COMITÉ CONTRE LA TORTURE
Vingt-huitième session
COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 506e SÉANCE
tenue au Palais Wilson, à Genève,
le mercredi 1er mai 2002, à 10 heures
Président: M.BURNS
SOMMAIRE
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)
Deuxième rapport périodique de l’Ouzbékistan
_______________
Le présent compte rendu est sujet à rectifications.
Les rectifications doivent être rédigées dans l’une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d’édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.
Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.
La séance est ouverte à 10 heures.
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 ordre du jour) ( (suite)
Deuxième rapport périodique de l’Ouzbékistan (CAT/C/53/Add.1)
1. Sur l’invitation du Président, la délégation ouzbèke prend place à la table du Comité.
2.M. SAIDOV (Ouzbékistan) dit que le jeune État qui est l’Ouzbékistan a ratifié la Convention en 1995 et s’efforce d’instaurer un état de droit, notamment en procédant à un grand nombre de transformations dans le domaine des droits de l’homme. Après l’examen du rapport initial de l’Ouzbékistan (CAT/C/32/Add.3) au Comité contre la torture en 1999, la délégation ouzbèke a transmis les conclusions et les recommandations du Comité aux ministères et organes de l’État concernés, qui ont pris des mesures concrètes pour mettre en œuvre ces recommandations. Celles‑ci ont également été portées à la connaissance des ONG et du grand public au moyen d’une campagne d’information menée en collaboration avec les médias.
3.Depuis la présentation de son deuxième rapport périodique en novembre 2000, l’Ouzbékistan a connu de profonds changements. Le Gouvernement a notamment mené des actions éducatives dans le domaine des droits de l’homme à l’intention du personnel des organes compétents, avec la participation du PNUD, de l’UNESCO, du CICR, de l’OSCE et d’un certain nombre de fondations, notamment la Fondation Soros, la Fondation Adenauer et la Fondation canadienne des droits de la personne.
4.En 2000 et en 2001, il a organisé dans différentes villes, avec la collaboration de l’OSCE, toute une série de séminaires sur les normes et les pratiques internationales relatives à l’administration de la justice à l’intention des enquêteurs, des magistrats instructeurs, des procureurs, des juges et des avocats. Au cours de ces séminaires, les participants ont notamment étudié les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention contre la torture ainsi que les recommandations formulées par le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture à la suite de l’examen des rapports de l’Ouzbékistan.
5.Des actions sont également menées pour former les formateurs dans le domaine de la protection des droits de l’homme et de l’administration de la justice. Tout ce travail d’information et d’éducation s’inscrit dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour l’éducation dans le domaine des droits de l’homme.
6.Pour élaborer le deuxième rapport périodique, on a utilisé des informations émanant non seulement de l’administration mais aussi d’ONG telles que le centre sociologique d’étude de l’opinion publique, l’association des avocats, l’association des juges, le centre d’étude des droits de l’homme et du droit humanitaire, des associations de femmes, etc. En outre, ce rapport a été élaboré dans le strict respect des directives établies par le Comité.
7.Conformément aux recommandations du Comité, l’Ouzbékistan a pris diverses mesures pour interdire la torture. Le Code pénal prévoit désormais des peines très lourdes pour les auteurs d’acte de torture et aux termes du Code de procédure pénale les aveux obtenus sous la torture sont irrecevables, ce qu’a confirmé la Cour suprême dans plusieurs décisions qu’elle a rendues au cours des dernières années.
8.Les autorités mettent actuellement en place un système efficace d’examen des plaintes déposées par les personnes qui affirment avoir été victimes de mauvais traitements ou d’actes de torture infligés par des agents de l’État. Le Gouvernement entend limiter ainsi au maximum l’impunité dont jouissent les auteurs de tels actes.
9.Le Comité ayant estimé que la définition de la torture donnée par la législation ouzbèke était incomplète, le parlement a adopté une nouvelle définition conforme à l’article premier de la Convention.
10.Par ailleurs, conformément aux recommandations du Comité, le parlement a adopté une nouvelle loi sur les tribunaux qui s’inspire des principes relatifs à l’administration de la justice énoncés par l’ONU, notamment les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature.
11.Le Gouvernement met actuellement en place un système de contrôle du respect des dispositions législatives relatives aux droits de l’homme. Ce contrôle sera exercé par des commissions parlementaires, le Médiateur, les organismes compétents de l’État et des ONG.
