NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.7683 septembre 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑huitième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE PARTIEL DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 768e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 9 mai 2007, à 15 heures

Président: M. MAVROMMATIS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Cinquième rapport périodique de l’Ukraine (suite)

La séance est ouverte à 15 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Cinquième rapport périodique de l’Ukraine (CAT/C/81/Add.1; CAT/C/UKR/Q/5/Rev.1; CAT/C/UKR/Q/5/Rev.1/Add.1 (document en russe seulement); HRI/CORE/1/Add.63/Rev.1)

1.Sur l’invitation du Président, la délégation ukrainienne reprend place à la table du Comité.

2.Mme LUTKOVSKA (Ukraine) indique à propos de l’incorporation de la définition de la torture dans le droit interne qu’en janvier 2005, une loi portant modification de l’article 127 du Code pénal a été adoptée, conformément à laquelle le terme torture désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne au moyen de coups ou d’autres actes de violence aux fins notamment de la contraindre à commettre des actes contre son gré ou d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne (voir par. 3 des réponses écrites, CAT/C/UKR/Q/5/Rev.1/Add.1), l’auteur de ces actes peut être aussi bien un particulier qu’un fonctionnaire. En outre, le 24 janvier 2007, un projet de loi visant à incorporer à cette définition la notion de discrimination en tant que motivation d’actes de torture a été présenté au Parlement, qui l’examine actuellement et devrait l’adopter dans un avenir proche.

3.De plus, aux termes de l’arrêt rendu par la Cour suprême le 7 février 2003 sur la pratique judiciaire dans les affaires relatives aux atteintes à la vie et à l’intégrité physique des personnes, la torture est définie comme le fait de porter atteinte à l’intégrité physique et d’infliger des sévices répétés en utilisant des moyens tels que le feu, l’électricité, des acides, des substances radioactives ou toxiques causant des douleurs intolérables et de provoquer des souffrances psychiques (par des humiliations, des sévices psychologiques, etc.) en présence de proches de la victime.

4.Les fonctionnaires autres que les responsables de l’application des lois qui commettent des actes de torture peuvent être poursuivis non seulement en vertu de l’article 127 du Code pénal cité précédemment, mais aussi de l’article 365 dudit Code, qui incrimine les abus d’autorité. Conformément à la législation ukrainienne, le fait d’autoriser tacitement une personne à commettre des actes réprimés par le Code pénal, dont la torture, équivaut à participer à ces actes et est donc puni par la loi.

5.Concernant l’accès des non-ressortissants à l’aide juridictionnelle, Mme Lutkovska rappelle qu’en vertu de la Constitution, les étrangers et les apatrides jouissent des droits à la défense dans les mêmes conditions que les Ukrainiens. Les personnes qui ont besoin d’un défenseur peuvent bénéficier des services d’avocat du barreau de l’oblast (région) dans laquelle elles se trouvent ou, à défaut, à un avocat d’une autre oblast.

6.D’après les instructions que reçoivent les fonctionnaires des organes du Ministère de l’intérieur, les suspects doivent pouvoir informer leur famille de leur détention et, si cette obligation n’est pas respectée, des poursuites disciplinaires et administratives peuvent être engagées contre les responsables. Si le suspect est un non-ressortissant, il a le droit de contacter les services consulaires de son pays en Ukraine et il peut recevoir la visite d’un représentant de ces services. Au cas où il ne maîtrise ni le russe, ni l’ukrainien, un interprète doit être mis à sa disposition.

7.Par ailleurs, Mme Lutkovska rappelle que, conformément au Code de procédure pénale, le placement en garde à vue ne peut être ordonné que par un juge et, en vertu de la Constitution, sa durée est de soixante‑douze heures au maximum à compter de l’arrestation du suspect. Ce dernier a le droit d’être assisté par un avocat dès le début de la garde à vue mais un certain temps peut s’écouler avant qu’il puisse effectivement exercer ce droit, étant donné que l’avocat peut ne pas être immédiatement disponible. En outre, les suspects qui le demandent peuvent voir un médecin dès le début de la garde à vue.

