Nations Unies

CAT/C/MDA/CO/3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

21 décembre 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le troisième rapport périodique de la République de Moldova *

1.Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique de la République de Moldova (CAT/C/MDA/3) à ses 1572e et 1575e séances (voir CAT/C/SR.1572 et 1575), les 7 et 8 novembre 2017, et a adopté les présentes observations finales à ses 1600e et 1602e séances, les 27 et 28 novembre 2017.

A.Introduction

2.Le Comité se félicite du dialogue qu’il a eu avec la délégation de l’État partie ainsi que des réponses orales et des informations écrites qui lui ont été fournies en réaction à ses préoccupations, mais il note avec regret que le rapport a été soumis tardivement.

B.Aspects positifs

3.Le Comité note avec satisfaction que, le 2 septembre 2011, l’État partie a reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications, conformément aux articles 21 et 22 de la Convention, et qu’il a ratifié les instruments internationaux ci‑après, ou y a adhéré :

a)Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 21 septembre 2010 ;

b)Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le 12 octobre 2010 ;

c)Convention relative au statut des apatrides et Convention sur la réduction des cas d’apatridie, toutes deux le 19 avril 2012.

4.Le Comité accueille également avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour réviser sa législation dans des domaines intéressant la Convention, notamment :

a)Les modifications apportées au Code pénal en novembre 2012, qui alourdissent les peines encourues pour actes de torture, qui érigent en infraction pénale les actes qui constituent des traitements inhumains ou dégradants (art. 166.1), qui suppriment le délai de prescription applicable aux actes de torture et aux mauvais traitements (art. 60.8) et qui établissent qu’aucune peine plus légère que celle prévue par la loi ne peut être encourue pour des actes de torture (art. 60, 79 et 107) ; et les modifications apportées au Code pénal le 9 juillet 2010, qui criminalisent la violence domestique (art. 201.1) et le viol conjugal (ajout de l’article 1331) ;

b)La modification du Code d’exécution, le 1er mars 2012, par l’ajout de l’article 1751, selon lequel le placement en détention pour une durée maximale de soixante-douze heures, à titre de mesure procédurale de contrainte, s’effectue dans un centre de détention temporaire ;

c)L’adoption de la loi no 52 sur le Défenseur du peuple (Médiateur), le 3 avril 2014 ; et la création d’un conseil pour la prévention de la torture agissant en qualité de mécanisme national de prévention au titre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 24 octobre 2016 ;

d)L’adoption de la loi no 137 sur la réadaptation des victimes de crimes, le 29 juillet 2016 ;

e)L’adoption de la loi sur le Bureau du Procureur, dans le cadre de la réforme du secteur judiciaire, en août 2016 ;

f)L’adoption de la loi no 121 sur l’égalité visant à prévenir et à punir la violence fondée sur des motifs raciaux, ethniques et religieux, le 25 mai 2012.

5.Le Comité accueille également avec satisfaction les initiatives engagées par l’État partie pour modifier ses politiques, programmes et mesures administratives dans le but de donner effet à la Convention, notamment :

a)La décision de créer une commission spéciale chargée de recenser et d’assister les civils et les policiers ayant été victimes de violences pendant les manifestations post-électorales, qui a été prise par le Premier Ministre le 15 avril 2010 ;

b)La création d’un service de lutte contre la torture, au sein du Bureau du Procureur général, le 4 mai 2010 ; l’élaboration, avec le Bureau du Médiateur, d’un plan d’action contre la torture et les mauvais traitements dans le système pénitentiaire, en septembre 2012 ; la promulgation d’un décret portant règlement sur la détection et le signalement des cas présumés de torture et de mauvais traitements, qui impose de notifier au Bureau du Procureur général dans un délai de vingt-quatre heures tout cas présumé de torture ou de mauvais traitement, le 31 décembre 2013 ; et la création d’un nouveau mécanisme national de prévention, en 2016 ;

c)L’adoption de la loi portant approbation de la stratégie de réforme du secteur judiciaire pour 2011-2016, en novembre 2011 ; l’approbation du plan d’application de ladite stratégie pour 2011-2016, en février 2012 ; et l’approbation de sa prorogation jusqu’à la fin 2017, en décembre 2016 ;

d)L’approbation du règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement des centres de réadaptation des victimes de violence domestique, en 2010 ;

e)L’approbation du plan national d’action pour les droits de l’homme (2012-2014), le 7 mars 2012, et l’élaboration du plan national d’action pour les droits de l’homme (2017-2021) ;

f)L’approbation du programme national pour la santé mentale, le 28 décembre 2012 ;

g)L’adoption de la stratégie de protection de l’enfance et de la famille (2013‑2020), en 2013 ;

h)L’adoption du plan d’action contre les mauvais traitements, la violence et la discrimination à l’égard des personnes placées en garde à vue (2017-2020), en septembre 2017, en vue de la mise en œuvre de la stratégie de perfectionnement de la police (2016‑2020), approuvée en mai 2016 ;

i)L’adoption de la stratégie de développement du système pénitentiaire pour 2016‑2020, en décembre 2016.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

