NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.5485 mai 2003

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trentième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 548e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève

le mardi 29 avril 2003, à 10 heures

Président: M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Rapport initial du Cambodge

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES

La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l’ordre du jour)

Rapport initial du Cambodge (CAT/C/21/Add.5; HRI/CORE/1/Add.94)

1. Sur l’invitation du Président, M. Khin prend place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT souhaite la bienvenue à M. Khin, Premier Secrétaire de la mission du Cambodge auprès de l’Office des Nations Unies et des organisations internationales à Genève, qui a été chargé de représenter l’État partie devant le Comité. En l’absence d’une délégation susceptible de répondre aux questions soulevées par le Comité, celui‑ci examinera le rapport initial du Cambodge en application de l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 66 de son règlement intérieur.

3.M. KHIN (Cambodge) remercie le Comité de bien vouloir examiner le rapport soumis par son pays le 29 août 2002. En raison de contraintes financières et de la préparation des élections générales qui vont se tenir prochainement au Cambodge, son gouvernement n’a pas été en mesure d’envoyer une délégation pour participer à cette importante réunion. Mais le rapport rend compte avec exactitude de la situation des droits de l’homme dans le pays. Le Cambodge reconnaît et respecte les normes consacrées par les instruments relatifs aux droits de l’homme et applique les dispositions figurant dans ces instruments. Il est vrai qu’aucun pays au monde ne saurait se targuer d’appliquer de manière parfaite les dispositions de ces instruments et M. Khin écoutera avec la plus grande attention les observations et recommandations formulées par le Comité et les transmettra à son gouvernement.

4.Le PRÉSIDENT (Rapporteur pour le Cambodge) posera quelques questions d’ordre général sur le rapport de l’État partie puis abordera plus particulièrement la mise en œuvre des articles 1er à 9 ainsi que 16. En premier lieu, il souhaiterait apprendre de quelle manière les instruments internationaux auxquels le Cambodge est partie sont incorporés au droit interne cambodgien. C’est là une question importante car il ressort du rapport à l’examen (CAT/C/21/Add.5) que si la torture et les mauvais traitements sont bien interdits par la Constitution, celle‑ci ne comporte aucune définition de ces notions. Il semble que ce sont les principes bouddhiques qui sont appliqués à cet égard et qu’en cas de doute, le terme «torture» est à prendre au sens de la Convention. Mais comment cela est‑il garanti en droit? Les traités sont‑ils incorporés au droit interne dès lors qu’ils sont ratifiés, ou est‑il nécessaire de légiférer en ce sens? En d’autres termes, les conditions sont‑elles réunies pour que la définition de la torture énoncée dans la Convention soit directement applicable au Cambodge?

5.De nombreuses sources, et notamment le rapport de décembre 2002 du Représentant spécial du Secrétaire général pour les droits de l’homme au Cambodge (E/CN.4/2003/114) et les observations finales du Comité des droits de l’homme concernant le rapport que lui a soumis le Cambodge en 1999 (CCPR/C/79/Add.108), font état de diverses préoccupations concernant le système de justice pénale cambodgien. Tout d’abord, on est amené à se demander si le pouvoir judiciaire est véritablement indépendant: il semble que, pour des raisons historiques notamment, cela n’est pas entièrement le cas. À ce propos, M. Burns souhaiterait savoir combien de juges sont en activité au Cambodge, comment ils sont nommés, quelles compétences sont exigées d’eux et dans quelles conditions ils peuvent être révoqués. Des informations concordantes, confirmées par les allégations d’ONG indépendantes, inspirent à cet égard certaines inquiétudes. En particulier, est‑il toujours vrai que les autorités judiciaires cambodgiennes reçoivent des instructions de différents ministères? Dans le rapport à l’examen, il est indiqué que le Ministère de la justice donne des directives administratives aux juges, ce qui fait douter de leur indépendance. Il serait donc utile de savoir si certains ministères continuent d’exercer un contrôle sur le pouvoir judiciaire ou si des mesures ont été prises pour corriger cette situation. Dans le même ordre d’idées, M. Burns a noté avec satisfaction que les honoraires des magistrats avaient été relevés: de nombreuses allégations de corruption des juges sont parvenues au Comité et c’est donc là une mesure judicieuse puisque des magistrats mieux rémunérés sont plus difficiles à corrompre.

