NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.58031 décembre 2003

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente et unième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 580e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le jeudi 13 novembre 2003, à 15 heures

Président: M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Troisième rapport périodique du Maroc (suite)

La séance est ouverte à 15 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 de l’ordre du jour) (suite)

Troisième rapport périodique du Maroc (CAT/C/66/Add.1; HRI/CORE/1/Add.23/Rev.1) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation marocaine reprend place à la table du Comité.

2.M. HILALE (Maroc) dit que sa délégation s’efforcera de répondre à toutes les questions posées par les membres du Comité avec sincérité, transparence et précision. Des réponses écrites viendront compléter les renseignements apportés oralement. Il se félicite de l’occasion qui est ainsi donnée d’approfondir le dialogue avec les membres du Comité, qui conforte le Gouvernement marocain dans sa volonté irréversible d’édifier un Maroc nouveau en renforçant l’état de droit. Souhaitant que les renseignements fournis par la délégation puissent être replacés dans le contexte marocain, il rappelle que le pays s’est engagé sur trois voies, qui sont celles du développement économique, de la consolidation de la démocratie et de la lutte contre le terrorisme. Ce triple combat s’annonce long et ardu mais il n’est pas impossible, et la délégation marocaine compte sur la compréhension et le soutien des membres du Comité et, de façon plus générale, des différents organismes des Nations Unies.

3.Mme AYOUBI IDRISSI (Maroc) dit que le Gouvernement marocain s’efforcera d’inclure dans ses prochains rapports une partie sur les suites données aux observations et recommandations du Comité. En ce qui concerne l’intégration de la définition de la torture (art. 1 de la Convention) dans la législation pénale, il faut savoir que cette mesure est prévue et que sa mise en œuvre n’est qu’une question de temps, l’agenda parlementaire étant particulièrement chargé. Le Code pénal est en cours de réforme et des textes concernant les droits de l’enfant, les droits de la femme et la lutte contre toutes les formes de discrimination ont déjà été adoptés. En ce qui concerne les articles 20, 21 et 22 de la Convention, le Gouvernement a récemment réalisé une étude sur la possibilité de lever les réserves aux instruments relatifs aux droits de l’homme déjà ratifiés par le Maroc et de ratifier d’autres instruments ainsi que les protocoles facultatifs s’y rapportant. Cette étude a été présentée au Premier Ministre qui a décidé, lors d’une réunion tenue sous sa présidence le 6 octobre 2003, de créer une commission technique chargée d’examiner la question; cette commission a déjà entamé ses travaux. Par ailleurs, la nouvelle loi sur les questions migratoires a permis d’harmoniser la législation interne avec les dispositions de la Convention concernant le refoulement. En effet, l’article 29 de cette loi dispose qu’aucun étranger ne peut être renvoyé dans son pays s’il est établi que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements inhumains, cruels ou dégradants.

4.Le Programme d’éducation aux droits de l’homme, entrepris en collaboration avec le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme, vient d’être généralisé à l’ensemble des établissements scolaires et doit être élargi prochainement à d’autres groupes cibles. Une formation comprenant un tronc commun et différents volets thématiques a été mise sur pied à l’intention des responsables des forces de l’ordre. En outre, plusieurs mesures ont été prises dans le domaine de la formation du personnel médical, en collaboration avec le Conseil international de réadaptation pour les victimes de la torture (CIRT). Un plan d’action a été mis sur pied pour la période 2003‑2005; il prévoit notamment l’élaboration d’un manuel national sur la base d’un modèle établi par le CIRT et l’organisation d’une session de formation d’une semaine à l’intention des magistrats, des médecins légistes et autres professionnels intéressés, encadrée par des experts nationaux et internationaux. Le Centre de réadaptation des victimes de la torture, créé à l’initiative d’une ONG en coopération avec le CIRT, fonctionne effectivement et continue de recevoir un appui logistique et financier du Gouvernement.

