Comité contre la torture
Cinquant e-deuxième session
Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)*de la 1222 e séance
Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 6 mai 2014, à 10 heures
Président (e): M. Grossman
Sommaire
Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)
Rapport initial de la Guinée
La séance est ouverte à 10 heures.
Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)
Rapport initial de la Guinée (document sans cote, distribué en séance; HRI/CORE/1/Add.80/Rev.1)
Sur l ’ invitation du Président, la délégation guinéenne prend place à la table du Comité.
Le Président souhaite la bienvenue à la délégation guinéenne. Le rapport initial de la Guinée, attendu depuis vingt-quatre ans, étant parvenu la veille de la réunion, les questions qui seront posées au cours de la séance en cours reposeront principalement sur les informations obtenues auprès d’autres sources, dont les organisations non gouvernementales.
M. Diaby (Guinée) indique que la Convention a été ratifiée par la Guinée le 10 octobre 1989 par un gouvernement de régime militaire qui, par cet acte, avait voulu marquer la volonté de la République de Guinée de s’engager dans un processus de démocratisation. La Guinée remercie le Comité pour sa patience, la présentation du rapport initial de la Guinée n’ayant pu se faire en 2000 comme prévu, et lui fait part de sa détermination à donner effet à ses engagements en matière de droits de l’homme et, en particulier, en ce qui concerne le respect de la Convention. Pour la première fois dans son histoire, la Guinée a un comité interministériel chargé des questions relatives aux droits de l’homme pleinement fonctionnel. Cependant, le pays connaît encore des pratiques de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Près d’un demi-siècle de violences politiques et sociales, d’impunité, de corruption et de dysfonctionnement institutionnel ont laissé le pays dans une situation où tout est à faire pour poser les fondements socioculturels d’une société démocratique respectueuse des droits de l’homme. Le pays est maintenant sur la voie de la démocratie, et des réformes législatives, institutionnelles et administratives ont été engagées dans ce sens. Le principe de l’interdiction de la torture est consacré par l’article 6 de la Constitution. Il convient aussi de relever que la Guinée dispose désormais d’une jurisprudence en matière de lutte contre l’impunité, grâce à la décision de la Cour d’assises de Conakry du 19 décembre 2012, condamnant à quinze ans de réclusion criminelle un responsable de la gendarmerie reconnu coupable de tortures ayant entraîné la mort. Les autorités guinéennes sont déterminées à lutter contre la violence et l’impunité qui sévit toujours dans le pays. Pour ce faire, elles auront besoin de la collaboration de la communauté internationale, des organisations non gouvernementales et de l’ensemble de la société, partenaires sans lesquels il ne sera pas possible d’instaurer une nouvelle culture et de bannir l’impunité.
Le Président (Rapporteur pour la Guinée) remercie M. Diaby pour son intervention et se dit impressionné par la volonté de transformation qui y a été manifestée. Il souhaite savoir si la Guinée entend faire de la torture un délit à part entière dans le projet de loi actuellement à l’étude. Il serait aussi intéressant de pouvoir prendre connaissance du texte de ce projet de loi afin de vérifier s’il y est prévu de qualifier la tentative de torture, l’ordre de commettre un acte de torture ou encore la complicité dans des actes de torture. Il serait également utile de rendre la Convention directement applicable en droit interne. La délégation voudra bien indiquer si l’État partie envisage de renforcer les garanties procédurales en ce qui concerne la présomption d’innocence, l’accès à un avocat, l’accès à un médecin, le contact avec un membre de la famille et la présentation à un juge dans les trente‑six heures. De même, des précisions sur la manière dont les tribunaux interprètent les concepts de «torture physique» et de «torture mentale», contenues dans le Code pénal actuel, seraient les bienvenues. Certains pays qui connaissent des transformations institutionnelles importantes établissent, avec la collaboration de tous les segments de la société, un plan général relatif aux droits de l’homme faisant une large place à l’action contre la torture. La Guinée envisage-t-elle de procéder de la sorte?
