Nations Unies

CAT/C/SR.1073

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

4 juin 2012

Original: français

Comité contre la torture

Quarante-huitième session

Co mpte rendu analytique de la 1073 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 16 mai 2012, à 15 heures

Président:M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport initial du Rwanda (suite)

La séance est ouverte à 15 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (point 7 de l ’ ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Rwanda (CAT/C/RWA/1)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation rwandaise prend place à la table du Comité.

2.M me  Nyirahabimana (Rwanda) renouvelle l’invitation à se rendre dans son pays adressée au Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Répondant aux questions portant sur les juridictions gacaca, elle explique qu’au lendemain du génocide de 1994, qui a emporté plus d’un million de vies humaines, plus de 120 000 personnes ont été arrêtées et emprisonnées dans les différents centres de détention du pays. À ces personnes s’ajoutaient celles qui étaient suspectées de ce crime mais qui n’ont pas été incarcérées. Le pays était dévasté, le tissu social détruit et les auteurs du génocide encore impunis. Dans un premier temps, le Rwanda a eu recours à la justice classique pour juger ces personnes; c’est ainsi qu’entre 1996 et 2001, 6 000 affaires ont été examinées. À ce rythme, il aurait fallu plus d’un siècle pour juger tous les détenus, sans parler des personnes soupçonnées d’acte de génocide encore en liberté dans le pays et à l’étranger. Il a donc été décidé d’avoir recours au système des juridictions gacaca, lesquelles étaient issues d’une ancienne pratique consistant pour les membres d’une communauté à se réunir et à s’asseoir sur l’herbe pour discuter et régler leurs différends. Chacun ayant été témoin du génocide, la communauté dans son ensemble a été impliquée dans ce processus afin de permettre à tous de s’exprimer et de faire toute la vérité sur les événements. Il s’agissait non seulement d’accélérer l’administration de la justice, mais aussi de favoriser la réconciliation et de ressouder les communautés en rétablissant la confiance entre leurs membres. Ce sont les communautés elles-mêmes qui ont désigné en leur sein des personnes intègres pour exercer les fonctions de juge. Les personnes accusées d’acte de génocide ont été réparties en catégories. Le jugement des personnes accusées d’avoir planifié, organisé ou encouragé le génocide, et de celles qui avaient commis des violences sexuelles, soit environ 10 % des inculpés est resté du ressort de la justice classique, les juridictions gacaca étant saisies du cas des autres inculpés. Celles-ci ont examiné 1 500 000 affaires et ont prononcé 38 000 condamnations pour acte de génocide. Les personnes qui n’ont pas été condamnées ont été réintégrées dans la communauté. Les juridictions gacaca s’étant acquittées de la tâche qui leur avait été confiée, elles seront dissoutes le 17 juin 2012. La population rwandaise estime qu’elles ont donné toute satisfaction et que le bilan de leurs activités est très positif. En ce qui concerne le Tribunal pénal international pour le Rwanda, les autorités estiment qu’il joue un rôle essentiel dans le développement du droit pénal international et que ses décisions établissent une importante jurisprudence mais qu’il n’était pas à même de traiter le problème du génocide dans sa globalité.

3.La Commission rwandaise des droits de l’homme a été crée en 1999 et a été dotée du statut A en 2002. Les critiques récemment formulées à l’égard de la procédure de nomination de ses membres ont quelque peu surpris les autorités car cette procédure reste la même que celle qui était suivie lorsque la Commission s’était vu accorder le statut A. Le Sous-Comité d’accréditation du Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme avait indiqué à cet égard que si les principes qui régissaient la nomination des membres de la Commission étaient satisfaisants, notamment ceux visant à assurer son pluralisme et sa représentativité, le fait que ces principes n’étaient pas inscrits dans la loi posait problème. Mme Nyirahabimana explique à cet égard que la nomination des membres de la Commission se fait en deux temps: le Gouvernement propose une candidature, qui doit ensuite être approuvée par le Sénat, lequel veille à ce que le principe constitutionnel de la représentativité soit respecté. En tout état de cause, même si les principes que le Sous-Comité d’accréditation souhaiterait voir inscrits dans la loi rwandaise sont déjà appliqués, les autorités sont toutes disposées à modifier la législation en ce sens. L’autre critique formulée à l’égard de la Commission concerne son manque allégué d’indépendance financière, notamment le fait que le budget proposé par la Commission soit soumis à l’approbation du Gouvernement. Les autorités rwandaises ne sont pas sûres de bien comprendre ce qu’on leur reproche à ce sujet car la Commission n’ayant pas de source de revenus propre, son financement doit bien être assuré par le Gouvernement, sauf à dépendre d’un donateur. Elles se pencheront cependant sur la pratique suivie dans d’autres pays et souhaiteraient être conseillées à ce sujet. Là encore, le Gouvernement est tout disposé à trouver une solution satisfaisante.

