Nations Unies

CAT/C/SR/1220

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

8 mai 2014

Original: français

Comité contre la torture

Cinquante-deuxième session

Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 1220 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 5 mai 2014, à 10 heures

Président (e): M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Rapport initial du Saint-Siège

La séance est ouverte à 10 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport initial du Saint-Siège(CAT/C/VAT/1).

Sur l ’ invitation du Président, la délégation du Saint- Siège prend place à la table du  Comité.

M gr Tomasi (Saint-Siège) dit que le Saint-Siège a adhéré à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en juin 2002, au nom de l’État de la Cité du Vatican, sur lequel il exerce sa souveraineté. Dans la déclaration interprétative qu’il a déposée au moment de son adhésion, il exprime son attachement aux dispositions de la Convention et précise qu’il s’engage à l’appliquer dans la mesure où cela est «compatible, en pratique, avec la nature particulière de cet État». Ainsi, en vertu de cette déclaration, le Saint-Siège, dont la personnalité juridique internationale ne doit pas être confondue avec celle des territoires sur lesquels il exerce sa souveraineté en tant qu’État, pose que la Convention ne s’applique que sur le territoire de l’État de la Cité du Vatican. Il importe de préciser que le système juridique de cet État est distinct du système juridique de l’Église catholique, ce qui signifie que les normes canoniques n’y sont pas toutes applicables. Le Saint-Siège s’est donc doté de lois qui incriminent les activités illicites et prévoient des peines à la mesure de la gravité des faits. Toutefois, vu la petite taille du territoire, le taux de criminalité y est faible, et le système pénitentiaire réduit à son minimum.

Plusieurs faits nouveaux en lien avec la Convention sont survenus depuis l’établissement du rapport en décembre 2012. Le premier est la modification de la législation de l’État de la Cité du Vatican suite à l’adoption, le 11 juillet 2013, de la lettre apostolique du pape François relative à la compétence des autorités judiciaires de l’État de la Cité du Vatican dans les affaires pénales, en particulier la modification de l’article 3 de la loi no VIII qui porte expressément sur le crime de torture. Ce nouveau texte, incorporé au Code pénal, reprend presque textuellement la définition de la torture inscrite à l’article premier de la Convention et prévoit des peines appropriées. Le paragraphe 6 du même article se fonde sur l’article 15 de la Convention et interdit expressément l’utilisation de toute déclaration obtenue par la torture comme élément de preuve dans une procédure. De plus, des modifications ont été apportées à la loi no IX, qui donnent des précisions sur la nature des infractions réprimées, la compétence des tribunaux, les questions d’extradition et les peines appliquées. Ces modifications visent à donner effet aux articles 3, 5 et 8 de la Convention et découlent directement de l’adhésion du Saint-Siège à la Convention. Il est important de noter qu’une des modifications apportées interdit toute extradition d’une personne vers un État susceptible de pratiquer la torture.

Il convient de souligner que le Saint-Siège n’exerce pas sa juridiction, au sens de l’alinéa 1 de l’article 2 de la Convention, sur l’ensemble des membres de l’Église catholique. En effet, ces derniers n’ont pas à répondre de leurs actes devant le Saint-Siège, mais devant les autorités du pays dans lequel ils vivent, conformément au droit interne du pays en question. Cela s’applique à tous les actes visés par la Convention mais aussi aux autres actes répréhensibles assimilés à de la torture qu’une personne affiliée à une institution catholique pourrait commettre. Ayant apporté au droit pénal les modifications nécessaires pour le mettre en conformité avec la Convention, le Saint-Siège estime s’être acquitté de bonne foi de ses obligations en vertu de cet instrument et entend poursuivre ses efforts dans la promotion d’une culture de respect des droits de l’homme.