8.Conscient des problèmes qui subsistent en Ukraine en matière d’accès à l’aide juridictionnelle, le Gouvernement a élaboré un projet visant à assurer gratuitement aux suspects les services d’un avocat; pour le moment, ce projet est exécuté à titre expérimental. Si les résultats sont concluants, il sera étendu à l’ensemble du pays.

9.Dans certains cas définis à l’article 165 du Code de procédure pénale, la durée de la garde à vue peut être prolongée par un juge jusqu’à quinze jours, si les besoins de l’enquête le justifient. Le gardé à vue peut faire appel de la décision du juge. En revanche, la législation ukrainienne ne fixe pas la durée minimale de la garde à vue. D’après des informations récentes fournies par la Procurature générale de Kiev, 15 % des cas sont réglés au bout de vingt‑quatre heures. Au cas où le délai de garde à vue n’est pas respecté, le suspect doit être immédiatement libéré et présenté à un juge, qui vérifie qu’il n’a pas été soumis à des méthodes illégales d’interrogatoire. Si le juge constate que le suspect a subi des sévices, il en tient compte pour la suite de la procédure.

10.En outre, dans certains cas prévus par le Code de procédure pénale, par exemple lorsqu’une reconstitution des faits est indispensable, les responsables de l’enquête peuvent demander à un juge d’ordonner que le suspect, s’il se trouve déjà dans les locaux de détention temporaire de la police, soit transféré dans une cellule de détention provisoire du Ministère de l’intérieur, où le suspect est gardé uniquement pendant la durée de l’enquête.

11.Mme Lutkovska précise qu’en Ukraine, le nom des services spéciaux d’intervention est «Berkut» et non «OMON», ce terme désignant les services spéciaux russes. Le «Berkut» ne prend aucune décision en matière d’arrestation et ne fait qu’exécuter les ordres des tribunaux. En 2006, il a arrêté 13 128 personnes soupçonnées de diverses infractions. Les personnes arrêtées par le «Berkut» ne sont pas traitées différemment de celles qui ont été arrêtées par d’autres organes de la force publique.

12.La formation des médecins qui travaillent en hôpital et celle des praticiens employés dans les prisons sont identiques. Ces derniers ne reçoivent donc pas de formation spécifique. Les cadres supérieurs de la police sont formés quant à eux dans des établissements d’enseignement supérieur relevant du Ministère de l’intérieur. Ils suivent obligatoirement des cours de droit et, bénéficient aussi d’une formation continue. Les méthodes d’interrogatoire sont définies très strictement dans le Code de procédure pénale et font l’objet d’un cours spécifique dans le cadre de la formation des cadres de la police.

13.Pour ce qui est de l’attitude des forces de l’ordre lors des rassemblements, Mme Lutkovska juge encourageante la façon dont la police a réagi au cours des manifestations politiques de mars 2003 et de novembre 2004, car elles n’ont pas été marquées par des incidents graves. Les règles que la police ukrainienne doit observer dans ce contexte sont les mêmes que dans d’autres pays: tant que la foule demeure pacifique, les forces de l’ordre ne sont pas censées recourir à des moyens de contrainte. En revanche, s’il y a des débordements et que la situation risque de dégénérer, la police peut recourir à la force, en en faisant un usage aussi modéré que possible. Si une personne estime que les moyens qui ont été employés par la police à son égard étaient disproportionnés, elle peut porter plainte et le procureur demande qu’un examen médico‑légal soit effectué. S’il s’avère que les mesures étaient effectivement excessives, le responsable fait l’objet de poursuites.

14.Concernant le problème du bizutage au sein de l’armée, Mme Lutkovska indique que cette pratique n’est pas définie en tant que telle dans le Code pénal mais que les auteurs d’actes de ce type peuvent être poursuivis au titre des dispositions du chapitre XIX du Code pénal consacrées aux infractions commises au sein de l’armée, en particulier l’article 406 (violation des règles régissant les rapports entre soldats de même rang) et l’article 424 (abus d’autorité par un supérieur hiérarchique résultant de l’utilisation de méthodes illégales de contrainte).

