Nations Unies

CAT/C/65/D/822/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 février 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 822/2017 * , **

Communication présentée par :

Y. G. (représenté par un conseil, Urs Ebnöther)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

22 avril 2017 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

26 novembre 2018

Objet :

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Question ( s ) de procédure :

Néant

Question (s) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article (s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est Y. G., de nationalité iranienne, né le 21 septembre 1981. Il a demandé l’asile en Suisse mais sa demande a été rejetée. Il risque d’être expulsé vers la République islamique d’Iran et fait valoir que son rapatriement forcé constituerait une violation, par la Suisse, de l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 25 avril 2017, le Comité, agissant en application de l’article 114 de son règlement intérieur par l’intermédiaire du Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la République islamique d’Iran tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a commencé à s’intéresser à la politique lorsqu’il était adolescent, ce qui l’a amené à faire des études de relations internationales. Il a pris part à une manifestation à dix jours de l’élection présidentielle iranienne du 13 juin 2009. Le 8 février 2011, il a participé à une autre manifestation à Shiraz, dans le cadre du Mouvement vert. Quand des agents de l’État et des membres de la milice bassidji ont encerclé les manifestants, ceux-ci ont tenté de fuir et, dans sa fuite, le requérant a perdu son portefeuille. Lorsqu’il s’en est rendu compte, il s’est retourné et a vu, derrière lui, des policiers qui avaient probablement ramassé son portefeuille. Le requérant a ensuite été arrêté le 12 février 2011 et placé en détention dans une cellule souterraine. Le 15 février 2011, il a été interrogé pendant une heure par le tribunal. Il a été libéré sous caution le lendemain. Afin d’éviter d’autres persécutions, le requérant a quitté la République islamique d’Iran le 9 avril 2011.

2.2Le requérant est arrivé en Suisse à une date qui n’est pas précisée et a déposé sa première demande d’asile le 4 juillet 2011. Le 23 septembre 2011, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté cette demande au motif que le requérant n’avait pas présenté de papiers d’identité ni donné de raisons crédibles pour expliquer pourquoi il ne pouvait le faire. Son recours a été rejeté par le Tribunal administratif fédéral le 13 octobre 2011.

2.3En septembre 2011, le requérant a adhéré à l’Association démocratique pour les réfugiés. Compte tenu de sa formation, il s’est rapidement vu confier des responsabilités au sein de l’association. En 2012, il a intégré une équipe de cinq personnes et a commencé à rédiger des communications et à publier des informations sur la page Web en persan de l’association, dont il assure seul l’administration depuis septembre 2013.

2.4Le 23 juillet 2012, le requérant a déposé une deuxième demande d’asile dans laquelle il faisait valoir qu’il était politiquement actif en tant que membre de l’Association démocratique pour les réfugiés depuis septembre 2011, soit avant que la décision sur sa première demande d’asile ait été rendue. Le 7 février 2014, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté sa demande. Le recours du requérant devant le Tribunal administratif fédéral a également été rejeté le 9 avril 2014, le Tribunal estimant qu’en tant que membre de l’Association démocratique pour les réfugiés, le requérant n’était pas exposé au point de risquer d’être persécuté en cas de renvoi en République islamique d’Iran, car ses activités n’étaient guère différentes de celles des autres Iraniens en exil.

2.5Depuis septembre 2014, le requérant est le principal responsable de la page Web de l’émission radiophonique hebdomadaire intitulée « La voix de la résistance » (Stimme des Widerstandes ), dont il assure en outre la présentation. Tous les six mois, il établit un rapport à l’intention du comité exécutif de l’Association démocratique pour les réfugiés. Le rédacteur en chef mis à part, le requérant est le seul contributeur dont le nom soit mentionné sur ce document. La page Web en persan indique qu’il en est le responsable. Le requérant publie aussi des déclarations politiques contre le régime iranien sur sa page Facebook − sur laquelle figurent son nom complet et sa photographie − et participe à de nombreuses manifestations et rassemblements contre l’oppression et pour le respect des droits de l’homme en République islamique d’Iran. Le 17 octobre 2012, il a signé une pétition adressée à celle qui était alors la Présidente du Conseil fédéral suisse pour lui demander de faire fermer l’ambassade iranienne à Berne au motif qu’il était de notoriété publique que le personnel de celle-ci menait des activités d’espionnage.