12.Pour s’acquitter de ses obligations internationales en matière de droits de l’homme, l’Ouzbékistan s’efforce d’incorporer à son droit interne les dispositions des instruments internationaux auxquels il est partie. Il veille aussi à ce que les organes pertinents appliquent directement les normes internationales.
13.Une attention particulière est accordée à la lutte contre les violations des droits de l’homme. Après en avoir déterminé les causes, on recherche les moyens d’y mettre fin et de prévenir de nouvelles violations. À cette fin, le Gouvernement a créé, en collaboration avec l’OSCE, un réseau d’ONG chargé de vérifier que les droits de l’homme sont respectés.
14.Par ailleurs, convaincu que les ONG ont un rôle très important à jouer dans la mise en œuvre de la Convention contre la torture et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, le Gouvernement a formé les représentants des ONG à l’élaboration de rapports alternatifs destinés aux organes conventionnels chargés de veiller à l’application de ces instruments. Depuis la présentation du deuxième rapport périodique en novembre 2000, une réforme du Code pénal et de la procédure pénale a été entreprise. La classification des infractions a été modifiée. C’est ainsi par exemple que le nombre d’infractions passibles de peines privatives de liberté a été considérablement réduit pour les infractions qui ne présentent pas un grand danger pour la société. Les tribunaux ont désormais la possibilité de prononcer des peines non privatives de liberté, notamment des peines pécuniaires. Ces mesures ont permis de faire baisser considérablement le nombre de personnes placées en détention provisoire. Par ailleurs, les personnes qui ont été condamnées à une peine privative de liberté pour une infraction qui ne présente pas un très grand danger pour la société peuvent purger leur peine dans des prisons ouvertes où ils ne sont pas complètement coupés de la société et où leur rééducation est plus facile. Le Gouvernement considère en effet qu’il faut dans toute la mesure possible responsabiliser le délinquant plutôt que de l’isoler de la société.
15.Dans le cadre de la politique d’assouplissement de la législation pénale, le Code pénal prévoit des sentences plus légères pour les mineurs, les femmes et les personnes âgées.
16.Pour ce qui est de la peine capitale, le nombre de crimes passibles de cette peine a été ramené de 36 à 4. En outre, elle ne peut être appliquée à un mineur ou à une personne âgée de plus de 60 ans.
17.La procédure pénale a été simplifiée et assouplie afin notamment de réduire la durée de la détention provisoire. D’une manière générale, la réforme du Code pénal et de la procédure pénale vise à réaliser un équilibre entre les droits et les libertés de la personne et les besoins de la société.
18.Malgré tous les efforts déployés par le Gouvernement, force est de reconnaître qu’il y a un fossé énorme entre les lois interdisant la torture et la pratique. Des actes de torture sont encore commis par des personnes dépositaires de l’autorité publique. Ceux qui sont reconnus coupables de tels actes sont condamnés à de lourdes peines de prison et le Gouvernement est fermement résolu à tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin à l’impunité dans ce domaine et pour appliquer les dispositions de la Convention. Il souhaite à cet égard poursuivre un dialogue franc et constructif avec le Comité.
19.M. YAKOVLEV (Rapporteur pour l’Ouzbékistan) se félicite que l’Ouzbékistan ait présenté son deuxième rapport périodique dans les délais qui lui étaient impartis. Il prend note des changements qui ont été apportés au système judiciaire et à l’administration de la justice ainsi que des réformes législatives et des nouvelles lois qui ont été adoptées et relève que l’Ouzbékistan doit à présent s’atteler à la tâche ardue qui consiste à mettre en œuvre ces lois dans la pratique.
20.Il est dit au paragraphe 66 du rapport que le Président de l’Ouzbékistan a évoqué à maintes reprises la nécessité de faire évoluer les tribunaux de leur statut actuel d’organes répressifs en organes de protection des droits et libertés des citoyens. Il serait intéressant de savoir ce que le Gouvernement entend faire concrètement, notamment au niveau législatif, pour atteindre cet objectif. La délégation ouzbèke pourrait en particulier préciser si l’Ouzbékistan entend appliquer le principe de l’inamovibilité des juges, sans lequel ceux‑ci ne sauraient s’acquitter de leurs tâches en toute indépendance.