15.En 2006, 73 cas de bizutage ont été signalés, soit 12 % de moins qu’en 2005 et 58 % de moins qu’en 2004. Aucun cas de suicide en lien avec des actes de bizutage n’a été recensé. En outre, le Ministère de la défense a mis en service une ligne téléphonique d’urgence permettant aux victimes de bizutage ou à leurs proches de porter plainte. Ainsi, en 2007, une mère de soldat a utilisé cette ligne téléphonique pour signaler que son fils était hospitalisé dans un établissement civil, alors qu’il aurait dû se trouver dans un hôpital militaire, son commandant tentant de dissimuler de la sorte les lésions graves résultant des mauvais traitements qu’il avait subis. L’enquête qui a été menée dans cette affaire a permis de confirmer que les lésions étaient des séquelles de sévices et, en conséquence, le commandant concerné a fait l’objet de poursuites disciplinaires. Dans une autre affaire survenue à la fin de 2006, un soldat s’est servi de la ligne d’urgence pour indiquer à l’administration territoriale de Crimée qu’il avait été passé à tabac par d’autres soldats. L’enquête ayant montré que ses allégations étaient fondées, le tribunal a condamné les deux soldats mis en cause à deux mois d’emprisonnement.

16.En ce qui concerne la violence sexuelle contre les femmes en prison, il convient de souligner que les détenues ont un droit illimité de déposer plainte, c’est-à-dire qu’il n’existe aucune restriction quant au nombre et la fréquence des plaintes qu’elles peuvent soumettre. Cependant, aucune plainte pour violences sexuelles n’a été soumise à l’administration pénitentiaire depuis 2004.

17.L’unité spéciale du Département national de l’application des peines a été créée en vue de maintenir l’ordre dans les lieux de détention et de lutter contre la création de réseaux criminels au sein des établissements pénitentiaires. Elle peut être amenée à faire des perquisitions dans les prisons ou à assurer la sécurité du transfert de détenus entre la prison et d’autres lieux. Tout récemment, une unité de ce type a dû intervenir dans une colonie pénitentiaire de l’oblast de Vinnitsa, où une mutinerie avait éclaté. Une fois l’ordre rétabli, tous les détenus ont été examinés par un médecin et ont pu rencontrer le procureur chargé de la surveillance de cette colonie. Ceux qui le souhaitaient ont pu porter plainte, ce qui a été fait par deux détenus mais les résultats de l’enquête n’ont pas fait apparaître de violations graves des droits des plaignants.

18.La pratique de l’extradition en Ukraine est régie par la Convention européenne des droits de l’homme et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui prévoient l’obligation pour les États parties de respecter le principe de non-refoulement. Lorsque l’Ukraine reçoit une demande d’extradition, la Procurature générale et le Ministère de la justice demandent aux organes de l’État requérant des assurances quant au respect des droits fondamentaux de l’individu dont l’extradition est demandée, et l’extradition n’a lieu que si ces assurances sont reçues. Toutefois, la personne qui fait l’objet de la demande peut former un recours, lequel a un effet suspensif sur l’exécution de la décision d’expulsion.

19.Le Comité s’est interrogé sur l’efficacité des enquêtes, à propos notamment d’une affaire soumise à la Cour européenne des droits de l’homme (Afanassiev c. Ukraine). La réponse officielle du Gouvernement à ce sujet est la suivante: des poursuites ont effectivement été engagées au pénal à la suite d’une plainte de M. Afanassiev concernant un abus de pouvoir de la part d’un membre de la Direction de l’intérieur de la région de Kharkiv. L’affaire a été examinée par plusieurs procureurs, l’instruction ayant été interrompue à plusieurs reprises. De guerre lasse, M. Afanassiev s’est adressé à la Cour européenne des droits de l’homme qui a estimé qu’il y avait eu torture, que l’État avait enfreint ses obligations au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et qu’il y avait eu absence de recours effectif. En mai 2006, une nouvelle enquête a été ouverte, mais elle s’est soldée par un non‑lieu pour absence des éléments constitutifs de l’infraction (art. 6 du Code de procédure pénale). L’ordonnance de non‑lieu a été cassée en juillet 2006 par la Procurature de Kharkiv, qui a rouvert l’enquête; mais celle‑ci a été suspendue, le coupable n’ayant pu être identifié. L’affaire en est donc restée là et le Procureur général estime qu’il n’y a pas de raison de revenir sur cette décision.