4.Les organisations non gouvernementales (ONG) concernées ont été invitées à faire part de leurs observations en vue de l’établissement du rapport qui a été soumis au Comité. De nombreuses petites organisations étant coiffées par un organisme de coordination, les invitations ont été adressées à cet organisme, ce qui explique que certaines d’entre elles ont l’impression de ne pas avoir été associées au processus. Le Gouvernement tire les enseignements de cette expérience et, à l’avenir, il adressera une invitation individuelle à chaque ONG, y compris dans le cadre du processus de concertation des parties concernées qu’il engagera dans la perspective de la mise en œuvre des recommandations que formulera le Comité.

5.Pour ce qui est de la question de l’enregistrement annuel des ONG, Mme Nyirahabimana indique qu’en vertu de la nouvelle législation, les ONG nationales, une fois enregistrées, n’ont plus besoin de renouveler cet enregistrement, tandis que l’enregistrement des ONG internationales est valable pendant cinq ans. Le Gouvernement rwandais considère les ONG comme des partenaires irremplaçables; il leur est très reconnaissant pour le rôle qu’elles ont joué et qu’elles continuent de jouer dans le relèvement du pays et salue le travail remarquable qu’elles accomplissent dans tous les domaines. Il tient à réaffirmer sa volonté de coopérer avec elles et souligne que s’il peut parfois y avoir des divergences de vues entre elles et les autorités sur certaines questions, l’esprit de collaboration qui règne entre les deux parties permet toujours de trouver un terrain d’entente.

6.Le Gouvernement met tout en œuvre pour retrouver les personnes disparues. Un certain nombre de cas remontent à 1992, soit à l’époque où le Gouvernement qui a perpétré le génocide était au pouvoir. Les autorités rwandaises publient régulièrement des rapports sur l’action qu’elles mènent pour résoudre ce problème. Le pays a perdu un tel nombre de personnes, un si grand nombre de familles se trouvent réduites à un seul membre que chaque vie est précieuse et que chaque disparition constitue une perte irrémédiable. Les Rwandais, de par leur histoire récente, attachent un grand prix à la vie et souhaitent plus que quiconque que personne ne disparaisse. Le Gouvernement persévérera dans ses efforts pour retrouver la trace des personnes qui ont disparu et sollicitera à cette fin la coopération de la communauté internationale.

7.Face aux critiques exprimées par des ONG et par des membres des médias concernant le rôle du Haut Conseil des médias, les autorités ont décidé, après avoir procédé à des concertations avec les parties intéressées, de modifier certaines dispositions de la législation relative aux médias. Le Haut Conseil des médias ne sera donc plus chargé de réglementer les activités des médias, à qui il a été demandé de s’autoréglementer. Ces derniers seront en outre étroitement associés à l’élaboration de la loi relative au Code de déontologie des médias. Enfin, le Sénat examine actuellement le projet de loi relative à l’accès à l’information, qui facilitera grandement l’accès aux informations détenues par les pouvoirs publics.

8.M. Rusanganwa (Rwanda) dit que le nouveau Code pénal, qui entrera en vigueur à la fin de mai 2012, comportera une définition de la torture reprenant tous les éléments de celle qui est énoncée dans la Convention. En ce qui concerne la peine minimale de six mois d’emprisonnement prévue pour la commission d’un acte de torture, il explique que l’intention du législateur était d’établir une gradation dans les actes de torture et de fixer des peines qui soient à la mesure de la gravité de l’acte commis. Ainsi, ne pas donner de l’eau à un détenu pendant un certain temps ne revêt pas la même gravité que le fait de lui infliger des lésions corporelles. Cependant, s’il devait être constaté que cette peine minimale n’était pas suffisamment dissuasive, elle pourrait être revue. Par ailleurs, le fait que l’infraction de torture sera spécifiquement prévue permettra de remédier au problème du manque de statistiques s’y rapportant. Les prochains rapports périodiques du Rwanda comporteront donc des données précises sur les poursuites engagées pour faits de torture.