6.Il semble qu’au Cambodge la justice pénale accorde une place privilégiée aux aveux dans les procès, les autres moyens de preuve étant moins prisés des policiers et des magistrats. C’est là un point qui peut en grande partie expliquer la relative fréquence des violences policières; et l’impunité des auteurs de telles brutalités semble être la règle, à en juger par les inquiétudes exprimées à cet égard par le Représentant spécial du Secrétaire général, le Comité des droits de l’homme et diverses ONG indépendantes. On sait bien que partout où les aveux jouent un rôle central dans la procédure, la police a recours à des méthodes incompatibles avec les normes consacrées par la Convention.

7.Le droit pénal et la procédure pénale cambodgiens semblent s’inspirer de sources assez éclectiques puisque apparemment ils se fondent d’une part sur le droit civil français et d’autre part sur le droit pénal vietnamien, qui se rattache lui‑même au système pénal soviétique. Dans un tel cadre, l’accent est inévitablement mis sur les aveux et sur le rôle du ministère public. En particulier, dans les systèmes vietnamien et soviétique, les rapports entre le judiciaire et le ministère public sont trop étroits pour qu’une réelle indépendance soit possible. M. Burns croit savoir qu’une vaste réforme du droit civil est en préparation au Cambodge avec la collaboration du Japon, et il se demande s’il est envisagé de revoir également le droit pénal.

8.Il existe au Cambodge trois organismes chargés de la protection des droits de l’homme: M. Burns aimerait en savoir davantage sur leurs compétences et sur la façon dont ils s’acquittent de leurs responsabilités. Par ailleurs, il s’inquiète de ce qu’une loi cambodgienne fait de la diffamation une infraction pénale, et de ce que cette loi est fort utilisée. Certes, le concept de diffamation est largement présent dans nombre de pays pour ce qui est des procédures civiles; mais l’existence d’une telle disposition dans le Code pénal est extrêmement dangereuse dans la mesure notamment où les policiers peuvent systématiquement y recourir lorsqu’ils sont accusés de brutalités. Cela dissuade la victime présumée de porter plainte car elle deviendrait alors l’accusé. Il serait utile de disposer de statistiques sur le recours à cette disposition et de savoir si des personnes ont récemment été condamnées pour diffamation. Autre sujet de préoccupation, il semble qu’il n’existe pas au Cambodge d’organe indépendant chargé d’enquêter sur les plaintes déposées à l’encontre de la police, pas plus qu’il n’existe de médiateur parlementaire, alors que ce sont deux institutions qui s’avèrent très efficaces pour prévenir les brutalités policières.

9.Au paragraphe 20 du rapport à l’étude, il est question de diverses sanctions disciplinaires dont sont passibles les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements. Mais il s’agit là de mesures administratives alors qu’en vertu de la Convention, l’État partie est tenu, s’il y a eu torture, d’enquêter et de poursuivre en vertu du droit pénal ordinaire. Quoi qu’il en soit, il serait utile de savoir combien de sanctions administratives ont été infligées à la suite de tortures ou mauvais traitements et dans quelles circonstances le Ministère de l’intérieur a appliqué de telles sanctions. La décision du 23 novembre 1995 évoquée au paragraphe 20 du rapport est‑elle simplement citée à titre d’exemple ou y a‑t‑il eu d’autres décisions analogues et, le cas échéant, lesquelles? Au paragraphe 28 du rapport il est affirmé que les autorités «n’ont de cesse» de chercher à prévenir et à réprimer la torture: il serait souhaitable de savoir en quoi consistent ces efforts constants et quels services (police, gendarmerie, etc.) ils concernent.

10.Pour ce qui est de l’application de l’article 3 de la Convention, il est indiqué au paragraphe 37 du rapport à l’examen que 2 938 étrangers ont été expulsés du Cambodge en 1995: il serait important de savoir si le cas de chacune de ces personnes a été examiné séparément ou si au contraire ces étrangers ont été expulsés en masse. En d’autres termes, le Cambodge applique‑t‑il les dispositions de l’article 3 dans les cas d’expulsion d’un grand nombre de personnes? Évoquant l’expulsion vers la Chine de membres du Falun Gong ainsi que celle de montagnards qui passent la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande dans les deux sens et sont expulsés d’un pays à l’autre, M. Burns aimerait être assuré que les décisions prises à leur égard par les organismes cambodgiens compétents tiennent dûment compte des obligations découlant de l’article 3 de la Convention et des instruments relatifs à la protection des réfugiés. Il espère notamment que lorsqu’il est dit au paragraphe 41 du rapport que le Gouvernement cambodgien «envisagera» tous les aspects de la question, il s’agit d’une pratique déjà effective et non pas d’un projet pour l’avenir. En l’absence d’une obligation légale spécifique, il serait utile de savoir en vertu de quelles dispositions précises les services chargés de prononcer les expulsions sont tenus d’examiner le risque de torture éventuellement encouru par chaque personne.