2.6Le 6 janvier 2015, le requérant a présenté une troisième demande d’asile fondée sur son activité politique d’alors. Le 30 janvier 2015, le Secrétariat d’État aux migrations l’a débouté. Il avait en premier lieu rejeté une demande du requérant tendant à être de nouveau entendu, au motif que pour cette troisième demande celui-ci avait exposé les faits par écrit avec l’assistance d’un avocat. Sur le fond, le Secrétariat d’État aux migrations a concédé que les autorités iraniennes surveillaient l’activité politique à l’étranger, mais a estimé qu’elles se concentraient sur les personnes qu’elles considéraient comme des opposants au Gouvernement sérieux et dangereux. Les autorités iraniennes savaient faire la différence entre les opposants réels et les militants en exil qui, comme le requérant, n’avaient pas été politiquement actifs en République islamique d’Iran et ne les intéressaient donc pas. Le Secrétariat d’État aux migrations a estimé, au vu des documents que le requérant avait produits pour attester du caractère hautement politique de ses activités, que celui-ci s’intéressait essentiellement à des événements de notoriété publique qui survenaient en République islamique d’Iran et que son opposition ne se distinguait pas des formes habituelles de l’opposition politique en exil. Il a en outre estimé que le requérant n’avait commencé à développer son profil politique qu’après que sa première demande eut été rejetée, et ce, pour obtenir un permis de séjour. Dans la mesure où il n’avait pas d’activités politiques en République islamique d’Iran, le Secrétariat d’État aux migrations doutait de son engagement politique. Il doutait aussi que les autorités iraniennes puissent surveiller la pléthore de données disponibles sur Internet et a estimé qu’il était plus probable qu’elles se concentrent sur les opposants qui, à la différence du requérant, avaient de véritables convictions et étaient de ce fait considérés comme représentant une menace réelle pour l’État. Le Secrétariat d’État aux migrations n’a pas trouvé d’éléments précis donnant à penser que les autorités iraniennes étaient au fait des activités alléguées par le requérant et en a conclu que celui-ci n’avait pas un profil politique susceptible d’attirer leur attention.

2.7Le requérant a formé un recours contre cette décision, soutenant qu’il avait été persécuté en République islamique d’Iran pour avoir participé à une manifestation. Il était devenu un membre actif de l’Association démocratique pour les réfugiés en septembre 2011, alors que la décision concernant sa première demande d’asile n’avait pas encore été rendue, et son engagement n’avait fait que croître par la suite. L’appréciation du Secrétariat d’État aux migrations relevait selon lui d’une généralisation, car il occupait à présent une fonction qui lui conférait différentes responsabilités, et présentait incontestablement un profil politique. Plusieurs Iraniens avaient obtenu le statut de réfugié sur la seule base de leurs activités en exil. Si sa cause avait été équitablement entendue et si le Secrétariat d’État aux migrations avait réellement examiné le contenu de ses déclarations, il aurait constaté la sincérité profonde et la finesse des critiques du requérant à l’égard du régime iranien.

