Nations Unies

CAT/C/SR.931

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 mai 2010

Original: français

Comité contre la torture

Quarante - quatr ième session

Co mpte rendu analytique de la 931 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 28 avril 2010, à 15 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Quatrième à sixième rapports périodiques de la France (suite)

La séance est ouverte à 15 h 10.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (point 7 de l’ordre du jour) (suite)

Quatrième à sixième rapports périodiques de la France (CAT/C/FRA/4-6; CAT/C/FRA/Q/4-6; CAT/C/FRA/Q/4-6/Add.1 (document distribué en français seulement); HRI/CORE/1/Add.17/Rev.1

1. Sur l’invitation du Président, la délégation française prend place à la table du Comité.

2.M me  Tissier (France) dit que les instruments répressifs dont dispose la France garantissent le plein respect de la Convention contre la torture; aucune insuffisance législative ne permettrait à des tortionnaires d’échapper à une condamnation par les tribunaux français. Les juridictions internes appliquent directement l’article premier de la Convention en vertu des articles 689-1 et 689-2 du Code de procédure pénale, qui disposent que pour l’application de la Convention contre la torture, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de tortures au sens de l’article premier de la Convention. Deux arrêts de la Cour de cassation, en date du 3 mai 1995 et du 10 janvier 2007, ont fait jurisprudence en la matière.

3.Le droit interne prévoit par ailleurs que tout dépositaire de l’autorité publique ou toute personne chargée d’une mission de service public qui commet des actes de torture dans l’exercice de ses fonctions est passible d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle. Les autres formes de violence illégitime sont punies de façon spécifique, en fonction de leurs conséquences pour la personne qui les a subies, et la sanction encourue est toujours aggravée lorsque l’auteur des actes incriminés est un agent de l’État. Même s’il n’y est pas expressément défini, le terme de «torture» est inscrit dans la législation depuis très longtemps et il fait l’objet d’une définition jurisprudentielle consensuelle. Il a donc une signification en droit pénal français. La déclinaison en plusieurs infractions de ce que la Convention appelle torture s’explique par la prise en compte de la nécessaire gradation de la peine en fonction de la gravité de l’acte commis.

4.Le Comité a recommandé à la France d’ériger la torture en infraction imprescriptible. À cet égard, il convient de souligner qu’en droit français, c’est le principe de la prescription qui prévaut, sauf cas exceptionnels. La France entend bien le souhait du Comité, mais elle n’envisage pas à court terme de créer une juxtaposition d’imprescriptibilités qui nuiraient à la cohérence du système dans son ensemble. Concernant le cas de M. Ricardo Cavallo, évoqué par Mme Belmir et M. Gallegos, il y a lieu d’indiquer que les autorités françaises se sont rendu compte avec une certaine consternation qu’il était aujourd’hui impossible en droit français de destituer d’une distinction honorifique un étranger à laquelle elle a été accordée. Les autorités ont engagé les travaux nécessaires pour réformer le Code de la légion d’honneur et de l’ordre national du mérite afin de permettre l’ouverture d’une telle procédure pour les ressortissants étrangers. L’ambassade de France en Argentine suit de près la procédure en cours devant les tribunaux de ce pays et si M. Cavallo venait à être condamné, il est probable que la réforme engagée sur ce point permettrait alors d’envisager le retrait de la décoration de l’ordre national du mérite qui lui a été accordée il y a trente ans. En ce qui concerne les conséquences de la vague de suicides qu’a connu l’entreprise France Télécom, plusieurs enquêtes sont en cours, dont deux dans le cadre d’informations judiciaires, afin de faire la lumière sur d’éventuels faits de harcèlement moral susceptibles, le cas échéant, d’être qualifiés d’homicide involontaire.

5.M me  Doublet (France) dit que la procédure de demande d’asile en ambassade, évoquée par M. Menéndez, est une particularité française. En 2009, 99 demandes d’asile ont été présentées par cette voie, un chiffre modeste qui varie peu d’une année à l’autre. Dans le cadre de cette procédure, 80 personnes ont obtenu un visa pour venir en France. Il s’agissait essentiellement de personnes persécutées pour leur action en faveur de la liberté dans leur pays. En ce qui concerne les demandes d’asile à la frontière, dont 93 % sont présentées à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, il faut indiquer que le fait de demander l’asile à la frontière ne donne pas un droit d’entrée automatique sur le territoire, comme c’est le cas dans la plupart des pays du monde. Ainsi que l’a relevé le Comité, le traitement de ce type de demandes obéit effectivement à des règles spécifiques. Il est néanmoins entouré d’importantes garanties. Les demandes sont examinées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), un établissement public indépendant et spécialisé, et les demandeurs ont droit à l’assistance d’un interprète. Seules les demandes «manifestement infondées», qu’il est clairement impossible de rattacher à une problématique de protection, peuvent être rejetées. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2007, les décisions de refus d’asile à la frontière peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant le juge administratif et ce recours est pleinement suspensif. En 2009, 3 260 personnes ont demandé l’asile à la frontière; dans 27 % des cas, les intéressés ont été admis sur le territoire. Des demandes d’asile peuvent également être présentées à tout moment sur le territoire. À cet égard, il convient de souligner qu’il ne peut en aucun cas être reproché à un demandeur d’asile son entrée ou son séjour irrégulier sur le territoire.

