Nations Unies

CAT/C/SR.1622

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

4 mai 2018

Original : français

Comité contre la torture

Soixante- troisième session

Co mpte rendu analytique de la 1622 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 26 avril 2018, à 15 heures

Président (e): M. Modvig

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Quatrième rapport périodique du Sénégal (suite)

La séance est ouverte à 15 h 10.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Quatrième rapport périodique du Sénégal (CAT/C/SEN/4, CAT/C/SEN/QPR/3 et HRI/CORE/SEN/2015) (suite)

1.Sur l’invitation du Président, la délégation sénégalaise reprend place à la table du Comité.

2.M me  Tall Gassama (Sénégal) dit que le Sénégal accorde une place importante aux institutions nationales des droits de l’homme et aux organisations de la société civile, qui participent à presque toutes les actions relatives à l’application de la Convention. Ainsi, le Conseil consultatif national des droits de l’homme, qui est composé de représentants des ministères, de la société civile et du Comité sénégalais des droits de l’homme, est notamment chargé de préparer les rapports dus aux organes conventionnels et de suivre la mise en œuvre des recommandations émanant de ces organes. L’Observatoire national des lieux de privation de liberté a fourni au Comité des rapports d’inspection détaillés sur les visites effectuées pendant la période à l’examen, et le Comité sénégalais des droits de l’homme a donné son avis sur le rapport périodique.

3.La délégation a pris bonne note de l’observation selon laquelle la définition de la torture inscrite dans le projet de Code pénal révisé ne fait pas mention des actes visant à obtenir des renseignements, à punir, à intimider ou à faire pression sur une tierce personne, et elle veillera à ce que le projet soit modifié en conséquence. Pour ce qui est du calendrier législatif, certaines dispositions du nouveau Code ont déjà été adoptées, et d’autres, notamment celles qui portent sur la définition de la torture, sont en phase de relecture.

4.M. Ka (Sénégal) explique que le Code pénal définit la torture comme faisant partie de la catégorie des délits, qui, dans le droit sénégalais, sont punissables d’une peine d’emprisonnement de un mois à dix ans. Les peines prévues par l’article 295-1 du Code pénal pour les actes de torture (qui vont de cinq à dix ans d’emprisonnement) correspondent donc au maximum autorisé par la loi. En outre, le Statut des Chambres africaines extraordinaires a érigé la torture en crime puni d’une peine de réclusion comprise entre trente ans et la perpétuité. Tous les cas de torture connus des autorités font l’objet d’une enquête. La délégation tient d’ailleurs à la disposition du Comité deux décisions de condamnation prononcées contre des membres de la police judiciaire reconnus coupables d’actes assimilables à la torture ou à des mauvais traitements. Quant aux critères de modulation des peines, l’article 433 du Code pénal prévoit que si la peine d’emprisonnement prévue est supérieure à cinq ans, le juge ne peut pas prononcer une peine inférieure à deux ans.

5.M me Tall Gassama (Sénégal) précise que l’affirmation figurant dans le rapport selon laquelle l’analphabétisme et la pauvreté affectent l’effectivité des droits témoigne simplement d’un état de fait, lié notamment à une méconnaissance de ces droits, auquel l’État s’efforce de mettre fin.

6.M. Ba (Sénégal) dit que lorsqu’une personne est placée en garde à vue, elle doit immédiatement être informée des motifs de cette mesure. Aux termes de l’article 55 de la loi no 2006-30 du 8 novembre 2016, complété par la circulaire no 179 du 11 janvier 2018, la personne privée de liberté bénéficie dès son interpellation de la présence d’un avocat, qui peut être physiquement présent durant toute la garde à vue mais n’a pas accès au dossier et n’est pas associé aux autres actes de l’enquête.

