NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.76229 mai 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑huitième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 762e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genèvele vendredi 4 mai 2007, à 15 heures

Président: M. MAVROMMATIS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

CINQUIÈME RAPPORT PÉRIODIQUE DU LUXEMBOURG (suite)

DÉCLARATION DE M. MAGAZZENI, DIRECTEUR DU GROUPE DES INSTITUTIONS NATIONALES DES DROITS DE L’HOMME AU HAUT‑COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME

La séance est ouverte à 15 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Cinquième rapport périodique du Luxembourg (CAT/C/81/Add.5; CAT/C/LUX/Q/5/Rev.1 et Add.1)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation luxembourgeoise reprend place à la table du Comité.

2.M. REITER (Luxembourg), en réponse à des questions posées à sa délégation, indique que c’est à titre tout à fait exceptionnel que des demandeurs d’asile font l’objet de mesures de placement en milieu fermé. Normalement, tout demandeur d’asile a droit à une aide sociale et à un logement dans un centre ouvert, ou à défaut dans un hôtel ou une auberge, et il peut se déplacer librement sur tout le territoire. La loi ne prévoit leur placement en structure fermée que dans quatre cas précis: si le demandeur a posé sa demande dans le seul but de prévenir son éloignement du territoire (un seul cas s’est présenté); s’il refuse de coopérer à l’établissement de son identité ou de son itinéraire de voyage (le cas ne s’est pas présenté); lors de certaines procédures accélérées (le cas ne s’est pas non plus présenté); enfin, si cela s’avère nécessaire dans l’attente d’un transfert vers l’État compétent pour l’examen de sa demande, s’agissant d’affaires relevant du Règlement dit Dublin II de l’Union européenne (58 cas sur un total de 523 demandes d’asile en 2006). La jurisprudence citée par un membre du Comité n’est plus d’actualité car elle est antérieure à la création du centre de séjour provisoire. Le Tribunal administratif, ayant estimé que le centre pénitentiaire n’était pas adapté au placement des demandeurs d’asile, a suggéré diverses solutions; parmi celles‑ci, on a opté pour la mise en place d’un centre de séjour pour les personnes en situation irrégulière au sein du centre pénitentiaire en attendant la construction du centre de séjour où elles seront complètement séparées des détenus.

3.L’expression «pays tiers sûr» utilisée dans le rapport du Luxembourg prête à confusion; les articles 16 et 21 de la loi sur la protection internationale de mai 2006 reprennent une terminologie conforme à la Directive européenne pertinente et parle de «pays tiers sûrs et de pays d’origine sûrs». Le pays tiers sûr est celui où le demandeur a séjourné et aurait pu demander l’asile (les autorités luxembourgeoises n’ont pas encore appliqué cette disposition). Le «pays d’origine sûr» est celui d’où il est originaire et dont il a la nationalité. Le demandeur venu d’un tel pays fera d’office l’objet d’une procédure accélérée mais comportant un examen individuel sérieux, la présomption étant réfragable. L’établissement d’une liste de pays d’origine sûrs est en cours. Par ailleurs, les procédures de traitement des demandes d’asile ont effectivement été accélérées mais elles sont assorties de règles précises: le Ministre dispose d’un délai de deux mois pour décider d’appliquer la procédure accélérée et le Tribunal administratif a également deux mois pour statuer sur la demande en procédure accélérée. Il existe aussi un effet suspensif et l’examen de chaque cas est sérieux et approfondi.

4.La loi du 31 mai 1999 sur la traite des êtres humains autorisait effectivement la délivrance de visas spécifiques aux artistes de cabaret, mais cette pratique a été abrogée en 2003. Par ailleurs, il a été demandé si les critères d’appréciation de la notion de protection subsidiaire prévus par la loi sur l’asile se prêtaient à une utilisation discrétionnaire: ce n’est bien entendu pas le cas et ces critères sont ceux de la Directive européenne pertinente: pour octroyer cette protection, il faut qu’il y ait des motifs sérieux et avérés de craindre que l’étranger coure un risque réel d’atteintes graves en cas de renvoi (peine de mort, torture, traitements inhumains, etc.): la marge d’appréciation est donc très faible. L’affaire qui a été évoquée à ce propos, n’a rien à voir avec la protection subsidiaire; le demandeur débouté qui souffrait de deux maladies graves a affirmé que le Luxembourg aurait refusé de lui dispenser les traitements élémentaires, ce que contestent les autorités. L’affaire est pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme.

