NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/SR.470

15 mai 2001

Original : FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt-sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE) *

DE LA 470ème SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,

le mercredi 9 mai 2001, à 10 heures

Président : M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial du Kazakhstan

________________

* Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.470/Add.1.

________________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Kazakhstan (CAT/C/47/Add.1)

1.Sur l'invitation du Président, la délégation kazakhe, composée de M. Abdildin, M. Rogov, M. Danenov et M. Akhmetov, prend place à la table du Comité.

2.M. ABDILDIN (Kazakhstan) indique que le rapport initial du Kazakhstan a été élaboré conjointement par la Commission des droits de l'homme près le Président de la République, les Ministères de la justice et de l'intérieur, le Bureau du Procureur général et le Comité de la sécurité nationale.

3.Le Kazakhstan s'est engagé sur la voie de la démocratie, promulguant ces dernières années toute une série de textes législatifs pour protéger les droits de l'homme, dont la Constitution de 1995, qui contient 30 articles consacrés aux droits fondamentaux des citoyens, le Code pénal de 1997, le Code de procédure pénale de la même année et le Code relatif à l'exécution des peines de 1998, qui prévoient tous trois des peines en cas d'actes de torture commis sur le territoire kazakh, la loi sur la détention provisoire des suspects et des inculpés, la loi sur la protection des parties à un procès pénal, l'ordonnance portant création d'une commission interinstitutions chargée de la réforme du système pénitentiaire et le décret du plénum de la Cour suprême de juillet 1999 sur l'indemnisation des victimes d'infractions commises par les fonctionnaires de l'administration publique responsables de la conduite de la procédure pénale. Depuis son accession à l'indépendance il y a dix ans, le Kazakhstan a, d'autre part, ratifié plus de 20 instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, qui ont été incorporés dans la législation interne.

4.La protection judiciaire contre la torture est assurée par des tribunaux indépendants dont l'action n'est soumise qu'à la Constitution et aux lois. Une nouvelle loi constitutionnelle concernant l'organisation de la magistrature et le statut des juges est entrée en vigueur en décembre 2000. Elle garantit l'indépendance des tribunaux par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif.

5.La Constitution, le Code de procédure pénale et la loi sur les activités des avocats de 1997 offrent une protection contre le risque de torture en garantissant à toute personne arrêtée un accès immédiat à un avocat ou le droit de recevoir la visite d'un membre de sa famille. En outre, le parquet est tenu d'assurer la surveillance du respect des droits de l'homme par les organes chargés de l'instruction, les services administratifs responsables de l'exécution des peines et l'administration pénitentiaire.

6.Par ailleurs, conformément à la Constitution et aux obligations internationales contractées par le Kazakhstan, le Parlement a décidé de placer les établissements pénitentiaires sous la responsabilité du Ministère de la justice et non plus sous celle du Ministère de l'intérieur. Seuls les centres de détention temporaire (IVS) et les centres de détention pour les détenus en attente de jugement (SIZO) sont encore du ressort du Ministère de l'intérieur, le transfert des compétences de ce ministère au Ministère de la justice s'effectuant par étapes. Un département chargé de l'administration des établissements de détention provisoire (IVS et SIZO) a été créé au sein du Ministère de l'intérieur. Il aura pour tâche de prendre les mesures nécessaires pour améliorer les conditions de détention et défendre les droits des détenus.

7.Pour ce qui est de l'enseignement dans le domaine des droits de l'homme, des séminaires de formation et des cours à l'intention du personnel pénitentiaire et des forces de l'ordre sont régulièrement organisés avec l'aide du PNUD et du Haut-Commissariat aux droits de l'homme.

8.La législation de l'État partie ayant érigé la torture en infraction, les aveux obtenus par ce moyen ne peuvent être retenus comme élément de preuve dans une procédure. De plus, d'après la loi pénale la responsabilité d'une personne qui commet un acte de torture est engagée, même lorsque le pays est en état de guerre. Par ailleurs, un projet de loi portant création d'un poste de médiateur est actuellement examiné, notamment par des experts de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Si ce texte est adopté, il contribuera à assurer une protection contre la torture. Enfin, M. Abdildin note que l'État partie se trouvant dans une situation de transition vers la démocratie, il reste encore beaucoup à faire dans le domaine des droits de l'homme, mais le Gouvernement a une volonté réelle de progresser dans cette voie.