7.M. Ndiaye (Sénégal) précise que l’avocat peut s’entretenir pendant trente minutes avec son client dès le début de la garde à vue et qu’il doit être présent chaque fois que son client est auditionné. L’effectivité de cette garantie est pour l’instant entravée par le nombre insuffisant d’avocats, mais le Ministère de la justice et le barreau du Sénégal mettent tout en œuvre pour remédier à cette situation. En outre, sur l’ensemble du territoire sénégalais, les avocats ont libre accès aux différents commissariats pour assister leurs clients. Le délai de garde à vue est actuellement de quarante‑huit heures.

8.M. Ba (Sénégal) dit que ce délai de quarante‑huit heures est renouvelable par le Procureur sur demande motivée de l’officier de police judiciaire. Un délai de quatre‑vingt‑seize heures renouvelable est prévu pour les infractions extrêmement graves, notamment dans les affaires de terrorisme et d’atteinte à la sûreté de l’État. Dans tous les cas, les garanties applicables aux personnes placées en garde à vue doivent être respectées. Il n’y a pas d’incohérence entre le délai de vingt‑quatre heures, qui est prévu pour des cas spécifiques (lorsqu’un officier de police judiciaire veut entendre des témoins ou empêcher une personne de s’éloigner du lieu de l’infraction jusqu’à la clôture de ses opérations), et le délai de quarante‑huit heures, qui s’applique aux gardes à vue.Les agents de l’État qui se livrent à des actes de torture sont passibles, outre de sanctions pénales, de sanctions disciplinaires allant du blâme à la radiation.

9.M me Tall Gassama (Sénégal) dit que le pouvoir donné au Procureur de décider de la détention d’une personne n’est exercé qu’exceptionnellement et uniquement en cas de flagrant délit, dans le cadre de la comparution immédiate. Lorsqu’une instruction est ouverte, c’est alors le juge qui est seul compétent à prendre une décision relative à la détention. Par ailleurs, la détention provisoire n’est pas systématique et n’est utilisée que lorsque la situation l’exige. Aux termes de l’article 127 bis du Code de procédure pénale, la durée de la détention provisoire est limitée à six mois pour les délits. Aucune limite n’existe actuellement pour les crimes, mais un projet de réforme en cours d’étude prévoit que ce délai ne pourra excéder deux à trois ans.

10.M. Ba (Sénégal) dit que certains commissariats et certaines brigades de gendarmerie disposent d’un local séparé pour la garde à vue des mineurs, mais que dans la pratique, ces derniers sont généralement laissés libres dans la salle d’accueil ou confiés à leurs parents en attendant leur convocation devant le juge. L’examen médical, lorsqu’il est effectué sur demande des autorités judiciaires, n’entraîne pas de frais pour la personne concernée, sauf si elle souhaite être examinée par un médecin de son choix. La personne privée de liberté peut informer ses proches dès son interpellation.

11.M. Ka (Sénégal) ajoute que la séparation entre détenus mineurs et majeurs est strictement respectée dans les établissements pénitentiaires.

12.M. Ndiaye (Sénégal) dit que l’État a décidé d’augmenter substantiellement le budget alloué à l’aide juridictionnelle, dont le champ d’application pourrait être élargi à l’ensemble de la procédure − notamment aux frais médicaux − au lieu de la seule prise en charge des honoraires d’avocat.

13.M me Tall Gassama (Sénégal) dit que la pratique du retour de parquet est devenue exceptionnelle et n’est utilisée qu’en l’absence de toute autre solution. Elle intervient généralement lorsqu’une affaire complexe est présentée en fin de journée au Procureur et que le juge d’instruction a besoin d’un temps de lecture pour pouvoir prendre sa décision. Dans de tels cas, la personne est envoyée au commissariat central de Dakar jusqu’au lendemain. Des dispositions encadrant cette pratique sont prévues dans la réforme législative en cours d’adoption.

14.Répondant à la question de savoir si des recours ont été formés pour contester la régularité de la garde à vue et combien ont abouti, M. Ka(Sénégal) indique que, dans sept affaires jugées en appel par le Tribunal de grande instance de Tambacounda, le juge a décidé de mettre un terme aux poursuites au motif que les détenus n’avaient pas été informés de leur droit d’être assisté par un avocat. S’agissant des délais observés pour le transfèrement des prévenus, il explique que pour les deux tribunaux de grande instance de Dakar, le délai est de deux heures au plus et pour les tribunaux de grande instance des autres régions du pays, ce délai n’excède pas deux jours. Il admet toutefois qu’il conviendrait d’inscrire expressément ces délais dans la législation même si, dans la pratique, aucun cas d’inobservation n’est constaté.