5.Entre 2003 et 2005, les statistiques relatives aux demandeurs d’asile ne comportaient aucun renseignement sur le pays d’origine, car cela n’avait pas été demandé. En 2006, ont obtenu le statut de réfugié: 6 Albanais, 1 Azerbaïdjanais, 5 personnes originaires de Bosnie‑Herzégovine, une personne originaire de la République démocratique du Congo, 1 Éthiopien, 1 Guinéen, 5 Iraniens, 1 Rwandais, 12 Serbes du Kosovo, 1 Somalien, 1 Togolais, 2 Turcs (y compris des enfants de réfugiés nés au Luxembourg). Par ailleurs, le libellé du paragraphe 12 de l’article 6 de la nouvelle loi sur l’asile autorisant l’extradition dans certains cas particuliers est textuellement repris des Directives de l’Union européenne; cette disposition qui vise à faire échec à toute tentative faite pour se dérober, par exemple, à un mandat émanant d’une cour pénale internationale, n’a encore jamais été appliquée.

6.Une autre question avait trait à la saisine du Médiateur; celui‑ci peut, aux termes de la loi, être saisi par «toute personne physique ou morale», qu’il s’agisse d’un Luxembourgeois ou d’un étranger, d’un homme ou d’une femme, d’un résident ou d’un non‑résident. Enfin, l’affaire Biarim a été évoquée. M. Reiter a été personnellement témoin des faits: l’intéressé a demandé l’asile à son arrivée au Luxembourg le 13 décembre 2006. Les policiers chargés de l’enregistrement des demandes ont été informés par les services allemands qu’il avait déjà fait une demande en Allemagne, où il avait été débouté mais où sa présence était tolérée; les services de police ont aussi été avisés qu’il était porteur du VIH et d’un tempérament violent. Il lui a donc été expliqué qu’en vertu du Règlement de Dublin, il devait retourner en Allemagne, où sa maladie était du reste prise en charge. Refusant d’obtempérer, M. Biarim a attaqué l’un des policiers et tenté de le mordre au visage; ses collègues lui ayant porté secours, une rixe s’en est suivie au cours de laquelle tout le monde a été blessé. L’intéressé a été maîtrisé et emmené à l’hôpital où il a été déclaré apte à la rétention et au transport; ce n’est qu’à l’issue d’une procédure longue et pénible qu’il a été renvoyé en Allemagne, en février 2007. Entre temps, un procès‑verbal a été adressé au parquet pour tentative de meurtre; une enquête criminelle est donc en cours, ce qui explique qu’il n’y a pas eu d’enquête interne. Contrairement à ce qu’il prétend, M. Biarim n’est nullement une victime, et les policiers ont agi en état de légitime défense − ils ont d’ailleurs dû subir quatre mois d’un lourd traitement préventif anti‑VIH. Bien qu’il ait bénéficié de l’assistance d’un avocat, M. Biarim n’a déposé aucune plainte au Luxembourg, mais il a directement saisi la Cour européenne des droits de l’homme par courrier manuscrit. La Cour a demandé d’urgence des éclaircissements aux autorités luxembourgeoises, que celles‑ci lui ont fournis avant même le transfert de l’intéressé vers l’Allemagne; la Cour ne s’étant pas manifestée depuis lors, l’affaire a peut‑être été classée sans suite.

7.M. THEIS (Luxembourg), se référant aux allégations d’une organisation non gouvernementale luxembourgeoise concernant des comportements arbitraires et racistes dont le centre pénitentiaire aurait été le théâtre, indique que de telles allégations n’ont été portées à la connaissance des autorités qu’exceptionnellement ces dernières années et que les enquêtes internes auxquelles elles ont donné lieu n’ont jamais été concluantes; ces allégations ont même parfois été jugées abusives. Il est vrai que le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a signalé que l’atmosphère était un peu tendue au centre pénitentiaire dans les années 2003‑2004. Le recrutement de personnel supplémentaire a alors permis d’améliorer le climat dans l’établissement. En outre, sur recommandation du CPT, le personnel a été sensibilisé au fait que les comportements racistes constituaient une infraction. Il est à noter qu’à son entrée au centre pénitentiaire, chaque détenu est informé de son droit de porter plainte et des différents moyens de recours (art. 211 à 216 du Règlement interne des établissements pénitentiaires).