6.En ce qui concerne la procédure d’asile dite «accélérée» vise à concilier la nécessité d’assurer en toutes circonstances le respect du droit d’asile, et la nécessité pour la France, comme pour tous les États, de disposer de procédures adaptées pour traiter les demandes manifestement étrangères à une problématique de protection. Cette procédure est exceptionnelle et ne peut être appliquée que dans trois cas: quand le demandeur d’asile a la nationalité d’un pays d’origine sûr, lorsque sa présence constitue une menace grave pour la sécurité publique, ou lorsque sa demande est frauduleuse, abusive et n’est présentée que pour faire échec à une mesure d’éloignement. Toutes les demandes relevant de la procédure dite «accélérée» sont examinées individuellement par l’OFPRA; la qualité de l’examen et les garanties offertes sont les mêmes que pour toutes les demandes d’asile. Quant au niveau d’exigence en matière de preuve, il n’est pas plus élevé que dans tous les autres cas. Ce dispositif a en réalité un seul objectif qui est de permettre un traitement prioritaire des demandes d’asile et d’obtenir une décision de l’OFPRA dans des délais plus rapides (à savoir quinze jours, ou quatre-vingt-seize heures si l’étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement et est placé en rétention administrative). Les recours contre les décisions de rejet prises par l’OFPRA dans le cadre de la procédure dite «accélérée» exercés devant la Cour nationale du droit d’asile sont dépourvus de caractère suspensif. Il importe toutefois de souligner que ce n’est pas la décision de rejet de l’OFPRA qui entraîne l’éloignement de l’étranger, mais une autre décision, celle qui est prise par le préfet. Or cette décision est susceptible d’un recours pleinement suspensif devant le juge administratif, qui peut lui aussi se pencher sur la question de savoir si le requérant court ou non le risque d’être torturé en cas de renvoi. On ne peut donc pas considérer que l’application de la procédure dite «accélérée» expose des ressortissants étrangers à un renvoi vers un pays dans lequel ils risquent de subir des traitements interdits par la Convention. En 2009, 8 632 demandes ont été traitées dans le cadre de cette procédure, ce qui représente 22 % des demandes d’asile présentées en France, un chiffre en baisse de 30 % par rapport à 2008.

7.l’inscription de pays sur la liste des pays d’origine sûrs est très précisément encadrée. Elle n’est possible que lorsque le pays respecte les droits et libertés individuels de manière effective ou durable et protège les personnes contre des violations de leurs droits. C’est au Conseil d’administration de l’OFPRA qu’il appartient d’établir cette liste et non à une autorité gouvernementale. Toute décision d’inscription, de maintien ou de retrait d’un pays est prise sur la base d’informations communiquées par les représentations diplomatiques et consulaires à l’étranger ou contenues dans les rapports établis par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou par des organisations non gouvernementales. Toute inscription est susceptible d’un recours devant le Conseil d’État, qui a annulé l’inscription du Niger et de l’Albanie sur la liste des pays sûrs en 2008 et qui est actuellement saisi d’un recours contre l’inscription de trois nouveaux pays, décidée en novembre 2009.

8.Concernant les mesures d’éloignement vers la Grèce elles sont fondées sur le Règlement no 343/2003 du Conseil de l’Union européenne établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, dit Règlement Dublin II. Si le risque pour un demandeur d’asile de subir des mauvais traitements en cas de retour en Grèce était établi, les autorités françaises ne solliciteraient pas la réadmission de l’intéressé dans ce pays en application du texte susmentionné. Il y a lieu d’indiquer en outre que les mineurs ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une réadmission ou d’un renvoi en application du Règlement Dublin II. Pour l’année 2009, 81 mesures d’éloignement vers la Grèce ont été prises en application de ce texte.

9.En ce qui concerne les femmes et l’asile, le dernier rapport annuel de l’OFPRA indique qu’en 2009 34 % des demandeurs d’asile et 49 % des personnes admises à une protection internationale étaient des femmes. De plus, les femmes représentaient 75 % des bénéficiaires d’une protection subsidiaire. Cela s’explique par le fait qu’un certain nombre de mauvais traitements qui concernent spécifiquement les femmes − traite, mariage forcé, mutilations génitales − donnent droit à la protection subsidiaire en France. S’agissant en particulier des mutilations génitales, les personnes qui ont manifesté leur opposition à cette pratique dans leur pays d’origine et refusé d’y soumettre leurs enfants, ont droit au statut de réfugié en application de la Convention de Genève. S’il s’agit d’enfants nés en France, le bénéfice de la protection subsidiaire leur sera accordé, de sorte qu’ils échapperont à toute mesure d’éloignement. La protection est également accordée aux mères des intéressés afin d’éviter la séparation.

10.Les mineurs non accompagnés placés en zone d’attente bénéficient de l’ensemble des droits et garanties accordés à tout étranger placé dans ces zones, ainsi que de garanties spéciales. Ainsi, le mineur bénéficie-t-il systématiquement du délai d’un jour franc avant toute mesure de réacheminement et de l’assistance d’un administrateur ad hoc chargé de le représenter dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles. Les problèmes auxquels a pu donner lieu la représentation des mineurs par le passé ont été réglés; aujourd’hui le taux de désignation d’administrateurs ad hoc est de 100 %. Lorsqu’au terme d’un examen très attentif, il apparait que le mineur isolé ne peut être admis sur le territoire français, son éloignement est entouré de toutes les précautions et des mesures sont prises pour s’assurer qu’il soit attendu dans son pays d’origine. Il serait donc erroné de dire que les mineurs placés en zone d’attente se trouvent dans une situation de non-droit. Des mesures sont prises par le Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire pour continuer d’améliorer les conditions d’intervention des administrateurs ad hoc dans les zones d’attente. Un espace d’hébergement spécialement dédié aux mineurs de moins de 16 ans est en cours d’aménagement. Le Comité doit savoir que les autorités françaises ont le souci d’apporter une protection particulière aux mineurs isolés qui, plus que toute autre personne, se trouvent dans une situation vulnérable.

