Nations Unies

CAT/C/SR.1106

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

8 novembre 2012

Original: français

Comité contre la torture

Quarante- neuv ième session

Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 1106 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 6 novembre 2012, à 10 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Troisième, quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques du Sénégal soumis en un seul document

La séance est ouverte à 10  heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Troisième, quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques du Sénégal soumis en un seul document (CAT/C/SEN/3, CAT/C/SEN/Q/3, CAT/C/SEN/Q/3/Add.1)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation sénégalaise prend place à la table du Comité.

2.M.  Seck (Sénégal) dit que le Gouvernement qui est entré en fonction à l’issue des élections de mars 2012 a ouvert les enquêtes nécessaires pour déterminer les responsabilités dans les actes de violence qui ont émaillé le processus électoral. En outre, dans le cadre de la lutte contre l’impunité et afin d’établir sa compétence pour poursuivre les auteurs des crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990, le Sénégal a signé en août 2012 un accord portant création de chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises. Le financement du procès a été approuvé par l’Union africaine, le Sénégal et les bailleurs de fonds et il est prévu de mettre en place un mécanisme financier pour le financement du procès de M. Habré.

3.L’Observateur national des lieux de privation de liberté, institution qui a pour mission d’effectuer des visites impromptues dans tous les lieux de détention du Sénégal et tous les établissements de santé habilités à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement, a été mis en place en 2009. L’Observateur est également chargé d’émettre des avis et de formuler des recommandations à l’intention des autorités publiques et de proposer au Gouvernement des modifications aux dispositions législatives et réglementaires applicables. Dans le cadre de l’application des peines, le Sénégal a pris des mesures de substitution à la privation de liberté, ce qui a permis de désengorger les prisons.

4.S’agissant de la réparation des préjudices subis par les victimes d’actes de torture, les personnes reconnues coupables de tels actes sont condamnées à des peines pécuniaires et l’État peut être assigné en justice pour défaillance de ses services publics. La peine de mort a été officiellement abolie en 2004. En 2005, le Sénégal s’est doté d’une cellule de lutte contre la traite des personnes. En 2008, il a créé l’Observatoire de la parité, qui accorde une grande importance à la lutte contre les violences sexistes. Un processus de modernisation des écoles coraniques sénégalaises est en cours. Le renforcement de la lutte contre les mutilations génitales féminines a permis de faire reculer cette pratique, qui est rejetée par 89,04 % de la population selon les chiffres de 2001.

5.M.  Mariño Menéndez (Rapporteur pour le Sénégal) salue les nombreuses avancées enregistrées au Sénégal dans le domaine des droits de l’homme, notamment l’abolition de la peine de mort et les mesures en faveur de l’égalité des sexes. Il pense que la définition de la torture qui figure dans le Code pénal pourrait être améliorée car, étant trop concise, elle laisse une marge d’interprétation trop importante aux tribunaux. Il est plus simple et utile que les lois pénales reproduisent la définition qui figure dans la Convention contre la torture. La délégation voudra bien indiquer si les personnes placées en détention ont droit à un avocat pendant les premières quarante-huit heures de la garde à vue, si l’avocat du prévenu est présent pendant l’interrogatoire et si un enregistrement audio ou vidéo est réalisé en plus du procès-verbal. Des détails sur les mesures prises pour faire en sorte qu’il y ait suffisamment d’avocats pénalistes dans le pays seraient les bienvenus.

6.M. Mariño Menéndez souhaite savoir si c’est aux personnes placées en garde à vue qu’il incombe de payer la visite d’un médecin lorsque la demande émane de ces personnes ou de leur avocat et si l’examen médical est obligatoire dans tous les cas d’allégation de torture. L’État partie ayant fait part de son intention de mettre fin à la pratique dite du «retour du parquet», qui permet de garder des personnes dans des postes de police après leur garde à vue, la délégation voudra bien préciser si cette pratique a effectivement été abolie. M. Mariño Menéndez demande de combien de temps la garde à vue peut être prolongée, dans la pratique, sur autorisation du Procureur de la République. Il souhaite également obtenir des précisions sur les catégories de personnes qui font l’objet de contrôles et sont arrêtées par les forces de l’ordre et savoir si des mesures concrètes ont été prises pour protéger les groupes vulnérables de la torture et des mauvais traitements. Notant que les mères sénégalaises ne peuvent apparemment pas transmettre leur nationalité à leurs enfants, M. Mariño Menéndez demande s’il n’y a pas un risque que ces derniers deviennent apatrides et soient privés de protection juridique. Dans cette optique, il voudrait savoir si les enfants nés au Sénégal sont dûment enregistrés à l’état civil.