9.Il existe des dispositions législatives pour la protection des personnes menacées de refoulement ou d’extradition et un nouveau projet de loi sur l’extradition est sur le point d’être adopté par le Parlement. La procédure permet à la personne qui conteste la décision d’extradition prise par l’administration d’exercer un recours auprès de la Haute Cour. L’exécution de la décision est suspendue pendant l’examen de ce recours. Toutes les garanties sont ainsi en place pour assurer la protection voulue aux personnes extradées du Rwanda ou depuis un autre pays vers le Rwanda.

10.Le Rwanda figure parmi les pays du monde où les droits de la femme sont les mieux protégés et de nombreux progrès ont été accomplis récemment dans ce domaine. Le pays s’est notamment doté de plusieurs lois en faveur des femmes (loi portant prévention et répression de la violence fondée sur le sexe, loi sur l’excision, loi sur l’accès des femmes au crédit, loi sur le régime foncier garantissant aux femmes le droit de posséder des terres et loi sur les droits de succession). En outre, la stratégie de lutte contre la pauvreté vise notamment à améliorer les conditions de vie des femmes pour favoriser leur autonomisation.

11.Le Rwanda a ratifié les principaux instruments internationaux pour la protection de l’enfant. Le Gouvernement a lancé un programme national d’aide aux enfants orphelins et vulnérables et adopté des lois visant à assurer leur protection, notamment une loi sur le travail des enfants. Le Rwanda a, d’autre part, mis en place une commission chargée de la protection des droits de l’enfant. L’accent est mis par les autorités sur les droits des filles, principalement dans le domaine de l’éducation, laquelle est gratuite pour tous jusqu’à l’âge de 12 ans.

12.La traite des êtres humainsest un crime en vertu non seulement des instruments internationaux ratifiés par le Rwanda, notamment la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, mais aussi du nouveau Code pénal, qui définit ce délit et alourdit les peines pour ceux qui le commettent. Le Rwanda a engagé le processus de ratification du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et il sera prochainement possible pour les particuliers d’adresser au Comité des droits de l’homme des plaintes dans tous les domaines, y compris contre des actes de torture. Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture sera, quant à lui, bientôt ratifié.

13.M me Gahonzire (Rwanda) dit que le Gouvernement rwandais a lancé, dans le cadre du plan «Vision 2020», un programme qui a pour objectif d’améliorer les infrastructures pénitentiaires et les conditions de détention à cet horizon. Au cours des dernières années, 3 prisons ont été fermées, 2 ont été construites et plusieurs autres ont été rénovées. Les autorités rwandaises prévoient de construire entre 7 et 9 nouveaux centres correctionnels d’ici à 2017. Le Rwanda compte actuellement environ 57 000 détenus, dont les trois quarts sont inculpés de participation au génocide. Les femmes et les hommes, de même que les mineurs et les adultes, sont incarcérés dans des quartiers séparés. Le taux d’occupation carcérale a fortement diminué et est actuellement de 105 %. Le chiffre de 149 % cité précédemment correspond à l’année 2003, lorsque le pays comptait plus de 120 000 détenus; or plus de 60 000 détenus ont par la suite été amnistiés par le Président de la République et le taux d’occupation était donc tombé à 113 %. En 2011, 1 667 personnes ont été mises en liberté conditionnelle. Parallèlement, l’administration s’est employée à renforcer les capacités du personnel carcéral afin d’améliorer encore les conditions de détention. L’ensemble de ces efforts ont permis de satisfaire aux normes internationales en ce qui concerne les mesures de réinsertion, les visites, les services médicaux, la formation et la sécurité, et les autorités ont continué à œuvrer pour réduire encore plus la population carcérale.

