Nations Unies

CAT/C/66/D/771/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

11 juin 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 771/2016 * , **

Communication présentée par :

J.I. (représenté par les conseils Bart Stapert, Caroline Buisman et Devika Kamp)

Victime présumée:

Le requérant

État partie :

Pays-Bas

Date de la requête :

11 juillet 2016

Références :

Décision adoptée en application de l’article 115 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 septembre 2016 (non publiée sous la forme de document)

Date de la présente décision :

16 mai 2019

Objet :

Extradition des Pays-Bas vers le Rwanda

Question(s) de procédure :

Examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes ; requête insuffisamment étayée ; recevabilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Risque de torture et de mauvais traitements

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est J.I., de nationalité rwandaise, né le 14 décembre 1975. Il affirme que son extradition vers le Rwanda constituerait une violation par l’État partie des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 7 septembre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a informé le requérant qu’il avait rejeté sa demande de mesures provisoires, ce qui signifiait qu’il n’allait pas prier l’État partie de ne pas le renvoyer au Rwanda tant que sa requête serait à l’examen. Le requérant a été extradé vers le Rwanda le 12 novembre 2016.

1.3Le 21 mars 2017, en application du paragraphe 3 de l’article 115 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond. La demande de l’État partie tendant à ce qu’il soit mis fin à l’examen de la communication a été rejetée le même jour.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a quitté le Rwanda en avril 1994. Il est d’abord parti pour la République démocratique du Congo, où le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés lui a accordé le statut de réfugié. En 2003, il est parti avec sa femme aux Pays-Bas, où ils ont eu trois enfants. Il a vécu aux Pays-Bas avec sa famille de 2003 à 2016. Le 9 juillet 2013, il a été arrêté et placé en détention dans le cadre d’une enquête pénale néerlandaise portant sur sa possible participation au génocide rwandais. Le 23 septembre 2013, les autorités rwandaises ont demandé son extradition pour faits de génocide et sa détention a de ce fait été prolongée.

2.2Le requérant affirme avoir survécu à un massacre de réfugiés hutus perpétré en République démocratique du Congo par le Front patriotique rwandais. Il dit avoir évoqué ce massacre dans une interview pour un grand magazine néerlandais en mai 2015. Il affirme que le Gouvernement rwandais nie toute participation au massacre et que les personnes qui témoignent de cet événement risquent de faire l’objet de disparition forcée ou d’être poursuivies pour « idéologie de génocide ». Le 4 avril 2014, il a porté plainte auprès du Procureur général de Kigali contre le Président du Rwanda et d’autres personnalités officielles pour leur rôle supposé dans les attaques perpétrées en République démocratique du Congo. Il affirme qu’il risque de ce fait d’être soumis à des mauvais traitements s’il retourne au Rwanda. Il dit aussi avoir pris part à des manifestations contre le Gouvernement rwandais quand il était aux Pays-Bas et avoir de plus soutenu activement des leaders de l’opposition au Rwanda.

2.3Le requérant ajoute qu’au cours d’une interview à la radio « Itahuka », qui est affiliée à un groupe d’opposition rwandais, il a accusé le Gouvernement de complicité dans les massacres perpétrés en République démocratique du Congo. Il affirme qu’il risque aussi d’être pris pour cible par le Gouvernement à cause de son histoire familiale. Sa mère était tutsi et son père hutu. Sa famille était donc tenue en suspicion par les deux communautés. Avant le génocide, son père était « conseiller » du principal parti politique rwandais, le Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement. Le Front patriotique rwandais avait cherché à s’adjoindre la coopération de son père dans les années ayant précédé le génocide, mais celui-ci avait refusé cette proposition et avait donc été considéré comme un traître. Ensuite, son père et son frère avaient disparu après avoir été arrêtés par le Front, respectivement en 1996 et 1997.

2.4Le 20 décembre 2013, le tribunal de district de La Haye a jugé que l’extradition du requérant était légitime au regard de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Il a conclu que le requérant n’avait pas suffisamment étayé l’allégation selon laquelle il ferait l’objet d’une violation de l’article 6 (droit à un procès équitable) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) s’il était extradé vers le Rwanda. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême des Pays-Bas le 17 juin 2014.

