Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/77/D/983/200128 avril 2003

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑dix‑septième session17 mars-4 avril 2003

DÉCISION

Communication n° 983/2001

Présentée par:M. John K. Love, William L. Bone, William J. Craig et Peter B. Ivanoff (représentés par un conseil, Kathryn Fawcett)

Au nom de:Les auteurs

État partie:Australie

Date de la communication:1er août 1997 (communication initiale)

Décisions antérieures:Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 juin 2001 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:25 mars 2003

Le 25 mars 2003, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication n° 983/2001 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte des constatations figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE*

CONSTATATIONS ADOPTÉES PAR LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLEFACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF

AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante‑dix‑septième session

concernant la

Communication n° 983/2001**

Présentée par:M. John K. Love, William L. Bone, William J. Craig et Peter B. Ivanoff (représentés par un conseil, Kathryn Fawcett)

Au nom de:Les auteurs

État partie:Australie

Date de la communication:1er août 1997 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 983/2001 présentée par MM. John K. Love, William L. Bone, William J. Craig et Peter B. Ivanoff, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte les constatations ci ‑après:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont William L. Bone, William J. Craig, Peter B. Ivanoff et John K. Love, tous de nationalité australienne, qui affirment être victimes d’une violation par l’Australie des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour l’Australie le 25 décembre 1991.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 27 octobre 1989, le 24 novembre 1989, le 10 janvier 1990 et le 24 mars 1990 respectivement, MM. Ivanoff, Love, Bone et Graig, qui sont tous des pilotes expérimentés, ont commencé à travailler sous contrat en qualité de pilotes à bord d’appareils des lignes intérieures de la compagnie Australian Airlines, rachetée ultérieurement par Qantas Airlines Limited. L’État détenait alors 100 % du capital d’Australian Airlines, dont la direction était nommée par les pouvoirs publics. La compagnie a mis fin aux contrats des auteurs lorsqu’ils ont atteint l’âge de 60 ans, suivant en cela sa politique de départ obligatoire à la retraite à partir d’un certain âge. Les dates respectives de départ d’office à la retraite tombaient la veille du jour de leurs 60 ans, soit pour M. Craig le 29 août 1990, M. Ivanoff le 18 septembre 1990, M. Bone le 12 octobre 1991 et M. Love le 17 mai 1992. Leurs contrats de travail ne contenaient pas de clause indiquant expressément qu’ils auraient à partir à la retraite à cet âge ni à aucun autre. Chacun des auteurs était en possession d’une licence de pilotage en cours de validité, ainsi que de certificats médicaux, au moment où il a été mis fin à leur contrat. Après son licenciement, M. Ivanoff a été engagé par une autre compagnie aérienne comme commandant de bord d’un B 727 et, en 1997, il exerçait les fonctions d’instructeur sur un simulateur de vol de B 7371.

2.2Dès le 25 décembre 1991, la compagnie aérienne a rejeté les demandes de négociation de réembauche des auteurs. Le 12 juin 1992, les quatre auteurs ont déposé une plainte auprès de la Commission australienne des droits de l’homme et de l’égalité des chances (HREOC) en faisant valoir qu’ils avaient été victimes de discrimination en raison de leur âge. L’instruction des plaintes a traîné en longueur, la compagnie refusant, au dire des auteurs, de prendre part à des négociations ou à une procédure de conciliation et, peut-être aussi, à cause de rapports médicaux litigieux. Après la reprise, en 1993, d’Australian Airlines par la compagnie nationale Qantas, celle-ci a été entièrement privatisée le 31 juillet 1995.

2.3Le 30 mars 1994, la loi fédérale sur les relations professionnelles de 1988 a été modifiée: elle interdit désormais tout licenciement motivé par l’âge. Alors que cet amendement avait été adopté, un certain M. Allman, lui aussi pilote chez Australian Airlines, a perdu son emploi lorsqu’il a atteint l’âge de 60 ans. Il a poursuivi la compagnie en justice et, le 18 mars 1995, le tribunal des relations professionnelles s’est prononcé en sa faveur. M. Allman a alors été réembauché. À compter de cette date, Qantas (qui avait racheté Australian Airlines) a cessé d’imposer un âge de départ à la retraite aux pilotes de ses lignes intérieures.

2.4Le 14 août 1995, le Commissaire aux droits de l’homme (de l’époque) qui a pour fonction d’enquêter, dans le cadre de la HREOC, sur tout acte ou pratique susceptible d’être discriminatoire, s’est penché sur les constatations de ses prédécesseurs qui avaient conclu au caractère discriminatoire du départ obligatoire à la retraite, et il est parvenu à la même conclusion. Le 9 novembre 1995, il a diligenté une enquête sur le licenciement des auteurs, sur la base de communications de Qantas (en qualité de défenseur) et des auteurs. Le 12 avril 1996, le Commissaire a jugé que l’obligation faite aux auteurs de partir à la retraite au moment où ils atteignaient l’âge de 60 ans constituait une discrimination par l’âge en matière d’emploi. Il a rejeté l’argument selon lequel la limite d’âge de 60 ans était requise en elle-même pour garantir la sécurité des transports aériens. Il a recommandé à Qantas: i) de renoncer à la pratique consistant à mettre obligatoirement ses employés à la retraite du seul fait qu’ils atteignaient l’âge de 60 ans; ii) d’indemniser les auteurs de la perte de salaire que cette pratique discriminatoire leur avait fait subir; iii) de faire le nécessaire pour que M. Ivanoff puisse passer le bilan de santé pour les «plus de 60 ans» et, dans l’hypothèse où M. Ivanoff satisferait à ces exigences et à d’autres critères de l’Office de l’aviation civile, le réembaucher et, si nécessaire, le recycler pour qu’il puisse voler sur des appareils équivalents ou pratiquement équivalents à ceux sur lesquels il volait avant d’être mis d’office à la retraite. De façon plus générale, il a recommandé au Gouvernement fédéral de proscrire purement et simplement la discrimination par l’âge au plan national et, notamment, de supprimer les clauses sur le départ obligatoire à la retraite de la loi sur le service public de 1922 et d’autres textes de loi fédéraux.

