la recherche d’éléments à charge; ils ont arrêté son fils aîné, Ramyar, qui a été détenu au poste de police de Yazd pendant deux jours avant d’être remis en liberté après paiement d’une somme d’argent par un ami de M. Khademi, du nom d’Ashkezari. M. Khademi a fui à Mehriz, où il est allé chez un ami et où sa famille l’a rejoint quelques jours plus tard. Ils se sont alors tous rendus à Saqiz. Le 2 avril 2001, M. Khademi et son fils aîné, Ramyar, ont franchi illégalement la frontière de l’Iraq, où le reste de la famille les a rejoints un mois plus tard. Ils ont fui ensemble à Erbil, dans la région du Kurdistan iraquien, où le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) leur a reconnu le statut de réfugiés et où le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) leur a délivré un permis de séjour. Cependant, craignant pour sa vie après avoir échappé à deux tentatives d’assassinat perpétrées à Erbil par la section de l’ETELAAT de Marivan, M. Khademi et sa famille ont quitté l’Iraq en 2003 pour se rendre en Grèce en passant par la Turquie. Quatre ans plus tard, après avoir été frappé d’un arrêté d’expulsion, la famille a quitté la Grèce pour se rendre en Suisse, où elle a présenté une demande d’asile les 27 août 2007 et 3 septembre 2007. Les requérants n’ont initialement pas indiqué qu’ils avaient séjourné en Grèce, par crainte d’être expulsés vers ce pays en vertu du Règlement de Dublin. En outre, le 22 septembre 2008, Radio Kurdistan a diffusé un avis de décès du père de M. Khademi, dans lequel il était question des activités que le requérant et son père avaient menées au sein des peshmergas.

2.5En Suisse, les Khademi ont poursuivi leurs activités politiques contre le régime de la République islamique d’Iran. Ils sont membres actifs de la section suisse du PDKI et ont organisé plusieurs manifestations. Ils participent aussi régulièrement à des manifestations dans toute la Suisse et en Europe.

2.6Le 17 novembre 2010, l’Office fédéral des migrations a rejeté les demandes d’asile de la famille Khademi et ordonné leur expulsion vers la République islamique d’Iran. Le 20 décembre 2010, les requérants ont fait appel de cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral, qui, le 30 juin 2011, a confirmé la décision de l’Office fédéral des migrations. Le Tribunal a estimé qu’il n’était pas vraisemblable que l’ETELAAT ait seulement arrêté M. Khademi cinq ans après son retour à Marivan, en particulier si l’on tient compte du fait que l’ETELAAT était supposément au courant des activités de M. Khademi au sein du PDKI. Le Tribunal a également jugé qu’il n’était pas vraisemblable que M Khademi ait été identifié en l’espace d’une journée à partir d’images d’une manifestation qui, selon les dires du requérant, était «immense». Des déclarations contradictoires quant à la façon dont il avait été identifié ont également conduit le Tribunal à conclure que les allégations de M. Khademi n’étaient pas crédibles. En ce qui concerne les déclarations de Shahin Qadery, la deuxième requérante, le Tribunal a estimé qu’il n’était pas plausible qu’elle et ses fils aient rejoint M. Khademi à Mehriz, quelques jours après que celui-ci a pris la fuite, car ils auraient mis sa vie en danger puisque leur maison à Yazd était sous la surveillance de l’ETELAAT et qu’ils auraient été suivis.

2.7Le Tribunal administratif fédéral a également estimé que les documents soumis par M. Khademi à l’appui de ses allégations ne pouvaient pas être considérés comme des éléments de preuve pertinents car 1) les copies des dossiers de justice pouvaient avoir été falsifiées et les originaux du verdict prononcé contre le requérant pouvaient avoir été achetés; 2) une lettre du PDKI et d’un chef tribal confirmant les activités politiques de M. Khademi, un témoignage et une lettre d’un avocat iranien expliquant l’impossibilité d’obtenir les dossiers originaux, avaient été rédigés pour rendre service au requérant et n’étaient donc pas dignes de foi; 3) les enregistrements audio de l’interview à la radio kurde pouvaient avoir été manipulés; 4) le certificat médical ne démontrait pas l’existence d’un lien évident entre les troubles post-traumatiques dont souffrait M. Khademi, ses cicatrices et sa fracture à la main, et les mauvais traitements dont il prétendait avoir fait l’objet en République islamique d’Iran. En outre, le Tribunal a tenu compte du fait qu’il n’existait aucune information rendant compte de la condamnation de M. Khademi à la peine capitale − les organisations kurdes publient habituellement de tels informations − qui lui permettrait de tirer une conclusion. Il a également considéré que les déclarations formulées par la famille Khademi au sujet d’événements survenus en Iraq étaient fausses car la famille se trouvait en Grèce entre 2003 et 2005 et que Ramyar Khademi, troisième requérant, n’avait pas, lors de son premier entretien de demande d’asile, mentionné qu’ils avaient été détenu pendant deux jours. Enfin, le Tribunal a considéré que les autorités iraniennes ne pouvaient pas avoir eu connaissance des activités politiques des requérants en Suisse car elles ne recensaient que les militants en exil qui jouaient un rôle de premier plan dans les mouvements dissidents.