9.M. ROGOV (Kazakhstan) signale que le rapport a été établi en collaboration avec des organisations non gouvernementales et que toutes leurs propositions et observations y sont reflétées.

10.Le nouveau Code pénal en vigueur depuis 1998 contient toute une série de dispositions visant à protéger le droit à la vie et à la santé des personnes arrêtées et qu'il confère aux victimes de mauvais traitements et d'actes de torture le droit d'être indemnisées par l'État. Comme indiqué par M. Abdildin, toute personne privée de liberté a accès à l'assistance d'un défenseur dès son arrestation. De même, les témoins ont la possibilité, s'ils le souhaitent, de ne faire de déclaration qu'en présence de leur avocat et, conformément à la Constitution, nul ne peut être contraint à témoigner contre lui‑même, son conjoint ou ses proches.

11.Une attention particulière est accordée dans la législation pénale aux normes relatives aux mesures de contrainte prises avant le début de la procédure. Toute personne soupçonnée d'une infraction et privée de liberté peut prévenir sa famille dans les 12 premières heures de sa détention. Dans les 72 heures qui suivent l'interpellation d'un suspect, un mandat d'arrêt doit lui être présenté, faute de quoi l'intéressé sera immédiatement libéré. En outre, toute personne a le droit de contester la prolongation de sa détention ainsi que toute décision du juge d'instruction et du procureur chargé de surveiller le déroulement de la procédure. Par ailleurs, une attention particulière est accordée au respect des droits et libertés des citoyens juridiquement incapables, les mineurs et les personnes irresponsables.

12.Quant au Code de procédure pénale, il prévoit toute une série de mécanismes permettant de contrôler le déroulement de la procédure judiciaire afin d'empêcher que des méthodes illégales soient employées. C'est ainsi que les dispositions relatives à l'établissement des faits habilitent toute partie à un procès à demander que différentes phases de l'enquête soient enregistrées sur cassette audio ou vidéo. Afin de répondre à de nouveaux besoins en matière judiciaire, un nouveau type d'expertise a été institué en 1999 : l'expertise psychologique, qui permet, au moyen d'enregistrements vidéo et parfois audio, de déterminer l'état mental d'une personne à divers moments de la procédure.

13.Le Gouvernement a adopté en janvier 2001 un programme d'amélioration de l'infrastructure matérielle et technique de l'ensemble du système pénitentiaire. En outre, depuis 1998, une collaboration active s'est instaurée entre les établissements pénitentiaires kazakhs et des organisations internationales humanitaires. Entre 1998 et 2000, de concert avec une organisation s'occupant de la réforme des prisons et une association néerlandaise de lutte contre la tuberculose, un programme de soins aux détenus souffrant de cette maladie a été lancé dans les établissements pénitentiaires de la région de Pavlodarsk. D'autre part, des membres du personnel pénitentiaire ont participé à des cours de formation donnés par des experts internationaux qui se sont fondés sur l'exemple des prisons polonaises.

14.Un projet étalé sur cinq ans consacré à la réforme des prisons à des instructeurs de l'administration pénitentiaire dans le domaine des droits de l'homme et la planification stratégique a commencé en 2000.

15.Par ailleurs, il est envisagé de créer un département de la justice pour mineurs et de fixer les normes requises pour assurer son efficacité. Il est également prévu, conformément à la Constitution de 1998, que des jurés participent aux procès dans un avenir proche et que les juges se spécialisent dans différents domaines. Le Kazakhstan a en outre l'intention de ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et les protocoles facultatifs s'y rapportant ainsi que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

16.M. YAKOVLEV (Corapporteur pour le Kazakhstan) dit que, ses remarques portant sur la première partie de la Convention, il a décidé, d'un commun accord avec Mme Gaer, Rapporteur pour le Kazakhstan, de prendre la parole le premier. Il se félicite du rapport et de la présentation orale, qui montrent que le Kazakhstan a pris des mesures concrètes pour exclure tout risque de recours à la torture dans ses systèmes de police et pénitentiaire. Toutefois, comme il s'agit d'une jeune république, certaines influences du passé subsistent.