14.Au sein de la police nationale, l’accent a été mis sur la prévention et la détection de la torture, ainsi que sur les enquêtes relatives à ce délit. Des médecins légistes ont été recrutés à cet effet, mais leur nombre est encore insuffisant. Des membres du personnel judiciaire, notamment des procureurs, ont suivi une formation à la détection de la torture et à la lutte contre ce délit. Le pays compte une vingtaine de centres d’aide aux victimes.

15.Le travail d’intérêt général s’inscrit dans le cadre d’un système de peines de substitution qui permet aux condamnés de rester chez eux tout en accomplissant des travaux qui bénéficient à l’ensemble de la collectivité, ce qui contribue à décongestionner les prisons.

16.Face au problème de la violence conjugale les autorités ont lancé des campagnes de lutte contre ce phénomène. La hausse du nombre de cas signalés ne signifie pas que le nombre total d’infractions a augmenté.

17.Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a décidé, en juin 2011, de renvoyer un suspect devant la justice rwandaise. Ce suspect, M. Jean Uwinkindi, est détenu dans la prison de Kigali et comparaîtra devant un tribunal rwandais en août 2012. D’autres personnes ayant été mises en examen par le TPIR sont en fuite et seront transférées au Rwanda pour y être jugées dès qu’elles auront été arrêtées. Un ressortissant rwandais, M. Léon Mugesera, accusé d’avoir participé au génocide, a été extradé du Canada au Rwanda en janvier 2012. Il est actuellement détenu à la prison de Kigali, qui satisfait aux normes préconisées par le Comité international de la Croix-Rouge. D’autre part, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour suprême norvégienne ont récemment approuvé le transfert au Rwanda de deux autres suspects.

18.Répondant à une question concernant la détention d’opposants politiques, Mme Gahonzire précise que M. Victoire Ngabire est en bonne santé, qu’il se nourrit normalement et que le tribunal se prononcera sur son cas en juillet 2012. M. Bernard Ntaganda purge, quant à lui, une peine de quatre ans d’emprisonnement; il se porte bien et peut recevoir des visites. Personne n’est détenu au secret au Rwanda, et le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est invité à se rendre dans le pays pour s’en assurer.

19.Le Rwanda est actuellement le plus grand contributeur de troupes de maintien de la paix de l’ONU au Soudan. De leur côté, les forces de police rwandaises apportent un appui à la population soudanaise ainsi qu’aux victimes du séisme en Haïti. Il convient enfin de noter que les méthodes de lutte contre la torture dans le cadre des activités de police de proximité constituent un exemple dans l’ensemble de l’Afrique.

20.Le Président informe la délégation rwandaise qu’il fera part de son invitation au Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

21.M. Bruni (Rapporteur pour le Rwanda) remercie la délégation de la richesse des informations qu’elle a fournies. Il prend note avec satisfaction du fait que toutes les organisations non gouvernementales seront invitées à participer à l’élaboration des rapports de l’État partie et à l’application des recommandations. M. Bruni dit qu’il ignorait l’existence d’un projet de loi définissant la torture comme une infraction distincte et condamnant la souffrance mentale. Il note que l’article 205 du Code pénal en vigueur mentionne seulement la souffrance physique provoquée par la torture. Il voudrait savoir, d’autre part, si la Haute Cour prend en considération les risques de torture auxquels un requérant est exposé avant de se prononcer sur son extradition, son expulsion ou son non‑refoulement. Il invite aussi la délégation à informer le Comité et les autres instances internationales concernées de l’état d’avancement de la ratification du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de l’application des dispositions de l’article 22 de la Convention. Il voudrait aussi savoir combien d’agents de la fonction publique ont été condamnés à des sanctions pénales depuis 2009 dans des affaires de torture. Le délai légal de prescription de la torture ne s’appliquant pas aux actes de torture commis pendant le génocide, il prie la délégation de préciser par qui et selon quelle procédure il est décidé qu’un acte de torture est lié ou non au génocide. M. Bruni, d’autre part, demande des détails sur les allégations solidement étayées faisant état de 18 cas de torture et souhaite savoir également si une liste des lieux de détention officiels a été établie, ce qui permettrait d’éviter le placement en détention secrète, et quelles sanctions sont prévues, le cas échéant. Il prend note avec satisfaction de la réduction de la population carcérale mais fait observer que selon des chiffres fiables recueillis dans le cadre de l’Examen périodique universel, le taux de surpeuplement des prisons en 2010 était de 149 % et non pas de 105 %. Il demande des précisions sur la situation des 400 enfants âgés de moins de 3 ans qui vivraient en prison avec leur mère, dans des conditions déplorables. M. Bruni voudrait également obtenir des renseignements supplémentaires sur les fonctions du Service national des prisons et du service correctionnel et savoir si le programme récemment élaboré par le Service national des prisons pour améliorer la situation des prisonniers a permis de repérer des obstacles à l’amélioration des conditions d’emprisonnement. Il prend note de l’existence d’un service correctionnel en tant que peine de substitution à l’emprisonnement et demande quelle est la durée des peines et de quoi vivent les condamnés, dans la mesure où ils ne reçoivent ni salaire ni indemnités. Enfin, M. Bruni demande des précisions sur les mécanismes qui permettent aux individus de signifier leur refus d’obéir à un ordre donné par un supérieur tendant à la commission d’un acte de torture ou perçu comme tel.

