NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/SR.522

9 août 2002

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt-huitième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 522e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,

le mardi 14 mai 2002, à 10 heures

Président : M. BURNS

SOMMAIRE

LA SITUATION DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS OCCUPÉS, AU REGARD DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE

_______________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l’une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d’édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

La séance est ouverte à 10 h 5.

LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS OCCUPÉS, AU REGARD DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE (Point 12 de l’ordre du jour)

1.Le PRÉSIDENT invite M. El Masry, qui a proposé l’ajout de ce point à l’ordre du jour de la vingt‑huitième session, à prendre la parole.

2.Mme GAER, prenant la parole pour une motion d’ordre, dit qu’elle conteste la compétence du Comité pour s’occuper de la situation dans un pays particulier. Le Comité n’a pas à mettre à l’index tel pays précis alors que dans le cadre de ses activités, il aurait tout lieu de faire la même chose pour des dizaines d’États.

3.M. EL MASRY, prenant la parole pour une motion d’ordre, objecte que le Comité a accepté l’ajout de cette question à son ordre du jour, qu’il a donc pris une décision à ce sujet et qu’il ne peut pas maintenant revenir dessus.

4.Le PRÉSIDENT dit que l’ajout d’un point à l’ordre du jour est une chose et que la détermination de la compétence du Comité pour examiner ce point en est une autre. Avant d’être interrompu, il avait l’intention d’inviter M. El Masry dans un premier temps à persuader le Comité que celui-ci avait compétence pour examiner la question et, si le Comité en était convaincu, de l’inviter ensuite à traiter du fond de la question. Il demande donc à M. El Masry d’expliquer d’abord en quoi, à son avis, le Comité est compétent, au regard de la Convention, pour examiner la situation dans les territoires palestiniens.

5.M. EL MASRY rappelle que le dernier jour de la vingt‑septième session, à l’issue de l’examen du troisième rapport périodique d’Israël, le Comité avait demandé à l’État partie, de cesser un certain nombre de pratiques. L’État partie n’en a tenu aucun compte et la situation des derniers mois montre que tout au contraire il a persisté dans les diverses politiques que le Comité avait considérées comme constituant un traitement cruel ou inhumain. Le Comité est donc fondé, dans le cadre du suivi de l’examen du rapport de l’État partie, à examiner la question au regard des obligations contractées par Israël en vertu de la Convention.

6.Le PRÉSIDENT croit comprendre que M. El Masry propose que le Comité étudie la question dans le cadre de l’examen des rapports que les États parties sont tenus de soumettre conformément à l’article 19. S’il n’y a pas d’objection, il considèrera que le Comité s’estime compétent pour examiner la situation dans les territoires palestiniens, compte tenu des conclusions et recommandations qu’il avait formulées à l’issue de l’examen du troisième rapport périodique d’Israël.

7. Il en est ainsi décidé.

8.Le PRÉSIDENT invite M. El Masry à poursuivre son intervention sur le fond de la question.

9.M. EL MASRY rappelle qu’à sa vingt‑septième session, en novembre, le Comité s’était déclaré préoccupé par des violations graves des droits de l’homme commises par Israël dans les territoires occupés et que par ailleurs plusieurs organisations non gouvernementales dignes de foi, comme Amnesty International, Human Rights Watch, Bethselem et l’OMCT, ont rendu compte de violations alarmantes et persistantes des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Le délégué d’Amnesty International a rapporté que la ville de Jénine n’est plus qu’un tas de ruines, les infrastructures ont été anéanties, des maisons ont été détruites ou rendues inutilisables laissant 4 000 personnes, soit plus du quart de la population du camp, sans abri; les civils ont été la cible de missiles lancés par hélicoptère et leurs maisons ont été démolies à coups de bulldozers sans qu’une telle pratique puisse se justifier par la nécessité d’aller rechercher des combattants. Les victimes de ces destructions sont des civils de tous âges et la plupart sont des réfugiés de la guerre de 1948 qui se retrouvent ainsi pour la deuxième fois spoliés de leur toit. Le Comité contre la torture avait déjà dénoncé la pratique des démolitions de maisons comme une violation de l’article 16 de la Convention.

