Nations Unies

CAT/C/SR.1010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

30 juin 2011

Original: français

Comité contre la torture

Quarante -sixième session

Co mpte rendu analytique de la 1010 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le vendredi 27 mai 2011, à 10 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport sur le suivi des observations finales

Examen de communications reçues en application de l’article 22 de la Convention (suite)

Rapport sur le suivi des communications

La séance est ouverte à 10 h 10.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport sur le suivi des observations finales

1.M me Gaer (Rapporteuse pour le suivi des observations finales) soumet à l’attention du Comité deux documents sans cote, distribués en séance en anglais uniquement. Le premier récapitule les points ayant fait l’objet d’une procédure de suivi de la trentième à la quarante-cinquième session, par pays, et le second contient une évaluation globale des réponses des États parties, par thème et par région.

2.La Rapporteuse rappelle qu’en 2003, dans un souci d’efficacité, le Comité a établi une procédure pour le suivi des observations finales adoptées en application de l’article 19, qui vise au renforcement des capacités des États parties en matière de lutte contre la torture et à l’adoption de pratiques conformes à la Convention. La procédure n’a pas pour but la mise en œuvre de toutes les recommandations formulées par le Comité, mais sélectionne des recommandations qui portent sur des faits graves, visent à assurer la protection de droits ou de personnes et peuvent être appliquées dans un délai d’un an. Il est demandé aux États parties de fournir dans les douze mois des renseignements sur la suite donnée à ces recommandations. Les réponses reçues des États parties sont publiées sur le site Web du Comité, ainsi que les documents pertinents des ONG et les lettres de la Rapporteuse demandant des compléments d’information. Les sujets couverts sont très divers. Les plus fréquemment abordés concernent les enquêtes sur les allégations de violations et leur impartialité (75 % des questions devant faire l’objet d’un suivi), les poursuites engagées et les condamnations prononcées à l’encontre des auteurs d’actes de torture (60 %) et les garanties juridiques protégeant les détenus (57 %).

3.Entre la mise en place de la procédure de suivi en 2003 et la fin de sa quarante-cinquième session, le Comité a examiné 101 rapports d’États parties pour lesquels il a formulé des recommandations appelant un suivi. Quatre-vingt-sept des 101 États concernés devaient soumettre un rapport de suivi au Comité avant novembre 2010, ce qu’ont fait 66 d’entre eux, soit 76 %. Un tel taux de réponses est encourageant. Depuis mai 2010, 14 lettres ont été envoyées par la Rapporteuse pour demander des compléments d’information et 4 autres le seront d’ici la fin de la présente session. Des rappels ont également été envoyés.

4.En 2010, la réunion intercomités a créé un Groupe de travail sur le suivi, lui-même divisé en un sous-groupe du suivi des observations finales et des enquêtes et visites et un sous-groupe du suivi des communications individuelles. À sa première réunion, en janvier 2011, le Groupe de travail a recommandé que les organes conventionnels disposant d’une procédure écrite pour le suivi des observations finales mais n’ayant pas adopté de directives concernant cette procédure, envisagent de le faire. Ces directives devraient indiquer les modalités de la coopération entre le Comité et les parties prenantes, notamment les ONG, préciser à quel moment l’examen de suivi peut être considéré comme achevé, fixer des délais pour l’envoi de rappels, déterminer les modalités de la coordination entre le Rapporteur chargé du suivi et le Rapporteur de pays, et définir des méthodes pour l’évaluation qualitative des informations reçues. Il serait intéressant dans ce contexte de réfléchir à l’articulation entre le suivi et les autres méthodes de travail. Le Groupe de travail a également invité les organes conventionnels à envisager de limiter à trois ou quatre le nombre de points soulevés dans le cadre de leur procédure de suivi et à arrêter des critères clairs, comme l’urgence et la faisabilité, pour la sélection des recommandations.

5.Si l’on examine les recommandations retenues aux fins du suivi par le Comité à sa quarante-cinquième session, on constate que, même si leur nombre ne dépasse pas trois à cinq par pays, chaque recommandation en comporte en réalité plusieurs, ce qui laisse à penser que dans la pratique, le Comité augmente le nombre de points devant faire l’objet d’un suivi au lieu de le réduire. Cette situation est préoccupante, et le Comité devrait faire preuve d’une plus grande rigueur dans la sélection et le contenu des recommandations pour se conformer aux prescriptions de la réunion intercomités.

