Nations Unies

CERD/C/ETH/CO/7-16

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

8 septembre 2009

Français

Original: anglais

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Soixante-quinzième session

3-28 août 2009

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Éthiopie

1.Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a examiné les septième à seizième rapports périodiques de l’Éthiopie (CERD/C/ETH/7-16), soumis en un seul document, à ses 1958e et 1959e séances (CERD/C/SR.1958 et CERD/C/SR.1959), tenues les 19 et 20 août 2009. À sa 1969e séance (CERD/C/SR.1969), tenue le 27 août 2009, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation des septième à seizième rapports périodiques de l’État partie. Vu la longue période écoulée depuis la soumission de son sixième rapport (CERD/C/156/Add.3) en 1988, le Comité encourage l’État partie à faire en sorte qu’à l’avenir ses rapports périodiques soient présentés dans les délais.

3.Le Comité note avec satisfaction les efforts faits par l’État partie pour se conformer aux directives du Comité pour l’établissement des rapports. Il regrette, toutefois, que le rapport présenté ne contienne pas suffisamment d’informations sur l’application concrète de la Convention, que les réponses apportées par écrit à la liste des points à traiter établie par le rapporteur du Comité n’ont été soumises que le jour de l’examen du rapport et qu’elles ne traitent pas pleinement de toutes les questions soulevées.

B.Facteurs et difficultés entravant l’application de la Convention

4.Le Comité note que l’État partie a eu à faire face à plusieurs problèmes ces dernières années, notamment à de graves difficultés économiques, à la famine, à des troubles intérieurs et à des conflits avec les pays voisins qui ont entraîné des flux massifs de personnes déplacées et de réfugiés.

C.Aspects positifs

5.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie continue d’accueillir un grand nombre de réfugiés originaires de pays de la région, dont le Soudan, le Kenya et la Somalie.

6.Le Comité prend acte avec satisfaction de la Constitution de 1994, qui traduit l’importance accordée dans l’ordre juridique interne à l’interdiction de la discrimination raciale, y compris en temps de crise nationale.

7.Le Comité prend acte avec satisfaction de la reconnaissance dans la Constitution du fait que chaque nation, nationalité et peuple d’Éthiopie a le droit de parler et de développer sa propre langue, ainsi que des politiques visant à promouvoir les différentes langues du pays au niveau national.

8.Le Comité se félicite de la reconnaissance des droits des personnes vulnérables, en particulier des femmes et des enfants, et de leur protection explicite par la Constitution.

9.Le Comité note avec satisfaction l’attribution de sièges au Parlement aux groupes minoritaires, ainsi que la reconnaissance de ces groupes dans la Constitution.

10.Le Comité prend acte de la déclaration de l’État partie selon laquelle la Convention est directement applicable dans les tribunaux.

D.Sujets de préoccupation et recommandations

11.Tout en prenant acte de l’article 25 de la Constitution de l’État partie, qui consacre l’égalité de toutes les personnes devant la loi et leur droit, sans distinction aucune, à une égale protection de la loi, le Comité note que la législation de l’État partie n’est pas entièrement conforme à la Convention (art. 1er, 2 et 4).

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter des lois spécifiques sur la discrimination raciale qui donnent effet aux dispositions de la Convention, y compris une définition légale de la discrimination raciale conforme à celle qui figure à l’article premier de la Convention. À cet égard, il invite instamment l’État partie à tenir compte de sa recommandation générale n o VII (1985) sur la législation pour éliminer la discrimination raciale, ainsi que de sa recommandation générale n o  XV (1993) concernant l’article 4 de la Convention.

12.Le Comité se félicite de l’information fournie par l’État partie selon laquelle l’application des lois religieuses et coutumières de certains groupes ethniques est sujette au consentement des personnes ou des groupes concernés. Il note cependant que l’État partie n’a pas fourni les informations voulues sur les mesures prises pour faire en sorte que l’application de ces lois n’entraîne pas une discrimination raciale de facto contre les membres de certains groupes ethniques. À cet égard, le Comité est préoccupé par la vulnérabilité particulière des femmes dans certains contextes, notamment en ce qui concerne leur aptitude à choisir librement le régime juridique qu’elles préfèrent dans le cadre d’une procédure judiciaire (art. 2).