10.Les exécutions extrajudiciaires et les tirs entraînant la mort de Palestiniens sont quotidiens. D’après la Société palestinienne du Croissant Rouge, entre septembre 2000 et mai 2002, 1538 palestiniens ont été tués de façon délibérée et illégale et 19189 autres ont été blessés. L’armée israélienne empêche les ambulances et les véhicules et le personnel médicaux de se rendre auprès des malades et des blessés, et n’hésite pas à tirer. Pendant l’opération menée du 4 au 15 avril 2002 à Jénine, les Forces de défense israéliennes (FDI) ont ouvert le feu de façon répétée sur les ambulances et ont empêché les organisations humanitaires, y compris le CICR, de pénétrer dans le camp et de soigner les habitants civils, et ce blocus a continué même après le 15 avril, quand la grande majorité des individus armés s’était rendue. D’après Amnesty International, le comportement général de l’armée israélienne fait craindre que le but principal des opérations ne soit de punir collectivement tous les Palestiniens, et certaines déclarations du Premier Ministre Ariel Sharon tendent à montrer qu’il en est bien ainsi. Les FDI ont coupé l’électricité, l’eau et le téléphone et, pendant six jours, elles ont empêché le personnel de l’UNRWA d’approvisionner en biens de première nécessité la population du camp. Toutes les organisations humanitaires ont confirmé l’extrême difficulté qu’elles avaient rencontrée pour accéder au camp.

11.L’emploi de boucliers humains, en violation flagrante du droit international humanitaire, est courant et a été systématique à Jénine. Les FDI ont obligé des enfants, des vieillards et des femmes à les accompagner partout où elles voulaient pénétrer pour procéder à des fouilles. Mettre en danger la vie d’autrui représente un traitement cruel et dégradant; de plus, les malheureux qui ont dû ainsi protéger de leur corps les soldats israéliens risquent d’être ensuite accusés de collaboration. Certains d’entre eux ont été libérés quand leurs services n’ont plus été nécessaires, mais d’autres sont retenus. La liste des exactions commises par l’armée israélienne est longue, et chacun des cas justifierait une enquête en vue d’engager des poursuites contre les responsables.

12.Les arrestations sont effectuées au mépris des garanties élémentaires depuis que, le 5 avril 2002, le Commandant des armées a pris une ordonnance − l’ordonnance 1500 − permettant à tout soldat israélien de procéder à une arrestation et de retenir la personne arrêtée pendant 18 jours avant d’engager une procédure judiciaire; ensuite, en application de la loi ordinaire, il dispose de huit autre jours avant de déférer l’intéressé devant un juge, ce qui fait que la détention sans contrôle de l’autorité judiciaire peut durer 26 jours. De surcroît, cette ordonnance a été déclarée rétroactive au mois de mars. Elle permet en outre de ne pas informer les personnes arrêtées des charges qui pèsent contre elles. La campagne d’arrestation, qui vise l’ensemble des Palestiniens de sexe masculin âgés de 15 à 45 ans, constitue également un châtiment collectif. L’armée refuse de révéler le nom des personnes arrêtées et l’endroit où elles se trouvent, ce qui représente un traitement cruel et inhumain pour le prisonnier comme pour ses proches. Des sources dignes de foi indiquent que les détenus sont maintenus menottés, qu’ils subissent des mauvais traitements, voire des tortures pendant les interrogatoires, qu’ils restent sans manger ni boire pendant plusieurs jours et qu’ils ne peuvent pas communiquer avec un avocat.

13.Le 18 avril 2002, l’organisation Bethselem et trois autres organisations humanitaires israéliennes ont déposé une requête urgente à la Haute Cour d’Israël pour exiger que l’accès à un avocat soit garanti et que le recours à la torture soit interdit, mais la Cour a rejeté cette requête.