6.La Rapporteuse indique que le document contenant une évaluation des réponses des États parties s’inspire de la classification établie par le Comité des droits de l’homme, que la réunion intercomités a citée en exemple. Cinq catégories ont été définies: 1. «Pas de réponse»; 2. «Accusé de réception»; 3. «Recommandation(s) non suivie(s) d’effet»; 4. «Attitude coopérative mais renseignements incomplets»; et 5. «Renseignements satisfaisants dans l’ensemble». Un échantillon de pays a ensuite été élaboré par région, et une évaluation a été faite par question pour chaque groupe de pays sur la base de cette classification. Une telle méthode n’est pas sans poser quelques problèmes; en effet, plusieurs pays n’entrent dans aucune catégorie et les États n’appliquent en général qu’une partie des recommandations de suivi. Il est rare qu’aucune recommandation ne soit suivie d’effet, mais il est rare aussi que toutes les recommandations soient appliquées. Ce qui explique que la plupart des pays entrent dans les catégories 3 et 4, qu’il n’est pas toujours facile de distinguer, d’où la création d’une catégorie 3,5.

7.La procédure de suivi bénéficierait grandement de l’adoption d’une classification, mais le système adopté par le Comité des droits de l’homme devrait être affiné. Une solution pourrait être d’établir deux classifications, l’une pour les informations fournies et l’autre pour les mesures mises en place puisqu’il s’agit d’évaluer d’une part la qualité des réponses reçues et d’autre part les suites données aux recommandations. Le Comité doit mener une réflexion sur l’élaboration d’un système d’évaluation qui soit vraiment applicable. Des ONG ont suggéré la création d’un groupe de suivi au Haut-Commissariat, mais cela ne semble pas envisageable, eu égard aux ressources limitées dont dispose le Comité.

8.M. Bruni demande des précisions sur la composition des groupes régionaux auxquels renvoie Mme Gaer. S’agissant du fond, il fait observer que le fait de fonder en partie l’évaluation des réponses reçues sur la qualité des informations fournies peut donner des résultats trompeurs dans la mesure où des informations présentées de façon satisfaisante peuvent masquer une réalité qui laisse à désirer. Le Comité doit donc être prudent dans son utilisation d’une classification. Par ailleurs, il est important, pour l’efficacité du système de suivi, que le Comité se limite à quatre questions et non à quatre paragraphes, comme il l’a fait jusque-là, et sélectionne des mesures concrètes, applicables en une année.

9.Maintenant qu’il dispose d’une évaluation quantitative et qualitative des réponses données par les États parties à ses recommandations, le Comité doit réfléchir à l’usage qu’il veut en faire. Il pourrait envisager de proposer son aide aux États parties qui manifestent une certaine bonne volonté mais qui ne mettent pas véritablement en œuvre ses recommandations. Il faudrait définir les modalités d’une telle aide au cas par cas, mais cette forme de coopération contribuerait à renforcer le dialogue avec les États et favoriserait la mise en œuvre des recommandations.

10.M me  Kleopas remercie Mme Gaer pour son bilan détaillé et approfondi des résultats du suivi au titre de l’article 19. Le Comité devra soigneusement en examiner les conclusions avant de décider des mesures à prendre pour améliorer l’efficacité de ses travaux dans ce domaine. La limitation du nombre de recommandations retenues aux fins du suivi est certainement une bonne idée, même si elle ne sera pas facile à mettre en pratique. Pour ce qui est des critères et des catégories à utiliser pour évaluer les réponses des États parties, Mme Kleopas est d’avis qu’il faudrait évaluer séparément la nature des réponses obtenues et le degré de mise en œuvre des recommandations.

11.M me  Belmir dit qu’un autre critère à prendre en considération aux fins du suivi est l’évolution des systèmes juridique et politique des États et de la perception que ceux-ci en ont. On a vu au fil des ans des États parties changer leur manière de voir les choses et revoir leur position sur des questions fondamentales comme l’état d’urgence, l’indépendance du pouvoir judiciaire ou l’impunité. On peut s’attendre à d’importants changements dans des pays comme le Yémen et la Tunisie, où de grands bouleversements se sont récemment produits. Le Comité se doit d’en tenir compte.

12.M me  Sveaass dit que le Comité doit améliorer la manière dont il formule ses recommandations, en veillant notamment à bien distinguer celles qui peuvent être mises en œuvre dans un délai d’un an des autres. Il importe à cette fin de ne pas formuler dans un même paragraphe des recommandations générales, susceptibles de nécessiter un délai de mise en œuvre relativement long, et des recommandations spécifiques satisfaisant au critère de la faisabilité dans un délai d’un an. Les catégories établies par le Comité des droits de l’homme aux fins de l’évaluation du suivi sont intéressantes mais difficiles à appliquer. L’évaluation des réponses des États parties pourrait comporter une évaluation formelle (temps mis par l’État partie pour répondre, nombre de rappels ayant été nécessaires, nombre de recommandations traitées dans les réponses, etc.), une évaluation du contenu (pertinence des informations fournies et efficacité des mesures prises aux fins de la mise en œuvre) et, enfin, une analyse des éventuelles remarques et critiques formulées par les États parties à propos du suivi qui pourraient contribuer à l’amélioration de la pratique du Comité dans ce domaine. Le Comité pourrait également se servir des enseignements tirés de cet exercice pour alimenter sa réflexion concernant les moyens d’améliorer l’efficacité de la procédure facultative pour l’établissement des rapports.