2.8Les requérants maintiennent que les autorités suisses ont conclu à tort qu’ils ne courraient pas de risque de faire l’objet de persécutions s’ils étaient expulsés vers laRépublique islamique d’Iran. M.Khademi fait valoir que le Tribunal administratif fédéral a omis de demander à l’ambassade de Suisse à Téhéran d’enquêter plus avant sur l’authenticité des documents de justice qu’il avait présentés ou sur l’existence d’un mandat d’arrêt le concernant avant de conclure que ces documents ne constituaient pas des éléments de preuve pertinents. Il fait observer que cette omission a conduit le Tribunal à conclure également à tort que les lettres du PDKI, du chef tribal, d’un codétenu et d’un avocat iranien expliquant son incapacité à obtenir les originaux des documents de justice n’étaient pas dignes de foi. En outre, les requérants prétendent que les autorités suisses ont inversé la charge de la preuve pour la faire peser sur eux. En particulier, il a été considéré que le certificat médical ne suffisait pas à démontrer le lien entre les blessures de M. Khademi et les mauvais traitements subis, sans plus d’investigation de la part des autorités suisses. Les requérants soulignent aussi que les autorités suisses ont estimé qu’il n’y avait aucune trace de la condamnation de M. Khademi à la peine capitale, sans tenir compte du fait que le verdict avait été rendu vingt ans auparavant, à une époque où l’utilisation de l’Internet était limitée. Les requérants font valoir en outre que les autorités suisses n’ont pas pris en considération la question de leur départ illégal de République islamique d’Iran, que les autorités iraniennes ne manqueraient pas d’examiner à leur arrivée en République islamique d’Iran, s’ils y étaient renvoyés, et qui les exposerait à de nouveaux mauvais traitements. M.Khademi affirme également que les autorités suisses n’ont pas directement contesté son appartenance aux peshmergas du PDKI, laquelle l’expose au risque d’être emprisonné et le met en danger de mort en cas de renvoi. M.Khademi ajoute que des informations montrent que les autorités iraniennes cherchent activement à identifier les protestataires à l’étranger, même s’ils ne sont pas très en vue, et qu’en République islamique d’Iran elles arrêtent, torturent et exécutent des centaines de militants des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.Les requérants font valoir que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, les activités politiques menées par M. Khademi dans le pays, les activités politiques de la famille en Suisse et le fait que M. Khademi a déjà été soumis à la torture dans le passé concourent à entraîner pour la famille un risque réel et personnel d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants si elle était renvoyée en République islamique d’Iran. Les requérants affirment que leur retour forcé en République islamique d’Iran constituerait une violation par la Suisse des obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note en date du 3 février 2012, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il rappelle les faits de la cause et prend note de l’argument présenté par les requérants devant le Comité, selon lequel ils courraient le risque d’être torturés ou soumis à un traitement inhumain s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine.

4.2L’État partie met en relief que Ramyar Khademi, le troisième requérant a indiqué lors de son premier entretien de demande d’asile, le 10 septembre 2007, qu’il avait fui la République islamique d’Iran en raison des activités politiques de son père. Cependant, lors d’un deuxième entretien de demande d’asile avec les autorités suisses ainsi que devant le Comité, il a affirmé avoir été arrêté, détenu pendant deux jours et interrogé. L’État partie affirme à nouveau que, sur la base de sa déclaration initiale, les autorités suisses chargées des demandes d’asile ont conclu, le 17 novembre 2010, que Ramyar Khademi n’avait pas de raison vraisemblable de craindre d’être persécuté à son retour dans son pays d’origine. L’État partie fait valoir en outre que Shahin Qadery, la deuxième requérante, n’a pas donné de raison valable de demander l’asile. L’État partie argue également que les nouveaux éléments de preuve fournis par les requérants, à savoir les lettres du PDKI en date du 9 février 2010 et du 1er mai 2011, ne remettent pas en question les décisions des autorités de l’État partie chargées des demandes d’asile.

