Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

GÉNÉRALE

CCPR/CO/75/VNM

5 août 2002

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Soixante‑quinzième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

Viet Nam

1.Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique du Viet Nam (CCPR/C/VNM/2001/2) à ses 2019e, 2020e et 2021e séances (CCPR/C/SR.2019, 2020 et 2021), tenues les 11 et 12 juillet 2002, et a adopté à sa 2031e séance (CCPR/C/SR.2031), tenue le 19 juillet 2002, les observations finales ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique du Viet Nam, qui contient des renseignements détaillés sur la législation interne relative aux droits civils et politiques, et se félicite de pouvoir reprendre le dialogue avec l’État partie. En outre, le Comité se réjouit de la décision de l’État partie d’envoyer de sa capitale, pour l’examen du rapport, une importante délégation composée de représentants de différents organismes publics. Le Comité regrette cependant le retard considérable intervenu dans la présentation du rapport, qui était demandé pour 1991. Il déplore en outre le manque d’informations sur la situation concrète des droits de l’homme, ainsi que de données factuelles sur l’application du Pacte. De ce fait, le Comité n’a pu examiner efficacement plusieurs allégations crédibles et étayées de violation des dispositions du Pacte qui ont été portées à son attention, et a eu du mal à déterminer si les personnes se trouvant sur le territoire de l’État partie et relevant de sa juridiction jouissent pleinement et d’une manière effective des droits fondamentaux reconnus dans le Pacte.

B. Aspects positifs

3.À cet égard, le Comité a constaté au sein de l’État partie des signes d’évolution traduisant un certain assouplissement des restrictions politiques qui avaient soulevé de graves questions de violation flagrante des droits protégés par le Pacte.

4.Le Comité prend note des efforts qui sont faits par l’État partie pour réformer son système juridique interne afin de s’acquitter de ses engagements internationaux, notamment dans le domaine des droits de l’homme.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

5.Le Comité est préoccupé par le statut assigné aux droits consacrés par le Pacte dans la législation interne, qui demeure ambigu. Il est préoccupé aussi par le fait que certaines dispositions constitutionnelles paraissent incompatibles avec le Pacte et que la Constitution vietnamienne n’énonce pas tous les droits en question et n’indique pas dans quelle mesure ils peuvent être restreints, ni selon quels critères. Le Comité est préoccupé par le fait que, selon la loi vietnamienne, les droits reconnus par le Pacte doivent être interprétés d’une manière qui risque de compromettre l’exercice de ces droits par la totalité des individus.

L’État partie devrait garantir une protection efficace de tous les droits consacrés par le Pacte et assurer leur plein respect et leur exercice par tous.

6.Le Comité est préoccupé par la déclaration de la délégation selon laquelle, puisque les personnes relevant de la juridiction de l’État partie ont recours à des mécanismes nationaux, l’État partie n’a pas besoin d’adhérer au Protocole facultatif.

L’État partie devrait envisager d’adhérer au Protocole facultatif en vue de renforcer la protection des droits de l’homme accordée aux personnes relevant de sa juridiction.

7.En dépit de la réduction – de 44 à 29 – du nombre d’infractions emportant la peine capitale, le Comité demeure préoccupé par le grand nombre de délits pour lesquels cette peine peut encore être imposée. Le recours à la peine capitale ne semble pas limité aux crimes qui sont considérés comme les plus graves. À cet égard, le Comité estime que la définition de certains actes tels que l’opposition à l’ordre établi et l’atteinte à la sécurité nationale, pour lesquels la peine de mort peut être prononcée, est trop vague et incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte.

L’État partie devrait continuer de revoir la liste des infractions pour lesquelles la peine de mort peut être prononcée, afin de n’y garder que celles qui peuvent, à strictement parler, être considérées comme les crimes les plus graves, ainsi que le requiert le paragraphe 2 de l’article 6, et dans l’optique d’une abolition totale de la peine capitale, conformément à l’article 6 du Pacte.

8.Nonobstant l’information fournie par la délégation selon laquelle seulement trois personnes font actuellement l’objet d’une mesure d’internement administratif (de probation selon les termes de la délégation), le Comité demeure préoccupé par la persistance de cette pratique prévue par le décret CP‑31, dès lors qu’elle permet d’assigner des personnes à résidence pendant une période pouvant aller jusqu’à deux ans sans qu’un juge ou un fonctionnaire judiciaire intervienne. Le Comité est également préoccupé par les dispositions de l’article 71 du Code de procédure pénale, selon lesquelles le Procureur général peut prolonger pour une durée illimitée la détention préventive «si besoin est», en cas d’atteintes graves à la sécurité nationale.

L’État partie devrait faire en sorte que nul ne fasse l’objet d’une restriction arbitraire de sa liberté et que toutes les personnes privées de leur liberté soient rapidement présentées à un juge ou à un autre fonctionnaire autorisé par la loi à exercer le pouvoir judiciaire, et qu’une personne ne soit privée de sa liberté qu’aux termes d’un jugement fondé sur la loi, comme l’exigent les paragraphes 3 et 4 de l’article 9 du Pacte.