17.La définition de la torture prévue dans le Code pénal de l'État partie n'est pas entièrement conforme à celle figurant à l'article premier de la Convention. En effet, le libellé du Code pénal ne fait pas apparaître le caractère spécifique de la torture et ne montre pas en quoi ce type de violence se distingue d'autres voies de fait. Un des éléments distinctifs de la torture, telle qu'elle est définie dans la Convention, à savoir l'identité de l'auteur en tant qu'agent de l'État n'apparaît pas dans la législation de l'État partie. Les modalités d'obtention des aveux sont certes importantes mais il y a aussi d'autres éléments tels que la punition et la discrimination qui doivent impérativement figurer dans la définition. En outre, il convient de souligner que les tortures mentales peuvent avoir des séquelles encore plus catastrophiques et durables que les violences physiques. L'État partie est donc encouragé à revoir sa définition de la torture afin que les actes de violence relevant de cette pratique ne puissent être confondus avec d'autres types de mauvais traitements. Ceci permettra en outre aux victimes de réclamer l'indemnisation à laquelle elles ont droit.

18.Le Corapporteur note avec satisfaction que la législation de l'État partie prévoit la possibilité de faire appel aux services d'un conseil dès l'arrestation. Cette garantie est très importante parce que les premières heures de la détention sont décisives. Ainsi, le prévenu est‑il protégé contre le risque de mauvais traitements; l'État se protège, de son côté, contre d'éventuelles allégations fallacieuses de torture.

19.Certes, le droit d'un suspect de se faire assister d'un conseil est prévu par la loi, mais M. Yakovlev souhaiterait savoir s'il est toujours respecté dans la réalité ? Quelles sont, d'autre part, les fonctions de la Commission des droits de l'homme nouvellement créée et le genre de situations ou de plaintes qu'elle examine ? M. Yakovlev appelle par ailleurs l'attention sur le cas d'un ressortissant chinois extradé vers la Chine alors qu'il risquait d'y être torturé et s'interroge sur la compatibilité d'une telle mesure avec les dispositions de l'article 3 de la Convention. Conformément à l'article 15 de la Convention, l'alinéa 9 du paragraphe 3 de l'article 77 de la Constitution stipule que les preuves obtenues par des moyens illicites sont sans effet juridique. M. Yakovlev mentionne cependant une affaire portée devant un tribunal du Kazakhstan oriental, dans laquelle il n'a pas été tenu compte de l'irrecevabilité, pourtant établie, de certaines preuves. Il y a là une contradiction flagrante avec la loi. Il y a eu par ailleurs, dans beaucoup de pays, une évolution du rôle du parquet qui, tout en restant l'organe chargé de l'accusation, assume désormais une nouvelle fonction, celle de vérifier la légalité des décisions de justice. Qu'en est‑il au Kazakhstan ? Peut‑être les autorités de l'État partie pourraient‑elles entreprendre une réflexion sur toutes ces questions, surtout que le Kazakhstan est bien engagé sur la voie de la démocratie et que les efforts déployés dans cette optique devront s'appuyer sur une ferme volonté politique, une réforme du pouvoir judiciaire et des valeurs culturelles favorables aux droits de l'homme.

20.Mme GAER (Rapporteur pour le Kazakhstan) se félicite à son tour du rapport de haut niveau présenté par l'État partie et des informations à jour communiquées par la délégation dans sa présentation orale. Elle tient à souligner tout d'abord l'importance capitale qu'accorde le Comité à l'incorporation, dans le droit national, d'une définition de la torture conforme à celle qui est donnée à l'article premier de la Convention. Certes, la torture est définie dans le commentaire relatif au Code pénal de la République kazakhe (par. 13 du rapport), mais la finalité du recours à cette pratique énoncée à l'article premier de la Convention n'est pas mentionnée. L'absence jusqu'à une certaine période de programmes de formation spécifiques visant à prévenir l'usage de la torture par les responsables de l'application des lois et le personnel médical est reconnue au paragraphe 94 du rapport. Depuis lors, des efforts ont été déployés à l'intention de certaines catégories de fonctionnaires, notamment le personnel pénitentiaire, mais ils restent très dispersés. L'adoption d'une définition complète et précise de la torture permettrait de concevoir des cours ciblés ne laissant aucun doute possible quant à la nature des actes réprouvés.