Le Comité invite instamment l’État partie à faire en sorte que tous ses citoyens, et en particulier les personnes marginalisées et vulnérables telles que les femmes qui vivent dans des sociétés traditionnelles, soient en mesure d’exercer leur droit de choisir librement le système juridique devant régir leurs affaires personnelles. Il invite l’État partie à lui fournir, dans son prochain rapport périodique, des renseignements sur le statut des lois religieuses et coutumières et les mesures prises pour garantir que les personnes auxquelles de tels systèmes juridiques peuvent être appliqués soient en mesure d’exercer leur droit de choisir librement d’y être soumis ou non.

13.Le Comité note que les partis politiques du pays sont dans une large mesure structurés en fonction de l’appartenance ethnique. Il craint que, dans les circonstances particulières de l’État partie, de tels arrangements ne soient de nature à contribuer à une exacerbation des tensions ethniques.

Le Comité recommande à l’État partie d’encourager l’émergence d’organisations, y compris de partis politiques, intégrationnistes, multiraciaux, en accord avec les dispositions du paragraphe 1 e) de l’article 2 de la Convention.

14.Reconnaissant le rôle joué par la société civile dans la lutte contre la discrimination raciale, le Comité redoute que l’arrêté sur les organismes de bienfaisance et sociétés (2009) n’entrave dans une large mesure la liberté d’association étant donné: a) que les organismes de bienfaisance créés par des ressortissants de l’État partie en vertu des lois en vigueur dans le pays ne sont pas autorisés à recevoir plus de 10 % de leurs fonds de sources étrangères, y compris d’organisations internationales et de ressortissants éthiopiens vivant à l’étranger; b) que les organismes de bienfaisance créés par des résidents dans le cadre de la législation de l’État partie et dont les membres sont exclusivement Éthiopiens n’ont pas le droit de participer à la promotion des droits de l’homme et des droits démocratiques, au renforcement de l’égalité entre les sexes et à l’amélioration de l’efficacité de la justice et des organes chargés d’appliquer la loi; et c) que de fortes amendes sont infligées pour violation de cette loi (art. 2).

Le Comité recommande à l’État partie de songer à revoir sa législation pour faire en sorte qu’il soit dûment tenu compte du rôle important des organisations de la société civile dans la promotion et la protection des droits de l’homme, y compris dans le domaine de la discrimination raciale.

15.Le Comité note avec préoccupation que, malgré l’engagement de très longue date de l’État partie en faveur de la lutte contre la ségrégation raciale, des informations font état de la persistance de formes de discrimination raciale assimilables à un système de caste sur le territoire éthiopien, dont sont surtout victimes les minorités raciales et ethniques marginalisées (art. 3).

Le Comité recommande à l’État partie d’entreprendre une étude sur l’ampleur et les causes du problème des castes et d’exécuter une stratégie pour l’éliminer. L’État partie est en outre prié de fournir dans son prochain rapport périodique des informations sur les résultats obtenus à ce propos. Le Comité invite instamment l’État partie à tenir compte de sa recommandation générale n o  XXIX (2002) concernant la discrimination fondée sur l’ascendance.

16.Tout en se félicitant des informations fournies par l’État partie selon lesquelles les pratiques traditionnelles nocives telles que la mutilation génitale féminine et l’enlèvement de filles et de jeunes femmes pour les prendre comme épouses sont interdites par la législation, le Comité demeure préoccupé par la persistance de ces pratiques dans certaines communautés (art. 5).

Le Comité recommande à l’État partie de renforcer les mesures prises pour éliminer les pratiques traditionnelles nocives en adoptant, entre autres, des stratégies de sensibilisation, en consultation avec les communautés où ces pratiques existent. Il lui recommande en outre d’inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements sur l’ampleur de ces pratiques et l’impact des mesures prises pour les combattre.