8.Il a été demandé s’il existe un contrôle juridictionnel du régime cellulaire strict. Il s’agit de la sanction disciplinaire la plus lourde prévue par l’article 197 du Règlement des établissements pénitentiaires et au contraire des autres sanctions, elle n’est pas prononcée par le directeur de l’établissement mais par le procureur général d’État qui assure la direction générale des établissements pénitentiaires et est chargé de l’application des peines. La décision de placer un détenu en régime cellulaire strict est donc prise par un magistrat, mais dans une fonction administrative. Le détenu peut faire appel de cette décision devant une commission, composée de trois magistrats. D’autre part, le tribunal administratif s’est déclaré compétent pour connaître des recours en annulation des décisions de placement en régime cellulaire strict, faisant valoir qu’il s’agissait de décisions administratives, même si elles étaient prises par des magistrats. Enfin, les détenus ainsi sanctionnés pourraient également s’adresser au Médiateur. Il est d’ailleurs prévu de reprendre toutes les sanctions disciplinaires et toutes les voies de recours dans un futur code pénitentiaire actuellement mis au point par le Ministère de la justice.

8.M. HEISBOURG (Luxembourg) réaffirme que la définition de la torture énoncée dans la Convention est dûment reflétée dans le Code pénal, plus précisément à l’article 260‑1, qui en reprend littéralement les termes. En ce qui concerne la compétence universelle, le Code d’instruction criminelle établit clairement à l’article 5 que tout ressortissant luxembourgeois qui, hors du territoire du Grand‑Duché, s’est rendu coupable d’un crime puni par la loi luxembourgeoise, catégorie qui inclut les actes de torture, peut être poursuivi et jugé au Luxembourg. L’article 7 du Code d’instruction criminelle renforce cette disposition en instituant une compétence universelle active qui permet de poursuivre et de juger au Luxembourg toute personne qui s’est rendue coupable à l’étranger de certaines infractions visées par le Code pénal, dont les actes de torture.

9.Souhaitant lever tout doute quant à la compatibilité du principe de l’opportunité des poursuites avec les articles 6, 7 et 12 de la Convention contre la torture, M. Heisbourg réaffirme qu’il ne s’agit pas d’un blanc‑seing pour classer sans suite des plaintes, a fortiori lorsqu’elles concernent des infractions aussi graves que des actes de torture. Il ne viendrait en effet à l’esprit d’aucun procureur sensé de classer sans suite une affaire d’une telle gravité, ce qu’il ne serait de toute façon pas libre de faire sans en avoir préalablement référé à son supérieur hiérarchique. En cas de doute quant au sérieux d’une plainte alléguant des actes de torture, le procureur demandera l’ouverture d’une enquête préliminaire, et décidera en fonction des conclusions de cette dernière d’engager ou non des poursuites.

10.M. WAGNER (Luxembourg), répondant à la question de Mme Belmir relative à l’utilisation des menottes, indique que tout recours à ce moyen de contrainte dans le cadre d’une arrestation doit faire l’objet d’un rapport exposant les circonstances de l’arrestation et les raisons pour lesquelles des menottes ont été utilisées, lequel rapport est transmis au parquet. Au même titre qu’un procès–verbal, ce rapport engage la responsabilité pénale, administrative et disciplinaire du (ou des) fonctionnaire(s) de police concerné(s). Par conséquent, s’il établit qu’une infraction au Code pénal a été commise, le parquet demande l’ouverture d’une enquête préliminaire. En cas d’infraction aux règlements internes de la police, le parquet transmet l’affaire à l’Inspection générale des services et à la Direction générale de la police. Si la personne arrêtée a été blessée dans le cadre de son arrestation, les policiers ont l’obligation de la faire examiner par un médecin et d’établir un rapport qu’ils transmettent au parquet, accompagné d’un certificat médical établi par le médecin.

11.En rapport avec la question de savoir si en vertu de la nouvelle loi sur la violence domestique de 2003, des peines plus lourdes sont appliquées en cas d’infraction commise par un agent de l’État, M. Wagner indique que les sanctions prévues par cette loi s’appliquent uniformément à tous les contrevenants, fussent‑ils des fonctionnaires. En revanche, le Code pénal prévoit des circonstances aggravantes à l’encontre des fonctionnaires coupables d’une infraction, mais uniquement lorsqu’ils ont commis ladite infraction dans l’exercice de leurs fonctions. Relevant par définition de la sphère privée, la violence domestique n’entre pas dans le champ d’application de cette disposition.

12.En ce qui concerne la communication avec les autorités consulaires, le Luxembourg applique l’article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, qui prévoit que tout ressortissant étranger placé en détention a le droit de contacter le consulat de son pays d’origine. Dans les cas où il le juge nécessaire pour les besoins du bon déroulement de l’enquête, le parquet peut toutefois refuser que l’intéressé communique directement avec son consulat, auquel cas c’est un fonctionnaire de police qui prend contact avec ce dernier.