9.Le Comité est préoccupé par la faiblesse persistante du système judiciaire due à la pénurie d’avocats ayant les qualifications professionnelles requises, au manque de ressources dont souffre le pouvoir judiciaire, et à l’exposition de ce pouvoir aux pressions politiques. Il note également avec préoccupation que la Cour suprême populaire n’est pas à l’abri de l’influence du Gouvernement. Il s’inquiète aussi du fait que le pouvoir judiciaire demande l’avis de la Commission permanente de l’Assemblée nationale pour l’interprétation des lois, et que la Commission permanente soit habilitée à établir des critères et formuler des instructions ayant un caractère obligatoire pour le pouvoir judiciaire.

Afin d’appliquer l’article 14 du Pacte, l’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour renforcer le pouvoir judiciaire et garantir son indépendance, et faire en sorte que toutes les allégations relatives à l’exercice de pressions indues sur ce pouvoir soient examinées promptement.

10.Le Comité est préoccupé par les procédures de sélection des juges ainsi que par le fait qu’ils ne sont pas inamovibles (ils sont nommés pour quatre ans seulement) et qu’il est possible, en vertu de la loi, de prendre des mesures disciplinaires à leur encontre lorsqu’ils rendent des décisions judiciaires erronées. Ces éléments exposent les juges à des pressions politiques et compromettent leur indépendance et leur impartialité.

L’État partie devrait adopter des procédures pour les nominations et les affectations aux fonctions judiciaires, afin de préserver et de garantir l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire conformément à l’article 14 du Pacte. Il doit veiller à ce que les juges ne puissent être révoqués que si une juridiction indépendante les a reconnus coupables d’une conduite inappropriée.

11.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a pas encore mis en place un organe indépendant, créé dans le respect de la loi, qui soit habilité à suivre les plaintes relatives à des violations des droits de l’homme et à enquêter sur ces plaintes, y compris celles qui mettent en cause des membres des forces de police et des services de sécurité et des gardiens de prison. L’absence d’un tel organe explique peut‑être le nombre restreint de plaintes enregistrées, qui tranche avec les informations émanant de sources non gouvernementales qui font état de nombreuses violations (art. 2, 7 et 10).

L’État partie devrait mettre en place, au moyen d’une loi, un organe indépendant permanent de suivi de la situation des droits de l’homme, qui soit doté de ressources et de pouvoirs suffisants pour recevoir les allégations de torture ou d’autres abus de pouvoir commis par des fonctionnaires, y compris des membres des services de sécurité: enquêter sur ces pratiques, et engager des procédures pénales et disciplinaires à l’encontre des responsables.

12.Le Comité regrette que la délégation n’ait pas fourni de renseignements précis sur le nombre et l’emplacement de tous les centres de détention ou établissements dans lesquels des personnes sont détenues contre leur volonté, ainsi que les conditions de détention de ces personnes (art. 10).

L’État partie devrait fournir des informations sur tous les établissements dans lesquels les personnes sont détenues contre leur volonté, sur le nombre et le nom de ces établissements, ainsi que sur le nombre de détenus se trouvant dans chacun d’eux en indiquant s’il s’agit de personnes en détention provisoire ou de condamnés.

13.Le Comité note avec préoccupation que le droit des détenus d’avoir accès à un avocat, d’obtenir des conseils médicaux et de prendre contact avec des membres de leur famille n’est pas toujours respecté dans la pratique.

L’État partie devrait veiller au strict respect de ces droits par les organes chargés d’appliquer la loi, le parquet et les autorités judiciaires.

14.Le Comité note avec inquiétude que l’État partie affirme que la violence domestique contre les femmes est un phénomène nouveau, et que, même si quelques efforts ont été faits, il n’y a aucune démarche globale pour prévenir et éliminer cette pratique et punir ceux qui s’y livrent (art. 3, 7, 9, et 26).

L’État partie devrait évaluer l’incidence des mesures prises pour faire face à la violence contre les femmes. Il devrait renforcer et améliorer l’efficacité de la législation, des politiques et des programmes visant à combattre ce phénomène. Il devrait en outre lancer des programmes de formation et de sensibilisation à l’intention des autorités judiciaires, des fonctionnaires chargés d’appliquer la loi et des milieux juridiques, ainsi que prendre des mesures de sensibilisation pour faire en sorte qu’il n’y ait au sein de la société aucune tolérance vis‑à‑vis de la violence contre les femmes.

15.Le Comité juge préoccupant que l’État partie n’ait pas pris les mesures voulues pour aider les femmes à éviter les grossesses non désirées et faire en sorte qu’elles ne subissent pas d’avortements mettant leur vie en danger (art. 6).