6.Le Comité note que l’État partie n’est pas en mesure d’exercer un contrôle effectif sur le territoire de la Transnistrie, ce qui empêche l’application de la Convention dans cette région.

7.Dans ses précédentes conclusions finales (voir CAT/C/MDA/CO/2, par. 33), le Comité avait demandé à la République de Moldova de fournir de plus amples renseignements sur des points qu’il jugeait particulièrement préoccupants, à savoir : le mécanisme national de prévention et le manque de clarté concernant ses éléments constitutifs (par. 13) ; l’emploi excessif de la force par les agents de la force publique, notamment dans le contexte des manifestations qui ont eu lieu après les élections, en avril 2009, ainsi que les actes de torture et les mauvais traitements qui auraient été subis par des personnes arrêtées à la suite de ces manifestations (par. 15) ; le fait que des policiers et d’autres agents de la force publique étaient masqués et ne portaient pas de plaquettes d’identification pendant les manifestations post-électorales en avril 2009, ce qui avait empêché d’enquêter sur les plaintes pour torture ou mauvais traitements (par. 16) ; l’absence de loi spécifique accordant pleine réparation aux victimes de torture et de mauvais traitements (par. 20) ; et le placement en détention des personnes atteintes de la tuberculose (par. 24). Le Comité remercie l’État partie des réponses à ces questions et des informations de fond qu’il a fournies le 14 février 2011 (voir CAT/C/MDA/CO/2/Add.1) ainsi que dans son rapport suivant et pendant le dialogue interactif. Il note toutefois avec regret que l’État partie n’a pas donné suite à sa demande d’informations complémentaires, contenue dans la lettre envoyée par la Rapporteuse le 16 avril 2012 au titre du suivi des observations finales. Au vu de ces informations et des préoccupations susmentionnées (voir par. 12, 13, 15, 16, 19, 20, 29 et 30 du présent document), le Comité considère que les recommandations faites aux paragraphes 13, 15, 16, 20 et 24 de ses précédentes observations finales n’ont pas été appliquées.

Garanties juridiques fondamentales

8.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles :

a)Les personnes privées de liberté ne jouissent pas de toutes les garanties juridiques fondamentales dès leur placement en détention et, en particulier, n’ont pas la possibilité d’être assistées d’un avocat pendant tous les audiences ;

b)Les personnes arrêtées ne font pas toujours l’objet d’un examen médical peu après leur placement en détention et doivent souvent attendre au moins jusqu’au surlendemain de leur arrivée dans les locaux de détention de la police pour subir un tel examen, parfois pratiqué par du personnel paramédical et susceptible de se limiter à des questions sur leur état de santé ;

c)Les registres de détenus ne sont pas tenus à jour et les informations concernant l’imposition de mesures spéciales aux personnes privées de liberté, y compris pendant le transport, et la durée d’application de ces mesures ne sont pas systématiquement consignées (art. 2, 11 à 13, et 16).

9. L’État partie devrait faire en sorte que toutes les personnes détenues, y compris les personnes arrêtées et les personnes en détention provisoire, bénéficient effectivement de toutes les garanties juridiques fondamentales contre la torture, dès le début de leur privation de liberté. Il devrait veiller au respect de ces garanties et faire en sorte que tout fonctionnaire qui ne les accorde pas dans la pratique encoure des sanctions disciplinaires ou d’autres sanctions appropriées. En particulier, l’État partie devrait faire en sorte que :

a) L es détenus aient le droit de s’entretenir dans les meilleurs délais et en toute confidentialité avec un avocat qualifié et indépendant immédiatement après leur arrestation et à tous les stades de leur détention, y compris les audiences ;

b) L es détenus aient le droit de demander et d’obtenir un examen médical par un médecin indépendant dans les vingt-quatre heures suivant leur arrivée sur le lieu de détention ;

c) L es informations concernant la détention, y compris les mesures spéciales imposées et leur durée d’application, soient consignées dans un registre sur le lieu de détention et dans un registre central des personnes privées de liberté consultable par les avocats et les membres de la famille des personnes détenues, conformément à l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement ;

d) des mesures disciplinaires ou des poursuites soient engagées contre les fonctionnaires qui privent les détenus des garanties juridiques fondamentales prévues par la loi.

