NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/SR.520

9 août 2002

Original : FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt-huitième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 520e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,

le lundi 13 mai 2002, à 10 heures

Président : M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Troisième rapport périodique de la Fédération de Russie

_______________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l’une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d’édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

La séance est ouverte à 10 h 2.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 de l’ordre du jour) (suite)

Troisième rapport périodique de la Fédération de Russie (CAT/C/34/Add.15)

1.Sur l’invitation du Président, la délégation de la Fédération de Russie, composée de MM. Kalinine, Rybakov, Borchtchev, Michine, Malguinov, Bavykine et Loukiantsev, prend place à la table du Comité.

2.M. KALININE (Fédération de Russie) déclare que depuis la présentation du deuxième rapport périodique de son pays, un certain nombre de faits nouveaux importants sont à signaler. Sur l’initiative du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, la Russie procède à une réforme du système judiciaire et à la mise en conformité de la législation nationale avec les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Dans le cadre de cette réforme, il y a lieu de noter l’adoption de la loi relative au système judiciaire, du Code pénal et du Code de l’exécution des sanctions pénales. Des modifications et compléments ont été apportés notamment à la loi sur la détention des suspects et des prévenus et à la loi sur la police. Le nouveau Code de procédure pénale, adopté en 2001, et qui entrera en vigueur le 1er juillet 2002, vise à intégrer dans la procédure pénale russe les normes en vigueur dans les États de droit. Il s’inspire des prescriptions de la Constitution russe concernant notamment la séparation des pouvoirs et l’indépendance de l’autorité judiciaire. En outre, ce Code contient des dispositions sur la défense des droits et libertés du citoyen et sur le contrôle de la légalité aux divers stades de l’action pénale. Aux termes de ce Code, les droits et obligations de l’accusation et de la défense sont clairement définis; désormais seuls les tribunaux ont compétence pour prendre des mesures de détention provisoire telles que la garde à vue, l’assignation à domicile, le placement du suspect dans un centre médical ou psychiatrique. Les suspects et les accusés jouissent désormais de droits élargis. La participation d’un conseil est obligatoire pour toutes les affaires pénales à l’exception des cas où le suspect ou l’accusé s’y oppose. Les pouvoirs du défenseur sont également plus étendus. Les droits d’une personne soupçonnée d’un crime et maintenue en détention sont renforcés. Le nouveau Code de procédure pénale satisfait désormais à la recommandation formulée par le Comité contre la torture à l’issue de l’examen du deuxième rapport périodique selon laquelle le maintien en garde à vue pour plus de 48 heures sans décision judiciaire est interdit. Une nouvelle section du Code concerne la coopération internationale et vise à rapprocher le système juridique russe des systèmes en place dans les autres pays. La réforme de la procédure pénale n’est pas encore achevée. Le Président de la Fédération de Russie a présenté à la Douma d’État un grand nombre de projets de loi visant à renforcer les modifications engagées dans le système judiciaire russe. Dans le cadre de cette réforme, des compléments ont déjà été apportés à la législation fédérale, notamment aux lois sur la Cour constitutionnelle, sur le système judiciaire et sur le statut des juges de la Fédération de Russie. Le projet de loi fédérale sur le barreau de la Fédération de Russie vise à créer des conditions qui permettent de garantir aux citoyens une aide juridictionnelle conforme aux dispositions de la Constitution. Il est aussi prévu de compléter le Code pénal par un article qui définit la notion de torture et établit la responsabilité pénale en cas de commission d’un tel acte. Les services du Ministère de la justice élaborent, d’autre part, un projet de loi sur la réduction de la durée maximale des peines privatives de liberté et sur l’allégement des sanctions encourues pour

différents délits. Un autre projet de loi vise à abolir la peine de mort en Russie. Par décret, le Président de la Fédération de Russie avait déjà proclamé un moratoire sur l’application de la peine capitale et une décision de la Cour constitutionnelle interdit l’exécution de cette peine.

3.Afin d’améliorer l’exercice des droits constitutionnels en matière de grâce, ainsi que la participation des organes des instances locales de la Fédération de Russie et de l’opinion publique à l’examen de la question, le Président de la Fédération a constitué une Commission chargée de ces questions. Le respect des droits des citoyens détenus et le renforcement de leurs garanties constituent, à cet égard, une des orientations prioritaires des autorités russes. Dans son message du 18 avril 2002 devant l’Assemblée fédérale, le Président russe a déclaré qu’il importait de prendre des mesures pour humaniser le système judiciaire et pénal de la Fédération de Russie. S’inspirant de ses propos, les autorités russes ont déjà modifié les conditions de détention des personnes condamnées et des personnes se trouvant dans des unités de détention provisoire. Conformément à une recommandation formulée par le Conseil de l’Europe en vue de l’adhésion de la Fédération de Russie au Conseil, l’administration du système pénitentiaire russe est confiée depuis septembre 1998 au Ministère de la justice. De 1996 à 2001, la Fédération de Russie a adopté de nombreuses lois, décrets présidentiels, arrêtés et normes qui renforcent les garanties juridiques protégeant les droits et intérêts légitimes des suspects, accusés et condamnés et humanisent les conditions de détention. Cinq lois fédérales ont été adoptées au cours des deux dernières années en vue de réduire le recours systématique à la détention provisoire. S’agissant de l’harmonisation de la législation fédérale avec les règles et normes internationales, il convient tout particulièrement de mentionner la loi fédérale (n° 25‑82) du 9 mars 2001 portant modification du Code pénal, du Code de procédure pénale, du Code de l’exécution des sanctions pénales et d’autres textes législatifs de la Fédération de Russie. Les dispositions de cette loi tendent à une certaine libéralisation de la politique pénale à l’égard des auteurs de délits peu graves et de gravité moyenne. Cette loi prévoit aussi de limiter le recours à la détention provisoire essentiellement aux personnes ayant commis des délits graves et très graves et de n’y recourir qu’exceptionnellement pour les délits peu ou moyennement graves. Diverses dispositions ont été adoptées pour assouplir le système de détention provisoire voire le remplacer par d’autres régimes tels que la liberté sous caution. En 2001, il a été ainsi possible de réduire d’environ 100 000 le nombre de détenus se trouvant dans des établissements de rééducation, dont 31 000 dans les unités d’isolement temporaires. En 2002, le nombre de détenus dans ces unités a été encore réduit de 10 000 et celui des personnes se trouvant dans des établissements de rééducation de 7 800, ce qui a permis d’améliorer les conditions générales et matérielles des détenus. Globalement, le nombre de personnes détenues dans les unités d’isolement temporaire qui s’élevait à 272 700 le 1er juin 2000 est tombé à 202 000 le 1er avril 2001. Toutes les mesures sont prises pour améliorer la défense des suspects et des accusés. Le 30 novembre dernier, la Douma d’État a adopté des dispositions pour amnistier 25 000 condamnés, notamment des mineurs et des femmes. Des propositions ont été faites pour humaniser davantage la législation pénale et celle concernant l’exécution des peines. Dans ce contexte, des amendements ont été apportés à certains articles du Code pénal pour tenir compte de la nature des infractions commises et de la gravité du danger qu’elles font courir à la société. De même, la durée maximale des peines privatives de liberté a été ramenée à 15, 20 et 25 ans, selon les cas. Conformément aux recommandations du Forum civil qui s’est tenu en novembre 2001 à Moscou, un service spécial, jouissant d’une grande indépendance, est chargé de faire respecter les droits des personnes se trouvant dans les centres de détention.