21.Mme Gaer voudrait savoir comment les autorités donnent effet à l'article 11 de la Convention. L'information selon laquelle les établissements pénitentiaires qui étaient sous l'autorité du Ministère de l'intérieur relèvent désormais du Ministère de la justice est intéressante, mais quels sont les services chargés de surveiller les conditions auxquelles sont soumises les personnes privées de liberté (dans les prisons, les centres de détention pour mineurs, les établissements psychiatriques) ? Cet examen est‑il réalisé avec toute la transparence nécessaire ? Comment s'expliquent le pourcentage élevé de cas de tuberculose parmi les détenus, les cas d'automutilation constatés dans deux établissements et ceux rapportés par la Fédération internationale d'Helsinki pour les droits de l'homme ainsi que les violences physiques et sexuelles infligées à des détenues ? Par ailleurs, des mesures ont‑elles été prises pour séparer les réfugiés et les demandeurs d'asile des délinquants de droit commun ? Mme Gaer cite à ce propos le cas de Mme Alebacheu, ressortissante éthiopienne arrivée au Kazakhstan dans le cadre d'un voyage professionnel, qui a été détenue pendant 10 jours parce qu'elle était soupçonnée d'être séropositive. La loi kazakhe prévoit l'expulsion des personnes séropositives et non leur détention. Des instructions ont‑elles été données pour que de tels abus ne se reproduisent pas et les victimes sont‑elles indemnisées ? Les fonctionnaires de police sont notés, entre autres, en fonction du nombre d'affaires qu'ils résolvent, ce qui constituerait une des causes principales du recours à la violence et à la torture par les policiers. Est‑il envisagé d'établir d'autres critères pour évaluer le comportement professionnel dans la police ? Concernant l'article 12 de la Convention, Mme Gaer souligne que plus un État partie progressera dans la mise en place d'un système judiciaire indépendant et impartial, plus il lui sera facile de s'acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de cet article. Le rôle du parquet ressort clairement du paragraphe 120 du rapport, où il est indiqué qu'une solution législative a été recherchée aux fins d'investir le Procureur de compétences en matière de procédure pour la conduite des poursuites qu'il a lui‑même initiées. Par qui cette démarche a‑t‑elle été entreprise et a‑t‑elle abouti ? D'autre part, au vu du problème exposé au paragraphe 121 du rapport, il serait souhaitable que des organismes indépendants surveillent le déroulement des enquêtes pour garantir leur impartialité et leur diligence. Les autorités comptent‑elles publier un décret sur la procédure à suivre pour enquêter sur les plaintes déposées de façon à aider les fonctionnaires à s'acquitter de leurs tâches dans le respect de la légalité ? L'État partie a‑t‑il d'autre part l'intention de publier des données chiffrées sur les actes de torture commis ? La création d'un poste de médiateur et les modifications apportées au fonctionnement des tribunaux vont‑elles renforcer l'indépendance du pouvoir judiciaire ? En rapport avec l'article 13 de la Convention, Mme Gaer aimerait obtenir des détails sur le futur comité appelé à recevoir les plaintes des personnes affirmant avoir été soumises à la torture. Elle mentionne, en ce qui concerne les nombreux abus imputés aux autorités de police, le cas de Mme Ignatushkina à qui du matériel médical de très grande valeur a été abusivement confisqué au cours d'une enquête et celui de M. Martinov qui, soupçonné de vol et de trafic de stupéfiants, a eu la mâchoire fracturée et a été menacé de se faire inoculer le germe d'une maladie vénérienne avant d'être relâché pour manque de preuves. Comment les autorités comptent‑elles remédier à de tels abus ? Dans cette optique, le Gouvernement kazakh envisage‑t‑il de faire la déclaration prévue à l'article 22 de la Convention ?