13.Mme SCHAACK (Luxembourg), revenant sur la question de la justice des mineurs, dit que la conception du Luxembourg en la matière est que les mineurs en conflit avec la loi doivent être considérés non pas comme des délinquants mais comme des êtres dont les actes sont symptomatiques de problèmes (psychologiques, familiaux, … etc.) qui doivent être traités au cas par cas. C’est à cet objectif que répond le placement de ces mineurs dans des centres socioéducatifs, placement qui n’intervient d’ailleurs que lorsque toutes les autres mesures (avertissements, médiation avec la famille, etc.) n’ont donné aucun résultat. Des inquiétudes ont été exprimées à l’égard du fait que ces centres accueillaient à la fois des mineurs en conflit avec la loi et des enfants qui étaient simplement en difficulté. Cela n’est pas tout à fait exact: bien qu’étant au sein d’une même structure, ces deux catégories de personnes évoluent dans des unités de vie séparées soumises à des régimes différents. Il importe néanmoins de garder à l’esprit qu’en dépit des infractions qu’ils ont commises, les mineurs en conflit avec la loi restent souvent et avant tout des victimes, et doivent être traités en tant que telles. Ainsi, à l’intérieur des centres, l’accent est mis sur des méthodes telles que la médiation entre les jeunes plutôt que sur des mesures disciplinaires.

14.Concernant les châtiments corporels, Mme Schaack indique qu’au sein de la famille ils ne sont effectivement pas réglementés par la législation luxembourgeoise. Conscient de la nécessité de protéger juridiquement les victimes, le Ministère de la famille a récemment déposé un projet de loi visant à interdire tous les types de violence au foyer, notamment la violence physique et sexuelle, les traitements inhumains et dégradants et les mutilations génitales.

15.Au sujet de la ratification du Protocole facultatif à la Convention contre la torture, Mme Schaack regrette que les termes employés dans les réponses écrites à ce sujet (par. 181) aient donné à penser au Comité que le Luxembourg n’accordait pas d’importance à la ratification de ce protocole. En indiquant que celle‑ci n’était pas prioritaire, la délégation voulait dire qu’en raison de la très lourde charge de travail représentée par la transposition des directives européennes, l’examen de la question de la ratification du Protocole avait dû être remis à plus tard. Concernant l’application directe des dispositions de la Convention par les tribunaux luxembourgeois, Mme Schaack confirme que les traités internationaux priment les lois nationales et que par conséquent, les dispositions de la Convention contre la torture, notamment l’article 14, peuvent être invoquées devant les juridictions nationales.

16.Le PRÉSIDENT remercie la délégation de ses réponses et donne la parole aux membres du Comité.

17.M. CAMARA (Rapporteur pour le Luxembourg) dit qu’il est satisfait des réponses fournies par la délégation et qu’il n’a pas d’autres précisions à demander.

18.MmeBELMIR (Corapporteuse pour le Luxembourg) remercie la délégation pour les informations complémentaires qu’elle a fournies en réponse à ses précédentes questions. Revenant sur la justice des mineurs, elle prend note des efforts louables déployés par l’État partie pour adopter une démarche socioéducative plutôt que répressive à l’égard des mineurs en conflit avec la loi mais constate que la réalité n’est pas toujours conforme au discours. Des cas de mise en isolement de mineurs pour une durée indéterminée ont été signalés, et il semble qu’aucune solution n’ait été apportée au problème de la détention de mineurs dans des prisons pour adultes, au sujet duquel le Comité avait pourtant recommandé que des structures d’accueil spéciales soient construites. L’État partie doit par conséquent poursuivre ses efforts. Concernant le placement en régime cellulaire strict, Mme Belmir réitère ses préoccupations à propos des modalités d’application de cette mesure, qui, selon elle, en permettent un usage abusif.

19.M. MARIÑO MENÉNDEZ, notant que les suspects ont droit aux services d’un avocat à partir du deuxième interrogatoire, demande pour quelle raison ils ne peuvent en bénéficier dès le premier et comment la police réagit si, lors du premier interrogatoire, un suspect se refuse à faire une déposition en l’absence de son avocat.