L’État partie devrait prendre les mesures requises pour aider les femmes à éviter les grossesses non désirées et à ne pas avoir recours à des avortements mettant leur vie en danger, et adopter à cet effet des programmes de planification familiale appropriés.

16.Le Comité note que les renseignements fournis par la délégation ne lui permettent pas de se faire une idée claire de la situation des libertés religieuses au Viet Nam. Compte tenu des informations dont il dispose indiquant que certaines pratiques religieuses sont réprimées ou fortement découragées au Viet Nam, le Comité s’inquiète sérieusement de ce que le comportement de l’État partie en la matière ne soit pas conforme aux dispositions de l’article 18 du Pacte. Il est vivement préoccupé par les allégations de harcèlement et de détention de chefs religieux et regrette que la délégation n’ait pas fourni d’informations à ce sujet. À cet égard, le Comité est aussi préoccupé par les restrictions qui ont été imposées à des observateurs extérieurs désireux d’enquêter sur ces allégations.

L’État partie est prié de fournir au Comité des informations à jour sur le nombre de personnes appartenant aux différentes communautés religieuses et sur le nombre des lieux de culte, ainsi que sur les mesures concrètes prises par les autorités pour garantir la liberté de pratique religieuse.

17.Le Comité prend note de ce que la loi ne prévoit pas le statut d’objecteur de conscience au service militaire, qui peut légitimement être revendiqué au titre de l’article 18 du Pacte.

L’État partie devrait faire en sorte que les personnes assujetties à l’obligation de service militaire puissent réclamer le statut d’objecteur de conscience et accomplir un service d’un autre type, sans discrimination.

18.Le Comité est préoccupé par les rapports faisant état de restrictions draconiennes au droit à la liberté d’expression dans les médias et par le fait que la loi sur la presse n’autorise pas la création de médias privés. Il juge également préoccupantes les lois sur les médias qui imposent des restrictions aux publications auxquelles il est reproché, entre autres, de nuire à la stabilité politique ou de dénigrer les institutions nationales. Ces infractions définies en termes généraux sont incompatibles avec le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin aux restrictions directes et indirectes à la liberté d’expression. Les lois sur les médias devraient être mises en conformité avec l’article 19 du Pacte.

19.Tout en constatant que l’État partie met à cet égard toute violation des droits reconnus par le Pacte, le Comité demeure préoccupé par l’abondance d’informations concernant le traitement réservé aux Degar (Montagnards), qui font apparaître de graves violations des articles 7 et 27 du Pacte. Le Comité est préoccupé par le manque d’informations précises sur les peuples autochtones, en particulier les Degar (Montagnards) et sur les mesures prises pour faire en sorte que leur droit – reconnu par l’article 27 – de pratiquer leurs traditions culturelles, notamment leur religion et leur langue, ainsi que leurs activités agricoles, soit respecté.

L’État partie devrait prendre immédiatement des mesures pour faire en sorte que les droits des membres des communautés autochtones soient respectés. Les organisations non gouvernementales et d’autres observateurs de la situation des droits de l’homme devraient avoir accès aux régions montagneuses du centre du pays.

20.Tout en prenant note des explications fournies par la délégation au sujet de l’exercice du droit à la liberté d’association, le Comité est préoccupé par l’absence d’une législation spécifique sur les partis politiques et par le fait que seul le Parti communiste soit autorisé. Le Comité s’inquiète des obstacles qui seraient imposés à l’enregistrement et au libre fonctionnement des organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme et des partis politiques (art. 19, 22 et 25). Il est particulièrement préoccupé par les obstacles auxquels se heurtent les organisations non gouvernementales nationales et internationales et les rapporteurs spéciaux qui ont pour tâche d’enquêter sur les allégations de violation des droits de l’homme sur le territoire de l’État partie.

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre aux organisations non gouvernementales nationales et internationales de défense des droits de l’homme et aux partis politiques d’opérer sans entrave.

21.Le Comité est préoccupé par les restrictions auxquelles sont soumises les réunions publiques et les manifestations (art. 25).

L’État partie devrait fournir des renseignements supplémentaires sur les conditions auxquelles doivent satisfaire les rassemblements publics, et indiquer en particulier si un rassemblement public peut être interdit et, le cas échéant, dans quels cas, et si une telle mesure est susceptible de recours.

22.L’État partie devrait rendre public le présent examen de son deuxième rapport périodique par le Comité, ses réponses écrites à la liste des points à traiter établie par le Comité et, en particulier, les présentes observations finales.

23.Il est demandé à l’État partie, conformément au paragraphe 5 de l’article 70 du règlement intérieur du Comité, de communiquer, dans un délai de 12 mois, des renseignements sur l’application des recommandations du Comité figurant aux paragraphes 7, 12, 14, 16, 19 et 21 ci‑dessus. Le Comité demande que des renseignements sur ses autres recommandations soient inclus dans le troisième rapport périodique, qui doit lui être soumis au plus tard le 1er août 2004.

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