5.En ce qui concerne les mineurs en détention, il convient de préciser que la proportion de 12 % indiquée précédemment couvre les détenus de moins de 20 ans, et pas seulement ceux âgés de moins de 18 ans (âge qui correspond à la définition pénale du mineur). En vertu de l’article 5 de la loi sur les prisons, la séparation entre mineurs et adultes est obligatoire dans tous les établissements pénitentiaires. En outre, l’article 55 de la même loi interdit de placer un mineur en cellule disciplinaire. Le problème de la surpopulation carcérale demeure préoccupant et diverses mesures ont été prises pour encourager le recours à des peines de substitution, particulièrement à l’encontre des délinquants mineurs pour lesquels l’incarcération est rarement la solution la plus appropriée. Les grâces royales et les réductions de peine ont également contribué à désengorger les prisons. De plus, une quinzaine de prisons et plusieurs centres de formation et d’éducation spécialisée sont en construction.

6.Les violences sexuelles commises à l’égard d’enfants dans les prisons donnent lieu à des poursuites pénales. Plus globalement, diverses mesures ont été prises ou sont envisagées pour lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants. Une stratégie nationale est en cours d’élaboration. Le Gouvernement a également entrepris de renforcer sa collaboration avec ECPAT International, aux fins notamment de la réalisation de manuels et de l’organisation de formations destinées aux responsables de l’application des lois.

7.La délégation marocaine a effectué des recherches au sujet de l’affaire mentionnée à la séance précédente, concernant le mineur de 17 ans qui aurait été victime de multiples viols en prison. Il apparaît d’après le numéro d’immatriculation cité qu’il s’agit en fait d’un homme de 38 ans condamné à 20 ans d’emprisonnement pour meurtre.

8.Le Gouvernement marocain a pris diverses mesures pour lutter contre la traite des êtres humains. Outre ses engagements internationaux en la matière, il a renforcé le cadre normatif applicable au niveau national. Les dispositions du Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants ont été transposées dans la législation interne. En outre, la nouvelle loi sur les questions migratoires qualifie de délit les actes liés au trafic des êtres humains et alourdit les peines prévues à l’encontre de leurs auteurs. Le Maroc a été l’un des premiers pays à ratifier la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, en 1993. Le Gouvernement a conclu un accord de partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations en vue de mettre en œuvre une approche des migrations qui soit davantage axée sur les droits. En 2002, il a créé un Centre des droits des migrants dans le but de renforcer les capacités institutionnelles des personnes travaillant dans ce domaine, d’informer les migrants sur leurs droits et devoirs et de sensibiliser les candidats à l’immigration clandestine aux dangers auxquels ils s’exposent. Enfin, par une ordonnance royale en date du 9 novembre 2003, il a été décidé de créer une direction de la migration et de la surveillance des frontières et un observatoire des migrations, qui seront rattachés au Ministère de l’intérieur.

9.Toutes les personnes condamnées à des peines de prison ferme pour avoir participé au soulèvement d’El Ayoun, le 22 septembre 1999, ont bénéficié d’une grâce royale le 7 novembre 2001. Pour ce qui est des personnes ayant pris part aux manifestations de Smara en novembre 2001, 16 d’entre elles ont été poursuivies, dont trois ont été acquittées. Huit ont été condamnées à deux ans de prison ferme et cinq à six mois de prison ferme. Toutes celles qui étaient encore incarcérées ont été libérées en septembre 2003.

10.M. DAHBI (Maroc) dit que l’article 225 du Code pénal unifié dispose que tout magistrat, fonctionnaire, agent ou préposé de l’autorité ou de la force publique qui ordonne ou commet quelque acte arbitraire attentatoire à la liberté individuelle ou aux droits civiques d’un ou de plusieurs citoyens est puni de la dégradation civique. S’il justifie avoir agi sur ordre de ses supérieurs hiérarchiques dans un domaine de leur compétence, pour lequel il leur devait obéissance, il bénéficie d’une excuse absolutoire. Dans ce cas, la peine est appliquée seulement aux supérieurs ayant donné l’ordre. Si l’acte a été commis ou ordonné dans un intérêt personnel, la peine encourue est celle édictée aux articles 436 et 440.