4.3L’État partie apporte aussi des précisions sur la procédure d’asile engagée par les requérants. Il note en particulier que le 17 novembre 2010, l’Office fédéral des migrations a rejeté les demandes d’asile présentées par les requérants le 27 août 2007, et le 3 septembre 2007 en ce qui concerne la demande soumise au nom de Ramyar Khademi, le troisième requérant, au motif que leurs allégations n’étaient pas crédibles et que rien dans leur dossier ne lui permettait de conclure qu’ils risquaient d’être torturés à leur retour en République islamique d’Iran. Le 7 mars 2011, le Tribunal administratif fédéral a regroupé les recours présentés par chacun des requérants contre les décisions de rejet de leur demande d’asile, et a constaté que la demande présentée par les requérants en vue d’obtenir une aide juridictionnelle gratuite était incomplète. Il a également indiqué avoir reçu un rapport de l’ambassade de Suisse à Téhéran signalant qu’il était possible de se procurer des dossiers de justice auprès des tribunaux révolutionnaires en République islamique d’Iran. Un délai de réponse a été accordé aux requérants pour commenter cette affirmation, mais ils ne l’ont pas fait. Le 30 juin 2011, le Tribunal a confirmé sa décision d’expulser les requérants. L’État partie ajoute que tous les arguments présentés par les requérants ont fait l’objet d’un examen complet dans le strict respect des procédures de l’Office fédéral des migrations.

4.4L’État partie rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Concernant l’Observation générale no 1 du Comité (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, l’État partie ajoute que l’auteur devrait établir l’existence d’un risque «personnel, réel et actuel» d’être soumis à la torture en cas de retour dans le pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il doit y avoir d’autres motifs pour qualifier le risque de torture de «réel» (par. 6 et 7). Les éléments suivants doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un tel risque: preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine; allégations de torture ou de mauvais traitements subis par l’auteur dans un passé récent et preuves indépendantes à l’appui de celles-ci; activités politiques de l’auteur à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine; preuves de la crédibilité de l’auteur; incohérences factuelles dans les affirmations de l’auteur (par. 8).

4.5Pour ce qui est de l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, l’État partie fait valoir que cela ne constitue pas en soi un motif suffisant de penser qu’un individu serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit établir si le requérant risque «personnellement» d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. D’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, au sens du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, de «prévisible, réel et personnel». Le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.6À la lumière de ce qui précède, l’État partie estime que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est préoccupante à plusieurs égards. Il rappelle cependant que le Tribunal administratif fédéral a conclu qu’il n’y avait pas actuellement dans le pays un climat de violence généralisée. L’État partie affirme à nouveau que la situation qui règne dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que les requérants risquent d’y être victimes de torture en cas de renvoi. Il fait valoir que les requérants n’ont pas démontré qu’ils seraient exposés à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en République islamique d’Iran. En outre, l’État partie fait observer que les rapports du Comité lui-même ainsi que ceux de la Fédération internationale des droits de l’homme, d’Amnesty International et de Human Rights Watch sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, sur lesquels les requérants se sont appuyés pour étayer leurs allégations et que le Tribunal administratif fédéral a examinés, ne permettent pas d’établir qu’ils courraient un risque personnel d’être soumis à la torture à leur retour.

4.7Pour ce qui est des allégations de torture ou de mauvais traitements subis M. Khademi dans un passé récent et de l’existence de preuves indépendantes à ce sujet, l’État partie souligne que les États parties à la Convention ont l’obligation de tenir compte de telles allégations pour évaluer le risque que le requérant concerné soit soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine. L’État partie rappelle que le Tribunal administratif fédéral n’a pas estimé que le certificat médical que lui avait présenté M. Khademi lui permettait d’établir un lien de causalité entre les blessures qu’il avait subies et les mauvais traitements dont il prétendait avoir fait l’objet alors qu’il était en détention à Marivan entre 1991 et 1993. En outre, les autorités suisses ont estimé qu’une lettre, datée du 24 mai 2011, présentée par le requérant comme preuve et qui aurait été rédigée par un réfugié en Suède, codétenu de M. Khademi, n’était pas digne de foi car la lettre semblait avoir été rédigée sous l’influence du requérant lui-même. Les événements décrits dans la lettre, en particulier une rencontre entre M. Khademi et un juge, ne correspondaient pas au récit que le requérant lui-même en avait fait lors de ses entretiens de demande d’asile. Enfin, l’État partie souligne que l’argument avancé par le requérant selon lequel les autorités suisses avaient renversé la charge de la preuve contre lui n’est pas fondé car la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme mise en avant par le requérant ne s’applique pas dans ce contexte et les autorités suisses ont, conformément à leur obligation, soigneusement examiné le certificat médical daté du 4 septembre 2010. Les autorités suisses ont donc conclu que l’on ne pouvait pas établir de lien de causalité entre les blessures du requérant et les mauvais traitements qu’il aurait subis en République islamique d’Iran. Par conséquent, l’État partie fait valoir que le traitement dont ont fait l’objet les requérants, selon les déclarations qu’ils ont faites aux autorités suisses et au Comité, ne constituerait pas une violation de la Convention.