13.M. Wang Xuexiandit qu’il est favorable à la limitation du nombre de recommandations à retenir aux fins du suivi; un maximum de quatre serait raisonnable. Il note que le suivi est essentiellement assuré par Mme Gaer en sa qualité de rapporteuse, laquelle s’acquitte fort bien de cette tâche. Ceci étant, dans la mesure où le suivi porte sur des recommandations adoptées collectivement par le Comité et où il s’inscrit dans le dialogue entre les États parties et le Comité, il serait bon d’y associer davantage le Comité dans son ensemble. Le classement des réponses dans des catégories telles que celles proposées par le Comité des droits de l’homme semble difficilement praticable. En outre, idéalement, l’évaluation des réponses ne devrait pas être le fait de la seule rapporteuse chargée du suivi; elle devrait être effectuée par le Comité dans son ensemble, mais il est peu probable que celui-ci puisse y consacrer le temps nécessaire. Enfin, le Comité devrait décider des mesures à prendre à l’égard des 19 États parties qui n’ont jamais répondu aux demandes de suivi.

14.M. Mariño Menéndez dit qu’il importe que les demandes d’informations complémentaires adressées aux États parties dans le cadre du suivi restent en rapport direct avec les recommandations initialement retenues aux fins du suivi et ne débordent pas sur d’autres questions. À cet égard, il pourrait être utile de renforcer la collaboration entre la Rapporteuse chargée du suivi des observations finales et les rapporteurs pour les pays.

15.M. Mutzenberg (Centre pour les droits civils et politiques) remercie le Comité d’avoir permis aux ONG de participer à la présente séance consacrée au suivi. L’analyse effectuée par Mme Gaer soulève des questions clefs auxquelles tous les organes conventionnels auraient intérêt à réfléchir. Il est dans l’intérêt de toutes les parties prenantes que les recommandations soient aussi précises et concrètes que possible. Le Comité pourrait peut-être envisager de définir à l’intention des États parties des étapes pour la mise en œuvre des recommandations, dont l’évaluation serait ainsi facilitée. L’évaluation des informations reçues dans le cadre du suivi et les critères à définir à cette fin sont des questions qui devraient être débattues non seulement au sein de chaque comité, mais aussi entre les comités, en vue d’élaborer une grille d’évaluation commune qui permettrait une analyse cohérente de la mise en œuvre par les différents organes. À cette fin, il serait souhaitable d’instaurer une plus grande collaboration entre les rapporteurs chargés du suivi des différents comités. S’il est difficile de définir des critères qui permettent d’évaluer avec précision la mesure dans laquelle les États donnent suite aux recommandations, l’absence de mise en œuvre ou de coopération est en revanche facile à identifier et devrait être clairement signalée. La coopération entre le rapporteur chargé du suivi et les rapporteurs pour les pays est fondamentale et devrait être renforcée, notamment s’agissant de l’évaluation du suivi.

16.M me  Varesano (Organisation mondiale contre la torture) dit que la réflexion sur les critères à définir aux fins de l’évaluation des réponses des États parties dans le cadre de la procédure de suivi devrait être accompagnée d’une réflexion sur les actions à mener face aux États qui ne coopèrent pas, soit par manque de volonté, soit par manque de capacité, et pour lesquels les mesures habituelles − lettres de rappel, entretiens avec leurs représentants à Genève − restent sans effet. Les ONG ont fait plusieurs propositions à ce sujet, telles que l’envoi sur place d’une délégation du Comité, la réalisation d’entretiens par vidéoconférence avec les autorités locales compétentes ou encore l’organisation d’actions communes avec d’autres organes conventionnels.

17.Le Président dit qu’il faut bien voir que la procédure de suivi actuelle est limitée à quatre ou cinq recommandations relatives à des problèmes graves dont il a été jugé qu’elles pouvaient être mises en œuvre dans un délai d’un an. Cela signifie que d’autres problèmes, tout aussi importants, mais dont les mesures recommandées pour y remédier ne peuvent pas raisonnablement être mises en œuvre dans un délai aussi court, sont exclus de la procédure de suivi, et qu’il faut attendre la présentation du rapport périodique suivant de l’État partie pour voir si des progrès ont été accomplis ou non dans les domaines concernés. Le Comité devra se pencher sérieusement sur cette question dans le cadre de la réflexion en cours sur l’opportunité et la faisabilité d’une évaluation du suivi, et peut-être envisager d’élargir la portée de celui-ci, en définissant par exemple des grands thèmes − non-refoulement, état d’urgence, lutte contre le terrorisme, etc. − à surveiller en priorité, en fonction des problèmes ayant suscité des préoccupations récurrentes de la part du Comité.