2.5La compagnie Qantas, désormais privatisée, a refusé d’avaliser les conclusions du Commissaire et rejeté la recommandation qui lui avait été faite d’indemniser les requérants. Le 10 mai 1996, ses conseillers juridiques ont répondu à la HREOC que, d’une manière générale, la compagnie ne mettait plus d’office son personnel à la retraite lorsqu’il atteignait l’âge de 60 ans, tout en estimant qu’il n’y avait pas lieu d’accepter les recommandations de réembauche ou d’indemnisation formulées par la HREOC en l’espèce. La compagnie a fait observer que sa politique, qui s’inspirait essentiellement d’un souci de sécurité aérienne, était légitime et que la législation habilitant la HREOC à formuler des recommandations ne la remettait pas en cause. Elle a rappelé qu’elle avait bien précisé, pendant les auditions tenues par la HREOC, qu’elle ne serait pas disposée à accepter des recommandations de réembauche ou d’indemnisation.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs se plaignent de ce que l’Australie a violé leur droit à la non-discrimination par l’âge consacré à l’article 26, en ne les protégeant pas d’un licenciement motivé par un critère pourtant interdit. Ils se plaignent aussi de ce que ce même article 26, qui protège d’une discrimination par l’âge, a été violé par le refus d’Australian Airlines d’engager des négociations de réembauche au sujet de M. Ivanoff et par le fait que, depuis le 25 décembre 1991, l’État n’a rien fait pour faciliter de telles négociations. De plus, ils soutiennent que, quand il s’est produit des violations, l’État partie est tenu de respecter les recommandations de réparation formulées par sa propre Commission des droits de l’homme. En réponse aux commentaires de l’État partie, les auteurs ajoutent que l’article 2 a été violé puisque l’État partie ne leur a pas garanti de recours utile alors qu’un droit reconnu par le Pacte avait été violé2.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Par des observations datées du 3 janvier 2002, l’État partie a répondu en contestant et la recevabilité et le fond de la communication.

4.2En ce qui concerne la plainte de principe que l’État partie n’a pas donné suite aux recommandations de la HREOC, l’État partie considère que la plainte tout entière se situe ratione materiae hors du champ d’application du Pacte, car l’article 26 du Pacte n’exige rien de tel.

4.3Abordant les recommandations spécifiques de la HREOC tendant i) à ce qu’il abroge les dispositions relatives au départ obligatoire à la retraite de la loi sur le service public de 1922 et d’autres textes de loi fédéraux et ii) à ce qu’il interdise complètement à l’échelon national la discrimination par l’âge, l’État partie ajoute que l’allégation est irrecevable ratione personae car les intéressés ne sont pas victimes de ce que l’État partie n’aurait rien fait dans un cas ni dans l’autre. En effet, pour ce qui est du point i), les auteurs n’étaient pas employés en vertu de la loi sur le service public de 1922, aussi aucune modification ou absence de modification de cette loi ne les aurait touchés. Pour ce qui est du point ii), les auteurs n’ont pas expliqué en quoi ils étaient touchés par l’absence d’une interdiction générale de la discrimination par l’âge. Rien n’indique qu’un tel dispositif législatif aurait pesé sur les décisions de licenciement. Les auteurs n’apportent pas non plus la preuve qu’ils ont fait l’objet d’une discrimination après leur licenciement ni n’expliquent comment un tel dispositif l’aurait, le cas échéant, empêchée.

4.4Se référant à ces allégations quant au fond, l’État partie déclare pour ce qui est du point i), que la loi sur le service public de 1999 a supprimé l’âge de départ obligatoire à la retraite pour les fonctionnaires du Commonwealth (de la Fédération). Pour ce qui est du point ii), l’État partie note que la nouvelle législation, qui vise à changer d’anciennes traditions sociales, ne peut se traduire dans les faits du jour au lendemain3. Il est bon que les États, lorsqu’ils modifient des dispositifs législatifs, jouissent du temps nécessaire pour appliquer les modifications adoptées dans le respect des procédures démocratiques et constitutionnelles. L’État partie a ainsi décidé de mettre en œuvre l’une des principales recommandations du rapport de 2000 de la HREOC sur les «questions d’âge» en mettant au point une loi fédérale proscrivant la discrimination par l’âge, en consultation avec les milieux d’affaires et des groupes communautaires. La rédaction de ce texte est en cours. L’État partie a aussi aboli le départ obligatoire à la retraite dans plusieurs secteurs du ressort du Commonwealth (loi sur le service public de 1999 et loi portant abolition du départ obligatoire à la retraite (fonctionnaires) de 2001) et se propose d’abolir les clauses de cette nature applicables aux dirigeants d’entreprises publiques. En 1996, la loi relative aux relations sur les lieux de travail de 1996, qui remplace la loi sur les relations industrielles, a interdit les licenciements en raison de l’âge. Dans les États et territoires, la discrimination est interdite en ce qui concerne l’emploi, l’éducation et la formation, le logement, les biens et services et les clubs. L’État partie fait donc valoir qu’il prend en fait des mesures progressives tendant à éliminer ce type de discrimination.

4.5Quant à la plainte selon laquelle i) les licenciements d’Australian Airlines violaient l’article 26, tout comme ii) le fait que l’État n’en aurait pas protégé les auteurs, l’État partie soutient qu’elle est irrecevable ratione temporis pour ce qui est de MM. Bone, Craig et Ivanoff. Ces trois auteurs ont en effet été licenciés avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Ils n’ont pas affirmé non plus qu’ils continuaient de subir des effets de cette mesure qui, en soi, constitueraient une violation du Pacte. Pour l’État partie, la conséquence des licenciements − le fait de ne plus être employé − ne constituait pas en soi une violation du Pacte car les licenciements étaient des événements uniques dans le temps. Toute démonstration faisant valoir des effets persistants en raison du refus de réembaucher les auteurs, pourrait établir éventuellement, pour autant qu’elle fût bien argumentée, un nouvel acte, distinct, de discrimination.