22.M me Sveaass (Corapporteur pour le Rwanda) demande combien d’affaires resteront en attente de jugement au moment de la dissolution des tribunaux gacaca, en juin 2012. Elle souhaite aussi savoir s’il est vrai que des affaires de catégorie I (délits les plus graves) ont été transférées à ces juridictions et combien de personnes relevant de cette catégorie sont en attente de jugement. L’important est que l’œuvre de justice suive son cours malgré les lenteurs. Elle félicite le Rwanda d’avoir mis l’accent sur la lutte contre la violence à motivation sexiste et demande combien de condamnations ont été prononcées par les tribunaux dans des affaires de viol.

23.Mme Sveaass signale que le Comité a été informé des préoccupations exprimées par la société civile rwandaise, qui souhaite pouvoir agir sans subir de menaces, et demande des précisions sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

24.Mme Sveaass espère que les enquêtes sur les personnes disparues aboutiront. Elle estime, d’autre part, que le chef d’accusation retenu contre M. Bernard Ntaganda, un prisonnier politique, n’est pas clair et déclare que toute privation de liberté non justifiée est dramatique. Notant que l’ancien Ministre Charles Ntakirutinka a été libéré en 2012 après avoir passé dix ans en prison, elle demande quel chef d’accusation a justifié cette longue peine d’emprisonnement. Elle demande aussi à l’État partie d’indiquer si des mécanismes de traitement des plaintes concernant des mauvais traitements ou des actes de torture ont été mis en place et, si tel est le cas, de décrire la procédure que doivent suivre les plaignants pour porter plainte et l’appui auquel ils ont droit.

25.Mme Sveaass demande si les organes d’inspection et la Commission nationale des droits de l’homme ont le droit d’effectuer des visites inopinées dans les lieux de détention et de s’entretenir en privé avec les détenus. Il serait également intéressant de savoir quel est le taux de récidive des participants aux programmes de travail d’intérêt général et si des personnes inculpées de crimes liés au génocide y participent.

26.Citant un rapport élaboré par le Ministère rwandais de la justice en collaboration avec l’UNICEF, selon lequel des enfants ayant des besoins très divers, notamment des mineurs délinquants et des enfants handicapés, seraient détenus dans les mêmes lieux, Mme Sveaass demande si les enfants qui se trouvent dans le centre de réadaptation pour mineurs créé dans l’est du pays relèvent de la justice pour mineurs ou plutôt des services de sécurité sociale. Elle souhaite également savoir si les 400 enfants de détenues qui vivent avec leur mère se trouvent dans des centres de réadaptation ou bénéficient de conditions adaptées à leurs besoins en prison.

27.Mme Sveaass note que les lois en vigueur semblent exclure toute mesure de réparation ou d’indemnisation en cas de souffrance mentale ou psychologique. En outre, l’octroi de réparations semble dépendre davantage de l’admission par l’accusé de sa culpabilité que de l’évaluation des besoins de la victime. Mme Sveaass aurait souhaité que la délégation donne plus d’informations sur les mesures de réadaptation destinées aux nombreuses femmes qui ont été victimes de viol et de violences sexuelles pendant le génocide.