15.En qui concerne les suites données au décès d’Amadou Dame Ka, survenu au commissariat central de Thiès le 2février 2015, M. Ba (Sénégal) dit que l’affaire est toujours pendante devant le tribunal, et que trois policiers ont été inculpés et placés sous contrôle judiciaire. Pour ce qui est du décès de Boubacar Ndong à la brigade de gendarmerie de Hann le 15 novembre 2015, l’enquête a conclu à un suicide et, à titre de sanction, le commandant de la brigade a été transféré d’office dans un autre lieu d’affectation.

16.M. Ciss (Sénégal) dit que les travaux de construction d’une prison de 1 500 places à Sébikotane ont débuté et que le projet de construction de six maisons d’arrêt de 500 places dans diverses régions devrait se concrétiser, étant donné l’intérêt manifesté par les pouvoirs publics pour la réduction de la population carcérale. Il ajoute que le Gouvernement a mené une réflexion globale sur la question de la surpopulation carcérale et que des programmes de réhabilitation des prisons sont mis en œuvre au niveau régional. En 2016, il a lui-même supervisé les travaux de construction de toilettes dans toutes les cellules de la prison de Vélingara.

17.La loi 2000‑38 portant modification du Code pénal prévoit des peines de substitution à l’emprisonnement, mais ces peines ne sont pas encore appliquées parce que les organes compétents en la matière n’ont pas encore été institués. Les ONG peuvent effectuer des visites dans les prisons ; il suffit pour cela qu’elles adressent une demande à l’administration pénitentiaire. Les soins administrés aux détenus sont pris en charge par l’État ; leur financement est inscrit sur la même ligne budgétaire que celui de l’alimentation.

18.M me Tall Gassama (Sénégal) dit que les détenus souffrant de troubles psychiques font l’objet d’un suivi médical régulier et peuvent être internés au centre psychiatrique de Thiaroye, en cas de besoin. À l’occasion de la célébration de la fête nationale du 4 avril 2018, le Président de la République a promulgué un décret de grâce visant 691 personnes atteintes d’un handicap physique ou psychique. De plus, l’administration pénitentiaire travaille à la mise en place d’un dispositif d’alerte qui permettra de signaler les personnes souffrant de troubles psychiques et de prononcer soit une mise en liberté conditionnelle soit une mesure de grâce. Pour ce qui est des mandats de dépôt concernant les infractions aux articles 56 à 100 du Code pénal (crimes et délits contre la chose publique), ceux-ci ne sont délivrés que lorsque le Procureur de la République motive sa réquisition.

19.M. Ciss (Sénégal) explique que la fouille intégrale des détenus lors de leur admission dans les lieux de détention n’a pas pour but d’humilier ceux qui la subissent mais d’empêcher l’entrée ou la sortie d’objets, de produits ou de correspondances prohibés. L’administration pénitentiaire est en train d’acquérir des appareils de détection sophistiqués, tels que des scanners, des portiques ou des systèmes de vidéosurveillance, pour changer ses méthodes de fouille. En ce qui concerne l’isolement, prévu par l’article 167 du décret 2001/362, M. Ciss dit que toutes les mesures sont prises pour éviter des conséquences fâcheuses, notamment lorsque les détenus ont des tendances suicidaires.

