NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.70019 mai 2006

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 700e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le mercredi 3 mai 2006, à 15 heures

Présidence: M. MAVROMMATIS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Quatrième rapport périodique du Pérou (suite)

La séance est ouverte à 15 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 de l’ordre du jour) (suite)

Quatrième rapport périodique du Pérou (CAT/C/61/Add.2; CAT/C/PER/Q/4; réponses écrites distribuées en séance, en espagnol seulement) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation péruvienne reprend place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation péruvienne à répondre aux questions posées par les membres du Comité.

3.M. TUDELA (Pérou) indique que la délégation péruvienne se propose de répondre aux questions des membres du Comité en les regroupant par thème. En ce qui concerne l’administration de la justice et, en particulier, le pouvoir judiciaire, il souligne que l’indépendance des juges et des procureurs a été renforcée du fait que 90 % d’entre eux ont été titularisés. Le problème que pose le processus d’évaluation des magistrats organisé tous les sept ans, qui, pouvant déboucher sur leur révocation, affaiblit leur indépendance, a été examiné par les législateurs dans le cadre du débat relatif à la Constitution qui a eu lieu entre 2002 et 2004, mais aucune décision n’a été prise à ce sujet. Il convient de signaler par ailleurs que l’institution des jurés n’est pas prévue dans le système juridique péruvien.

4.Pour ce qui est de la réforme et du renforcement du système judiciaire, M. Tudela rappelle que, depuis le jugement rendu le 3 janvier 2003 par la Cour constitutionnelle, les civils ne peuvent plus être jugés par des tribunaux militaires et il est prévu de créer une chambre chargée spécifiquement des affaires concernant les militaires et les policiers à la Cour suprême. Un processus de réforme de l’appareil judiciaire a été lancé avec l’appui d’institutions financières internationales et de l’Union européenne sur la base de propositions formulées par la commission spéciale chargée de l’examen du plan national de réforme intégrale du système d’administration de la justice (Comisión especial de estudio del plan nacional de reforma integral de la administración de justicia − CERIAJUS). L’un des principaux résultats de ce processus de réforme est le nouveau code de procédure pénale, qui sera tout d’abord appliqué dès juillet 2006 dans le district de Huaura, puis, progressivement, dans le reste du pays. Il prévoit l’abandon du modèle inquisitoire et de la procédure écrite au profit du système accusatoire et du débat oral, ce qui devrait déboucher à moyen terme sur une administration plus efficace et rationnelle de la justice dans le pays.

5.M. BURNEO-LABRÍN (Pérou) indique que le règlement intérieur du Conseil national de la magistrature a été modifié de sorte que cet organe est désormais tenu de motiver ses décisions. Conformément aux dispositions du nouveau code de procédure constitutionnelle, ces décisions sont susceptibles de recours en amparo. Il existe une jurisprudence en la matière. En outre, plusieurs requêtes tendant à réhabiliter des magistrats révoqués arbitrairement par le Conseil national de la magistrature ont été déposées devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme et ont abouti à un règlement à l’amiable.

6.Pour ce qui est du rôle du ministère public, les violations des droits de l’homme, dont la torture, relèvent uniquement de la compétence des procureurs du ministère public et, dans les conflits de compétence entre tribunaux militaires et juridictions ordinaires, la Cour suprême a toujours tranché en faveur des secondes. Les procureurs ont librement accès aux locaux de l’armée et de la police pour mener des enquêtes, ce qui n’empêche nullement la conduite en parallèle d’une enquête administrative interne à des fins disciplinaires, sans préjudice de l’action pénale. Les actes des procureurs des juridictions inférieures sont susceptibles de recours devant le ministère public. Les décisions de ce dernier n’étant pas dotées de l’autorité de la chose jugée, l’existence de nouveaux éléments de preuve peut être invoquée pour réclamer le réexamen d’une affaire. Pour ce qui est des affaires de violation du droit à une procédure régulière, la victime peut se prévaloir du recours en amparo.