4.6Par ailleurs, l’État partie fait valoir pour ce qui est du point i) que, comme les licenciements étaient le fait d’une société commerciale plutôt que des pouvoirs publics, la plainte ne concerne pas un État partie, comme le veut l’article premier du Protocole facultatif. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle les communications visant des entités autres que les États sont irrecevables4. L’État partie fait valoir que sa responsabilité pour les actes d’une société commerciale est fonction des liens qu’il entretient avec elle. Les actes d’une entité qui ne fait pas formellement partie de la structure de l’État peuvent constituer malgré tout des actes de l’État si le droit interne habilite ladite entité à exercer des éléments de la puissance publique5. En l’occurrence, s’il est vrai que l’État partie détenait l’ensemble du capital d’Australian Airlines, entreprise publique du Commonwealth (Commonwealth Government Business Entreprise ou CGBE), il est tout aussi vrai qu’à l’époque des licenciements les pouvoirs publics n’intervenaient pas dans la gestion de ses affaires courantes.

4.7L’État partie explique que ses relations avec la compagnie aérienne obéissaient à un ensemble de textes législatifs, conjuguant dispositions générales d’administration et politique de l’État envers les entreprises publiques (CGBE). En 1988, la politique a changé, au profit de l’autonomie et d’une marge de manœuvre accrue de la compagnie aérienne, assorties d’un contrôle restreint des pouvoirs publics. Suite à l’adoption en 1988 de la loi sur Australian Airlines (transformation en entreprise publique), le service public a été déchargé des contrôles courants et davantage d’opérations sont devenues sujettes à des décisions de gestion commerciale dépendant d’un conseil d’administration aux responsabilités accrues. En tant que telles, les questions de personnel relevaient de la gestion de la compagnie, sous la direction de son conseil d’administration et suivant des directives de caractère général des pouvoirs publics. Société commerciale, la compagnie était libre de ses actes et n’exerçait aucun attribut de la puissance publique. En conséquence, s’il y a eu discrimination (ce que l’État partie conteste), Australian Airlines en est responsable et non l’État partie.

4.8Quant au fond de la plainte, l’État partie affirme que les licenciements étaient fondés sur des critères raisonnables et objectifs et ne violaient pas l’article 26 et, en conséquence, que les auteurs n’avaient pas besoin d’être protégés contre une telle mesure. Il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle des distinctions fondées sur des motifs raisonnables et objectifs et visant un but légitime ne sont pas discriminatoires. Il soutient que, dans un souci de logique et d’équité, il convient de se prononcer au vu des informations disponibles au moment où la décision incriminée a été prise. Ainsi, l’apparition ultérieure d’une pratique contraire ne permet pas de tirer un trait sur une distinction qui était raisonnable et objective eu égard aux informations d’ordre médical dont la compagnie aérienne disposait à l’époque.

4.9L’État partie fait observer que le critère du Comité diffère de celui appliqué par la HREOC et les tribunaux australiens, à savoir le critère des «exigences propres» de l’emploi qui justifie une distinction par l’âge6. C’est pourquoi les décisions de ces instances locales qui refusent l’idée qu’un âge particulier constitue une exigence médicale propre ne règlent pas la question plus vaste de savoir si les licenciements étaient objectivement et raisonnablement justifiés.

4.10S’agissant du cas présent, l’État partie fait valoir que les licenciements étaient justifiés, dans la mesure où ils découlaient d’une norme internationalement admise, fondée sur des études et des rapports médicaux, adoptée pour assurer le maximum de sécurité possible aux passagers et aux autres personnes intéressées par les voyages aériens (but légitime au regard du Pacte). Devant la HREOC, Qantas a fait valoir que le départ d’office à la retraite était nécessaire si l’on voulait réduire au minimum le risque pour la sécurité des passagers, de l’équipage et de la population en général; s’il était vrai que toute limite d’âge était arbitraire, puisque certains pilotes en pleine possession de leurs moyens seraient contraints de partir, la limite des 60 ans ménageait un assez bon équilibre entre l’intérêt des pilotes qui souhaitaient prolonger leur carrière et la sécurité publique. De même, la décision de la direction des pilotes d’Australian Airlines d’imposer un départ d’office à la retraite était fondée sur une coutume établie de longue date et universellement admise des transports aériens australiens et sur les exigences propres de l’emploi.

4.11L’État partie soutient que la décision a été prise à la lumière d’études et de rapports médicaux dont différents articles scientifiques publiés sur la question faisaient état7. Dans l’affaire Christie dont les tribunaux avaient été saisis, les experts avaient aussi jugé la limite d’âge «prudente et nécessaire» et justifiée par les données médicales et opérationnelles. Bien que la HREOC ait admis la conclusion du tribunal dans l’affaire Christie selon laquelle «aucune des études citées n’étaye un lien quelconque de cause à effet entre [départ obligatoire à la retraite] et sécurité aérienne», l’État partie est d’avis que cette conclusion ne règle pas la question plus vaste des critères raisonnables et objectifs. Au contraire, les études et les données médicales disponibles à l’époque des licenciements étaient suffisantes pour donner à penser que le départ obligatoire à la retraite s’imposait pour des raisons de sécurité et que les licenciements étaient objectifs et raisonnables.

4.12De plus, la politique du départ obligatoire à la retraite a été instituée eu égard aux normes de sécurité internationales établies par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui sont censées être d’application obligatoire et que de nombreux États suivent parce qu’elles s’inscrivent parmi les meilleures pratiques. On attend des États qu’ils se conforment aux «normes» et s’emploient à se conformer aux «pratiques recommandées». La Convention relative à l’aviation civile internationale contient une norme qui fixe à 60 ans l’âge limite des commandants de bord sur les vols internationaux et recommande de fixer la même limite d’âge pour les copilotes. Cent soixante-deux États sur 186 n’ont pas notifié l’OACI qu’ils ne respectaient pas cette norme. L’État partie en déduit qu’il existe une norme de sécurité internationale largement admise qui plaide en faveur du caractère raisonnable et objectif de ces licenciements.

4.13En 1992, l’État partie a modifié ses règlements de l’aviation civile, permettant aux pilotes d’avions de ligne de 60 à 65 ans et même au-delà de voler s’ils avaient passé entre autres un contrôle d’aptitude à voler/examen de vol respectivement dans les 12 ou 6 mois précédant le vol. Le 3 mars 2000, il a notifié l’OACI qu’il s’écartait de la norme et de la pratique recommandée. Ainsi, il permet à des pilotes de plus de 60 ans de voler, tout en reconnaissant qu’un souci de sécurité exige l’adoption de mesures de précaution. S’il n’accepte plus que le départ d’office à la retraite à 60 ans soit indispensable en soi pour assurer la sécurité, à l’époque des licenciements, il était raisonnable et objectif que le départ d’office à la retraite repose sur cette considération, car à ce moment-là, il ressortait des rapports médicaux que les risques apparaissaient uniquement après 60 ans. Une telle distinction n’était donc pas contraire à l’article 26 et l’État partie n’était donc pas tenu de protéger les auteurs de son application.