11.M. Dumand (France) apporte des précisions sur la situation de M. Daoudi, ressortissant algérien condamné en 2005 à une peine de six ans d’emprisonnement assortie d’une interdiction définitive du territoire français pour implication dans des affaires terroristes. Il indique que le bien-fondé de sa crainte d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en cas de renvoi dans son pays d’origine a été reconnu le 31 juillet 2009 par la Cour nationale du droit d’asile. De plus, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré dans un arrêt du 3 décembre 2009 que la mise à exécution de la décision de renvoyer M. Daoudi vers l’Algérie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. En conséquence, l’intéressé − qui ne peut être renvoyé vers son pays d’origine −est actuellement assigné à résidence et doit se présenter régulièrement aux services de gendarmerie.

12.Pour ce qui est de M. Ferchichi, ressortissant tunisien condamné en 2008 à six ans d’emprisonnement et frappé d’une interdiction définitive du territoire français pour implication dans des affaires terroristes, l’OFPRA a reconnu par une décision en date du 22 décembre 2009, le bien-fondé de ses craintes sur les risques encourus en cas de renvoi dans son pays d’origine. Des démarches ont été engagées afin de rechercher un autre pays d’accueil, de façon que la décision judiciaire le concernant soit mise à exécution. L’’intéressé a ainsi été renvoyé vers le Sénégal le 24 décembre, c’est-à-dire avant que le Ministère de l’intérieur reçoive la demande de la Cour européenne de suspendre cette mesure. Il convient toutefois de souligner que la Cour a ensuite décidé de lever la mesure provisoire le 4 mars 2010, considérant que les craintes de M. Ferchichi de subir des mauvais traitements au Sénégal ou de se voir transféré vers son pays d’origine apparaissaient infondées.

13.En ce qui concerne les suites données par les autorités françaises aux demandes de mesures de protection provisoire émanant du Comité, M. Dumand souligne que dans le cadre d’une coopération de bonne foi réciproque avec le Comité, la France est tenue d’examiner très attentivement toute mesure de ce type et de s’efforcer, dans la mesure du possible, de la mettre en œuvre. Conscient de cette obligation, ce n’est que dans deux cas très particuliers de menace grave à l’ordre public que le Gouvernement français n’a pas fait suite aux demandes de mesures provisoires qui lui avaient été adressées par le Comité. Toutefois, loin d’ignorer ces demandes, il a reporté l’exécution des mesures d’éloignement − alors qu’elles avaient déjà fait l’objet de nombreux contrôles administratifs et juridictionnels internes effectifs − pour procéder à un examen approfondi supplémentaire de la situation des deux personnes concernées. Les risques allégués étant apparus comme dénués de tout fondement, les mesures d’expulsion ont été exécutées. Selon les dernières informations recueillies, ces deux personnes résident chacune dans leur famille et n’ont pas été inquiétées depuis leur retour.

14.Concernant l’hospitalisation psychiatrique sans consentement, le Gouvernement est en mesure d’informer le Comité que l’utilisation de ce type de mesures est en constante diminution depuis 2003. Leur nombre a ainsi baissé de 7 % entre 2003 et 2007, alors qu’il avait nettement progressé entre 1998 et 2003. Toutefois, la part des hospitalisations sans consentement par rapport aux hospitalisations psychiatriques en général est restée stable, autour de 12 %. Ces mesures peuvent être prises, sur le fondement de certificats médicaux, soit d’office par le préfet en raison d’un trouble manifeste à l’ordre public, soit par le directeur d’établissement à la demande d’un tiers. Compte tenu de son caractère attentatoire aux libertés individuelles, l’hospitalisation sans consentement est strictement encadrée, en particulier lors du placement en hospitalisation d’office et en cours d’internement. Lors de celui-ci, à intervalles réguliers, les autorités administrative, médicale et judiciaire sont impliquées afin de garantir le respect des droits des personnes concernées. Les personnes hospitalisées sans leur consentement peuvent contester cette mesure devant l’administration et devant la commission départementale des hospitalisations psychiatriques (composée de psychiatres, de représentants d’associations de malades, d’un magistrat et d’un médecin généraliste). Elles peuvent aussi former des recours juridictionnels contre leur placement. Les droits des personnes faisant l’objet d’une mesure de soins sans consentement seront renforcés dans le cadre d’un projet de loi qui sera bientôt soumis au Parlement. Ce projet propose que l’hospitalisation complète ne soit qu’une des modalités des soins sans consentement, aux côtés de modalités moins privatives de liberté que sont l’hospitalisation de jour ou les soins à domicile. De plus, il prévoit un renforcement des garanties offertes aux personnes hospitalisées sans consentement.

15.M me Dubrocard (France) confirme qu’en droit français, un régime de garde à vue dérogatoire est appliqué aux personnes soupçonnées d’actes de terrorisme ou de criminalité organisée, mais fait valoir que celles-ci ne sont pas privées de droits pour autant: elles sont immédiatement informées de leurs droits et de la durée de la garde à vue et elles peuvent demander dans un délai de trois heures à faire prévenir un membre de leur famille et à être examinées par un médecin. Un examen médical systématique est en outre prévu en cas de première prolongation de la garde à vue, et les intéressés sont avisés de la possibilité de demander de nouveaux examens médicaux, dont le Code de procédure pénale précise qu’ils sont «de droit».