14.Les autorités israéliennes ont refusé d’autoriser la mission d’enquête du Conseil de sécurité et elles ont également refusé l’envoi d’équipes de secours et tout type d’observation extérieure. On voit donc que les violations des droits de l’homme et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont flagrantes et massives. Israël n’a pas donné effet aux recommandations du Comité, renforçant au contraire sa répression dans chacun des domaines pour lesquels le Comité s’était déclaré préoccupé. Celui-ci devrait donc rappeler à l’État partie ses obligations en vertu de la Convention et voudra peut-être le faire en lui adressant une lettre.

15.Le PRÉSIDENT demande à M. El Masry s’il entend faire une proposition formelle.

16.M. EL MASRY répond qu’il s’agit là d’une suggestion que le Comité peut examiner.

17.Mme GAER reconnaît que les événements survenus au Proche‑Orient au cours des derniers mois sont tragiques mais doute fort que le Comité soit compétent pour organiser un débat spécifiquement consacré à Israël, et ce dans l’abstrait, en l’absence de l’État partie concerné, sans méthodologie et sans critères, alors même que la situation est tout aussi grave dans 28 autres États parties à la Convention.

18.Il convient de replacer l’action d’Israël dans son contexte. L’armée israélienne n’a pas décidé un beau matin de s’en prendre sans raison à des civils innocents dans des camps de réfugiés. L’action d’Israël dans les territoires occupés était nécessaire et proportionnée à la gravité des menaces qui pesaient sur la démocratie, sur la sécurité des citoyens et sur l’existence même de l’État d’Israël. Depuis septembre 2002, les Israéliens ont été la cible de 12 838 attentats qui ont fait 472 morts (dont 71% de civils) et 3 846 blessés.

19.Il existe deux parties au conflit. Or en raison de la structure particulière de la Convention contre la torture, le Comité ne s’intéresse qu’à une de ces parties et ce, semble‑t‑il, pour la condamner. En agissant ainsi il ne contribuera en rien aux efforts déployés par la communauté internationale pour amener les deux camps à mettre fin à la violence et ne fera que saper sa propre crédibilité. Le Roi de Jordanie lui-même a déclaré que Yasser Arafat devait non seulement tout mettre en œuvre pour faire cesser la terreur mais aussi commencer à tenir ses engagements et ne pas manquer l’occasion qui se présente actuellement.

20.S’agissant de la situation à Jénine, il convient d’indiquer que les organisations terroristes avaient truffé le camp de réfugiés d’engins explosifs et d’objets piégés afin de causer un maximum de décès parmi les soldats israéliens et de destructions, que les combattants palestiniens n’ont rien fait pour se distinguer des civils, mettant ainsi ces derniers en danger, qu’ils ont utilisé des enfants

notamment pour transporter des explosifs, qu’ils ont recouru à la perfidie (feindre la reddition par exemple) pour tuer des soldats israéliens et qu’ils ont détourné de leur usage les emblèmes des Conventions de Genève.

21.Il est vrai que de leur côté, les soldats israéliens ont fait pénétrer des civils dans les maisons dont ils craignaient qu’elles soient piégées. La Cour suprême israélienne a formellement condamné cette pratique et l’armée israélienne a immédiatement interdit d’utiliser de quelque manière que ce soit les civils comme boucliers humains. S’agissant des massacres qui auraient été commis dans le camp de Jénine, il s’avère que le bilan de l’intervention israélienne n’est pas de plusieurs centaines de morts comme on l’avait prétendu au départ mais de 52 morts et de moins d’une dizaine de disparus. L’intervention israélienne visait à détruire les infrastructures terroristes et les réseaux bien organisés qui sont chargés de recruter, préparer, équiper et transporter les personnes qui commettent des attentats‑suicides. Les soldats israéliens, pour leur part, ont reçu des ordres précis concernant le respect du droit humanitaire international. Il existe en Israël de nombreuses juridictions, civiles et militaires, chargées de juger les auteurs d’infractions à ces normes.