4.14Quant à l’allégation selon laquelle le refus d’engager des négociations de réembauche constituait une discrimination fondée sur l’âge, l’État partie fait valoir là encore que tout refus de cette nature provenait d’Australian Airlines, dont il n’était pas responsable. Qui plus est, cette allégation n’a pas été étayée car les auteurs n’ont fourni aucune information sur ces prétendus refus et n’ont pas expliqué non plus en quoi ils étaient assimilables à une discrimination par l’âge. La communication est donc irrecevable également au titre de ces deux motifs.

Commentaires des auteurs

5.1Par un courrier daté du 14 mars 2002, les auteurs rejettent les observations de l’État partie.

5.2Ils précisent d’emblée qu’ils ne formulent aucune allégation au sujet de la loi sur le service public de 1922.

5.3Pour ce qui est de la première allégation, à savoir que l’État partie n’a pas légiféré pour interdire purement et simplement la discrimination par l’âge, comme la recommandation de la HREOC l’y invitait, les auteurs développent leur argumentation. Ils font valoir qu’en ne réagissant pas, l’État partie viole le Pacte. De plus, comme la HREOC est chargée au premier chef par ses statuts de protéger les droits consacrés par le Pacte, l’État partie, en ne donnant pas effet à ses recommandations, lorsqu’elle constate que ces droits ont été violés, manque aux obligations qui lui sont faites aux paragraphes 2 et 3 de l’article 2 et à l’article 26 du Pacte. À défaut et au minimum, il faudrait considérer le fait de ne pas donner suite aux recommandations de la HREOC comme une preuve de la violation du Pacte.

5.4Pour ce qui est de la recevabilité de la première allégation, les auteurs citent le critère des droits auxquels «il est effectivement porté atteinte» retenu dans l’affaire des Mauriciennes8, soutenant qu’ils ne formulent pas d’allégations abstraites, mais au contraire satisfont à cette condition pour les raisons suivantes: i) au moment de leur licenciement, il n’existait pas de loi rendant cette politique illégale et/ou ii) lorsque des actions ont été engagées le 12 juin 1992, il n’existait pas de loi leur permettant de contester utilement leur licenciement, et/ou iii) au moment où la HREOC a publié ses recommandations, il n’existait pas de loi permettant de les mettre en œuvre et/ou iv), dans le cas de M. Ivanoff, il n’existait pas de disposition lui permettant d’obtenir réparation pour non‑réembauche à ce moment-là.

5.5Pour ce qui est de la première allégation quant au fond, les auteurs invitent le Comité à rejeter les observations de l’État partie faisant état d’une application progressive dans le temps des recommandations de la HREOC. Ils font valoir que si le Gouvernement a bien reçu des recommandations tendant à interdire purement et simplement la discrimination par l’âge au fil des ans, il n’a donné aucune précision sur l’état d’avancement de la rédaction d’un «projet portant interdiction de la discrimination par l’âge» ni sur sa teneur ni sur la question de savoir si et quand il entrera éventuellement en vigueur. C’est ce qui fait, au dire des auteurs, que leur cas se distingue de l’affaire Pauger c. Autriche9, où des informations sur le calendrier et la mise en œuvre des textes de loi nécessaires avaient été fournies. Si le Comité admet que l’État partie prend les mesures appropriées, les auteurs notent que dans l’affaire Pauger, le Comité avait considéré que l’État partie reconnaissait implicitement que la plainte était fondée. De même ici, selon les auteurs, l’État partie n’avait pas nié que le fait de ne pas interdire purement et simplement la discrimination par l’âge violait le Pacte. Au contraire, en décrivant les mesures prises pour remédier à ce manquement, il reconnaît qu’il y a bien eu manquement. De surcroît, dans l’affaire Pauger, le Comité était d’avis que l’État partie devait offrir à la victime une voie de recours appropriée en dépit des mesures prises; les auteurs invitent ici le Comité à faire de même.

5.6Pour ce qui est de la deuxième allégation (à savoir que l’État partie a permis le renvoi des auteurs par Australian Airlines pour des raisons discriminatoires en violation des obligations qui lui étaient faites à l’article 26), i) les auteurs rejettent les arguments de l’État partie sur la recevabilité. Quant aux arguments d’irrecevabilité ratione temporis avancés dans le cas des trois auteurs licenciés avant la date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif le 25 décembre 1991 («la date pertinente»), ils font valoir que ces actes de discrimination se sont poursuivis ou ont eu des effets persistants au-delà de cette date, sur plusieurs plans. En effet, postérieurement à la date pertinente, a) ils ont été empêchés de travailler pour leur ancien employeur, en raison de la politique de départ obligatoire à la retraite; b) ils ont déposé des plaintes auprès de la HREOC; c) la HREOC s’est prononcée en leur faveur, et d) leur ancien employeur n’a pas donné suite aux conclusions de la HREOC et, dans le cas de M. Ivanoff, ne l’a pas réembauché.

5.7Les auteurs rejettent aussi l’argument d’irrecevabilité ratione personae par lequel l’État partie affirmait que, comme Australian Airlines était une société commerciale et une entreprise publique du Commonwealth (CGBE) à l’époque des licenciements, assujettie aux «dispositions normales applicables au contrôle, au fonctionnement, aux responsabilités et à l’exécution des activités de l’entreprise», il n’avait commis aucune violation. Selon eux, même si des mesures avaient été prises pour donner une certaine indépendance à la compagnie, sa constitution en société commerciale avait eu lieu conformément à la loi et le Gouvernement de l’État partie détenait l’ensemble de son capital. Ils affirment que le Gouvernement était en dernier ressort responsable des décisions de gestion en sa qualité de seul et unique actionnaire et était donc directement responsable des licenciements discriminatoires. De plus, l’État partie était responsable des licenciements, ainsi que des effets qu’ils avaient eus par la suite faute d’avoir adopté des dispositions législatives empêchant la discrimination par l’âge.

