Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

GÉNÉRALE

CCPR/CO/75/YEM

12 août 2002

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑quinzième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

Yémen

1.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Yémen (CCPR/C/YEM/2001/3) à ses 2027e et 2028e séances (CCPR/C/SR.2027 et CCPR/C/SR.2028), tenues le 17 et 18 juillet 2002, et a adopté les observations finales ci‑après à sa 2036e séance (CCPR/C/SR.2036) le 24 juillet 2002.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation par l’État partie, en temps voulu, d’un rapport qui contient des renseignements importants sur la législation interne en relation avec la mise en œuvre du Pacte. Il note avec satisfaction que ce rapport contient des informations utiles sur l’évolution qui a eu lieu dans certains domaines juridiques et institutionnels depuis l’examen du deuxième rapport périodique. Il regrette néanmoins le manque de données concernant la jurisprudence et les aspects pratiques de la mise en œuvre du Pacte. Le Comité prend cependant note des réponses partielles apportées aux questions posées et aux préoccupations exprimées lors de l’examen du rapport. Il se félicite, en outre, de la volonté de coopération exprimée par la délégation yéménite.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite de l’importance accordée dans l’article 6 de la Constitution yéménite à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il se félicite aussi de certaines initiatives prises par l’État partie, ces dernières années, en matière de droits de l’homme, en particulier la nomination en 2001 d’une ministre d’État aux droits de l’homme, et la conclusion d’un accord de coopération technique avec le Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (conformément à la recommandation faite par le Comité dans ses observations finales du 3 octobre 1995, par. 258 et 265) ainsi qu’avec le Bureau international du Travail en vue d’éliminer le travail des enfants et de créer des centres d’aide aux enfants défavorisés. Il note également le nombre croissant d’organisations non gouvernementales, en particulier dans le domaine des droits de la femme.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

4.Le Comité regrette le manque de clarté qui entoure la question de la valeur juridique du Pacte par rapport au droit interne et aux conséquences qui y sont attachées.

L’État partie devrait s’assurer que sa législation donne plein effet aux droits reconnus par le Pacte et que des recours soient disponibles pour l’exercice de ces droits.

5.Tout en prenant acte de la composition et du rôle de la Commission nationale yéménite des droits de l’homme qui est une commission gouvernementale, le Comité relève l’absence d’une commission des droits de l’homme indépendante des autorités et de projet en ce sens.

L’État partie devrait envisager de mettre en place une institution indépendante pour la protection des droits de l’homme, avec pour mandat, en particulier, de recevoir des plaintes, d’ouvrir des enquêtes et d’engager des poursuites, le cas échéant, et cela en toute indépendance.

6.Le Comité relève avec préoccupation le maintien de la pratique des mutilations génitales féminines (art. 3, 6 et 7 du Pacte). Il est également préoccupé par la persistance, malgré les textes législatifs adoptés par l’État partie, de la violence domestique (art. 3 et 7 du Pacte).

L’État partie doit poursuivre ses efforts afin d’éradiquer de telles pratiques. Il devrait en particulier veiller à ce que des poursuites soient engagées à l’encontre de leurs auteurs, tout en assurant la promotion d’une culture des droits de l’homme au sein de la société ainsi qu’une meilleure prise de conscience des droits des femmes, et notamment du droit à l’intégrité physique. L’État partie doit, en outre, prendre des mesures plus efficaces pour prévenir la violence domestique, la sanctionner et venir en aide aux victimes.

7.Le Comité constate avec préoccupation la situation discriminatoire des femmes au regard des questions de statut personnel, notamment en ce qui concerne le mariage et le divorce ainsi que les droits et devoirs des époux.

L’État partie devrait revoir sa législation de façon à assurer aux femmes, dans tous les domaines de la vie de la société, l’égalité complète avec les hommes sur le plan juridique et dans les faits afin de se conformer aux obligations qui lui incombent au titre du Pacte (art. 3, 7, 8, 17 et 26 du Pacte).

8.Le Comité constate avec préoccupation que les épouses ne peuvent, du moins selon la loi, sortir de leur domicile sans autorisation de leur mari (art. 3, 12 et 26 du Pacte).

L’État partie devrait prendre les mesures appropriées afin de lutter contre cette pratique et d’assurer, en fait et en droit, le respect des droits des femmes au regard des articles 3, 12 et 26 du Pacte.

9.Le Comité constate la persistence de la pratique de la polygamie qui est attentatoire à la dignité humaine et discriminatoire au regard du Pacte (art. 3 et 26 du Pacte).

L’État partie est vivement encouragé à abolir la polygamie et à la combattre sur le plan social par des moyens efficaces.

10.Le Comité se déclare préoccupé par la pratique des mariages de très jeunes filles et par l’inégalité entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l’âge du mariage (art. 3 et 26 du Pacte).

L’État partie devrait protéger les filles contre le mariage précoce et éliminer la discrimination frappant la femme en ce qui concerne l’âge du mariage.

11.Le Comité note la situation discriminatoire qui affecte la femme en ce qui concerne l’acquisition et la transmission de la nationalité (art. 3 et 26 du Pacte).

L’État partie doit éliminer de sa législation toute discrimination entre hommes et femmes en matière d’acquisition et de transmission de la nationalité.

12.Le Comité est préoccupé par le maintien en détention des femmes qui ont purgé leur peine d’emprisonnement mais qui sont maintenues en détention en raison de l’attitude sociale et familiale de rejet à leur égard (art. 3, 9 et 26 du Pacte).