20.Des mesures sont prises pour améliorer les conditions sanitaires dans les établissements pénitentiaires. Ainsi, le budget destiné à l’alimentation et aux soins a considérablement augmenté entre 2012 et 2017, et chaque établissement est doté d’un personnel en nombre suffisant pour compléter les médecins de l’administration pénitentiaire. Les hôpitaux prennent en charge les détenus qui ne peuvent pas être soignés par le personnel des établissements pénitentiaires. Pour ce qui est des mesures d’aménagement des peines, celles-ci ne sont prises à l’heure actuelle que par le comité d’aménagement des peines des cours d’appel de Kaolack et de Dakar. Il convient de noter que selon les données disponibles pour la période de 2012 à 2016, le nombre de cas de libération conditionnelle et de grâce n’a cessé d’augmenter.

21.M. Kane (Sénégal) dit que le droit à la santé est un droit fondamental garanti par la Constitution. Il souligne l’existence d’un projet de loi relatif à la couverture maladie universelle qui prévoit la gratuité des soins, notamment pour les personnes vulnérables et indigentes. Il mentionne également l’existence d’un projet de décret instituant une carte sanitaire, qui s’inscrit dans le cadre de la réforme hospitalière de 1998 et qui prévoit une forte implantation d’infrastructures sanitaires dans tout le pays, un renforcement des ressources humaines et la mise en place de nouveaux équipements sanitaires. S’agissant des mesures adoptées pour pallier l’insuffisance du personnel médical et prendre en charge les victimes de torture, M.Kane évoque en outre la collaboration qui existe entre l’Observatoire national des lieux de privation de liberté et les Ministères de la santé et de la justice.

22.M.  Dieye (Sénégal), rappelle qu’aucune loi ne réprime l’homosexualité en tant que telle au Sénégal, que l’article 319 du Code pénal prohibe uniquement les actes contre nature, et que toutes les personnes auxquelles l’ONG Human Rights Watch a fait référence dans ses allégations ont été libérées.

23.M. Tine (Sénégal) informe le Comité que le projet de lois sur les réfugiés et son décret d’application ont franchi avec succès toutes les étapes de validation technique. Ce projet est le fruit de la collaboration de l’ensemble des départements ministériels concernés (Ministères des affaires étrangères, de la justice, de l’intérieur, de la santé et de l’action sociale) et du HCR, regroupés en un comité technique relevant de la Commission nationale des réfugiés et des personnes déplacées. Il est destiné à remplacer la loi sur les réfugiés de 1968 afin de prendre en compte aussi bien les réfugiés que les apatrides.

24.Répondant aux allégations de certaines ONG sur des arrestations arbitraires en Méditerranée résultant de l’accord sur la migration conclu en 2006 avec l’Espagne, M. Tine précise que ce traité avait pour objectif non pas de permettre au Sénégal d’intervenir en Méditerranée mais de mettre en place des opérations conjointes menées par les forces de police sénégalaises et les patrouilles de l’agence européenne de gardes frontière et de gardes-côtes (Frontex) afin d’éviter que des personnes ne se rendent en Méditerranée à partir des côtes sénégalaises. Grâce à cet accord, aucune embarcation n’a quitté le Sénégal pour l’Espagne entre 2009 et 2016. Il convient de signaler également l’existence d’un accord sur la main-d’œuvre conclu avec l’Espagne en 2006 et d’un accord sur la gestion concertée des flux migratoires et notamment sur la migration de la main‑d’œuvre qualifiée, conclu la même année avec la France.

25.M. Ka (Sénégal) dit que l’Observatoire national des lieux de privation de liberté n’a jamais reçu d’instruction d’une quelconque autorité et n’a jamais été entravé dans l’exercice de ses fonctions, et que tous les rapports qu’il a soumis aux autorités judiciaires ont donné lieu à des poursuites et à des enquêtes. Le Comité sénégalais des droits de l’homme a quant à lui été rétrogradé au statut « B » au motif que la législation du Sénégal n’avait pas suivi l’évolution des normes internationales en matière de droits de l’homme. Le Sénégal a pris note des observations qui lui ont été adressées, et le projet de réforme duComité des droits de l’homme, en voie d’adoption, prévoit que ce comité sera indépendant de la présidence de la République ou de tout ministère, que son budget et son personnel seront augmentés, et que son président sera élu par les membres.

