NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.87310 juin 2009

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Quarante-deuxième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 873e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le jeudi 30 avril 2009, à 15 heures

Président: M. GROSSMAN

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial du Tchad (suite)

La séance est ouverte à 15 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Tchad (CAT/C/TCD/1) (suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation tchadienne reprend place à la table du Comité.

2.M. DJASNABAILLE (Tchad) dit que le Gouvernement tchadien est fermement résolu à donner suite aux remarques pertinentes qu’a formulées le Comité et à honorer ses engagements internationaux, ce en dépit de l’instabilité qui règne dans le pays depuis de nombreuses années.

3.À l’heure actuelle, la torture n’est pas expressément définie en tant qu’infraction distincte dans le droit interne, mais est considérée comme une circonstance aggravante. L’avant-projet de loi visant à modifier et à compléter le Code pénal, élaboré dans le cadre de la réforme de la justice en cours, contient une définition presque en tous points semblable à celle de la Convention (art. 18 dudit projet de texte) et prévoit des peines à la mesure de l’infraction (art. 19), ce qui permettra de combler cette lacune. Pour l’heure, l’infraction de torture est couverte par différents instruments: la Constitution interdit la torture et les sévices ou traitements dégradants et humiliants (art. 17, 18 et 20) et le Code pénal, qui prévoit et réprime d’autres actes constitutifs de traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, contient des dispositions relatives aux auteurs des infractions (art. 156), aux peines qui les sanctionnent (art.143) et prévoit des circonstances aggravantes (art. 151). La loi 006/PR/02 sur la promotion de la santé de reproduction incrimine les mauvais traitements et les actes de violence au sein de la famille, tels que les mutilations génitales féminines, les mariages précoces et les sévices sexuels (art. 9), et le décret 269 du 4 avril 1995 portant adoption du code de déontologie de la police garantit la protection des personnes appréhendées par elle (art. 10).

4.Différentes mesures visent à éviter que des actes de torture ne soient commis sur le territoire tchadien. La Constitution consacre l’inviolabilité de la personne ainsi que le droit à la vie, à la sécurité, à la liberté et à la protection de la vie privée de la personne et de ses biens. La durée normale de la garde à vue, quiest de quarante-hui heures, ne peut être prolongée de quarante-huit heures qu’avec l’autorisation expresse du ministère public. Lorsque l’arrestation n’a pas eu lieu au siège du magistrat, la durée de la garde à vue est augmentée du temps nécessaire à la conduite de l’intéressé au lieu de la détention, étant entendu que l’officier de police judiciaire responsable du transport est tenu de faire preuve de toute la diligence possible. Les autorités judiciaires procèdent régulièrement à des inspections dans les commissariats et brigades pour vérifier le respect de ces délais. Tous les commandants de brigade et les officiers de police judiciaire ont été amenés à suivre un cours de perfectionnement sur le respect et la protection des droits des personnes et de leurs biens. Malgré ces efforts des abus continuent à se produire, notamment en raison du manque de personnel et de moyens.

5.Les dispositions nécessaires sont prises pour que toute arrestation soit dûment inscrite sur un registre et que l’individu arrêté soit traduit devant le procureur de la République qui vérifie la légalité de la détention. Des dispositions analogues assurent la régularité de l’arrestation en cas de flagrant délit. Il n’y plus de lieux de détention secrets dans le pays depuis la chute du régime dictatorial d’Hissène Habré; les autorités sont systématiquement intervenues dans les quelques rares cas de détention secrète néanmoins signalés.

6.Même si les textes législatifs et règlementaires ne le prévoient pas explicitement, dans la pratique les avocats ont accès aux locaux de la police et de la gendarmerie, peuvent communiquer avec les gardés à vue, prendre connaissance des dossiers les concernant et assister aux interrogatoires conduits devant le procureur et le juge d’instruction.

7.De même, bien que la législation tchadienne ne définisse pas expressément la torture, interdiction est faite aux agents des forces de l’ordre, sous peine de poursuites, de faire subir à une personne appréhendée des actes inhumains, cruels ou dégradants (art. 10 du décret de 1995 portant adoption du code de déontologie de la police).

8.Les articles 143, 145 et 156 du Code pénal, qui répriment les actes de nature à porter atteinte aux droits des personnes, font que l’ordre d’un supérieur ne peut être invoqué pour justifier la torture. Pour contester un ordre illégal, le subordonné peut soit s’adresser à un officier d’un grade supérieur à celui qui a intimé l’ordre, soit saisir les autorités judiciaires.