Détention provisoire

10.Le Comité est préoccupé par ce qui suit :

a)Après leur arrestation, les personnes soupçonnées d’une infraction peuvent être placées en garde à vue pendant soixante-douze heures avant d’être présentées devant un juge ; or, certaines ont passé jusqu’à deux mois dans les locaux de détention de la police ;

b)L’arrestation et la détention provisoires, qui créent des conditions particulièrement propices à la torture et aux mauvais traitements, sont imposées abusivement, y compris sans justification au regard de l’infraction commise ; le nombre de personnes placées en détention provisoire a augmenté de plus de 20 % depuis 2013 ; et il n’est pas suffisamment recouru aux mesures de substitution à la détention ;

c)En raison du recours excessif à la détention provisoire, les centres de détention temporaire sont tous surpeuplés et offrent généralement de mauvaises conditions matérielles (cellules sales et mal aérées, absence de chauffage en hiver et toilettes à l’intérieur des cellules) ;

d)Aucune procédure ou règle n’encadre l’action du personnel chargé de s’occuper des personnes avec un handicap mental ou intellectuel qui ont été arrêtées ;

e)Les mesures juridiques et pratiques visant à fermer les locaux de détention temporaire de la police qui ont été jugés inutilisables ne sont pas clairement définies (art. 2, 11 et 16).

11. L’État partie devrait  :

a) Faire en sorte que toutes les personnes arrêtées pour des infractions pénales soient traduites devant un juge dans un délai de quarante-huit heures et que nul ne soit placé en détention provisoire pour une durée supérieure à la durée légale, pour un acte qui ne le justifie pas au regard de la loi, ou dans un lieu jugé impropre au placement en détention, et offrir réparation aux personnes injustement maintenues en détention provisoire prolongée ;

b) Modifier sa législation et prendre toutes les mesures nécessaires afin de réduire la durée de la détention provisoire qui, selon les normes internationales, ne devrait être imposée qu’à titre exceptionnel, en dernier recours et pour une durée limitée ; et envisager de remplacer la détention provisoire par des mesures non privatives de liberté, telles que la surveillance électronique, dans les cas où l’infraction reprochée est mineure ;

c) Améliorer les conditions matérielles dans les locaux de détention temporaire et les locaux de détention provisoire, et faire en sorte que les locaux de détention qui sont considérés comme impropres à l’habitation ne soient pas utilisés ;

d) Veiller à ce que les centres de détention temporaire de la police et les centres de détention provisoire aient des procédures et un personnel qualifié pour communiquer avec les personnes ayant un handicap mental ou intellectuel.

Impunité pour les actes de torture et les mauvais traitements

12.Le Comité est profondément préoccupé par les informations selon lesquelles la plupart des actes de torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants signalés dans le contexte d’enquêtes de police judiciaire sont commis par des policiers ou d’autres agents des forces de l’ordre au moment de l’arrestation ou pendant l’enquête préliminaire, et selon lesquelles des représentants de la loi incitent les détenus à la violence en vue de punir telle ou telle personne ou de la forcer à coopérer. Il est en outre préoccupé par la faible proportion (moins de 20 %) d’allégations de torture et autres mauvais traitements qui donnent lieu à une enquête de police judiciaire en application des dispositions du paragraphe 1 de l’article 166 du Code pénal et par le très petit nombre de personnes reconnues coupables.