20.Se référant à la dernière phrase du paragraphe 53 (CAT/C/LUX/Q/4/Rev.1/Add.1) des réponses écrites, M. Mariño Menéndez voudrait savoir si un tortionnaire présumé qui se trouve sur le territoire luxembourgeois et ne fait pas l’objet d’une demande d’extradition peut être poursuivi d’office par la justice de l’État partie.

21.Mme SVEAASS relève avec satisfaction que, d’après les réponses orales de la délégation, un projet de loi interdisant les mutilations génitales féminines devrait être soumis prochainement au Parlement. Elle souhaiterait savoir si, en attendant que ce projet soit adopté, l’État partie s’est doté des moyens nécessaires pour sanctionner les médecins qui pratiqueraient l’excision en secret et s’il a mené des enquêtes pour déterminer si des fillettes excisées ont subi cette opération au Luxembourg ou ont été envoyées dans un autre pays à cette fin.

22.Le PRÉSIDENT, s’exprimant en sa qualité de membre du Comité, dit que, lorsque le Comité examine le rapport d’un pays développé, il s’intéresse tout particulièrement aux deux pierres de touche que sont sa politique de lutte contre le terrorisme et sa stratégie en matière d’immigration. À ces deux égards, le Luxembourg a une attitude plus humaine que d’autres pays de l’Union européenne, ce qui est très encourageant.

23.En ce qui concerne le cas du ressortissant de la République démocratique du Congo évoqué précédemment, M. Mavrommatis estime que les autorités luxembourgeoises devraient se borner à appliquer strictement les dispositions des articles 12 et 13 de la Convention et que cette affaire n’appelle pas l’ouverture d’une enquête.

24.Mme SCHAACK (Luxembourg) souligne en réponse aux observations de Mme Belmir que le Luxembourg a toujours accepté que le Comité européen pour la prévention de la torture effectue des visites d’inspection dans ses établissements pénitentiaires et ses centres socioéducatifs pour mineurs et rappelle que, comme indiqué dans le rapport (par. 154 à 156 et 163 et suiv.) et contrairement à ce qu’affirme la Corapporteuse, le Gouvernement a prévu de créer une unité de sécurité (UNISEC) pour mineurs en conflit avec la loi dont l’aménagement devrait commencer en 2008. L’article 26 de la loi de 1992 relative à la protection de la jeunesse (rapport, par. 166), qui autorise le placement d’un mineur en établissement pénitentiaire, n’est appliqué que très rarement, dans les cas où le mineur présente des troubles graves de comportement. Enfin, la durée de la mise à l’isolement cellulaire n’est nullement illimitée: elle ne peut excéder dix jours et, dans la pratique, elle n’est que de deux jours au maximum.

25.M. THEIS (Luxembourg) précise à ce propos que les dispositions autorisant la mise à l’isolement strict sont très rarement appliquées et que leur application est soumise à l’autorisation préalable du juge des mineurs. Les jeunes auxquels ces mesures sont imposées sont suivis de près par l’équipe psychosociale et psychopédagogique du centre de détention. Lorsque la délégation a qualifié la situation dans les centres de détention pour mineurs de désastreuse, elle avait à l’esprit la période allant jusqu’à la fin des années 90. Depuis lors, les conditions des mineurs privés de liberté se sont nettement améliorées grâce aux efforts fournis pour recruter du personnel spécialisé dans l’encadrement des jeunes délinquants. Les mineurs qui ont un comportement particulièrement perturbé sont placés dans des centres thérapeutiques situés dans des pays voisins et sont suivis à distance par le personnel du centre pénitentiaire du Luxembourg. En revanche, les cas les plus difficiles, notamment les mineurs particulièrement agressifs, sont traités au centre pénitentiaire du Luxembourg.

26.Tout en reconnaissant que toute forme de restriction des droits individuels doit faire l’objet d’une décision de justice, M. Theis précise qu’en droit interne, le régime cellulaire strict n’est que l’une des modalités d’exécution d’une peine donnée. Étant donné que le Code pénal luxembourgeois ne contient aucune disposition précisant le type de régime cellulaire à appliquer, le choix du régime cellulaire relève de la compétence des tribunaux administratifs, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe en la matière. Toutefois, les décisions de ces organes sont susceptibles de recours devant une juridiction administrative supérieure.

27.M. HEISBOURG (Luxembourg) indique que, d’ici à ce que le projet de loi interdisant les mutilations génitales féminines soit adopté, les personnes soupçonnées d’avoir pratiqué l’excision seront poursuivies en vertu des dispositions du Code pénal, dont l’article 400 réprime les coups et blessures ayant entraîné une mutilation grave. En outre, comme ce type d’acte est généralement commis avec préméditation, ce qui constitue une circonstance aggravante, la peine prévue est de cinq à dix ans de réclusion. Lorsque le Ministère public a connaissance d’une affaire d’excision pratiquée par un médecin, il en informe le collège médical, lequel peut prononcer des sanctions allant jusqu’à la radiation de l’ordre des médecins.