11.Les paragraphes 48 à 51 du rapport, qui traitent des peines encourues par les auteurs et complices d’actes de torture, tendent à montrer que le Gouvernement souhaite sévèrement réprimer de tels actes. Or, les exemples cités à l’appui de cette thèse ont été mis en cause par le Représentant spécial du Secrétaire général pour les droits de l’homme au Cambodge. L’affaire du Directeur de la prison de Batambang reconnu coupable d’avoir torturé un prisonnier, en particulier, laisse sceptique, car sa condamnation paraît relativement légère au regard de la gravité des faits. Est‑il vrai que le coupable exerce à nouveau des fonctions de responsabilité dans cette prison et si c’est le cas, le Gouvernement estime‑t‑il normal que cette personne continue d’exercer des fonctions dans un établissement pénitentiaire et, qui plus est, dans le même établissement? Par ailleurs, l’exemple cité au paragraphe 50 du rapport à l’examen ne convainc guère car l’exhumation de la victime ne constitue pas en elle‑même un recours: les autorités ont‑elles par la suite engagé des poursuites, et celles‑ci ont‑elles débouché sur une condamnation? La même question se pose à propos du paragraphe 51, où il n’est pas précisé si le Procureur de la province de Kampongcham a engagé des poursuites à l’encontre des policiers mis en cause: il serait utile d’être informé des suites données à cette affaire.

12.Une autre affaire suscite des interrogations, bien qu’une procédure soit actuellement en cours. Elle concerne plusieurs prisonniers qui, ayant essayé de s’échapper, ont été rattrapés et cruellement battus par leurs gardiens, à la suite de quoi ils ont été laissés sans soins et dans des conditions de dénuement total durant un mois. À la suite de ces faits, cinq gardiens ont été poursuivis mais ensuite acquittés en dépit de l’existence de ce que deux ONG internationales et le Représentant spécial du Secrétaire général ont qualifié de preuves incontestables. Le juge qui a prononcé leur acquittement a indiqué qu’il appartenait au Ministère de l’intérieur d’appliquer les sanctions disciplinaires voulues à leur encontre. Le Procureur a apparemment fait appel de la décision de ce juge, et il serait souhaitable de connaître les suites données à ce recours, ainsi que la nature des sanctions éventuellement imposées par le Ministère de l’intérieur.

13.En ce qui concerne l’application par l’État partie de l’article 5 de la Convention, le Rapporteur prie le Gouvernement cambodgien de préciser au Comité si les députés et les sénateurs jouissent de l’immunité de poursuites et de confirmer qu’il n’extrade pas les ressortissants cambodgiens. Il rappelle à toutes fins utiles que la Convention fait obligation aux États parties d’exercer une compétence universelle en cas de torture, quels que soient la nationalité de l’auteur et le pays où l’infraction a été commise.

14.Le Rapporteur se dit surpris par le nombre et la diversité des responsables habilités à mener des missions de police judiciaire (par. 65). Il juge, d’autre part, préoccupant qu’en vertu de la législation interne, un suspect puisse être détenu au secret pendant 48 heures, voire même davantage. En effet, le risque que des actes de torture soient commis est extrêmement élevé pendant la détention au secret. Une fois inculpé, le détenu a légalement le droit de demander à un juge sa mise en liberté provisoire, mais il peut devoir attendre cinq jours avant que le magistrat ne se prononce. Le Rapporteur souhaiterait savoir si le détenu continue d’être gardé au secret pendant ces cinq jours ou s’il a accès à un avocat et à un médecin de son choix et s’il a le droit de recevoir la visite de membres de sa famille.

15.Le Rapporteur souhaiterait avoir de plus amples informations concernant la modification apportée à la loi pour prolonger la garde à vue de 24 heures supplémentaires avec l’accord du procureur (voir par. 74), notamment sur les compétences de la police et du procureur et sur la possibilité de demander à un juge d’examiner le bien-fondé de la détention. Il juge en effet surprenant de renforcer les pouvoirs de la police, qui plus est vis‑à‑vis de personnes qui ne sont pas encore inculpées. Par ailleurs, constatant à la lecture du rapport qu’il existe une assistance judiciaire gratuite offerte par le barreau, il voudrait savoir si le Gouvernement a mis en place un système pour fournir une telle assistance aux personnes en détention provisoire et en attente de jugement, eu égard surtout au problème posé par le manque d’avocats dans le pays. À ce propos, il se félicite de la franchise avec laquelle il est reconnu dans le rapport que la libre communication entre l’avocat et son client et les visites aux détenus sont entravées par les autorités compétente.