5.8Pour ce qui est de la deuxième allégation quant au fond, les auteurs déclarent que les licenciements n’étaient pas fondés sur des motifs raisonnables et objectifs et qu’ils violaient par conséquent l’article 26. Ils affirment que le critère valable est de savoir si, à l’époque des licenciements, la distinction fondée sur l’âge était objective, raisonnable et légitime au regard d’un but consacré par le Pacte. Ils soutiennent que ce critère n’est pas foncièrement différent de celui appliqué par la HREOC et les tribunaux australiens10 qui s’étaient penchés sur la question de savoir si les exigences propres des fonctions de pilote faisaient qu’il fallait avoir moins de 60 ans pour occuper un tel emploi, et avaient estimé que tel n’était pas le cas. Les auteurs soutiennent que la HREOC, en rejetant les observations avancées par Australian Airlines, avait estimé implicitement que la distinction fondée sur l’âge n’était ni raisonnable ni objective et que, par conséquent, le Comité n’a pas besoin de réexaminer cette question depuis le début.

5.9Les auteurs soulignent qu’un certain nombre des considérations maintenant avancées par l’État partie en faveur du caractère objectif et raisonnable de la distinction fondée sur l’âge ont été passées en revue par la HREOC dans ses conclusions. Elles touchaient notamment à l’idée a) que le principe du départ obligatoire à la retraite à un certain âge était fondé sur une norme internationalement admise, b) que des rapports médicaux étayaient cette politique, c) que cette politique assurait la meilleure sécurité aérienne possible pour les passagers, d) que la direction des pilotes d’Australian Airlines imposait un âge de départ obligatoire à la retraite à cause d’une pratique durablement établie dans cette branche d’activité. Les auteurs relèvent que l’État partie n’a pas appliqué les normes internationales sur lesquelles il cherche à se fonder pour justifier sa politique de départ d’office à la retraite. De fait, l’État partie concède qu’il ne reconnaît plus l’âge de 60 ans fixé pour le départ d’office à la retraite comme étant en soi nécessaire pour assurer la sécurité. Les auteurs ajoutent que, d’un point de vue objectif et raisonnable, pareille mesure n’a d’ailleurs jamais été nécessaire.

5.10Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel le critère pertinent devrait être la conviction d’Australian Airlines qui, à l’époque avait jugé les licenciements raisonnables, les auteurs notent que ce type de critère «subjectif» a été rejeté par la HREOC. Ils estiment que le critère permettant de justifier la distinction doit être objectif, faute de quoi un État partie pourrait se contenter d’affirmer sa conviction que telle ou telle différenciation était raisonnable pour éviter d’être considéré comme étant en infraction par rapport au Pacte. Ils ajoutent que l’État partie n’a pas montré en quoi la distinction visait en l’espèce à réaliser «un but légitime au regard du Pacte», cet élément constituant un élément supplémentaire du critère «objectif et raisonnable» à satisfaire.

5.11En tout état de cause, les auteurs tiennent que la décision de la HREOC était conforme à l’interprétation internationale donnée de la Convention no 111 concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession de l’Organisation internationale du Travail (OIT)11. La Commission d’experts de l’OIT a fait des observations selon lesquelles les «qualifications exigées», en l’occurrence une distinction fondée sur l’âge pour un emploi déterminé, devaient être proportionnelles au but poursuivi et nécessaires en raison de la nature même de l’emploi considéré. Pour les auteurs, il faudrait prendre les constatations de la Commission d’experts en considération pour apprécier le «caractère objectif et raisonnable» de la mesure à la lumière de l’article 26.

5.12En bref, les auteurs invitent le Comité à conclure que la distinction n’était pas fondée sur des motifs objectifs et raisonnables, à accepter les conclusions de la HREOC ou, s’il souhaitait reconsidérer tous les éléments de preuve en la matière, à inviter les auteurs à lui fournir de nouveaux éléments.

5.13Pour ce qui est de la troisième allégation, à savoir que l’État partie, en violation du Pacte, n’a pas facilité la tentative faite par M. Ivanoff de se faire réembaucher, les auteurs rejettent les arguments d’irrecevabilité de l’État partie. Pour ce qui est des arguments avancés, ils estiment que la lettre du conseil de la compagnie aérienne à la HREOC, datée du 10 mai 1996, appuie leur allégation car elle montre bien que Qantas, dont la politique reposait sur la sécurité aérienne et n’était pas illégale, ne réembaucherait pas M. Ivanoff. Pour ce qui est de l’argument que l’État partie n’avait commis aucune violation, les auteurs réitèrent leurs arguments ci-dessus à ce sujet12.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Par un nouveau courrier du 13 mai 2002, l’État partie a répondu aux commentaires des auteurs, rappelant ses précédents courriers et formulant de nouvelles observations.

6.2S’agissant de l’allégation selon laquelle le fait de ne pas interdire complètement la discrimination par l’âge violerait l’article 26 (qui vient s’ajouter à l’allégation de non-respect des recommandations de la HREOC), l’État partie affirme que, comme les licenciements des auteurs étaient justifiés par des motifs raisonnables et objectifs et n’étaient donc pas discriminatoires, la loi n’avait rien à interdire. En conséquence, le fait de ne pas interdire purement et simplement la discrimination par l’âge ne violait pas en l’espèce l’article 26.

6.3L’État partie rejette l’argument du conseil selon lequel il aurait implicitement admis, en décrivant les mesures prises pour remédier à la situation, que son refus présumé d’adopter des mesures législatives avait violé l’article 26. Il réaffirme que les auteurs ne peuvent prétendre que l’absence de législation les a touchés dans l’abstrait dans la mesure où aucun acte de discrimination que ce soit n’a été commis à leur encontre.

6.4L’État partie récuse l’idée que l’adoption de la législation tendant à interdire la discrimination par l’âge qu’il a dite en cours de rédaction répond aux conclusions faites par la HREOC en l’espèce. C’est bien plutôt en réponse aux recommandations formulées tout à fait à part dans le rapport de la HREOC de juin 2000 sur les «questions d’âge» que le Gouvernement met incidemment en œuvre la recommandation d’interdire complètement la discrimination par l’âge. L’État partie souligne qu’il n’adopte pas une loi portant interdiction générale de la discrimination par l’âge parce qu’il se considère comme étant en violation avec le Pacte, mais bien plutôt pour assurer un équilibre entre le besoin d’en finir avec une discrimination inéquitable fondée sur l’âge et le besoin de se ménager une marge de manœuvre suffisante pour tenir compte des cas où les conditions d’âge revêtent une importance particulière.