17.Le Comité est préoccupé par les conflits ethniques qui éclatent sporadiquement dans l’État partie et, en particulier, par les informations faisant état de violations des droits de l’homme commises par des militaires contre la population anuak à Gambella, en décembre 2003. Tout en notant la déclaration de la délégation selon laquelle des mesures pour demander des comptes aux responsables ont été prises, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles ces violations des droits de l’homme n’ont pas fait l’objet d’enquêtes approfondies (art. 5).

Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’intensifier ses efforts pour s’attaquer aux causes profondes des conflits ethniques sur son territoire;

b) De prendre les mesures requises, en cas de nouveau conflit, pour empêcher que les populations civiles soient prises pour cible par les militaires et enquêter rapidement et de manière approfondie sur les informations faisant état de violations des droits de l’homme commises dans ce contexte.

18.Tout en prenant acte des informations fournies par l’État partie selon lesquelles il a adopté des textes de loi pour assurer la protection des réfugiés, le Comité est préoccupé par le manque d’informations détaillées quant à la mesure dans laquelle les réfugiés jouissent des droits énoncés à l’article 5 de la Convention. De même, l’État partie n’a pas fourni d’informations suffisantes sur la situation des droits fondamentaux des personnes déplacées éparpillées dans de nombreuses régions du pays (art. 5).

Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que les réfugiés et d’autres personnes vulnérables, telles que les personnes déplacées à l’intérieur du pays, jouissent des droits qui leur sont reconnus par la législation nationale et par les différents instruments internationaux auxquels il est partie. En outre, l’État partie est prié de fournir, dans son prochain rapport périodique, des informations détaillées sur la situation des droits fondamentaux des réfugiés et des personnes déplacées sur son territoire, en particulier au regard de l’article 5 de la Convention.

19.Le Comité note l’absence d’informations sur les mesures législatives et autres prises par l’État partie pour assurer la protection des droits des groupes raciaux et ethniques.

Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures voulues pour faire en sorte que toutes les personnes appartenant à des groupes raciaux ou ethniques soient en mesure d’exercer pleinement les droits qui leur sont reconnus par la Convention. Il lui recommande aussi d’accorder une attention particulière aux mesures législatives, constitutionnelles et autres devant être prises au niveau des provinces fédérales en vue de donner effet aux droits de ces groupes.

20.Tout en prenant acte de la création dans l’État partie d’une commission des droits de l’homme et d’un Bureau du médiateur, le Comité regrette l’absence d’informations détaillées sur les attributions et l’efficacité de ces deux institutions. Il note le manque de clarté quant à la nature des recours qu’elles offrent. Le Comité note aussi avec préoccupation que la Commission des droits de l’homme n’est pas dotée d’un département ou d’une section chargée des questions, des plaintes et des affaires de discrimination raciale et qu’elle a seulement des bureaux dans les grandes villes, ce qui la rend inaccessible aux personnes vivant dans les zones rurales. En outre, les deux institutions n’ont pas fait suffisamment d’efforts pour faire connaître leurs activités afin d’assurer que le public soit informé des recours disponibles en cas de violation des droits de l’homme, notamment de discrimination raciale (art. 6).

Le Comité recommande à l’État partie:

a) De fournir, dans son prochain rapport périodique, des informations détaillées sur les attributions de la Commission des droits de l’homme et du bureau du Médiateur et sur l’efficacité de leurs activités;

b) De renforcer la Commission des droits de l’homme conformément aux principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) adoptés par l’Assemblée générale dans sa résolution 48/134, et de la doter de ressources suffisantes;

c) De diffuser plus largement les informations sur les activités de la Commission des droits de l’homme et du bureau du Médiateur, et en particulier sur leur mandat en matière d’enquête sur les violations des droits de l’homme; et

d) D’assurer aux personnes vivant dans les zones rurales ou des régions reculées la possibilité de bénéficier de manière effective des services de la Commission des droits de l’homme.