Le Président souhaiterait aussi connaître les mesures que l’État partie compte prendre pour mettre un terme à l’usage excessif de la force. Selon des données émanant d’Amnesty International, dans le contexte des dernières élections, tenues en 2013, ainsi que lors de manifestations à caractère social, la répression a été excessive, des actes de torture ont été commis et de nombreux manifestants ont été tués. Des informations sur les mesures prises pour punir les auteurs de tels actes, le code de conduite établi à l’intention des forces de sécurité, la formation des forces de police ou encore l’équipement des forces antiémeute seraient les bienvenues. À la suite de l’attaque de la résidence présidentielle commise en juillet 2011, plus de 40 personnes auraient été arrêtées et, selon des organisations non gouvernementales, soumises à de la torture aux fins d’obtenir des aveux. La délégation est priée de donner des précisions sur les circonstances des décès survenus dans ce contexte et d’indiquer si des mesures ont été prises pour éliminer de telles pratiques.
Le Président se réjouit de la nomination de quelque 300 magistrats et de la création de cours et tribunaux en vue de la mise en place d’un véritable pouvoir judiciaire. Il souhaiterait avoir des précisions sur la part du budget national allouée au système judiciaire et savoir si d’autres mesures ont été prises pour renforcer l’appareil mis en place. Il serait également intéressant d’avoir des précisions sur les dispositions garantissant la séparation des pouvoirs dans le pays. Enfin, la délégation voudra bien fournir des renseignements sur les mesures prises dans le domaine de la justice des mineurs et de la lutte contre les violences à l’égard des femmes et, plus précisément, contre les mutilations génitales féminines, dont la pratique est extrêmement répandue.
Le Président demande si le principe de non-refoulement est bien inscrit dans le droit guinéen et assorti de garanties suffisantes. La délégation voudra bien indiquer, d’autre part, si la Guinée a déjà eu recours à des assurances diplomatiques dans des cas d’extradition, et si des auteurs ou des victimes d’actes de torture ont fait l’objet de procédures d’extradition hors du pays. Le Président souhaiterait savoir si la Guinée dispose d’un mécanisme d’enregistrement systématique des éléments de preuve dans les affaires pénales, ce qui faciliterait la tâche du parquet lorsque celui-ci souhaite ouvrir une procédure en l’absence de plainte. Selon certaines informations, la Guinée ne compterait qu’un seul expert légiste pour tout le pays. Le Gouvernement prévoit-il d’en former d’autres?
M. Gaye(Corapporteur pour la Guinée), notant que les abus et les violences se poursuivent depuis 2010 malgré la volonté affirmée du nouveau Gouvernement d’y mettre fin, avance l’idée qu’il serait utile de restructurer les forces de défense et de sécurité afin que les personnes impliquées dans des exactions n’occupent plus de postes à haute responsabilité. La délégation est invitée à fournir des informations supplémentaires concernant les actes de torture dont auraient été victimes Alhousseine Camara, en octobre 2011, MM. Bah, Keita et Sow, en février 2012, et Aboubacar Soumah, en août 2012, ainsi que la mort suspecte d’Alseny Diakité au cours de sa détention en novembre 2011. M. Gaye aimerait savoir quelles mesures sont prises pour garantir l’accès à un avocat et à un médecin après une interpellation. La délégation est invitée à commenter les allégations selon lesquelles les plaintes pour torture ou mauvais traitements visant des membres des forces de sécurité sont souvent laissées sans suite et les procédures sont paralysées en raison de la non-coopération des témoins et suspects. Des précisions concernant les garanties institutionnelles et les mécanismes permettant de préserver l’indépendance de la justice seraient les bienvenues. M. Gaye souhaiterait aussi savoir quelles mesures l’État partie compte prendre pour mieux s’acquitter de son obligation d’accorder des réparations aux victimes d’actes de torture en vertu de l’article 14 de la Convention. Notant que la durée de la détention provisoire dépasse souvent largement la durée maximale fixée par la loi, il demande si des mesures concrètes sont prévues pour désengorger les prisons et améliorer les conditions de détention. Le Gouvernement envisage-t-il d’autoriser les ONG à effectuer des visites dans les lieux de détention militaires, comme elles le font déjà dans les prisons civiles? La délégation est invitée à préciser le calendrier d’achèvement et d’adoption des projets de révision du Code pénal, du Code de procédure pénale et du Code militaire. En ce qui concerne la justice transitionnelle, la délégation voudra bien indiquer si des mesures sont prévues pour accélérer les travaux de la commission provisoire de réconciliation nationale et faire en sorte que celle-ci formule des propositions concrètes dans un avenir proche. M. Gaye demande si l’État partie envisage d’intégrer les dispositions de l’article 15 de la Convention dans son droit interne ou si les juges peuvent invoquer directement la Convention afin de déclarer irrecevables des aveux obtenus sous la torture. Enfin, la délégation voudra bien indiquer si le Gouvernement entend ériger en infraction les traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le Code pénal révisé, comme le prévoit l’article 16 de la Convention.