9.Les autorités administratives et judiciaires sont habilitées à ordonner l’extradition, l’expulsion ou le refoulement d’une personne conformément à la législation pertinente mais cette personne a la possibilité de contester la décision devant les tribunaux, qui statuent alors de toute urgence. Les conditions et la procédure de l’extradition sont fixées aux chapitres 1 et 2 du titre 6 du Code de procédure pénale. Les autorités judiciaires peuvent décider de ne pas renvoyer une personne dans son pays d’origine si elle risque d’y subir des actes de torture, s’il y a manifestement erreur, ou lorsque la légalité de la demande est contestée. Les associations de défense des droits de l’homme et l’avocat de cette personne peuvent transmettre aux autorités tout élément qui atteste que ses droits de l’homme risquent d’être violés si elle est extradée. Dans l’affaire Tchanguiz Vatankhah c. le Ministère de la sécurité publique et de l ’ immigration , un réfugié iranien frappé d’expulsion administrative a saisi la Cour suprême, qui lui a donné raison au motif que la décision d’expulsion enfreignait les droits qui lui étaient reconnus par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ratifiée par le Tchad.

10.Les articles 149, 151, 152 et 156 du Code pénal répriment la commission, la tentative de commission et l’ordre de commettre des actes de torture par un représentant de l’autorité publique lors de l’arrestation ou de la détention et prévoient les peines applicables qui, conformément à l’article 31 dudit Code, peuvent être assorties de peines supplémentaires. Le code de déontologie de la police fixe les sanctions disciplinaires imposables aux auteurs de tels actes. Aucune statistique sur l’application des dispositions susmentionnées n’est disponible, mais dans une affaire d’allégations d’actes de torture, le tribunal de première instance de N’djamena, ayant requalifié les faits d’actes de torture en coups et blessures volontaires, a condamné un gendarme à douze mois fermes d’emprisonnement et 1 500 000 francs CFA d’amende. Dans une autre affaire, ce même tribunal a rejeté la demande de mise en liberté de deux gendarmes poursuivis pour arrestation illégale qui déclaraient avoir agi sur l’ordre de leur chef et a ordonné la comparution immédiate du supérieur en question, le colonel chef d’état‑major de la légion 10 de la gendarmerie.

11.La législation tchadienne n’a pas encore été harmonisée avec les articles 5 à 9 de la Convention, mais le réaménagement des textes pénaux qui a été entrepris et pour lequel le Tchad bénéficie de l’appui de l’UNICEF et de l’Union européenne devrait permettre d’y remédier. Il convient de mentionner, à propos de l’article 8 de la Convention, que dans l’affaire de l’Arche de Zoé, à la demande du Gouvernement français et conformément à l’accord bilatéral d’entraide judiciaire du 6 mars 1976, le Tchad a extradé vers la France les nationaux français condamnés sur son territoire pour enlèvement et séquestration d’enfants.

12.Des programmes de formation couvrant tous les aspects des droits de l’homme sont dispensés dans les établissements de formation militaire, scolaire, universitaire et professionnelle, et le Gouvernement prend actuellement des mesures en vue de développer la formation et le matériel didactiques destinés à l’armée. Toutes les filières de l’École nationale d’administration et de magistrature comprennent en outre un module d’enseignement sur les droits de l’homme et les libertés.

13.Le Code de procédure pénale fait obligation aux autorités judiciaires d’inspecter régulièrement les prisons et autres lieux de détention de leur ressort (art. 221, 247 et 483). Le procureur de la République, le juge d’instruction ou le juge de paix, selon les cas, sont habilités à recevoir les plaintes des détenus et à y donner suite (art. 482 du Code de procédure pénale). Il existe un registre d’écrou dans tous les centres de détention.

14.Selon l’article 176 du Code de procédure pénale, c’est la police judiciaire qui est chargée de constater les infractions à la loi, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs tant qu’une information n’est pas ouverte. Son action est dirigée et coordonnée par le procureur de la République, qui fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des auteurs d’infraction (art. 177 et 202 dudit Code).