2.5Le 29 avril 2015, le Ministre de la justice et de la sécurité a approuvé l’extradition du requérant, considérant qu’elle ne constituerait pas une violation de l’article 3 (interdiction de la torture) de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Ministre a fait valoir que le requérant, s’il était reconnu coupable, aurait droit à une amnistie et à une réadaptation, qu’il n’y avait pas de risque de torture dans les centres de détention et que les centres de détention se conformaient aux normes internationales. Quant à une éventuelle violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, le Ministre a relevé que les autorités rwandaises avaient confirmé, dans une lettre du 18 novembre 2014, que le requérant avait le droit d’être représenté par un conseil étranger, que l’État rwandais prendrait en charge le coût de cette représentation et que l’ambassade des Pays‑Bas pourrait surveiller le procès du requérant et rendre publiques toutes les informations à ce sujet. Enfin, le Ministre a fait observer qu’il n’y avait pas de lien entre les critiques politiques que le requérant aurait formulées contre le Gouvernement rwandais et les chefs d’accusation portés contre lui. Il a relevé que des poursuites à l’égard du requérant étaient déjà engagées lorsque celui-ci avait porté plainte contre le Président du Rwanda.

2.6Le requérant a contesté la décision du Ministre de la justice et de la sécurité devant le tribunal de district de La Haye. Le 27 novembre 2015, le tribunal a conclu que les assurances des autorités rwandaises concernant la régularité de la procédure ne garantissaient pas de facto que le requérant bénéficierait d’un procès équitable étant donné que les avocats de la défense au Rwanda ne remplissaient pas correctement leurs fonctions et ne disposaient pas de financements suffisants pour mener des enquêtes efficaces. Le 5 juillet 2016, la cour d’appel de La Haye a annulé le jugement du tribunal de district. Elle a estimé que l’argument du requérant selon lequel la défense aurait été déficiente dans des procès similaires au titre de la Loi organique no 11/2007 du 16 mars 2007, relative au renvoi d’affaires à la République du Rwanda par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda et par d’autres États (loi relative au renvoi d’affaires) n’établissait pas de violation telle que les droits qu’il tient de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme seraient vidés de leur substance. Elle a ajouté que bon nombre des insuffisances dénoncées avaient été réglées, que le requérant n’avait pas montré que les violations des droits de l’homme au Rwanda et les irrégularités de la procédure judiciaire lors du procès d’opposants politiques s’appliquaient à son cas, qu’il serait jugé pour des chefs d’accusation liés non pas à des infractions politiques mais au génocide et que son extradition ne constituerait pas une violation des droits qui lui sont garantis à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme qu’il risque d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements à son retour au Rwanda à cause de son affiliation à des groupes d’opposition au Rwanda, de la plainte qu’il a formée contre de hauts responsables rwandais et de son histoire familiale. Il affirme que les garanties prévues par la loi relative au renvoi d’affaires ne seront pas respectées et que, le pouvoir judiciaire n’étant pas indépendant, il sera forcément condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il fait en outre valoir que la protection dont il bénéficie au titre de ladite loi prendra fin au terme de son procès.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note du 27 octobre 2016, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la requête. Il a déclaré que la requête devrait être déclarée irrecevable car la même question avait déjà été examinée par une autre instance d’enquête internationale ; et tous les recours internes disponibles n’avaient pas été épuisés conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, puisque le requérant ne s’était pas pourvu en cassation devant la Cour suprême.

4.2L’État partie relève que le requérant a soumis une demande de mesures provisoires à la Cour européenne des droits de l’homme le 5 juillet 2016 concernant les mêmes parties et les mêmes droits fondamentaux que ceux faisant l’objet de la requête dont il a saisi le Comité. Il note que cette demande a été rejetée par la Cour le 8 juillet 2016 et que la requête a été déclarée irrecevable au regard des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme le même jour. L’État partie fait valoir que, bien que la Cour n’ait pas précisé le motif exact pour lequel la requête avait été jugée irrecevable, ce n’avait pu être pour des raisons purement formelles, telles que l’expiration du délai de six mois fixé pour l’introduction d’une requête. Si la Cour a jugé la requête irrecevable, c’est qu’elle a considéré : a) que les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées ; b) que le requérant n’était pas victime d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme ; c) que la requête était incompatible avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, manifestement mal fondée ou abusive ; ou d) que le requérant n’avait pas subi un préjudice important. L’État partie fait valoir que ces motifs supposent un certain examen au fond, d’où l’irrecevabilité de la requête devant le Comité au regard du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention contre la torture.