20.L’Ukraine attache beaucoup d’importance au Protocole d’Istanbul. Toute personne ayant subi un préjudice corporel à la suite d’un litige domestique ou en raison des agissements d’un membre de la police par exemple peut s’adresser au Procureur pour qu’il demande une expertise médicale; les examens médicaux pratiqués en Ukraine en pareil cas sont conformes aux exigences du Protocole d’Istanbul. Le médecin chargé de l’évaluation médicale, choisi sur une liste de médecins légistes habilités auprès des tribunaux, est totalement indépendant de la police et de la Procurature. Il procède à l’examen et rédige son rapport, sur lequel le Procureur se fondera pour engager ou non des poursuites. Seuls le Procureur et le tribunal peuvent demander à un médecin légiste de procéder à un tel examen médical.

21.La situation est plus complexe si la victime présumée se trouve dans un établissement pénitentiaire. En pareil cas, ou bien le médecin de la prison constate les lésions lors d’un examen de routine, ou bien le détenu demande à se faire examiner par lui. Le médecin est tenu de consigner l’existence des lésions observées dans le registre prévu à cet effet et en avise le directeur de la prison, qui a le droit d’ouvrir une enquête et de saisir le Procureur. Ce dernier peut alors soumettre le cas à un expert médical légiste, qui se fondera ou non sur les constatations du premier médecin pour se faire une opinion et établir un rapport, à la lumière duquel le Procureur décidera d’engager ou non des poursuites.

22.En 2004, le Département de l’application des peines a créé une commission d’observation œuvrant au sein du Département mais aussi dans les régions. Cette commission se compose de personnalités éminentes et notamment de représentants d’organisations non gouvernementales et de défense des droits de l’homme; y sont également représentés l’Église orthodoxe, les forces armées, l’Association des psychiatres, les milieux universitaires et le Comité ukrainien de défense des enfants. Les antennes régionales comptent aussi obligatoirement en leur sein des militants des droits de l’homme car lorsqu’il travaille sur des dossiers confidentiels, le Département tient à œuvrer dans la plus grande transparence pour ne pas prêter le flanc à la critique et susciter le doute.

23.Les groupes mobiles de surveillance attachés au Ministère de l’intérieur ont été créés voici quelques années à l’initiative de défenseurs des droits de l’homme et d’universitaires de Kharkiv, dans le but de davantage associer la société civile à la démocratisation des Services de l’intérieur et de veiller au respect des droits et libertés constitutionnels afin de faciliter la participation de l’Ukraine au processus d’intégration européenne. Un décret du Ministère de l’intérieur réglemente l’activité de ces groupes mobiles, qui se composent de défenseurs des droits de l’homme mais aussi de fonctionnaires du Ministère de l’intérieur qui doivent veiller à ce que le personnel du Ministère applique la loi, jouant ainsi le rôle de «police des polices». En 2005 et 2006, ces groupes mobiles se sont rendus dans plus de 90 centres de détention provisoire, soit un sur six. À la fin de 2006, une formation a été dispensée à quelque 120 membres de ces groupes, des normes ont été établies pour la rédaction des rapports, un code de déontologie a été préparé et les groupes mobiles ont été dotés d’un organe de suivi des droits de l’homme s’inspirant des travaux du Département des droits de l’homme de l’Université de Kharkiv. Avant toute visite dans un centre de détention, le groupe mobile en avise le Ministère ou le directeur de l’établissement en question. Les membres du groupe se rendent dans les cellules, examinent le registre d’écrou, vérifient la durée de la détention, etc. Ils peuvent s’enquérir de la qualité de la nourriture, de l’accès des détenus à un médecin, à un avocat, à leur famille. Ils ont un rôle de surveillance et non de répression, si bien qu’il n’est pas possible d’indiquer combien de personnes ont été sanctionnées du fait de leur activité: leur but n’est pas de condamner, mais d’infléchir la politique de l’État.