7.Par ailleurs, le ministère public a mis en place, à l’appui de ses activités, un système d’information dans lequel sont enregistrées toutes les plaintes pénales, y compris celles concernant les actes de torture. Pour le moment, ce système ne couvre que la ville de Lima, soit le tiers de la population du pays. Il existe également un registre national des détenus qui est librement accessible à tous les citoyens.

8.En ce qui concerne les décisions judiciaires sanctionnant les auteurs d’actes de torture, le Gouvernement péruvien est conscient que le nombre de condamnations pour de tels faits est insuffisant, à cause de lois d’amnistie accordant une impunité totale aux tortionnaires qui ont été adoptées à une certaine époque dans le pays. Toutefois, la décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme déclarant ces lois sans effet juridique, qui a eu un retentissement considérable en Amérique latine, est progressivement mise en application par les juridictions péruviennes. En particulier, dans un arrêt récent, la Cour constitutionnelle a déclaré fermement que les violations des droits de l’homme n’étaient pas sujettes à prescription.

9.Le Bureau du Défenseur du peuple est une institution autonome qui a pour tâche de mener des enquêtes à caractère non judiciaire sur les violations des droits de l’homme, dont la torture, et de transmettre le résultat de ses investigations au ministère public afin qu’il engage des poursuites, le cas échéant. Il a mené deux enquêtes importantes, l’une concernant des actes illégaux commis dans le cadre du service militaire contre des recrues entre 1998 et 2002, et l’autre portant sur des actes perpétrés par la police. Dans ces deux enquêtes, il est parvenu à identifier les suspects et à déterminer les dates des faits. En outre, le Bureau a, d’autre part, élaboré un protocole d’intervention spécifiquement consacré à la torture qui est principalement appliqué dans les établissements pénitentiaires. Le texte de ce protocole est disponible sur le site Web du Défenseur du peuple et a été largement distribué aux établissements concernés dans l’ensemble du pays.

10.M. TUDELA (Pérou) indique qu’en vertu d’une décision de la Cour constitutionnelle ayant force obligatoire pour tous les organes de l’appareil judiciaire les lois d’amnistie ont été déclarées incompatibles avec la Convention américaine relative aux droits de l’homme et éliminées de l’ordre juridique interne. Par ailleurs, il confirme que, selon la législation péruvienne, l’abus d’autorité est une infraction administrative. Dans le système juridique péruvien, toutes les infractions de droit commun sont prescriptibles, sauf les violations des droits de l’homme, et ce depuis l’arrêt rendu le 18 mars 2004 par la Cour constitutionnelle dans l’affaire Genaro Villegas Namuche, dans laquelle la Cour a conclu que toutes les violations des droits de l’homme commises par des militaires et, de manière générale, tous les crimes contre l’humanité, étaient imprescriptibles et que les militaires soupçonnés de tels actes ne pouvaient pas être jugés par des juridictions militaires. Enfin, M. Tudela signale que le département chargé spécialement des droits de l’homme qui a été créé au ministère public examine les violations commises pendant la période 1980-2000.

11.M. BURNEO-LABRÍN (Pérou) signale que, dans législation péruvienne, la torture est définie selon les finalités que peut avoir cet acte, à savoir: l’obtention d’aveux ou de renseignements, la punition, l’intimidation ou la contrainte. La discrimination ne figure pas dans cette définition mais le Gouvernement péruvien a pris bonne note des préoccupations exprimées par le Comité à cet égard et veillera à ce que le projet de Code pénal révisé, qui est actuellement examiné par la commission juridique du Congrès, soit modifié de façon à inclure l’élément de la discrimination dans la définition de la torture.