28.S’agissant de la compétence universelle active, M. Heisbourg précise que les tribunaux luxembourgeois peuvent juger toute personne soupçonnée d’avoir commis des actes de torture, que son extradition ait été demandée ou non. Il suffit pour cela que l’intéressé ait été appréhendé sur le territoire national.

Enfin, le droit des suspects aux services d’un avocat dès le premier interrogatoire est garanti à tous les stades de la procédure, aussi bien lors de l’interrogatoire mené par la police que lors de la première audition effectuée par le magistrat instructeur. Si nécessaire, un avocat commis d’office est mis à la disposition du suspect.

29.Mme SCHAACK (Luxembourg), tout en se félicitant du dialogue constructif noué avec le Comité, note que la discussion a montré que le système juridique interne et la position du Gouvernement luxembourgeois n’étaient pas toujours limpides aux yeux du Comité. La délégation veillera donc, lors de la présentation du sixième rapport périodique, à être aussi claire que possible sur ces points.

30.Le PRÉSIDENT remercie la délégation luxembourgeoise d’avoir apporté des réponses complètes aux questions des membres du Comité.

31. La délégation luxembourgeoise se retire.

La séance est suspendue à 16 h 35; elle est reprise à 16 h 45.

DÉCLARATION DE M. MAGAZZENI, DIRECTEUR DU GROUPE DES INSTITUTIONS NATIONALES DES DROITS DE L’HOMME AU HAUT‑COMMISSARIATDES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME

32.M. MAGAZZENI (Directeur du Groupe des institutions nationales des droits de l’homme, HCDH) dit que la Haut‑Commissaire aux droits de l’homme attache une grande importance à la création d’institutions nationales des droits de l’homme et au renforcement de ces institutions car, pour elle, elles sont le meilleur relais pour l’application au plan national des normes internationales relatives aux droits de l’homme en général et notamment pour le suivi dans les pays des recommandations formulées par les organes conventionnels. Lors de l’examen des rapports périodiques, ces organes devraient donc insister sur la nécessité pour les États parties de se doter d’institutions nationales régies par les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) et souligner, notamment, que ces institutions doivent jouir d’une totale indépendance, de façon à pouvoir jouer efficacement leur rôle, en particulier dans le domaine de la lutte contre la torture.

33.Comme l’a souligné la Haut-Commissaire adjointe aux droits de l’homme, Mme Mehr Khan Williams, lors d’un séminaire organisé en mai 2007 à Copenhague (Danemark), les institutions nationales des droits de l’homme sont appelées à être de plus en plus présentes, en particulier dans le domaine de la prévention de la torture, du fait de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à la Convention contre la torture. En effet, conformément aux Principes de Paris − auxquels le Protocole renvoie expressément − les institutions nationales sont habilitées à recevoir et à examiner des plaintes, à effectuer des visites dans les lieux de détention, à formuler des recommandations à l’intention du Gouvernement, du Parlement ou d’autres organes et à diffuser les résultats de leurs travaux en publiant leur rapport annuel.