4.8En ce qui concerne les activités politiques de M. Khademi, l’État partie note que ce dernier a affirmé aux autorités de l’État partie ainsi qu’au Comité qu’il avait été un membre actif des peshmergas du PDKI dans les années 1980; que les militants du PDKI étaient soumis à une répression brutale en République islamique d’Iran; qu’il avait été arrêté en raison de ses activités politiques; qu’il risquait une nouvelle détention s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Ces allégations ont été dûment examinées par les autorités suisses chargées des demandes d’asile, qui ont établi qu’elles n’étaient pas crédibles. De même, les allégations de M. Khademi selon lesquelles il aurait été recherché par l’ETELAAT en République islamique d’Iran et en Iraq n’ont pas été jugées dignes de foi. En outre, l’État partie constate que M. Khademi n’a pas démontré de façon crédible en quoi son départ clandestin de République islamique d’Iran le mettrait en danger en cas de retour. Il a également été souligné que M. Khademi n’avait pas mené d’activités politiques dans son pays d’origine depuis 1980 et n’avait pas fourni d’éléments de preuve crédibles de l’existence de ses activités politiques ou de la façon dont les autorités iraniennes en auraient eu connaissance.

4.9En ce qui concerne les activités politiques menées par les requérants en Suisse, l’État partie note que M. Khademi, Shahin Qadery et Ramyar Khademi, les premier, deuxième et troisième requérants, ont indiqué au Comité qu’ils étaient membres actifs du PDKI en Suisse et qu’ils participaient régulièrement à des manifestations, et que les autorités iraniennes cherchaient activement à identifier les opposants au régime à l’étranger, y compris ceux dont les activités étaient peu visibles et ceux qui participaient à des manifestations de manière occasionnelle. Pour étayer cette dernière affirmation, les requérants s’appuyaient sur un jugement rendu dans une affaire en Grande-Bretagne. L’État partie souligne que les requérants n’ont déclaré mener des activités politiques en Suisse qu’après le rejet de leur demande d’asile par les autorités suisses le 17 novembre 2010. En outre, l’État partie indique que le 30 juin 2011, le Tribunal administratif fédéral, en s’appuyant sur sa jurisprudence et sur les nouvelles informations fournies par les requérants, a examiné de manière approfondie la question de savoir si les requérants pouvaient être renvoyés dans leur pays d’origine. Il a constaté que depuis la révision du Code pénal iranien en 1996, les activités politiques menées à l’étranger par une organisation d’opposition au régime étaient passibles de sanctions et que, d’après des informations dont il y a lieu de tenir compte, des personnes avaient été arrêtées, accusées et condamnées pour avoir critiqué la République islamique d’Iran sur l’Internet. Il a aussi été établi que les autorités iraniennes surveillaient les activités politiques des dissidents à l’étranger et consignaient systématiquement leurs noms. Cependant, seuls les dissidents répondant à un profil particulier étaient visés, à savoir ceux qui, en exil, jouaient un rôle de premier plan, représentaient une menace sérieuse et concrète pour le Gouvernement et étaient en mesure d’influer de manière décisive sur la diaspora en Suisse ou sur le peuple iranien, dans le but de renverser le régime iranien. L’État partie fait valoir que les requérants ne correspondent pas à ce profil car leurs activités, qui consistent à obtenir des autorisations pour installer des stands et à les tenir, à participer à des manifestations et à écrire des articles en ligne accompagnés de photos, sont comparables aux activités politiques de nombreux dissidents iraniens en exil et n’attirent pas l’attention des autorités iraniennes. En outre, la décision du tribunal britannique sur laquelle s’appuyaient les requérants, dans laquelle celui-ci estimait que le régime iranien s’intéressait aussi aux dissidents à l’étranger n’ayant pas une grande notoriété, ne pouvait pas être interprétée comme signifiant que tous les dissidents ne jouissant pas d’une grande notoriété risquaient de subir des mauvais traitements s’ils étaient renvoyés en République islamique d’Iran, car cela ne reflétait pas la réalité. De plus, l’État partie souligne que, les autorités suisses chargées des demandes d’asile n’ayant pas prêté foi aux affirmations de M. Khademi concernant ses activités politiques en République islamique d’Iran, les mêmes questions se posent concernant la crédibilité de son affirmation selon laquelle il avait été identifié comme militant en Iraq.