18.M me  Gaer (Rapporteuse pour le suivi des observations finales) rappelle que la définition de catégories aux fins de l’évaluation du suivi était une recommandation expresse du Groupe de travail sur le suivi. L’évaluation à laquelle elle a procédé en utilisant le système de catégories établi par le Comité des droits de l’homme était purement expérimentale et visait simplement à ouvrir des pistes concrètes de réflexion pour que le Comité puisse décider, en temps utile, de l’opportunité ou non d’adopter lui aussi un système de catégories aux fins de l’évaluation du suivi.

19.Plusieurs membres du Comité ont évoqué deux des critères appliqués pour sélectionner les recommandations au titre du suivi, à savoir que celles-ci doivent concerner des questions graves et pouvoir être mises en œuvre dans un délai d’un an, mais il ne faut pas oublier le troisième critère auquel ces recommandations doivent satisfaire, qui est qu’elles doivent être de nature à protéger les personnes exposées à des risques de torture ou de mauvais traitements. L’idée que les recommandations doivent être aussi concrètes et précises que possible et que le nombre de recommandations retenues aux fins du suivi doit être limité semble faire l’unanimité. Étant donné que ses observations finales tendent à être de plus en plus denses et longues, il faudra pour atteindre cet objectif que le Comité revoie fondamentalement sa pratique.

20.En ce qui concerne la nature même du suivi, plusieurs propositions qui méritent réflexion ont été faites. À l’heure actuelle, chaque État partie dont le rapport a été examiné fait l’objet d’une procédure de suivi portant sur des mesures concrètes à prendre en réponse à des problèmes précis constatés dans le pays, mais on pourrait aussi définir de grands thèmes prioritaires aux fins du suivi, tels que l’impunité ou l’indépendance du système judiciaire, et ne procéder à un suivi que dans les pays où la situation dans ces domaines pose problème. À cet égard, Mme Gaer indique que l’analyse par groupe régional à laquelle elle a procédé a révélé que certains thèmes revenaient plus fréquemment que d’autres selon les régions. Ainsi, pour la région Asie-Pacifique, 84 % des demandes de suivi concernaient le respect des garanties juridiques fondamentales, alors que pour les autres régions, elles avaient le plus souvent trait aux mesures à prendre pour faire en sorte que des enquêtes efficaces et impartiales soient ouvertes immédiatement sur toute allégation de torture ou de mauvais traitements.

21.En ce qui concerne la limitation du nombre de recommandations à retenir aux fins du suivi, Mme Gaer fait observer que le Comité s’efforce déjà d’en éliminer le plus possible lorsqu’il examine les projets d’observations finales mais que, souvent, il ne dispose pas de suffisamment de temps pour bien peser ses choix. Elle suggère donc que, le dernier jour de la session, le Comité reprenne l’ensemble des projets d’observations finales adoptés les jours précédents et sélectionne à ce moment-là les recommandations au sujet desquelles il souhaiterait recevoir des renseignements dans un délai d’un an. Pour ce qui est de la diffusion des documents relatifs au suivi, Mme Gaer indique que les réponses et les lettres des États parties se rapportant au suivi sont publiées presque immédiatement après avoir été reçues sur la page Web du Comité et que les renseignements fournis par les organisations non gouvernementales sont publiés dans un délai un peu plus long, car le secrétariat doit préalablement vérifier s’ils répondent à certains critères.

22.Pour ce qui est des 19 États parties qui n’ont jamais soumis de rapport de suivi, Mme Gaer suggère que le Comité envoie un rappel aux États concernés quatre mois après l’expiration du délai imparti, comme proposé par le Groupe de travail sur le suivi. S’il ne reçoit aucune réponse, il pourrait prendre diverses mesures, notamment envoyer un deuxième rappel, envoyer quelques-uns de ses membres en mission dans le pays, inclure une question sur le suivi dans la liste préalable de points à traiter destinée à l’État concerné et, éventuellement, citer dans son rapport annuel les États parties qui ne fournissent pas les renseignements demandés au titre du suivi.

Examen de communications reçues en application de l’article 22 de la Convention (suite)

Rapport sur le suivi des communications

23.M. Mariño Menéndez (Rapporteur chargé du suivi des communications) dit que la procédure de suivi des décisions rendues par les organes conventionnels au sujet des requêtes émanant de particuliers est appelée à prendre de l’ampleur dans les années à venir car de nouveaux protocoles facultatifs prévoyant l’examen de communications individuelles vont entrer en vigueur. C’est pourquoi le sous-groupe chargé du suivi des communications individuelles s’est d’ores et déjà attelé à la question de l’harmonisation des procédures d’examen des requêtes émanant de particuliers.