13.En particulier, le Comité constate avec préoccupation qu’alors que le ministère public a été saisi de 108 plaintes concernant les violences postélectorales du 7 avril 2009, qui ont fait 4 morts et plus de 600 blessés, moins de 10 personnes ont été amenées à répondre de ces violences et, à ce jour, aucune n’a été condamnée à une peine d’emprisonnement. Il s’inquiète en outre de ce que les mesures prises pour encourager les enquêtes en cas d’allégations de torture n’ont pas eu d’effet concret, comme le montrent des exemples récents. Ainsi, Andrei Braguta, décédé le 26 août 2017, serait mort après avoir été roué de coups par des policiers et quatre codétenus, sans que les autres policiers assistant à la scène n’interviennent, et après avoir contracté une pneumonie dans l’unité hospitalière de la prison n° 16 dans des circonstances laissant penser à une grave négligence. Si des poursuites pénales ont été engagées contre quatre détenus et trois policiers du centre de détention, le Comité constate avec préoccupation que, malgré la promulgation du décret portant règlement sur la détection et le signalement des cas présumés de torture et de mauvais traitements, aucun des nombreux agents de l’État concernés par ce texte qui, dix jours durant, ont été témoins des blessures présentées par M. Braguta, n’a signalé le cas de ce dernier à l’équipe du ministère public chargée de la lutte contre la torture, qui a appris le décès par les médias (art. 2 et 4, 11 à 13 et 16).

14. L’État partie devrait :

a) Réaffirmer sans ambiguïté, dans une déclaration publique adoptée au plus haut niveau, qu’il applique une politique de tolérance zéro pour les actes de torture et les mauvais traitements et que tous ces actes feront l’objet d’une enquête à l’issue de laquelle des poursuites seront rapidement engagées contre ceux qui les ont commis ou facilités ;

b) Veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements visant des agents de l’État ou d’autres personnes donnent lieu sans délai à une enquête impartiale menée avec toute la diligence voulue par un mécanisme indépendant, et à ce qu’il n’y ait aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés ;

c) Faire en sorte que toutes les personnes mises en cause pour des actes de torture ou des mauvais traitements soient suspendues de leurs fonctions immédiatement et pour toute la durée de l’enquête ;

d) Mettre en place des procédures de communication avec les personnes ayant un handicap mental ou psychosocial et former les policiers, les magistrats, le personnel pénitentiaire et tous les prestataires de services de santé aux méthodes applicables dans ce domaine, et incorporer le contenu du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) dans tous les programmes de formation destinés aux agents des forces de l’ordre. Lorsque des signes de torture ou de mauvais traitements sont constatés au cours d’un examen médical, par un médecin mandaté par l’État ou par un médecin indépendant, veiller à ce qu’une enquête indépendante soit ouverte rapidement ;

e) Transférer la responsabilité de l’administration des centres de détention temporaire du Ministère de l’intérieur au Ministère de la justice en vue de prévenir la torture et les mauvais traitements, comme le Comité l’a recommandé dans ses précédentes observations finales (CAT/C/CR/30/7, par. 6 i), et CAT/C/MDA/CO/2, par. 9) ;

f) Faire en sorte que, en droit et en pratique, chacun ait accès à un mécanisme indépendant et effectif de traitement des plaintes concernant les actes de torture et les mauvais traitements infligés par des agents de l’État, qui enquêtera et apportera une réponse rapidement, et faire connaître ce mécanisme au public ;

g) Soumettre à des mesures disciplinaires les fonctionnaires qui n’ont pas dûment enquêté sur une plainte concernant des actes de torture ou des mauvais traitements ou ont refusé de coopérer à l’enquête menée sur une plainte de ce type ;

h) Veiller à ce que les allégations de torture et de mauvais trait ements liées aux violences post électorales du 7 avril 2009 fassent l’objet d’enquêtes effectives et impartiales ;

i) Mener des enquêtes effectives et impartiales sur les allégations concernant la mort d’Andrei Braguta, notamment celles selon lesquelles l’intéressé aurait subi des violences avec la complicité d’agents de l’État, aurait été privé d’un accès rapide à des soins médicaux et aurait été victime d’une négligence médicale, et aurait été soumis à ce traitement sans que les nombreux agents de l’État au courant ne le signalent aux autorités compétentes, et faire en sorte que les responsables soient poursuivis en justice.

Mécanisme national de prévention de la torture

15.Tout en prenant note de l’adoption de la loi no 52 sur le Défenseur du peuple (Médiateur) et de la création du Conseil pour la prévention de la torture devant servir de mécanisme national de prévention conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, le Comité est préoccupé par ce qui suit :

a)La loi ne permet pas de déterminer avec certitude si le Conseil est un organe consultatif du Bureau du Médiateur, lequel serait le véritable mécanisme national de prévention, ou un organe collégial indépendant, dont le Bureau du Médiateur assurerait le secrétariat et le Médiateur ne serait qu’un membre ; or, cette ambiguïté pourrait conduire à un chevauchement des attributions et à une duplication des activités ;

b)Les membres du Conseil pour la prévention de la torture n’ont pas tous le même statut au sein de ce mécanisme national de prévention, ce qui peut nuire à l’efficacité et à l’indépendance du Conseil ainsi qu’à la coopération et à la communication d’informations entre ses membres ;

c)Le rôle du Conseil se limite à effectuer les visites prévues dans les centres de détention ;

d)Le mécanisme national de prévention ne dispose pas de ressources financières, administratives et humaines suffisantes pour s’acquitter de son mandat et n’a pas une grande visibilité auprès du public (art. 2).