4.Conformément à l’article 12 du Code d’exécution des sanctions pénales, la Fédération de Russie a mis en place un système qui tient compte des plaintes formulées dans les divers établissements. Le Commissaire aux droits de l’homme a le droit de se rendre à tout moment dans les établissements pénitentiaires pour vérifier une plainte. De nombreuses mesures sont prises pour assurer un meilleur contrôle au sein des divers établissements pénitentiaires et mieux défendre les suspects, accusés et condamnés, notamment contre tout acte de torture ou traitement inhumain ou dégradant. La Douma d’État examine actuellement un projet de loi sur le contrôle de l’exercice des droits de l’homme dans les centres de détention. Comme ont pu le constater les experts du Conseil de l’Europe et les membres des organisations internationales et russes de défense des droits de l’homme qui se sont rendus dans certains centres de détention, le système pénitentiaire russe est désormais ouvert.

5.Par ailleurs, les relations avec la presse ont changé et plus de 2 000 dossiers sur les diverses activités concernant les centres de détention et les établissements pénitentiaires sont publiés chaque année.

6.M. Kalinine reconnaît toutefois qu’un des problèmes cruciaux est le manque de place dans les centres de détention (119 000 pour 197 000 détenus). Un programme de la Fédération portant sur la période 2002-2006 prévoit de moderniser le système pénitentiaire et de créer 46 000 places supplémentaires. Des dispositions sont également prises pour protéger la santé des détenus. Au cours des trois dernières années, les centres de lutte contre la tuberculose des prisons ont été agrandis et peuvent à présent recevoir 3 500 personnes. En outre, quatre unités de soins spécialisés pouvant accueillir 3 000 personnes ont été mises en place. Parmi les détenus, le taux de morbidité a diminué de 13% et le taux moyen de mortalité de 22,4%.

7.Conformément à l’article 14 du Code d’exécution des sanctions pénales, la Fédération de Russie garantit la liberté de conscience et de croyance dans les lieux de détention et les établissements pénitentiaires où il existe actuellement 286 églises et temples et 662 salles de prière. Les détenus reçoivent également une formation professionnelle initiale ou complémentaire; diverses dispositions législatives prévoient des cours par correspondance pour les détenus qui souhaitent s’inscrire dans des établissements d’enseignement supérieur. Dans le domaine du droit au travail des progrès notables ont été accomplis, et en 2001, 42 000 emplois supplémentaires ont été créés et les salaires ont été augmentés. Sur un plan plus général, le Ministère de la justice a créé des organismes pour étudier les problèmes que pose la formation dans les établissements pénitentiaires. Il y a lieu de signaler aussi qu’en 2001, a été fondée une académie pour la formation aux droits de l’homme destinée au personnel du Ministère de la justice. D’autre part, des cours sur le respect des droits de l’homme dans les centres de détention figurent désormais au programme d’études de tous les établissements d’enseignement.

8.M. Kalinine note par ailleurs que les activités internationales de la Fédération de Russie exercent une influence favorable sur la situation des personnes privées de liberté en Russie. Les représentants de la Fédération participent notamment aux travaux du groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la réforme du Code d’exécution des sanctions pénales. En outre, les échanges avec le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité international de la Croix‑Rouge se sont intensifiés. La Fédération de Russie tient dûment compte de l’expérience des pays développés en matière de respect des droits de l’homme dans les établissements pénitentiaires et s’efforce de la mettre en pratique en Russie. Les services du Ministère de l’intérieur ont pris, dans cette optique, des mesures pour garantir les droits constitutionnels des personnes détenues dans des cellules d’isolement temporaire. De même, les cours de formation aux droits de l’homme occupent désormais une place importante dans les organismes relevant du Ministère de l’intérieur. Les dispositions de la Convention contre la torture y sont étudiées dans le détail. Différents manuels sur la question sont publiés. Au sein du Ministère de l’intérieur, des services ont été mis en place en collaboration avec le Procureur général de la Fédération de Russie pour veiller à ce que les fonctionnaires agissent conformément à la loi.

9.En 2001, les services chargés de la sûreté de la personne des départements du Ministère de l’intérieur ont reçu 20 585 plaintes et communications de particuliers dénonçant les agissements de fonctionnaires de ces départements. Au total, 6 524 procédures ont été engagées dont 1 875 au pénal et 999 fonctionnaires ont été révoqués. On peut observer une tendance générale à la baisse du nombre d’infractions commises par les agents de l’État dont le comportement reste au centre de l’attention des organisations non gouvernementales et internationales. Il convient de signaler que le Ministère de l’intérieur s’est montré pleinement disposé à coopérer avec ces organisations. À cet égard, le Comité international de la Croix‑Rouge (CICR) a pu se rendre 33 fois au Nord du Caucase pour vérifier si les droits de l’homme sont respectés dans les centres de détention. Les recommandations adressées par le CICR au Ministère de l’intérieur ont donné lieu à des mesures visant à améliorer les conditions des détenus. D’autre part, des délégations du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) effectuent des inspections périodiques des lieux de détention, à l’issue desquelles elles établissent des rapports qui sont soumis au Ministère de l’intérieur et au Ministère de la justice.