2.8Le 23 février 2017, le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision du Secrétariat d’État aux migrations. Il a estimé que les allégations du requérant selon lesquelles il avait été persécuté en République islamique d’Iran pour avoir participé à une manifestation n’étaient pas crédibles ; que sa fonction de principal responsable du site Web de l’Association démocratique pour les réfugiés ne semblait guère différente des tâches qu’il accomplissait auparavant comme simple membre de l’équipe ; qu’il n’était pas habilité à prendre des décisions importantes au sein de l’association ; que sa fonction de présentateur n’était pas la preuve d’une intensification de son profil politique ; que présenter les actualités ne faisait pas de lui un militant politique en vue ; que son activité sur Facebook consistait en des messages contestataires formulés en termes généraux qui se bornaient à rendre compte d’événements ou dénoncer des abus commis en République islamique d’Iran ; et que les photographies prises de lui lors d’une manifestation ne le faisaient pas apparaître comme un opposant sérieux au Gouvernement de la République islamique d’Iran. Le Tribunal a conclu que le requérant n’avait pas acquis un profil politique tel qu’il risquait d’être persécuté en République islamique d’Iran en tant qu’opposant sérieux et dangereux.

2.9Dans une lettre datée du 19 avril 2017 adressée au Comité, l’Association démocratique pour les réfugiés atteste que le requérant est membre actif de l’association depuis septembre 2011 et qu’il est un opposant farouche au régime iranien. Du fait de ses activités au sein de l’association, il est hautement probable qu’il serait persécuté s’il était renvoyé en République islamique d’Iran.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient qu’il est victime d’une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie, dont les autorités ont ordonné son expulsion vers un pays où il est certain qu’il risque d’être soumis à un traitement contraire à la Convention.

3.2Le requérant évoque la menace de préjudice grave pesant sur les personnes qui présentent ne serait-ce qu’un profil d’opposant modéré au régime iranien. Dans les arrêts qu’elle a rendus dans les affaires R .  C .c. Suède et M .  A .c. Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a fait observer que quiconque manifestait contre le régime iranien ou s’opposait à lui de quelque manière que ce soit risquait d’être placé en détention et maltraité, voire torturé. Le Comité a constaté, dans l’affaire Tahmuresi c. Suisse (CAT/C/53/D/489/2012), que des rapports récents indiquaient que même les opposants de moindre envergure étaient étroitement surveillés en République islamique d’Iran et que les autorités iraniennes surveillaient efficacement les communications par Internet et les détracteurs du régime tant dans le pays qu’à l’étranger (par. 7.6). Le Comité a en outre relevé avec préoccupation qu’en République islamique d’Iran il était fréquent que les opposants politiques soient placés en détention et torturés (par. 7.5).

3.3Le requérant conteste la conclusion du Tribunal administratif fédéral selon laquelle ses activités politiques en Suisse ne faisaient pas de lui une personnalité politique en vue. Il invoque des décisions rendues dans d’autres affaires, dans lesquelles le Tribunal a jugé que des membres de haut rang de l’Association démocratique pour les réfugiés étaient suffisamment exposés pour risquer d’être persécutés s’ils étaient renvoyés en République islamique d’Iran, ou que des requérants iraniens qui étaient politiquement actifs en exil et prenaient part à des manifestations risquaient fort d’être persécutés en raison de leur activisme politique s’ils étaient renvoyés en République islamique d’Iran. Dans ces affaires, le Tribunal a déduit de faits connus des autorités suisses compétentes en matière d’asile que les autorités iraniennes surveillaient systématiquement les activités et les manifestations auxquelles les citoyens iraniens prenaient part à l’étranger, qu’elles collectaient les données y relatives et prenaient des mesures rigoureuses contre les dissidents. Le requérant fait valoir que même s’il n’a pas officiellement le titre d’un dirigeant, ses activités parlent d’elles-mêmes. Il occupe un poste important dans l’association et joue un rôle essentiel dans les activités de celle-ci. Sa fonction d’animateur ne consiste pas simplement à présenter des informations politiques mais traduit une prise de position personnelle sur la situation en République islamique d’Iran. Il ne sera pas perçu comme un « messager » par les autorités iraniennes, mais bien comme un militant manifestant un attachement réel à la cause et représentant de ce fait un risque pour le régime. Son activisme politique lui confère un profil politique similaire à celui d’autres militants, membres ou anciens membres de l’Association démocratique pour les réfugiés, auxquels l’asile a été accordé. Le requérant n’occupe pas un poste administratif et ne participe pas passivement à des manifestations, mais joue au contraire un rôle de premier plan dans les activités menées dans le cadre de l’association et en dehors de celle-ci. Il est responsable de deux sites Web, où figurent son nom, son numéro de téléphone et sa photographie afin que tout le monde puisse le contacter ou lui adresser des commentaires.