7.M. Mariño Menéndez aimerait avoir des précisions sur les mesures prises par l’État partie pour prévenir le trafic de migrants du Sénégal vers l’Europe et vers d’autres pays africains. Il souhaiterait aussi connaître le bilan des accords bilatéraux de lutte contre la traite signés par l’État partie et s’interroge sur l’efficacité des mécanismes diplomatiques dont celui-ci dispose. La protection des mineures travaillant comme employées domestiques est également un sujet de préoccupation.

8.S’agissant des droits des minorités, M. Mariño Menéndez demande si le Gouvernement sénégalais informe les autorités consulaires concernées lorsqu’un ressortissant étranger est placé en détention. Il voudrait aussi savoir si les Diolas bénéficient d’une protection en tant que minorité ethnique en Casamance. La délégation voudra bien également confirmer que l’homosexualité n’est pas considérée comme un délit au Sénégal.

9.M. Mariño Menéndez souhaiterait également avoir des renseignements sur l’application des Conventions de l’Organisation internationale du Travail no 138 (1973) concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi et no 182 (1999) concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination, et en particulier sur les mécanismes d’inspection mis en place pour veiller à ce que les enfants n’exercent pas une activité inadaptée ou dégradante telle que la mendicité. Il constate, d’autre part, que les statistiques font défaut en ce qui concerne les mariages forcés. Notant que, selon certaines informations, les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, en particulier les enfants, laissent à désirer, il demande des précisions à ce sujet.

10.M. Mariño Menéndez voudrait aussi savoir si l’Observateur national des lieux de privation de liberté et le Comité sénégalais des droits de l’homme disposent de ressources suffisantes pour leur fonctionnement. La délégation est, d’autre part, invitée à expliquer dans quelle mesure les lois d’amnistie sont compatibles avec la Convention contre la torture et si ces lois s’appliquent aussi aux cas de torture et de mauvais traitements.

11.M. Mariño Menéndez se dit préoccupé par la grande lenteur des enquêtes ouvertes à la suite de plaintes pour torture et souhaiterait avoir des renseignements sur les éventuelles procédures en cours concernant Mamadou Bakhoum, Abdoulaye Wade Yinghou et Yatma Fall, victimes présumées d’actes de torture.

12.M. Mariño Menéndez aimerait obtenir des précisions sur le fonctionnement des nouvelles instances d’appel vers lesquelles les détenus peuvent se tourner. Il voudrait aussi savoir si l’emprisonnement pour dettes est toujours pratiqué au Sénégal.

13.M. Grossman (Corapporteur pour le Sénégal), notant que l’État partie a fait des efforts pour lutter contre les mutilations génitales féminines, demande si des condamnations ont été prononcées pour de tels actes. Soulignant l’importance des statistiques pour l’élaboration et l’évaluation des politiques, il invite la délégation à fournir des données et des renseignements plus précis concernant les plaintes relatives à la violence contre les femmes, les mariages précoces et la traite des êtres humains.

14.M. Grossman demande si la société civile et le monde universitaire contribuent à la formation des agents des forces de l’ordre et des agents pénitentiaires. Il s’inquiète du fait que le manque criant d’avocats et de procureurs au Sénégal rend quasiment impossible le respect des normes internationales en matière d’accès à la justice et de respect des délais de comparution. Des réponses détaillées aux questions posées aux paragraphes 30 à 32 de la liste des points à traiter seraient les bienvenues. La délégation est également invitée à fournir des informations à jour concernant la situation en Casamance.