15.Les allégations de torture ou de toute autre infraction sont portées directement à la connaissance du procureur, mais en l’absence d’un système de protection des victimes et des témoins, ceux-ci hésitent souvent à signaler les faits, même si les autorités judiciaires font tout leur possible pour protéger les personnes menacées de représailles. Les victimes d’acte de torture peuvent demander réparation devant les tribunaux et les personnes victimes d’actes de torture sous le régime dictatorial d’Hissène Habré ont ainsi, collectivement ou individuellement, saisi le juge d’instruction qui, malheureusement, ne disposait pas des moyens nécessaires pour mener l’enquête à bien. Pour y remédier, une proposition de loi visant à l’indemnisation de toutes les victimes directes ou indirectes du régime d’Hissène Habré a été élaborée mais elle n’a toujours pas abouti, pour des raisons de procédure.

16.Le Gouvernement a chargé une commission composée de représentants de la société civile, de magistrats et d’observateurs internationaux d’enquêter sur les troubles de février 2008; cette commission a recommandé l’indemnisation des victimes des actes de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants commis lors de ces événements.

17.L’article 71 du Code de procédure pénale établit que les juges ne peuvent fonder leurs décisions que sur des preuves produites à l’audience et ayant fait l’objet d’un débat contradictoire. Les aveux obtenus par la torture sont irrecevables. Dans la pratique, des auteurs d’actes de torture ont été sanctionnés, par exemple dans l’affaire Mariam Daoud où le Ministre de la justice, le Directeur général de la gendarmerie et le Secrétaire particulier du Chef de l’État ont été démis de leurs fonctions.

18.M. ANNOUR (Tchad) dit que les trois responsables de l’ancienne Direction de la Documentation et de la Sécurité mentionnés ont droit à la présomption d’innocence au même titre que toute autre personne.

19.L’aide juridictionnelle est accordée à chaque fois que nécessaire, malgré l’absence de législation en la matière.

20.La récente signature d’une convention avec l’Union européenne, qui prévoit notamment la construction de maisons d’arrêt, devrait permettre d’apporter une réponse au problème du surpeuplement carcéral.

21.Les préfets n’ont jamais exercé de fonctions judiciaires, mais à une certaine époque, en raison de l’insuffisance de juges de paix, des fonctions judiciaires limitées avaient été attribuées aux sous-préfets pour faire face au réel déficit de magistrats constaté en dépit des efforts consentis par le Gouvernement en matière de formation.

22.Au Tchad, les magistrats ont toujours bénéficié d’une rémunération supérieure à celle des autres agents de la fonction publique. Ainsi, le salaire d’un magistrat en début de carrière est actuellement deux fois supérieur à celui d’un médecin. Pour limiter les risques de corruption, le projet de loi sur le nouveau statut des magistrats prévoit de relever encore leur salaire. À ce propos, l’inspection judiciaire et le Conseil supérieur de la magistrature ont examiné différents cas d’allégation de corruption et ordonné la révocation de plusieurs magistrats.

23.Des magistrats ont été formés pour assumer les fonctions de juge des enfants au niveau des tribunaux et de la Cour d’appel. Pour rapprocher la justice des justiciables, la loi n° 004/PR/98 portant organisation judiciaire a institué des justices de paix dans chacun des 10 arrondissements de la capitale et dans chacune des sous-préfectures, où sont affectés des juges de paix professionnels.

24.M. HASSAN (Tchad) dit qu’un séminaire consacré aux droits de l’homme a été organisé à l’intention des autorités administratives, des magistrats et des officiers de police judiciaire et qu’un enseignement sur les droits de l’homme est désormais dispensé dans tous les centres de formation militaires, y compris les écoles de police et de gendarmerie. Des préoccupations ont été exprimées au sujet de la pratique de la «mise à disposition» (par. 355 du rapport) mais les magistrats n’y ont plus recours et le placement en détention provisoire se fait désormais exclusivement en vertu d’un mandat de dépôt.

25.Un projet de loi prévoyant la création d’un corps officiel de gardiens de prison est en cours d’examen et devrait être adopté prochainement. L’exercice des fonctions de surveillance et d’encadrement par des professionnels dûment formés, y compris aux normes internationales relatives au traitement des détenus, devrait permettre de remédier aux dysfonctionnements constatés dans certains établissements pénitentiaires.

26.Il n’y a effectivement pas de tribunaux militaires au Tchad et ce sont les juridictions de droit commun qui connaissent des infractions commises par les membres des forces armées. Une brigade spéciale d’intervention de la gendarmerie est chargée de rendre compte de toute infraction commise par un membre des forces armées afin que l’intéressé puisse être jugé.