24.Les fonctionnaires du Ministère de l’intérieur n’ont pas le droit de conserver par‑devers eux des objets susceptibles d’être utilisés aux fins de torture. En 2004, le Ministère a publié une instruction en ce sens, et une commission spéciale a été chargée de se rendre dans tous les services pour confisquer le matériel − matraques, menottes, etc. − pouvant servir à la torture. Les fonctionnaires ne peuvent se voir délivrer certains équipements que s’ils leur sont nécessaires pour s’acquitter de leurs fonctions, et pour un usage autorisé. La situation n’est bien sûr pas parfaite. Chaque policier en contact avec la population, par exemple, est en possession de menottes, ce qui est nécessaire à son activité opérationnelle. La véritable solution est de s’employer à modifier les comportements. Mme Lutkovska présente quelques données concernant les condamnations de membres des forces de l’ordre entre 2001 et 2006, dont il ressort que quelque 180 agents du Ministère de l’intérieur ont été poursuivis en 2001 pour abus d’autorité, faux, corruption, etc., contre 146 en 2005 et 179 en 2006. Les poursuites pour meurtre, voies de fait, torture, viol, etc., ont été au nombre de 63 en 2001 et de 39 en 2006. Plus généralement, les poursuites pénales engagées contre des agents du Ministère de l’intérieur pour abus de pouvoir et violence ont sensiblement augmenté entre 2001 et 2006.

25.Des éclaircissements ont été demandés au sujet de la sanction infligée par un tribunal à un agent de l’État, sanction qui serait inférieure à la peine minimale prévue pour les actes de torture; le pouvoir judiciaire étant indépendant, le Gouvernement ne saurait commenter la décision d’un tribunal. Enfin, des membres du Comité se sont intéressés aux activités du Médiateur et ont demandé si celui‑ci était indépendant. La législation ukrainienne lui confère effectivement une totale indépendance, son seul lien avec les autorités de l’État étant l’obligation qui lui est faite de faire rapport chaque année sur la situation des droits de l’homme dans le pays. Ses compétences sont vastes en matière de défense de droits de l’homme et il a notamment accès à tous les établissements pénitentiaires, centres de détention provisoire, services du Ministère de l’intérieur et du Département de l’application des peines. Il peut saisir les procureurs, les tribunaux et la Cour constitutionnelle. Pour donner un exemple parmi bien d’autres, un ressortissant ukrainien travaillant pour les services de sécurité à Lvov a été battu à mort par des agents de ces services, qui voulaient l’obliger à s’accuser d’un meurtre. Ses proches n’ont obtenu aucune explication des services de sécurité et aucun dédommagement, jusqu’au moment où le Médiateur s’est saisi de l’affaire, à la suite de quoi le tribunal a décidé de dédommager la famille et de sanctionner les auteurs de ce crime.

26.Mme GAER (Rapporteuse pour l’Ukraine) revient sur le cas des 11 demandeurs d’asile ouzbeks renvoyés en Ouzbékistan pour illustrer l’existence d’importantes déficiences structurelles au sein du système judiciaire. Elle est particulièrement préoccupée par le fait que le ministère public semble n’être soumis à aucun contrôle. À ce sujet, elle rappelle qu’au moment de son adhésion au Conseil de l’Europe en 1995, l’Ukraine s’était engagée à réformer le rôle du ministère public afin d’en assurer la conformité avec les normes européennes et qu’en 2005, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait constaté dans une résolution que rien n’avait été fait dans ce sens. Il serait intéressant de connaître la position du Gouvernement actuel à ce sujet et de savoir si des mesures ont été préconisées pour soumettre les services du ministère public à une certaine forme de surveillance. Des précisions concernant le rôle potentiel du Parlement à cet égard seraient utiles, en particulier dans le contexte d’affaires très controversées comme celle de la disparition du journaliste Géorgiy Gongadze. En ce qui concerne les unités spéciales du Ministère de l’intérieur, des précisions concernant leur composition et le champ de leurs activités seraient les bienvenues.