L’État partie est encouragé à trouver des solutions appropriées afin de permettre la réinsertion de ces femmes dans la société.

13.Tout en se félicitant des mesures prises par les autorités ces dernières années afin de promouvoir la participation des femmes dans la vie publique, le Comité note la sous‑représentation des femmes dans les secteurs publics et privés (art. 3 et 26).

L’État partie est encouragé à poursuivre ses efforts en vue d’une meilleure participation des femmes à tous les niveaux de la société et de l’État.

14.Le Comité note le manque de clarté des dispositions juridiques qui permettent de déclarer l’état d’urgence et de déroger aux obligations prévues par le Pacte (art. 4 du Pacte).

L’État partie doit veiller à ce que sa législation soit conforme aux dispositions du Pacte afin de s’assurer notamment de l’absence d’atteintes aux droits non dérogeables.

15.Le Comité constate avec préoccupation que les infractions passibles de la peine de mort d’après la législation yéménite ne sont pas conformes aux exigences du Pacte, et que le droit de solliciter la grâce n’est pas garanti à tous, sur un pied d’égalité. Le rôle prépondérant de la famille de la victime dans l’éxécution ou non de la peine sur la base d’une compensation financière est également contraire aux articles 6, 14 et 26 du Pacte.

L’État partie devrait revoir la question de la peine de mort. Le Comité rappelle que l’article 6 du Pacte limite les circonstances qui peuvent justifier la peine capitale et garantit le droit pour tout condamné de solliciter la grâce. Il appelle en conséquence l’État partie à conformer sa législation et sa pratique aux dispositions du Pacte. L’État partie est également appelé à fournir au Comité des renseignements détaillés sur le nombre de personnes condamnées à mort et le nombre de condamnés exécutés depuis l’an 2000.

16.Le Comité est extrêmement préoccupé par le fait que les amputations et la flagellation, et plus généralement les châtiments corporels, restent consacrés et pratiqués, ce qui est contraire à l’article 7 du Pacte.

L’État partie doit prendre les mesures appropriées pour mettre fin à ces pratiques et assurer le respect des dispositions du Pacte.

17.Le Comité note avec inquiétude des cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants relevant de la responsabililité des agents chargés de l’application des lois. Il est tout aussi préoccupé de l’absence, en général, d’enquêtes relatives à ces pratiques répréhensibles, et de sanctions à l’endroit de leurs auteurs. Il est en outre préoccupé par l’absence d’un organe indépendant d’enquête sur ces plaintes (art. 6 et 7 du Pacte).

L’État partie devrait s’assurer de la poursuite d’enquêtes sur toutes les atteintes aux droits de l’homme, et devrait diligenter, selon les résultats des investigations, des poursuites à l’encontre des auteurs de ces violations. L’État partie doit également mettre en place un organe indépendant d’enquête sur ces plaintes.

18.Tout en comprenant les exigences de sécurité liées aux événements du 11 septembre 2001, le Comité fait part de sa préoccupation quant aux effets de cette campagne sur la situation des droits de l’homme au Yémen, tant à l’égard des nationaux que des étrangers. Il est préoccupé, dans ce contexte, par l’attitude des forces de sécurité, dont la Sécurité politique qui procède à l’arrestation et à la détention de toute personne suspectée de liens avec le terrorisme, cela en violation des garanties prévues par le Pacte (art. 9). Le Comité fait part également de sa préoccupation quant aux cas d’expulsion d’étrangers soupçonnés de terrorisme, cela sans qu’il soit possible de contester de telles mesures par voie légale. Ces expulsions seraient, par ailleurs, décidées sans prendre en compte les risques pour l’intégrité physique et la vie des personnes concernées dans les pays de destination (art. 6 et 7).

L’État partie doit veiller à ce que les mesures prises au titre de la lutte contre le terrorisme se situent dans les limites de la résolution 1373 du Conseil de sécurité et soient pleinement conformes aux dispositions du Pacte. Il est prié de veiller à ce que la crainte du terrorisme ne soit pas une source d’abus.

19.Le Comité note que l’indépendance des juges paraît ne pas être garantie en toutes circonstances (art. 14).

L’État partie doit mettre la magistrature à l’abri de toute ingérence conformément aux dispositions du Pacte.

20.Le Comité relève avec préoccupation les atteintes à la liberté de religion ou de conviction, et notamment l’atteinte au droit de changer de religion (art. 18 du Pacte).

L’État partie doit veiller à la conformité de sa législation et de sa pratique avec les dispositions du Pacte et en particulier respecter le droit des personnes à changer leur religion si elles le désirent.

21.Le Comité se déclare préoccupé par certaines restrictions apportées par la législation yéménite à la liberté de la presse et par les difficultés rencontrées par les journalistes dans l’exercice de leur profession lors de critiques à l’égard des autorités (art. 19 du Pacte).

L’État partie devrait veiller au respect des dispositions de l’article 19 du Pacte.

22.L’État partie devrait donner une large diffusion au texte de son troisième rapport périodique et aux présentes observations finales.

23.Conformément au paragraphe 5 de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait adresser dans un délai d’un an des renseignements sur la suite donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 6 à 13 relatives à la condition de la femme, ainsi qu’au paragraphe 15 relatives au nombre de personnes condamnées à mort et exécutées depuis l’an 2000. Le Comité demande à l’État partie de communiquer dans son prochain rapport, qu’il doit soumettre d’ici au 1er août 2004, des renseignements sur les autres recommandations qu’il a faites et sur l’application du Pacte dans son ensemble.

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