28.S’agissant des reproches qui ont été adressés à la Commission nationale rwandaise des droits de l’homme en raison de son manque d’indépendance, Mme Sveaass dit que la situation devrait s’améliorer si la Commission suit les recommandations de la Cour pénale internationale (CPI) et collabore avec le Parlement.

29.M me Belmir note qu’il est dit dans le rapport de l’État partie que les actes de torture sont prescriptibles, excepté les meurtres ou les violations des droits de l’enfant qui ne le sont pas. Elle demande si les juridictions gacaca seraient compétentes pour juger les enfants qui ont été placés en détention au moment du génocide alors qu’ils avaient moins de 18 ans et sont toujours en attente de jugement. Elle prend par ailleurs acte des progrès importants réalisés grâce à ces juridictions mais souligne qu’elles doivent surmonter de nombreuses difficultés, s’agissant de la protection des accusés, de la formation des juges et des problèmes de corruption, auxquels les juridictions conventionnelles doivent aussi faire face. Elle demande enfin à la délégation de donner des précisions sur le sort des personnes vulnérables qui sont détenues dans des centres non officiels, dans des conditions difficiles.

30.M. Gaye dit que les dispositions législatives concernant l’irrecevabilité des preuves obtenues par la torture ou d’autres formes de violence sont controversées car il semble qu’elles ne sont pas appliquées dans la pratique. Il rappelle qu’il a demandé à la délégation de l’État partie de lui citer des décisions judiciaires statuant expressément sur cette question et qu’aucune réponse ne lui a encore été apportée.

31.S’agissant de l’indemnisation des victimes de crimes imputés à des fonctionnaires, il est indiqué au paragraphe 110 du rapport que l’État rwandais peut avoir à répondre sur le plan civil des actes commis par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions et peut participer à l’indemnisation de la victime. M. Gaye dit que «peut participer» n’est pas une formulation très contraignante. Notant en outre que l’État ne semble pas assumer ses responsabilités dans la pratique, M. Gaye demande des renseignements supplémentaires sur le fonctionnement concret du dispositif. Il souhaite notamment savoir si l’État peut entreprendre une action récursoire contre l’agent fautif.

32.M me Gaer dit que le Rwanda a montré qu’il respectait ses obligations internationales, notamment en accueillant quelque 10 000 réfugiés de la République démocratique du Congo. Elle demande à la délégation à combien elle estime le nombre de personnes coupables de génocide au Rwanda, combien n’ont pas encore été jugées et combien se trouvent à l’étranger. Si 60 000 personnes ont été jugées par les juridictions gacaca les cinq premières années à raison de 12 000 personnes par an et qu’il faudrait cent ans pour juger tous les suspects, cela représente 1,2 million de personnes.

33.La délégation ayant rejeté les allégations concernant l’existence de centres de détention secrets, Mme Gaer lui demande si elle est en mesure de fournir des informations sur les 45 cas signalés par Amnesty International et d’autoriser cette organisation à venir plus tôt au Rwanda. Elle lui demande également d’indiquer où se trouvent tous les prisonniers dont a parlé M. Bruni et de fournir au Comité des précisions sur le sort de personnes disparues.

34.M. Mariño Menéndez prend note de l’adoption d’une loi interdisant le travail des enfants, mais dit que l’Organisation internationale du Travail (OIT) a signalé qu’il y avait 352 000 enfants âgés de 6 à 17 ans qui travaillaient au Rwanda en 2010. Il demande si des programmes humanitaires et législatifs ont été mis en place pour mettre fin au travail des enfants et garantir l’application de la nouvelle loi, notamment dans le cadre de la mise en œuvre de la scolarisation obligatoire.

35.Le Rwanda va bientôt adopter une loi sur l’extradition, une loi sur les réfugiés, une loi sur l’immigration et l’émigration et peut-être une loi sur les étrangers. Le projet de loi sur l’immigration et l’émigration autorisant le Président rwandais à décider administrativement d’expulser un étranger pour des raisons de sécurité, M. Mariño Menéndez demande si cette personne peut présenter un recours devant la Cour suprême.