16.Le Rapporteur ne comprend pas bien la situation qui est décrite au paragraphe 80 du rapport. Lors d’un procès, n’y a-t-il réellement qu’un seul exemplaire du dossier, qui passe du juge d’instruction à l’avocat et de l’avocat au procureur? S’agit‑il en l’espèce de l’avocat de la défense?

17.Le Rapporteur souhaiterait, par ailleurs, avoir des précisions sur l’école de formation des avocats que le Gouvernement a décidé de créer et notamment sur le programme des cours et les qualifications exigées des futurs étudiants.

18.On peut lire au paragraphe 96 du rapport que l’État partie n’a pas encore conclu d’accord d’entraide judiciaire. Cela n’est pas nécessaire s’agissant de la torture, étant donné que les États parties sont tenus de s’accorder mutuellement une assistance judiciaire. Le Rapporteur souhaiterait savoir ce que signifie exactement, dans la version anglaise de ce paragraphe, l’adjectif «transnational» dans l’expression «transnational torture offence».

19.En ce qui concerne l’application de l’article 16, le Rapporteur souligne le caractère crucial de cette partie de la Convention, qui est quelque peu négligée, aussi bien par les États parties que par le Comité. En effet, cet article couvre tous les actes qui n’entrent pas dans la définition de la torture mais qui sont constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et fait obligation aux États parties de contrôler les conditions qui règnent dans tous les établissements publics où des personnes privées de leur liberté peuvent être placées − ce qui inclut donc aussi les hôpitaux psychiatriques. Dans le cas du Cambodge, il ressort clairement à la lecture du rapport que les conditions de détention ne sont pas conformes à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Le Rapporteur est conscient des difficultés économiques que connaît l’État partie, qui font que les normes internationales ne peuvent être respectées à la lettre au Cambodge. Il voudrait néanmoins savoir si le Gouvernement a pris des mesures pour remédier à la situation.

20.Enfin, d’après des informations reçues d’organisations non gouvernementales, l’un des problèmes majeurs affaiblissant le système judiciaire au Cambodge est celui de la corruption. Le Gouvernement cambodgien pourrait-il indiquer au Comité si des mesures sont prises pour mener les enquêtes nécessaires et lutter contre ce problème?

21.M. YU Mengjia (Corapporteur pour le Cambodge) considère positif que l’État ait soumis un rapport et qu’un représentant de la Mission permanente du Cambodge soit présent même s’il n’est pas en mesure de répondre aux questions du Comité. Étant lui‑même originaire de la région de l’Asie, il est tout à fait conscient de la tâche écrasante que représente pour le Gouvernement cambodgien le rétablissement de l’état de droit après de longues années de conflit. Cela étant, l’État partie s’est engagé à respecter les dispositions de la Convention et ne saurait invoquer les difficultés qu’il rencontre pour ne pas remplir ses obligations conventionnelles.

22.En ce qui concerne l’application de l’article 10 de la Convention, le Corapporteur constate avec satisfaction que le Gouvernement cambodgien n’a pas ménagé ses efforts dans le domaine de la formation, qu’il a bénéficié de l’aide du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et qu’il a exécuté toute une série de projets dans le domaine des droits de l’homme. Malgré cela, le pays manque cruellement de magistrats et d’avocats compétents et le nombre de cas de torture ne semble pas avoir diminué. Comment se fait-il que tous ces efforts n’aient pas porté leurs fruits et que compte faire le Gouvernement pour améliorer la situation?

23.Pour ce qui est des dispositions de l’article 11 concernant la surveillance des règles de détention et des procédure d’enquête, le Corapporteur trouve encourageant qu’il soit franchement reconnu dans le rapport que la législation interne n’est pas respectée. Il apparaît en effet que la police use souvent de la force pour obtenir des aveux pendant la garde à vue, étant donné qu’elle doit respecter le délai de 48 heures, et qu’elle extorque parfois de l’argent. De plus, dans certaines régions du pays, la détention avant jugement peut durer plus de six mois, d’où des risques de recours à la torture particulièrement élevés. Le Corapporteur souhaiterait donc savoir si le Gouvernement prend des mesures pour mettre la pratique en conformité avec la législation et voudrait obtenir des détails sur les principales caractéristiques des futurs Code pénal et Code de procédure pénale qui sont en cours d’élaboration. En particulier, ces textes contiennent des dispositions visant à éviter que les officiers de police judiciaire procèdent aux interrogatoires comme ils l’entendent et sans recevoir de directives ni d’ordres clairs, pour reprendre les termes du rapport.