27.Les difficultés matérielles qui entravaient le déroulement de la procédure d’enquête sur les violations perpétrées sous le régime d’Hissène Habré sont en passe d’être résolues. Les victimes ou leurs ayants droit ont saisi le juge d’instruction et les auditions devraient commencer sous peu.

28.Le projet de loi portant statut de la médiature, en cours d’examen par l’Assemblée nationale, vise à préciser les attributions et obligations du Médiateur et à faciliter le recours des citoyens à ses services. Dans le domaine de la protection des enfants, le Gouvernement tchadien a mis en place plusieurs programmes en collaboration avec des organismes internationaux tels que l’UNICEF, dont le plan national d’action contre la violence faite aux enfants et l’exploitation sexuelle des enfants ainsi qu’un projet de politique globale de promotion du développement intégral de l’enfant, qui s’adresse notamment aux enfants particulièrement vulnérables comme les «mouhadjirines», les enfants des rues et les enfants soldats.

29.Plus de 500 000 réfugiés soudanais et centrafricains sont actuellement regroupés dans la région est du Tchad. Une unité spéciale composée de policiers et de gendarmes tchadiens formés par la Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad a été créée pour assurer leur sécurité et empêcher la militarisation des camps.

30.L’abolition de la peine de mort figure parmi les recommandations issues des États généraux de la justice, tenus en 2003. Un vaste processus de révision des textes pertinents, notamment le Code pénal et le Code de procédure pénale, a été entrepris en vue de mettre le droit interne en conformité avec les instruments internationaux ratifiés par le Tchad.

31.M. DJASNABAILLE (Tchad) dit que le Gouvernement tchadien est conscient du chemin lui restant à parcourir pour s’acquitter pleinement de ses obligations au regard de la Convention et espère pouvoir compter sur les conseils avisés du Comité ainsi que sur l’assistance technique et financière du Haut-Commissariat aux droits de l’homme pour progresser dans cette voie.

32.Mme BELMIR (Rapporteuse pour le Tchad) fait observer que l’affirmation de la délégation selon laquelle les préfets ne sont investis d’aucun pouvoir judiciaire semble toujours contredite par le paragraphe 52 du rapport, où il est indiqué que le pouvoir du préfet s’exerce dans plusieurs domaines, dont le domaine judiciaire. Il faudrait lever cette ambigüité.

33.Les infractions récurrentes aux dispositions réglementant la garde à vue et la détention provisoire donnent à penser que les contrôles effectués par les autorités judiciaires sont insuffisants. Il est en effet fréquent que des personnes soient maintenues en garde à vue au-delà des 48 heures prévues par la loi. La délégation a indiqué que lorsqu’un procureur constatait pareille infraction à l’occasion d’une visite de contrôle dans un commissariat, il ordonnait la libération des intéressés mais il lui faudrait préciser si lorsque l’existence d’une infraction est constatée, ses auteurs sont sanctionnés conformément aux dispositions applicables en la matière .

34.La répression qui a suivi les événements de 2008 a donné lieu à quantité d’exactions signalées dans plusieurs rapports d’ONG. Il faudrait savoir si des enquêtes à ce sujet ont été ouvertes ou vont l’être. L’insuffisance des moyens affectés à la commission d’enquête sur les violations commises sous le régime d’Hissène Habré conduit à douter de la volonté du Gouvernement d’établir la vérité et de poursuivre les coupables, voire à se demander s’il ne s’agit pas d’une tentative délibérée d’empêcher l’un et l’autre. Si le Gouvernement était soucieux de la réconciliation, il aurait pu créer une commission vérité et réconciliation et permettre ainsi au moins aux victimes d’obtenir la reconnaissance officielle des violations commises.

35.La situation des réfugiés en provenance du Darfour et de la République centrafricaine est alarmante; le Comité comprend qu’il soit difficile pour le Gouvernement tchadien de faire face à cet afflux de population, mais il est urgent d’agir pour mettre un terme à la détresse de ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.

36.Le PRÉSIDENT, s’exprimant en sa qualité de Corapporteur pour le Tchad, voudrait savoir si des poursuites ont été engagées contre les personnes qui administraient les lieux de détention secrets où des personnes étaient détenues du temps du régime d’Hissène Habré.