12.En ce qui concerne les violences sexuelles, il est prévu de faire figurer le viol en tant qu’infraction autonome, distincte de la torture, dans le projet de nouveau code pénal, conformément à l’article 7 du Statut de Rome. Pour ce qui est des réparations attribuées aux victimes de la torture, il convient de signaler que l’État a versé 50 millions de soles, soit environ 15 millions de dollars, à titre de réparation, en application du jugement rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans les affaires Loayza et Cantoral Benavides. Le droit à réparation n’est pas sujet à prescription en vertu de la loi générale sur les réparations du 29 juillet 2005, qui prévoit que toute victime de violations des droits de l’homme, dont la torture, commises pendant la période 1980-2000 peut réclamer une indemnisation.

13.M. RUBIO (Pérou) souligne que l’instauration d’un gouvernement démocratique a entraîné des changements notables dans le domaine de l’éducation. La loi n° 27741 de 2002 a imposé l’enseignement de la Constitution, des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans tous les établissements d’enseignement civils et militaires et chargé l’État d’élaborer un plan national d’éducation dans le domaine des droits de l’homme. Ce plan, approuvé en décembre 2005, comporte un vaste programme de vulgarisation des droits de l’homme et du droit international humanitaire. À cet effet, des programmes d’éducation sont élaborés pour tous les niveaux de l’enseignement. En mars 2006, le Ministère de la justice, qui est responsable de ce plan, a conclu un accord de coopération en matière d’éducation avec la Commission interaméricaine des droits de l’homme. En outre, l’École de la magistrature organise, en collaboration avec l’Institut d’études internationales de l’Université Pontificia Católica du Pérou, le Centre de droit international humanitaire du Ministère de la défense, l’Institut de défense juridique, l’Institut des droits de l’homme et de la démocratie de l’Université Pontificia Católica du Pérou et la Commission d’étude et de développement du droit international humanitaire à l’attention de différentes catégories professionnelles et du grand public, diverses activités de formation en la matière. L’armée, la police, le pouvoir judiciaire et le ministère public ont également des activités de formation qu’ils mènent en collaboration avec la société civile. M. Rubio souligne le rôle joué par le Comité international de la Croix-Rouge, qui participe activement et régulièrement aux activités de formation destinées à l’armée et à la police. Enfin, au niveau universitaire, quatre cours sur les droits de l’homme et le droit international humanitaire ont été créés à l’Université Pontificia Católica du Pérou.

14.M. TUDELA (Pérou), se référant à l’état d’urgence, souligne que, dans son arrêt du 16 mars 2004, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnels les commandements militaires, dont le régime précédent avait fait une utilisation abusive. Sous le régime actuel, l’autorité civile est à nouveau pleinement responsable de l’ordre public, ce qui est favorable à l’élimination de la torture. Il y a actuellement au Pérou deux zones, situées dans des régions relativement peu peuplées, où l’état d’urgence est en vigueur en raison de troubles provoqués par des «narcoterroristes». Pour ce qui est des possibilités de recours en la matière, le paragraphe 5 de l’article 200 de la Constitution, réglementé par le Code de procédure constitutionnelle, dispose que les particuliers peuvent contester l’état d’urgence devant les tribunaux. Cependant, le cas ne s’est pas encore posé concrètement. Des recours ont bien été introduits indirectement contre des mesures de détention arbitraire mais jamais l’état d’urgence n’a été remis en cause.

15.Pour ce qui est des arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, M. Tudela rappelle que, durant le régime autoritaire du Président Fujimori, le Pérou s’était soustrait à la compétence contentieuse de la Cour mais que le nouveau régime a de nouveau reconnu le caractère obligatoire des décisions de cette juridiction, un retour à la normale rendu possible par la mobilisation de la société civile.