3.4Les autorités suisses n’ont pas tenu compte du fait que des informations fiables confirment que les autorités iraniennes observent de près et répertorient les activités politiques de la diaspora iranienne. Un rapport du Service danois de l’immigration atteste que les ambassades iraniennes et leurs réseaux d’informateurs surveillent de très près les demandeurs d’asile et les réfugiés. Un rapport détaillé de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés confirme que les citoyens iraniens vivant en Suisse qui occupent un poste important à l’Association démocratique pour les réfugiés sont exposés à un réel risque de persécution s’ils sont expulsés vers la République islamique d’Iran.

3.5Il est donc extrêmement probable que le requérant ait attiré l’attention des autorités iraniennes, qui considéreront ses activités politiques non seulement comme dénigrant le régime − ce qui constitue en soi une infraction pénale en République islamique d’Iran − mais aussi comme une menace extérieure pour la sécurité intérieure du pays. Compte tenu de la situation déplorable des droits de l’homme dans celui-ci, ainsi que de la répression notoire qu’exerce le régime actuel contre toute forme d’opposition, le requérant est fondé à craindre d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en République islamique d’Iran.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 25 octobre 2017, l’État partie a soumis des observations sur le fond de la communication. Il rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence dans l’État partie concerné d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Eu égard à l’observation générale no 1 (1997) du Comité, sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, le requérant doit établir l’existence d’un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture à son retour dans son pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. D’autres motifs doivent exister qui permettent de qualifier le risque de torture de sérieux (par. 6 et 7). Les éléments suivants doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un tel risque : preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans l’État concerné ; allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et preuves émanant de sources indépendantes à l’appui de celles-ci ; activités politiques du requérant à l’intérieur ou à l’extérieur de l’État concerné ; preuves de la crédibilité du requérant ; et éventuelles incohérences factuelles dans ses affirmations (par. 8).

4.2L’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant de penser qu’un individu serait victime de torture à son retour dans ce pays. Le Comité doit déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. D’autres motifs doivent exister qui montrent, aux fins du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, que le risque de torture est prévisible, réel et personnel.

4.3Bien que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran soit inquiétante à plusieurs égards, tels que le recours massif et systématique à la torture physique et psychologique pour soutirer des aveux, la situation qui règne dans le pays d’origine du requérant ne constitue pas en soi un motif suffisant de conclure que celui-ci risque d’y être torturé s’il y est renvoyé. Le requérant n’a pu démontrer qu’il courait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture. Il n’affirme pas non plus avoir été soumis à la torture par les autorités iraniennes.

4.4En ce qui concerne ses activités politiques dans son pays d’origine, le requérant affirme qu’il soutient le Mouvement vert depuis les élections de 2009 et qu’à ce titre il a collé des affiches dans des villages et distribué des rubans verts. Il a aussi participé à deux manifestations. Les autorités suisses en matière d’asile ont dûment examiné ces allégations et ne les ont pas jugées plausibles. Le requérant n’a pas apporté la preuve d’une réelle implication politique qui aurait fait de lui une personnalité en vue. Il est donc peu probable que les autorités iraniennes se soient servies pour le rechercher de la carte d’identité qu’il dit avoir perdue, laquelle pourrait aussi avoir été trouvée par une autre personne ou volée.