26.En ce qui concerne l’indemnisation des victimes à l’issue du procès d’HissèneHabré, M. Ka fait savoir qu’en application de l’article28 du Statut des Chambres africaines extraordinaires, les victimes peuvent demander réparation devant la Cour d’appel de Dakar ou la Cour d’appel de N’Djamena. Il ajoute que, le mois dernier, l’Union africaine a adopté une résolution par laquelle elle reconnaît l’existence du fonds d’indemnisation des victimes et encourage les États membres de l’Union africaine à alimenter ce fonds, actuellement géré par un mécanisme résiduel.

27.M me Tall Gassama  (Sénégal) dit que l’indépendance du pouvoir judiciaire sénégalais est garantie aussi bien par la Constitution que par les dispositions du Statut des magistrats. La loi portant statut des magistrats et la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature ont été modifiées en 2017. Le nombre des membres du Conseil a été revu à la hausse, et les magistrats disposent désormais de voies de recours contre les sanctions disciplinaires dont ils font l’objet. En outre, les radiations doivent être prononcées par la majorité absolue des membres du Conseil. Afin de donner suite à la volonté exprimée par le Président de la République en janvier 2018 de voir encore renforcée l’indépendance de la magistrature, une commission composée de hauts magistrats membres du Conseil supérieur de la magistrature, d’avocats, de notaires, d’huissiers et de représentants de la société civile a été créée au Ministère de la justice. À l’issue d’un mois de travaux, cette commission a fait au Gouvernement des propositions concernant l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. Le Président s’est engagé à mettre en œuvre les réformes proposées et les recommandations formulées dans le rapport établi par la commission.

28.M. Touzé (Rapporteur pour le Sénégal) dit que les éléments de réponse apportés par la délégation au sujet du projet de modification du Code pénal et de sa mise en conformité avec l’article premier de la Convention sont identiques à ceux qui avaient été apportés lors du précédent examen. Il aurait souhaité que la délégation communique au Comité un calendrier législatif ou un engagement à ce que ce projet puisse être adopté dans l’année, afin que le Sénégal se conforme pleinement aux obligations énoncées dans la Convention.

29.La délégation est invitée à fournir au Comité le texte des décisions de justice ayant annulé des procédures au motif que la personne privée de liberté n’avait pas été informée de son droit d’être assistée par un conseil. Elle est aussi invitée à lui communiquer le texte des décisions de justice qui auraient déjà été prises dans les affaires de torture mentionnées dans le rapport. Des informations complémentaires sur les mesures concrètes prises par l’État partie pour remédier aux situations d’extrême vulnérabilité liées à la pauvreté et à l’analphabétisme seraient également les bienvenues.

30.En ce qui concerne la base légale de la garde à vue dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, M. Touzé constate qu’en vertu de l’article 677-28 de la loi 2016/30 du 8 novembre 2016, le délai maximal de quatre‑vingt‑seize heures peut être prolongé deux fois, ce qui fait qu’en réalité il peut y avoir jusqu’à douze jours de garde à vue. Il aimerait avoir la confirmation que ce délai est réellement envisageable en pratique et, si tel est le cas, que les dispositions voulues sont prises pour garantir le respect des droits des personnes concernées pendant ces douze jours. La question se pose notamment de la présence d’un avocat tout au long de cette période.

31.Se référant aux résultats du dernier concours d’avocats, publiés en 2017, M. Touzé note que seulement 15 candidats ont été reçus, ce qui ne représente pas une augmentation significative. La présence de l’avocat dès le début de la garde à vue est certes prévue par la loi mais si cette garantie n’est pas accompagnée des mécanismes ou des moyens nécessaires à son application, elle n’est pas réelle. Le Rapporteur aimerait savoir si l’État partie a conscience de ce problème et si le nombre d’avocats pourrait véritablement connaître une évolution significative. Un des moyens d’y parvenir pourrait être de développer la pratique consistant à fournir une aide financière aux jeunes avocats qui feraient le choix de s’installer en dehors de Dakar.