24.En ce qui concerne les articles 12 et 13 qui portent respectivement sur la nécessité de mener une enquête immédiate et impartiale et le droit de porter plainte, le problème principal semble être celui de l’impunité chronique. En effet, très peu d’auteurs présumés d’actes de torture font l’objet de poursuites et il existe même des cas où des tortionnaires ont obtenu une promotion, ce qui est loin de constituer un exemple dissuasif. De plus, d’après des informations reçues par le Comité, les cas de brutalités sont en augmentation. Quelle est l’opinion du Gouvernement cambodgien à ce sujet?

25.À propos du droit d’obtenir réparation, qui est consacré à l’article 14 de la Convention, le Corapporteur souhaiterait savoir si le fait que les différends se règlent souvent de manière extrajudiciaire au Cambodge n’empêche pas les victimes d’exercer pleinement ce droit et ne permet pas aux auteurs d’actes de torture d’échapper à des sanctions pénales. Par ailleurs, il voudrait savoir si l’État indemnise la victime au cas où le coupable est insolvable.

26.Tout en notant avec satisfaction que le Cambodge a demandé au Haut‑Commissariat aux droits de l’homme de lui fournir une assistance dans le domaine de la formation du personnel chargé des interrogatoires, M. Yu Mengjia aimerait savoir ce que compte faire l’État partie pour appliquer rigoureusement les dispositions de l’article 15 et empêcher que des aveux soient obtenus par la contrainte.

27.M. MARIÑO MENENDEZ demande, au sujet de la distinction entre nationaux et étrangers dans l’application de l’article 3, quels sont les textes qui régissent l’acquisition de la nationalité cambodgienne et l’obtention du permis de séjour. Il souhaite, d’autre part, connaître exactement la place de la Convention dans le système juridique de l’État partie. En particulier, il voudrait savoir si le Cambodge a un régime dualiste rendant nécessaire l’adoption de lois pour rendre exécutoires les traités auxquels il a adhéré, et s’il est déjà arrivé qu’un tribunal cambodgien applique directement la Convention. Il aimerait également avoir des précisions sur les modalités d’octroi du droit d’asile aux Montagnards qui se déplacent entre le Cambodge et le Viet Nam et demande pourquoi ces personnes semblent le plus souvent être traitées comme des étrangers et expulsées sans autre forme de procès. Le Cambodge a ratifié la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et le Protocole s’y rapportant mais n’a pas élaboré de loi permettant d’en assurer l’application (par. 36). Or, il est tenu en vertu de ces deux instruments d’examiner au cas par cas les éventuelles demandes d’asile. Il serait bon de savoir à ce sujet quels rapports il entretient avec le Haut‑Commissariat pour les réfugiés, qui n’a apparemment pas été autorisé à s’occuper de la situation à la frontière avec le Viet Nam.

28.Il semble également que la traite des êtres humains pose un problème de plus en plus grave, dont les principales victimes sont les immigrants clandestins. Le Représentant spécial du Secrétaire général pour les droits de l’homme au Cambodge a indiqué qu’un projet de loi sur la répression de l’enlèvement, de la traite et de l’exploitation des êtres humains destiné à remplacer la loi de 1996 était en cours d’élaboration. Il serait utile de savoir ce qu’il en est exactement et si l’État partie, au lieu de simplement considérer l’immigration illégale comme une infraction − ce qui ne ferait qu’accroître la vulnérabilité des populations concernées −, prévoit de renforcer la lutte contre la traite des êtres humains. En particulier, le Gouvernement cambodgien compte‑t‑il adhérer à des instruments internationaux comme les Conventions de l’Organisation internationale du Travail no 105 concernant l’abolition du travail forcé et no 169 relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants? Cette dernière permettrait en effet de protéger les droits des Montagnards.

29.Enfin, l’État partie pourrait fournir des informations sur la formation des juristes au Cambodge (obtention d’un diplôme de droit dans une université, autres filières, création éventuelle d’une école spécialisée ouverte exclusivement − ou non − aux titulaires d’un diplôme universitaire, etc.).