21.Rappelant que le sort de toute loi sur l’interdiction de la torture dépend de ce qui se passe au quotidien dans les cellules des détenus et condamnés, M. Yakovlev constate avec satisfaction que les possibilités de recours à l’arrestation en tant que mesure préventive ont été restreintes et que c’est donc bien aux tribunaux, siégeant en séance publique, qu’il appartient de prononcer une peine de détention. Il demande s’il est exact que la durée maximale de la garde à vue a été ramenée à 72 heures et voudrait savoir dans quelles conditions les détenus et condamnés peuvent obtenir un certificat médical, s’ils ont accès à un défenseur, à un médecin ou à leur famille et si les personnes arrêtées sont immédiatement informées de leurs droits.
22.M. Yakovlev souhaite également recevoir des informations concernant l’inspection des lieux de détention (s’agit-il d’un contrôle permanent, qui les réalise et quels en sont les résultats?) et sur les dispositions régissant l’extradition de personnes menacées de torture dans leur pays d’origine. Il demande si la compétence des tribunaux militaires est limitée aux infractions commises par les membres des forces armées. Si tel n’est pas le cas, les civils jugés par ces tribunaux jouissent‑ils privés des garanties d’un examen complet de leur affaire?
23.Le rapport initial indique que les recommandations du Comité ont été transmises aux ministères et organismes intéressés, pour application: ont‑elles aussi été publiées et diffusées auprès du grand public dans le cadre d’activités visant à transformer la perception de ces problèmes par la population, et les fonctionnaires en particulier.
24.M. Yakovlev demande que la délégation cite des cas où la Cour suprême ou un tribunal de deuxième instance, ayant examiné une affaire, a déterminé que les aveux de l’accusé avaient été obtenus par des moyens illégaux (dont la torture) et modifié en conséquence la condamnation. Il précise à cet égard que si tous les organes compétents, depuis l’arrestation jusqu’à la condamnation par le tribunal de première instance, savent pertinemment que tout ce qui aura été obtenu sous la torture sera rejeté et la condamnation annulée, le fait de soutirer des aveux par ce moyen perdra tout son intérêt.
25.Mme GAER (Corapporteuse pour l’Ouzbékistan) dit que le rapport de l’Ouzbékistan traduit bien la volonté du Gouvernement de participer au système de suivi de l’application des instruments internationaux. Consacrant beaucoup de place à l’application de l’article 10 de la Convention, il est très riche en renseignements sur les activités d’éducation et d’information concernant l’interdiction de la torture. Force est toutefois de constater qu’il ne contient guère de données sur la formation pratique des agents des forces de l’ordre et autres organes chargés de l’application des lois, et ce alors que le Comité ne cesse de prendre connaissance de nombreux cas de torture. Mme Gaer aimerait donc avoir des informations détaillées sur la formation non seulement théorique mais aussi, et surtout, pratique du personnel chargé de l’application des lois. Elle voudrait savoir comment ces agents traitent les détenus, de quelle façon ils procèdent, ainsi que le personnel médical habilité, pour détecter les marques de mauvais traitement ou de torture, et si les juges reçoivent une formation dans ce domaine et sont libres de signaler les cas de torture. Elle aimerait également recevoir des précisions sur les mesures prises par le Gouvernement pour exercer une surveillance sur les règles relatives aux interrogatoires et les dispositions concernant la garde des personnes détenues (article 11 de la Convention). En ce qui concerne le paragraphe 206 du rapport, selon lequel il ne peut être donné lecture des déclarations faites par un témoin ou une victime au cours de l’enquête préliminaire que s’il existe des divergences substantielles entre ces déclarations et celles faites au tribunal, elle voudrait savoir quel rôle est dévolu aux juges dans ce domaine. Elle souhaiterait aussi que la délégation commente les informations rapportées par des ONG russes, qui indiquent que la publication de circulaires administratives concernant les conditions de détention donne lieu parfois à des représailles, citant l’exemple de détenus musulmans brutalisés auxquels on interdit de faire la prière, même en silence.
26.Le traitement et la protection des personnes placées en détention provisoire semblent également poser problème. Il n’apparaît pas clairement dans le rapport si les détenus peuvent faire appel à un défenseur avant leur mise en accusation et à quel moment ils peuvent demander à subir un examen médical ou voir leurs proches. Les témoins ou suspects bénéficient-ils d’au moins l’un de ces droits?