4.10En ce qui concerne la crédibilité et la cohérence des faits que les requérants présentent dans leurs affirmations, l’État partie rappelle que les autorités suisses chargées des demandes d’asile ont jugé qu’il n’était pas vraisemblable que les autorités iraniennes aient arrêté M. Khademi pour son appartenance au PDKI cinq ans après qu’il aurait mis fin à ces activités politiques. Les autorités nationales ont également estimé que l’explication donnée par M. Khademi concernant son identification par l’ETELAAT lors de son premier entretien de demande d’asile était vague et illogique, car il devait avoir estimé pouvoir rentrer à Marivan en toute sécurité. De surcroît, après le rejet de sa demande d’asile le 17 novembre 2010, M. Khademi a indiqué, durant la seconde procédure d’asile, qu’il avait été dénoncé à l’ETELAAT par un homme masqué qui avait été appelé à témoigner lors de la détention du requérant et l’avait dénoncé aux autorités. Compte tenu de l’importance potentielle d’une telle révélation, les autorités nationales ont estimé que cette nouvelle information avait été inventée par le requérant et ont conclu qu’il n’existait pas de motifs sérieux de croire que les requérants seraient soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en République islamique d’Iran.

4.11En ce qui concerne l’affirmation de M. Khademi selon laquelle il est retourné à Marivan en 2001 pour rendre visite à sa famille et qu’il s’est retrouvé par hasard au milieu d’une «immense» manifestation dans le centre-ville, a été identifié dans la même journée sur des images filmées par les forces de sécurité iraniennes, qui l’ont ensuite recherché, l’État partie note que les autorités chargées des demandes d’asile ont jugé que ce récit n’était pas plausible compte tenu de la rapidité avec laquelle ces événements se seraient enchaînés et de l’ampleur de la manifestation, qualifiée «d’immense» par le requérant. En outre, lors de la première procédure d’asile, M. Khademi a fait des déclarations qui ont amené les autorités chargées des demandes d’asile à douter de la véracité de ses affirmations concernant ces incidents. Par exemple, M. Khademi a dit avoir rendu visite à sa famille à Marivan à chaque fête du Novruz, même pendant sa détention, ayant bénéficié d’une permission de sept jours, ainsi que pendant son exil à Yazd. Aussi, les autorités suisses chargées des demandes d’asile ont jugé surprenant que l’ETELAAT ne l’ait soupçonné qu’à cette fête de Novruz-là de se rendre à Marivan dans le but de participer à une manifestation. En outre, M. Khademi a fait des déclarations contradictoires concernant le point de savoir s’il savait ou non que l’ETELAAT était présente à la manifestation. Lors de l’entretien initial, il a affirmé ne pas avoir su que des agents de l’ETELAAT prenaient des photos, tandis que lors d’un autre entretien, il a déclaré avoir su que les autorités avaient installé des caméras secrètes et filmaient les manifestants et qu’il avait été identifié sur ces enregistrements.

4.12L’État partie fait valoir que les autorités chargées des demandes d’asile ont jugé que les déclarations de Shahin Qadery, la deuxième requérante, étaient totalement illogiques. Elles ont estimé qu’il n’était pas vraisemblable qu’elle ait pu à la fois informer son mari qu’il était recherché à Yazd et expliquer aux autorités iraniennes, à la résidence familiale de Yazd, qu’il ne rentrerait pas tant qu’elles étaient là; que les autorités soient reparties sans poser plus de questions; qu’elle-même et ses enfants soient partis pour Mehriz afin de rejoindre son mari, sans être suivis. En outre, l’État partie fait observer que les requérants ont omis de déclarer qu’ils avaient résidé en Grèce pendant quatre ans avant d’arriver en Suisse. Ce n’est qu’à l’occasion d’une procédure pénale engagée contre Mazyar Khademi, le cinquième requérant, que ce fait a été révélé. Il s’ensuit que les affirmations de Shahin Qadery selon lesquelles l’ETELAAT avait recherché son mari en Iraq juste avant le départ de la famille ne sont pas conformes à la réalité.