30.M. CAMARA demande des précisions sur le système judiciaire, pour ce qui est notamment des acteurs et des règles de fonctionnement (en matière de procédure pénale en particulier). Constatant qu’un statut de la magistrature est en cours d’élaboration (par. 114), il s’étonne de ce que, depuis l’adoption de la Constitution en 1993, seuls les pouvoirs exécutif et législatif aient été organisés. Il serait utile de connaître concrètement le statut des juges et des procureurs, notamment si le statut commun des fonctionnaires s’applique à eux pendant la période transitoire. Auquel cas, un grave problème se poserait car, si les fonctionnaires doivent obéir aux ordres de leur supérieur hiérarchique, les juges ont pour devoir de n’obéir à personne. Par ailleurs, le nombre des juges et procureurs est encore très insuffisant, mais les problèmes de formation devraient pouvoir être réglés grâce à l’assistance internationale, à condition bien sûr qu’il existe dans ce domaine une véritable volonté politique.

31.M. Camara rappelle que l’existence d’un système judiciaire fiable est très importante pour tous les pays, car c’est seulement par la justice que la sécurité intérieure peut être assurée. À l’extérieur, la justice inspire le respect et la confiance. Il ne serait guère possible d’attirer des investisseurs étrangers s’il n’existait pas de garantie qu’en cas de conflit ces derniers pourraient obtenir une justice conforme aux normes de leur propre pays ou, du moins, aux normes internationales. Il convient donc d’appeler l’attention du Gouvernement de l’État partie sur l’importance de traiter la justice non pas comme un service ordinaire mais comme un véritable pouvoir et de se référer aux normes internationales universellement reconnues.

32.M. YAKOVLEV s’associe aux observations de M. Camara concernant le renforcement du système judiciaire, car il s’agit d’un élément essentiel de toute société organisée et avancée, permettant de garantir la primauté du principe d’équité et l’application impartiale et uniforme des normes du droit. Cela suppose l’existence d’un système solide dans lequel les institutions judiciaires jouent un rôle central. Un véritable pouvoir judiciaire, dont relèverait l’appareil de justice pénale, pourrait servir de catalyseur au développement des institutions de l’État et à la réalisation de l’objectif de justice sociale.

33.S’agissant de l’amélioration du système de justice pénale, le Comité accorde la plus grande importance au stade de l’enquête préliminaire, c’est‑à‑dire la période pendant laquelle un suspect ou l’auteur d’une infraction, privé de liberté, est isolé du reste du monde et risque en conséquence d’être soumis à la torture. Or, cette dernière ne représente pas seulement un préjudice grave pour la victime, mais elle est aussi le symptôme de la perte du rôle essentiel que doit jouer la justice.

34.Dès le début de sa garde à vue, le suspect ou le prévenu doit pouvoir immédiatement contacter un avocat et, si nécessaire, recevoir les soins d’un médecin. Sa famille doit également être prévenue de sa détention. C’est là le seul moyen de réduire au minimum le risque de torture. Cependant, au Cambodge, au lieu que ce soit un juge du siège qui prononce la mise en détention, c’est le procureur puis un magistrat instructeur représentant l’accusation qui prennent cette décision. De plus, le prévenu n’a pas accès au juge d’instruction pendant sa garde à vue alors que ce dernier est le seul à pouvoir autoriser la présence d’un défenseur. Enfin, la garde à vue, initialement limitée à 48 heures, peut être prolongée sur ordre du procureur.

35.L’État partie devrait donc s’efforcer de limiter le rôle de l’accusation pendant l’enquête préliminaire et de réduire au minimum la période de détention au secret, car c’est là le seul moyen de prévenir le risque de torture. Le renforcement des institutions judiciaires n’est pas seulement une question d’organisation et de ressources financières: il doit avant tout avoir pour objectif de faire évoluer les mentalités afin que les magistrats ne se bornent pas à jouer le rôle de l’accusation, mais possèdent l’indépendance et l’autorité voulues pour juger en toute impartialité.

36.Mme GAER demande dans quelles conditions (par qui et avec quelle assistance) le rapport de l’État partie a été établi. Elle regrette qu’il ne soit pas possible, malgré les nombreux exemples fournis dans le rapport, de connaître la suite donnée aux poursuites judiciaires engagées. De la même façon, d’abondants renseignements sont présentés sur les activités de formation organisées à l’intention de la police, de l’armée, du personnel pénitentiaire, des juges, des défenseurs et des médecins, notamment (par. 98 à 112), mais il n’est rien dit du contenu exact des cours dispensés, en particulier de l’enseignement des méthodes permettant de déceler des signes de torture et des procédures à suivre pour signaler les cas constatés.