6.5Répondant à l’interprétation donnée par le conseil de l’affaire Pauger c. Autriche13, l’État partie fait valoir que comme il n’y a pas eu violation du Pacte, il n’y a aucune raison pour que les auteurs aient droit à réparation. En réponse à l’observation du conseil selon laquelle (contrairement à l’affaire Pauger), l’État partie n’a pas fourni suffisamment d’informations sur l’état d’avancement du projet de loi portant interdiction de la discrimination par l’âge, l’État partie déclare qu’il n’était pas nécessaire d’en donner davantage, puisqu’il n’y a pas eu de violation du Pacte. Néanmoins, pour aider le Comité, il indique que le Gouvernement a engagé le processus d’élaboration d’un texte de loi sur la discrimination par l’âge. Le Gouvernement consulte les milieux d’affaires et les associations communautaires représentant les personnes âgées, les enfants et les jeunes avant de prendre, en connaissance de cause, des décisions équilibrées sur la teneur spécifique du projet. Les autorités compétentes ont procédé aux travaux préliminaires pour identifier les principaux problèmes en jeu et les questions qui se posent à propos de la teneur d’un tel texte et il est probable que le projet de loi couvrira la discrimination par l’âge dans toutes sortes de domaines de la vie publique, comme l’emploi, l’éducation et l’accès aux biens, aux services et aux équipements. Le projet de loi sera présenté pendant le mandat de l’actuel Gouvernement.

6.6Pour ce qui est de l’assertion selon laquelle le non-respect des recommandations de la HREOC violerait l’article 2 (outre l’article 26), l’État partie note qu’il s’agit-là d’une nouvelle allégation formulée tardivement dans le processus de communication et demande au Comité d’examiner s’il y a lieu d’accepter des allégations dont il n’était pas question dans la communication initiale. Le Comité est invité en particulier à constater que cette nouvelle allégation est sans rapport avec de nouveaux événements ou éléments de preuve et que par conséquent rien n’empêchait les auteurs de la formuler dans leur communication initiale. En tout état de cause, selon la jurisprudence constante du Comité, l’article 2 consacre un droit accessoire qui ne saurait être invoqué indépendamment d’un autre droit. Comme l’article 26 n’a pas été violé en l’occurrence, il ne saurait y avoir de violation de l’article 2.

6.7Pour ce qui est de l’aspect temporel des prétendues violations, l’État partie rejette l’idée qu’elles aient le moindre effet persistant (pour Craig, Ivanoff et Bone), qui constitue en soi une violation du Pacte14. De façon plus précise, s’agissant des effets qui continueraient de se faire sentir au dire des auteurs, l’État partie note que le licenciement des auteurs a été un événement qui s’est produit une seule et unique fois dans le temps. Dans l’hypothèse où il y aurait eu violation du Pacte, cette violation se serait produite au moment du licenciement. Le fait que les auteurs n’aient pas pu travailler pour leur ancien employeur au-delà de la date de licenciement n’est pas en soi une violation du Pacte. Qui plus est, avoir le droit de porter plainte (devant la HREOC) et exercer ce droit n’est pas en soi une [preuve de la] violation du Pacte, de même que l’adoption (par la HREOC) de constatations en faveur des auteurs n’est pas en soi une [preuve de la] violation du Pacte. Enfin, comme le refus de mettre en œuvre les recommandations d’un organe interne de défense des droits de l’homme n’est pas une violation du Pacte, ce refus ne saurait constituer un effet persistant car il ne peut être en soi une violation du Pacte.

6.8L’État partie fait valoir qu’il n’y a aucune preuve pour étayer l’assertion du conseil que la HREOC a formé la conclusion implicite que la distinction faite par Australian Airlines n’était ni objective ni raisonnable. Il poursuit en déclarant que, même en présence de telles preuves, «le Comité doit se prononcer lui-même sur la question de savoir si les licenciements des auteurs étaient objectifs et raisonnables. Le Comité [non la HREOC] est l’organe habilité par le Pacte à “recevoir et examiner des communications”. Il serait malvenu que le Comité subordonne son pouvoir de décision à un organe national alors que les États parties ont consenti à ce qu’il exerce son pouvoir de décision indépendamment des décisions prises par les organes nationaux».

6.9Quant aux commentaires du conseil sur le caractère subjectif/objectif du critère à appliquer, l’État partie déclare qu’en se référant à la «conviction» dans ses observations, il ne voulait pas donner à penser que le Comité devrait examiner la question de savoir si les licenciements étaient raisonnables et objectifs au regard de la conviction du décideur. Au contraire, il voulait demander au Comité d’examiner si les licenciements étaient justifiés par des critères raisonnables et objectifs. Il ajoute que pour déterminer si les critères étaient raisonnables et objectifs il faut se reporter aux informations dont le décideur disposait à l’époque des faits.

6.10L’État partie fait valoir qu’Australian Airlines a fondé sa décision de licencier les auteurs sur les critères objectifs et raisonnables dont la compagnie disposait alors, à la lumière de normes internationalement acceptées, d’études et de rapports médicaux et du souci de la sécurité des passagers. Relevant l’observation du conseil selon laquelle l’État n’avait pas montré en quoi la distinction faite dans le cas des auteurs visait à réaliser un «but légitime au regard du Pacte», l’État partie renvoie à ses observations selon lesquelles une mesure adoptée pour assurer les meilleures conditions de sécurité possibles aux passagers et aux autres personnes touchées par les voyages aériens représentait un but légitime au regard du Pacte. Tout simplement, un tel objectif relève de l’article 6 et n’est pas contraire au Pacte.

6.11Quant à l’argument du conseil selon lequel la philosophie de la HREOC allait dans le sens de l’interprétation de la Convention no 111 de l’OIT et devrait être respectée par le Comité, l’État partie fait valoir que l’interprétation de la Convention no 111 de l’OIT n’a rien à voir avec l’affaire dont le Comité est saisi en vertu du Pacte et ne saurait contribuer à son règlement.

