Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

GÉNÉRALE

CCPR/CO/79/RUS

1er décembre 2003

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑dix‑neuvième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

FÉDÉRATION DE RUSSIE

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le cinquième rapport périodique de la Fédération de Russie (CCPR/C/RUS/2002/5) à ses 2144e, 2145e et 2146e séances, tenues les 24 et 25 octobre 2003 (voir CCPR/C/SR.2144, 2145 et 2146), et a adopté les observations finales ci‑après à ses 2159e et 2160e séances (CCPR/C/SR.2159 et 2160), tenues le 4 novembre 2003.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation du cinquième rapport périodique de la Fédération de Russie qui a été établi conformément à ses directives. Il regrette cependant que le rapport ne contienne pas d’informations complètes sur la suite donnée à ses précédentes observations finales. Le Comité regrette également le retard, de près de quatre ans, dans la présentation du rapport et le report à la dernière minute de son examen, qui devait initialement avoir lieu à la soixante‑dix‑huitième session, en juillet 2003.

3.Le Comité se félicite de l’examen relativement approfondi du rapport avec une délégation de haut niveau comprenant des fonctionnaires de rang supérieur de différents ministères et organismes publics spécialisés dans les questions abordées. Les réponses fournies ont été en général franches et constructives.

B. Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction les nombreux changements intervenus sur le plan législatif et les efforts déployés pour renforcer l’appareil judiciaire depuis la présentation du quatrième rapport périodique, lesquels ont amélioré encore plus la protection des droits consacrés par le Pacte.

5.Le Comité se félicite des renseignements donnés par la délégation au sujet de la décision du plénum de la Cour suprême en date du 10 octobre 2003 avisant les tribunaux ordinaires de leur obligation de se fonder sur les instruments internationaux pertinents, notamment les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

6.Le Comité se félicite de la Loi constitutionnelle fédérale no 1 du 26 janvier 1997, qui institue la fonction de Commissaire fédéral aux droits de l’homme et en fixe les attributions et les responsabilités conformément à ses précédentes recommandations. Il note également l’élection du premier Commissaire fédéral en mai 1998.

7.Le Comité se félicite des progrès notables accomplis vers la solution du problème du surpeuplement grâce, notamment, au recours accru à des peines de substitution, à l’amnistie et à d’autres mesures visant à réduire le nombre des personnes détenues avant jugement.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

8.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a pas appliqué les constatations du Comité au titre du Protocole facultatif dans les affaires Gridin c. Fédération de Russie et Lantsov c. Fédération de Russie. Tout en prenant acte de l’explication de la délégation selon laquelle la décision de ne pas suivre les constatations du Comité concernant la libération de M. Gridin était fondée sur un examen minutieux de la question par la Cour suprême et le Bureau du procureur, le Comité note avec préoccupation que le fait pour l’État partie de ne pas donner effet à ses constatations mettrait en question l’engagement de l’État partie en vertu du Protocole facultatif.

Le Comité invite instamment l’État partie à revoir sa position en ce qui concerne les constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif et à appliquer ces constatations de façon à se conformer au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui garantit le droit à un recours utile en cas de violation du Pacte.

9.Le Comité réaffirme ses préoccupations au sujet de l’inégalité persistante dans l’exercice des droits reconnus dans le Pacte par les femmes. Il note en particulier avec inquiétude le pourcentage élevé de pauvres parmi ces dernières, la forte incidence de la violence au foyer à l’égard des femmes et une nette différence entre le salaire des hommes et celui des femmes pour un travail de valeur égale.

L’État partie devrait faire en sorte que des mesures efficaces soient prises pour améliorer la situation des femmes pour ce qui est de la pleine jouissance des droits consacrés par le Pacte (art. 3).

10.Le Comité note avec préoccupation que dans l’État partie, un grand nombre de personnes font l’objet d’une traite, surtout vers des destinations situées à l’étranger, à des fins d’exploitation sexuelle et économique. Dans ce contexte, il note que l’État partie a accordé une attention croissante au problème ces dernières années. En particulier, le Comité constate qu’une législation contre la traite a été élaborée et que l’État partie œuvre à la ratification des instruments des Nations Unies relatifs à la question.