37.En ce qui concerne le nombre de personnes détenues (par. 132), il serait bon que l’État partie fournisse, d’une part, de plus amples renseignements sur la situation des femmes, qui représentent 10 % des personnes placées en détention provisoire et à peine 0,5 % des personnes condamnées, et, d’autre part, des données ventilées non seulement par sexe, mais aussi par appartenance ethnique, type d’infraction et région où l’infraction a été commise. Des précisions sur les sanctions prises contre les personnes reconnues coupables d’avoir employé la force pour obtenir des aveux seraient également les bienvenues, dans la mesure, en particulier, où les chiffres fournis dans le rapport (par. 156, tableau sur les recours formés auprès des accusés pour faire rejeter des aveux obtenus sur la force) indiquent que leur nombre est très élevé.

38.Au sujet du paragraphe 44 du rapport, Mme Gaer fait observer que les actes de torture ne sont pas incompatibles uniquement avec le bouddhisme mais aussi avec les autres croyances représentées au Cambodge. Elle demande si, comme suite à la déclaration figurant au paragraphe 183, ont été constatés des cas d’actes inhumains et dégradants commis par des agents de l’État qui y avaient été incités ou en avaient reçu l’ordre. Elle aimerait avoir des précisions sur le nombre de cas où, conformément à la loi, des sanctions ont été prises contre des personnes ayant infligé des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (par. 185). En ce qui concerne les problèmes posés par la traite des êtres humains, maintes fois évoqués, dans leurs rapports sur l’État partie, par la Rapporteuse spéciale sur la violence à l’égard des femmes et le Représentant spécial du Secrétaire général, elle demande s’il est vrai que les migrantes en situation irrégulière, qui sont victimes de la traite, sont poursuivies parce qu’elles ont enfreint la législation relative à l’immigration au lieu d’être traitées comme des personnes dont les droits ont été violés, et si le Gouvernement entend renforcer la lutte contre la traite des personnes, pour ce qui est notamment des aspects intéressant l’application de la Convention.

39.Le Comité a été informé que les femmes détenues étaient souvent violées, ou menacées de l’être, par la police militaire et le personnel pénitentiaire. Il serait utile à ce sujet que l’État partie fournisse des informations sur les mesures prises ou envisagées pour prévenir de telles violences. En particulier, quelle est la procédure à suivre pour porter plainte, les cas signalés font‑ils l’objet d’une enquête, est‑il prévu de féminiser le personnel des prisons pour femmes, et existe‑t‑il des statistiques sur la violence sexuelle dans les établissements pénitentiaires?

40.Enfin, Mme Gaer demande des informations sur le sort de M. Thich Tri Luc (dont le nom séculier est Pham Van Tuong), de l’Église bouddhiste unifiée du Viet Nam, qui a disparu en 1994 après avoir été renvoyé de force au Viet Nam et, de façon plus générale, sur le rapatriement, par les autorités vietnamiennes, des personnes qui demandent l’asile au Cambodge, notamment les Montagnards.

41.M. RASMUSSEN, à l’instar d’autres membres du Comité, se félicite du rapport initial du Cambodge. Il déplore toutefois l’absence d’une délégation cambodgienne et donc l’impossibilité d’instaurer un dialogue si essentiel pour prévenir la torture. Il espère néanmoins que le Comité recevra des réponses aux questions posées par ses membres, peut‑être même au cours de la présente session. M. Rasmussen souhaiterait obtenir des informations concrètes sur la formation du personnel médical des prisons et sur l’examen médical des détenus à leur arrivée en prison et notamment savoir s’il est tenu compte dans le cadre de ces activités du manuel sur les moyens d’enquêter et de recueillir efficacement des informations sur la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, connu sous le nom de Protocole d’Istanbul. Il aimerait, d’autre part, connaître la capacité des lieux de détention par rapport au nombre de personnes incarcérées afin d’avoir une idée du degré de surpeuplement des prisons. Il trouve fort préoccupant le renseignement fourni au paragraphe 133 du rapport selon lequel les prisons et lieux de détention relèvent du Ministère de l’intérieur, car il estime que le système pénitentiaire devrait en principe être placé sous l’autorité du Ministère de la justice. M. Rasmussen se dit, d’autre part, quelque peu surpris par ce qui est dit au paragraphe 186 du rapport et souhaiterait savoir ce qui se passe lorsque des actes de violence sont perpétrés dans les prisons. Enfin, il aimerait obtenir des informations sur les conditions de détention des jeunes, sur l’existence éventuelle d’établissements de détention réservés aux mineurs et sur la définition du concept de «mineur».