27.Lors de son examen du rapport de l’Ouzbékistan, le Comité des droits de l’homme a recommandé la mise en place d’un système indépendant de surveillance dans tous les lieux de détention. Un tel mécanisme a-t-il été créé? En particulier, Mme Gaer voudrait savoir si les détenus sont immatriculés et subissent un examen médical et quelles sont les procédures existantes dans ce domaine, ainsi qu’en matière de notification de la mise en détention aux membres de la famille. À ce sujet, bien que l’article 225 du Code de procédure pénale prévoie certaines mesures de protection, il semble que les droits susvisés ne sont pas accordés dans la pratique. Le même code fixe à 72 heures la durée maximale de la garde à vue, sans qu’il soit possible de faire appel de la décision (qui est prise par le procureur et non le tribunal). Il apparaît également qu’il n’existe pas de procédure analogue à l’ordonnance d’habeas corpus et que le droit à un défenseur est fréquemment bafoué. Les avocats qui portent plainte subissent des actes d’intimidation et ne peuvent s’entretenir avec leur client qu’après avoir obtenu l’autorisation écrite du fonctionnaire chargé de l’affaire. Mme Gaer demande à la délégation des éclaircissements sur ces questions.
28.Mme Gaer aimerait aussi connaître les résultats des débats qui ont eu lieu au Parlement au sujet des tournées d’inspection organisées dans les différents lieux de détention par les services de la Procurature, le Centre national pour les droits de l’homme, des ONG nationales et internationales et d’autres organismes internationaux, ainsi que par le public, comme il est précisé aux paragraphes 215 à 219 du rapport. Par ailleurs, constatant que les enquêtes sont rarement entreprises à la demande de particuliers, Mme Gaer voudrait savoir ce qui freine l’application de l’article 13 de la Convention (s’agit-il d’obstacles d’ordre technique ; la Cour suprême devrait-elle donner de plus amples instructions ou le Gouvernement doit-il démontrer plus clairement sa volonté d’aller de l’avant dans ce domaine?). Elle demande aussi à la délégation de commenter les informations selon lesquelles le Comité international de la Croix‑Rouge aurait été empêché d’effectuer les visites dans des prisons prévues dans le cadre d’un accord avec le Gouvernement ouzbek.
29.Dans son rapport initial, l’Ouzbékistan a déclaré que la responsabilité de procéder à des enquêtes immédiates et impartiales sur les actes de torture revenait aux services de la Procurature. Mme Gaer s’interroge donc sur le nombre de plaintes déposées et sur la capacité de ces services d’enquêter sur des affaires qu’ils portent eux‑mêmes devant les tribunaux. Constatant que la Procurature a reçu en 1999 six plaintes de citoyens concernant le recours à des méthodes d’enquête illégales par des fonctionnaires de ses services et 24 plaintes visant des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur (par. 118 du rapport), elle demande à la délégation de commenter ces chiffres et d’expliquer le rôle du Centre national pour les droits de l’homme dans ce domaine.
30.Mme Gaer aimerait aussi avoir des explications sur le paragraphe 60 du rapport, selon lequel les juges ne manifestent pas toute la sévérité voulue dans l’évaluation des violations concernant le droit à un défenseur et ne se montrent pas toujours critiques quant aux aveux faits par les suspects en l’absence d’un avocat, quand bien même la Cour suprême a souligné que toute preuve obtenue par des moyens illégaux était irrecevable et devait en conséquence être rejetée par le tribunal. Elle souhaiterait que la délégation présente des données statistiques sur les cas où des aveux obtenus par la contrainte ont été déclarés irrecevables et où un examen médical a été pratiqué pour déterminer si le défendeur avait été torturé. De même, elle aimerait avoir des explications sur les déclarations faites par des prisonniers qui, ayant fait des aveux sous la torture, ont dû renoncer par écrit au droit d’être assisté par un conseil.
31.Le rapport indique qu’il arrive que certains organes chargés de l’application des lois ne tiennent aucun compte, dans la pratique, des recours formés par les citoyens ou les traitent d’une manière purement formelle, et que cela peut se produire également dans l’activité d’organes judiciaires de rang intermédiaire ou supérieur (par. 231). Mme Gaer demande des précisions sur l’arrêt pris par la Cour suprême en décembre 1998 pour remédier à cette situation.