16.M. Tudela évoque ensuite le cas de Lori Berenson, une ressortissante américaine qui a d’abord été condamnée par un tribunal militaire en vertu de la loi d’exception relative à la lutte contre le terrorisme. Cette décision a ensuite été annulée et l’intéressée a été jugée dans le cadre d’une procédure régulière et condamnée à une peine d’emprisonnement pour collaboration à des actes de terrorisme. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a contesté la validité des deux procès. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré le premier procès illégal mais a confirmé la validité du second. Elle a ordonné à l’État péruvien de verser une indemnisation à Mme Berenson pour violation de ses droits fondamentaux lors du premier procès. S’agissant précisément des indemnisations imposées par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, M. Tudela souligne que l’héritage laissé par le régime Fujimori pèse lourdement sur les ressources budgétaires du gouvernement actuel. Le Ministère de la justice a ainsi dû obtenir des sommes considérables pour pouvoir continuer à verser les indemnisations imposées par la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

17.M. RODRÍGUEZ CUADROS, évoquant le plan national des droits de l’homme, indique qu’après le retour à la démocratie en 2001 le Gouvernement péruvien a adopté une politique de protection des droits de l’homme en trois points visant, premièrement, à garantir à chacun le libre exercice de ces droits, deuxièmement, à protéger les victimes, ce qui inclut leur indemnisation et leur rétablissement dans leurs droits et, troisièmement, à promouvoir l’exercice par tous des droits économiques et sociaux et des libertés fondamentales. Cette protection s’exerce à trois niveaux. Au niveau juridictionnel, la Constitution met à la disposition du citoyen plusieurs possibilités de recours devant la justice pénale, administrative ou constitutionnelle. Au niveau quasi juridictionnel, le «Défenseur du peuple» est habilité à prendre diverses initiatives, notamment convoquer un fonctionnaire pour qu’il témoigne dans des cas de violations des droits de l’homme. Enfin, la protection non juridictionnelle consiste en une politique de promotion de l’action des organisations non gouvernementales et de la société civile, de façon qu’elles puissent contrôler les actes de l’administration et protéger les citoyens. Au plan international, le Pérou applique aussi ces trois niveaux de protection. Au niveau juridictionnel, le Pérou reconnaît la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et a adhéré au Statut de la Cour pénale internationale de Rome. Au niveau quasi juridictionnel, il a conclu de nombreux accords internationaux avec les organes conventionnels de l’ONU et la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Enfin, au niveau non juridictionnel, il mène une politique de collaboration et de transparence dans le cadre des activités de protection accomplies par les organisations non gouvernementales internationales. Pour collaborer pleinement avec le système des Nations Unies, le Gouvernement péruvien a mis en œuvre un plan national de protection des droits de l’homme conformément aux directives de la Commission des droits de l’homme et du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme. La politique gouvernementale en matière des droits de l’homme a été élaborée en accord avec la société civile, et en particulier avec les organisations actives dans ce domaine. Le Plan national se fonde sur le principe de l’indivisibilité des droits civils et politiques et des droits économiques et sociaux. S’agissant de la torture, la Constitution du Pérou dispose que les dispositions du droit interne doivent être interprétées en accord avec celles des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et que, lorsque la loi interne est plus restrictive qu’un instrument, c’est celui-ci qui prime. Cependant, l’État et la société civile veulent aussi mettre la législation pénale péruvienne en conformité avec les textes internationaux. Dans le plan national, l’État s’est ainsi engagé à incorporer à son code pénal une nouvelle définition de la torture et des crimes contre l’humanité qui soit pleinement en accord avec le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Les autorités péruviennes considèrent que le travail normatif et de protection des droits est une tâche de longue haleine et qu’il y a toujours une marge de progression. Elles accordent une grande importance à la prévention mais sont prêtes à assumer leur responsabilité pour toute violation, à indemniser les victimes et à les rétablir dans leurs droits. Enfin, en matière de droit international relatif aux droits de l’homme, le problème principal n’est pas la violation mais l’impunité. L’État péruvien entend donc poursuivre tous ceux qui portent atteinte aux droits de l’individu et leur appliquer les sanctions prévues par la loi. Son objectif, défini en concertation avec la société civile, est le renforcement de l’état de droit.