32.Le Rapporteur souhaiterait savoir s’il est question de revenir sur la pratique consistant à exiger des détenus qui demandent à être examinés par un médecin qu’ils supportent les frais afférents à cet examen. En ce qui concerne la pratique du retour de parquet, normalement réservée aux cas complexes, il demande si l’on peut considérer qu’une affaire est complexe dès lors qu’un flagrant délit a déjà été constaté. Par ailleurs, il invite la délégation à confirmer qu’en vertu de l’article 298 du Code de procédure pénale, l’aide juridictionnelle est limitée aux seules affaires pénales.

33.Se référant aux réponses écrites fournies par la délégation, M. Touzé demande s’il est exact que le recours à la détention provisoire est effectivement systématique alors qu’il est indiqué dans le rapport que ce devrait être une mesure exceptionnelle. Il demande également si une des explications à cela pourrait être que les mécanismes permettant de surveiller les personnes mises en accusation sans qu’il soit nécessaire de les placer en détention ne sont pas fonctionnels. En ce qui concerne les mesures d’aménagement des peines, le Rapporteur demande s’il est exact que seulement deux mesures de ce type peuvent être envisagées, à savoir la liberté conditionnelle et la grâce. Il invite la délégation à expliquer pourquoi les mesures de grâce sont plus nombreuses que les libérations conditionnelles. Pour ce qui est de la mise à l’isolement, il souhaiterait savoir si les dispositions en vigueur autorisent toujours à prolonger celle-ci au-delà de deux mois sans avis médical et si tous les détenus, quel que soit leur état de vulnérabilité, sont concernés par ce régime. Enfin, il invite la délégation à lui communiquer une liste des ONG qui ont demandé à visiter un lieu de privation de liberté et de celles qui ont pu réaliser une telle visite.

34.M. Heller Rouassant (Corapporteur pour le Sénégal), constatant qu’il existe un grand nombre de projets de loi sur des questions de fond qui ont été validés techniquement mais pas approuvés, se demande si cette situation est due à une paralysie parlementaire ou à un manque de volonté politique. Il souhaite savoir ce qui empêche l’État partie d’adopter le projet de loi sur les institutions nationales des droits de l’homme. En ce qui concerne la situation dans les lieux de privation de liberté, il constate que les ressources financières et humaines débloquées ne sont pas proportionnelles aux difficultés à surmonter. De même, l’augmentation du nombre des membres du Conseil supérieur de la magistrature est une mesure positive mais ne suffit pas pour améliorer le fonctionnement du Conseil. La composition du Conseil, qui est notamment présidé par le Président de la République, fait peser un doute sur l’indépendance et le pouvoir d’action de cette entité. Tout commentaire sur ces points serait le bienvenu.

35.Le Corapporteur demande si la législation en vigueur et le nouveau projet de loi concernant le statut des réfugiés énoncent le principe de non refoulement. Il souhaite savoir si l’organe chargé de traiter les demandes d’asile a l’obligation juridique de tenir compte de la possibilité que l’intéressé soit soumis à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine et si les demandeurs déboutés disposent de voies de recours ayant pour effet de suspendre la mesure d’expulsion les visant. La délégation voudra bien également indiquer si les demandeurs d’asile en attente d’expulsion bénéficient de garanties et s’il est possible qu’ils soient placés en détention.

36.M. Hani souhaiterait des précisions sur la dotation du fonds d’indemnisation des victimes créé en application de l’article28 du Statut des Chambres africaines extraordinaires et sur les possibilités de réparation collective prévues au paragraphe 2 dudit article. Sachant que, dans l’affaire Guengueng et consorts c. Sénégal (CAT/C/36/D/181/2001) ainsi que les affaires dont les Chambres extraordinaires ont été saisies, certaines des victimes sont avancées en âge puisque les faits datent de la période comprise entre juin 1982 et décembre 1990, il s’enquiert des efforts déployés par le Gouvernement pour que les victimes reçoivent la réparation qui leur a été accordée dans les meilleurs délais.