32.Mme Gaer aimerait également avoir des informations sur le rôle joué par le Commissaire aux droits de l’homme (Médiateur) dans l’application de la Convention, et notamment sur la proposition qu’il a formulée, dans le plan pour la mise en œuvre de cet instrument par ses services, en vue d’appliquer les dispositions du Code de procédure pénale dans trois régions de l’Ouzbékistan, ainsi que sur les fonctions de la Commission du respect des droits et des libertés constitutionnels (par. 232 et 233 du rapport).
33.Mme Gaer demande des statistiques sur les plaintes concernant des actes illégaux commis par des fonctionnaires et des organismes chargés de l’application des lois et souhaite connaître les peines encourues par les auteurs de ces actes. Elle voudrait aussi que la délégation commente le rapport d’une ONG ouzbèke selon lequel le Centre national pour les droits de l’homme évaluerait à 30 le nombre de plaintes dont la Procurature générale a été saisie en 1999. Elle souhaite également obtenir des précisions sur le rôle exact du Centre national pour les droits de l’homme qui, d’après le rapport de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), n’aurait reçu qu’une plainte faisant état d’un recours à la violence physique depuis 1999. Est‑il habilité à recevoir de telles plaintes? Par ailleurs, selon la Société d’entraide judiciaire le rapport du Médiateur pour 2000 donne un très grand nombre d’exemples de pratiques inacceptables en matière d’enquête et de cas de détention illégale. Quel commentaire la délégation peut‑elle faire à ce propos? D’autre part, d’après des ONG, 50 à 100 personnes seraient victimes chaque jour de mauvais traitements alors que le chiffre indiqué par la délégation ouzbèke est de 1 000 plaintes par an. Mme Gaer se dit également préoccupée par les informations émanant d’ONG selon lesquelles les membres de la famille d’un plaignant peuvent être victimes de menaces de sévices, voire de mesures de représailles. Il serait intéressant d’avoir des précisions sur les poursuites engagées contre des fonctionnaires et les peines qui leur ont été infligées.
34.En ce qui concerne l’article 14 (droit des victimes d’actes de torture d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate), Mme Gaer croit comprendre qu’aucune indemnisation n’est octroyée puisque les procédures pénales engagées n’aboutissent jamais à une condamnation pour actes de torture. Il serait bon de connaître les mesures envisagées pour que les victimes soient dédommagées et pour assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire. Selon certaines sources, la police paierait la victime ou les membres de sa famille pour qu’ils retirent leur plainte, ce qui donne à penser qu’il y a un problème grave de corruption. Qu’en est‑il de ce phénomène en Ouzbékistan?
35.À propos de l’article 15, Mme Gaer rappelle qu’à l’issue de l’examen du rapport initial de l’Ouzbékistan, le Comité contre la torture avait recommandé à l’État partie d’assurer dans la pratique le respect absolu du principe de l’irrecevabilité des preuves obtenues par la torture. Il semblerait que ce principe n’est toujours pas appliqué en Ouzbékistan et que le nouveau Code de procédure pénale n’interdise pas expressément l’utilisation d’informations obtenues par ce moyen. Mme Gaer fournit à ce propos des exemples concrets tirés du rapport de l’ONG Mémorial (notamment l’affaire Nasim Dzhabakov). Le Gouvernement ouzbek envisage‑t‑il de prendre des mesures pour appliquer ce principe?
36.En ce qui concerne l’article 16, Mme Gaer mentionne des d’informations faisant état de nombreux décès en garde à vue (il y en aurait eu une vingtaine, selon un rapport d’ONG). Elle cite le cas du défenseur des droits de l’homme, Shovrik Ruzimuradov, mort en juin dernier, et demande dans quelle mesure l’enquête menée sur son décès a été indépendante. Qu’en est‑il aussi de l’affaire Raushan Haitou? D’une manière générale, Mme Gaer voudrait obtenir de plus amples informations sur les sévices commis à l’encontre des prisonniers et qui s’apparenteraient à la pratique du bizutage (dedovschina). Elle souhaite également avoir des précisions sur le nombre de prisonniers dans le pays et les motifs de leur détention. Il serait aussi intéressant de connaître les mesures prises dans le pays pour améliorer les conditions de détention des mineurs. Mme Gaer demande également des informations sur les femmes disparues après avoir manifesté en public contre la détention d’un membre de leur famille, par exemple, le cas de Musharaf Usmanova disparue le 18 avril. Elle cite par ailleurs de nombreux exemples de personnes victimes de torture et de mauvais traitements, notamment le cas d’une fille de 16 ans emprisonnée avec des adultes qui n’aurait pas été autorisée à voir un avocat, qui serait battue et qui me recevrait pas de soins médicaux. Enfin, elle aimerait savoir quelle est la réaction du Gouvernement ouzbek face à toutes ces allégations et s’il envisage d’enquêter sur toutes ces affaires.