11.Le décret royal du 9 décembre 2001 portant création d’un bureau du Médiateur (Diwan Al Madhalim) dispose que le Médiateur (Wali Al Madhalim) examine les plaintes et doléances des citoyens qui s’estiment victimes de décisions ou activités jugées contraires aux règles de la primauté du droit et de l’équité, et qui seraient imputables aux administrations de l’État, aux collectivités locales, aux établissements publics ou à tout organisme disposant des prérogatives de la puissance publique. Le Médiateur peut être saisi par le Président du Conseil consultatif des droits de l’homme, destinataire de plaintes relevant de la compétence du Médiateur et remplissant les conditions voulues. Il ne peut pas examiner ou instruire les plaintes portant sur des questions pour lesquelles la justice est saisie, les doléances visant la révision d’une décision de justice irrévocable, les requêtes relatives à des questions relevant de la compétence du Parlement, les questions relevant de la compétence du Conseil consultatif des droits de l’homme et les affaires pour lesquelles le requérant n’a engagé aucune démarche officielle ou recours gracieux ou n’a pas épuisé les recours disponibles. Dans ces cas, toutefois, le Médiateur ou ses délégués peuvent rechercher avec les parties concernées, à leur demande, les solutions de nature à régler rapidement et équitablement le différend. Par ailleurs, dans le cas où le Médiateur constaterait que la persistance de l’organisme concerné dans son refus d’exécuter une décision de justice exécutoire est due aux agissements ou à la passivité d’un fonctionnaire ou d’un agent de l’organisme à l’encontre duquel le jugement a été prononcé, il établit un rapport à ce sujet, dont il saisit le Premier Ministre. Les plaintes et doléances sont adressées au Médiateur ou à ses délégués ministériels ou régionaux directement par le requérant ou par l’intermédiaire d’un représentant dûment mandaté. Pour être recevables elles doivent être écrites, motivées et signées par le requérant; elles doivent préciser les démarches effectuées par celui-ci pour faire valoir ses droits auprès de l’autorité qu’il met en cause. Lorsqu’il est dans l’impossibilité de présenter sa plainte par écrit, le requérant la formule oralement, en l’assortissant de pièces justificatives. Le Médiateur entreprend les investigations nécessaires afin d’établir la réalité des faits portés à sa connaissance, l’étendue des préjudices et l’appréciation qu’il convient de leur donner. Il demande des explications sur les actes qui font l’objet de la requête aux chefs des administrations concernées, qui doivent l’aider à se faire une idée parfaitement claire du différend. Les chefs des administrations ordonnent aux fonctionnaires ainsi qu’aux organes de contrôle placés sous leur autorité de faciliter les investigations du Médiateur ou de ses représentants, qui peuvent se faire communiquer les documents relatifs à la plainte, à l’exception de ceux couverts par le secret d’État. Le Médiateur entreprend des démarches de médiation, notamment de conciliation et adresse des recommandations, des suggestions et des observations aux administrations et établissements mis en cause, qui sont tenus de prendre dans les délais fixés les mesures nécessaires pour le règlement des affaires dont ils l’ont saisi et de l’informer, par écrit, des résultats obtenus. Le Médiateur fait connaître au requérant la suite donnée à sa plainte. Le Médiateur fait au Premier Ministre des suggestions générales sur les mesures permettant de faire droit aux doléances qui lui sont présentées. Il lui soumet des propositions visant à améliorer l’efficacité des administrations contre lesquelles des plaintes sont déposées, à corriger les défaillances à l’origine des dysfonctionnements des services qui en dépendent et à modifier les textes juridiques qui les régissent. Si les administrations concernées refusent de donner suite à ses recommandations, il en informe le Premier Ministre. Le Médiateur fait rapport au Conseil consultatif des droits de l’homme sur les questions relevant de ses domaines de compétence et soumet au Roi un rapport annuel sur ses activités, qui est publié en totalité ou en partie au Bulletin officiel.