16. L’État partie devrait :

a) Modifier la loi n o  52 pour lever toute ambiguïté nuisant au bon fonctionnement du Conseil pour la prévention de la torture et à la coopération entre ses membres ;

b) Faire en sorte que, dans le cadre de son mandat, le Conseil visite régulièrement, librement et inopinément tous les lieux où des personnes sont privées de liberté, y compris les hôpitaux psychiatriques, les instituts de psycho-neurologie et les établissements pour mineurs, et qu’il puisse mener des entretiens individuels et sans la présence de surveillants, comme indiqué dans le rapport du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’intention du mécanisme national de prévention (CAT/OP/MDA/2) ;

c) Permettre au Conseil de s’acquitter de son mandat de manière effective et indépendante, notamment en instaurant une procédure de sélection et de nomination de ses membres qui soit claire, transparente et participative, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), et en le dotant de ressources budgétaires, administratives et humaines suffisantes  ;

d) Donner suite aux recommandations faites par le Sous-Comité pour la prévention de la torture dans son rapport à l’intention du mécanisme national de prévention.

Conditions de détention

17.Le Comité est vivement préoccupé par les informations selon lesquelles au moins six établissements pénitentiaires sont surpeuplés, les détenus sont soumis à des conditions matérielles de détention qui mettent parfois leur vie en danger et qui donnent lieu à un traitement inhumain et dégradant, en particulier à la prison no 13 (Chisinau), et des détenus sont victimes de mauvais traitements en raison de la collusion entre des membres du personnel pénitentiaire et des éléments criminels. Il est aussi préoccupé par le fait que l’État partie n’est pas doté d’un mécanisme digne de ce nom pour examiner les plaintes des détenus concernant la manière dont ils sont traités et leurs conditions de détention (art. 2, 11 à 14 et 16).

18. L’État partie devrait :

a) Autoriser que des organes de surveillance indépendants, notamment le mécanisme national de prévention et des organismes internationaux, effectuent régulièrement des visites inopinées dans tous les lieux de détention et s’entretiennent en privé avec les détenus ;

b) Réduire la surpopulation dans tous les lieux de détention, en particulier dans les prisons  n o  2 (Lipcani), n o  6 (Soroca), n o  7 (Rusca), n o 15 (Cricova), n o  18 (Branesti) et n o 13 (Chisinau) (et envisager de fermer cette dernière), y compris en mettant en application les dispositions de loi autorisant le recours à des mesures de substitution à la détention, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) ;

c) S’employer plus activement à mettre les conditions de détention en conformité avec les normes internationales telles que l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), entre autres, en faisant en sorte que les détenus bénéficient de conditions matérielles et hygiéniques quantitativement et qualitativement adéquates, notamment pour ce qui est de la lumière naturelle et artificielle, du système d’assainissement et des installations sanitaires (dont les toilettes et les douches), du chauffage, de la ventilation, de la nourriture, des articles de literie, des couvertures et des produits d’hygiène personnelle, des soins de santé, des activités en plein air et des visites des proches ;

d) Prendre des mesures pour mettre fin aux relations collusoires des surveillants avec les groupes criminels dans les établissements pénitentiaires ;

e) Fournir aux surveillants et au personnel administratif des lieux de détention une formation continue sur les dispositions de la Convention et l’interdiction absolue de la torture ;

f) Donner suite aux recommandations faites par le Sous-Comité pour la prévention de la torture à l’i ssue de ses visites dans le pays en 2012.