4.13L’État partie soutient également que, comme l’ont estimé les autorités chargées des demandes d’asile, les documents fournis par les requérants pour étayer leurs allégations ne sont pas dignes de foi. Les autorités suisses chargées des demandes d’asile ont indiqué que les demandes de grâce soumises par M. Khademi n’avaient aucune valeur probante car il les avait rédigées lui-même. La lettre émanant du chef tribal à Marivan confirmant les problèmes qu’aurait rencontrés M. Khademi ainsi que la lettre confirmant ses activités au sein du PDKI ne pouvaient pas non plus être considérées comme des preuves puisqu’elles avaient été rédigées dans le but même d’appuyer ses dires. Une copie de la demande de permission de cinq jours faite par le requérant alors qu’il était en détention à Marivan ainsi que le récépissé postal n’étaient pas non plus recevables en tant que preuves. Pour ce qui est des copies des documents de justice de Yazd, soumis par M. Khademi aux autorités suisses chargées des demandes d’asile, il a été estimé qu’elles pouvaient avoir été falsifiées et n’étaient donc pas recevables comme preuves. En outre, lorsque les autorités suisses chargées des demandes d’asile ont demandé à M. Khademi de présenter les documents originaux relatifs à la procédure judiciaire engagée contre lui, il a fourni une lettre émanant d’un avocat iranien confirmant que ces originaux étaient impossibles à obtenir. Les autorités suisses chargées des demandes d’asile ont estimé que cette lettre ne constituait pas un élément de preuve crédible car elle avait elle aussi été rédigée dans le but d’appuyer les dires de M. Khademi. De surcroît, les autorités suisses ont établi que l’avocat qui avait rédigé la lettre n’avait pas pris part à la défense de M. Khademi devant le tribunal révolutionnaire. Elles ont également établi, en se fondant sur des informations émanant de l’ambassade de Suisse à Téhéran, que la règle voulait qu’une personne condamnée reçoive une copie du jugement pertinent ou qu’au moins, elle-même ou un conseil mandaté par elle puisse en obtenir des copies ultérieurement. M. Khademi n’a pas été capable d’opposer des arguments convaincants à ces affirmations ni d’expliquer pourquoi il n’avait pas fait appel à un avocat qui avait assuré sa défense devant le tribunal révolutionnaire pour obtenir les documents de justice demandés.

4.14Concernant les autres allégations des requérants, l’État partie met en relief, premièrement, que les autorités suisses n’ont pas pu trouver d’élément attestant de l’existence d’une condamnation à mort prononcée contre M. Khademi qui aurait ultérieurement été commuée en une peine moins sévère. Les médias kurdes sont connus pour diffuser activement l’information sur les condamnations à mort prononcées contre des kurdes, et le cas de M. Khademi aurait donc retenu l’attention de la population. Deuxièmement, que les autorités suisses ont considéré que M. Khademi et Shahin Qadery, les premiers et deuxièmes requérants, n’auraient pas eu besoin de formuler les allégations mensongères selon lesquelles M. Khademi avait été attaqué au couteau en Iraq en 2005 et il avait été recherché par l’ETELAAT peu avant de quitter l’Iraq. Ces allégations ne sont pas conformes à la réalité puisque la famille était déjà en Grèce à cette époque. Troisièmement, que les autorités suisses ont fait valoir que les enregistrements audio de l’annonce de la mort du père de M. Khademi sur la chaîne de radio Voice of Kurdistan peuvent avoir été manipulés. Quatrièmement, que les récits de Ramyar Khademi, le troisième requérant, étaient contradictoires, puisque lors de son premier entretien de demande d’asile il n’avait pas dit avoir été détenu pendant de deux jours et n’avait formulé cette allégation que lors d’un second entretien. Cinquièmement, les autorités chargées des demandes d’asile ont fait valoir que l’allégation de Ramyar Khademi selon laquelle lors du premier entretien d’asile, il avait été interrompu avant de pouvoir entrer dans les détails, était démentie par le compte rendu de l’entretien, qui montrait qu’il avait pu s’exprimer librement.

4.15Concernant la plainte elle-même présentée au Comité, l’État partie fait valoir que les requérants n’y ont présenté que partiellement les arguments des autorités suisses compétentes et qu’ils n’ont pas suffisamment examiné les arguments présentés ni apporté de contre-arguments. Les requérants se sont plutôt contentés d’affirmer la véracité des allégations que les autorités suisses compétentes avaient jugées non crédibles. L’État partie fait également observer que les requérants n’ont pas dûment démontré dans leur plainte que les conclusions des autorités suisses concernant le manque de pertinence des preuves présentées pour attester de l’authenticité de leurs allégations étaient infondées. Il note en outre que les requérants n’ont pas donné de raison vraisemblable pour expliquer pourquoi ils ne pouvaient pas fournir d’éléments de preuve pertinents à l’appui de l’allégation selon laquelle M. Khademi avait été condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire. L’argument des requérants selon lequel il est impossible de consulter le verdict en ligne parce qu’il date des années 1990 et qu’à l’époque l’Internet ou d’autres moyens de communication modernes étaient peu utilisés n’est pas crédible, et l’affirmation selon laquelle ils n’ont pas pu obtenir de copies du jugement ne l’est pas davantage. L’État partie souligne en outre que les autorités suisses n’ont pas considéré comme des preuves convaincantes les documents présentés par les requérants au sujet de la campagne Facebook ou de la lettre d’un témoin suédois relative à cette campagne. Enfin, les autorités suisses n’ont pas jugé nécessaire d’examiner la question des poursuites prétendument engagées contre M. Khademi du fait des activités de son père car elles n’avaient été saisies d’aucune preuve documentaire pertinente et aucune explication n’avait été donnée pour justifier l’absence de tels éléments de preuve.