12.En ce qui concerne le problème des disparitions forcées ou involontaires, les autorités marocaines collaborent depuis 1994 avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de la Commission des droits de l’homme. De 1994 à 2003, les efforts conjoints qui ont été déployés ont permis d’élucider 133 cas de disparitions sur 248 portés à la connaissance du Groupe de travail: 95 personnes sont vivantes et 38 sont décédées, dont sept au camp de Tazmamart. Les difficultés rencontrées pour mener des rechercher sur ces disparitions sont dues au fait qu’elles datent des années 70, à l’insuffisance des renseignements dont dispose le Groupe de travail sur l’identité des disparus et aux différentes habitudes de présentation des noms en arabe, en français, en anglais et en espagnol dans les listes, qui font qu’un nom peut y figurer plusieurs fois. Le Gouvernement a pris plusieurs initiatives afin de trouver des solutions au problème des disparitions forcées: il a créé une instance arbitrale chargée de l’indemnisation des victimes, poursuivi sa collaboration avec le Groupe de travail et constitué une commission pour la justice et la réconciliation dont la mission consiste à continuer les recherches sur les disparitions qui n’ont pas pu être élucidées.

13.Pour ce qui est de la question soulevée par des organisations non gouvernementales concernant les décès dans les prisons, il ressort d’un tableau synoptique sur les décès de détenus survenus dans les établissements pénitentiaires de janvier à mars 2002, qui sera fourni au Comité, que des maladies ont été à l’origine des décès. Les précisions demandées sur le nombre de suicides dans les prisons et sur le nombre de plaintes reçues par le Ministre des droits de l’homme et le Conseil consultatif des droits de l’homme seront fournies ultérieurement au Comité.

14.En ce qui concerne les mesures disciplinaires prises pour sanctionner des membres de la police judiciaire qui ont été reconnus coupables de violations des droits de l’homme, il y a eu entre 1998 et 2003 11 radiations, 15 procédures, 13 mutations, 5 blâmes, 4 avertissements, 1 suspension et 1 mise à la retraite. En outre, rien qu’en 2003, neuf fonctionnaires des forces de police et sept membres de la police judiciaire ont été traduits en justice.

15.Sur la question de savoir si les personnes en détention provisoire sont mêlées aux autres détenus, M. Dahbi précise que l’article 29 de la loi sur l’organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires prévoit expressément que les prévenus doivent être séparés des condamnés. En ce qui concerne les médecins qui travaillent pour les tribunaux, ils sont recrutés et sélectionnés par le Ministère de la justice. En cas de plainte relative à des actes de torture, le procureur ou le juge d’instruction charge un ou deux médecins d’effectuer une expertise, le plaignant ayant toutefois la possibilité de demander une contre‑expertise. S’agissant de l’affaire Mohamed Rachid Chrii, M. Dahbi indique que les rapports médicaux le concernant ont été examinés par la cour d’appel; l’affaire a été portée devant la Cour suprême en juin 2003 et elle est toujours pendante.

16.M. AMZAZI (Maroc), répondant aux questions posées sur la loi antiterroriste adoptée deux semaines après les attentats de Casablanca en mai 2003, dit que ce texte a suscité un certain nombre de critiques alors qu’il était à l’état de projet, d’aucuns affirmant en particulier qu’elle avait été élaborée et adoptée dans la précipitation. M. Amzazi rappelle toutefois qu’en 1994 un attentat terroriste a été commis à Marrakech par un groupe terroriste basé en France. Les autorités marocaines avaient eu à l’époque les plus grandes difficultés à obtenir une coopération judiciaire suffisante de la part de la communauté internationale car la qualification d’acte terroriste n’existait pas encore dans le droit positif. Après les événements du 11 septembre, une cellule dite dormante a été détectée et démantelée au Maroc, qui avait des liens avec le réseau Al-Qaida, et on a découvert par une cassette vidéo qu’Oussama ben Laden avait choisi le Maroc comme future cible de nouveaux attentats. Tous ces éléments ont amené le Gouvernement à élaborer et à soumettre au Parlement un projet de loi antiterroriste, auquel des organisations non gouvernementales et des associations se sont opposées au motif qu’il n’offrait pas de garanties suffisantes pour la protection des droits de l’homme. À l’issue d’un débat entre les membres du Parlement et la société civile, le projet a été intégralement remanié. Le seul aspect controversé de la loi est la garde à vue. Or, les dispositions régissant la garde à vue dans la loi antiterroriste sont les mêmes que celles qui sont prévues dans le droit commun pour les atteintes à la sûreté de l’État. La durée de la garde à vue peut atteindre 96 heures et sur autorisation écrite du juge d’instruction être prolongée de 96 heures supplémentaires; l’intéressé a le droit de se présenter devant un juge et de bénéficier de l’assistance d’un avocat, assistance qui peut être différée, comme en droit commun.