16.En matière de terrorisme ou de criminalité organisée, cependant, l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue de la soixante-douzième heure de garde à vue, et l’enregistrement des personnes placées en garde à vue n’est pas prévu, à moins que le Procureur n’en décide autrement. Ces restrictions résultent à la fois de la gravité des faits reprochés et des besoins de l’enquête: ce type d’infraction étant typiquement le fait de réseaux, des précautions supplémentaires s’imposent pour éviter toute communication avec le reste du réseau. Parmi les autres crimes donnant lieu à l’application de ce régime spécifique du fait de la menace qu’ils font peser sur la société, Mme Dubrocard cite le crime de torture et d’actes de barbarie commis en bande organisée, les crimes et délits d’enlèvement et de séquestration commis en bande organisée et la traite d’êtres humains.

17.Le déroulement des gardes à vue fait l’objet en France d’un triple contrôle: par les procureurs généraux, dont les rapports annuels sont accessibles au public, par les parlementaires, qui sont autorisés à visiter les locaux de garde à vue et par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Le fait que ces locaux puissent être visités par plusieurs organismes est une garantie supplémentaire. En outre, une coordination est prévue par la loi instituant le contrôleur général, qui dispose que ce dernier porte sans délai à la connaissance du Procureur tout fait laissant présumer l’existence d’une infraction pénale.

18.En réponse aux questions posées sur la plainte déposée par la famille de M. Abou Bakari Tandia, Mme Dubrocard indique que comme suite aux conclusions des dernières expertises, l’instruction est toujours en cours.

19.Le projet de loi portant adaptation de la législation pénale française au Statut de Rome n’ayant pas encore été examiné par l’Assemblée nationale, son contenu définitif n’est pas encore connu, mais il n’aura aucune incidence sur les règles de compétence en matière de poursuites d’actes de torture puisque l’article 689-2 du Code de procédure pénale restera en vigueur et que celui-ci prévoit bien la possibilité de juger en France toute personne se trouvant sur le territoire français pour des actes de torture au sens de la Convention. Le Comité pourra toutefois noter à toutes fins utiles que la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a été saisie de ce projet pour avis et a adopté un rapport dont les conclusions rejoignent pour l’essentiel celles de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Plus généralement, la notion de compétence universelle est une question largement débattue dans les communautés de juristes, en raison notamment de sa difficulté de mise en œuvre, et rares sont les États à l’avoir adoptée sans l’assortir de conditions.

20.La procédure pénale française prévoit un ensemble de mesures visant à éviter tout conflit d’intérêts dans les enquêtes menées par les services de police ou de gendarmerie sur les plaintes pour torture ou mauvais traitements visant des agents de la force publique. Tout d’abord, les enquêtes judiciaires sont menées sous la direction du Procureur de la République, sous la surveillance dans chaque ressort de cour d’appel du Procureur général et sous le contrôle de la chambre d’instruction. Par ailleurs, depuis 2009, le Procureur de la République peut saisir le service d’enquête judiciaire qui semble le plus approprié compte tenu des circonstances de l’affaire, ce qui permet de confier les enquêtes à un service autre que celui auquel appartient le fonctionnaire mis en cause. L’autorité judiciaire ou administrative peut également saisir les services d’inspection des corps concernés aux fins de diligenter une enquête judiciaire chaque fois qu’un policier ou un gendarme est soupçonné d’actes constitutifs d’une infraction pénale. Parallèlement, des enquêtes administratives peuvent être ordonnées par la hiérarchie des policiers ou gendarmes concernés.

21.Les décisions de classement sans suite peuvent être contestées par les personnes ayant dénoncé les faits, soit en formant un recours auprès du Procureur général soit en se constituant partie civile et en saisissant directement un juge d’instruction. Il est parfois reproché aux fonctionnaires accusés d’actes de torture ou de mauvais traitements de porter à leur tour plainte pour dénonciation calomnieuse ou diffamation. Toutefois, les empêcher de réagir à des accusations aussi graves porterait atteinte au droit d’accès à la justice. En ce qui concerne la suite donnée à la plainte déposée par Mme Albertine Sow, il convient de signaler que la procédure est toujours en cours.

22.La loi du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle complète la loi de 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Si elle étend effectivement le champ d’application de la surveillance de sûreté, qui concerne des personnes ayant purgé leur peine, elle contient aussi d’autres dispositions, qui visent notamment à clarifier la précédente loi en apportant une nouvelle garantie aux personnes pour lesquelles le placement en rétention de sûreté est envisagé. Elle vise par ailleurs à mieux protéger les victimes. Ainsi, le placement en rétention de sûreté en centre sociomédico-judiciaire implique que l’intéressé ait, pendant sa détention, déjà bénéficié d’une prise en charge médicale, sociale et psychologique individualisée. La loi affirme clairement par ailleurs que le placement doit demeurer l’ultime recours, lorsque le renforcement des mesures de sûreté apparaît insuffisant pour prévenir la commission de nouvelles infractions graves. Les personnes placées en rétention de sûreté peuvent bénéficier de l’aide juridique. Enfin, le texte crée un nouveau répertoire relatif aux expertises, tenu par un service du Ministère de la justice et des libertés et placé sous le contrôle d’un magistrat. Ce répertoire est destiné notamment à évaluer la dangerosité des personnes susceptibles de faire l’objet d’un suivi sociojudiciaire.