4.3Le 23 janvier 2017, l’État partie a demandé à ce qu’il soit mis fin à l’examen de la requête ou bien à ce que celle-ci soit déclarée irrecevable au motif que les griefs n’étaient pas étayés. L’État partie fait observer que le requérant a été extradé vers le Rwanda le 12 novembre 2016 et que sa détention est depuis lors surveillée par la Commission internationale de juristes. Il ajoute que, le 6 décembre 2016, des membres de l’ambassade des Pays-Bas ont rendu visite au requérant en détention. Au cours de cette visite, le requérant a confirmé que les autorités rwandaises l’avaient traité correctement et avaient facilité les visites de membres de sa famille ainsi que l’accès à un conseil et la surveillance de la Commission internationale de juristes. Le requérant a en outre confirmé que sa crainte initiale d’être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements s’était avérée injustifiée. Pour cette raison, l’État partie a demandé au Comité de mettre fin à l’examen de la requête ou bien de la déclarer irrecevable pour défaut de fondement des griefs.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 12 janvier 2017, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication. Il y fait valoir que la requête qu’il avait introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme ne portait que sur l’adoption de mesures provisoires et ne comportait pas de demande d’examen au fond. Il fait observer que le 8 juillet 2016, la Cour a rejeté sa demande de mesures provisoires en deux phrases : « la Cour (le juge de permanence) a décidé de ne pas indiquer au Gouvernement néerlandais, en vertu de l’article 39 de son règlement, la mesure provisoire sollicitée. Elle n’empêchera donc pas le renvoi du requérant ». Dans les trois paragraphes suivants, la Cour déclarait la requête irrecevable. Elle ne précisait pas les motifs sur lesquels se fondait ce rejet. Elle indiquait seulement que les conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies. Le requérant fait valoir que, la Cour n’ayant pas donné de véritable explication, il est possible que le rejet de sa requête ait été fondé sur des motifs procéduraux.

5.2Quant à l’argument de l’État partie selon lequel la requête devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, le requérant fait valoir qu’il n’était pas tenu de se pourvoir en cassation auprès de la Cour suprême pour épuiser tous les recours internes disponibles puisqu’un tel pourvoi n’a pas d’effet suspensif. Au moment où il a saisi le Comité, son extradition était imminente. Même si le pourvoi avait été accueilli, l’extradition aurait déjà eu lieu au moment où la Cour suprême aurait rendu sa décision.

5.3Le 24 février 2017, le requérant a fait part de ses commentaires sur la demande de l’État partie tendant à ce qu’il soit mis fin à l’examen de la communication et a soumis d’autres observations sur la recevabilité. Le requérant souligne que les craintes qu’il éprouve quant à sa sécurité dans le système judiciaire rwandais et dans le centre de détention sont loin d’être dissipées. Il fait observer que s’il est exact qu’il a été jusqu’à présent correctement traité, la situation au Rwanda demeure imprévisible. Il ajoute qu’il n’a jamais craint d’être soumis à des traitements inhumains dès son arrivée. Les autorités rwandaises n’ignorent pas que les autorités néerlandaises suivent le déroulement de la procédure. Il s’inquiète en revanche de ce qui se passera lorsque sa détention ou son emprisonnement ne feront plus l’objet d’une telle surveillance. Il affirme que le risque d’être soumis à des traitements inhumains à un stade ultérieur, une fois la condamnation prononcée, est tout aussi réel qu’il l’était avant son extradition. Il prétend que rien ne garantit que des suspects de génocide jugés au titre de la loi relative au renvoi d’affaires puissent échapper aux mauvais traitements pour lesquels les prisons rwandaises sont tristement célèbres.

5.4Le requérant affirme que ses droits risquent déjà d’être violés. Il fait observer que l’accord de suivi manque de clarté car il ne précise pas quels aspects de la procédure seront surveillés et selon quelle fréquence, à qui seront adressés les rapports établis et quelles conséquences pourraient emporter ces rapports. Il explique qu’il s’est vu proposer l’assistance d’un conseil dès son arrivée, mais celui-ci a voulu l’obliger à plaider coupable et il a eu beaucoup de mal à le faire remplacer. Il ajoute que les éléments de preuve disponibles sont insuffisants pour ouvrir un procès et qu’il est donc loin d’être évident que la procédure le concernant se déroule équitablement.

5.5Le requérant confirme qu’il a eu le droit de recevoir des visites et de passer des appels téléphoniques à sa famille aux Pays-Bas. Toutefois, il a récemment été transféré de la prison centrale de Kigali à la prison de Mpanga, située loin de Kigali. D’autres personnes soupçonnées de génocide ont été transférés dans cette prison, mais seulement après avoir été reconnues coupables. Depuis ce transfert, le requérant a beaucoup moins de contacts avec le monde extérieur. Les appels téléphoniques et les visites sont beaucoup plus difficiles du fait de l’éloignement, qui complique aussi le suivi de sa situation. Le requérant affirme donc que s’il n’a été soumis, pour le moment, à aucun traitement inhumain ou dégradant, le risque qu’il le soit à l’avenir persiste, compte tenu en particulier de l’imprévisibilité du comportement des autorités rwandaises.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans une note du 21 juillet 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la requête et d’observations complémentaires sur la recevabilité. Il y indique que, le 9 juillet 2013, le requérant a été arrêté et placé en détention dans le cadre d’une enquête des autorités néerlandaises portant sur sa participation au génocide rwandais. Par une lettre du 25 septembre 2013, le Ministère des affaires étrangères du Rwanda a demandé l’extradition du requérant. Ce dernier était soupçonné d’avoir commis des faits de génocide, de complicité de génocide, d’entente en vue de commettre un génocide, de meurtre constitutif de crime contre l’humanité et de crime de guerre pendant la période allant du 7 avril au 14 juillet 1994.