17.Concernant les allégations selon lesquelles les fonctionnaires chargés de l’application de la loi n’auraient pas respecté les dispositions de la loi antiterroriste après les attentats perpétrés le 16 mai à Casablanca, il faut savoir que la loi n’a pas d’effet rétroactif et que, comme elle a été promulguée deux semaines après ces attentats, elle n’a pas été appliquée pour poursuivre les suspects impliqués dans ces événements. À ce jour, toutes les personnes mises en cause ont été jugées et se sont pourvues en cassation. Comme la Cour suprême, qui doit examiner si ces procès ont été équitables et si la procédure a été respectée, n’a pas encore rendu de décision, la délégation n’est pas encore en mesure de donner des renseignements sur la légalité de ces procédures au Comité.

18.Passant à la question de l’arbitrage, M. Amzazi indique que l’instance d’arbitrage est habilitée à recevoir des plaintes. Elle en examine le contenu et, si elle constate qu’il y a réellement eu détention arbitraire ou disparition forcée, elle rend une conclusion reconnaissant l’existence des faits décrits dans la plainte et le droit de la victime à être indemnisée. Elle n’a pas compétence en revanche pour ouvrir une action judiciaire. Sur la base de ces conclusions, des condamnations peuvent être prononcées contre les auteurs d’actes de torture. Chaque fois qu’elle avait pu établir la réalité d’un acte de torture, l’instance d’arbitrage a considéré la pratique de la torture comme un élément déterminant du caractère arbitraire de la détention, même si toutes les autres circonstances étaient légales. En ce qui concerne l’impossibilité d’engager un recours contre les décisions de l’instance d’arbitrage, M. Amzazi explique que le choix de l’arbitrage présente plusieurs avantages, notamment celui de statuer en équité et en justice et celui de favoriser une procédure contradictoire, gratuite et offrant toutes les garanties de représentation. Il reconnaît toutefois que l’inconvénient majeur est que ses décisions ne sont pas susceptibles de recours, les victimes devant signer une attestation par laquelle elles donnent compétence à l’instance d’arbitrage et acceptent de ne pas engager de recours contre les décisions de l’instance. Un certain nombre de personnes peuvent être fondées à interjeter appel: celles qui n’ont pas présenté leur demande à cause de cette modalité et celles auxquelles l’instance a refusé l’indemnisation, soit parce que leur détention n’était pas motivée par l’exercice d’une activité politique ou d’un droit fondamental reconnu par la Constitution et les instruments internationaux, soit parce que leur demande dépassait la compétence de l’instance. En revanche, s’agissant des personnes ayant reçu une indemnisation, il a été légitimement considéré que vu qu’il est impossible de couvrir les souffrances endurées, il n’y avait pas lieu de soumettre l’évaluation de leur indemnisation à des recours successifs. À ce jour l’instance d’arbitrage s’est prononcée sur environ 5 400 demandes et a indemnisé environ 4 500 personnes. Un millier de demandes non fondées ont été rejetées pour divers motifs. Le Maroc est désormais engagé dans une autre étape du même processus et une nouvelle instance dite pour «l’équité et la réconciliation» a été chargée de poursuivre le travail d’établissement de la vérité, de réhabilitation, de réinsertion dans la société et d’indemnisation des victimes de violations des droits de l’homme non encore indemnisées.

19.En ce qui concerne la compétence universelle des tribunaux dans les cas de torture, le Code de procédure pénale ne contient aucune disposition expresse donnant compétence à une autorité de police ou de justice pour donner suite à une action ou à une plainte portée contre un étranger ayant commis une infraction à l’étranger, quelle qu’en soit la nature, sauf peut-être les dispositions de l’article 751 relatif aux actes délictueux commis par un étranger à l’étranger contre l’ordre public marocain (par exemple atteinte à la sûreté de l’État, contrefaçon de monnaie ayant cours légal au Maroc). La jurisprudence peut évoluer et il y a place pour une interprétation moins stricte des règles de compétence devant les juridictions marocaines, le but étant toujours d’assurer le respect de la dignité humaine.