27.Mme Gaer réitère sa demande de précisions concernant la nature des violences qui ont conduit au décès de 73 militaires en 2006 et les raisons pour lesquelles aucun de ces incidents n’a fait l’objet d’une procédure judiciaire. Par ailleurs, il ressort des réponses écrites que les personnes incarcérées dans les centres de détention provisoire et dans les colonies pénitentiaires ont la possibilité de présenter des plaintes en vue du réexamen, une fois par mois, de certaines décisions relatives à leur traitement (par exemple en cas de placement en cellule d’isolement). Dans ses explications orales, la délégation a mentionné une fréquence plus élevée. Qu’en est‑il exactement?

28.Mme Gaer voit dans les groupes mobiles de surveillance (mobile groups) une initiative très positive qu’il faut encourager. Dans cette perspective, elle demande si le Gouvernement a l’intention de pérenniser cette pratique, par exemple en l’intégrant au mécanisme national de prévention devant être mis en place en application du Protocole facultatif à la Convention. En ce qui concerne l’accès à un avocat, la délégation a indiqué que l’aide juridictionnelle était garantie par l’État. Toutefois, selon certaines sources, il est fréquent que les avocats commis d’office refusent les affaires qui leur sont soumises parce qu’ils ne sont pas suffisamment bien rémunérés. Des mesures, notamment financières, ont‑elles été prises pour remédier à cette situation? À titre d’indicateur de l’efficacité du système judiciaire, il serait utile de disposer de statistiques concernant le nombre de personnes placées en détention avant jugement, le nombre de personnes jugées et, parmi celles-ci, le nombre de celles qui ont été condamnées.

29.Les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et de diverses organisations non gouvernementales dénoncent l’inertie de la police dans les affaires de violences racistes, en particulier contre les Roms, qui se traduit dans la plupart des cas par le classement sans suite des plaintes des victimes. Là encore, il s’agit d’un problème qui met en évidence des lacunes graves dans le fonctionnement des services du ministère public. En ce qui concerne les conditions de détention, il serait utile que la délégation fournisse davantage de précisions sur les mesures concrètes prises pour remédier à la surpopulation et prévenir et traiter la tuberculose et le sida dans les lieux de détention. Des statistiques concernant le nombre de cas de tuberculose et de personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida seraient également les bienvenues.

30.M. KOVALEV (Corapporteur pour l’Ukraine) note que, selon la législation ukrainienne, les actes de torture s’entendent d’actes par lesquels sont infligées des blessures graves. Il faudrait préciser ce que recouvre exactement cette notion, même s’il est clair qu’elle est de toute façon trop restrictive pour être conforme à la définition énoncée à l’article premier de la Convention. Concernant le contrôle des foules par les forces de l’ordre, une formation spéciale axée notamment sur les techniques de communication et la prévention des débordements devrait impérativement être dispensée au personnel affecté à ce type d’activités. Le personnel médical travaillant en milieu pénitentiaire devrait également recevoir une formation spécifique pour être capable de rechercher et de reconnaître les signes de la torture, dont on sait qu’ils ne sont pas toujours extérieurement visibles.

31.Mme BELMIR insiste sur le fait que la stricte limitation de la durée de la garde à vue à soixante‑douze heures ne constitue nullement une garantie contre le risque que la personne gardée à vue soit soumise à des actes de torture. Plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales font état de cas d’extorsion d’aveux par de telles méthodes pendant la garde à vue. En ce qui concerne le rôle du ministère public, Mme Belmir note avec satisfaction qu’un projet de réforme visant à rendre les méthodes de ce dernier conformes aux normes juridiques internationales est actuellement examiné. Elle espère que cette réforme rééquilibrera les pouvoirs en faveur des juges afin que ceux‑ci puissent jouer pleinement leur rôle.