24.Faisant le bilan des activités de suivi des décisions adoptées par le Comité sur les communications soumises en vertu de l’article 22 de la Convention, M. Mariño Menéndez indique que, depuis 1989, le Comité a reçu en tout 458 requêtes concernant 31 États parties, parmi lesquelles 113 ont été classées et 60 déclarées irrecevables. Il a adopté des conclusions sur le fond concernant 169 communications et constaté que 52 faisaient apparaître des violations de la Convention. En outre, il a suspendu l’examen de deux requêtes en attendant que les recours internes soient épuisés par le requérant et il doit encore examiner 113 requêtes. C’est notamment en raison de ce nombre élevé de requêtes en attente d’examen qu’il a obtenu l’autorisation de tenir des sessions de quatre semaines au lieu de trois pendant les deux années à venir.

25.La grande majorité des communications dont le Comité est saisi portent sur des allégations de violation de l’article 3, lu seul ou conjointement avec d’autres articles de la Convention. Cela tient probablement au fait que le Comité est généralement plus clément que d’autres organes à l’égard des personnes en instance d’expulsion qui disent courir un risque de torture en cas de renvoi. Toutefois, les communications faisant état de violations d’autres articles de la Convention, notamment les articles 12 et 13, commencent à être plus nombreuses. Étant donné que la plupart des requêtes ont trait à l’article 3 de la Convention, qui consacre le principe de non-refoulement, les États parties le plus souvent mis en cause dans les requêtes individuelles sont la Suède, la Suisse et le Canada car ces pays ont une politique d’asile particulièrement généreuse. Toutefois, le Comité commence à recevoir de plus en plus de communications visant des États d’autres régions du monde, dont l’Algérie, l’Azerbaïdjan, le Bélarus, le Maroc et le Mexique.

26.Les tâches du Rapporteur chargé du suivi des communications consistent notamment à entamer une correspondance avec l’État partie dans les mois qui suivent la décision du Comité afin de s’informer des mesures prises, à rencontrer les représentants des missions permanentes des États parties pour encourager ceux-ci à donner suite aux décisions du Comité et à effectuer des visites de suivi dans les États parties. Dans ce contexte, le Rapporteur a rencontré des représentants des missions diplomatiques de la Tunisie, du Sénégal et du Kazakhstan et a fait partie d’une délégation du Comité qui s’est rendue au Sénégal afin d’exhorter les autorités compétentes à mettre en œuvre la décision du Comité dans l’affaire Suleymane Guengueng et consorts c. Sénégal (CAT/C/36/D/181/2001), restée sans effet depuis des années.

27.Rappelant qu’il assume également le rôle de rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, M. Mariño Menéndez indique que les États parties donnent presque toujours suite aux demandes de mesures provisoires émanant du Comité et que seuls deux États – la France, dans deux affaires, et le Canada, dans une affaire – ont passé outre une demande de mesures provisoires du Comité. À ce jour, un seul État partie – le Canada – a renvoyé l’auteur d’une communication dans son pays, en violation de la décision du Comité. À la suite de cette affaire, ce dernier a rappelé ses obligations à l’État partie concerné et lui a demandé de fournir des renseignements sur les mesures prises afin d’empêcher que l’intéressé ne soit victime de violations à la suite de son expulsion.

28.Les résultats enregistrés depuis le lancement en mai 2005 de la procédure de suivi des communications sont globalement satisfaisants. Le Comité a pu mettre fin au dialogue engagé avec l’État partie au titre du suivi pour 26 communications. Actuellement, on recense 25 décisions au sujet desquelles le dialogue au titre du suivi se poursuit. Sur ce total, huit décisions n’ont pas encore fait l’objet d’une réponse des États parties concernés.