37.M. RASMUSSEN insiste sur l’importance de l’enseignement et de la formation concernant non seulement les droits de l’homme mais aussi l’interdiction de la torture dont il est question à l’article 10. Il demande si le Gouvernement ouzbek envisage de prendre des mesures pour améliorer l’application de cet article. M. Rasmussen met ensuite l’accent sur le rôle capital des médecins qui doivent être bien formés pour pouvoir contribuer à la prévention de la torture. Il demande également si des examens médicaux sont effectués dès le début de la détention et insiste sur l’importance d’un filtrage médical pour éviter la propagation de toute maladie et, actuellement, de la tuberculose. Il conviendrait également d’assurer les examens médicaux requis dans les centres de détention provisoire (SIZO). Il est, d’autre part, essentiel, selon M. Rasmussen, de mettre sur pied un système d’inspection régulière et indépendante des lieux de détention et d’assurer un suivi médical réel des détenus. Il serait aussi bon que le Gouvernement ouzbek fasse participer le Centre national pour les droits de l’homme et diverses ONG dans ces procédures d’inspection ainsi que le rapport semble le préconiser. M. Rasmussen se dit également préoccupé par le problème de la surpopulation carcérale, notamment dans les centres de garde à vue où les prévenus sont parfois obligés de dormir à tour de rôle faute de place. Il demande si le Gouvernement ouzbek envisage de remédier au problème du surpeuplement des prisons par des moyens autres que l’amnistie ou la libération sous caution. M. Rasmussen souhaite enfin connaître le nombre exact de personnes incarcérées (centres de détention provisoire, garde à vue, établissements pénitentiaires, etc.), renseignement que le Comité avait déjà demandé à l’issue de l’examen du rapport initial.
38.M. EL‑MASRY demande des précisions sur la recevabilité des témoignages obtenus sous la torture et notamment sur le procès engagé en juillet 2000 de détenus dits religieux qui a eu lieu en juillet 2000 et durant lequel le juge du tribunal d’instance de Tachkent aurait rejeté les affirmations des accusés selon lesquelles ils avaient été torturés.
39.M. MAVROMMATIS dit que le rapport de l'Ouzbékistan contient des informations assez complètes sur les textes de lois qui régissent la protection juridique mais pas suffisamment de renseignements sur leur application concrète. Selon des informations provenant d'organisations non gouvernementales, la situation se serait détériorée au cours des dernières années en ce qui concerne la torture, les autorités étouffant des plaintes et faisant obstacle aux enquêtes. Certaines ONG ont même affirmé que la torture et les mauvais traitements étaient devenus plus ou moins systématiques, en particulier en cas d'infraction à caractère politique. Si ces allégations correspondent à la réalité, le Gouvernement ouzbek devrait remédier à la situation.
40.Selon le paragraphe 4 du rapport, l'Ouzbékistan a signé une cinquantaine de traités internationaux relatifs aux droits de l'homme. Il serait intéressant de savoir quels sont ces traités, parmi lesquels figurent vraisemblablement des instruments régionaux.
41.Il est indiqué au paragraphe 6 que les rapports (au Comité contre la torture) sont actualisés et soumis pour examen chaque année. En réalité, selon l'article 19 de la Convention contre la torture, chaque État partie présente au Comité son premier rapport dans un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de cet instrument à son égard, après quoi il présente des rapports complémentaires tous les quatre ans.
42.Il conviendrait par ailleurs d'éclaircir le sens du paragraphe 110 du rapport.
43.Selon certaines informations, les juges sont toujours nommés et révoqués par le Président. Si cela est vrai, il ne semble pas possible d'assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire. En ce qui concerne les aveux ou éléments de preuve obtenus par la torture, ils ne devraient absolument pas être mentionnés lors du jugement ou consignés dans les dossiers pour éviter qu'ils n'influent sur le comportement du juge.
44.L'Ouzbékistan envisage-t-il de faire la déclaration prévue à l'article 22 de la Convention? Il est, à cet égard, assez surprenant que le Centre national pour les droits de l'homme ne reçoive quasiment pas de plaintes.