22.Il convient de rappeler par ailleurs que le Conseil de sécurité, la Commission des droits de l’homme et le Secrétaire général de l’ONU lui‑même se sont longuement penchés sur la question du Proche‑Orient. On ne peut donc prétendre que la communauté internationale ne s’y intéresse pas.

23.La question qui se pose au Comité est celle de sa responsabilité à l’égard de tous les États parties. Il ne doit pas agir dans la précipitation et devrait éviter de mettre à l’index un seul État partie et prendre garde de ne pas politiser son action. Il doit absolument conserver une attitude équitable à l’égard de tous les États parties. Il n’a jamais pris à l’égard d’États parties tels que la Colombie, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, l’Algérie, le Venezuela ou le Sénégal les mesures qu’il envisage de prendre à l’égard d’Israël. Ces pays ont pourtant été le théâtre d’événements tout aussi dramatiques que ceux qui se déroulent au Proche‑Orient.

24.Mme Gaer espère que le Comité ne stigmatisera pas un État partie sous le prétexte fallacieux qu’Israël est un État très particulier.

25.M. YAKOVLEV dit que les événements du Proche‑Orient sont certes tragiques mais le Comité doit inscrire son action dans le cadre de la Convention et rester impartial et objectif. Il convient de rappeler à cet égard qu’aux termes de l’article 2 de la Convention aucune circonstance exceptionnelle quelle qu’elle soit ne peut être invoquée pour justifier une quelconque infraction à la Convention. Il y a lieu également de rappeler le principe juridique fondamental en vertu duquel nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue.

26.Le Comité pourrait invoquer l’article 19 de la Convention pour demander à l’État partie de réagir aux informations dont il dispose sur les événements survenus dans les territoires occupés.

27.M. CAMARA dit que la tâche du Comité aurait été simplifiée si Israël avait fait la déclaration prévue à l’article 21 de la Convention. En effet, dans ce cas, d’autres États auraient sans doute saisi le Comité.

28.Cela dit, dans la pratique, le Comité a toujours admis depuis qu’il examine la mise en œuvre de la Convention par Israël, qu’il pouvait également examiner la situation dans les territoires palestiniens occupés.

29.En outre, en vertu de la l’article 19 de la Convention et de l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité peut demander à l’État partie de lui présenter, outre ses rapports périodiques, tous autres rapports et renseignements sur les nouvelles mesures qu’il a prises.

30.En l’occurrence, le Comité pourrait demander à Israël de lui fournir, dans le cadre du suivi des recommandations du Comité, des informations sur les questions soulevées par M. El Masry. Le Comité devrait toutefois s’abstenir de débattre du fond de la question en l’absence de l’État partie.

31.M. MAVROMMATIS dit que le Comité ne peut fonder sa discussion que sur l’examen du dernier rapport d’Israël et les recommandations présentées à l’issue de cet examen. Il s’associe aux points de vue exprimés par les deux orateurs précédents et précise qu’il faut permettre à l’État partie d’enquêter sur les allégations portées à son encontre et de fournir des réponses au Comité. Par ailleurs, le Comité ne doit pas perdre de vue la nature politique du conflit du Proche−Orient. Certains événements montrent qu’il devrait y avoir une amélioration de la situation sur le terrain. En outre, les États−Unis semblent prendre l’initiative de la convocation d’une conférence pour débattre de la question. En tout état de cause, M. Mavrommatis ne voit pas quelle action ou décision le Comité est habilité à prendre.

32.M. MARIÑO MENENDEZ note que le Comité se trouve face à deux parties, qui toutes deux peuvent faire l’objet de reproches. Il se demande donc si le Comité ne pourrait pas faire référence au Protocole additionnel I aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux. Quoiqu’il en soit, il devrait porter toute son attention sur le suivi des recommandations qu’il a formulées à l’issue de l’examen du dernier rapport d’Israël en novembre 2001 et éviter de prononcer une condamnation.