10.Les questions concernant le respect de la légalité des droits constitutionnels des citoyens dans l’exécution des sanctions pénales sont toujours le point de mire des services du Bureau du Procureur général. Les contrôles effectués par les fonctionnaires du Ministère de l’intérieur et le Service fédéral de la police des impôts permettent de relever les cas de pression physique et psychologique, de garde à vue illégale et de violation des droits des suspects et des détenus. On a à cet égard constaté que des mineurs n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale avaient été détenus illégalement. D’une manière générale, les statistiques de la Cour suprême pour 2000‑2001 font état de tendances positives dans le sens d’une diminution du nombre de détentions illégales. C’est ainsi que le nombre de fonctionnaires reconnus coupables de détention illégale est passé de 18 en 1999 à 8 en 2001, celui des fonctionnaires condamnés pour extorsion de témoignages de 7 en 1999 à 4 en 2001 et celui des fonctionnaires reconnus coupables d’internement illégal en établissement psychiatrique de 5 en 1999 à 2 en 2000 et 0 en 2001. Des mesures ont été prises également pour améliorer les méthodes d’enquête en sorte qu’il a été possible de traduire en justice 165 membres des forces de sécurité ayant commis des irrégularités dans l’exercice de leurs fonctions en 1999 et 339 en 2001.

11.Le Gouvernement de la Fédération de Russie s’emploie, d’autre part, à mener à bien les réformes engagées dans l’armée qui est un domaine d’action prioritaire, comme l’a indiqué clairement le Président de la Fédération dans son message à l’Assemblée fédérale, en avril 2002. Parallèlement, des mesures sociales sont prises en faveur des membres des forces armées et de leur famille. Leur traitement devrait doubler d’ici le 1er juillet 2002 et leurs conditions de vie devraient être améliorées.

12.Les infractions au règlement sur les relations personnelles et les violences physiques à l’encontre des subordonnés au sein de l’armée continuent malheureusement d’être un grave problème au sein des formations militaires russes. De nouvelles formes de surveillance ont été mises au point en vue de combattre activement ce phénomène. Des contrôles méthodiques, assurés par le Bureau du Procureur général, ont été institués dans tous les détachements et unités en vue d’accroître l’efficacité de l’intervention du système judiciaire face aux irrégularités commises. En 1998, dans le cadre d’une campagne systématique contre les abus et la désertion, les services du Procureur militaire principal ont lancé un appel national aux déserteurs les invitant à se mettre spontanément en contact avec les autorités. Dès le début de cette opération, il s’est avéré que la plupart des cas de désertion s’expliquaient par une situation personnelle difficile, y compris des problèmes découlant de la conduite non réglementaire du personnel militaire. La campagne contre les abus va désormais de pair avec l’adoption de mesures concrètes destinées à garantir une protection réelle aux victimes d’actes illicites. En mars 1999, une réunion de hauts responsables des services du Procureur militaire principal a abouti à l’élaboration d’un plan visant à concrétiser cet objectif. Afin que ce plan puisse être mis à exécution, les participants à cette réunion ont formulé un projet de directives portant sur les mesures propres à assurer la sécurité des militaires qui collaborent avec la justice pénale ainsi que la protection des droits et des intérêts légitimes des victimes d’actes illicites; ils ont en outre élaboré un projet d’ordonnance du Ministère de la défense pour la mise en application de ces directives.

13.Abordant la question des droits de l’homme dans la République tchétchène, M. Kalinine fait observer que, vu la situation politique qui règne dans cette partie du pays, des efforts considérables sont accomplis par le Bureau du Procureur général pour y restaurer la légalité constitutionnelle. Les organes du ministère public s’attachent à prévenir les violations de la loi par le personnel militaire. Ils examinent toutes les informations faisant état d’irrégularités commises par des militaires, y compris celles émanant d’organisations de défense des droits de l’homme et des médias. Douze tribunaux et une cour suprême fonctionnent dans la République tchétchène et 29 juges sont chargés de l’examen des affaires civiles et pénales. La Cour suprême de la Fédération de Russie est, quant à elle, saisie des crimes graves. Afin d’assurer la légalité constitutionnelle, un service d’agents chargés de la police des audiences a été mis en place. Il est composé de membres de la population locale non impliqués dans les activités des groupes armés illégaux. Ce personnel bénéficie d’une formation psychologique appropriée.

14.M. Kalinine se félicite des contacts réguliers et de la coopération que la Fédération de Russie entretient avec les organisations internationales dans le domaine humanitaire qui ont grandement facilité la réforme du système judiciaire en cours, qui vise en premier lieu à garantir une meilleure défense des droits de l’homme. Il est convaincu que grâce à l’aide de la communauté internationale et malgré les difficultés et les problèmes rencontrés, tous les projets de réforme de la Fédération de Russie seront réalisés. En conclusion, M. Kalinine signale qu’en prévision de la présente séance, le Ministère des affaires étrangères a organisé une réunion spéciale consacrée à l’examen du troisième rapport périodique de la Fédération de Russie avec la participation d’un grand nombre d’organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme. Cette réunion a donné lieu à un débat très franc sur les problèmes soulevés et il y a été décidé d’organiser une réunion similaire après le retour de la délégation russe, pour étudier les recommandations formulées par le Comité et envisager les moyens de les mettre en œuvre.