18.M. RUBIO (Pérou) dit qu’à sa connaissance le Pérou est le seul pays d’Amérique latine à avoir adopté une loi sur l’asile dans laquelle il s’engage à ne pas expulser, refouler ni extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

19.M. BURNEO-LABRÍN (Pérou) signale que, dans un arrêt rendu le 29 mars 2006 à la suite d’une action en inconstitutionnalité intentée par la Fiscal de la Nación, le Tribunal constitutionnel a reconnu que certaines dispositions de la loi n° 28665 sur l’organisation et la compétence de la juridiction militaire étaient contraires à la Constitution et a affirmé les principes suivants: les tribunaux militaires relèvent de la compétence du pouvoir judiciaire et non du pouvoir exécutif; les membres des tribunaux militaires sont désignés par le Conseil national de la magistrature et ne peuvent être des militaires en service actif; les tribunaux militaires n’ont compétence que pour connaître des délits commis dans l’exercice de fonctions militaires par des membres des forces armées et de la police; les civils ne sont pas justiciables de la juridiction militaire; et les décisions rendues par les tribunaux militaires sont susceptibles d’appel devant la Cour suprême de la République.

20.M. RODRÍGUEZ-CUADROS (Pérou) insiste sur le fait que le Pérou a procédé à une profonde réforme de la justice militaire dans le but de renforcer l’état de droit dans le pays. Les tribunaux militaires ne sont aucunement compétents pour connaître des violations des droits de l’homme et des délits commis par des civils.

21.M. Mariño MenÉndez (Rapporteur pour le Pérou) demande si des établissements pénitentiaires civils se trouvent encore sous le contrôle de l’armée ou si la situation a changé à la suite de la réforme de la justice militaire. Il souhaite obtenir des précisions sur les moyens dont disposent les détenus pour obtenir une aide juridictionnelle et exercer leur droit à la défense. Il demande également si les autorités procèdent à des examens médicaux pour s’assurer que les détenus ne font pas l’objet de mauvais traitements. Par ailleurs, il souhaite en savoir plus sur les résultats des enquêtes de la Commission Vérité et Réconciliation concernant les disparitions forcées.

22.Le Rapporteur fait état d’informations selon lesquelles le Comité international de laCroix-Rouge (CICR) ne pourrait plus avoir accès aux lieux de détention et souhaite obtenir des précisions de la délégation sur ce point. Enfin, il demande quelles sont les mesures concrètes adoptées par l’État partie pour faire cesser la pratique des stérilisations forcées dont sont surtout victimes les femmes autochtones.

23.M. GROSSMAN (Corapporteur pour le Pérou) demande s’il existe des critères précis pour déterminer si une affaire doit être renvoyée devant le système spécialisé de traitement des affaires de crime et de violation des droits de l’homme. Par ailleurs, il souhaite savoir quel est le nombre total de détenus et d’avocats commis d’office. Notant avec satisfaction que la Commission Vérité et Réconciliation a estimé que la mise au secret constituait un traitement inhumain, le Corapporteur voudrait savoir s’il existe toujours des cas de détention au secret. Bien que la situation pour ce qui est de l’état de droit se soit considérablement améliorée au Pérou, l’expert demande si les magistrats ou les témoins, notamment ceux appelés à comparaître devant la Commission Vérité et Réconciliation, continuent de bénéficier de mesures de protection. Enfin, le Corapporteur demande à la délégation des précisions au sujet d’une affaire d’avortement thérapeutique examinée par le Comité des droits de l’homme en 2005 (CCPR/C/85/D/1153/2003).

24.Mme BELMIR souhaite obtenir un complément d’information sur les attributions et le statut du Conseil national de la magistrature car les renseignements dont le Comité dispose semblent contradictoires. Il est difficile en particulier de savoir s’il est possible de faire appel des décisions rendues par le Conseil et si l’État exerce un contrôle quel qu’il soit sur cet organe.