37.M me  Belmir se dit peu convaincue par le projet de modification de l’article 73 du Code de procédure pénale, qui encadre plus strictement la pratique du « retour de parquet » alors que, selon elle, il aurait été préférable de l’abolir. En effet, l’objectif des dispositions de la législation relative à la procédure pénale devrait être avant tout de garantir la sécurité de la personne privée de liberté et de protéger la société, et non de s’adapter aux besoins des juges d’instruction quitte à prolonger la détention et à accroître par‑là le risque de mauvais traitements. La délégation est invitée à commenter ces remarques.

38.M me  Gaer souhaiterait recevoir des réponses aux questions qu’elle avait posées la veille (voir CAT/C/SR.1619) sur la rareté des poursuites et des condamnations pour viol, l’absence d’incrimination du viol conjugal et de statistiques sur les plaintes et les condamnations pour « actes de torture et de barbarie exercés sur des personnes de sexe féminin », l’application insuffisante de la loi no 99-05 réprimant la pratique de l’excision et les allégations d’exploitation sexuelle de jeunes filles dans les établissements d’enseignement et de sévices sexuels commis par des soldats sénégalais appartenant à la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

39.Le Président , s’exprimant en qualité de membre du Comité, rappelle qu’il avait demandé pendant la première partie du dialogue combien d’infirmiers et de médecins travaillaient dans l’administration pénitentiaire, si les détenus étaient soumis à un examen médical à leur arrivée dans un centre de détention et si les éventuelles séquelles de torture constatées dans ce contexte étaient signalées aux autorités compétentes. Il prie la délégation de bien vouloir répondre à ces questions.

La séance est suspendue à 17 h 10 ; elle est reprise à 17 h 35.

40.M me Tall Gassama  (Sénégal) dit que des bureaux d’accueil et d’orientation ont été mis en place dans les palais de justice afin de faciliter l’accès des personnes analphabètes aux tribunaux. En outre, depuis une dizaine d’années, on trouve dans les localités des « maisons de justice », petites structures qui offrent des conseils aux particuliers et les aident à porter leur affaire devant les tribunaux. Grâce au système d’aide juridictionnelle, toute personne démunie peut se faire représenter en justice quelle que soit la gravité de l’infraction dont elle est soupçonnée. Des travaux sont actuellement menés afin que l’aide juridictionnelle couvre non seulement l’assistance d’un avocat, mais aussi les frais d’expertise et d’interprétation. En effet, il est souvent nécessaire de faire appel à un interprète car de nombreux Sénégalais ne parlent pas le français.

41.La prolongation de la garde à vue d’une personne soupçonnée de terrorisme est une mesure adoptée par de nombreux pays. Pendant cette prolongation, le suspect a accès à son avocat ou, le cas échéant, à son suppléant. Le Sénégal compte actuellement 470 avocats. Jusqu’en 2017, l’examen du barreau n’avait lieu que tous les trois ans. L’État n’a aucune intention de limiter l’accès à la profession et l’entrée au barreau se fait sur examen et non sur concours. Une première session d’examen a déjà été organisée en 2018 et une seconde devrait avoir lieu d’ici la fin de cette année. Les autorités étudient actuellement la possibilité d’en organiser chaque année.

42.Le recours à la détention provisoire n’est pas systématique. Si le suspect a donné des garanties qu’il se présentera à son procès et qu’il n’existe aucun risque de collusion, il est remis en liberté. Si le nombre de détenus graciés dépasse le nombre de personnes mises en liberté conditionnelle, c’est parce que la grâce procède d’une décision discrétionnaire du Président de la République, dont n’importe quel détenu peut théoriquement bénéficier, tandis que la mise en liberté conditionnelle n’est accordée que si certains critères sont remplis. Un grand nombre d’organisations de la société civile nationale et internationale, dont l’Association pour le soutien et la réinsertion sociale des détenus (ASRED) et le Comité international de la Croix-Rouge collaborent avec l’administration pénitentiaire et effectuent des visites dans les prisons. Le Conseil supérieur de la magistrature est composé de 17 membres, dont 5 présidents de cours d’appel et 5 procureurs généraux près lesdites cours. Depuis les réformes de 2017, le Conseil compte quatre membres élus. Le Président de la République et le Ministre de la justice font partie de cet organe mais, comme les décisions sont prises à la majorité, ils ne peuvent pas imposer leurs vues.