Soins de santé dans le système pénitentiaire

19.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les soins de santé sont insuffisants dans les établissements pénitentiaires, les détenus reçoivent des services médicaux d’un personnel non qualifié et ne sont pas autorisés à obtenir une assistance médicale privée ou ne sont pas dirigés vers des spécialistes extérieurs lorsque cela est nécessaire, les besoins des détenus handicapés et de ceux qui nécessitent des services de santé mentale et des services psychosociaux ne sont pas pleinement satisfaits, et les besoins des femmes en matière de soins de santé et d’hygiène ne sont pas suffisamment pris en considération. Le Comité est également préoccupé par les informations faisant état de conditions matérielles particulièrement médiocres, de la mauvaise qualité des services médicaux et de l’adoption de sanctions disciplinaires contre des patients à l’hôpital pénitentiaire (prison no 16). Il s’inquiète en outre de ce que le personnel médical ne soit pas indépendant de l’administration pénitentiaire (art. 2, 10 et 11).

20. L’État partie devrait :

a) Intensifier ses efforts pour améliorer les soins de santé dans les établissements pénitentiaires, notamment par le recrutement d’un personnel médical qualifié en nombre suffisant, et la formation de ce personnel au Protocole d’Istanbul ;

b) Établir et faire appliquer des règles pour faciliter les demandes d’assistance médicale privée et de consultation de services spécialisés extérieurs aux détenus et pour satisfaire les besoins des personnes handicapées en milieu carcéral ;

c) Faire en sorte que les services médicaux pénitentiaires ne relèvent plus du Département des établissements pénitentiaires, mais du Ministère de la santé, du travail et de la protection sociale, et que l’hôpital pénitentiaire soit rattaché au Ministère de la santé ; prendre des mesures pour réduire la surpopulation carcérale ; améliorer les conditions matérielles, notamment en rénovant et en équipant les chambres des patients ; fournir de la nourriture et des médicaments en quantité suffisante ; et garantir aux patients souffrant de troubles neuropsychologiques l’accès à des programmes de traitement personnalisés et à des médicaments spécifiques , y  compris des antipsychotiques ;

d) Séparer les détenus en bonne santé de ceux qui présentent une tuberculose active dans tous les établissements de détention, fournir des soins médicaux spécifiques aux détenus présentant une tuberculose active multi-résistante, assurer une ventilation correcte des cellules, et adopter des mesures appropriées pour prévenir et enrayer efficacement la propagation du VIH/sida dans les établissements pénitentiaires ;

e) Adopter une approche tenant compte des besoins de chaque sexe et satisfaire les besoins des femmes en matière de soins de santé et d’hygiène personnelle dans le système pénitentia ire, conformément aux normes internationales.

Décès et violence dans les établissements de détention

21.Le Comité est très préoccupé par la hausse de 74 % des décès en détention entre 2012 et 2016 et par le nombre croissant de cas dans lesquels les autorités pénitentiaires n’ont pas publié de rapports sur la cause de ces décès, par les informations concernant l’usage excessif et disproportionné de la force physique et l’utilisation de mesures spéciales envers les personnes placées en détention, et par les rapports indiquant que le personnel pénitentiaire tolère les actes de violence commis par les membres de groupes criminels sur d’autres détenus (art. 2, 11 à 14, et 16).

22. L’État partie devrait :

a) Ouvrir sans délai des enquêtes approfondies et impartiales sur tous les cas de décès en détention, en assurant des examens médico-légaux indépendants ; fournir des rapports d’autopsie aux membres de la famille du défunt et autoriser les membres de la famille qui le demandent à faire réaliser une autopsie de leur côté ; traduire en justice les auteurs de violations de la Convention qui ont abouti à ces décès et, s’ils sont reconnus coupables, les punir en conséquence ;

b) Veiller à ce que les tribunaux de l’État partie acceptent les résultats des autopsies et des examens médico-légaux indépendants comme éléments de preuve dans les procédures pénales et civiles ;

c) Veiller à ce que le personnel pénitentiaire soit tenu d’enregistrer tous les cas dans lesquels la force physique et des mesures spéciales ont été utilisées contre des détenus et faire respecter les règles relatives à l’usage de la force dans le système pénitentiaire grâce à une surveillance régulière et indépendante ;

d) Former le personnel pénitentiaire à l’encadrement des détenus afin de prévenir les actes de violence entre prisonniers .

Violence familiale

23.Le Comité salue les modifications apportées au Code pénal pour ériger en infractions la violence familiale et le viol conjugal, mais il est préoccupé par les informations selon lesquelles les cas de violence familiale (laquelle constitue une forme de violence sexiste puisque l’écrasante majorité des victimes sont des femmes) ont été enregistrés en plus grand nombre, mais n’ont souvent pas donné lieu à des enquêtes et à des poursuites, et selon lesquelles la police et d’autres responsables de l’application des lois n’ont pas appliqué des ordonnances de protection émises à l’encontre d’agresseurs présumés. Il est aussi préoccupé par le fait que les victimes ne bénéficient pas de services suffisants, tels que des foyers d’accueil dans toutes les régions du pays (art. 2, et 10 à 14).