32.M. MARIÑO MENÉNDEZ remarque que l’État partie fait référence dans son rapport (par. 156) à une catégorie de pays dits à risque migratoire dans le contexte de l’expulsion d’étrangers ayant enfreint la législation ukrainienne. Dans le cadre de l’application de la Convention, la catégorisation des pays se fait traditionnellement selon le degré de risque qu’ils présentent relativement à la pratique de la torture . Il importe donc de savoir si la procédure d’expulsion devient automatique au seul motif que les intéressés proviennent d’un pays à risque migratoire, auquel cas il pourrait y avoir violation de l’article 3. Il serait également utile de savoir si l’État partie sollicite parfois des assurances diplomatiques préalablement à l’expulsion d’étrangers vers des pays tiers.

33.Mme SVEAASS, revenant sur la situation des demandeurs d’asile, dit qu’il s’agit d’une vaste question qui ne doit pas être envisagée sous ses seuls aspects juridiques. À cet égard, il serait utile de savoir si le Gouvernement prévoit de mettre en œuvre un programme d’action global visant à garantir aux demandeurs d’asile et à leur famille l’accompagnement juridique, social et médical dont ils ont besoin, notamment au moyen de structures d’accueil adaptées et d’une plus grande coopération entre les différentes autorités compétentes.

34.Mme LUTKOVSKA (Ukraine) dit, à propos de l’expulsion de 11 demandeurs d’asile ouzbeks vers leur pays d’origine le 14 février 2007, que les intéressés se trouvaient en situation irrégulière sur le territoire ukrainien lorsqu’ils avaient été arrêtés par la police. Une enquête menée par les services compétents du Ministère de l’intérieur a révélé que ces personnes étaient liées à une organisation terroriste internationale. Le statut de réfugié leur a donc été refusé et des mesures d’expulsion ont été prises à leur encontre. La légalité de ces décisions au regard du droit interne ne fait aucun doute. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont conformes au droit international et, notamment, l’article 3 de la Convention contre la torture. Cette constatation a mené l’Ukraine à prendre des dispositions pour mettre sa législation en conformité avec les règles du droit international applicables en la matière et éviter à l’avenir que des personnes soient expulsées vers un pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’elles risquent d’être torturées.

35.S’agissant des unités spéciales d’intervention du Ministère de l’intérieur, il convient de préciser qu’elles sont composées d’hommes d’élite, dont la plupart ont bénéficié d’une formation spéciale qui leur a été dispensée dans l’optique des opérations de maintien de la paix au Kosovo. Ces fonctionnaires ont vocation à intervenir dans le contexte de situations particulièrement graves et agissent sous le contrôle de la Procurature générale.

36.Pour ce qui est des plaintes faisant état d’actes de torture subis par des détenus, Mme Lutkovska rappelle qu’en vertu de l’article 22 de la loi sur l’application des peines, de l’article 44 de la loi sur les services de la Procurature générale et de l’article 22 de la loi sur la détention provisoire, le Procureur général et ses substituts ont l’obligation de se rendre au moins une fois par mois dans les établissements pénitentiaires afin de recueillir les plaintes émanant de détenus. Les allégations des plaignants sont consignées par écrit et transmises aux autorités compétentes, à savoir, la Procurature générale ou le Médiateur des droits de l’homme.

37.En ce qui concerne les groupes mobiles de surveillance, qui sont composés de représentantsd’organisations de protection des droits de l’homme et de divers ministères, les membres du Comité doivent savoir que leur statut juridique ne sera pas modifié et qu’ils conserveront toute la marge de manœuvre dont ils bénéficient aujourd’hui pour effectuer des visites dans les lieux de détention. Il est exact qu’étant informées au préalable de la visite des groupes mobiles, les autorités pénitentiaires peuvent être tentées de transférer vers un autre établissement pénitentiaire tout détenu ayant subi des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cela étant, les groupes mobiles de surveillance peuvent consulter les registres de la prison sur lesquels les autorités pénitentiaires sont tenues de consigner tout transfert de détenu.