34.Les activités du Groupe des institutions nationales du HCDH s’articulent autour de quatre axes stratégiques. Premièrement, le Groupe aide les États à mettre en place des institutions nationales des droits de l’homme et à renforcer celles qui existent déjà afin d’améliorer l’application des normes internationales relatives aux droits de l’homme au plan national. Deuxièmement, il suit de près le fonctionnement des institutions nationales afin de s’assurer de sa conformité avec les Principes de Paris. À cette fin, il a lancé en 2005 un projet intitulé «Actors for change»(Artisans du changement), qui a été exécuté en collaboration avec des organisations non gouvernementales et dans le cadre duquel des cours de formation à la prévention de la torture ont été organisés au plan régional ou dispensés à distance. Troisièmement, le Groupe s’efforce de favoriser les synergies entre les institutions nationales des droits de l’homme et le système des Nations Unies afin de combler les lacunes importantes en matière d’application des normes internationales. Les institutions nationales communiquent régulièrement des informations aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales et surveillent l’application au niveau national des recommandations formulées par les organes conventionnels. Les institutions nationales ayant un rôle vital à jouer dans la promotion de la ratification des instruments internationaux et dans l’établissement des rapports périodiques présentés aux organes conventionnels, M. Magazzeni invite les membres du Comité à se pencher sur les Conclusions de la Table ronde internationale sur le rôle des institutions nationales des droits de l’homme et des organes conventionnels organisée à Berlin en novembre 2006 (HRI/MC/2007/3), document qui leur a été distribué et dans lequel une approche commune est proposée en ce qui concerne l’engagement des institutions nationales des droits de l’homme créées conformément aux Principes de Paris dans l’action des organes conventionnels. Ce document doit d’ailleurs être examiné à la dix-neuvième Réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, qui aura lieu en juin 2007. Quatrièmement, le Groupe s’efforce de renforcer sa collaboration avec les institutions nationales dans le domaine de la prévention de la torture. À cette fin, un débat a été organisé sur cette question en marge de la dix-neuvième réunion du Comité international de coordination des institutions nationales de défense des droits de l’homme, tenue fin mars 2007. En outre, à la demande du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Groupe a envoyé un questionnaire aux institutions nationales qui doit lui permettre de dresser un bilan des activités de prévention en cours. Les 35 institutions qui y ont répondu à ce jour ont indiqué qu’elles avaient accès aux informations voulues, qu’elles étaient habilitées à recevoir des plaintes et à effectuer des visites dans les lieux de détention et qu’elles formulaient des recommandations à l’intention des autorités concernées. La plupart d’entre elles pouvaient rendre publiques leurs constatations et respectaient la confidentialité des informations qui leur étaient communiquées par les détenus.

35.En conclusion, M. Magazzeni dit que le Groupe des institutions nationales est déterminé à continuer de collaborer étroitement avec le Sous-Comité pour la prévention et le Comité contre la torture et encourage ce dernier à accepter les rapports parallèles établis par les institutions nationales et à laisser ces dernières intervenir le plus souvent possible dans le cadre de ses réunions.

36.Le PRÉSIDENT remercie M. Magazzeni de son exposé et invite les membres du Comité qui souhaitent faire des observations à prendre la parole. Il note que lors de ses trois précédentes sessions, le Comité a organisé des réunions d’information avec des représentants d’institutions nationales des droits de l’homme avant l’examen des rapports des États parties (il s’agissait en l’occurrence de ceux de la France, du Mexique et de la République de Corée). Tenues dans le cadre de séances plénières, ces réunions se sont avérées particulièrement utiles et il conviendrait certainement de maintenir cette pratique à l’avenir.

37.M. MARIÑO MENÉNDEZ dit qu’il n’a malheureusement pas disposé du temps nécessaire pour étudier le document HRI/MC/2007/3 de manière approfondie. Cela étant, il partage l’avis selon lequel les institutions nationales des droits de l’homme sont des instruments clefs dans la mise en place d’un véritable système international de promotion et de protection des droits de l’homme. En tant que responsable d’une organisation non gouvernementale espagnole, M. Menéndez a participé aux négociations concernant la création d’une commission nationale des droits de l’homme dans son pays. Malheureusement, faute d’accord entre les autorités espagnoles et les représentants de la société civile sur la question de l’étendue des compétences de la future instance, en particulier sur sa capacité de dénoncer les violations de droits de l’homme, les négociations sont actuellement dans l’impasse.

38.Pour ce qui est de la mise en œuvre par les États parties de leurs obligations au titre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, M. Menéndez dit que l’envoi d’un courrier à ces derniers afin de les encourager à mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture lui semble une mesure opportune. S’agissant de l’Espagne, il faut signaler que la structure du futur mécanisme national de prévention de la torture a d’ores et déjà été ébauchée dans ses grandes lignes, même si la question de savoir quel organe se verra confier la tâche d’effectuer les visites sur les lieux de détention n’a pas encore été tranchée. Cela étant, le véritable intérêt manifesté par les représentants de la société civile et par les responsables politiques, s’agissant à la fois de la création d’une institution nationale des droits de l’homme et de la mise en place d’un mécanisme national de prévention de la torture, donne à penser que les questions qui demeurent en suspens seront réglées dans un avenir proche.

39.M. GROSSMAN dit que le document dont est saisi le Comité (HRI/MC/2007/3) ayant été distribué tardivement, il n’a pas pu, lui non plus, l’étudier de manière approfondie. Néanmoins, il lui semble qu’il serait utile de le compléter par des informations concrètes sur ce qui peut être considéré comme étant les meilleures pratiques dans la mise en place d’institutions nationales des droits de l’homme. Des éléments d’information sur l’expérience de celles de ces institutions qui sont déjà opérationnelles seraient également particulièrement utiles.