29.Le Rapporteur se propose de donner quelques détails sur la suite donnée à trois affaires emblématiques de la jurisprudence du Comité. En ce qui concerne la première d’entre elles, l’affaire Agiza c. Suède (CAT/C/34/D/233/2003), il rappelle que le Comité avait considéré que l’État partie avait violé l’article 3 de la Convention en renvoyant un ressortissant égyptien dans son pays alors qu’il savait qu’il était soupçonné de terrorisme et qu’il avait des raisons fondées de penser que cet homme risquait d’être torturé. De plus, le Comité avait considéré que les assurances diplomatiques demandées par la Suède au Gouvernement égyptien n’écartaient nullement ce risque. À la suite de la décision du Comité, les autorités suédoises ont pris toute une série de mesures afin d’en appliquer les dispositions. D’après les informations les plus récentes, données dans une lettre en date du 13 mai 2011 adressée au Comité par le Ministère suédois des affaires étrangères, le personnel de l’Ambassade de Suède en Égypte serait venu rendre visite à M. Agiza en prison 63 fois depuis l’adoption de la décision du Comité, et la plus récente de ces visites aurait eu lieu le 11 avril 2011. Dans cette lettre, les autorités suédoises font valoir qu’elles n’ont ménagé aucun effort pour réparer le dommage causé à M. Agiza et demandent au Comité de considérer qu’il n’y a plus lieu de poursuivre le dialogue au titre du suivi. Le rapporteur suggère au Comité de maintenir ce dialogue, mais d’accorder la possibilité à l’État partie d’espacer ces visites jusqu’à ce que M. Agiza ait fini d’exécuter sa peine.

30.Dans l’affaire Suleymane Guengueng et consorts c. Sénégal, le Comité avait conclu à la violation par le Sénégal de l’obligation qui lui incombait de juger ou d’extrader l’ancien dictateur tchadien M. Hissène Habré, auquel la responsabilité des tortures infligées aux auteurs de la requête est attribuée et qui a trouvé refuge au Sénégal. Cette affaire soulève des questions complexes, mais plusieurs solutions ont été proposées à l’État partie afin de l’aider à s’acquitter de ses obligations découlant de la Convention. Cependant, bien que la Belgique ait demandé l’extradition de M. Habré, que le problème du financement d’un procès organisé dans le pays ait été réglé, que la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ait invité l’État partie à mettre en place un tribunal mixte chargé de juger M. Habré et que l’Union africaine lui ait suggéré de créer des unités spéciales au sein des juridictions nationales, les autorités sénégalaises sont totalement passives depuis des années. Or, il y a urgence car l’un des requérants est déjà mort des suites des tortures que lui ont infligées les agents d’Hissène Habré et il se pourrait que d’autres requérants décèdent avant d’avoir obtenu justice. En outre, d’après un entretien donné à la presse en 2008, le Président sénégalais ne semble nullement pressé de faire juger M. Habré par les juridictions nationales et serait prêt à l’inciter à quitter le pays. Le Comité voudra donc peut-être poursuivre le dialogue avec l’État partie et, en particulier, lui rappeler son obligation de juger M. Habré ou de l’extrader vers la Belgique, et lui demander de ne pas autoriser l’ancien dictateur à quitter le pays.

31.Enfin, dans l’affaire M ’ Barek c. Tunisie (CAT/C/23/D/60/1996), requête présentée par les proches du défunt, M. Baraket, le Comité avait demandé à l’État partie d’ordonner l’exhumation du corps afin qu’une nouvelle autopsie puisse être pratiquée en présence d’experts internationaux, le but étant que le bien-fondé des allégations de la famille, qui affirme que la victime a été torturée, puisse être vérifié et que, le cas échéant, une enquête soit ouverte par la suite. Le Rapporteur suggère que le Comité poursuive le dialogue avec l’État partie jusqu’à ce qu’il réponde à sa demande de manière satisfaisante.

32.M me  Gaer prie M. Mariño Menéndez de fournir un complément d’information sur les suggestions formulées par le sous-groupe de travail chargé du suivi des communications, dont celles concernant l’adoption de directives sur la procédure de suivi et l’incorporation dans le rapport annuel du Comité d’un tableau dans lequel apparaîtraient les décisions concluant à une violation ainsi qu’un classement des réponses par catégorie. Étant donné que le rapport annuel du Comité comporte déjà une section importante consacrée au suivi des communications, Mme Gaer voudrait savoir en quoi la façon dont le suivi des communications est actuellement présenté dans le rapport annuel se distingue de la formule proposée par le sous-groupe de travail.

33.En ce qui concerne l’affaire Guengueng et consorts, Mme Gaer constate que les parties prenantes semblent se renvoyer mutuellement la responsabilité d’ouvrir une procédure contre M. Hissène Habré et que, d’après les dernières informations disponibles, le Gouvernement sénégalais semble vouloir se débarrasser de cette affaire. Elle souhaiterait connaître le point de vue du Rapporteur sur la situation actuelle.

34.M. Wang Xuexian fait observer qu’il arrive souvent qu’un État partie ne veuille pas donner suite à une décision relative à une communication lorsque le Comité a librement apprécié les faits de la cause dans la décision en question. Ce constat montre qu’il est urgent que le Comité mène à bien l’examen de son projet d’observation générale sur la question de l’appréciation des faits et des preuves dans le cadre de l’examen des communications soumises en vertu de l’article 22 de la Convention, dont l’objectif est de convaincre les États parties que, dans certains cas bien précis, le Comité est en droit d’apprécier librement les faits et les preuves et n’est pas lié par les constatations des juridictions internes.