38.Pour ce qui est de l’accès aux services d’un avocat, l’Ukraine n’épargne aucun effort pour mettre en place un système d’aide juridictionnelle gratuite mais les autorités se heurtent à des difficultés en la matière. Le faible montant de la rémunération des avocats commis d’office, par comparaison avec les honoraires qu’ils perçoivent dans le cadre de leurs activités ordinaires, a pu effectivement conduire plusieurs d’entre eux à refuser de s’occuper de certaines affaires. À cet égard, il y a lieu de signaler qu’il a été décidé que tout avocat qui refuserait à l’avenir de traiter un dossier soumis par le service de l’aide juridictionnelle pourra être radié de l’ordre des avocats.

39.L’Ukraine déploie d’importants efforts pour modifier les attributions de la Procurature générale qui sont actuellement trop vastes. Un pas important a été franchi dans ce sens avec la mise en place d’une commission nationale composée de représentants d’organisations non gouvernementales et de juristes, chargée de formuler des recommandations sur les grandes lignes de la réforme. Il est vrai que le fait que la Procurature générale soit actuellement investie d’un double mandat (consistant à la fois à engager les poursuites et à veiller au bon déroulement des enquêtes) pose bien des problèmes au regard des obligations internationales et régionales de l’Ukraine.

40.Pour ce qui est de l’amélioration des conditions de détention, il y a lieu de signaler l’adoption d’un programme de rénovation des établissements pénitentiaires et d’un autre portant sur la construction de nouveaux centres de détention. En outre, la législation relative au traitement des détenus a été modifiée afin qu’elle soit en conformité avec les instruments internationaux applicables en la matière, notamment l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Des mesures ont également été adoptées pour favoriser l’application par les tribunaux de peines non privatives de liberté de façon à réduire la surpopulation carcérale. L’Ukraine souhaiterait aller plus vite dans l’amélioration des conditions de détention mais cela n’est malheureusement pas possible en raison du manque de ressources. Il convient de signaler dans un autre contexte que l’Ukraine n’épargne aucun effort pour assurer la formation des forces de police aux méthodes de maîtrise des foules. Il lui serait, à cet égard, très utile de pouvoir bénéficier d’une assistance internationale dans ce domaine.

41.M. KHANIUKOV (Ukraine) dit, en ce qui concerne les mesures prises pour prévenir le sida et traiter les personnes atteintes de cette maladie dans les lieux de détention, que le Département de l’application des peines du Ministère de la justice met en œuvre des programmes de prévention de l’infection par le VIH dans les établissements pénitentiaires. Un travail d’information et de sensibilisation est mené à la fois auprès du personnel et des détenus. Les détenus séropositifs purgent leur peine de la même manière que les autres mais, lorsque leur santé se dégrade, ils sont transférés vers des centres hospitaliers pour détenus. À l’heure actuelle, la population carcérale compte 4 700 détenus séropositifs.

42.Des mesures sont également mises en œuvre pour prévenir et traiter la tuberculose dans les lieux de détention. À ce propos, toutes les personnes privées de leur liberté sont soumises à un test obligatoire de dépistage de cette maladie. Les personnes atteintes de tuberculose sont soignées dans 10 sanatoriums pour détenus. Les mesures prises par le Gouvernement ont permis de réduire de 2,7 % le nombre de malades. Il convient enfin de signaler qu’à l’issue de la visite qu’il a effectuée en Ukraine en 2005, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a estimé que les conditions sanitaires dans les lieux de détention ukrainiens s’étaient considérablement améliorées au cours des cinq années passées.

43.Le PRÉSIDENT dit que le Comité sait gré à la délégation d’avoir répondu aux questions de ses membres et qu’il lui communiquera ultérieurement ses conclusions et recommandations.

44.Mme LUTKOVSKA se félicite du dialogue qui vient de se dérouler et fait savoir que l’Ukraine fera parvenir ultérieurement au Comité par écrit des renseignements complémentaires.

La partie publique de la séance prend fin à 17 h 30.

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