40.M. MAGAZZENI (Directeur du Groupe des institutions nationales des droits de l’homme, HCDH) prend acte de la nécessité d’établir une compilation des meilleures pratiques concernant la mise en place d’institutions nationales des droits de l’homme. Il invite les membres du Comité à examiner en priorité la question du rôle que pourraient jouer ces institutions dans le suivi des observations finales et des recommandations des organes conventionnels et celle de leur rôle dans la diffusion de l’information sur les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme au sein des États Membres de l’ONU. Il importe que le Comité puisse faire valoir clairement son point de vue sur ces questions clés à l’occasion de la prochaine réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

41.Mme SVEAASS dit qu’effectivement les réunions d’information tenues par le Comité avec des représentants d’institutions nationales des droits de l’homme ont été particulièrement utiles. Dans ces conditions, il est regrettable qu’aucune réunion de ce type ne soit inscrite à l’ordre du jour des futures sessions du Comité et ce, malgré l’invitation permanente lancée aux institutions nationales des droits de l’homme. Il convient assurément d’encourager ces institutions à apporter leur concours aux travaux des différents organes conventionnels, non seulement en ce qui concerne l’examen des rapports des États parties mais également lors de l’examen des communications émanant de particuliers.

42.Mme Sveaass note par ailleurs que la structure et les modalités de fonctionnement des institutions nationales des droits de l’homme diffèrent considérablement d’un pays à l’autre, ce qui peut constituer un obstacle à une interaction fructueuse entre ces institutions et les organes conventionnels. Elle voudrait savoir si des mesures sont envisagées pour harmoniser les règles régissant le fonctionnement de ces organismes, s’agissant en particulier du traitement des plaintes relatives à des violations des droits de l’homme.

43.M. MAGAZZENI (Directeur du Groupe des institutions nationales des droits de l’homme, HCDH) dit qu’effectivement, la structure et les modalités de fonctionnement des institutions nationales des droits de l’homme peuvent présenter des différences notables d’un pays à un autre. Conscient de ce phénomène, le Groupe des institutions nationales des droits de l’homme du Haut-Commissariat a mis en place un sous-comité chargé de l’accréditation des institutions nationales des droits de l’homme afin de promouvoir l’observation de règles communes (à savoir, les Principes de Paris) lors de la mise en place de ces institutions. Le Comité pourrait lui‑même apporter sa pierre à cet édifice en invitant les institutions nationales des droits de l’homme, qui ne l’ont pas encore fait, à présenter une demande d’accréditation au Sous-Comité.

44.Mme BELMIR relève qu’au paragraphe 8 du document à l’examen (HRI/MC/2007/3), il est indiqué que les institutions nationales des droits de l’homme devraient apporter leur appui au renforcement des moyens dont disposent les organes des États chargés d’établir les rapports périodiques. Elle voudrait savoir ce qu’il faut entendre par «appui» et tient à attirer l’attention de M. Magazzeni sur le fait que les institutions nationales des droits de l’homme des pays en développement ne disposent pas forcément des ressources requises pour remplir une telle fonction.

45.M. MAGAZZENI (Directeur du Groupe des institutions nationales des droits de l’homme, HCDH) reconnaît que de manière générale la capacité des institutions nationales des droits de l’homme d’apporter leur concours à l’établissement des rapports périodiques dépend étroitement des ressources dont elles disposent. Elles peuvent dans cette optique envisager de renforcer leur coopération avec les organisations de la société civile œuvrant dans le domaine des droits de l’homme et solliciter l’assistance d’organismes du système des Nations Unies tels que le Programme des Nations Unies pour le développement. Ces questions ont été amplement débattues lors de la dernière réunion du Comité de coordination des institutions nationales des droits de l’homme, au cours de laquelle les participants se sont accordés sur le fait qu’une meilleure concertation entre les organisations de la société civile et les institutions nationales des droits de l’homme d’une part, et entre ces institutions et les institutions spécialisées du système des Nations Unies d’autre part, était un élément clef dans la mise en place d’infrastructures nationales efficaces en matière de promotion et de protection des droits de l’homme.

46.Le PRÉSIDENT invite les membres du Comité à étudier de manière plus approfondie le document à l’examen pour qu’ils puissent se prononcer sur les différents éléments qu’il contient à l’occasion d’une séance ultérieure du Comité.

La séance est levée à 17 h 30.

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