15.Mme GAER (Rapporteuse pour la Fédération de Russie) remercie la délégation de la Fédération de Russie de son introduction très détaillée. Elle a écouté les informations données avec d’autant plus d’intérêt qu’elles portaient sur des points soulevés par le Comité lors de l’examen du deuxième rapport périodique de l’État partie. En ce qui concerne l’article premier de la Convention, bien que la Constitution prévoie expressément l’interdiction de la torture, en son article 21 et que la Fédération de Russie, appliquant le système moniste, considère que les instruments internationaux l’emportent sur la législation interne et que par conséquent la Convention peut être appliquée directement par un tribunal, il est difficile de déduire des renseignements disponibles que l’acte de torture constitue véritablement une infraction pénale. Le Code pénal n’en fait qu’une circonstance aggravante, ce qui n’est pas suffisant; il contient diverses dispositions relatives aux lésions corporelles graves et préméditées, aux mauvais traitements, à l’usage de la coercition pour extorquer des aveux mais nulle part la torture n’est mentionnée ni encore moins définie. Cette absence de définition de la torture est encore plus préoccupante quand l’on sait que le projet de modification du Code pénal, visant à ériger la torture en infraction pénale, a été rejeté en première lecture à la Douma, le 15 février 2002, parce que le représentant du Gouvernement à la Douma considérait que cette modification anéantirait «la cohérence du Code pénal». Le Comité souhaiterait savoir quels arguments peuvent motiver une telle affirmation car le Code pénal devrait au contraire s’en trouver renforcé.

16.Mme GAER a écouté avec la plus grande attention les statistiques concernant les personnes privées de liberté, condamnées, en prévention ou en garde à vue -, données par le représentant de l’État partie dans son introduction. Lors de l’examen du deuxième rapport périodique, le rapporteur pour la Fédération de Russie, M. Sorensen, avait relevé que la population carcérale dans l’État partie était équivalente à la population carcérale de presque tout le reste des pays d’Europe pris ensemble. C’est dire si le Comité accueille avec satisfaction tout effort tendant à réduire la population carcérale; il souhaiterait avoir des renseignements notamment sur l’application de peines de substitution à l’emprisonnement et sur le nombre de personnes qui en bénéficient. Dans un communiqué de l’agence de presse Interfax, M. Kalinine lui-même, en sa qualité de Vice-Ministre de la justice, aurait dit que jusqu’à 60% des personnes placées en détention avant jugement sont finalement remises en liberté sans être condamnées à un emprisonnement, ce qui signifierait que la police procède à des arrestations sans motif suffisant. Il serait intéressant de savoir si tel est bien l’appréciation de la situation que fait M. Kalinine. Par rapport à la forte diminution de l’ensemble de la population carcérale, la réduction du nombre de femmes détenues est très faible, puisqu’il est passé de 43 500 en janvier 2001 à 42 700 en décembre : les raisons de cette inégalité considérable devraient être expliquées.

17.La question de la surveillance par les autorités de l’État du comportement et des actes de leurs agents se pose dans divers domaines. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes avait déjà constaté que malgré des preuves dignes de foi attestant que des fonctionnaires de police avaient fait usage de violence contre des femmes en détention, en règle générale l’État partie n’avait pris aucune mesure d’ordre disciplinaire ou pénal à leur encontre. Il importe donc de savoir si l’État exerce une surveillance des conditions de détention, afin de lutter contre la violence, les sévices sexuels en particulier, commise dans les lieux de détention et dans la société en général. Le Comité a reçu en effet des informations montrant que le degré de violence dans la Fédération de Russie était effrayant. En 1999, le Commissaire aux droits de l’homme, Oleg Mironov, a indiqué dans une lettre au Ministre des affaires intérieures que la moitié des personnes qu’il avait lui-même interrogées en détention provisoire, avaient été frappées par la police et soumises à des humiliations dès le moment de l’arrestation jusqu’au transfert dans le centre de détention provisoire. D’après l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, se seraient même quatre détenus sur cinq et 80% des défendeurs ayant refusé d’avouer qui dénonceraient des actes de torture. Le Comité se félicite des efforts engagés pour ouvrir les prisons

à la surveillance internationale et de ce que le Comité européen pour la prévention de la torture se rende régulièrement dans l’État partie. Il voudrait savoir si les autorités ont accepté que les rapports de ce Comité soient rendus publics ou si elles envisagent de le faire.

18.En ce qui concerne les méthodes de torture, celles qui sont le plus couramment utilisées sont les passages à tabac prolongés, l’asphyxie, la suspension par les bras, la torture à l’électricité, les menaces de mauvais traitements sur la personne du détenu ou sur les membres de sa famille et les menaces de violences sexuelles, ainsi que les «passages à tabac délégués», c’est‑à‑dire les coups portés par les codétenus avec l’assentiment des autorités pénitentiaires. L’une des raisons avancées par les autorités russes pour expliquer cette fréquence du recours à la torture serait le système de promotion des agents de l’État, qui repose sur le nombre de crimes élucidés. Effectivement, on comprend qu’avec pareil système les agents de l’État soient tentés de recourir à la torture et le seul moyen pour combattre cette pratique serait de supprimer purement et simplement la méthode de promotion actuellement en vigueur.

19.Étant donné que la plupart des personnes placées en détention avant d’être jugées se plaignent d’avoir subi des mauvais traitements, il importe de connaître la durée maximale de ce type de détention. Le nouveau Code de procédure pénale contient des dispositions réduisant la durée de la détention avant jugement mais on ne sait toujours pas quelle est cette durée et si, comme c’est le cas actuellement, elle pourra être prolongée un nombre indéfini de fois. Il faudrait savoir en outre à quel moment précis la personne en état d’arrestation peut communiquer avec un avocat, un médecin ou un membre de sa famille ou s’il faut attendre le bon vouloir du responsable de l’arrestation.

20.En ce qui concerne l’article 3 de la Convention, qui prévoit que personne ne doit être renvoyé dans un État où il y a des motifs sérieux de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture, le Comité se demande s’il est arrivé que l’État partie ait refusé l’extradition vers un pays avec lequel il avait passé des accords bilatéraux ou vers un autre pays, d’un individu dont il craignait qu’il soit victime de mauvais traitements. Mme Gaer a pris connaissance du décret du Procureur général exposant la liste des motifs qui peuvent être invoqués pour refuser l’extradition et n’y a pas trouvé la torture ou les traitements cruels. Elle voudrait savoir si ce décret a été révisé depuis son adoption en 1998 et quelles sont exactement les procédures appliquées en matière d’extradition.

21.L’obligation faite à l’article 4 de veiller à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard du droit pénal est à rattacher à la définition de la torture. Relevant au paragraphe 36 du rapport que l’État partie est d’avis que «faire de la torture, en règle générale, une circonstance aggravante, reviendrait (…) au contraire à affaiblir la protection des personnes au regard du droit pénal …», Mme Gaer dit que, d’une part, il ne s’agit pas de faire de la torture simplement une circonstance aggravante mais d’en faire une infraction à part entière, et d’autre part qu’elle ne comprend pas en quoi la protection s’en trouverait affaiblie. Elle souhaiterait en outre de plus amples renseignements sur les sept condamnations pour «extorsion de témoignage sous la torture» mentionnées au tableau du paragraphe 40 du rapport. Il en va de même pour les «agissements de fonctionnaires» des départements du Ministère de l’intérieur au sujet desquels 78 219 plaintes et communications de particuliers ont été déposées au cours de la période 1998‑2000 (par. 44 du rapport) et dont on ne sait pas très bien en quoi ils consistent. Il serait très utile de savoir combien de plaintes faisaient état d’actes de torture, combien visaient des agents du Ministère de l’Intérieur ou d’autres autorités de l’État, combien ont fait l’objet d’une enquête, puis de poursuites, combien ont été classées sans suite, renvoyées pour complément d’enquête ou abandonnées. Dans le cas des affaires qui relèvent de la justice militaire, le Comité voudrait savoir s’il existe un mécanisme de supervision externe, civil, des actions militaires et comment un éventuel contrôle est exercé; concrètement, est‑il arrivé qu’un juge soit sanctionné pour avoir rendu une décision contraire au droit ou pour avoir agi contrairement au droit à l’égard d’un militaire, en cherchant à couvrir des mauvais traitements que celui-ci aurait infligés ?

23.En ce qui concerne les violences et la torture dans l’armée, les rédacteurs du rapport ont décrit en détail les mesures prises pour tenter de limiter ces pratiques. Il est fait état de réunions, de conférences, de création de lignes téléphoniques d’urgence et de la participation des organes d’information, ce qui conduit à se demander si la société civile est associée à toutes ces actions et de quelle manière. Il faudrait également savoir si ces mesures, louables, donnent véritablement des résultats car il semble ressortir des statistiques que la violence dans l’armée s’intensifie plutôt qu’elle ne régresse. Mme Gaer semble avoir décelé une corrélation entre les deux périodes de conflit en Tchétchénie et les deux fortes augmentations de la violence et voudrait savoir si cette appréciation est partagée par la délégation. Elle souhaiterait savoir également s’il est vrai, comme certaines organisations non gouvernementales le dénoncent, que malgré une interdiction dans les textes, des hommes sont contraints de participer au conflit en Tchétchénie contre leur gré. Des violations graves ont aussi été dénoncées : individus maintenus illégalement dans la région, maltraités, torturés à l’électricité par exemple. Ici encore il faudrait savoir si de telles affaires ont fait l’objet d’une enquête et quelle suite a été donnée. En ce qui concerne les allégations de violation dans la région de Tchétchénie, qui sont nombreuses, la délégation a indiqué que des institutions avaient été créées et que les particuliers étaient désormais autorisés à dénoncer les traitements qu’ils subissaient. Il est indéniable que la situation de violence qui règne en Tchétchénie, avec de nombreux attentats meurtriers, est un problème considérable pour l’État partie, un cauchemar pour la population et un facteur de déstabilisation de l’ensemble de la région; mais il n’en reste pas moins que chaque opération de ratissage opérée par les forces de l’ordre est immédiatement suivie de rapports faisant état de mauvais traitements et d’un nombre incroyable de plaintes pour viol et violences sexuelles. Il est donc particulièrement nécessaire d’avoir des renseignements sur les instructions qui peuvent être données par l’État partie en vue de prohiber l’usage de la torture, sur les enquêtes qui peuvent être menées et les poursuites engagées et sur les mesures prises pour porter assistance aux victimes. De plus, le nombre des exécutions sommaires et des disparitions, s’il diffère selon les sources, reste assurément très élevé. Le Gouvernement lui-même a indiqué que plus de 100 personnes avaient disparu dans des circonstances non élucidées et n’avaient pas été retrouvées. Quoi qu’il en soit le chiffre est extrêmement élevé et on ne sait pas clairement ce qui est fait pour identifier les responsables. Certes la situation est très embrouillée et les liens de groupes tchétchènes avec le terrorisme international ne sont pas à exclure. Il reste que la responsabilité en général pour les exactions commises est un problème majeur et que le Comité reçoit de nombreux renseignements faisant état de la participation de militaires russes à de tels actes. Des mesures de prévention ont bien été adoptées et l’ordonnance no 80 prise par le général Moltenskoy est très intéressante à ce sujet puisqu’elle contient des instructions précises à suivre pendant les opérations de ratissage, de nature à empêcher les violations des droits des civils. Le seul fait qu’il ait fallu qu’un général de l’armée énonce de telles instructions équivaut à une reconnaissance du problème mais on ne sait pas si ces instructions sont véritablement suivies et quelles incidences elles ont pu avoir à ce jour. Il semblerait qu’elles ne soient pas encore vraiment mises en œuvre. À cet égard, est-ce qu’une sanction est prévue si les règles établies dans l’ordonnance Moltenskoy ne sont pas respectées ? Existe‑t‑il un mécanisme général chargé de contrôler le comportement des forces armées ?

24.Selon les informations dont dispose le Comité, M. Kalamanov, représentant spécial du Président chargé des droits de l’homme en République tchétchène aurait reçu des milliers de plaintes. Il serait intéressant de savoir si, en plus d’être compétent pour recevoir des plaintes, il est également habilité à demander l’ouverture d’une enquête. M. Kalamanov s’est rendu plusieurs fois au Conseil de l’Europe. Lors de sa visite de l’année passée, il a indiqué que 23 affaires avaient été portées devant les tribunaux, qu’il tiendrait le Conseil de l’Europe informé des mesures humanitaires prises par les autorités russes et qu’il s’engageait à faire de son mieux pour réduire l’énorme écart entre le nombre de plaintes enregistrées et le nombre d’affaires portées devant la justice. Il serait bon de savoir quel est le pouvoir effectif du Représentant spécial pour les droits de l’homme et si les 23 affaires portées devant la justice concernent des cas de torture.

25.Se référant aux paragraphes 117 et 118 du rapport, Mme Gaer constate que les organes du ministère public examinent toutes les informations faisant état d’irrégularités commises par des militaires, y compris celles émanant d’organisations de défense des droits de l’homme et des médias, et que le Bureau du Procureur général effectue des «contrôles», suite auxquels quatre affaires pénales ont, semble‑t‑il, déjà été portées devant les tribunaux. Ces contrôles peuvent‑ils être à l’origine de l’ouverture d’une enquête et de poursuites ? D’une manière générale, les milliers de violations mises en lumière dans les rapports des organisations de défense des droits de l’homme, du Représentant spécial pour les droits de l’homme et dans la presse font‑elles l’objet d’une enquête ou de poursuites pénales ? Dans l’affirmative, selon quelles procédures et avec quels résultats ? L’on sait que de nombreuses personnes disparaissent sans que leur famille ait la moindre idée de ce qui leur est arrivé. Quelle est la procédure suivie pour ouvrir une enquête et quelle autorité a la responsabilité générale d’engager des poursuites pénales dans de telles situations ? Comme il semble que beaucoup d’affaires sont classées sans suite, il serait utile de savoir s’il y a, en matière de poursuites pénales, des mesures obligatoires et des mesures discrétionnaires. Suite aux graves massacres de 1999 et 2000, il semble qu’un certain nombre de poursuites pénales aient été engagées, mais l’on ne sait pas pour quels crimes et avec quels résultats. D’autre part, selon les informations dont dispose le Comité, des milliers de personnes auraient été torturées ou victimes de mauvais traitements. Est-ce que les responsabilités ont été établies ?

26.Selon certaines ONG, il existerait en Tchétchénie des instructions secrètes autorisant ce qu’il est convenu d’appeler des «interrogatoires forcés», terme qui serait un euphémisme pour désigner la torture. Cette notion d’«interrogatoire forcé» existe‑t‑elle en droit ? Est-ce que des mesures sont prises pour éliminer cette pratique ?

27.Fondamentalement, la question est de savoir si un individu qui porte plainte est assuré que sa plainte sera prise en considération et que, si elle est fondée, des poursuites seront engagées et menées à leur terme. Actuellement, les personnes, souvent déjà ébranlées physiquement et moralement, se trouvent dans un cercle vicieux dans lequel les dossiers et les décisions sont renvoyés d’une autorité à l’autre sans aboutir. Quel commentaire l’État partie peut-il faire à ce sujet ?

28.M. RASMUSSEN (Corapporteur) remercie la délégation russe de sa présentation orale détaillée. En ce qui concerne l’application de l’article 10 de la Convention, après avoir rappelé que dans ses conclusions et recommandations concernant le deuxième rapport périodique, le Comité s’était déclaré préoccupé par le manque de formation de la police, du personnel pénitentiaire et du personnel des organismes chargés de faire appliquer la loi en ce qui concerne les droits des suspects et des prisonniers, il note avec satisfaction que, dans son exposé oral, la délégation a annoncé la création d’une académie spécialement chargée de la formation au sens de l’article 10 de la Convention. Il est, en effet, particulièrement important, à des fins de prévention, qu’en Tchétchénie le personnel militaire, y compris les médecins militaires, soient convenablement formé. La délégation peut‑elle donner des précisions sur la formation dispensée aux membres de l’armée et en particulier aux médecins militaires ? À propos du paragraphe 85 du rapport, où il est dit que des efforts sont faits pour améliorer la formation du personnel du système pénitentiaire russe, il serait intéressant de savoir si le programme conjoint de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe visant à améliorer la législation relative aux droits de l’homme porte également sur la lutte contre la torture. S’agissant de la formation, les autorités russes pourraient utilement s’appuyer sur le Protocole d’Istanbul, manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

29.En ce qui concerne l’application de l’article 11 de la Convention, M. Rasmussen rappelle que lors de l’examen du deuxième rapport périodique, le Comité s’était dit préoccupé par le fait que les décrets présidentiels nos 1815 du 2 novembre 1993, 1226 du 14 juin 1994 et 1025 du 10 juillet 1996, en autorisant à placer des suspects au secret pendant 9 jours dans un cas et 30 jours dans les autres cas, ouvrent la porte à des violations des droits des détenus. Il demande si ces dispositions sont toujours en vigueur et quelle est, dans la théorie et dans la pratique, la durée maximale pendant laquelle une personne peut être détenue au secret dans des centres d’isolement temporaire.

30.En octobre 2000, le médiateur, M. Oleg Mironov, a publié un rapport - sur les violations des droits de l’homme commis par le personnel du Ministère de l’intérieur et le personnel de l’administration pénitentiaire, qui relève du Ministère de la justice -, dans lequel il recommande plusieurs mesures visant à protéger les détenus et propose d’instituer un service de santé qui serait indépendant du Ministère de l’intérieur et du Ministère de la justice. Les autorités russes envisagent‑elles de donner suite à cette proposition, qui est une excellente initiative ? Dans les conclusions et recommandations adoptées à la suite de l’examen du précédent rapport, le Comité avait entre autres recommandé au Gouvernement russe d’instituer un mécanisme efficace pour surveiller le déroulement des enquêtes, les conditions dans lesquelles s’effectuent les gardes à vue et les conditions de détention. On ne peut que se féliciter de la mise en place de la structure spéciale chargée de superviser le système pénitentiaire, annoncée par la délégation dans son exposé oral. Il serait intéressant d’en savoir plus sur le statut et les compétences de cet organe, et sur la manière dont son activité en matière de visites s’articulera avec celle du médiateur et celle du Bureau du Procureur général, lequel selon le paragraphe 103 du rapport, inspecte les lieux de détention afin d’y contrôler la conformité avec la loi. Par ailleurs, si l’on ne peut que se féliciter de ce que tous les organismes et institutions du système pénitentiaire soient désormais placés sous l’autorité du Ministère de la justice, il est regrettable que les centres d’isolement temporaire de la police continuent de relever du Ministère de l’intérieur. Ne serait‑il pas temps que les autorités russes placent ces centres sous l’autorité du Ministère de la justice ou, mieux encore, les ferment purement et simplement ? Selon des ONG, les conditions de détention dans ces lieux sont absolument déplorables. Afin de prévenir la torture, il serait également nécessaire de réduire à un strict minimum la durée des gardes à vue par la police. La fermeture des centres d’isolement temporaire aurait aussi pour avantage de libérer un grand nombre de policiers, lesquels pourraient se consacrer à des tâches de prévention du crime.

31.Se référant au paragraphe 94 du rapport, M. Rasmussen se félicite que le responsable d’un lieu de détention soit désormais autorisé à ordonner la libération d’un suspect ou d’un accusé à l’expiration de la période de garde à vue ou de détention provisoire définie par la loi; il voudrait savoir si cette possibilité est mise en pratique. D’après le paragraphe 103 du rapport et la déclaration du chef de la délégation, il semble que la mise au jour de nombreuses irrégularités a conduit à la libération de personnes détenues illégalement. Cela est certes très positif en soi, mais il serait utile de savoir si les personnes libérées après avoir été détenues illégalement ont reçu une indemnisation et si les responsables des irrégularités en question ont été poursuivis et condamnés.

32.En ce qui concerne l’application des articles 12 et 13 de la Convention, il est dit au paragraphe 114 du rapport que, conformément à l’article 218 du Code de procédure pénale de la RSFSR, la personne chargée de l’enquête initiale ou l’enquêteur doit transmettre à un procureur toute plainte ainsi que des explications dans les 24 heures. On peut cependant imaginer que la personne chargée de l’enquête initiale soit elle-même l’auteur d’abus de pouvoir. Les détenus ont‑ils d’autres moyens de porter plainte que la procédure prévue par l’article 218 précité ? À propos des chiffres donnés au paragraphe 115 du rapport sur les plaintes concernant l’utilisation de méthodes d’enquête illicites, il serait intéressant d’avoir une explication sur l’écart entre le nombre de plaintes enregistrées de janvier à juin 2000, qui est de 4 087, et le nombre de plaintes jugées fondées pendant cette même période, qui est de 160. En outre, il semble, d’après des rapports d’ONG, que la presse fait une large place à certaines violations des droits de l’homme. Dans cette hypothèse, et si les victimes ne portent pas plainte elles-mêmes, un mécanisme judiciaire, ou le médiateur peuvent‑ils se saisir eux-mêmes de l’affaire ?

33.À propos de la situation en République tchétchène, M. Rasmussen, tout en se disant conscient des difficultés auxquelles est confronté l’État russe, se félicite des efforts déployés pour restaurer la légalité constitutionnelle sur ce territoire. Il note que trois principales structures existent maintenant en Tchétchénie : le Bureau du Procureur général, le Bureau du Procureur militaire et le Représentant spécial du Président pour les droits de l’homme, les droits civils et les libertés en République tchétchène. Il serait intéressant de savoir combien, parmi les affaires traitées par le Bureau du Procureur général, concernent la torture et les disparitions et quel a été l’aboutissement des poursuites engagées, si le Bureau du Procureur militaire porte après enquête les affaires devant les tribunaux civils ou devant les tribunaux militaires et combien de demandes, sur les 5 689 déposées auprès du Représentant spécial pour les droits de l’homme, ont été portées devant les tribunaux et jugées.

34.Dans une déclaration relative à la République tchétchène rendue publique le 10 juillet 2001, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a regretté le refus des autorités russes de coopérer avec lui sur deux questions, d’une part, l’ouverture d’une enquête approfondie et indépendante sur les événements qui se sont déroulés dans un lieu de détention, à Tchernokozovo, pendant la période allant de décembre 1999 au début février 2000 et, d’autre part, les mesures prises pour faire toute la lumière sur les cas de mauvais traitements subis par des personnes privées de liberté en République tchétchène au cours de l’actuel conflit. Il serait intéressant de savoir quelles mesures ont été prises par les autorités russes depuis juillet 2000 en ce qui concerne ces deux questions.

35.Dans la même déclaration, le CPT a indiqué également que, lors de la mission qu’il avait effectuée en République tchétchène en mars 2001, il avait remarqué que nombre de personnes qui avaient été maltraitées et d’autres qui étaient au courant de telles infractions étaient réticentes à porter plainte auprès des autorités. Elles craignaient des représailles au niveau local et estimaient que de toute façon justice ne serait pas faite. La délégation russe pourrait-elle préciser quels efforts ont été déployés, conformément à la recommandation du CPT, pour remédier à cette situation extrêmement alarmante ? Il convient de rappeler à cet égard que l’article 13 de la Convention fait obligation aux États parties de prendre des mesures pour assurer la protection des plaignants et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation subis en raison d’une plainte déposée ou d’une déposition faite.

36.Est-ce que, d’autre part, une enquête pénale a été ouverte en ce qui concerne la mort des personnes dont les corps ont été retrouvés dans une fosse commune non loin de Khankala en février 2001 et, dans l’affirmative, quels en ont été les résultats ?

37.S’agissant de l’article 14, M. Rasmussen souhaiterait savoir combien de personnes victimes de la torture ont, pour l’ensemble de la Russie, obtenu réparation, si ces personnes ont bénéficié d’un soutien médical et si la Russie envisage de verser des contributions au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, ce qu’elle n’a encore jamais fait à ce jour.

38.En ce qui concerne l’article 15, M. Rasmussen note avec satisfaction que le Code de procédure pénale de la Fédération de Russie interdit expressément le recours à la violence, à la menace ou à d’autres moyens illicites pour arracher des aveux à des accusés ou un témoignage à d’autres parties à la procédure. Il serait intéressant à cet égard de connaître le nombre d’affaires d’extorsion d’aveux par la violence dont la justice pénale a été saisie.

39.Pour ce qui est de l’article 16, la délégation russe pourrait indiquer quelles mesures ont été prises pour remédier à la situation des enfants dans les orphelinats où, selon l’ONG Human Rights Watch, ils seraient fréquemment traités avec cruauté.

40.S’agissant de l’administration de la justice pour mineurs, M. Rasmussen invite instamment les autorités pénitentiaires à mettre un terme à la pratique consistant à placer dans une même cellule un adulte et des jeunes délinquants dont certains n’ont que 14 ans.

41.Il serait également utile de savoir quelles mesures sont prises pour améliorer la situation dans les hôpitaux psychiatriques, où, selon la Fédération internationale d’Helsinki pour les droits de l’homme, les patients seraient souvent victimes de mauvais traitements.

42.D’après diverses ONG, la superficie moyenne des cellules est de 1,7 m2 par personne. Il convient donc de se féliciter de ce que, d’après le paragraphe 93 du rapport, la superficie minimum par personne ait été fixée à 4 m2. Il y a lieu à cet égard de saluer les mesures prises par les autorités russes pour remédier au surpeuplement des prisons qui sont décrites aux paragraphes 105 et 106 du rapport. La délégation russe pourrait-elle, dans ce contexte, donner des statistiques précises sur les décès en détention ?

43.Dans son rapport sur la mission qu’il a effectuée en Fédération de Russie, le Rapporteur spécial sur la question de la torture décrit les conditions sanitaires épouvantables dans lesquelles certaines personnes sont détenues. Si les autorités russes veulent lutter efficacement contre la tuberculose, maladie dont souffre un détenu sur dix, elles doivent absolument remédier à cette situation et appliquer notamment les directives de l’OMS concernant la lutte contre la tuberculose dans les établissements pénitentiaires.

44.Par ailleurs, les autorités pénitentiaires devraient éviter d’imposer des restrictions à tous les détenus en ce qui concerne la communication entre les cellules et n’appliquer de telles restrictions qu’aux détenus pour lesquels elles sont jugées indispensables.

45.Selon l’ONG Human Rights Watch, la police chercherait à obtenir des aveux par tous les moyens, et les demandes d’examen médical faites par les victimes de mauvais traitements ou par leurs avocats se heurteraient la plupart du temps à une fin de non-recevoir.

46.Il convient, en revanche, de se féliciter des efforts déployés par les autorités pénitentiaires pour donner aux détenus davantage de possibilités de travailler, de lire et de faire de l’exercice.

47.Enfin, M. Rasmussen souhaiterait savoir s’il existe un régime pénitentiaire spécial pour les personnes condamnées à mort, dont la peine a été commuée en prison à perpétuité.

48.M. MAVROMMATIS note avec satisfaction le haut niveau de la délégation russe et les efforts déployés par le Gouvernement pour progresser sur la voie de la démocratisation des institutions. Il convient, notamment, de se féliciter des modifications apportées au Code de procédure pénale et au Code pénal, du fait que les prisons relèvent désormais du Ministère de la justice et de l’adoption d’un moratoire concernant l’application de la peine capitale, qui constitue aux yeux de M. Mavrommatis une sanction barbare quel que soit le crime commis.

49.M. Mavrommatis regrette toutefois que ni la gravité ni le nombre des allégations de torture et de mauvais traitements reçus par le Comité n’aient diminué, ce qui signifie que les mesures prises ne sont pas efficaces. Il rappelle à cet égard qu’aux termes de l’article 2 de la Convention aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture. Il y a lieu de garder cette obligation constamment présente à l’esprit dans la lutte contre le terrorisme. L’État partie devrait par ailleurs prendre des mesures plus efficaces pour que les enquêtes sur les allégations de torture et sur les disparitions soient menées à bien soit en plaçant le Bureau du Procureur militaire sous l’autorité du Procureur général soit en coordonnant l’action de ces deux instances.

50.M. Mavrommatis prend également note avec tristesse des 6 000 plaintes déposées par des mères de conscrits en cinq années. Il trouve encourageant à cet égard que l’État partie s’oriente vers une armée de métier.

51.Enfin, M. Mavrommatis prie instamment l’État partie de veiller à ce que les personnes qui font l’objet d’une mesure de refoulement ou d’expulsion ou qui voient leur demande d’asile rejetée puissent faire appel de ces décisions.

52.M. YU Mengjia s’associe aux vues exprimées par M. Mavrommatis et demande quelles priorités l’État partie va adopter pour donner suite aux recommandations du Comité compte tenu des difficultés financières et autres auxquelles il doit faire face.

53.M. MARIÑO MENENDEZ souhaiterait avoir des précisions sur la procédure de demande d’asile, notamment en ce qui concerne la recevabilité d’une telle demande et les recours ouverts aux personnes dont la demande est rejetée. Il serait également intéressant de savoir si la personne dont la demande est jugée recevable bénéficie d’un statut particulier et reçoit, par exemple, un permis de résidence.

54.La délégation russe pourrait-elle également indiquer si l’État partie juge systématiquement irrecevables les demandes d’asile formulées par les personnes originaires de pays considérés comme épargnés par la torture ?

55.Il serait, d’autre part, utile de savoir quels organismes prennent en charge les enfants abandonnés et surveillent la façon dont ces enfants sont traités.

56.S’agissant de la Tchétchénie, des informations font état de nombreux décès de rebelles sur la base militaire de Khankala. Le Comité aimerait savoir si cette base est habilitée à détenir des rebelles et si les autorités civiles peuvent contrôler la façon dont sont traités ces détenus.

57.Enfin, la délégation russe pourrait-elle indiquer quelle suite est donnée sur le plan juridique aux jugements de la Cour européenne des droits de l’homme ?

58.Le PRÉSIDENT note avec satisfaction que l’État partie a suspendu l’application de la peine capitale, qu’il a modifié son code pénal, qu’il a instauré des jurys de jugement, qu’il a placé les établissements pénitentiaires sous la responsabilité du Ministère de la justice et qu’il a introduit l’aide juridictionnelle.

59.Le Comité reste toutefois préoccupé par la prédominance d’une culture de l’impunité dont jouissent surtout, mais pas uniquement, les membres des forces armées. Il serait intéressant à cet égard de savoir si l’amnistie qui est mentionnée dans le rapport bénéficiera également aux personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des actes de torture. Si tel était le cas, il s’agirait d’une violation flagrante de l’article 7 de la Convention.

60.Mme GAER souhaiterait avoir davantage d’informations sur le projet de loi concernant le contrôle public des établissements pénitentiaires.

61.M. KALININE remercie le Comité pour le grand intérêt qu’il porte à la protection des droits de l’homme en Russie et l’assure que le délégation russe s’efforcera de répondre de son mieux aux questions parfois complexes qui lui ont été posées.

62. La délégation russe se retire.

La séance est levée à 13 heures.

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