M me Gaer (Rapporteuse pour le Saint-Siège), rappelant la teneur de l’Observation générale no 2 sur l’application de l’article 2 par les États parties, notamment s’agissant de l’obligation pour l’État de prévenir la torture, qui s’applique «à quiconque agit, de droit ou de fait, au nom de l’État partie ou en liaison avec lui […]», constate avec préoccupation que la déclaration interprétative de l’État partie a pour effet d’exclure du champ d’application de la Convention des représentants ou membres officiels de l’Église catholique. Les dispositions de la Convention devraient s’appliquer au Saint-Siège dans son ensemble, ainsi qu’à toutes les entités qui sont placées sous son autorité, et pas seulement à l’État de la Cité du Vatican, comme c’est le cas actuellement. Mme Gaer demande si l’État partie estime que la déclaration interprétative est conforme aux buts visés par la Convention et est de nature à prévenir la commission d’actes de torture dans toute juridiction placée sous l’autorité du souverain pontife.

La Rapporteuse félicite l’État partie d’avoir incorporé dans son droit interne une définition de la torture conforme à celle de l’article premier de la Convention et invite la délégation à préciser si le droit pénal interdit toute tentative de commission d’un acte de torture et tout acte de complicité dans une affaire de torture. Elle aimerait en outre savoir si un délai de prescription a été fixé pour les actes de torture. Donnant lecture d’un passage de la loi no VIII, la Rapporteuse croit comprendre que l’interdiction de la torture ne vise que les fonctionnaires de police, les personnes investies d’une autorité judiciaire et les agents de la force publique ou les personnes qui relèvent de leur autorité, ce qui est contraire aux prescriptions de la lettre apostolique du pape François, qui prévoit que cette interdiction s’applique à toutes les personnes investies d’une fonction officielle au sein de l’Église. Elle aimerait donc savoir s’il est prévu d’élargir la portée de cette interdiction dans le Code pénal pour l’étendre à tous les membres de la Curie romaine et au personnel diplomatique du Saint-Siège. Elle demande en outre si l’État partie prévoit de modifier les normes fondamentales auxquelles doivent se conformer les membres du clergé dans l’exercice de leur ministère telles que définies par la Congrégation de la doctrine de la foi pour interdire tout acte de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Mme Gaer rappelle qu’il est souligné dans l’Observation générale no 2 du Comité, que le paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention dispose que l’interdiction de la torture est absolue et non susceptible de dérogation et qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée par un État partie pour justifier la torture dans tout territoire sous sa juridiction. Concrètement, elle demande si tous les fonctionnaires de l’État partie, dont les gardes suisses et les gendarmes, connaissent bien la Convention, l’appliquent et sont éventuellement sanctionnés en cas de non-respect des normes qu’elle consacre. De même, elle souhaite savoir quelles mesures sont prises contre les membres du clergé qui commettent des violences sexuelles, notamment sur des enfants. Le Saint-Siège a-t-il pris des dispositions autres que le transfert vers d’autres diocèses ou lalaïcisation de prêtres, qui sont des mesures disciplinaires, pour prévenir et réprimer de tels actes? Il serait intéressant de disposer de chiffres précis sur le nombre d’affaires de violence sexuelle et de pédophilie dans lesquelles des procédures ont été engagées contre des membres du clergé, d’entendre des détails sur les enquêtes civiles et pénales menées au sujet de telles affaires et d’en savoir plus sur les directives données aux diocèses par la Congrégation pour la doctrine de la foi dans ce domaine. MmeGaer voudrait également recevoir des informations sur les mesures prises pour que les victimes et les témoins puissent porter plainte sans crainte de représailles. Il serait intéressant d’entendre, dans ce contexte, des détails sur la réforme de la règle des vœux de silence, à laquelle sont soumis les membres de certains ordres religieux.

La Rapporteuse note que l’interdiction absolue de l’avortement peut, dans certains cas, entrer en contradiction avec la Convention, notamment lorsqu’il y a eu viol de mineure. Évoquant des cas de filles âgées de neuf ou dix ans qui, violées et enceintes, ont fini par se suicider, elle voudrait savoir quelle est l’attitude du Saint-Siège en pareilles circonstances. Elle souhaite aussi recevoir des précisions sur sa position au sujet des avortements thérapeutiques.