22.Abordant le droit de toute victime d'un acte de torture d'obtenir réparation et d'être indemnisée équitablement et de manière adéquate (art. 14 de la Convention), Mme Gaer demande des informations sur l'issue des poursuites engagées contre les auteurs des infractions mentionnées aux paragraphes 145 à 151 du rapport et sur les réparations accordées aux nombreuses victimes. Elle aimerait aussi savoir pourquoi les auteurs des violations mentionnées au paragraphe 149 du rapport n'ont pas fait l'objet de poursuites au titre du paragraphe 2 de l'article 347 du Code pénal (recours à la coercition pour obtenir des aveux). Au sujet de l'article 15 de la Convention (irrecevabilité d'une déclaration obtenue sous la torture), Mme Gaer souhaiterait avoir des précisions sur la nouvelle réglementation qui autorise un détenu à prendre, dans les 72 heures qui suivent son placement en garde à vue, contact avec un médecin ou un avocat habilité à recueillir sa déclaration. Les informations recueillies sont‑elles toujours prises en compte aux fins de la procédure ? À propos de l'article 16 de la Convention (actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants), Mme Gaer souhaite obtenir de plus amples informations sur les soins médicaux dont bénéficient les jeunes détenus et surtout sur les sanctions disciplinaires dont ils font l'objet. En effet, il ressort d'une vidéo de 60 minutes consacrée à la question que ces jeunes sont victimes d'actes de violence. Mme Gaer demande notamment des précisions sur un certain Prokopenko, qui serait mort des suites de mauvais traitements subis en prison et dont le décès n'aurait fait l'objet d'aucune enquête. Y a‑t‑il possibilité d'exhumer le corps et de le faire examiner par un expert pour déterminer les causes du décès ? Mme Gaer espère qu'il y aura un dialogue constructif avec la délégation sur tous ces points.

23.M. MAVROMMATIS félicite l'État partie pour la qualité de son rapport initial. Il l'encourage cependant à prendre des mesures urgentes pour réformer tout le système de justice pénale, en particulier la procédure d'enquête sur les allégations de torture. M. Mavrommatis aimerait tout d'abord connaître les raisons pour lesquelles le Kazakhstan n'a pas fait de déclaration de succession aux engagements pris au titre de la Convention et d'autres instruments internationaux par l'ex‑URSS. Il souhaite ensuite insister sur la définition de la torture et appeler l'attention des membres de la délégation sur les efforts que les autorités kazakhes doivent accomplir pour lutter contre ce phénomène et faire en sorte que la législation en vigueur dans ce domaine soit appliquée. Il importe au plus haut point de garantir l'indépendance et l'efficacité des enquêtes sur toutes les allégations d'actes de mauvais traitements et de torture. M. Mavrommatis voudrait lui aussi avoir des précisions sur le cas du jeune Prokopenko mentionné par Mme Gaer ainsi que sur celui du jeune Veritchak, l'enquête sur ce dernier cas ayant été, semble‑t‑il, arrêtée faute de preuves probantes. Par ailleurs, il souhaiterait obtenir des informations sur les nouvelles dispositions en matière de preuve.

24.M. RASMUSSEN dit qu'il a été attérré en voyant le documentaire intitulé "Lager 155" (Camp 155) qui décrit les conditions de détention des jeunes détenus et, notamment, le comportement inhumain des autorités pénitentiaires à leur égard. Il n'est pas surpris que 80 % des jeunes s'automutilent ou qu'une fois remis en liberté ils restent délinquants. Tout en se félicitant de l'adoption d'un plan quinquennal visant à lutter contre la tuberculose, M. Rasmussen invite les autorités kazakhes à se pencher d'urgence sur les conditions désastreuses et l'arbitraire qui règnent dans les centres de détention et à prendre les mesures qui s'imposent pour remédier à cette situation. En ce qui concerne la garde à vue, il estime qu'il serait bon d'envisager de réduire le délai de 72 heures qui est trop long et donne lieu à trop d'abus de la part de la police, comme le corroborent de nombreuses allégations d'Amnesty International. Enfin, M. Rasmussen aimerait avoir de plus amples informations sur les cellules d'isolement ou de mise au secret.

25.M. CAMARA se réjouit lui aussi de la composition de la délégation, dont le haut niveau permet d'escompter des réponses éclairées aux questions parfois fort techniques posées par le Comité. Pour sa part, il s'interroge sur le libellé du paragraphe 30 du rapport à l'examen, qui n'est pas très clair; en tout état de cause, le paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention n'autorise aucune dérogation à l'interdiction de la torture, même dans des circonstances exceptionnelles. Par ailleurs, les paragraphes 120 à 122 du rapport, qui traitent du rôle du ministère public, ont particulièrement retenu l'attention du Comité. M. Camara, n'est pas, quant à lui, inquiet des pouvoirs accordés au Bureau du Procureur dans la mesure où les règles d'organisation et de fonctionnement du ministère public sont adéquates. Il souhaiterait donc en apprendre davantage sur le régime statutaire applicable aux procureurs au Kazakhstan : déroulement de leur carrière, conditions de nomination, régime disciplinaire, relations fonctionnelles entre les divers membres du Bureau du Procureur général. Il faudrait surtout savoir si le Procureur général et ses collaborateurs sont nommés par un conseil de la magistrature, par le Gouvernement ou par le Parlement et, plus généralement, comment est assurée l'autonomie du ministère public : son statut est‑il conforme aux Principes directeurs des Nations Unies applicables au rôle des magistrats du parquet, adoptés en 1990 ? C'est en effet dans le détail des règles appliquées que sont garanties l'indépendance des juges et l'objectivité du parquet.