15.M. Grossman demande si l’État partie a pris des mesures pour modifier les lois d’amnistie. En ce qui concerne les mesures de réparation, d’indemnisation et de réadaptation destinées aux victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements, il voudrait savoir s’il existe des cas dans lesquels des réparations ont été accordées. Notant que l’interdiction de l’utilisation de déclarations obtenues sous la torture dans une procédure judiciaire ne figure pas dans le Code pénal mais qu’un juge peut exclure de tels éléments de preuve, il demande s’il y a des exemples de décisions prises en ce sens et si l’État partie envisage d’incorporer cette interdiction dans sa législation nationale.

16.M. Grossman souhaite obtenir des précisions sur les plaintes enregistrées et les éventuels jugements prononcés dans des affaires d’exploitation économique de mineurs dans des écoles coraniques. Saluant les efforts consentis en faveur de la protection des filles, il demande s’il y a eu des condamnations d’auteurs de violences sexuelles à l’encontre des mineures de moins de 12 ans. Il aimerait aussi savoir si les châtiments corporels au sein de la famille sont effectivement interdits, vu que l’article 285 du Code de la famille autorise les réprimandes et les corrections compatibles avec l’âge de l’enfant et l’amendement de sa conduite. Notant également que les châtiments corporels sont interdits à l’école, il demande s’il existe des exemples de poursuites pénales pour de tels faits. La délégation est également invitée à donner des exemples concrets d’enquêtes et de condamnations dans des affaires d’exploitation sexuelle.

17.M. Grossman aimerait avoir plus d’informations sur les projets de modernisation des infrastructures carcérales et demande si le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) est utilisé dans la formation des avocats, médecins et autres personnels concernés.

18.M.  Bruni souhaiterait obtenir des précisions sur les procédures permettant de refuser d’obéir à un ordre qui pourrait amener à commettre des actes de torture et les voies de recours en la matière. Des informations sur les ressources humaines et financières dont dispose l’Observateur national des lieux de privation de liberté ainsi que sur son programme de travail seraient appréciées.

19.Concernant le procès de M. Hissène Habré, un calendrier a-t-il été fixé et est-il complètement exclu d’accéder à la demande d’extradition de la Belgique?

20.Il serait intéressant de savoir si l’efficacité de la formation des agents de la fonction publique au respect des droits de l’homme et de l’interdiction absolue de la torture a été mesurée, par exemple en fonction de l’évolution du nombre de plaintes contre ces agents ou des conditions de vie dans les prisons, et si l’Observateur national des lieux de détention aura un rôle à jouer dans cette formation. Au sujet des conditions de détention, la délégation pourra peut-être indiquer si un détenu qui enfreint le règlement intérieur d’une prison peut être placé à l’isolement en cellule disciplinaire et, le cas échéant, pour quel type d’infraction. Elle voudra peut-être aussi préciser la durée maximale de l’isolement et la configuration d’une cellule d’isolement et dire s’il existe des données statistiques sur le taux annuel de suicide dans les lieux de détention au Sénégal.

21.Enfin, la délégation est invitée à décrire les progrès accomplis vers l’adoption de la loi relative à l’indemnisation des personnes victimes d’une détention d’une durée excessive ou ayant subi un préjudice particulièrement grave.

22.M me Belmir s’interroge sur les rapports que l’autorité chargée de la justice entretient avec le Conseil supérieur de la magistrature et demande si le Ministre de la justice siège au Conseil et s’il joue un rôle prépondérant dans ses décisions. Elle invite la délégation à indiquer si la juridiction constitutionnelle a été saisie de cas dans lesquels l’exception d’inconstitutionnalité a été soulevée et à fournir un complément d’information sur le projet de renforcement de la protection des mineurs et la suite donnée aux recommandations du Comité des droits de l’enfant et à celles issues de l’Examen périodique universel concernant notamment l’âge de la minorité, ainsi que sur la question des enfants talibés. Mme Belmir souhaite aussi savoir dans quelle mesure l’État partie peut faire évoluer sa position au sujet de l’amnistie en vue de combattre l’impunité et de se conformer aux instruments internationaux en la matière. Enfin, il y a lieu de mener une réflexion plus approfondie au sujet de la de la réciprocité des réserves ainsi que du fléau que représente la violence à l’égard des femmes et des filles.