23.Pour finir, Mme Dubrocard donne au Comité les assurances qu’un élément de preuve obtenu à l’étranger sous la torture ne pourrait en aucun cas servir de base à une condamnation en France. Dans l’affaire Djamel Beghal, la cour d’appel de Paris s’est appuyée, pour fonder son arrêt de condamnation, sur les éléments recueillis par l’enquête et l’instruction menées par les magistrats français, et non sur la déclaration faite par M. Beghal devant les enquêteurs des Émirats arabes unis, reçue «dans des conditions non conformes au respect des droits de la défense». De façon plus générale, selon la Cour de cassation, qui se réfère à l’ordre public procédural français, les autorités judiciaires doivent en France faire respecter des principes dont on peut considérer qu’ils transcendent les législations nationales, dont ceux consacrés par la Convention contre la torture.

24.M. Combettes (France) fait savoir que le pistolet à impulsion électrique n’est utilisé dans les établissements pénitentiaires qu’à titre expérimental et que la Direction de l’administration pénitentiaire n’entend pas généraliser cet usage sans bilan approfondi. À ce jour, l’usage limité qui en a été fait par un nombre restreint d’agents dans un cadre très restrictif n’a donné lieu à aucune blessure. Les règles pénitentiaires européennes, qui font partie intégrante du programme de formation initiale et continue des personnels pénitentiaires, posent des principes qui sont en concordance avec la Convention et énoncent notamment que la force n’est utilisée qu’en cas d’extrême nécessité. De plus, le contrôleur général des lieux de privation de liberté s’inspire largement du Protocole facultatif se rapportant à la Convention. À ce jour, il a effectué 66 visites et publié 38 rapports de visite, portés à la connaissance de l’administration pénitentiaire, laquelle a déjà donné suite à 102 de ses observations − par exemple par des mesures comme des travaux de rénovation de parloirs ou de mise aux normes de cellules pour handicapés, la mise à disposition de produits d’entretien ou la réduction du délai de délivrance des autorisations de visite.

25.La loi du 24 novembre 2009 introduit un code de déontologie du service pénitentiaire, qui prévoit que toute personne engagée pour travailler à quelque titre que ce soit dans l’administration pénitentiaire doit prêter serment. Pour ce qui est des régimes différenciés, il convient de préciser que ceux-ci répondent à un objectif d’individualisation des peines et sont susceptibles d’être contrôlés par le juge administratif.

26.Le suicide en prison est une préoccupation majeure du Garde des sceaux, Ministre de la justice. Le plan d’action lancé en juin 2009 pour prévenir les suicides en prison a été renforcé et une mission spéciale consacrée à cette question a été créée en décembre 2009 au sein de l’administration pénitentiaire. Il est exact que le placement en quartier disciplinaire augmente le risque de suicide. À ce sujet, il convient de signaler que la loi pénitentiaire a ramené la durée maximale de cette mesure de quarante-cinq à vingt jours, et à trente lorsqu’il s’agit de sanctionner des faits de violence. Le plan d’action renforcé prévoit la mise en place de mesures particulières pour les quartiers disciplinaires axées sur la prévention du risque suicidaire, notamment la constitution de commissions locales pluridisciplinaires pour permettre un meilleur repérage et une prise en charge plus efficace des sujets à risque. Des mesures expérimentales, telles que les codétenus de soutien, sont également mises en œuvre avec le concours de la Croix-Rouge française.

27.Les fouilles ont pour finalité première de garantir la sécurité non seulement du personnel pénitentiaire et des détenus, mais aussi de toutes les autres personnes − médecins, enseignants, visiteurs – qui participent à la vie carcérale. Le régime applicable en matière de fouilles corporelles est le même pour les détenus des deux sexes, à l’exception du fait que les fouilles des femmes ne peuvent être réalisées que par le personnel de sexe féminin. Il existe plusieurs types de fouilles, qu’il convient de bien distinguer. Les fouilles par palpation n’impliquent par définition qu’un contrôle superficiel puisque la personne détenue demeure habillée. Les fouilles intégrales supposent un contrôle plus approfondi, notamment par un examen des vêtements de la personne détenue préalablement remis au surveillant, mais ne s’accompagnent en aucun cas d’investigations corporelles internes. Les fouilles corporelles internes sont en principe interdites, sauf à répondre à un impératif dûment motivé; elles doivent en outre être requises par l’autorité judiciaire et ne peuvent être effectuées que par un médecin. Il est vrai qu’auparavant, l’administration pénitentiaire jouissait en vertu de Code de procédure pénale d’une grande latitude s’agissant de la mise en œuvre de ces différents types de fouilles, mais depuis 1986, une circulaire encadre le recours aux fouilles en conciliant les impératifs de respect de la dignité humaine avec celui du maintien de l’ordre et de la sécurité dans les établissements pénitentiaires. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 énonce des règles très précises en la matière, qui prévoient notamment que la réalisation de fouilles doit être justifiée par la présomption d’une infraction ou par l’existence de risques liés au comportement du détenu que la nature et la fréquence des fouilles doivent être strictement adaptées aux nécessités et tenir compte de la personnalité des personnes détenues, et que les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électroniques sont insuffisants. Des portiques à ondes millimétriques, déjà utilisés dans certains aéroports, sont en cours d’expérimentation dans certains établissements.

28.À propos du surpeuplement carcéral, il faut savoir qu’au 1er avril 2010, 61 706 personnes étaient détenues dans des établissements pénitentiaires en France, pour une capacité initiale de 56 324 places, soit une densité carcérale de 109,5 %. Ce chiffre était de 120,5 % en 2008; il y a donc eu une très nette amélioration, rendue possible par la mise en œuvre d’un programme immobilier de grande envergure et le développement de mesures de substitution à l’incarcération et d’aménagement des peines.