36.Aux termes de l’article 190 de la Constitution, «Les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication au Journal officiel, une autorité supérieure à celle des lois organiques et des lois ordinaires, sous réserve […] de [leur] application par l’autre partie.». M. Mariño Menéndez dit que le principe de la réciprocité ne fonctionne pas lorsqu’il s’agit d’instruments relatifs aux droits de l’homme car ces instruments protègent des intérêts collectifs et communs. Il demande de quelle manière le Rwanda interprète les dispositions de l’article 190.

37.M. WangXuexian demande à la délégation de présenter par écrit des informations sur les juridictions gacaca, dont l’efficacité l’a fasciné.

38.M me Nyirahabimana (Rwanda) dit que, dans l’ancien Code pénal, la torture était considérée non pas comme une infraction distincte, mais comme une circonstance aggravante, ce qui n’est plus le cas dans le nouveau Code pénal. Le Parlement étudie un projet de loi sur le système à mettre en place après les juridictions gacaca. Les personnes qui n’ont pas encore été jugées seront renvoyées devant les tribunaux classiques, qui ont déjà traité des affaires relevant de la catégorie 1.

39.Étant donné les différents degrés d’implication des coupables, le Rwanda a choisi de ne pas transformer le pays en prison et d’instaurer un système de catégories, en vertu duquel tous les auteurs de crime n’étaient pas présentés devant les tribunaux gacaca, certains étant traduits devant des tribunaux classiques. Les auteurs d’infractions mineures perpétrées contre des biens ont été condamnés à des peines légères, notamment à des travaux d’intérêt général. Des statistiques détaillées sur les juridictions gacaca (nombre de juges, d’audiences, etc.) seront communiquées au Comité. Elles seront accompagnées des documents transmis au Comité des disparitions forcées, notamment le dernier rapport du Rwanda sur la question. Des enquêtes sont en cours sur les personnes disparues et le Rwanda collabore à ce propos avec l’ensemble des parties prenantes.

40.Le Gouvernement rwandais s’efforce de collaborer avec les ONG et de faciliter leur travail, mais les normes internationales et les procédures internes concernant l’entrée dans le pays doivent être respectées.

41.S’agissant des prisonniers politiques, personne n’est au-dessus de la loi, qu’il s’agisse des membres des partis politiques, des médias ou des ONG. Les affaires mentionnées font l’objet de procédures officielles et le titulaire de mandat au titre de la procédure spéciale de l’ONG concernée a eu accès aux dossiers. Certaines personnes ont reconnu leur culpabilité mais continuent d’attaquer le Gouvernement. En aucun cas, la négation du génocide ne saurait être tolérée. Les deux parties ne pouvant s’accorder, il importe que la situation soit examinée par la communauté internationale − pourquoi pas par le biais d’un organe indépendant comme le Comité contre la torture −, afin de pouvoir régler ces affaires une fois pour toutes. S’il est établi qu’il a commis des erreurs, le Gouvernement fera tout pour les corriger. Mais il importe que les rapports sur les cas concernés soient rédigés par des personnes qui se sont rendues sur le terrain et connaissent bien la situation.

42.M. Rusanganwa (Rwanda) dit que le nouveau Code pénal comporte une définition de la torture qui tient compte de la souffrance mentale. Concernant le fondement juridique de l’extradition et du refoulement, le Rwanda s’appuie sur sa législation nationale et sur les instruments internationaux qu’il a ratifiés, qui interdisent l’extradition vers des pays où la personne extradée risque la peine capitale. En outre, la loi sur la peine de mort dispose qu’en cas de demande d’extradition émanant du Rwanda, les autorités rwandaises doivent donner à l’État requis des assurances que la personne extradée ne risque ni la torture ni la peine de mort.

43.Dans la législation rwandaise, l’ordre d’un supérieur ne peut être invoqué pour justifier l’acte d’un subordonné lorsqu’il a été démontré que cet acte est illégal.

44.Au Rwanda, la procédure de ratification est longue. Elle est engagée lorsqu’une proposition est adressée aux autorités concernées. Une fois que les éléments techniques de la proposition ont été étudiés, celle-ci est transmise au Conseil des ministres. Après son approbation par ce dernier elle est soumise au Parlement, qui émet une loi d’autorisation de la ratification; le Président de la République peut alors prendre un arrêté de ratification. Le projet de ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, dont est actuellement saisi le Conseil des ministres, sera bientôt renvoyé au Parlement.