23.M.  Domah demande si l’Observateur national des lieux de privation de liberté a uniquement le pouvoir de mener des investigations et de formuler des recommandations ou s’il peut aussi transmettre certaines questions pour enquêtes et poursuites. Il demande aussi à la délégation de préciser comment un particulier peut aborder la question de l’inconstitutionnalité alors qu’il n’existe pas de cour constitutionnelle qu’il puisse saisir, et d’indiquer s’il existe une loi protégeant le droit des personnes arrêtées de bénéficier des services d’un conseil et d’être examinées par un médecin, et dans quel délai maximum une personne arrêtée doit être présentée à un juge.

24.M me Sveaass demande quelles mesures juridiques permettent de protéger les personnes handicapées, notamment s’il existe des garanties légales contre le placement non volontaire dans différents types d’institutions et quels sont les mécanismes de contrôle de ces institutions et les règles qui leur sont applicables. Elle invite notamment la délégation à donner davantage d’informations sur les lois qui protègent les personnes placées en institution et à indiquer si celles-ci ont la possibilité de soumettre des plaintes.

25.Au sujet des mutilations sexuelles féminines, il serait utile de savoir si l’interdiction de cette pratique concerne l’ensemble du pays ou si les différentes communautés et municipalités décident chacune de l’interdire ou non, et si un véritable recul de cette pratique a été constaté.

26.Enfin, la délégation est invitée à commenter l’information, provenant du rapport d’une organisation non gouvernementale daté de 2009, selon laquelle 60 % des auteurs de viols ne seraient pas traduits en justice, notamment du fait de leurs liens avec la famille de la victime.

27.M.  Tugushi demande quelles mesures prend l’État partie pour faire en sorte que les femmes et les filles handicapées soient moins exposées à la violence, aux abus sexuels et à l’exploitation, et pour former les fonctionnaires de police à ces questions. La délégation voudra bien aussi préciser ce qui est fait pour assurer un contrôle indépendant et effectif des lieux et institutions dans lesquels des personnes handicapées peuvent être placées. Des détails sur les mesures concrètes prises pour renforcer les capacités humaines et financières de l’organe indépendant chargé de contrôler les lieux de privation de liberté seraient appréciés. M. Tugushivoudrait enfin savoir si des mesures sont prises pour adopter la loi révisée sur les réfugiés, qui vise à assurer une meilleure protection des réfugiés et des demandeurs d’asile.

28.M me Gaer s’interroge sur les difficultés qui ont pu retarder la présentation du rapport périodique de l’État partie. Au sujet du surpeuplement carcéral, elle demande si des plans ont été élaborés pour remédier à la situation dans la prison de Thiès, où le problème est particulièrement aigu, et si la séparation entre hommes et femmes et entre prévenus et condamnés est respectée. D’après le rapport annuel du Département d’État des États-Unis pour 2011, au Sénégal aucune nouvelle prison n’aurait été construite depuis 1960, un matelas seulement serait disponible pour cinq détenus et les plaintes des prisonniers passeraient par la censure avant d’être transmises aux autorités judiciaires. La délégation est invitée à indiquer si ces informations sont exactes et à les commenter. Elle voudra bien aussi dire si des personnes ont déjà été reconnues coupables de viol en bande et, le cas échéant, donner des informations sur les enquêtes et les poursuites menées.

29.M.  Mariño Mené ndez(Rapporteur pour le Sénégal) demande quels ont été les résultats des efforts déployés pour délivrer des pièces d’identité aux immigrés venant de pays voisins, notamment aux nombreux immigrés maliens. Il souhaite aussi savoir si les décisions que rend la Commission nationale d’asile récemment créée dans les dossiers de demande d’asile peuvent être contestées devant d’autres organes de l’État et, en particulier, devant les tribunaux et s’il est exact que les étrangers condamnés qui ont déjà purgé leur peine et sont en attente d’expulsion sont maintenus en détention, parfois pendant de longues périodes.

30.En outre, il serait utile de savoir si la question de la réunification familiale est prise en compte dans l’octroi des permis de séjour aux étrangers et de disposer de plus amples renseignements sur le juge chargé de la surveillance de la détention, notamment de savoir s’il a uniquement une fonction de contrôle ou également des fonctions d’investigation et de sanction. De plus amples informations sur les maisons de justice et leur rôle seraient aussi appréciées.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 11 h 50.