33.Le PRÉSIDENT précise que le Comité n’a aucune compétence pour condamner Israël et qu’il ne croit pas avoir entendu M. El Masry faire une telle demande, même d’une façon implicite. Par ailleurs, le Comité ne peut pas faire référence à un instrument international relatif aux conflits internationaux pour les événements qui se produisent au Proche−Orient.

34.M. YU Mengjia dit que le Comité ne peut bien sûr qu’espérer la fin du conflit et l’instauration de la paix. Il ne pense cependant pas que le Comité puisse, eu égard à son mandat, éviter toute discussion sur la question. Il y va de sa crédibilité. La discussion a le mérite de poser la question de savoir ce que le Comité peut ou ne peut pas faire. Se fondant sur l’article 20 de la Convention, M. Yu Mengjia n’est pas opposé à ce qu’il y ait un débat sur les questions de fond en l’absence de l’État partie concerné.

35.M. RASMUSSEN déplore qu’Israël n’ait pas permis à la mission d’enquête du Conseil de sécurité de se rendre sur le terrain pour faire la lumière sur les événements survenus dans le camp de Jénine mais il partage l’argument avancé par Mme Gaer qui se demande pourquoi le Comité agirait avec Israël autrement qu’avec les autres pays. M. Rasmussen ne peut donc se rallier à la proposition de M. El Masry.

36.M. GONZÁLEZ POBLETE rappelle que le Comité contre la torture, à la différence de la Commission des droits de l’homme, n’est pas un organe politique mais un organe technique. De plus, il n’a juridiction que sur l’une des parties au conflit; l’autre partie, n’ayant pas la qualité d’État, ne peut être partie à la Convention contre la torture. Le Comité n’a aucun droit de prendre position sans avoir écouté le point de vue de l’État concerné sur les faits qui lui sont reprochés. Il peut lui demander de venir présenter des informations sur la situation. D’autre part, M. González Poblete n’est pas sûr que les nouvelles dispositions adoptées en matière de suivi soient rétroactives. Le Comité n’a donc d’autre choix que d’attendre le prochain rapport d’Israël.

37.Le PRÉSIDENT dit que dans toute situation de conflit, il existe des divergences d’opinion sur le déroulement et la nature même des évènements en cause. Le Comité est un organe technique, limité de par son mandat. La question examinée relève du suivi de ses décisions. Il incombe donc au rapporteur qui sera chargé du suivi de vérifier si les préoccupations et recommandations du Comité ont été prises en compte par l’État partie concerné. Le Président se dit également favorable à l’idée de faire savoir à Israël que lorsque le Comité examinera le prochain rapport d’Israël, il s’attend à y voir figurer certaines informations précises.

38.M. EL MASRY souligne qu’il n’a pas demandé la condamnation de l’État d’Israël ni formulé de proposition formelle. Il a seulement présenté des informations en indiquant que le Comité voudrait peut‑être adresser une lettre à l’État partie pour lui rappeler qu’il doit s’acquitter des obligations qui lui incombent au regard de la Convention quelles que soient les circonstances. À ce propos, le Comité se souviendra qu’à sa dernière session, il a publié, à la suite de l’adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 1373 (2001) une déclaration dans laquelle il avait indiqué en des termes très forts que les États devaient continuer de s’acquitter des obligations prévues dans la Convention, même dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Dans cette optique, selon la procédure de suivi prévue dans le projet de Règlement intérieur révisé (CAT/C/3/Rev.5), le Comité pourrait demander au Rapporteur chargé du suivi d’étudier la situation dans les territoires palestiniens à la lumière des événements récents.