4.16L’État partie fait valoir que compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas de motif sérieux de craindre que les requérants soient concrètement et personnellement exposés au risque d’être torturés en cas de renvoi en République islamique d’Iran. Leurs allégations et les éléments de preuve produits ne permettent pas de conclure que leur retour les exposerait à un risque prévisible, réel et personnel de torture. L’État partie invite donc le Comité à considérer que le retour des requérants en République islamique d’Iran ne constituerait pas une violation des obligations internationales qui incombent à la Suisse en vertu de l’article 3 de la Convention.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note en date du 23 avril 2012, les requérants ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soutiennent que, comme l’État partie l’a lui-même indiqué, la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est préoccupante à plusieurs égards. Les requérants affirment qu’il existe clairement un risque réel et imminent qu’ils soient soumis à la torture ou à un autre traitement inhumain ou dégradant en cas de renvoi. Ils estiment par ailleurs infondée la conclusion de l’État partie selon laquelle il n’existe pas de lien de causalité entre les mauvais traitements subis par M. Khademi durant sa détention et les troubles post-traumatiques et les fractures qu’il présente; les autorités suisses n’ont pas fait procéder à un examen rigoureux de l’état de santé de M. Khademi. Si un tel examen avait été effectué, il aurait conclu à l’existence d’une forte probabilité que la torture ou des mauvais traitements soient à l’origine des fractures et du stress post-traumatique de M. Khademi car il n’existe aucune autre cause plausible susceptible de les expliquer.

5.2Les requérants contestent l’argument de l’État partie selon lequel M. Khademi n’avait pas d’activités politiques dans son pays d’origine. Ils réaffirment qu’il a rejoint les peshmergas du PDKI à l’âge de 18 ou 20 ans. En tant que Kurde ayant eu des activités politiques par le passé, il était soupçonné d’espionner pour le compte du PDKI et a été vu participant à une grande manifestation à l’occasion de Novruz en mars 2001. Indépendamment du degré de notoriété de ses activités politiques, l’ETELAAT le considérait comme un individu politiquement dangereux qui menaçait la sécurité nationale et l’a donc emprisonné, torturé, poursuivi en justice et puni en raison de cette conviction. En ce qui concerne les activités politiques des requérants en Suisse, ceux-ci contestent l’argument avancé par l’État partie selon lequel ces activités étaient trop peu visibles pour attirer l’attention des autorités iraniennes. Ils affirment que M. Khademi a été persécuté en République islamique d’Iran pour ses activités politiques et qu’il était un membre actif du PDKI, ce qui faisait automatiquement de lui une personnalité en exil en vue. M. Khademi, Shahin Qadery et Ramyar Khademi, les premier, deuxième et troisième requérants, sont aussi des membres très actifs de la section du PDKI en Suisse; le nom de Ramyar Khademi apparaît dans de nombreux documents officiels et tous trois ont leur photo sur Internet. Les requérants font valoir que même si leurs activités étaient considérées comme étant peu visibles, ils courraient le risque d’être soumis à des mauvais traitements s’ils étaient renvoyés en République islamique d’Iran.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie relatif au manque de crédibilité des récits faits par les requérants, ceux-ci font valoir que l’État partie est parvenu à cette conclusion sans relever de contradictions importantes dans leurs récits et en rejetant tous les éléments de preuve fournis pour étayer leurs affirmations. Les requérants déclarent être en mesure de présenter d’autres lettres de témoignage émanant de personnes exilées qui ont été jugées dignes de foi par les services officiels d’asile d’autres pays d’Europe. Ces lettres confirment que M. Khademi a été un membre actif du PDKI de 1979 à 1983 et qu’il a été emprisonné dans la province du Kurdistan entre 1991 et 1993, avant d’être exilé. Les requérants déclarent qu’ils ne sont pas en mesure de maintenir le contact avec quiconque en République islamique d’Iran en vue d’obtenir d’autres preuves que M. Khademi avait été emprisonné. En outre, ils soutiennent que les contradictions mineures que mentionne l’État partie ont déjà été expliquées en détail au cours de la procédure nationale ainsi que dans la plainte elle-même présentée au Comité.