26.M. HENRIQUES GASPAR, revenant lui aussi sur les paragraphes 120 à 122 du rapport à l'examen, voudrait savoir quels sont les pouvoirs effectifs du ministère public pour ce qui est de surveiller le déroulement des enquêtes, et notamment de celles faisant suite à des plaintes pour abus d'autorité, mauvais traitements et torture. Il semblerait en effet que la loi du 6 septembre 1999 ne lui a pas conféré suffisamment d'indépendance dans la mesure où la règle selon laquelle la police ne doit pas prendre part aux investigations concernant des policiers n'est pas respectée. Les autorités kazakhes envisagent‑elles de prendre des mesures pour faire en sorte que le ministère public puisse enquêter en toute autonomie sur les actes commis par des policiers ?

27.La question posée par M. Rasmussen sur le délai de garde à vue est elle aussi très importante si l'on songe aux délais appliqués dans d'autres pays, qui sont généralement de 48 heures, avec parfois, mais pas toujours, la possibilité d'une prolongation jusqu'à 72 heures dans des circonstances très exceptionnelles. De même, la règle normalement appliquée veut qu'un suspect soit présenté au juge dans les plus courts délais, et que la période de la détention provisoire soit aussi brève que possible; or il ressort du paragraphe 74 du rapport à l'examen que l'on s'écarte de ce principe et qu'en outre c'est au procureur qu'il appartient de décider du placement en détention : cette prérogative devrait appartenir à une autre instance, à un juge par exemple. Le fait que ce soit le procureur qui décide de prolonger la détention provisoire n'offre pas toutes les garanties voulues.

28.Au paragraphe 78 du rapport, il est indiqué que le personnel du lieu de détention met fin aux visites en cas de tentative faite pour procurer au détenu des informations susceptibles de faire obstacle à la procédure ou d'être utilisées pour commettre une infraction : est‑ce à dire que les conversations sont écoutées par le personnel de surveillance ? S'il est normal que l'on veille à ce qu'aucun article ou substance ne soit remis au détenu lors des visites, écouter les conversations paraît beaucoup plus discutable. Pour finir, M. Henriques Gaspar souhaiterait avoir des précisions au sujet du nombre de détenus avant jugement et du nombre de prisonniers purgeant leur peine dans les prisons kazakhes.

29.Le PRÉSIDENT souhaite revenir sur la question du refoulement d'un groupe d'Ouïgours vers la Chine qui a été signalé par Amnesty International; il voudrait savoir comment les autorités kazakhes réconcilient cette mesure avec les obligations contractées en vertu de l'article 3 de la Convention, sachant que de l'avis du Comité il ne peut être dérogé aux dispositions de cet article. En outre, il semble qu'avant d'être refoulées, ces personnes ont été détenues dans des prisons dites d'"isolement pour investigation" : il s'agit peut‑être seulement d'un problème de traduction, mais il serait souhaitable d'obtenir des précisions sur la nature de ces établissements et sur les règles qui régissent l'incarcération de personnes dans ces lieux de détention.

30.Dans son exposé, M. Rogov a indiqué qu'il était envisagé d'introduire au Kazakhstan un système d'enregistrement audiovisuel des interrogatoires : il s'agit là d'une mesure qui placerait l'État partie dans le cercle très restreint des pays les plus avancés dans ce domaine, et il serait intéressant d'avoir confirmation de ce projet.

31.Félicitant la délégation pour la présentation d'un rapport fort intéressant et complet, le Président invite celle‑ci à revenir à une séance ultérieure pour répondre aux questions du Comité.

32.M. ABDILDIN (Kazakhstan) remercie le Comité de l'attention et de la compétence avec lesquelles les membres du Comité ont examiné le rapport de son pays. Le Kazakhstan tirera le plus grand profit des recommandations du Comité.

33.La délégation kazakhe se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 25.

-----