35.M me  Kleopas remercie M. Mariño Menéndez de son exposé, d’où il ressort que les États parties donnent généralement suite aux décisions du Comité, ce qui est un motif de satisfaction.

36.M me  Varesano (Organisation mondiale contre la torture − OMCT) dit que l’OMCT a récemment effectué une mission en Tunisie afin de suivre l’application de trois décisions du Comité qui concernent ce pays et que les entretiens que son organisation a eus avec les autorités ont été encourageants. La situation ayant beaucoup évolué au cours des mois écoulés, le moment est propice pour encourager la Tunisie à donner suite aux décisions du Comité. Celui-ci prévoit-il de prendre des mesures à cette fin?

37.S’agissant de l’affaire M ’ Barek, Mme Varesano dit que la Coalition des organisations non gouvernementales internationales contre la torture (CINAT), dont l’OMCT fait partie, a proposé que le Comité effectue une mission de suivi en Tunisie afin que ses décisions, qui portent sur des faits anciens, puissent enfin être appliquées et que les autorités tunisiennes fassent un premier pas en direction d’une éventuelle enquête en procédant à des exhumations.

38.Le Président souligne l’importance du suivi des communications. Il fait observer que les mécanismes de surveillance du respect par les États parties de leurs obligations en droit international n’ont pas tous la même efficacité. Il y a tout d’abord la surveillance bilatérale dans le cadre du système de plaintes entre États, qui est la moins efficace parce qu’elle est conditionnée à la puissance des pays concernés ainsi qu’à des critères économiques, politiques et stratégiques. La deuxième forme de surveillance est celle qui a lieu au sein des organes collectifs, par exemple à l’Assemblée générale de l’ONU ou au Conseil des droits de l’homme, où les représentants des États agissent souvent en fonction de considérations politiques. Le troisième mécanisme de surveillance est le système de présentation de rapports par les États, qui est plus efficace dans la mesure où il repose sur des organes conventionnels dont les membres sont des experts indépendants qui se fondent sur une tradition juridique pour analyser les situations et formuler des recommandations. Enfin, le mécanisme de surveillance le plus efficace est le système des communications individuelles, dans le cadre duquel sont rendues des décisions concrètes auxquelles les pays ont choisi volontairement de se conformer.

39.Aujourd’hui, 64 pays ont accepté la compétence du Comité pour examiner des communications individuelles. Pour encourager les autres États à faire de même, il convient de faire valoir la légitimité de ce mécanisme à caractère semi-judiciaire et de veiller à la qualité des raisonnements, de l’appréciation des faits et des conclusions du Comité. Il est important également de pouvoir évaluer l’application des décisions rendues en application de l’article 22. Il serait utile à cet égard que le Rapporteur reçoive une assistance du secrétariat pour procéder à des analyses statistiques concernant la nature des affaires examinées et les suites données aux décisions du Comité. Les données collectées devraient porter aussi sur la situation des personnes renvoyées dans leur pays d’origine lorsque le Comité a conclu à l’absence de violation, afin que le Comité puisse tirer les enseignements d’éventuelles erreurs. Pour tout cela, les ressources consacrées au suivi devraient être augmentées.

40.M. Mariño Menéndez (Rapporteur chargé du suivi des communications) fait remarquer que le Comité pourrait très bien élaborer une observation générale sur l’article 22 s’il le jugeait utile. Il indique qu’un retard important a été pris dans l’examen des communications adressées aux différents organes conventionnels et pense que celui-ci risque de s’accroître pour l’ensemble des comités. Une partie de ce retard est peut-être liée au fonctionnement du Groupe des requêtes, qui ne dispose pas toujours des moyens et du personnel nécessaires. Or le Groupe des requêtes a un rôle important à jouer puisqu’il apporte une assistance dans la rédaction des projets, l’organisation de la procédure et la présentation des cas avant les réunions du Comité, contribuant ainsi à améliorer l’efficacité et la rapidité de l’examen. Il conviendrait donc de se pencher sur la question de la rationalisation des ressources humaines et d’évaluer précisément quelles seront les ressources nécessaires en fonction de l’augmentation prévue du nombre de requêtes.