43.Toutes les plaintes faisant état de violences à l’égard de femmes sont examinées par les tribunaux et les personnes reconnues coupables de ces actes sont condamnées à de lourdes peines. Les procureurs généraux ont reçu une circulaire les engageant à demander systématiquement la mise sous mandat de dépôt des suspects dans ce type d’affaire et ils doivent faire rapport tous les mois sur les mesures prises à cette fin. Les détenus sont examinés par un médecin ou un infirmier dès leur arrivée dans un centre de détention. Les éventuelles blessures constatées dans ce contexte par le personnel médical doivent être signalées aux organes compétents. Actuellement quatre médecins, dont un dentiste, et 82 infirmiers, travaillent dans 37 établissements pénitentiaires. Il existe aussi à Dakar un centre médical accueillant des détenus. Force est toutefois de reconnaître que le système pénitentiaire manque de médecins et que les infirmiers doivent souvent orienter des détenus vers une structure hospitalière parce qu’ils n’ont pas les compétences voulues pour prendre en charge certains cas plus complexes.

44.M. Dieye (Sénégal) dit que, si plusieurs projets de loi n’ont pas encore été adoptés, c’est parce que les organes compétents préfèrent prendre le temps de consulter toutes les parties prenantes et de peaufiner le projet afin d’aboutir à un texte viable. Le Sénégal s’est doté d’une commission chargée de la détermination du statut de réfugié, qui a été créée en application de la loi de 1968 relative aux réfugiés. Cet organe est composé de représentants de tous les ministères et collabore étroitement avec le HCR. Les rapatriements et les refoulements d’étrangers sont rares au Sénégal car la plupart des migrants sont originaires d’États membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest et ont le droit de séjourner dans le pays. À la suite de l’adoption en mai 2006 de la loi relative à la lutte contre la traite des personnes et les pratiques assimilées et à la protection des victimes, le Premier Ministre a pris un arrêté portant création d’une cellule de lutte contre la traite des personnes, qui s’occupe en particulier des enfants des rues. À l’initiative du Président, des mesures ont été prises pour retirer les talibés de la rue et les prendre en charge. Des progrès tangibles ont été enregistrés et l’on voit déjà nettement moins d’enfants des rues dans la capitale.

45.Le fonds dont la création est prévue par le Statut des Chambres africaines extraordinaires a été mis en place et les membres de son conseil d’administration ont été nommés et sont actuellement à la recherche de sources de financement. La réparation collective dont il est question à l’article 28 du Statut concerne les associations de victimes. En effet, les victimes du régime Habré se comptant par milliers, elles ont été encouragées à se regrouper en associations. Celles-ci recevront les indemnisations et les répartiront entre leurs membres.

46.La violence à l’égard des femmes n’est pas définie en tant que telle dans le Code pénal, mais les auteurs de ce type d’acte sont jugés et condamnés sur la base d’autres qualifications, étant entendu que la qualité de femme de la victime constitue une circonstance aggravante. D’après une étude réalisée en 2016, le pourcentage de femmes ayant subi des MGF a baissé, passant de 28 à 23 %, ce qui représente un progrès certes insuffisant, mais non négligeable. Le Gouvernement aide les exciseuses à se reconvertir dans d’autres activités en leur accordant des microcrédits.

47.M. Kane (Sénégal) fait observer que la pratique du « retour de parquet » peut aussi servir les intérêts du suspect car celui-ci peut profiter des vingt‑quatre heures supplémentaires de garde à vue qui lui sont imposées pour réunir des fonds afin par exemple de s’acquitter d’une dette ou d’obtenir sa libération sous caution, ce qui lui permet d’éviter un placement en détention provisoire.

48.M. Seck (Sénégal) remercie le Comité du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation.

La séance est levée à 18 heures.