À propos de l’article 3 de la Convention, la Rapporteuse demande des renseignements sur le nombre de demandes d’asile reçues par l’État partie, ainsi que sur le nombre de personnes qu’il a extradées. Au sujet des articles 4 à 8, Mme Gaer souhaite obtenir un complément d’information sur la compétence de l’État partie concernant les auteurs d’infractions au sens de l’article 4, quand l’auteur présumé ou sa victime est un ressortissant dudit État. Elle voudrait aussi savoir combien de personnes ont été poursuivies dans ce cadre avant la réforme du Code pénal et depuis l’application de celle-ci et, plus particulièrement, comment le Saint-Siège compte appliquer l’article 8 de la Convention dans le nouvel ordre pénal. Notamment, qu’advient-il des concordats signés avec l’Autriche et l’Italie? Il serait aussi intéressant d’en savoir plussur la décision du Saint-Siège de répondre négativement à la demande d’extradition formulée par le Procureur de la République polonaise au sujet de l’ancien nonce apostolique en République dominicaine, l’archevêque Jozef Wesolowski, suspecté de pédophilie.

M. Tugushi (Corapporteur pour le Saint-Siège) souhaite savoir quelles sont les mesures prises par le Saint-Siège pour faire en sorte que les membres du clergé catholique, ainsi que ceux des congrégations et des ordres religieux soient bien informés sur les droits de l’homme et, plus précisément, sur les dispositions de la Convention contre la torture.Évoquant l’article 12 de la Convention, le Corapporteur dit que les propos tenus récemment par le pape François sont porteurs de promesses de changement face à l’impunité dont les membres du clergé auteurs d’abus sexuels sur enfants ont bénéficié jusqu’à présent. Rappelant qu’aux termes de cet article les autorités doivent procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous leur juridiction, il demande un complément d’information sur le nombre de plaintes reçues, d’enquêtes ouvertes, de sanctions prises, ainsi que des statistiques sur le nombre de personnes qui ont violé les dispositions de la Convention contre la torture.La délégation voudra bien par ailleurs préciser si l’État partie a mis en place un mécanisme de protection des victimes et des témoins contre les représailles. Le Corapporteur rappelle, d’autre part, à l’État partie que les dispositions de l’article 14 s’appliquent à tous. Il constate que de nombreuses allégations font état de manœuvres d’intimidation des victimes et de mesures d’indemnisation insuffisantes, et lui demande quelles mesures ont été prises pour garantir à la victime d’un acte de torture le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation de la manière la plus complète possible. Revenant sur la question de l’avortement, déjà évoquée par MmeGaer, il rappelle que selon des statistiques récentes de l’Organisation mondiale de la Santé, 22 millions d’avortements sont encore pratiqués chaque année dans de mauvaises conditions de sécurité avec, pour conséquence, une issue fatale pour quelque 47 000 femmes. Il demande au Saint-Siège quelle est sa position face à cette situation alarmante, qui frappe principalement les populations les plus pauvres.

M. Domah demande si, compte tenu des faits indésirables qui se sont produits et de la nature particulière de l’État partie, il est envisagé de créer une structure permanente, dotée d’un mandat précis, qui s’occuperait des affaires de viols et de sévices sexuels sur enfants.

M . Gayerelève que, tel que révisé, le Code pénal du Saint-Siège comporte la qualification de torture. Néanmoins, il souhaite avoir plus d’informations sur les moyens de répression des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il serait intéressant de savoir si les victimes d’infractions peuvent s’adresser directement aux autorités judiciaires, sans passer par le promoteur de justice dont il est question dans le rapport de l’État partie.