6.2Le 20 décembre 2013, la chambre du tribunal de district de La Haye chargée des affaires d’extradition a considéré qu’il y avait lieu d’autoriser l’extradition au regard des accusations de génocide et de tentative de génocide. Le requérant s’est pourvu en cassation contre le jugement du tribunal de district, pourvoi que la Cour suprême a rejeté le 17 juin 2014. Par une décision du 29 avril 2015, le Ministre de la justice et de la sécurité a refusé l’extradition pour certains chefs et l’a autorisée pour tous les autres, conformément au jugement du tribunal de district. Le requérant a alors intenté une action contre l’État devant le tribunal de district de La Haye en vue d’obtenir une décision interdisant son extradition vers le Rwanda. Le 27 novembre 2015, le tribunal a interdit l’extradition du requérant, considérant qu’il y avait de bonnes raisons de penser que cette extradition entraînerait une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’État a fait appel de ce jugement devant la cour d’appel de La Haye. Le 5 juillet 2016, la cour d’appel a annulé le jugement du tribunal de district au motif que le requérant ne serait pas exposé à un risque réel de traitement contraire aux articles 2, 3, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme s’il était extradé vers le Rwanda.

6.3Le requérant a été extradé le 12 novembre 2016. Le 6 décembre 2016, deux membres du personnel de l’ambassade des Pays-Bas au Rwanda lui ont rendu visite à la prison centrale de Kigali. Il est ressorti de l’entretien qu’ils ont eu avec le requérant que les autorités rwandaises le traitaient correctement, qu’il était autorisé à recevoir des visites de sa famille, qu’il avait accès à des avocats et que la Commission internationale de juristes suivait la procédure dont il faisait l’objet. Le requérant a déclaré au cours de cet entretien qu’il avait craint d’être torturé au Rwanda mais que, heureusement, ces craintes n’étaient plus d’actualité. Le 29 mars 2017, le rapport établi par la Commission internationale de juristes sur le suivi qu’elle avait assuré en novembre et décembre 2016 a été remis au Parlement et publié sur le site Web du Gouvernement, en même temps que l’accord de suivi. La principale conclusion à tirer de ce premier rapport était que les autorités rwandaises respectaient les garanties en matière de procédure énoncées dans l’accord de suivi. Le 23 mai 2017, le rapport de la Commission portant sur janvier et février 2017 a été diffusé sur le site Web du Gouvernement. Il confirme la conclusion du premier rapport.

6.4L’État partie réaffirme que la requête devrait être déclarée irrecevable au motif que les griefs soulevés ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Renvoyant aux deux rapports de la Commission internationale de juristes sur le suivi assuré entre novembre 2016 et février 2017 ainsi qu’au compte rendu de la visite du personnel de l’ambassade des Pays-Bas, il fait valoir que ces rapports et ce compte rendu montrent que les autorités rwandaises traitent correctement le requérant et que la crainte que celui-ci avait d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains s’est révélée infondée. Il a en outre été considéré que le quartier pénitentiaire spécial où le requérant était détenu était propre et bien organisé. Le requérant a lui-même informé la Commission internationale de juristes qu’il n’avait « pas de problème » avec les conditions de détention et que « tout allait bien » concernant son droit à des visites et ses conditions de vie dans l’établissement. L’État partie soutient que, ne serait-ce que pour cette raison, la requête devrait être déclarée manifestement dénuée de fondement au regard de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité.

6.5Pour ce qui est du fond de la requête, l’État partie soutient que les personnes soupçonnées d’infractions graves devraient, dans la mesure du possible, être poursuivies et jugées dans le pays où ces infractions ont été commises, c’est-à-dire là où les effets sur l’ordre juridique seront les plus importants et là où se trouvent les éléments de preuve. Les victimes, leurs proches qui ont survécu, les témoins et leurs compatriotes doivent pouvoir voir de leurs propres yeux que justice est faite et comment elle l’est. Les articles VI et VII de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide énoncent clairement qu’il importe de juger les affaires dans le pays où les infractions ont été commises et de faire droit aux demandes d’extradition à cette fin. L’État partie explique que, compte tenu de la nécessité d’examiner de manière approfondie les demandes d’extradition et d’agir avec la diligence voulue pour accorder l’extradition, plusieurs garanties ont été prévues dans le cadre de la procédure nationale d’extradition. La décision du Ministre de la justice et de la sécurité d’accorder l’extradition est soumise à un examen objectif de la chambre d’extradition du tribunal de district de La Haye. Ce double examen des demandes d’extradition, qui permet une évaluation approfondie et objective des demandes, constitue une garantie importante en matière d’extradition. Le droit de se pourvoir en cassation contre les décisions de la chambre du tribunal chargée des affaires d’extradition renforce encore les garanties offertes par la procédure. De plus, il est possible d’engager une action civile aux fins de l’évaluation du caractère raisonnable de la décision du Ministre d’accorder l’extradition.