41.En ce qui concerne l’affaire Hissène Habré, le Rapporteur indique que l’action interne menée au Sénégal est paralysée, notamment pour des raisons politiques. Certains groupes de pression ne voient pas d’un bon œil qu’un ancien chef d’État africain soit soumis à un jugement rendu par une juridiction universelle. Une conférence réunissant des pays donateurs a permis de lever 10 millions de dollars afin de mener à bien cette procédure et d’établir des règles en tenant compte des impératifs d’économie de procédure, mais l’évolution de la situation politique et diplomatique est venue mettre un frein à ce processus. En ce qui concerne l’action intentée par la Belgique en vue d’obtenir l’extradition d’Hissène Habré, il semblerait que la décision puisse être rendue d’ici un an au maximum. Les autorités sénégalaises semblent à présent s’orienter vers la mise en place d’un tribunal mixte chargé de statuer sur cette affaire. Le Comité pourrait tenter de faire avancer les choses en rappelant au Sénégal ses obligations et en demandant au Gouvernement du Sénégal un rapport à ce sujet.

42.Le fait que le Maroc et l’Algérie aient fait la déclaration prévue à l’article 22 devrait constituer un encouragement pour d’autres États africains à s’engager sur cette voie. Pour sa part, le Comité doit pour contribuer à promouvoir cette procédure s’attacher à améliorer la qualité de ses décisions, en se penchant notamment sur leur structure et sur la question de l’appréciation des faits et des preuves.

43.À propos de la Tunisie, le Rapporteur note avec satisfaction que des ONG (notamment l’OMCT) ont eu un entretien avec la Ministre de la justice et ont pu constater la volonté de collaboration du Gouvernement avec les organes conventionnels et le système des Nations Unies en général. Le Comité pourrait mettre à profit ce contexte pour clôturer l’examen des communications en suspens concernant la Tunisie et clarifier certains points auprès des autorités tunisiennes, notamment les questions liées à l’épuisement des recours internes et à l’indépendance du pouvoir judiciaire dans le contexte des réformes.

44.M. Mariño Menéndez appuie les propos du Président concernant la nécessité de procéder à un suivi approfondi de toutes les décisions rendues en application de l’article 22. Pour évaluer l’efficacité de la procédure, il convient de s’intéresser à la mise en œuvre des décisions dans la pratique. Il serait également utile d’étudier plus attentivement les questions liées à la coopération du Comité avec les États.

45.Le Rapporteur précise qu’il bénéficie d’une aide importante du secrétariat aux fins des activités de suivi, notamment pour ce qui concerne les mesures provisoires de protection. Il n’y a pas d’urgence actuellement sur le plan du suivi des communications individuelles mais cela pourrait être le cas si le nombre de communications devait augmenter. Les besoins en ressources humaines et financières seraient considérablement accrus si le Comité décidait d’assurer un suivi de la situation des personnes renvoyées dans leur pays d’origine suite à une décision concluant à l’absence de risque de torture. Cela soulèverait en outre le problème des cas où un requérant est renvoyé dans un État qui n’est pas partie à la Convention, comme l’Iran, l’Inde ou certains pays africains qui sont des pays de renvoi fréquents. Il peut arriver qu’un État ne collabore pas du tout. Il est alors préférable de ne pas appeler l’attention des autorités sur la personne concernée pour éviter qu’elles ne s’en prennent à celle-ci. Le Comité peut en revanche toujours encourager le pays à ratifier la Convention.

46.La question de la distinction entre les actes de torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants se pose de façon récurrente au Comité. À ce sujet, le Rapporteur tient à rappeler que la Convention ne doit pas être figée mais qu’il convient de l’interpréter à la lumière du droit international applicable et de son évolution. Il fait observer que la tendance est à un rapprochement progressif des deux notions sur le plan des conséquences juridiques qu’elles emportent. Il serait intéressant que le Comité se penche plus avant sur cette question.

47.M. Petrov (Groupe des requêtes) dit que le Groupe des requêtes s’occupe de toutes les communications individuelles soumises à tous les organes conventionnels. Une personne est plus particulièrement chargée du suivi. Précisant qu’il occupe actuellement lui-même cette fonction, il indique qu’il travaille en collaboration étroite avec M. Mariño Menéndez, qu’il informe dans les plus brefs délais des faits nouveaux urgents relatifs aux affaires examinées. Actuellement, le Groupe des requêtes examine les moyens d’améliorer la visibilité des affaires traitées par les organes conventionnels et notamment d’améliorer le tableau des affaires établi par le Comité des droits de l’homme. Il est vrai que le Groupe des requêtes a connu récemment des problèmes d’effectifs, mais tout a été fait pour que ceux-ci n’aient pas d’incidence sur ses travaux. Un processus de recrutement a été engagé et les effectifs seront bientôt de nouveau au complet.

48.Le Président insiste sur la nécessité de disposer de ressources suffisantes pour procéder à un suivi efficace de l’article 22. Ce suivi ne doit pas se limiter aux mesures provisoires de protection mais porter également sur la mise en œuvre des décisions du Comité, qui doit pouvoir être évaluée au moyen de statistiques.

La séance est levée à 13 heures.