20.M. CAMARA (Rapporteur pour le Maroc) remercie la délégation marocaine de la clarté et de la franchise de ses réponses. Il souhaite revenir sur une seule question qui lui paraît fondamentale, le fonctionnement de l’instance d’arbitrage. Force est de constater que malgré toute sa bonne volonté l’instance d’arbitrage a créé parfois des situations regrettables. S’il est louable de vouloir dédommager les victimes de torture, il est impossible de réparer certains crimes, comme l’a relevé à juste titre la délégation marocaine; c’est pourquoi la communauté internationale met l’accent sur la nécessité d’éviter l’impunité. Il est infiniment pénible pour une victime de torture de rencontrer son tortionnaire; or c’est malheureusement à ce genre de situation que la mise en place de l’instance d’arbitrage a abouti. D’une manière plus concrète, M. Camara demande si les faits pour lesquels cette instance d’arbitrage a été créée sont susceptibles de prescription ou non. Il aimerait également savoir ce qu’il est advenu des victimes de torture qui n’ont pas accepté de renoncer à exercer leur droit de poursuites. Les autorités marocaines ont-elles procédé aux enquêtes qui s’imposent et, dans l’affirmative, quels en sont les résultats?

21.Mme GAER (Corapporteur pour le Maroc) souhaite axer ses questions sur le problème des enquêtes et demande si des enquêtes ont été ordonnées sur les allégations de torture lors des incidents du 22 septembre 1999, de Smara et dans l’affaire Ben Barka. Elle voudrait aussi savoir si les recommandations formulées par le Rapporteur spécial sur la violence à l'égard des femmes ont été appliquées et souhaiterait des informations sur les centres de détention administrés par la Direction de la surveillance du territoire (DST).

22.M. RASMUSSEN demande ce qu’il est advenu du mineur de 17 ans détenu en 2002, victime de viols multiples en prison et si des enquêtes ont été ouvertes sur le comportement des gardiens.

23.M. MARIÑO MENÉNDEZ demande quel est le statut légal des personnes placées dans des centres de détention administrés par la DST car certains de ces centres lui semblent relever du contrôle des procureurs et juges. Par ailleurs, il voudrait savoir s’il est possible de consulter le registre d’entrée des prisonniers. Enfin, il voudrait savoir au bout de combien de temps la personne arrêtée en application de la loi antiterroriste en vigueur peut rencontrer un avocat.

24.Mme AYOUBI IDRISSI (Maroc) dit que son pays n’a pas reçu la visite du Rapporteur spécial sur la violence à l'égard des femmes et elle n’est donc pas en mesure d’apporter une réponse sur la suite donnée à des recommandations qui n’ont pas été formulées. Quant à la question sur les violences perpétrées sur un mineur de 17 ans, il s’agirait, d’après les renseignements du Ministère de la justice, non pas d’un mineur de 17 ans mais d’un jeune homme de 38 ans, né en 1965, du nom de Massaoud Abdelouab, condamné à une peine d’emprisonnement de 20 ans pour meurtre.

25.M. AMZAZI (Maroc) dit qu’il s’est peut-être mal exprimé au sujet de l’instance d’arbitrage. Le document que l’instance d’arbitrage demandait aux victimes de signer était simplement un document par lequel elles renonçaient à recourir contre la décision de l’instance d’arbitrage relative à l’indemnisation. Les règles de prescription normales s’appliquent effectivement à la détention arbitraire et à la disparition forcée et une révision des dispositions du Code pénal sur la définition de la torture et les règles de prescription serait souhaitable. L’instance d’arbitrage n’avait pas pour vocation d’enquêter sur les cas de torture et les conditions de détention, mais de fournir un espace d’expression libre et de déterminer l’indemnisation à accorder, sur la seule base de la catégorisation de la détention comme arbitraire.