24. L’État partie devrait :

a) Mettre en place un mécanisme d’examen des plaintes efficace et indépendant à l’intention des victimes de violence familiale ;

b) Veiller à ce que toutes les allégations de violence soient enregistrées par la police et donnent rapidement lieu à des enquêtes impartiales et efficaces et, à cet effet, remédier à l’inefficacité des techniques d’enquête et à la mauvaise utilisation des preuves dans les affaires de violence familiale, en particulier de viol ;

c) Veiller à ce que les victimes de violence familiale soient protégées, notamment en assurant l’application rapide et effective des ordonnances de protection ;

d) Veiller à ce que les victimes de violence familiale aient accès à des services médicaux et juridiques, y compris des conseils, à des mesures de réparation et de réadaptation, ainsi qu’à des foyers d’accueil sûrs et dotés d’un financement suffisant dans tout le pays ;

e) Dispenser une formation obligatoire aux policiers et autres agents de la force publique, aux travailleurs sociaux, aux avocats, aux procureurs et aux juges pour qu’ils puissent donner suite aux affaires de violence familiale rapidement et efficacement ;

f) Recueillir des données statistiques sur les cas de violence familiale et d’autres formes de violence sexiste, y compris de viol conjugal, ventilées en fonction de l’âge, de l’origine ethnique des victimes et de leur lien avec leur agresseur, ainsi que sur le nombre de plaintes déposées, les enquêtes ouvertes, les poursuites engagées, les condamnations prononcées et les peines infligées.

Traite des êtres humains et corruption de fonctionnaires

25.Le Comité est préoccupé par le fait que des victimes, majeures et mineures, de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé continuent de venir de la République de Moldova. Il est aussi préoccupé par le fait que le nombre d’enquêtes et de poursuites a sensiblement diminué entre 2015 et 2016 et que la corruption, en particulier parmi les responsables de l’application des lois et les représentants du pouvoir judiciaire, ainsi que des obstacles juridiques et organisationnels empêchent le respect de la législation et l’engagement de poursuites effectives, et influent sur l’issue des affaires. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles les autorités ont recensé et assisté un moins grand nombre de victimes que par le passé (art. 2, 11 à 14, et 16).

26. L’État partie devrait prendre sans délai des mesures efficaces pour prévenir la traite des êtres humains sur son territoire et ouvrir des enquêtes, engager des poursuites et condamner les personnes déclarées coupables de traite, y compris les fonctionnaires, à des peines qui sont à la mesure de la gravité du crime, conformément aux articles pertinents du Code pénal. De plus, l’État partie devrait assurer aux victimes l’accès à des recours effectifs, y compris des mesures de réadaptation, sur l’ensemble de son territoire.

Non-refoulement

27.Tout en prenant note des informations communiquées par l’État partie pendant le dialogue, le Comité est préoccupé par la diminution du nombre et du taux de demandeurs d’asile qui ont obtenu le statut de réfugié ou une protection humanitaire dans l’État partie. Il est aussi préoccupé par l’augmentation des détentions de demandeurs d’asile et du nombre de décisions d’expulsion.

28. L’État partie devrait pourvoir à un accès rapide et équitable à une procédure individuelle de détermination du statut de réfugié, communiquer sans délai des informations sur le droit de demander asile, s’abstenir de placer en détention les demandeurs d’asile, veiller à placer en détention les migrants sans papier uniquement en dernier recours et pour une période aussi courte que possible, notamment en appliquant des mesures non privatives de liberté, et faire en sorte que le principe de non-refoulement soit pleinement respecté.

Mesures de réparation en faveur des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements

29.Le Comité salue l’adoption, le 29 juillet 2016, de la loi no 137 sur la réadaptation des victimes de crimes, qui couvre également la torture, et prend note du dialogue avec l’État partie, mais il est préoccupé par les informations selon lesquelles la loi n’est pas compatible avec les prescriptions relatives à la réadaptation des victimes de torture énoncées à l’article 14 de la Convention et décrites dans l’observation générale no 3 (2012) du Comité sur l’application de l’article 14 par les États parties, et selon lesquelles il n’existe pas de mécanisme d’application efficace (art. 2 et 14).