6.6L’État partie affirme que les rapports sur le Rwanda montrent que la situation des droits de l’homme s’est globalement améliorée dans le pays au cours des cinq dernières années. Il fait observer en outre que, selon les organisations non gouvernementales, les principaux problèmes constatés entre 2011 et 2016 dans ce domaine étaient le harcèlement et l’arrestation de journalistes, d’opposants politiques et de défenseurs des droits de l’homme et les mauvais traitements infligés à ces personnes. La plupart des problèmes relatifs aux droits de l’homme concernaient les droits civils et politiques ; la liberté d’expression, en particulier, était limitée, et il n’était guère possible de critiquer le Gouvernement.

6.7L’État partie fait valoir qu’il ressort des rapports sur le Rwanda que les personnes reconnues coupables de génocide ne sont pas traitées différemment des autres. Dans certains cas, comme elles craignaient de rentrer dans leur village après leur libération, elles ont reçu une assistance de la part des pouvoirs publics. Le Gouvernement rwandais veille à prévenir les représailles, et peu d’actes de ce type ont été recensés. D’après les rapports sur le pays, la situation dans les prisons rwandaises s’est globalement améliorée. Le système pénitentiaire a été conçu pour accueillir 54 700 détenus. Si la population carcérale s’élevait à 55 618 personnes à la fin 2012, elle est retombée à environ 54 000 en 2015. Selon le Service pénitentiaire du Rwanda, toutes les prisons sont équipées de dortoirs, de toilettes, d’installations sportives, d’une infirmerie, d’un parloir et d’une cuisine et sont raccordées aux réseaux d’eau et d’électricité. Un régime spécial s’applique aux personnes qui, comme le requérant, sont détenues en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires. Pendant leur procès, les personnes accusées de génocide qui ont été extradées d’un pays étranger sont placées dans un quartier de haute sécurité confortable de la prison centrale de Kigali, qui leur est réservé. En juillet 2015, ce quartier accueillait cinq détenus. Ceux-ci peuvent notamment regarder la télévision et utiliser un ordinateur. Ils disposent en outre de leur propre cuisine. S’ils sont reconnus coupables, ils sont transférés à la prison de Mpanga, où les conditions sont conformes aux normes internationales, en raison notamment des prescriptions de la loi relative au renvoi d’affaires. Huit personnes inculpées par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone sont détenues dans une aile de la prison de Mpanga spécialement construite à cet effet, où se trouve également une personne extradée par la Norvège qui a été condamnée en première instance à une peine de trente ans d’emprisonnement. Ce détenu dispose d’une cellule spacieuse et confortable équipée d’une salle d’eau.

6.8L’État partie renvoie à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Ahorugeze c. Suède, dans laquelle la Cour a conclu que l’extradition vers le Rwanda d’une personne soupçonnée de génocide ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a constaté que les autorités avaient donné l’assurance que l’intéressé serait détenu et purgerait sa peine éventuelle dans la prison de Mpanga et que, pendant son procès, il serait détenu temporairement à la prison centrale de Kigali. Elle a considéré que ces deux établissements satisfaisaient aux normes internationales et que rien n’indiquait en l’espèce que l’intéressé risquerait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements dans la prison de Mpanga ou la prison centrale de Kigali.

6.9L’État partie soutient qu’en dépit des préoccupations liées la situation des droits de l’homme au Rwanda, rien ne permet de conclure qu’une extradition vers le Rwanda comporterait en soi un risque de violation de l’article 3 de la Convention, ou que toute personne soupçonnée de génocide extradée vers le Rwanda serait personnellement exposée à un risque réel et prévisible de traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