29.D’ici à 2012, 23 nouveaux établissements pénitentiaires offrant des conditions d’hébergement optimales, notamment des cellules aménagées pour les personnes handicapées, seront mis en service, portant la capacité totale du parc pénitentiaire national à 64 000 places. Douze nouveaux établissements sont d’ores et déjà opérationnels. Afin de poursuivre cet effort, le Garde des sceaux, en accord avec le Président de la République et le Premier ministre, a engagé un nouveau programme immobilier, qui d’ici à 2017 permettra de renouveler près de 10 000 places en remplaçant d’anciens établissements par de nouveaux, et de créer 5 000 places supplémentaires. Les territoires d’outre-mer, où la densité carcérale moyenne atteint 123 %, ne sont pas oubliés; des travaux de rénovation et de construction sont en cours, qui ont déjà permis d’accroître la capacité d’accueil de plusieurs établissements.

30.La loi pénitentiaire réaffirme le principe de la subsidiarité de l’emprisonnement, qui tend à ce que la mesure privative de liberté ne soit prononcée qu’en dernier recours. Elle prévoit à ce titre diverses mesures de substitution, notamment l’assignation à résidence sous surveillance électronique, et encourage l’aménagement des peines. À l’heure actuelle, 8 328 personnes bénéficient d’un aménagement de peine, c’est-à-dire trois fois plus qu’il y a cinq ans. Le recours au placement sous surveillance électronique notamment s’est considérablement développé, le nombre de mesures prononcées dans ce sens ayant augmenté de 25 % en une année.

31.M me  Morize-Rabaux (France) dit que la Convention contre la torture, comme les autres instruments internationaux ratifiés par la France, sont applicables dans l’ensemble des territoires d’outre-mer. Il en va de même pour le Code pénal, le Code de procédure pénale et la loi pénitentiaire. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a compétence pour se rendre en outre-mer, ce qu’il a fait − en Guyane à l’automne 2008 et à Mayotte en mai 2009. Le Parlement peut néanmoins prévoir des ajustements dans l’application de la loi pour tenir compte des spécificités géographiques, culturelles et économiques de ces territoires. Ainsi, la situation particulière de certains territoires a conduit le Gouvernement à adapter la législation applicable en matière de droit des étrangers. Les flux migratoires peuvent en effet être lourds de conséquences pour l’économie et l’environnement de ces sociétés déjà fragiles, en particulier en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte, voire compromettre leur développement économique et social. Ce risque est réel et doit être pris en considération.

32.Des préoccupations ont été exprimées au sujet du centre de rétention administrative à Mayotte. Des travaux de rénovation ont été menés en 2008 et l’ouverture d’un nouveau centre a été annoncée pour la fin 2011. Elle risque toutefois d’être retardée d’une année en raison de contretemps survenus dans les travaux. La France a engagé des négociations avec les Comores dans le but de mettre en place une coopération du type de celle, très efficace, qu’elle a établie avec le Brésil pour la Guyane. Ces discussions ont été suspendues en raison des événements politiques internes aux Comores mais devraient reprendre prochainement. En ce qui concerne la situation des mineurs étrangers isolés à Mayotte, il faut distinguer les mineurs interpelés à leur arrivée à Mayotte et les mineurs dont les parents ont fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière et qui se retrouvent seuls. Cette situation préoccupe le Gouvernement, qui a le souci et l’obligation de protéger ces enfants, et s’emploie à trouver des solutions dans ce sens.

33.M. Petraz (France) dit que d’importants travaux, estimés à plusieurs centaines de millions d’euros, ont été lancés pour rénover les quelque 3 600 cellules relevant de la police nationale. Compte tenu des contraintes budgétaires, des priorités ont été établies, axées principalement sur le souci de garantir la sécurité des personnes gardées à vue et la décence des conditions de leur détention. L’équipement de l’ensemble des lieux de détention de systèmes de vidéosurveillance, y compris dans les couloirs, n’a pas été considéré comme prioritaire à cet égard.

34.Toute personne placée sous la responsabilité des forces de l’ordre, que ce soit dans le cadre de la garde à vue ou sous un autre régime, peut demander à être examinée par un médecin lors de la notification de ses droits et à tout moment au cours de sa détention. L’initiative de la demande peut être prise par l’agent responsable lorsque la personne concernée présente une blessure ou une maladie apparente ou affirme être blessée ou malade. Les agents sont vivement incités à solliciter un examen médical ainsi que la délivrance d’un certificat, qui constitue le plus souvent pour eux une garantie quant à la réalité et à la gravité des blessures alléguées.