25.M. TUDELA (Pérou) confirme qu’il existe bien au Pérou un établissement pénitentiaire sous autorité militaire. Il s’agit du CEREC (Centre d’internement de sécurité maximale de la base navale du Callao), où sont détenus de grands criminels, parmi lesquels figurent les chefs du Sentier lumineux et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru. L’existence d’un tel établissement, dont il faut bien préciser qu’il constitue une exception dans le pays, se justifie par la nécessité de préserver l’ordre public ainsi que par le fait que la nature particulière des crimes reprochés aux personnes qui y sont détenues requiert des mesures de sécurité spécifiques que les établissements pénitentiaires classiques ne sont pas en mesure de fournir. L’Institut national pénitentiaire s’est toutefois engagé à transférer progressivement les détenus du CEREC dans des établissements relevant de sa juridiction une fois rendu le jugement final dans leur procès.

26.En ce qui concerne les recours dont disposent les détenus en cas de non‑accès à l’assistance juridique, les plaintes peuvent être adressées à l’administration pénitentiaire ainsi qu’aux services de la Fiscalía, qui effectuent régulièrement des visites dans les établissements pénitentiaires pour recueillir les éventuelles plaintes et engager une procédure en cas de violation du droit à la défense. D’autres instances telles que la Procurature (Procuraduría pública, qui n’est pas le ministère public) ou le Défenseur du peuple peuvent contribuer à la défense du droit d’accès à la justice. Toutefois, force est de reconnaître que la proportion de plaintes ayant été transmises à la justice reste très inférieure à ce qu’elle devrait être. Ceci s’explique en partie par le fait que plusieurs de ces plaintes ont d’abord été examinées par des juridictions militaires sans que soient assurées les garanties judiciaires nécessaires à une procédure régulière. Les décisions rendues alors ayant été déclarées nulles par la Cour interaméricaine des droits de l’homme et le Tribunal constitutionnel, les plaintes ont été transmises à des juridictions de droit commun, où leur règlement se voit malheureusement entravé par les actuelles modalités de la procédure pénale. On peut cependant espérer que l’entrée en vigueur le 1er juillet prochain du nouveau code de procédure pénale constituera un progrès à cet égard.

27.On estime à 35 000 le nombre de détenus, qu’il s’agisse de condamnés ou de prévenus, et à environ 85 celui des établissements pénitentiaires. Pour ce qui est de la détention au secret, M. Tudela affirme catégoriquement qu’à l’heure actuelle aucun détenu n’est soumis à cette pratique. Au sujet du nombre d’avocats commis d’office, on en compte 1 537 sur l’ensemble du pays, ce qui donne un ratio moyen d’un avocat commis d’office pour 65 détenus.

28.L’existence de mécanismes de protection destinés aux juges et aux procureurs ainsi qu’aux personnes contribuant à la procédure judiciaire (colaboradores eficaces) est prévue par la loi. Bien qu’aucun cas d’atteinte grave à la vie de ces personnes n’ait à ce jour été signalé, le niveau de protection n’est pas encore suffisant. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a exprimé son inquiétude à ce sujet. Le Gouvernement est conscient du problème et s’emploie à le résoudre.

29.En réponse à la préoccupation exprimée par Mme Belmir, il serait peut-être utile de commencer par clarifier ce qu’est le Conseil national de la magistrature. Il ne s’agit pas d’un organe juridictionnel. Le Conseil se compose d’un représentant de la Cour suprême, d’un représentant de la Fiscalía, de représentants du Barreau des avocats de Lima ainsi que de représentants de la faculté de droit, de diverses universités privées et de l’Université nationale de San Marcos. La Constitution prévoit également la possibilité, même si elle n’a pas encore été mise en pratique, que siègent au Conseil des membres de collèges professionnels autres que d’avocats ainsi que des membres de la société civile. Les fonctions du Conseil consistent à organiser les concours de sélection des juges et des procureurs, à tous les échelons de la magistrature et à procéder tous les sept ans à l’évaluation du comportement et de l’aptitude professionnels des magistrats selon une procédure contradictoire, à l’issue de laquelle le Conseil reconduit ou non le mandat du magistrat en vertu d’une décision dûment motivée, conformément aux garanties d’une procédure régulière. Les décisions rendues par le Conseil national de la magistrature peuvent être soumises à révision, mais uniquement en cas de violation grave des droits de la défense. Sous le Gouvernement de Fujimori, quelque 150 magistrats avaient été démis de leurs fonctions en vertu de la procédure d’évaluation parce qu’ils ne se soumettaient pas aux directives du pouvoir en place. Le Gouvernement du Président Toledo s’emploie à réparer les préjudices, notamment financiers, qui en ont résulté. Cinquante-deux magistrats ont ainsi obtenu réparation.