6.10L’État partie fait valoir que les griefs du requérant concernant le risque auquel il serait exposé s’il était extradé ne sont plus d’actualité et que cette circonstance permet à elle seule de conclure qu’il ne risque pas d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il affirme en outre que les griefs soulevés par le requérant quant à l’équité de son procès, concernant notamment l’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire et le non‑respect de la présomption d’innocence, ne relèvent pas de l’article 3 de la Convention et que ses autres griefs ne sont pas plausibles compte tenu des circonstances particulières de l’espèce. Il fait observer qu’il ne voit pas bien en quoi l’histoire familiale du requérant ferait de lui un opposant politique aux yeux des autorités rwandaises. Selon lui, le fait que le père du requérant a été qualifié de traître ne permet pas non plus de présumer que les autorités rwandaises considéreront le requérant comme un opposant politique. Ce grief repose donc sur de simples conjectures. Comme il est très important pour le Rwanda de poursuivre et de juger les personnes soupçonnées de génocide, le pays a tout intérêt à respecter les garanties convenues. Les autorités rwandaises se sont ainsi montrées désireuses d’accorder des garanties étendues et d’autoriser une surveillance approfondie et elles ont respecté tous les accords conclus depuis l’extradition du requérant. Même si elles attachaient aux convictions politiques du requérant un poids tel qu’elles le considéreraient comme un opposant politique, il est fort peu probable qu’elles en viennent à le torturer ou à le maltraiter étant donné l’importance que le Gouvernement attache à la nécessité de poursuivre et de juger les auteurs d’infractions et donc de les traiter correctement. L’État partie soutient qu’il n’y a pas assez d’indications concrètes pour étayer de telles affirmations.

6.11L’État partie affirme que la déclaration du requérant selon laquelle il risquerait d’être torturé ou maltraité une fois que son procès et le suivi dont il fait l’objet auront pris fin relève de la pure conjecture. Le suivi est assuré à plusieurs niveaux. Outre la surveillance formelle exercée par la Commission internationale de juristes, le Comité international de la Croix-Rouge ou un observateur désigné par le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux peuvent, conformément à la loi relative au renvoi d’affaires, surveiller la situation du requérant. Il est donc fort peu probable que la communauté internationale cesse d’exercer un suivi. L’État partie soutient d’autre part que la situation du requérant n’est pas comparable à celle des autres détenus. La loi relative au renvoi d’affaires s’applique pendant la durée du procès du requérant et des garanties substantielles ont été convenues avec le Gouvernement rwandais. Selon l’article 23 de cette loi, les conditions de détention de toute personne dont l’affaire a été transférée au Rwanda […] seront conformes aux conditions minimales de détention prévues dans l’Ensemble de principes pour laprotection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement. La détention des personnes relevant de la loi relative au renvoi d’affaires n’est donc pas comparable à celle des autres suspects. Dans l’affaire Jean Uwinkindi v. the Prosecutor, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a noté que la loi relative au renvoi d’affaires garantissait que les conditions de détention de toute personne transférée seraient conformes aux normes minimales relatives à la détention adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies. Les autorités rwandaises ont indiqué que la prison de Mpanga avait été désignée comme lieu de détention principal et que le requérant serait temporairement détenu à la prison centrale de Kigali. S’il était nécessaire de le transférer dans une autre prison, ce serait dans un établissement satisfaisant lui aussi aux normes applicables. Le suivi assuré jusqu’à maintenant montre que les autorités rwandaises respectent ces engagements.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans une note du 9 juillet 2018, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il maintient que la communication est recevable. Il prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la requête devrait être déclarée irrecevable au motif qu’il n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité, les autorités rwandaises l’ayant traité conformément aux accords conclus avec les autorités néerlandaises, mais il conteste cette appréciation. Il fait observer qu’il était censé bénéficier d’un système d’aide juridictionnelle assorti d’un budget aux fins de l’enquête ; or ces ressources n’ont pas encore été mises à sa disposition. En outre, il n’a pas été autorisé à entrer en contact son avocat étranger. Le requérant admet qu’il n’a pour l’instant pas été soumis à des tortures physiques ou à des traitements inhumains. Il affirme néanmoins que sa crainte de subir de tels traitements est légitime étant donné qu’il est considéré comme un opposant politique et que l’usage de la torture est généralisé au Rwanda.

7.2Le requérant prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la situation des droits de l’homme au Rwanda s’est améliorée ces dernières années. Il fait cependant valoir que de récents rapports sur les droits de l’homme brossent un tableau différent et qu’il est souvent arrivé que l’armée rwandaise détienne illégalement des personnes en détention et les torture en utilisant des méthodes telles que les passages à tabac, l’asphyxie, les simulacres d’exécution et les chocs électriques. Les plaintes pour torture dans ces circonstances n’ont pas donné lieu à des enquêtes et les éléments de preuve obtenus par la torture n’ont pas été écartés par les tribunaux. Le requérant fait en outre observer que le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a décidé le 20 octobre 2017 de reporter sa visite au Rwanda parce que le Gouvernement refusait de coopérer et limitait fortement son accès aux détenus. Il fait valoir que les rapports sur le pays montrent que la persécution de personnes perçues comme des opposants politiques au pouvoir en place demeure une réalité et qu’il court un risque réel et imminent d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants. Il affirme que si sa situation fait pour l’instant l’objet d’un certain suivi et contrôle, celle-ci changera lorsque ce suivi prendra fin.