35.L’utilisation des pistolets à impulsion électrique est strictement encadrée par des dispositions législatives d’application générale et par des dispositions réglementaires propres à la police nationale et à la gendarmerie. Les instructions données à la police nationale rappellent que ces pistolets figurent sur la liste européenne des matériels qui, en cas de mauvais usage ou d’abus, peuvent relever des cas de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les principes de nécessité et de proportionnalité énoncés à l’article 3 du Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois sont pleinement intégrés à la formation initiale et continue des policiers et des gendarmes, ainsi qu’à l’ensemble des enseignements relatifs à l’emploi de la force. Seuls les personnels ayant reçu une formation sur l’utilisation du pistolet à impulsion électrique sont habilités à le porter. Ils doivent en outre suivre une formation périodique obligatoire, qui comprend l’enseignement des règles d’emploi et des précautions spécifiques à observer, ainsi que de la conduite à tenir après une utilisation. Outre les principes de proportionnalité et de nécessité, la décision d’utiliser le pistolet à impulsion électrique doit tenir compte de l’environnement local et de l’état de vulnérabilité apparente ou connue de la personne à maîtriser. Une seule impulsion, d’une durée maximale de cinq secondes, doit être délivrée par utilisation, sauf dans des circonstances exceptionnelles, où le nombre maximal d’impulsions autorisé est de deux. Un examen médical est systématiquement pratiqué si la personne maîtrisée semble le nécessiter ou le demande. En 2008 et en 2009 respectivement, 390 et 401 cas d’utilisation du pistolet à impulsion électrique par la police nationale ont été enregistrés, contre 450 et 420 pour la gendarmerie. Aucune de ces utilisations n’a eu de conséquence létale. Les pistolets sont équipés d’une puce électronique et d’une caméra qui permettent d’enregistrer chaque utilisation. Ces données sont archivées de manière sécurisée et, le cas échéant, mises à la disposition des autorités de contrôle judiciaires et administratives. L’arrêt du Conseil d’État du 2 septembre 2009 a annulé le décret autorisant l’emploi du pistolet à impulsion électrique par la police municipale au motif qu’il ne prévoyait pas de formation à l’utilisation de cette arme, ni de dispositif de contrôle de son utilisation au sein de ce corps.

36.L’emploi de la technique d’immobilisation dite du «décubitus ventral» est strictement encadré par les textes afférents à l’usage de la force et, partant, soumis aux principes de nécessité et de proportionnalité. Une note de l’Inspection générale de la police nationale du 8 octobre 2008 précise que lorsque l’immobilisation est nécessaire, la compression, surtout lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen, doit être la plus momentanée possible et relâchée lorsque la personne est entravée par les moyens réglementaires et adaptés. Des techniques similaires sont utilisées dans la plupart des États européens. La Direction générale de la police nationale a néanmoins engagé une réflexion sur la possibilité de mettre au point un équipement technique qui permettrait d’immobiliser des personnes en état de surexcitation paroxystique sans avoir à utiliser la technique dite du décubitus ventral et d’éviter ainsi tous risques d’accident.

37.M. Masselin (France) dit que la législation française garantit le droit de tout membre des forces de l’ordre ou de l’armée de refuser d’exécuter un ordre illégal. En effet, le Code de la défense dispose notamment qu’il ne peut être ordonné aux militaires d’accomplir des actes contraires aux lois, aux coutumes de la guerre et aux conventions internationales. En outre, le Code de déontologie de la police nationale prévoit que le fonctionnaire de police qui serait témoin d’agissements prohibés, en particulier de violences illégitimes ou de traitements inhumains ou dégradants, engage sa responsabilité disciplinaire s’il n’entreprend rien pour les faire cesser ou néglige de les porter à la connaissance de l’autorité compétente. Enfin, l’article 40 du Code pénal dispose que tout agent public qui a connaissance d’un crime ou d’un délit a l’obligation d’en informer l’autorité judiciaire compétente. Ainsi, la non-dénonciation d’une infraction est pénalement réprimée et la possibilité de refuser d’exécuter un ordre illégal est garantie par la loi. Enfin, les dispositions pertinentes font l’objet d’un enseignement dans le cadre de la formation des agents publics, ainsi que de la formation continue ou spécialisée.

38.M me  Tissier (France) indique que l’institution du Défenseur des droits a été créée en application d’une nouvelle disposition constitutionnelle, ce qui lui confère la plus haute légitimité. L’établissement de cette institution découle de la nécessité de regrouper les diverses structures de défense des droits de l’homme qui s’étaient multipliées et de mieux répondre aux besoins du public. Des débats animés sont en cours au Parlement, qui doit encore arrêter les contours définitifs de cette institution. Il n’est pas à exclure qu’à terme, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté rejoigne les services du Défenseur des droits mais, pour le moment, le Gouvernement n’a pas l’intention de soumettre une proposition à cette fin.

39.Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a compétence pour surveiller la situation dans tous les lieux où des personnes sont retenues contre leur volonté par l’autorité publique, dont les locaux de garde à vue, les centres de rétention et les hôpitaux psychiatriques. Après ses visites, il engage le dialogue avec les administrations concernées sur les moyens d’améliorer la situation. La Constitution prévoit que le Contrôleur général ne peut se rendre que dans les établissements situés sur le territoire de la République car, dans l’hypothèse où il y aurait des lieux de privation de liberté placés sous la juridiction de la France mais qui se trouveraient en dehors de son territoire, cela engendrerait une situation juridique extrêmement complexe et la surveillance de ces lieux poserait des problèmes majeurs. Le Parlement a donc jugé opportun d’exclure cette hypothèse, considérant que ces situations complexes et par essence internationales devraient être du ressort des organismes internationaux compétents.

40.Le Président (Rapporteur pour la France), revenant sur la question de l’incorporation dans le droit interne de la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention, se dit surpris qu’un pays de droit civil ayant une tradition aussi solidement établie que la France se contente d’une définition tirée de la jurisprudence pour combler une lacune de son droit pénal. En outre, les termes utilisés dans la décision rendue le 19 janvier 1996 par la chambre d’accusation de Lyon (CAT/C/FRA/4-6, par. 3) qui sert actuellement de référence dans l’État partie ne sont pas conformes à ceux employés dans l’article premier de la Convention. Il souhaiterait savoir en quoi la pratique des juridictions nationales a changé depuis 1996 et quelle ligne jurisprudentielle a été suivie.