37.Il demande si, depuis la proclamation de l’État d’urgence en 2006, la situation a été réexaminée en vue de déterminer si les circonstances qui avaient conduit à cette décision persistaient. Les risques d’abus étant généralement accrus en pareil contexte, il serait utile de savoir quelles mesures ont été prises pour les éviter.

38.Des précisions seraient utiles concernant le calendrier de mise en œuvre et les moyens de suivi des mesures adoptées pour faire une place accrue à l’enseignement des droits de l’homme dans la formation dispensée aux membres des forces armées.

39.Le fait que le Procureur de la République, le juge d’instruction et les juges de paix soient habilités à recevoir des plaintes de détenus et à y donner suite est une excellente chose, encore faut-il qu’ils reçoivent effectivement des plaintes. Les fonctions incombant à la police judiciaire − constat de l’existence d’une infraction, rassemblement des preuves et recherche des auteurs présumés − nécessitent des moyens dont elle ne dispose pas forcément et dont il conviendrait de la doter. Le Comité souhaiterait savoir si des démarches ont été entreprises dans ce sens.

40.L’absence de législation garantissant la protection des victimes et des témoins est une lacune à laquelle il est essentiel de remédier. Des informations sur les mesures envisagées à cette fin seraient appréciées. Le Comité déplore que l’adoption du projet de loi sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture perpétrés sous le régime d’Hissène Habré soit entravée par des questions de procédure. La délégation pourrait donner une estimation du délai nécessaire à l’achèvement de cette procédure et fournir en outre des précisions sur la suite donnée aux recommandations formulées par la commission d’enquête mise en place au lendemain des événements de 2008.

41.En vertu de la Convention contre la torture, tout acte de torture constitue une infraction pénale dont les auteurs doivent être poursuivis et condamnés. La simple révocation, comme dans l’affaire Mariam Daoud, d’agents de l’État reconnus coupables de torture ne saurait être considérée comme une sanction satisfaisante au regard de cette obligation. Plusieurs dispositions du Code pénal définissant et réprimant les actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, il serait intéressant de savoir si des poursuites ont déjà été engagées contre des agents de l’État pour de tels actes et si des condamnations ont été prononcées.

42.M. GALLÉGOS CHIRIBOGA salue les efforts déployés par le Gouvernement tchadien pour relever les importants défis hérités du passé ou liés à la situation actuelle dans la région. Il convient de se féliciter de sa volonté politique de continuer à améliorer la protection des droits de l’homme dans le pays en recourant à l’assistance technique du Comité contre la torture et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Pour sortir du cercle vicieux de la violence et des conflits intercommunautaires, le Gouvernement tchadien doit faire de la lutte contre l’impunité sa priorité. En vertu de son obligation de donner suite aux observations finales et recommandations du Comité, il devrait l’informer régulièrement des progrès accomplis en la matière.

43.M. MARIÑO MÉNENDEZ salue la franchise avec laquelle la délégation a rendu compte des problèmes que soulève l’application de la Convention et répondu aux questions. Elle a indiqué qu’en cas de découverte d’un lieu de détention secret, les autorités procédaient immédiatement à la libération des personnes détenues, mais il lui faudrait préciser si cette pratique est le fait de miliciens, de chefs tribaux, de seigneurs de guerre ou implique des fonctionnaires échappant au contrôle de l’administration.

44.L’article 143 du Code pénal (par. 225 et 226 du rapport) semblant susceptible d’aboutir à exonérer de sa responsabilité un fonctionnaire public auteur d’actes de torture s’il a agi sur ordre d’un supérieur hiérarchique, des explications sur ce point seraient bienvenues.

45.la délégation pourrait indiquer s’il existe des exceptions à l’interdiction d’extrader des réfugiés politiques, énoncée à l’article 46 de la Constitution, par exemple si la requête d’extradition vise un réfugié suspecté de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.

46.Enfin, il serait intéressant de savoir si le Tchad envisage de ratifier la Convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.

47.Mme SVEAASS s’alarme que les victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements hésitent à porter plainte dans la crainte de représailles, qu’il soit difficile d’obtenir des témoignages à ce sujet. Dans un tel climat de peur et de méfiance, des mesures s’imposent pour lutter contre l’impunité et donner l’assurance à la population que ses droits seront respectés. La délégation voudra donc bien indiquer si l’État a pris des mesures pour renforcer la Commission nationale des droits de l’homme et la faire connaître à la population.