M. Modvig dit qu’un moindre recours à la détention provisoire contribuerait à réduire les problèmes de surpeuplement carcéral et les risques de torture. Il serait aussi utile d’autoriser les visites sans préavis d’ONG dans les lieux de privation de liberté. La délégation est invitée à commenter ces propositions, dont la mise en œuvre présente l’avantage de ne pas nécessiter de moyens financiers ou humains supplémentaires.
M. Domah demande si le Gouvernement dispose d’un véritable projet de réorganisation constitutionnelle et institutionnelle afin de consolider l’état de droit, de combler les failles du système judiciaire et de favoriser la démocratisation du pays. Il souligne que le respect de la Convention repose en grande partie sur des mesures législatives, administratives et judiciaires que l’État partie devrait être en mesure de prendre malgré le peu de ressources dont il dispose.
M. Tugushi aimerait savoir où en est l’enquête concernant les mauvais traitements subis par une trentaine de détenus transférés dans une unité militaire en septembre 2013. Pointant les dysfonctionnements du système pénitentiaire, il demande quelles mesures sont prévues pour remédier au manque d’accès aux soins, à l’absence de prisons pour mineurs, à la non-séparation des prévenus des condamnés et aux graves problèmes de malnutrition et de déshydratation dans les prisons guinéennes. Saluant le fait que les ONG soient autorisées à effectuer des visites dans les lieux de privation de liberté, il invite la délégation à fournir des précisions sur le mandat du Ministère des droits de l’homme en ce qui concerne les établissements pénitentiaires.
M me Belmir, soulignant la défiance de la population guinéenne à l’égard des institutions judiciaires, dit que l’accès à la justice doit être amélioré. Constatant que les événements passés avaient montré que l’armée guinéenne n’agissait pas toujours en faveur de l’état de droit, elle estime que la répartition des tâches entre les forces militaires, les forces de police et les juges doit être revue et clairement établie afin que la loi puisse être appliquée et respectée.
M me Gaer souhaiterait avoir davantage de données statistiques concernant la justice pénale et le système pénitentiaire. Elle demande quelle suite a été donnée aux observations formulées par la Haut-Commissaire aux droits de l’homme dans son rapport de février 2014 (A/HRC/25/44), qui fait état d’un recours quasi systématique à la torture et aux mauvais traitements contre des personnes en détention ou en garde à vue. Notant que, d’après les chiffres du Ministère des affaires sociales, les violences physiques et sexuelles contre les femmes sont un problème endémique en Guinée, elle aimerait savoir comment le Gouvernement compte s’attaquer à ce phénomène. La délégation est invitée à préciser la suite donnée aux recommandations de la Commission d’enquête internationale chargée d’établir les faits et les circonstances des événements du 28 septembre 2009. Les personnes ayant participé à la destruction de preuves relatives à cette affaire ont-elles été sanctionnées? Mme Gaer aimerait savoir si des mesures concrètes ont été prises comme suite aux recommandations issues de l’Examen périodique universel et si le Gouvernement guinéen serait disposé à accepter la visite du Rapporteur spécial sur la question de la torture ou du Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes, par exemple.
Le Président (Rapporteur pour la Guinée), notant que des efforts ont été déployés pour poursuivre les auteurs de violations de droits de l’homme commises en septembre 2013, aimerait connaître l’état d’avancement des procédures engagées à cet égard en 2010. Le Gouvernement guinéen coopère-t-il pleinement à l’enquête préliminaire ouverte par la Cour pénale internationale sur ces événements? La délégation est invitée à fournir des renseignements sur la progression de l’enquête au sujet des violences interethniques survenues en juillet 2013 et à commenter les informations selon lesquelles les travaux du groupe de juges chargé de l’affaire seraient actuellement suspendus.
La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 5.