30. L’État partie devrait :

a) Modifier la loi n° 137 afin que les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements bénéficient de toutes les formes de réparation, y compris la restitution, l’indemnisation, la réadaptation et la satisfaction et les garanties de non-répétition ;

b) Mettre en place un programme de réadaptation détaillé en faveur des victimes de torture et de mauvais traitements, comme indiqué dans l’observation générale n o  3 (2012) du Comité sur l’application de l’article 14 de la Convention, notamment en modifiant les règles procédurales d’identification, d’enregistrement et de signalement des cas présumés de torture et de traitements inhumains ou dégradants de sorte qu’un mécanisme d’orientation soit chargé de mobiliser les institutions de l’État compétentes en vue de la détection rapide et de la réadaptation des victimes de torture et de mauvais traitements ; établir un programme public de réadaptation à l’intention des victimes de torture et prévoir des crédits budgétaires suffisants sans compromettre l’indépendance des prestataires de services ; faire en sorte que ce programme offre des services de réadaptation spécialisés et axés sur les victimes qui soient appropriés, disponibles et rapidement accessibles, et qui ne soient pas subordonnés au dépôt d’une plainte administrative ou pénale en bonne et due forme ;

c) Établir un système de collecte de données pour déterminer le nombre de victimes de torture et de mauvais traitements et leurs besoins précis en matière de réparation et de réadapta tion.

Traitement des personnes dans les établissements psychiatriques et neuropsychiatriques et autres établissements résidentiels

31.Le Comité est profondément préoccupé par les informations selon lesquelles des personnes présentant des troubles mentaux et des handicaps psychosociaux ou intellectuels sont placées dans des hôpitaux psychiatriques et des établissements neuropsychiatriques et ont de mauvaises conditions de vie, notamment du fait du manque de nourriture et d’hygiène, en particulier dans les institutions de Balti et de Cocieri ; un grand nombre des personnes placées dans ces institutions ont été privées de la capacité juridique ; des patients ont été enfermés dans des établissements neuropsychiatriques, notamment à des fins disciplinaires ; des résidents d’internats ont été envoyés dans des établissements psychiatriques à titre de sanction, comme cela aurait été le cas d’un ancien proviseur, Igor Sandler ; certaines personnes privées de liberté sont victimes d’exploitation et de violences sexuelles de la part des surveillants ; et les taux de mortalité sont élevés dans les établissements neuropsychiatriques (art. 2, 11 à 14, et 16).

32. L’État partie devrait :

a) De toute urgence, faire en sorte que des mécanismes de contrôle indépendants aient accès aux hôpitaux psychiatriques et aux établissements neuropsychiatriques, et prévoir des mécanismes de plainte indépendants pour les patients de tous les hôpitaux psychiatriques et établissements neuropsychiatriques ainsi que pour les membres de leur famille ;

b) Veiller à ce que des enquêtes rapides, impartiales et efficaces soient menées sur toutes les allégations de mauvais traitements ou de violence, y compris les actes de violence commis ou tolérés par le personnel administratif et médical employé dans ces établissements, poursuivre les responsables présumés et accorder réparation aux victimes ;

c) Faire en sorte que nul ne soit placé dans ces établissements pour des raisons autres que médicales, notamment en garantissant que les patients aient le droit d’être entendus en personne par le juge ordonnant l’hospitalisation et que les juges sollicitent toujours l’avis d’un psychiatre, et faire en sorte que les décisions de placement en institution puissent faire l’objet d’un recours ;

d) Réexaminer tous les cas de personnes qui ont été placées de force dans des hôpitaux psychiatriques pour des raisons autres que médicales et donner à ces personnes la possibilité de recouvrer la liberté et d’obtenir réparation ;

e ) Prendre d’urgence des mesures pour améliorer les conditions matérielles, notamment en matière d’alimentation et d’hygiène, dans tous les hôpitaux psychiatriques et les établissements neuropsychiatriques.

Procédure de suivi

33. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir au plus tard le 6 décembre 2018 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant l’octroi de garanties juridiques fondamentales aux personnes privées de liberté, la mort en détention d’Andrei Braguta et le mécanisme national de prévention (voir par. 9, 14 i) et 16 c) ci-dessus). Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici à la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

34. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales.

35. Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le quatrième, le 6 décembre 2021 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait que l’État partie a accepté d’établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui adressera en temps voulu une liste pré alable de points à traiter. Les  réponses de l’État partie à cette liste constitueront le quatrième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention.