Nations Unies

CAT/C/SR.1226

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

13 mai 2014

Original: français

Comité contre la torture

Cinquante-deuxième session

Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 1226 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 8 mai 2014, à 10 heures

Président (e): M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Quatrième rapport périodique de Chypre

La séance est ouverte à 10 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Quatrième rapport périodique de Chypre (CAT/C/CYP/4; CA T/C/CYP/Q/4; HRI/CORE/CYP/2013)

1.Sur l ’ invitation du Président, la délégation chypriote prend place à la table du Comité.

2.M me Koursoumba(Chypre) dit que Chypre a ratifié la Convention contre la torture en 1990 et le Protocole facultatif s’y rapportant en 2009 et que le bureau du Médiateur tient lieu de mécanisme national de prévention de la torture. Depuis la présentation de son dernier rapport, Chypre a considérablement amélioré son cadre législatif de prévention de la torture, notamment par l’adoption de politiques et procédures visant à garantir les droits des détenus, conformément aux recommandations des organes conventionnels et du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. L’Académie de police a déployé des efforts considérables pour améliorer la formation des policiers et faire en sorte qu’ils respectent des lignes de conduite précises pour le traitement des détenus de façon à éviter tout recours à la torture et aux mauvais traitements. Plusieurs mécanismes au sein de la police, notamment l’Unité de l’audit et de l’inspection de la police et l’Autorité indépendante chargée d’enquêter sur les allégations et les plaintes mettant en cause la police garantissent des enquêtes rapides et impartiales en cas de comportement abusif de la part des forces de l’ordre. De plus, les centres de détention de la police sont inspectés par des ONG et par divers autres organismes. Il convient de mentionner, par ailleurs, qu’un nouveau centre de rétention pour migrants en situation irrégulière a été ouvert en janvier 2013 à Menoyia.

3.Un vaste programme de réforme et de restructuration du système pénitentiaire a été lancé récemment afin de garantir que les détenus soient traités dans le plein respect des normes relatives aux droits de l’homme; en outre, le cadre réglementaire régissant les sanctions disciplinaires dans les prisons est en cours de modification. Fermement résolu à suivre les recommandations du mécanisme national de prévention de la torture, l’État travaille en étroite collaboration avec le Ministère de la justice et plusieurs organismes, comme la Croix-Rouge chypriote, à la réalisation de projets conjoints, dont un a donné lieu à l’élaboration du manuel sur les Principes directeurs pour la prévention des suicides dans les prisons et les lieux de détention, publié en avril 2014. Les autorités pénitentiaires collaborent en outre avec les représentants du Groupe de travail pour la prévention de la torture, établi en 2011 par le mécanisme national de prévention.

4.L’élaboration du plan d’action national de lutte contre la traite (2013-2015), l’abolition des visas d’artistes et la formation des agents de la force publique figurent parmi les mesures prises pour mettre un terme à la traite dans le pays. La modification de la loi sur la traite, qui transpose en droit interne les dispositions de la Directive 2011/36/CE du Conseil de l’Union européenne, est entrée en vigueur en avril 2014; elle prévoit un durcissement des peines en cas de traite et une nouvelle qualification des infractions pénales. De plus, les autorités coopèrent et échangent des renseignements avec leurs homologues à l’étranger dans les affaires de traite. Une attention particulière est accordée à la formation des agents des services de l’immigration, des policiers, des travailleurs sociaux et des membres de l’appareil judiciaire à la problématique de la traite et au repérage, à la prise en charge et à la protection des victimes. Les enseignants et les directeurs d’établissements sont également sensibilisés à la question. L’adoption de la loi sur les agences d’emploi privées devrait en outre permettre de mieux lutter contre le travail forcé, de même que la distribution de guides d’information − en six langues − aux travailleurs étrangers.

5.Chypre s’est dotée d’un cadre législatif complet en matière de migration et a harmonisé, en novembre 2011, son droit interne avec la Directive 2008/115/CE du Conseil de l’Union européenne. Le Médiateur, qui est chargé depuis 2012 de surveiller et d’encadrer les procédures de retour forcé, a mis sur pied un plan de coopération en matière de surveillance des retours forcés qui est conforme à la directive susmentionnée. Laloi sur les étrangers a également été harmonisée avec la Directive 2009/52/CE du Conseil de l’Union européenne.

6.Suite à plusieurs cas d’arrestations de mineurs en situation irrégulière, les autorités compétentes ont décidé de faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale dans l’examen de ce type d’affaires. En 2012, Chypre a conclu un accord de coopération avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)prévoyant l’ouverture d’une antenne locale de cette organisation dans le pays, ce qui devrait permettre d’améliorer le traitement réservé aux migrants et de mieux lutter contre la traite, dans le plein respect des droits de l’homme.

7.M. M odvig (Rapporteur pour Chypre) dit qu’il aimerait obtenir des précisions sur le nombre de condamnations pénales prononcées pour des actes de torture et des mauvais traitements imputés à la police, ainsi que sur la durée des peines d’emprisonnement infligées. Quelles sont, à cet égard, les peines appliquées en cas de tentative de commission d’actes de torture? M. Modvig souhaiterait en outre savoir si des mesures ont été prises pour sensibiliser le personnel pénitentiaire aux garanties fondamentales dont bénéficient les détenus et si ces garanties sont expressément prévues par la loi. Il serait notamment utile de savoir combien de personnes ont fait l’objet de mesures de restriction de leur droit de contacter un proche par téléphone pour des raisons de sécurité ou si la présence d’un avocat pendant l’interrogatoire est obligatoire, en particulier au moment de la signature de la déposition. La délégation voudra bien aussi préciser si les personnes placées en garde à vue sont examinées par des médecins indépendants, si ces derniers sont formés à reconnaître les signes de la torture et indiquer combien de cas de mauvais traitements ont été enregistrés et combien d’enquêtes ont été menées. Est-ce que le respect de la confidentialité des dossiers médicaux des détenus est assuré et combien de détenus sont soumis à des sanctions disciplinaires pour avoir abusé du droit de bénéficier d’un traitement médical?

8.La délégation est invitée à fournir des informations sur le nombre de demandeurs d’asile ou de migrants qui ont bénéficié de l’aide juridictionnelle ou des services d’un interprète dans le cadre de la procédure d’asile. Le Rapporteur souhaite en outre avoir son avis sur les informations figurant dans le rapport de 2008 du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants concernant le traitement de personnes placées en rétention à l’aéroport de Larnaca, qui n’auraient pas été autorisées à contacter leurs proches. Il serait aussi intéressant de savoir le nombre de cas où les autorités ont eu recours à la force à l’égard de demandeurs d’asile ou de migrants. Le Rapporteur demande si les organisations non gouvernementales (ONG) ont accès aux centres de rétention pour migrants et si dans ces centres les mineurs sont séparés des adultes. Il semblerait que les procédures de traitement des demandes d’asile soient particulièrement expéditives et ne permettent pas de déceler tous les cas de torture. Qu’en est-il exactement? La délégation pourra aussi indiquer si les médecins chargés d’examiner les demandeurs d’asile sont formés à déceler les séquelles − notamment psychologiques − de la torture, conformément au Protocole d’Istanbul et combien de demandeurs d’asile déboutés ont fait appel du rejet de leur demande et obtenu l’asile.

9.La délégation voudra bien indiquer quelles mesures concrètes ont été prises pour remédier au surpeuplement carcéral, s’il est envisagé de limiter le recours au placement en détention provisoire, si les initiatives prises pour faire baisser le nombre de suicides à la prison centrale de Nicosie ont donné des résultats et s’il est exact qu’il est prévu de confier la gestion de cette prison à une entreprise privée. Le Rapporteur aimerait en outre savoir si l’isolement cellulaire est une pratique courante. Quels sont, d’autre part, les services de réadaptation proposés aux victimes de violence dans la famille et aux victimes de la traite, notamment celles ayant subi des tortures? À ce sujet, il serait utile de savoir combien de condamnations ont été prononcées dans des affaires de traite et si les victimes ont pu obtenir réparation.

10.M. Domah (Corapporteur pour Chypre) dit qu’il aimerait obtenir des informations complémentaires sur la formation des policiers, du personnel médical et des fonctionnaires à la prévention de la torture et sur le nombre de plaintes pour mauvais traitements reçues par les autorités pénitentiaires. Est-ce que les autorités exercent une surveillance systématique sur les règles, instructions et pratiques d’interrogatoire, conformément à l’article 11 de la Convention et les policiers sont-ils dûment formés aux techniques d’interrogatoire respectueuses des droits de l’homme? En outre, des informations sur le cas des proches de plusieurs détenus chypriotes turcs qui se sont vu refuser l’entrée à Chypre depuis la Turquie seraient appréciées.

11.M. Domah demande si les discussions évoquées au paragraphe 110 du rapport ont débouché sur des modifications au Règlement pénitentiaire et à la loi sur les soins psychiatriques. Il prie la délégation de décrire les mesures prises pour faire face à la situation des détenus souffrant de troubles mentaux et d’indiquer si tous les agents de la force publique ont l’obligation d’aviser immédiatement les autorités compétentes lorsqu’ils reçoivent des informations faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements et si l’Autorité indépendante chargée d’enquêter sur les allégations et les plaintes mettant en cause la police a déjà eu à enquêter sur des plaintes pour torture déposées contre des membres des forces de l’ordre. Tout en prenant acte avec satisfaction des statistiques fournies au paragraphe 118 du rapport au sujet des affaires de torture dans lesquelles des membres de la police étaient impliqués, M. Domah souhaiterait recevoir des précisions sur le montant des indemnisations effectivement versées aux victimes ainsi que sur la nature des peines prononcées contre les responsables. Il souhaiterait également connaître la nature des peines qui ont été prononcées dans les deux affaires citées au paragraphe 128 du rapport.

12.La délégation voudra bien indiquer si les membres de l’appareil judiciaire reçoivent une formation leur permettant de déterminer si des déclarations ont été obtenues sous la torture et décrire la suite donnée à l’affaire évoquée au paragraphe 25 de la liste préalable des points à traiter. D’après certaines informations, les Chypriotes turcs ne seraient pas traités sur le même pied que les Chypriotes grecs et se verraient refuser l’exercice de certains droits, dont le droit à la liberté de circulation. En outre, il semblerait que des Chypriotes grecs aient publiquement reconnu avoir commis des violations de la Convention ou en avoir été complices. Or, à ce jour, aucune action n’a encore été intentée contre ces personnes, ce qui appelle un commentaire de la délégation.

13.M me Belmir  note que, d’après certains renseignements, les fonctionnaires des services de l’immigration exerceraient un pouvoir discrétionnaire en matière de délivrance de mandats d’arrêt, de placement en détention et de retrait de permis de séjour. Elle souhaiterait savoir si ce pouvoir leur est accordé par la loi et si les décisions de ces organes sont soumises à un contrôle judiciaire. Il serait aussi intéressant de savoir si les migrants en situation irrégulière ont la possibilité de former un recours contre un arrêté d’expulsion et si une telle démarche a un effet suspensif.

14.Relevant que, d’après certains renseignements, des mineurs non accompagnés seraient maintenus dans des centres de rétention pendant des périodes prolongées sans que leur cas soit examiné, Mme Belmir aimerait savoir si le système de justice pour mineurs vérifie la légalité d’une telle mesure. Enfin, elle demande s’il est déjà arrivé que des fonctionnaires des services de l’immigration et des membres des forces de l’ordre soient poursuivis pour ne pas avoir respecté les dispositions de la Convention et prie la délégation d’indiquer comment la notion de minorité est définie dans l’État partie.

15.M. Gaye souhaiterait savoir si les organisations non gouvernementales (ONG) ont participé à l’élaboration du rapport et s’enquiert des mesures prises par l’État partie pour garantir l’indépendance des mécanismes d’enquête, en particulier de l’Autorité indépendante chargée d’enquêter sur les allégations et plaintes mettant en cause la police. La délégation est invitée à expliquer pourquoi l’article 25 du Code pénal réprime le fait d’être complice d’un délit non seulement avant et pendant sa commission, mais aussi après les faits (rapport, par. 10) et de citer des exemples d’affaires dans lesquelles cette disposition a été appliquée.

16.M me Gaer,lisant au paragraphe 61 du rapport établi par le Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction sur sa mission à Chypre (A/HRC/22/51/Add.1) que des demandeurs d’asile iraniens appartenant à la communauté religieuse bahaïe ont été renvoyés dans leur pays alors qu’ils risquaient fortement d’y être victimes de persécutions, demande combien de personnes ont été concernées par ces renvois et sur quels motifs les autorités chypriotes ont fondé leur décision. La délégation voudra bien expliquer le choix des catégories utilisées au paragraphe 38 a) du rapport pour ventiler les statistiques relatives à la violence au foyer et décrire la façon dont la torture psychologique est définie dans l’État partie.

17.Étant donné que nombre de Chypriotes ont subi des mauvais traitements, voire des tortures au moment du conflit, avant de se réfugier dans le sud du pays, il serait intéressant de savoir si l’État partie a accordé une réparation pleine et entière à ces personnes comme le prévoit l’Observation générale no 3 du Comité concernant l’application de l’article 14 de la Convention.

18.M. Zhang  Kening souhaiterait en savoir plus sur le fonctionnement de l’Autorité indépendante chargée d’enquêter sur les allégations et les plaintes mettant en cause la police et demande quels mécanismes sont en place pour garantir que cet organe prenne des décisions en toute objectivité lorsqu’il doit déterminer si les faits relèvent des juridictions pénales ou des tribunaux administratifs.

19.M. Tugushi note que, d’après certaines informations, le droit de tout suspect de contacter immédiatement un avocat ne serait souvent pas respecté dans la pratique car les personnes qui n’ont pas les moyens d’engager un défenseur doivent attendre qu’un tribunal leur commette un avocat au titre de l’aide juridictionnelle. Il serait donc intéressant de savoir si l’État partie compte prendre des mesures pour éliminer ce délai d’attente de sorte que tous les suspects bénéficient des services d’un conseil dès le début de la détention.

20.La délégation voudra bien indiquer s’il est prévu d’augmenter le budget du Médiateur afin qu’il puisse remplir pleinement sa fonction de mécanisme national de prévention. Elle est invitée à décrire les résultats de l’application des 18 mesures visant à améliorer la situation dans les prisons annoncées au début de 2014 par le Ministre de la justice, en particulier celles tendant à prévenir les suicides en détention. La délégation pourrait en outre indiquer le nombre de mineurs arrêtés par la police et placés en garde à vue en 2013 et préciser si des initiatives ont été prises pour garantir que les mineurs non accompagnés ne soient pas séparés de leurs parents dans les centres de rétention et pour réduire la durée de la rétention des migrants en instance d’expulsion.

21.Le Président demande s’il est déjà arrivé que Chypre procède à des transferts illégaux et demande des assurances diplomatiques à un autre État, si le fait d’entrer illégalement sur le territoire national constitue encore une infraction pénale, si la discrimination figure expressément au nombre des motifs possibles de la torture dans la législation interne et si la Convention peut être directement invoquée devant les tribunaux. Il prie la délégation de citer des affaires dans lesquelles les dispositions de la loi de 2005 sur les droits des personnes arrêtées et détenues permettant de suspendre pendant douze heures l’exercice du droit de contacter un avocat ont été appliquées. La délégation est également invitée à citer des affaires dans lesquelles l’auteur d’un viol a épousé sa victime et à préciser si le viol conjugal est passible de poursuites pénales et si l’action publique peut être mise en mouvement même si la victime n’a pas porté plainte. Enfin, la délégation est priée de fournir des statistiques sur la population carcérale en les ventilant selon l’appartenance nationale ou ethnique des détenus et d’indiquer si des campagnes de sensibilisation à la discrimination dans le système de justice pénale ont été menées.

22.M. Mo dvig  (Rapporteur pour Chypre) prie la délégation de commenter des informations indiquant que, lors des examens médicaux, les migrants et les demandeurs d’asile placés en rétention seraient systématiquement menottés pendant toute la durée de la consultation médicale, laquelle se déroulerait toujours en présence d’un membre des forces de l’ordre.

23.M. Domah (Corapporteur pour Chypre) souhaiterait connaître les critères selon lesquels les décisions concernant l’attribution d’un avocat commis au titre de l’aide juridictionnelle sont prises et si les migrants et les demandeurs d’asile ont droit à l’aide juridictionnelle.

24.M me Belmir, notant que l’exploitation de femmes migrantes venues à Chypre dans l’espoir de travailler comme artistes ou employées domestiques reste un problème répandu, demande si les agents chargés de la surveillance des frontières sont formés pour déceler et prévenir le trafic et la traite d’êtres humains.

25.Le Président invite la délégation à commenter les informations selon lesquelles des manifestants antiracistes auraient été agressés par des militants d’extrême-droite en novembre 2010, à Larnaca.

26.M. Tugushi souhaiterait avoir des renseignements sur l’état d’avancement de la construction du centre médical pénitentiaire et sur la date prévue pour son ouverture. Il souhaiterait aussi savoir quelle institution est chargée d’enquêter sur les cas de suicides dans les établissements pénitentiaires.

La première partie (publique) de la séance prend fin à midi.