21.Le Comité note que le texte de la Convention n’a pas été traduit dans la langue de travail de la Fédération ou d’autres langues utilisées dans les provinces fédérales, ce qui a pour effet de limiter les possibilités qu’ont les juges et les membres des professions juridiques de s’y référer et de l’appliquer.

Le Comité recommande à l’État partie de faire traduire le texte de la Convention dans la langue de travail de la Fédération et d’autres langues utilisées dans les provinces fédérales.

22. Le Comité note également l’absence d’informations sur d’éventuelles affaires judiciaires portant sur des allégations de discrimination raciale ou dans lesquelles les dispositions de la Convention ont été invoquées (art. 6 et 7).

Le Comité recommande à l’État partie de fournir, dans son prochain rapport périodique, des informations sur les affaires judiciaires portant sur la discrimination raciale, ainsi que sur toute jurisprudence relative à l’interprétation des dispositions de la Convention.

23.Le Comité note le manque d’informations sur la mesure dans laquelle l’éducation relative aux droits de l’homme, notamment en matière d’égalité des droits et de non-discrimination, fait partie des programmes scolaires et l’absence de renseignements sur l’utilisation des médias dans ce domaine (art. 7).

Le Comité encourage l’État partie à inscrire l’éducation relative aux droits de l’homme dans les programmes scolaires et à intensifier ses efforts pour en améliorer la qualité dans la société en général, de façon à promouvoir la compréhension et la tolérance entre tous les groupes raciaux et ethniques. Une attention particulière devrait être accordée au rôle des moyens d’information de masse dans ce domaine.

24.Eu égard à l’indivisibilité de tous les droits de l’homme, le Comité encourage l’État partie à songer à ratifier les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui ne l’ont pas encore été, en particulier ceux dont les dispositions portent directement sur la question de la discrimination raciale, tels que la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990.

25.Le Comité recommande à l’État partie de tenir compte de la Déclaration et du Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, ainsi que du document final de la Conférence d’examen de Durban, tenue à Genève en avril 2009, dans le cadre de ses efforts pour donner effet à la Convention dans son ordre juridique interne. Le Comité prie l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des informations concrètes sur les plans d’action et autres mesures pour appliquer la Déclaration et le Programme d’action de Durban au niveau national.

26.Le Comité prie l’État partie de consulter, lors de l’élaboration de son prochain rapport périodique, les organisations de la société civile qui s’occupent de la protection des droits de l’homme, en particulier celles qui sont actives dans le domaine de la lutte contre la discrimination raciale.

27.Le Comité encourage l’État partie à songer à faire la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention.

28.Le Comité recommande à l’État partie de ratifier les modifications au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention adoptées le 15 janvier 1992 à la quatorzième réunion des États parties à la Convention et approuvées par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111 du 16 décembre 1992. À cet égard, le Comité se réfère à la résolution 61/148 de l’Assemblée générale, dans laquelle l’Assemblée a demandé instamment aux États parties d’accélérer leurs procédures internes de ratification desdites modifications et d’informer par écrit le Secrétaire général, dans les meilleurs délais, de leur acceptation.

29.Le Comité recommande que les rapports de l’État partie soient rendus facilement accessibles au public au moment de leur soumission et que les observations du Comité relatives à ces rapports soient elles aussi diffusées dans la langue de travail et les autres langues communément utilisées dans le pays, selon qu’il convient.

30.Conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur révisé, le Comité prie l’État partie de fournir, dans un délai d’une année à compter de l’adoption des présentes observations, des informations sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 14, 21 et 23 ci-dessus.

31.Le Comité souhaite également appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations 12, 18, 20 et 22 et le prie de fournir des informations détaillées, dans son prochain rapport périodique, sur les mesures concrètes prises pour les appliquer.

32.Le Comité recommande à l’État partie de présenter ses dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques en un seul document, d’ici le 23 juillet 2013, en tenant compte des directives pour l’établissement du document spécifique à la Convention, adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1), et qu’il y traite de tous les points soulevés dans les présentes observations finales.