26.Pour ce qui est des lieux de détention administrés par la Direction de la surveillance du territoire (DST), une réponse circonstanciée sur la question sera adressée par écrit pour éviter tout malentendu. Il faut préciser toutefois d’ores et déjà que la DST n’est pas un organe de police judiciaire mais un organe de renseignement. Le Maroc n’est pas le seul pays à disposer d’une DST, même si dans d’autres pays elle a d’autres appellations. N’étant pas habilitée à diligenter une enquête ou à procéder à une arrestation ou perquisition, la DST ne peut donc pas disposer de geôles.

27.Pour ce qui est de l’accès à un avocat, ni le Code de procédure pénale ni la loi antiterroriste ne donne un délai précis. Lorsque le Code de procédure pénale était en préparation, un délai de 30 heures avait été envisagé − la garde à vue étant de 48 heures. Mais un délicat problème juridique s’est alors posé concernant le statut de la personne en garde à vue à la trentième heure. Après maints débats, on s’est dirigé vers le principe d’un contact avec l’avocat autorisé dès la prorogation de la garde à vue, cette prorogation dénotant l’existence d’indices graves et concordants de culpabilité: le citoyen devient alors un prévenu, dont le nouveau statut juridique s’accompagne de garanties supplémentaires, au nombre desquelles l’assistance d’un défenseur. Le même principe a été appliqué dans le cas de la loi antiterroriste mais si l’un et l’autre texte donnent la possibilité au parquet de différer le contact entre l’avocat et son client, le Code de procédure pénale dispose que cette décision se prendra à la demande de l’officier de police chargé de l’enquête tandis qu’elle est à la discrétion du parquet dans la loi antiterroriste. Toutefois, les deux textes fixent un délai butoir de telle sorte qu’il existe une fourchette à l’intérieur de laquelle le parquet exerce son pouvoir de différer la rencontre avec l’avocat. À l’origine, cette disposition avec été rédigée pour un type précis d’infraction pour lequel la présentation de preuves d’innocence permettait le classement immédiat de l’affaire; elle a ensuite été étendue à tout le droit pénal.

28.Mme AYOUBI IDRISSI (Maroc) rappelle qu’il a été demandé si les personnes soupçonnées d’avoir perpétré des actes de torture lors des événements de Laayoune et de Smara avaient été poursuivies et quelle avait été l’issue de ces éventuelles poursuites: la délégation marocaine se renseignera auprès des départements concernés et communiquera ultérieurement une réponse au Comité.

29.Le PRÉSIDENT, se référant à une question posée par M. Camara, fait observer que la torture est un crime international au moins à deux titres: tout d’abord, lorsqu’elle est généralisée, structurelle, le droit international est clair: qu’elle soit systématique ou généralisée, la torture est un crime contre l’humanité pour lequel il ne saurait y avoir prescription, que les faits soient portés devant un tribunal international ou qu’un tribunal national s’en saisisse. D’autre part, la torture est un crime international en droit international coutumier, ainsi que l’attestent, quoique peut‑être de façon moins absolue, la pratique des États comme les dispositions de la Convention. C’est là un point qui mérite réflexion et que la délégation marocaine voudra peut‑être commenter lorsqu’elle présentera son prochain rapport. Le Président remercie cette délégation pour la qualité du dialogue qui vient d’avoir lieu et l’invite à revenir entendre les conclusions et recommandations du Comité à une prochaine séance.

30.M. HILALE (Maroc) remercie le Comité de l’intérêt qu’il porte à son pays et du dialogue fructueux, instructif et prometteur qui vient de se dérouler. Les observations du Comité seront fidèlement transmises aux autorités marocaines, qui considèrent la torture comme un crime abominable qu’elles sont résolues à combattre, ayant signé la Convention par choix et conviction. Pour la mise à niveau en cours de son arsenal juridique et judiciaire, pour les grandes réformes qu’il a engagées, le Maroc, pays jeune, a besoin de compréhension et demande qu’il soit tenu compte de sa culture, des événements qui l’ont frappé et d’un passé qu’il assume. Il voudrait être jugé non sur ce passé, mais sur ses engagements.

31. La délégation marocaine se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 17 h 5.

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