48.Le Comité se réjouit des actions menées par l’État partie pour dispenser des formations sur les droits de l’homme aux responsables de l’application des lois et au personnel de santé, et l’encourage à continuer sur cette voie.

49. Des renseignements sur les mesures qu’a prises l’État partie pour faire respecter les droits des handicapés mentaux seraient bienvenus.

50.M. DJASNABAILLE (Tchad) convient que la législation tchadienne présente des faiblesses. Le Comité doit comprendre que nombre de textes en vigueur au Tchad datent de la période de l’accession à l’indépendance, époque à laquelle les textes de loi étaient délibérément libellés en termes très flous pour garantir l’impunité des auteurs d’actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Gouvernement a d’ores et déjà entrepris de rendre ces textes plus précis, mais beaucoup reste à faire pour les mettre en conformité avec les engagements internationaux souscrits par le Tchad en matière de droits de l’homme et le Tchad appelle donc à nouveau le Comité et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme à lui apporter leur assistance technique, qui serait particulièrement utile aux fins de l’élaboration, en cours, du nouveau Code pénal.

51.Le Tchad est résolu à s’engager plus avant sur la voie de la protection et de la promotion des droits de l’homme, mais jusqu’à présent le Gouvernement a dû principalement s’employer à défendre l’intégrité territoriale de l’État, ce qui a mobilisé l’essentiel de ses moyens. La quasi‑totalité des efforts consentis par le Gouvernement visent à asseoir l’autorité de l’État, dont l’existence est sans cesse menacée, et à fondre les diverses communautés vivant dans le pays en une seule et même nation. Il reste que la mise en place d’un Ministère des droits de l’homme et de la promotion des libertés témoigne de la volonté politique de respecter les droits de l’homme et de faire en sorte qu’ils soient pris en compte dans chacune des activités des services publics.

52.Force est de convenir que les problèmes mentionnés concernant les juges et les préfets sont bien réels. À l’occasion d’un recensement de la population carcérale, le Ministère de la justice a pu constater que nombre de personnes détenues depuis plusieurs mois n’avaient pas été traduites devant un juge. Une commission a été chargée d’examiner la situation de l’ensemble des détenus. Toutes les personnes détenues illégalement ont été libérées, ce qui témoigne de la volonté du Gouvernement de faire respecter les droits de l’homme. Le Ministère des droits de l’homme dénonce chaque fois qu’il le faut les violations des droits de l’homme commises par les agents de l’État ou par ses hauts-responsables et émet des critiques à l’encontre des personnes qui les commettent, quelles qu’elles soient.

53.Les textes législatifs en vigueur présentent des lacunes en ce qui concerne les victimes de violations des droits de l’homme, mais le Gouvernement entend y remédier. Dans l’intervalle, le Ministère des droits de l’homme continue d’aider les victimes, de défendre leurs intérêts et de leur fournir un appui afin qu’elles puissent faire valoir leurs droits. Les insuffisances de l’action des pouvoirs publics en la matière sont indéniables mais le Comité peut être assuré que le Gouvernement a la ferme volonté d’améliorer la situation de ces victimes et de combattre l’impunité. Les autorités doivent toutefois faire preuve de discernement et considérer la situation dans son ensemble lorsqu’elles envisagent de sanctionner des membres de l’armée, notamment des officiers supérieurs, qui commettent des infractions car ce sont les défenseurs de l’intégrité du territoire, laquelle ne peut être compromise. Lorsque des sanctions sont prises contre des militaires, il arrive que d’autres militaires abandonnent leur poste par solidarité. Des sanctions administratives sont néanmoins prises et, le plus souvent, les autorités aident les victimes à engager des poursuites pénales. Il est fréquent que les auteurs d’infractions multiplient les recours contre les décisions de justice prises à leur encontre ou bénéficient de la complicité de juges ou d’autres officiers, ce qui complique encore la tâche du Gouvernement.

54.Le Ministère des droits de l’homme a nommé dans chaque région un délégué qui conseille le gouverneur, le préfet et le sous-préfet et représente le Ministère sur le terrain. Lorsque des violations sont commises, il met tout en œuvre pour les faire cesser et pour que les responsables soient punis. Les auteurs de violations des droits de l’homme ne sont certes pas tous sanctionnés, mais le Gouvernement maintient son objectif de mettre un terme à l’impunité.