L’État partie devrait renforcer les mesures destinées à prévenir et combattre la traite des femmes, notamment en adoptant des lois pour punir une telle pratique et apporter protection et appui, notamment sous la forme de programmes de réadaptation, aux victimes (art. 8).

11.Le Comité note que la peine de mort à été abolie de facto par le décret présidentiel du 16 mai 1996, intitulé «Abandon de la peine de mort dans l’optique de l’entrée de la Russie au Conseil de l’Europe». Il note aussi que l’État partie envisage de légiférer pour abolir la peine de mort. Il note cependant avec préoccupation que le moratoire en vigueur prendra automatiquement fin lorsque le système de jury aura été mis en place dans toutes les entités constituantes de l’État partie, en 2007.

L’État partie devrait abolir la peine de mort de jure avant l’expiration du moratoire (art. 6) et adhérer au deuxième Protocole facultatif.

12.Tout en notant que plusieurs mesures ont été prises pour empêcher un usage excessif de la force et le recours à la torture par les agents de la force publique au cours des interrogatoires, le Comité demeure préoccupé par le fait que les suspects et les détenus ne sont peut‑être pas suffisamment protégés dans le cadre de la législation en vigueur. Il note en particulier avec inquiétude les cas signalés de torture ou de mauvais traitements au cours des interrogatoires informels effectués dans les postes de police, lorsque la présence d’un avocat n’est pas requise.

L’État partie devrait faire en sorte que les agents de la force publique soient poursuivis lorsqu’ils commettent des actes contraires à l’article 7 du Pacte et que les chefs d’accusation correspondent à la gravité des infractions commises. L’État partie devrait assurer l’application de la législation pertinente ainsi que des dispositions du Pacte en formant davantage le personnel chargé de l’application des lois aux droits des suspects et des détenus.

13.Le Comité demeure profondément préoccupé par les informations étayées qu’il continue de recevoir sur des violations des droits de l’homme en République de Tchétchénie (exécutions extrajudiciaires, disparitions et tortures, y compris viols). Le Comité note qu’environ 54 policiers et militaires ont été poursuivis pour des crimes contre des civils en Tchétchénie mais demeure préoccupé de ce que les chefs d’accusation retenus et les condamnations prononcées contre eux ne semblent pas à la mesure de la gravité de ces actes en tant que violations des droits de l’homme. Le Comité note également avec préoccupation que les enquêtes sur plusieurs cas de sévices de vaste ampleur et d’assassinats commis entre 1999 et 2000 dans les localités d’Alkhan Yurt et de Novye Aldy et dans le district de Staropromyslovskii à Grozny n’ont pas encore abouti. Tout en reconnaissant que les sévices et les violations dont sont victimes les civils sont aussi le fait d’éléments non étatiques, le Comité réitère que cela ne décharge par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. À cet égard, le Comité est préoccupé par la disposition de la législation fédérale relative à «la lutte contre le terrorisme» qui décharge les membres des forces de l’ordre et les militaires qui participent aux opérations antiterroristes de toute responsabilité en cas de préjudice.

L’État partie devrait veiller à ce que les opérations spéciales menées en Tchétchénie soient conformes à ses obligations internationales relatives aux droits de l’homme. L’État partie devrait faire en sorte que les sévices et les violations, notamment celles qui sont commises par des militaires et le personnel chargé de l’application des lois au cours d’opérations antiterroristes, ne restent pas impunis de jure ou de facto. Tous les cas d’exécutions extrajudiciaires, de disparition forcée et de torture, y compris de viol devraient faire l’objet d’une enquête, leurs auteurs devraient être poursuivis et les victimes ou leur famille dédommagées (art. 2, 6, 7 et 9).

14.Tout en reconnaissant la gravité de la prise d’otages, le Comité ne peut qu’être préoccupé du bilan de l’opération de sauvetage effectuée au Théâtre de la Doubrovka à Moscou le 26 octobre 2002. Il note que diverses tentatives d’enquête sur cet événement sont en cours mais se déclare préoccupé par le fait qu’il n’y a pas eu d’évaluation indépendante, impartiale, des circonstances de l’opération, concernant les soins médicaux donnés aux otages et l’exécution des preneurs d’otages.