7.3Le requérant fait observer que les rapports de suivi établis par la Commission internationale de juristes ont un caractère général et ne contiennent aucune analyse, conclusion ou recommandation le concernant. De plus, ces rapports paraissent irrégulièrement, parfois à intervalle de six mois. Ils donnent très peu de détails sur la manière dont il est traité, sur les personnes qui sont autorisées à lui rendre visite et sur la possibilité qu’il a d’envoyer et de recevoir du courrier. En outre, le système de surveillance fonctionne sans la moindre transparence et l’accord conclu entre le Ministère des affaires étrangères des Pays-Bas et la Commission internationale de juristes ne prévoit aucun calendrier ou plan de travail précis. Les rapports de suivi sont censés être une garantie contre d’éventuelles violations mais leur caractère général, ajouté à l’irrégularité de leur parution et à leur soumission souvent tardive, nuit à leur efficacité en tant que mesure de protection. Le requérant affirme que les mesures d’intimidation et les menaces des autorités rwandaises ont sérieusement entamé son moral. Il ajoute que les éléments de preuve produits contre lui par le parquet se fondent sur des propos rapportés et qu’il a été impossible de trouver des personnes qui acceptent de témoigner à décharge, celles-ci craignant de faire l’objet d’intimidations et de persécutions. Les avocats de la défense et les agents chargés de l’enquête sont eux aussi soumis à des pressions de la part des autorités, et ils sont donc très prudents dans le choix de leur ligne de défense.

Autres observations de l’État partie

8.1Dans une note du 10 octobre 2018, l’État partie a fait part de nouvelles observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il réaffirme que la requête devrait être déclarée irrecevable au motif que la Cour européenne des droits de l’homme s’est déjà prononcée sur la même affaire et que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles et n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité. Il répète également que, si le Comité déclarait la communication recevable, il devrait la considérer comme étant dénuée de fondement.

8.2En ce qui concerne sa position concernant l’irrecevabilité de la requête du fait que les griefs ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, l’État partie renvoie à ses observations en date du 27 juillet 2017. Il fait observer que la situation un an après montre que les autorités rwandaises continuent de respecter les garanties données et que les conditions carcérales sont bonnes. L’État partie fait valoir que les autorités rwandaises ont toujours traité correctement le requérant depuis son arrivée en novembre 2016 et qu’il n’y a donc pas de raison de penser qu’elles le traiteront différemment à l’avenir. Cette position est étayée par le fait que, dans les procédures visant d’autres personnes jugées pour génocide en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires, comme Jean Uwinkindi, aucun traitement contraire à l’article 3 de la Convention n’a été constaté. L’État partie affirme en outre que rien ne laisse supposer que le requérant risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention d’ici à la fin du procès ou au cours de l’exécution d’une éventuelle peine d’emprisonnement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard l’article 22 de la Convention. Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle une communication a été ou est actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement si l’examen par l’autre instance portait ou porte sur la même question au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, c’est-à-dire concernait ou concerne les mêmes parties, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels. Le Comité note que, le 8 juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, a déclaré la demande du requérant irrecevable au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme n’étaient pas remplies, sans expliquer les raisons précises qui l’avaient conduite à une telle conclusion. Il observe que la requête soumise à la Cour portait apparemment sur les mêmes faits que ceux faisant l’objet de la présente communication. Il note toutefois que dans sa décision la Cour n’expose pas les raisons pour lesquelles elle a conclu à l’irrecevabilité, ce qui ne permet pas déterminer dans quelle mesure elle a examiné la requête, notamment si elle a procédé à une analyse approfondie des éléments liés au fond de l’affaire. Le Comité considère donc qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention d’examiner la communication.

9.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note à cet égard que, selon l’État partie, la requête devrait être déclarée irrecevable parce que le requérant n’a pas formé de pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême contre la décision de la cour d’appel de La Haye du 5 juillet 2016. Il prend note toutefois de l’observation du requérant selon lequel un pourvoi en cassation n’aurait pas constitué un recours utile dans son cas puisqu’il n’aurait pas eu d’effet suspensif et n’aurait pas empêché son extradition. Le Comité constate que l’État partie n’a ni réfuté cette observation ni fourni d’information donnant à penser qu’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême aurait eu un effet suspensif en l’espèce ou que le requérant aurait pu demander une mesure provisoire pour empêcher son extradition en attendant l’issue du pourvoi. Il conclut donc qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention d’examiner la communication.