42.Le PRÉSIDENT se dit très préoccupé par l’impunité qui règne dans le pays et rappelle que pas un seul Khmer rouge n’a fait l’objet de poursuites pour les crimes commis pendant la période où les Khmers rouges étaient au pouvoir. De même, pas une seule personne n’a été poursuivie pour le meurtre de Sam Rainsi (un membre d’un parti d’opposition) et aucun suspect n’a été inquiété à la suite de l’assassinat de plus de 80 membres du FUNCINPEC, ce qui montre l’état déplorable du système judiciaire au Cambodge. Est‑ce que le Gouvernement cambodgien envisage d’engager des poursuites dans ces affaires? Le Président espère qu’il sera répondu durant la session aux questions posées par les membres du Comité. Faute de quoi, le Comité élaborera ses conclusions et recommandations provisoires qu’il communiquera au représentant de l’État partie le 12 mai à 15 heures.

43.M. KHIN (Cambodge) remercie les membres du Comité de leurs remarques et questions qu’il transmettra à son ambassadeur ainsi qu’au ministère compétent à Phnom Penh.

44.M. Khin se retire.

La séance est suspendue à 12 h 20; elle est reprise à 12 h 40.

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 2 de l’ordre du jour)

Propositions pour la réforme du système conventionnel

45.Le PRÉSIDENT invite les membres du Comité à donner leur avis sur un document d’information du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme (document sans cote, distribué en anglais seulement) qui présente des propositions pour la réforme du système conventionnel, l’objectif étant de renforcer l’efficacité des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, y compris en ce qui concerne l’obligation de présenter des rapports au titre de ces instruments, ainsi que les réactions de certains organes et experts ayant déjà réfléchi à la question. L’objectif du processus envisagé est de rationaliser les pratiques des différents organes et d’assurer une meilleure coordination de leur action afin d’alléger la charge des États parties. Le Président propose de passer directement aux propositions figurant à la page 12 du document, intitulées «Une approche plus coordonnée».

46.M. EL MASRY dit que l’idée à la base de toutes les propositions contenues dans le document est d’établir un rapport unique pour tous les organes conventionnels. De l’avis des comités qui ont déjà fait part de leurs réflexions sur la question, il est peu probable que cela soit viable. Peut‑être serait‑il bon d’envisager une approche intermédiaire qui consisterait à mettre à jour et à étoffer le document de base et à présenter des rapports thématiques plus ciblés pour chaque comité. Le rapport périodique pourrait par exemple être constitué de la liste des questions adressées aux États parties (qui leur serait envoyée longtemps à l’avance) et de leurs réponses à ces questions. M. El Masry propose également de modifier les directives générales concernant la forme et le contenu des rapports de façon à abandonner la présentation article par article et à mettre davantage l’accent sur les recommandations formulées par le Comité lors de l’examen du rapport précédent ainsi que sur les réponses reçues des pays, ce qui permettrait un débat plus structuré.

47.Le PRÉSIDENT rappelle que le Comité a déjà pris la décision d’adresser longtemps à l’avance à l’État partie la liste des questions établies après lecture du rapport périodique.

48.M. MAVROMMATIS dit que la seule approche réaliste serait de constituer un comité de coordination permanent et de le doter d’objectifs et de priorités sur la base d’un document élaboré par le secrétariat. Ce comité aurait pour tâche d’harmoniser les règlements intérieurs et les pratiques des différents comités. Il estime que l’idée d’un rapport unique ne peut être envisageable que si un comité unique siège en permanence pour examiner l’application des dispositions de tous les instruments relatifs aux droits de l’homme. Seule une coordination pragmatique permettra de progresser.

49.M. MARIÑO MENENDEZ s’associe aux remarques de M. Mavrommatis. Selon lui, le Comité contre la torture est un organe spécialisé et doit donc à ce titre examiner des rapports distincts. Par ailleurs, s’il estime que les réunions intercomités peuvent déboucher sur des suggestions utiles en matière de coordination, il ne pense pas que l’idée d’un rapport unique soit judicieuse.

50.Vu l’heure tardive, le PRÉSIDENT propose de poursuivre l’examen de la question à la séance de l’après‑midi.

51. Il en est ainsi décidé.

La séance est levée à 13 heures.

-----