45.Pour ce qui est des questions relatives à la détention, il serait judicieux, pour contribuer à l'amélioration du respect des droits de l'homme, qu'elles ne relèvent plus du Ministère de l'intérieur mais du Ministère de la justice.
46.M. MARIÑO MENENDEZ dit qu’il tient à souligner tout d’abord combien il est important d’assurer constamment aux détenus les soins médicaux dont ils ont besoin. Il souhaiterait, d’autre part, savoir qu'elles sont les compétences des tribunaux militaires et s'il existe des chevauchements entre leurs compétences et celles des tribunaux civils.
47.Selon le rapport (par. 26), la peine capitale sanctionne notamment le terrorisme et l’agression. Existe‑t‑il dans la législation des définitions de ces deux termes et, dans l'affirmative, quelles sont‑elles? Est-il possible d'obtenir des données statistiques sur la peine capitale?
48.Il est fait état dans le rapport (par. 219 et 220) d'une inspection effectuée dans des centres de détention. Quels en ont été les résultats?
49.Au paragraphe 3 du rapport, des ONG de défense des droits de l'homme sont mentionnées. S'agit-il d'ONG indépendantes ou plutôt d'organisations semi‑publiques? En quoi consistent les activités des quelque 2 500 ONG à but non lucratif qui existent dans le pays?
50.Il semble, d'après le rapport, que le droit ouzbek ne contient aucune règle claire interdisant expressément l'expulsion, le refoulement ou l'extradition d'une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. C'est là une grave lacune.
51.S'agissant, de façon plus générale, du traitement accordé aux étrangers, il est indiqué au paragraphe 224 que ceux‑ci peuvent porter plainte devant un tribunal conformément à la procédure légale, sauf si les traités et accords internationaux auxquels la République d'Ouzbékistan est partie en disposent autrement. Peut-on empêcher des étrangers de saisir un tribunal en Ouzbékistan ou bénéficient‑ils de ce droit sans aucune discrimination comme semble le prévoir l'article 16 du Code de procédure pénale?
52.Selon certaines allégations, il y a eu en Ouzbékistan des déplacements forcés et des destructions de logements de centaines de personnes appartenant à des minorités. De tels actes, s’ils étaient confirmés équivaudraient à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, voire même à un génocide. Ces allégations sont-elles exagérées? Des mesures ont-elles été prises pour éviter des telles situations?
53.Enfin, l'Ouzbékistan a‑t‑il l’intention de signer ou ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale?
54.M. YU Mengjia voudrait savoir comment l'Ouzbékistan traite la question de l'aide judiciaire et de la formation des spécialistes du droit et de quelle manière. D'autre part, comment l'Ouzbékistan fait‑il face au problème des brutalités entre codétenus ou des brutalités commises par des responsables de l'application des lois?
55.Le PRÉSIDENT dit qu'il souhaite poser ou réitérer quelques questions. Premièrement, quelle est dans le projet de code pénal la définition du crime de torture? Deuxièmement, combien y a‑t‑il eu d'exécutions au cours des trois dernières années et selon quelle méthode? Troisièmement, des registres officiels des détenus sont‑ils établis pour tous les lieux de détention et sont‑ils accessibles, aux familles et aux avocats des détenus, par exemple?
56.M. SAIDOV (Ouzbékistan) remercie le Comité de l'attention qu'il a portée au rapport de son pays. Il indique qu'il trouve légitimes certaines critiques qui ont été faites et souscrit aux souhaits qui ont été exprimés et aux suggestions qui ont été formulées. Les recommandations du Comité seront communiquées aux autorités compétentes. L'Ouzbékistan est favorable au maintien d'un dialogue constructif pour les appliquer. Les situations diffèrent selon les pays, mais un certain nombre de normes doivent avoir une application universelle et l’Ouzbékistan est profondément attaché à ce principe. Il souhaite sincèrement parvenir au niveau atteint par les pays les plus avancés en matière de droits de l'homme. M. Saidov considère qu'il ne faut pas assimiler des déplacements de populations é un génocide. Le Comité reçoit des informations d'une multitude de sources et cela devrait lui permettre de procéder à une analyse objective de la situation. Cela dit M. Saidov s’accorde avec les membres du Comité pour dire qu’il existe encore un fossé entre ce que prévoient les lois en matière de droits de l'homme et le respect réel de ces droits. L'Ouzbékistan est résolu à le réduire.
La séance est levée à 12 h 40.
-----