45.Pour ce qui est de la réciprocité, elle n’est prévue par la Constitution rwandaise que dans le cas des traités bilatéraux entre États qui ne prennent effet sous réserve de leur application par l’autre partie. Elle ne concerne pas les droits individuels garantis dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

46.Contrairement à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en vertu de laquellele génocide est une infraction imprescriptible, la Convention contre la torture ne prévoit pas l’imprescriptibilité du crime de torture et laisse donc à chaque État le soin de choisir son régime. Le Rwanda devra décider si les actes de torture autres que ceux commis dans le cadre du génocide sont des infractions imprescriptibles.

47.M me Gahonzire (Rwanda) dit que des personnes accusées de violences sexistes ont été condamnées aux peines les plus lourdes, allant jusqu’à la réclusion à vie. Le Gouvernement a pris des mesures visant à décourager ce type de violence: les affaires sont jugées à l’endroit où le délit a été commis et font l’objet d’une couverture médiatique et les accusés sont souvent condamnés à des peines maximales.

48.Le système de justice rwandais prévoit que celui qui a commis un délit vis-à-vis de la communauté doit réparation à celle-ci, notamment sous forme de travaux d’intérêt général. Mais il n’est pas possible d’envisager la rémunération de la personne condamnée car cela ne serait pas juste vis-à-vis de la victime. Une assistance, financée par le budget du district concerné lui est cependant apportée. Les travaux d’intérêt général ont fait l’objet d’une évaluation qui montre que le système semble fonctionner de manière satisfaisante. Les personnes qui ont participé au génocide sans commettre de délits majeurs sont astreintes à des travaux d’intérêt général.

49.Il arrive que des enfants de moins de 3 ans accompagnent leur mère, lorsque celle-ci a été condamnée. Les autorités ont pris des mesures pour leur permettre de ne pas être séparés de celle-ci et pour leur fournir, grâce à un programme spécial, du lait et d’autres aliments. Dès le troisième anniversaire de l’enfant, le Gouvernement se met en rapport avec les autorités locales et celui-ci est confié à des proches. Le Conseil national des enfants, qui dépend du Ministère du genre, se charge ensuite du suivi.

50.Avant octobre 2009, un département du Ministère de l’intérieur était chargé des prisons. Le 14 octobre 2009, le Gouvernement a créé un Service national autonome chargé de l’administration des prisons dont la principale mission est de veiller à ce que celles-ci soient aux normes internationales et de lutter contre le surpeuplement carcéral, grâce à des fonds publics alloués à cet effet.

51.Le 25 juillet 2011, dans un souci de rationalisation, le Service national chargé de l’administration des prisons a fusionné avec le département des services communautaires. L’organisme ainsi créé relève toujours du Ministère de l’intérieur. Cette fusion a permis de moderniser le régime pénitentiaire et de disposer de meilleures installations, ainsi que d’améliorer le recrutement et la formation, ce qui s’est traduit par une professionnalisation du personnel pénitentiaire. Grâce aux partenariats établis avec des organisations internationales, le processus de modernisation se poursuit.

52.Les personnes ayant subi des actes de torture sont des victimes. Le Gouvernement s’efforce d’éviter une double victimisation en chargeant des spécialistes de leur apporter un soutien pendant l’enquête. La police nationale a beaucoup progressé dans ce domaine.

53.Le centre d’Iwawa ne relève pas du Ministère de l’intérieur, mais du Ministère de la jeunesse. Des jeunes délinquants, pour la plupart orphelins, y sont placés en vue d’acquérir les compétences nécessaires pour vivre en société.

54.Le Président remercie la délégation rwandaise des informations complémentaires qu’elle a fournies, qui seront mises à profit pour évaluer la situation dans le pays. Il lui rappelle que les documents qu’elle a proposé de transmettre au Comité doivent lui parvenir avant la fin de la semaine.

55.M me Nyirahabimana(Rwanda) remercie les membres du Comité et les assure que leurs observations seront dûment prises en considération afin d’améliorer les procédures en place et pour préparer les réformes requises.

La séance est levée à 18 h eures.