9.3Le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il ne bénéficiera pas d’un procès équitable au Rwanda. Il observe que le fait qu’un requérant puisse être jugé dans le cadre d’un système judiciaire qui ne garantit pas le droit à un procès équitable peut être indicatif d’un risque de torture que les autorités d’un État partie doivent prendre en compte dans leurs décisions d’expulsion du territoire. En l’espèce, il constate que les autorités de l’État partie ont examiné les griefs formulés par le requérant à cet égard et ont conclu que l’intéressé ne risquait pas de ne pas bénéficier du droit à un procès équitable au Rwanda. Il constate également que le requérant n’a pas fourni d’informations précises supplémentaires donnant à penser qu’il risquerait d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 en cas d’extradition vers le Rwanda. En conséquence, le Comité conclu que cette partie de la requête est irrecevable faute d’être suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

9.4Le Comité prend note du grief du requérant qui affirme que son extradition vers le Rwanda l’exposerait au risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il considère que le requérant a suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité. Ne voyant pas d’autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare cette partie de la communication recevable au regard de l’article 3 de la Convention et procède à son examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2Conformément à l’article 3 de la Convention, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture en cas de renvoi au Rwanda. Le Comité fait observer d’emblée que dans les cas où une personne a été expulsée alors que sa requête était à l’examen, il évalue ce que l’État partie savait ou aurait dû savoir au moment de l’expulsion. Les informations obtenues après le renvoi ne sont pertinentes que pour apprécier ce que savait l’État partie, ou ce qu’il aurait pu déduire, concernant le risque de torture au moment de l’expulsion du requérant.

10.3Pour déterminer s’il existait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture à son retour au Rwanda, le Comité doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans le pays de renvoi. Le Comité rappelle que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

10.4Le Comité renvoie à son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 (par. 11), dans laquelle il précise que l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Il rappelle que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ».

10.5Le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture (ibid., par. 38). Le Comité accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais il n’est pas tenu par ces constatations. Il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (ibid., par. 50).

10.6Le Comité note que le requérant affirme qu’il risque d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements au Rwanda parce qu’il sera considéré par les autorités rwandaises comme un opposant politique à cause de son engagement dans l’opposition rwandaise aux Pays-Bas et de son histoire familiale. Il prend note des griefs du requérant dénonçant l’insuffisance, en tant que mesure de protection, des garanties prévues par la loi relative au renvoi d’affaires. Il prend note également de l’argument de l’État partie faisant valoir que le requérant a été extradé vers le Rwanda en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires et que ses conditions de détention seront donc conformes aux normes internationales, de même que la prison dans laquelle il accomplira sa peine s’il est reconnu coupable. Il prend aussi note de l’argument de l’État partie faisant valoir que le requérant n’a pas étayé le grief selon lequel les autorités rwandaises le considéreraient comme un opposant politique. Il prend note en outre de l’argument de l’État partie jugeant purement conjecturale l’affirmation du requérant selon laquelle il risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention une fois son procès terminé.

10.7Le Comité constate que les affirmations du requérant concernant le risque de torture ou de mauvais traitements auquel il serait exposé s’il était extradé ont été examinées par les autorités de l’État partie avant l’extradition. Il constate également que le requérant a été extradé en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires, qui dispose que les conditions de détention de toute personne dont l’affaire a été transférée au Rwanda seront conformes aux normes internationales minimales relatives à la détention. Il note que le requérant a été détenu dans la prison de Mpanga et la prison centrale de Kigali, deux établissements dont il a été jugé qu’ils respectaient les normes internationales minimales relatives à la détention. Il note aussi que le requérant a été extradé dans le cadre d’un accord de suivi et que sa détention fait l’objet d’une surveillance régulière par la Commission internationale de juristes. Il relève en outre que les griefs du requérant reposent essentiellement sur l’hypothèse selon laquelle, ayant été extradé pour répondre d’accusation de génocide, il risquerait automatiquement d’être torturé à son retour au Rwanda. Or les informations communiquées par le requérant ne contiennent aucune référence précise à des allégations de torture concernant des Rwandais renvoyés dans leur pays pour y être jugés pour des actes de génocide en application de la loi relative au renvoi d’affaires. Le Comité constate que le requérant n’a fourni aucun renseignement ni élément de preuve concret indiquant qu’il serait exposé personnellement à un risque réel et prévisible de torture s’il était extradé vers le Rwanda, en violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité conclut par conséquent que l’extradition du requérant vers le Rwanda ne l’exposerait pas à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

11.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant au Rwanda par l’État partie ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.