41.D’après les réponses écrites à la question 2 de la liste des points à traiter (CAT/C/FRA/Q/4-6/Add.1), la torture doit être commise pour des motifs idéologiques pour prendre la qualification de crime comme l’humanité, sans laquelle elle ne peut être considérée comme imprescriptible en droit français. Cet argument est sujet à interprétation et l’État partie ne fait nullement mention des dispositions de la Convention, dont l’article 4, lui imposant l’obligation de prendre les mesures voulues pour ériger la torture en infraction pénale et de poursuivre les auteurs présumés de ce type d’acte. Le Comité estime nécessaire que l’État partie fasse en sorte que les articles 1er et 4 de la Convention soient incorporés tels quels dans son droit interne.

42.Pour ce qui est de l’effet suspensif des recours contre une décision de renvoi, M. Grossman constate que le pourcentage de demandes d’asile acceptées par l’Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ne s’établit qu’à 14,3 %, ce qui donne à penser que les recours formés contre les décisions de l’OFPRA n’ont effectivement pas d’effet suspensif. À ce titre, il juge peu convaincantes les affirmations de la délégation française selon lesquelles les garanties dont bénéficient les demandeurs d’asile dans le cadre de la nouvelle procédure accélérée ne se distingueraient pas de celles qui sont prévues dans le cadre de la procédure d’asile habituelle. S’interrogeant sur la raison d’être de cette nouvelle procédure il se demande si l’État partie a conscience des dangers qu’elle comporte: des personnes confrontées à un risque réel de torture dans leur pays pourraient y être renvoyées faute d’avoir eu accès à un recours suspensif effectif.

43.Le Rapporteur tient à préciser que les décisions rendues par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention ne sont pas de simples recommandations et qu’elles ont un caractère contraignant. Sans cela, l’article 22 ne comporterait pas un paragraphe prévoyant la possibilité pour les États parties de retirer à tout moment la déclaration par laquelle ils ont reconnu la compétence du Comité à examiner des communications individuelles.

44.Le Rapporteur constate avec étonnement que l’État partie a tout d’abord introduit le pistolet à impulsion électrique, avant de décider de le retirer de la liste des équipements pouvant être en dotation dans les polices municipales (CAT/C/Q/4-6/Add.1, par. 116) et d’organiser des cours de formation au maniement de cette arme. Même si ces mesures correctives sont louables, il aurait été plus opportun d’agir en amont, en adoptant ces mesures avant l’introduction de cette arme plutôt qu’après coup. Le Rapporteur est convaincu que ce type de matériel est potentiellement très dangereux et que le temps lui donnera raison.

45.M me  Belmir (Corapporteuse pour la France), souscrivant à ces propos, ajoute que l’utilisation du pistolet à impulsions électriques peut porter atteinte à un droit fondamental: le droit à la vie, ce qui est extrêmement grave. L’État partie devra un jour en tirer les conséquences.

46.Revenant sur l’affirmation de la délégation française selon laquelle les tribunaux nationaux n’auraient pas été saisis d’affaires de violation de l’article 3 de la Convention, elle fait observer que la qualification exacte de l’objet d’une requête peut être donnée par le juge et qu’une plainte peut reposer sur l’article 3 de la Convention sans pour autant que celui-ci y soit expressément cité.

47.La Corapporteuse dit que la fiction juridique créée de toutes pièces par l’État partie pour définir le statut des zones d’attente la laisse perplexe et, tout en prenant acte des assurances de la délégation française concernant le traitement réservé actuellement aux demandeurs d’asile mineurs qui transitent par ces zones, elle espère que les autorités mèneront les investigations nécessaires pour vérifier le bien-fondé des allégations faisant état d’irrégularités dans le traitement de leur demande. Par ailleurs, tout en reconnaissant que les membres de la police ont le droit de se défendre en cas d’agression, elle souligne que, lorsqu’une personne porte plainte contre un membre de la police pour torture ou mauvais traitement et que ce dernier se défend de cette accusation en portant lui-même plainte pour outrage à fonctionnaire ou rébellion, la justice devrait traiter les deux affaires sur un pied d’égalité et éviter de classer la première et ne s’intéresser qu’à la seconde.

48.La Corapporteuse constate avec inquiétude que la loi pénitentiaire confère à l’administration compétente le pouvoir discrétionnaire de restreindre les droits des détenus. Or, il est inacceptable qu’une autorité administrative ait toute latitude pour légiférer par voie réglementaire sur une question touchant les droits fondamentaux. Enfin, des précisions seraient utiles sur le délai octroyé aux demandeurs d’asile frappés d’une mesure d’éloignement du territoire pour former un recours, sur la nature de la juridiction habilitée à examiner ce recours et sur la prise en compte par cette juridiction du risque de torture en cas de renvoi.

49.M. Mattéi (France) dit que le sérieux avec lequel le rapport, les réponses écrites et les réponses orales ont été préparées témoigne de l’importance attachée par son pays au respect des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention. La délégation française espère que le Comité prendra en considération les informations qui lui ont été fournies dans toute leur complexité et que celles-ci auront répondu à ses attentes. Même si de nombreux défis restent à relever, la délégation est convaincue que des progrès ont été accomplis depuis l’examen du précédent rapport, en 2005, et assure le Comité qu’elle accordera à ses futures observations finales toute l’attention voulue.

La séance est levée à 17 h 25.