5.4Les requérants considèrent que, compte tenu de leurs activités politiques passées et actuelles, de la condamnation dont M. Khademi a fait l’objet en République islamique d’Iran, de leur départ clandestin de ce pays et de leur demande d’asile en Suisse, il existe un risque réel et imminent qu’ils soient soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants s’ils sont renvoyés en République islamique d’Iran. Eu égard aux mauvais traitements déjà subis par M. Khademi et des informations dignes de foi faisant état d’un recours fréquent à la torture par les forces de sécurité iraniennes, les requérants craignent d’être arrêtés et détenus à leur retour et de subir des mauvais traitements en prison.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe5 b) de l’article22 de laConvention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité note qu’en l’espèce l’État partie a reconnu que le requérant avait épuisé toutes les voies de recours internes. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, il déclare la communication recevable et passe à son examen aufond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants en République islamique d’Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Il doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Pour évaluer ce risque, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle cependant que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, dans laquelle il indique que l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable» (par. 6), il doit toutefois être personnel et réel. À cet égard, dans des décisions antérieures, le Comité a estimé que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Il rappelle que, conformément aux termes de son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, sans toutefois être lié par de telles constatations; il est en effet habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Le Comité constate que l’État partie lui-même reconnaît que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est préoccupante et que les opposants politiques au régime les plus en vue courent le risque d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle également ses propres constatations quant à la situation extrêmement inquiétante des droits de l’homme en République islamique d’Iran, en particulier en ce qui concerne les personnes d’origine ethnique kurde, depuis les élections organisées dans le pays en juin 2009. Le Comité note également que l’État partie ne conteste pas que M. Khademi ait été membre actif des peshmergas du PDKI, un mouvement kurde dissident de la fin des années 1980, et qu’il ait été emprisonné entre 1991 et 1993. Il note en outre que l’État partie ne conteste pas non plus que les requérants se sont vu accorder le statut de réfugié en Iraq par le HCR sur la base de ces mêmes affirmations.

7.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les activités politiques menées par les requérants en Suisse étaient «trop peu visibles» pour attirer l’attention des autorités iraniennes. Il fait cependant observer que M. Khademi ayant déjà été emprisonné pour ses activités politiques, il est susceptible de figurer sur la liste des personnes dont les autorités iraniennes surveillent d’éventuelles activités à l’étranger. Le Comité note également que l’État partie a indiqué que les autorités chargées des demandes d’asile avaient examiné le certificat médical présenté par M. Khademi et qu’elles n’avaient pas établi de lien de causalité entre les blessures du requérant et les mauvais traitements qu’il prétendait avoir subis en République islamique d’Iran. Le Comité fait toutefois observer qu’il est dit dans le certificat médical que l’état de santé de M. Khademi est «compatible avec les mauvais traitements décrits».

7.6En conséquence, et compte tenu de la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran, qui touche particulièrement les membres de l’opposition, et eu égard aux activités d’opposition politique menées par M. Khademi tant en République islamique d’Iran qu’en Suisse et au fait qu’il a déjà été emprisonné et torturé, le Comité considère qu’il existe des motifs sérieux de croire que M. Khademi risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en République islamique d’Iran.

7.7En ce qui concerne les causes de Shahin Qadery, l’épouse de M. Khademi et la deuxième requérante, et de Zanyar Khademi, Mazyar Khademi et Kamyar Khademi, les enfants de M. Khademi et les quatrième, cinquième et sixième plaignants, qui dépendent de la cause de M. Khademi, le Comité n’estime pas nécessaire de les examiner séparément. Pour ce qui concerne Ramyar Khademi, le troisième requérant, qui n’était pas mineur au moment où la famille a déposé ses premières demandes d’asile en Suisse et dont le dossier a initialement été examiné séparément par les autorités suisses chargées des demandes d’asile, le Comité constate que le Tribunal administratif fédéral a regroupé sa demande d’asile avec celle de sa famille lors de la procédure d’appel. Le Comité, à l’instar de l’État partie, a donc examiné sa cause avec celle de la famille Khademi, sur la base des faits présentés par M. Khademi.

8Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut qu’il existe de sérieux motifs de croire que Hussein Khademi courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture par des agents de l’État s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Le Comité conclut par conséquent que l’expulsion des requérants vers la République islamique d’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité considère que l’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force les requérants en République islamique d’Iran ou dans tout autre pays où ils courent un risque réel d’être expulsés ou renvoyés vers la République islamique d’Iran. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à la présente décision.