M me Belmir observe que les sévices sexuels, qui relèvent pourtant de l’article premier de la Convention contre la torture, sont qualifiés seulement de délits graves contre les mœurs dans le Code pénal du Saint-Siège. Elle encourage l’État partie à revoir la qualification des infractions les plus graves afin que leurs auteurs n’encourent pas seulement des sanctions disciplinaires. Évoquant le cas des «blanchisseries Madeleine» en Irlande, elle aimerait savoir si les observations formulées à cet égard par le Comité des droits de l’enfant ont été suivies d’effet. La délégation est invitée à préciser le champ de compétence des instances judiciaires de l’État partie, ainsi que les critères selon lesquels une infraction pénale relève des autorités pontificales ou des autorités d’un autre État. Notant que les enfants nés de viol commis par des membres du clergé sont parfois retirés à leur mère et privés du droit de connaître leurs parents, tandis que les auteurs sont simplement mutés, elle demande quelles solutions sont envisagées par l’État partie pour remédier à cette situation.

M. Z HANG KENING aimerait avoir des précisions sur les différentes sources du droit de l’État partie et, en particulier, sur la place réservée au droit international par rapport au droit canonique.

Le Président se félicite que l’État partie reconnaisse le rôle du Comité dans la lutte contre la torture et salue les efforts menés par le Saint-Siège en faveur de l’abolition de la peine de mort. Il demande si les agents des forces de l’ordre reçoivent une formation sur des questions comme l’extradition vers les pays pratiquant la peine de mort, la lutte contre la traite des personnes et la répression des sévices sexuels commis par des membres du clergé. Des précisions concernant le mandat, le programme de travail et les activités de la nouvelle commission pontificale pour la protection de l’enfance seraient les bienvenues. Notant que le projet de Code pénal contient une définition de la torture pleinement conforme aux dispositions de la Convention et que des infractions telles que les violences sexuelles contre les enfants et les crimes contre l’humanité seront désormais punies, il demande quelles mesures seront prises pour appliquer concrètement ces nouvelles dispositions.

M me Gaer croit comprendre que le Concordat de 1933 est interprété par les autorités autrichiennes comme signifiant qu’il leur est interdit d’interroger ou de poursuivre un membre du clergé tant que celui-ci n’a pas été défroqué. De même, en vertu des accords du Latran signés entre le Saint-Siège et l’Italie en 1929, les membres du clergé ne seraient pas tenus de fournir des informations aux magistrats qui en font la demande. La délégation est invitée à apporter des éclaircissements sur ces points et à préciser s’il est prévu de modifier les différents traités signés entre le Saint-Siège et d’autres États afin de renforcer la lutte contre l’impunité. Au paragraphe 40 de son rapport, l’État partie a indiqué que le tribunal de l’État de la Cité du Vatican n’avait jamais eu à prêter son concours à une quelconque procédure étrangère engagée au titre d’actes de torture. Des précisions seraient les bienvenues concernant les dispositions prises par l’État partie pour coopérer avec d’éventuelles procédures visant des violations de la Convention. Est-il déjà arrivé que la Congrégation pour la doctrine de la foi ou un autre organe du Saint-Siège ait en sa possession des informations relatives à des actes de torture ou à de mauvais traitements et les communique à des autorités étrangères? En ce qui concerne le scandale des «blanchisseries Madeleine», la délégation voudra bien préciser la position qu’adopterait le Saint-Siège si le témoignage de membres du clergé était exigé par les autorités irlandaises et indiquer si les congrégations concernées seront encouragées à verser des réparations aux victimes.

Le Président aimerait savoir où en est la construction de la troisième cellule de détention évoquée au paragraphe 20 du rapport initial. Notant qu’il n’existe pas de programmes de réadaptation et de réinsertion proprement dits pour les victimes d’actes de torture ou leur famille, il invite la délégation à préciser les mesures prises dans ce domaine.

La première partie (publique) de la séance prend fin à midi.