30.M. RODRÍGUEZ-CUADROS (Pérou), revenant sur la suspension des visites du Comité international de la Croix‑Rouge au Pérou, explique que le CICR a suspendu ses visites de sa propre initiative, estimant que le Pérou avait enfreint l’accord de siège qu’il avait conclu avec lui en publiant un rapport de ce dernier. Étant donné que ledit accord ne contenait aucune disposition autorisant ou interdisant expressément une telle publication et que ce vide juridique était à l’origine du malentendu entre l’État péruvien et le CICR, les deux parties ont négocié et conclu un nouvel accord de coopération qui définit clairement leurs droits et obligations respectifs et qui régit désormais toutes les activités du CICR au Pérou.

31.M. RUBIO (Pérou), répondant aux remarques relatives aux stérilisations forcées, indique que l’État péruvien a tenu l’engagement qu’il avait pris de mettre en œuvre les recommandations formulées par le Défenseur du peuple sur cette question, notamment en rapport avec l’affaire María Mamérita Mestanza Chávez c. Pérou, dont la Commission interaméricaine des droits de l’homme avait été saisie.

32.M. BURNEO-LABRÍN (Pérou) assure le Comité que l’obligation de soumettre les détenus ainsi que toute personne ayant été soumise à un interrogatoire à un examen médical pour s’assurer qu’il n’y a pas eu recours à la torture ou à des mauvais traitements est respectée, sous la supervision directe du ministère public. En ce qui concerne les sanctions applicables en matière de disparitions forcées, il faut rappeler qu’au Pérou, comme dans de nombreux pays d’Amérique latine, seul le crime d’enlèvement était défini dans la législation pénale jusqu’à ce que la disparition forcée ait été érigée en infraction pénale dans les années 90. Le Tribunal constitutionnel a toutefois décidé que, dans la mesure où la disparition forcée de personnes exerçait ses effets dans la durée, elle ne devait pas être jugée en vertu de la classification des infractions pénales en vigueur au moment où elle s’était produite, mais en vertu de la classification actuellement en vigueur. Pour ce qui est des mécanismes de protection des témoins, le Gouvernement péruvien travaille actuellement, en collaboration avec les organismes de défense des droits de l’homme, à l’élaboration d’un projet de loi destiné à étendre la protection existante aux défenseurs des droits de l’homme ainsi qu’aux personnes qui ne participent pas directement à la procédure pénale. En ce qui concerne les droits liés à la procréation, le Code pénal du Pérou sanctionne l’avortement, une exception étant toutefois prévue pour l’avortement thérapeutique. La possibilité d’élargir cette exception à l’interruption volontaire de grossesse dans les cas où le fœtus est anencéphale fait actuellement l’objet d’un intense débat, alimenté notamment par l’affaire Karen Noelia Llantoy Huamán c. Pérou et la décision qu’a rendue à ce sujet le Comité des droits de l’homme (CCPR/C/85/D/1153/2003).

33.Le PRÉSIDENT remercie chaleureusement la délégation pour ses réponses et déclare clos l’examen du quatrième rapport périodique du Pérou.

La séance est levée à 17 h 5.

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