6.12En réponse aux commentaires des auteurs pour qui le critère des «exigences propres», appliqué entre autres par la Commission d’experts de l’OIT, était grosso modo analogue au critère du «caractère objectif et raisonnable», l’État partie fait valoir qu’il existe des différences sensibles, car demander si une exigence est ou non nécessaire ne revient pas au même que demander si une exigence est ou non objective et raisonnable. Une exigence peut ne pas être nécessaire dans l’absolu, mais peut néanmoins être objective et raisonnable à la lumière des probabilités en jeu. L’État partie prie le Comité de suivre sa jurisprudence et d’appliquer le critère du caractère objectif et raisonnable plutôt que le critère des exigences propres/de la nécessité.

6.13En réponse aux commentaires des auteurs selon lesquels l’État partie n’a pas appliqué les normes internationales qu’il fait valoir pour justifier sa politique de départ obligatoire à la retraite à un âge donné, l’État partie note que si la législation australienne ne reprend pas directement la norme de l’OACI citée, elle n’en respecte pas moins la norme dans le cas des appareils australiens qui pénètrent dans l’espace d’un pays qui suit cette norme − ou en sortent.

6.14En réponse à la demande adressée par les auteurs au Comité l’invitant à demander des informations complémentaires s’il décide de revoir tous les éléments de preuve en l’espèce pour se prononcer conformément au critère du caractère objectif et raisonnable, l’État partie prie le Comité de noter que les auteurs avaient bien conscience que le Comité pouvait se prononcer en se fondant sur le critère du caractère objectif et raisonnable. Il demande en conséquence pourquoi les auteurs n’ont pas déjà soumis les preuves disponibles à l’appui de leurs assertions et retardent l’examen de la communication en la démontant pièce par pièce. L’État partie est convaincu que la question est prête à être examinée, mais demande qu’il lui soit donné la possibilité de répondre si le Comité invite les auteurs à lui soumettre un complément d’information.

6.15Pour ce qui est de l’allégation portant sur le refus d’engager des négociations de réembauche, l’État partie maintient qu’aucun élément de preuve n’a été présenté indiquant que les décisions de ne pas engager de négociations de réembauche ou de ne pas réembaucher M. Ivanoff ont été prises sur une base autre que celle de considérations d’ordre juridique. En conséquence cette allégation n’est pas fondée et donc irrecevable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité note aussi que l’État partie n’a pas fait savoir qu’il demeurait des recours internes à épuiser, aussi n’est-il pas empêché d’examiner la communication par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3Pour ce qui est des arguments de l’État partie selon lesquels les réclamations de trois des quatre auteurs (MM. Bone, Craig et Ivanoff) sont irrecevables ratione temporis, le Comité estime que les actes de discrimination présumée proprement dits se sont produits, une fois pour toutes, au moment des licenciements. Le Comité ne considère pas que les effets persistants de ces actes peuvent constituer en soi des violations du Pacte, ni que l’on puisse voir dans les refus ultérieurs d’engager des négociations de réembauche de nouveaux actes de discrimination indépendants des licenciements eux‑mêmes. Par conséquent, les réclamations des trois auteurs susmentionnés sont irrecevables ratione temporis. Cependant, la réclamation de M. Love, étant fondée sur son licenciement après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, n’est pas irrecevable de ce chef.

7.4Le Comité note les arguments supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité selon lesquels le licenciement de M. Love était, en vérité, un acte à mettre au compte de la seule Australian Airlines et n’était pas, selon les règles d’attribution de la responsabilité des États, imputables à l’État partie, et que de surcroît M. Love ne saurait être considéré comme étant victime, aux termes du Protocole facultatif de l’absence d’une interdiction de la discrimination fondée sur l’âge. Le Comité considère que, vu la nécessité d’examiner scrupuleusement et d’apprécier les faits particuliers en cause et le droit pertinent en la matière, il convient de se pencher sur ces arguments au stade de l’examen de la communication quant au fond, car ils sont intimement liés à l’évaluation de la portée de l’obligation de respecter et d’assurer l’égale protection de la loi face à un licenciement discriminatoire, obligation qui incombe à l’État partie en vertu de l’article 26 du Pacte.

7.5Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle l’État partie serait directement tenu par le Pacte d’appliquer les conclusions d’organes internes de défense des droits de l’homme, comme la HREOC, qui ne sont pas exécutoires au regard du droit interne, le Comité estime que, s’il prêtera dûment attention aux constatations de ces organes, fondées totalement ou en partie sur les dispositions du Pacte, en dernière analyse, c’est à lui qu’il appartiendrait d’interpréter le Pacte de la manière qu’il estime correcte et appropriée. Le Comité partage l’avis de l’État partie que les États parties ont ratifié le Protocole facultatif étant entendu que c’est au Comité qu’il appartiendrait d’exercer son pouvoir de décision en matière d’interprétation du Pacte, indépendamment des décisions d’organes internes quels qu’ils soient. Par conséquent, l’idée d’une obligation qui serait faite aux États parties par le Pacte d’appliquer des constatations non exécutoires d’organes non judiciaires est incompatible ratione materiae avec le Pacte et cette réclamation particulière est irrecevable aux termes de l’article 3 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2La question sur laquelle le Comité doit statuer quant au fond est de savoir si [l’] [les] auteur[s] [a] [ont] été victime[s] de discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une distinction n’entraîne pas systématiquement une discrimination, en violation de l’article 26, mais que des distinctions peuvent être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs, dans la poursuite d’un but légitime au regard du Pacte. Bien que l’âge ne soit pas mentionné en tant que tel comme l’un des motifs de discrimination énumérés dans la deuxième phrase de l’article 26, le Comité est d’avis qu’une distinction relative à l’âge qui ne repose pas sur des critères raisonnables et objectifs peut constituer une discrimination fondée sur «une autre situation» au titre de la disposition en question ou un déni de l’égale protection de la loi au sens de la première phrase de l’article 26. Cependant, il est loin d’être évident que l’obligation de partir à la retraite à un certain âge constitue, dans tous les cas, une discrimination par l’âge. Le Comité prend acte du fait que des régimes de départ obligatoire à la retraite peuvent être notamment motivés par le souci de protéger les travailleurs en limitant le temps consacré au travail dans leur vie, surtout lorsqu’il existe des régimes de sécurité sociale de grande envergure qui garantissent la subsistance des personnes qui ont atteint cet âge. Des raisons liées à la politique de l’emploi peuvent aussi infléchir la législation ou la politique en la matière. Le Comité note que si l’Organisation internationale du Travail a mis au point un régime de protection élaboré contre la discrimination dans l’emploi, en revanche, aucune des Conventions de l’OIT ne semble interdire les dispositions prévoyant le départ obligatoire à la retraite à un certain âge. Ces considérations n’exempteront naturellement pas le Comité de la nécessité de s’interroger, à la lumière de l’article 26 du Pacte, sur le caractère éventuellement discriminatoire de tel ou tel arrangement particulier prescrivant le départ obligatoire à la retraite à un âge donné.