39.Plusieurs membres du Comité se sont demandés pourquoi réagir spécifiquement à la situation en Israël alors que tant d’autres États du monde sont aussi responsables de graves violations de la Convention. La différence est que, quels que soient les actes commis dans les autres pays, en Colombie, en Bosnie ou autres, ces États continuent d’exister. La situation des Palestiniens est exceptionnelle. Alors qu’en 1948 ils formaient la majorité de la population, ils ont dû fuir le territoire sur lequel ils vivaient. Aujourd’hui ils n’ont pas le droit de retourner sur leur terre alors que, en vertu de lois discriminatoires sur la nationalité, l’État d’Israël autorise toute personne juive à devenir citoyen israélien.

40.Un autre élément important est le fait qu’en Palestine il ne s’agit pas d’une situation de guerre; on est en présence d’une armée à l’armement très sophistiqué qui impose sa loi à une population civile. Il est vrai que certains Palestiniens commettent également des actes barbares, mais l’islam condamne catégoriquement le fait de tuer, et donc les attentats suicides. Il ne faut en outre pas oublier que le Gouvernement israélien a empêché la venue de la mission d’enquête que prévoyait le Conseil de sécurité. Pour toutes ces raisons, le Comité pourrait demander aux autorités israéliennes, par l’intermédiaire du Rapporteur chargé du suivi, de s’expliquer sur les allégations de violation de la Convention.

41.Mme GAER dit qu’il faut être prudent lorsqu’on parle d’histoire car les mêmes événements peuvent être considérés sous un angle différent et tout dépend de jusqu’où on remonte dans le temps pour expliquer certains faits historiques. On peut aussi soutenir que le peuple juif, victime d’un génocide il y a 50 ans, était le premier peuple en Palestine. Néanmoins, ces questions n’ont pas à être abordées par le Comité, qui a la charge de veiller à l’application de la Convention.

42.Il faut être aveugle pour ne pas voir qu’Israël est en état de guerre, en situation de conflit armé. L’existence même de l’État d’Israël est mise en cause par certains Palestiniens; l’on sait que dans certains manuels scolaires de la région, l’État d’Israël n’est même pas représenté. La haine et la terreur sont à l’origine de la tragédie que connaît Israël et de l’engrenage du conflit. Alors que le Conseil de sécurité avait appuyé l’initiative visant à dépêcher une mission d’enquête sur le terrain, Israël a estimé qu’elle ne serait pas équitable. Le Secrétaire général des Nations Unies a finalement décidé de ne pas l’envoyer.

43.Le PRÉSIDENT demande à Mme Gaer de ne pas prolonger les débats et de faire, si elle le souhaite, une proposition concrète.

44.Mme GAER, notant que le Comité a consacré beaucoup de temps à l’examen de la situation dans les territoires palestiniens, pense que rien ne justifie qu’il prenne une mesure comme l’envoi d’une lettre aux autorités israéliennes. Si le Comité décidait d’envoyer une telle lettre, il devrait également se demander s’il ne doit pas adresser la même lettre aux 28 États parties responsables de graves violations des droits de l’homme pour leur rappeler qu’ils doivent s’acquitter de leurs obligations au regard de la Convention. En outre, Mme Gaer note que le Comité n’a pas encore défini dans le détail un certain nombre de procédures prévues dans le projet de Règlement intérieur révisé et que, s'il décidait de prendre une mesure à l’égard des autorités israéliennes à la demande d’un seul de ces membres, il outrepasserait sans doute sa compétence et donnerait à sa décision une connotation politique. Elle propose donc que le Comité mette un terme à son débat sur la situation au Moyen-Orient et ne prenne aucune mesure à l’égard d’Israël.

45.M. CAMARA souligne que le Comité est un organe technique et qu’il intervient au cas par cas. Il est actuellement saisi de la situation dans les territoires palestiniens et il ne doit pas refuser de s’en occuper au motif qu’il y a 28 autres États dans lesquels la situation est aussi mauvaise, voire pire.