L’État partie devrait faire en sorte que les circonstances de l’opération de sauvetage menée au Théâtre de la Doubrovka fassent l’objet d’une enquête indépendante, approfondie, dont les résultats soient rendus publics et, s’il y a lieu, que des poursuites soient engagées et qu’une indemnisation soit octroyée aux victimes et à leur famille.

15.Le Comité se félicite de la nette amélioration enregistrée depuis l’examen du précédent rapport en ce qui concerne le surpeuplement des prisons et de la réduction supplémentaire prévue − de plus de 150 000 − du nombre des prisonniers. Il n’est cependant pas certain que tout le surpeuplement excessif ait été résorbé dans tous les lieux de détention. Le Comité demeure préoccupé par les informations faisant état de problèmes d’hygiène et de violences commises par le personnel pénitentiaire dans certains lieux de détention.

L’État partie devrait continuer de renforcer ses efforts pour réformer le système pénitentiaire de façon à satisfaire aux dispositions de l’article 10 du Pacte. Il devrait faire en sorte que le problème du surpeuplement soit complètement éliminé et que les plaintes formulées par des prisonniers au sujet de violations de leurs droits fassent l’objet d’une enquête rapide et approfondie. En outre, le Comité encourage l’adoption du projet de loi fédérale «sur le contrôle public du respect des droits de l’homme dans les lieux de détention et l’assistance aux associations publiques dans leurs activités connexes», qui a été approuvé en première lecture par la Douma d’État en septembre 2003; une fois promulguée, la nouvelle loi devrait garantir un contrôle indépendant des conditions carcérales.

16.Le Comité note la déclaration de la délégation selon laquelle toutes les personnes qui sont revenues en Tchétchénie l’ont fait de leur plein gré. Mais il constate aussi que selon certaines informations, des pressions indues auraient été exercées sur des personnes déplacées vivant dans des camps en Ingouchie pour qu’elles retournent en Tchétchénie.

L’État partie devrait faire en sorte que les personnes déplacées se trouvant en Ingouchie ne soient pas obligées à retourner en Tchétchénie, notamment en mettant à leur disposition d’autres lieux d’hébergement en cas de fermeture des camps (art. 12).

17.Tout en se félicitant de la possibilité qu’ont désormais les objecteurs de conscience d’effectuer un service civil au lieu du service militaire, le Comité demeure préoccupé par le fait que la loi sur le service civil de remplacement, qui prendra effet le 1er janvier 2004, semble revêtir un caractère punitif du fait de la prescription d’un service civil 1,7 fois plus long que le service militaire. En outre, la loi ne semble pas garantir la compatibilité des tâches que doivent effectuer les objecteurs de conscience avec leurs convictions.

L’État partie devrait réduire la durée du service civil pour l’aligner sur celle du service militaire et faire en sorte que ses conditions soient compatibles avec les articles 18 et 26 du Pacte.

18.Le Comité note avec préoccupation la fermeture ces dernières années de plusieurs sociétés de médias indépendantes et un renforcement du contrôle de l’État sur les principaux moyens d’information (chaînes de télévision, stations de radio et journaux) tant directement qu’indirectement par le biais de sociétés étatiques telles que la société Gazprom, qui a pris le contrôle de la chaîne de télévision nationale indépendante NTV en 2001.

L’État partie est invité à protéger le pluralisme des médias et à éviter tout monopole d’État sur les moyens d’information de masse qui porterait atteinte au principe de la liberté d’expression consacré par l’article 19 du Pacte.

19.Le Comité craint que le projet d’amendement à la loi «sur les moyens d’information de masse» et à la loi «sur la lutte contre le terrorisme», adopté par la Douma d’État en 2001 à la suite des événements du 11 septembre 2001 ne soit incompatible avec l’article 19 du Pacte. Il note avec satisfaction que le Président de la Fédération de Russie a opposé son veto à cet amendement en novembre 2002.

L’État partie devrait faire en sorte que l’amendement susmentionné, qui a été mis en suspens en novembre 2002 mais qui est de nouveau examiné par une commission parlementaire, soit mis en conformité avec les obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Pacte.