55.S’agissant de l’affaire Hissène Habré, sur le plan national, la justice est saisie et un procès est en cours. L’administration a été dotée de toutes les ressources voulues mais se heurte à tous les niveaux à des blocages et à des complicités qui empêchent ses décisions d’être exécutées. Les victimes elles-mêmes, regroupées en associations, ne semblent pas très soucieuses de voir avancer la procédure; elles s’impliquent très peu et n’adressent pas de demandes d’aide au Ministère des droits de l’homme face à la lenteur de la justice. Sur le plan international, les victimes et les ONG qui les soutiennent sont très actives. L’Union africaine a été saisie de l’affaire et l’a confiée au Sénégal, lequel a décidé d’attendre que la totalité des fonds nécessaires à l’organisation du procès aient été versés par la communauté internationale avant d’engager la procédure, ce que le Gouvernement tchadien regrette. Si le Sénégal devait décliner la demande de l’Union africaine, le Tchad envisagerait de juger lui-même M. Habré, tout en ayant conscience des difficultés qui se poseraient, notamment le fait que la peine de mort y reste en vigueur. M. Habré pourrait être jugé dans un autre pays, notamment la Belgique.

56.Concernant les événements du 2 février 2008, pendant quarante-hui heures N’Djamena a été entièrement occupée par des rebelles qui s’en sont pris à la population en se repliant. Ce n’est qu’après leur retrait qu’il a été constaté que des personnes avaient disparu, notamment des civils, dont certaines ont été retrouvées et d’autres pas; les autorités ignorent en particulier où se trouve M. Ibini mais elles ne sont pas indifférentes à sa disparition et sont déterminées à faire toute la lumière sur cette affaire. Le Gouvernement n’entend nullement couvrir des personnes qui pourraient être impliquées dans cette disparition mais veut agir dans le respect du droit. Une commission d’établissement des faits a été mise en place et dotée de ressources importantes; elle a eu toute la latitude voulue pour enquêter et a formulé des conclusions et recommandations, préconisant notamment de porter l’affaire devant la justice et de constituer un comité de suivi. La justice a donc été saisie de l’affaire et des magistrats à l’intégrité notoire ont été choisis pour l’examiner. Le Gouvernement a exigé la collaboration de tous et veillera à ce que les coupables soient punis, ce qui aura un effet dissuasif sur les personnes qui envisageraient de commettre de tels actes à l’avenir et montrera que nul n’est au-dessus des lois.

57.Au sujet des enfants soldats, les parents ont davantage conscience du fait que les enfants ne doivent pas être enrôlés. L’armée nationale a démobilisé tous les enfants qu’elle comptait parmi ses rangs et ne recrute plus de mineurs. Les mineurs qui s’étaient engagés dans la rébellion ont été confiés à l’UNICEF.

58.Des progrès ont été constatés concernant les mariages forcés. Cette pratique est désormais dénoncée par un nombre croissant de personnes et sera interdite par le nouveau Code pénal.

59.Le Ministère de la défense a réaffecté les commandants de brigade et les policiers analphabètes coupables d’exactions. Les commandants de brigade doivent désormais savoir lire et écrire et avoir des notions de droit. Des séminaires de formation sont dispensés à tous les niveaux des forces armées. Le Gouvernement a en outre mis une cinquantaine de généraux à la retraite et il souhaite progressivement écarter de l’armée les gens qui n’y ont pas leur place tout en leur donnant les moyens de s’assurer des moyens de subsistance sans reprendre les armes. Il a pour objectif, à terme, de former l’ensemble des personnes recrutées et de faire de l’armée un corps respectueux des valeurs des droits de l’homme.

60.Le Tchad, tout en s’employant à mettre à jour ou à modifier l’ensemble de ses textes législatifs qui ne sont plus adaptés à la réalité contemporaine et à abolir les pratiques contraires aux droits de l’homme, s’attache à favoriser un changement des mentalités. Il souhaite édifier un État moderne fondé sur les principes de la prééminence du droit et du respect des droits de l’homme. Cet objectif reste encore éloigné car la société tchadienne est une société de violence, dans laquelle les armes parlent. Il s’agira donc d’un travail de longue haleine, pour lequel le Tchad aura besoin du concours de la communauté internationale et il tiendra compte, à cet égard, de l’ensemble des observations formulées par le Comité.

La séance est levée à 17 heures.

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