46.Le PRÉSIDENT, constatant qu’aucun membre du Comité n’appuie la proposition faite par Mme Gaer tendant à ce que le Comité ne prenne aucune mesure concernant la situation dans les territoires palestiniens, déclare que cette proposition est caduque. Le Comité doit maintenant se prononcer sur les mesures qu’il souhaite prendre: adresser une lettre à l’État partie pour lui rappeler ses obligations au regard de la Convention, lui demander d’élaborer un rapport spécial sur la situation, indiquer à l’État partie que le Comité abordera les allégations de violations portées à sa connaissance lors de l’examen de son prochain rapport périodique ou demander au Rapporteur chargé du suivi de veiller à la mise en œuvre des recommandations formulées par le Comité.

47.Répondant à une question posée par M. MAVROMMATIS, le PRÉSIDENT dit que si le Comité chargeait le Rapporteur chargé du suivi d’intervenir, celui‑ci aurait pour tâche de contrôler la manière dont Israël respecte ou non les recommandations que le Comité a adoptées après avoir examiné le rapport périodique d’Israël à sa vingt-septième session.

48.M. EL MASRY dit qu’il n’insiste pas pour que le Comité demande à Israël d’élaborer un rapport spécial.

49.M. GONZÁLEZ POBLETE, revenant sur sa proposition de ne pas intervenir à l’égard d’Israël, suggère que le Comité recommande au Rapporteur chargé du suivi, dans le cadre de ses activités générales de suivi, de prendre spécialement en considération les faits survenus et le débat tenu par le Comité à la présente séance.

50.M. MAVROMMATIS appuie cette proposition.

51.M. YAKOVLEV dit qu’il est prêt à soutenir cette proposition étant entendu que le Rapporteur chargé du suivi ne se rendra pas en Israël mais réunira toutes les informations utiles sur la situation et les présentera au Comité à l’occasion de l’examen du prochain rapport périodique de l’État d’Israël.

52.Le PRÉSIDENT précise que le Rapporteur chargé du suivi prendra contact avec les autorités israéliennes, par l’intermédiaire de la Mission permanente, pour leur demander ce qui a été fait pour tenir compte des préoccupations et recommandations exprimées par le Comité après l’examen du troisième rapport périodique d’Israël. Par exemple, le Comité s’était déclaré préoccupé par les violations de l’article 16 de la Convention, et il peut donc légitimement demander au Gouvernement israélien ce qu’il a fait dans ce domaine.

53.M. MAVROMMATIS pense qu’il appartiendra au Rapporteur chargé du suivi de décider s’il souhaite présenter ses conclusions au moment de l’examen du prochain rapport périodique d’Israël ou avant.

54.Mme GAER propose de modifier le texte présenté par M. Gonzalez Poblete en lui ajoutant le membre de phrase «en relation avec la procédure de suivi appliquée à tous les États parties».

55.Le PRÉSIDENT constate que cet amendement n’est pas appuyé.

56.Essayant de parvenir à un consensus, M. MAVROMMATIS, soutenu par M. GONZÁLEZ POBLETE, propose de recommander au Rapporteur chargé du suivi de «prendre en considération les faits survenus et le débat» plutôt que de «prendre spécialement en considération».

57.Mme GAER dit qu’elle ne peut s’associer au consensus. Elle regrette en outre que, le Comité, qui n’a pas encore établi de directives à l’égard du Rapporteur chargé du suivi, confie déjà à celui‑ci une démarche précise à l’égard d’un seul État partie.

58.Constatant l’absence de consensus au sein du Comité, le PRÉSIDENT soumet au vote le texte proposé par M. Gonzalez Poblete et modifié par M. Mavrommatis.

59. M. Camara, M. El Masry, M. Yu Mengjia, M. González Poblete, M. Mariño Menendez, M. Mavrommatis, M. Rasmussen, M. Yakovlev et M. Burns votent pour. M me  Gaer vote contre. Par 9 voix pour et une voix contre, le texte proposé est adopté.

60.Mme  GAER regrette la décision prise par le Comité, estimant que celui‑ci aurait dû avoir le courage de refuser la politisation de ses travaux en vue d’assurer la protection des droits de toutes les personnes.

La séance est levée à 12 h 40.

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