20.Tout en se félicitant des efforts de l’État partie pour interdire et poursuivre les groupes qui propagent des idées racistes et xénophobes, le Comité craint que la définition de l’«activité extrémiste» dans la loi fédérale de juillet 2002 «sur la lutte contre les activités extrémistes» ne soit trop vague pour protéger les personnes et les associations contre une application arbitraire.

L’État partie est encouragé à revoir la loi susmentionnée en vue de rendre la définition de l’«activité extrémiste» plus précise de façon à exclure toute possibilité d’application arbitraire et à informer les personnes concernées des faits pour lesquels ils seront tenus pénalement responsables (art. 15 et 19 à 22).

21.Le Comité note avec préoccupation que des journalistes, chercheurs et écologistes ont été jugés et déclarés coupables de trahison essentiellement pour avoir diffusé des renseignements d’intérêt public légitime, et que dans les cas où les accusations n’étaient pas prouvées, les tribunaux ont renvoyé l’affaire aux procureurs au lieu de prononcer un non‑lieu.

L’État partie devrait faire en sorte que nul ne fasse l’objet d’accusations pénales ou ne soit condamné pour avoir accompli un travail légitime de journaliste ou effectué une enquête scientifique dans les limites de l’article 19 du Pacte.

22.Le Comité se déclare préoccupé par les nombreux cas de harcèlement, d’agression violente et de meurtre dont sont victimes des journalistes.

L’État partie devrait faire en sorte que tous les cas de menaces, d’agressions violentes et de meurtres dont sont victimes des journalistes fassent l’objet d’une enquête rapide et approfondie et que les responsables soient traduits en justice (art. 19 et 6).

23.Tout en étant conscient des circonstances difficiles dans lesquelles se sont déroulées les élections présidentielles en République de Tchétchénie le 5 octobre 2003, le Comité se déclare préoccupé par le fait que ces élections n’ont peut‑être pas satisfait à toutes les exigences de l’article 25 du Pacte.

L’État partie devrait assurer le respect total de l’article 25 dans ses efforts pour rétablir la primauté du droit et la légitimité politique en République de Tchétchénie.

24.Le Comité est préoccupé par l’augmentation des agressions à motivation raciale dont sont victimes des personnes appartenant à des minorités ethniques et religieuses ainsi que par les informations faisant état de préjugés raciaux au sein du personnel chargé d’appliquer les lois. Il note avec préoccupation les informations selon lesquelles des déclarations xénophobes ont été faites par des autorités publiques.

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour combattre les crimes à motivation raciale. Il devrait faire en sorte que le personnel chargé d’appliquer les lois reçoive des instructions claires et la formation voulue en vue de protéger les minorités contre le harcèlement. L’État partie est encouragé à adopter des lois spécifiques pour ériger en infraction pénale les agissements racistes ainsi que les déclarations à motivation raciale faite par des détenteurs de l’autorité publique (art. 2, 20 et 26).

25.Le Comité est préoccupé par la longueur de la procédure d’examen des demandes d’asile, en particulier à Moscou et dans sa région où les demandeurs d’asile doivent parfois attendre plus de deux ans avant de pouvoir entamer officiellement la procédure de demande d’asile. Il est également préoccupé par le fait qu’à Moscou, le service des migrations aurait refusé d’autoriser des enfants non accompagnés à présenter des demandes d’asile s’ils n’avaient pas un représentant légal.

L’État partie devrait faire en sorte que les demandeurs d’asile puissent entamer dans des délais raisonnables la procédure de détermination du statut de réfugié en particulier à Moscou et dans sa région et accéder à la documentation voulue tout au long de la procédure y compris au stade des recours. L’État partie devrait faire en sorte que les autorités compétentes assignent un représentant légal aux enfants non accompagnés qui demandent l’asile (art. 13 et 24).

26.L’État partie devrait donner une large diffusion au texte de son cinquième rapport périodique et des présentes observations finales. Conformément au paragraphe 5 de l’article 70 du règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait communiquer, dans un délai d’un an, des renseignements sur l’application des recommandations du Comité figurant aux paragraphes 11 et 13 ci‑dessus. Le sixième rapport périodique de l’État devrait être présenté d’ici au 1er novembre 2007.

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