8.3Dans le cas présent, comme le note l’État partie, le but qui est de garantir les meilleures conditions de sécurité possibles aux passagers, à l’équipage et aux autres personnes touchées par les transports aériens était un but légitime au regard du Pacte. Pour ce qui est du caractère raisonnable et objectif de la distinction faite en fonction de l’âge, le Comité prend en compte la pratique nationale et internationale, répandue au moment des licenciements, consistant à imposer un âge de départ obligatoire à la retraite fixé à 60 ans. Pour justifier la pratique des licenciements suivie à l’époque, l’État partie s’est référé au régime de l’OACI qui visait et était compris comme visant à garantir le maximum de sécurité en vol. Dans ces conditions, le Comité ne saurait conclure que la distinction faite n’était pas, au moment du licenciement de M. Love, fondée sur des considérations raisonnables. En conséquence, le Comité ne peut conclure à l’existence d’une violation de l’article 26.

8.4À la lumière de la conclusion ci-dessus, selon laquelle, M. Love n’a pas subi de discrimination en violation de l’article 26, il est inutile de trancher la question de savoir si le licenciement était directement imputable à l’État partie ou si la responsabilité de l’État partie serait engagée du fait qu’il n’a pas empêché une discrimination par une tierce partie.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de l’article 26 du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando, membre du Comité(opinion concordante)

Je partage la conclusion figurant dans les constatations de la majorité selon laquelle le fait d’imposer un départ obligatoire à la retraite à l’âge de 60 ans ne constitue pas une violation de l’article 26. Cela dit, pour les raisons ci‑après, je ne peux souscrire à l’affirmation contenue dans les constatations selon laquelle «une distinction liée à l’âge … peut constituer une discrimination fondée sur une “autre situation” en application de la disposition en question, ou un déni de l’égale protection de la loi au sens de la première phrase de l’article 26» (par. 8.2):

Premièrement, je considère que l’expression «toute autre situation» ne s’applique pas à l’«âge» parce que ce critère revêt un caractère distinct qui le différencie de tous les motifs énumérés à l’article 26. Ces différents motifs ne sont applicables qu’à un segment déterminé de l’espèce humaine, aussi large qu’il puisse être. En revanche, l’âge concerne tous les êtres humains, et en raison de cette spécificité, il constitue un motif pour traiter différemment une catégorie de personnes sous tous les aspects du régime du Pacte. Par exemple, en application du paragraphe 5 de l’article 6, il est interdit d’imposer une sentence de mort à des personnes de moins de 18 ans et le paragraphe 2 de l’article 23 mentionne «l’homme et la femme à partir de l’âge nubile». En outre, des expressions telles que «tout enfant» (art. 24) et «tout citoyen» (art. 25) présupposent qu’un certain âge constitue un motif légitime de distinction entre les personnes. Selon moi, l’expression «toute autre situation» qui figure à l’article 26 devrait être interprétée comme se rapportant à la caractéristique qui est commune à tous les motifs énumérés dans cet article, ce qui exclut l’âge. Il va de soi que cela n’empêche pas qu’une distinction fondée sur l’«âge» puisse soulever des questions au titre de l’article 26, mais il découle de l’expression «notamment de» qui précède l’énumération qu’il n’est pas nécessaire d’inclure l’«âge» dans «toute autre situation».

Deuxièmement, je doute qu’il soit question dans la présente affaire «d’un déni de l’égale protection de la loi au sens de la première phrase de l’article 26». En substance, les auteurs dans la présente affaire affirment que les «qualifications professionnelles» requises pour être pilote doivent être jugées en fonction des capacités (aptitudes) physiques et autres de chaque individu, qu’imposer un âge obligatoire de départ à la retraite c’est ne faire aucun cas de ce principe et qu’une telle mesure constitue une discrimination fondée sur l’âge interdite par l’article 26. Cela revient à dire que le fait de traiter différemment des personnes du même âge n’ayant pas les mêmes capacités constitue une violation du principe de l’égale protection de la loi. Or, pour pouvoir exercer une profession, il est généralement nécessaire d’avoir un certain âge, même si une personne qui n’a pas encore atteint l’âge en question peut fort bien avoir les aptitudes requises pour exercer ladite profession. En d’autres termes, il y a généralement un âge minimum et un âge maximum pour l’exercice d’une profession et ces exigences sont sans rapport avec le principe de l’égale protection de la loi.

Troisièmement, selon moi, il est question dans la présente affaire du «droit au travail» et des «restrictions légitimes» dont il peut faire l’objet en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (par. 1 de l’article 6 et art. 4, respectivement). Ce qui est donc en cause, c’est le juste équilibre entre un droit économique ou social et les limitations qui s’y rapportent. Bien sûr, l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit la discrimination de jure ou de facto dans tout domaine réglementé et protégé par les pouvoirs publics, et il s’applique par conséquent aussi aux droits économiques ou sociaux. Néanmoins, comme c’est le cas dans la présente affaire, les limitations à l’exercice de certains droits économiques ou sociaux, en particulier le droit au travail ou à une pension ou à la sécurité sociale, nécessitent un examen minutieux de différents facteurs économiques et sociaux pour lesquels l’État partie concerné est généralement le mieux placé pour procéder à une évaluation objective et raisonnable et opérer les ajustements nécessaires. Cela signifie que le Comité des droits de l’homme devrait respecter les restrictions à ces droits fixées par l’État partie concerné à moins qu’elles ne soient manifestement entachées d’irrégularités de procédure injustes ou qu’elles n’entraînent manifestement des résultats inéquitables.

(Signé) Nisuke Ando

[Adopté en anglais (original), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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