4.5Pour ce qui est des activités politiques du requérant en Suisse, l’État partie n’ignore pas que les autorités iraniennes surveillent les activités politiques de leurs ressortissants à l’étranger. Il convient toutefois d’apprécier chaque cas particulier pour déterminer s’il y a une forte probabilité, en cas de renvoi, que les activités politiques de l’intéressé en exil aient de graves répercussions. Les services secrets iraniens s’intéressent principalement aux personnes qui ont un profil particulier, dont les actes vont au-delà de l’opposition collective et qui occupent des fonctions ou se livrent à des activités susceptibles de représenter une menace sérieuse et concrète pour le régime. Ils sont tout à fait capables de distinguer les activités politiques reflétant une conviction personnelle sérieuse de celles menées principalement pour obtenir un permis de séjour. Dans son arrêt du 23 février 2017, le Tribunal administratif fédéral a jugé que pour déterminer si une personne courait un risque, c’était les actes concrets visant à amener un changement effectif et déterminé dans la situation politique du pays d’origine qui importaient, et non l’intitulé du poste qu’occupait l’intéressé ou le nombre de ses activités.

4.6Le requérant n’ayant pas rapporté la preuve des activités politiques qu’il affirme avoir menées en République islamique d’Iran et des poursuites dont il aurait fait l’objet pour cette raison, rien ne permet de penser que les autorités iraniennes le considéraient comme un opposant politique avant qu’il quitte le pays. Ses activités ne vont pas au-delà de la contestation politique à laquelle se livrent d’ordinaire les citoyens iraniens exilés. Le fait qu’il soit responsable du site Web de l’Association démocratique pour les réfugiés n’implique pas qu’il joue un rôle effectif ou décisionnaire au sein de l’organisation. Le fait qu’il présente les informations à la radio n’atteste pas non plus d’un engagement politique qui l’exposerait. Il en va de même des messages que le requérant publie sur Facebook, dans lesquels il relate des événements ou dénonce la situation en République islamique d’Iran. Ces messages ne font pas du requérant un opposant en vue qui pourrait être perçu comme dangereux par le régime iranien. Les photographies le montrant à différentes manifestations ne l’exposent pas non plus à un risque important d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République islamique d’Iran, car elles ne prouvent pas qu’il exerçait une fonction particulière dans ce contexte. Les lettres de l’Association démocratique pour les réfugiés à l’appui des allégations du requérant ne modifient pas cette appréciation, car il s’agit probablement de documents de complaisance.

4.7Lors de l’audition du 5 février 2014 sur sa deuxième demande d’asile, le requérant a déclaré qu’il avait adhéré à l’Association démocratique pour les réfugiés au début du mois d’octobre 2011. Ce n’est qu’ultérieurement qu’il a affirmé avoir rejoint l’association en septembre 2011. Comme sa première demande d’asile a été rejetée le 23 septembre 2011, il est manifeste que − contrairement à ce qu’il allègue − son engagement politique en exil n’a commencé qu’après que sa première demande d’asile eut été rejetée. Les autorités iraniennes savent faire la distinction entre des activités de ce type, qui ont pour objet de conférer visibilité à celui qui s’y livre, et un engagement authentique découlant d’une conviction profonde.

4.8Compte tenu de l’énorme quantité d’informations disponible sur Internet, il est peu probable que les autorités iraniennes puissent toutes les suivre. Il est probable qu’elles se concentrent sur les opposants qui représentent un danger potentiel pour le régime. Le grand nombre d’activités menées dans toute l’Europe occidentale pour dénoncer le régime iranien le confirme. En l’espèce, rien n’indique que les autorités iraniennes ont connaissance des activités du requérant ou s’y intéressent.

4.9Pour ce qui est de la pratique des autorités suisses, l’État partie indique que le Tribunal administratif fédéral a rejeté la demande d’une personne qui présentait un profil similaire à celui du requérant. En ce qui concerne la pratique du Comité, l’État partie fait observer qu’à la différence du requérant dans l’affaire Tahmuresic. Suisse, en l’espèce le requérant n’est pas le responsable de l’association dans un canton suisse.

4.10En ce qui concerne la crédibilité et la cohérence des allégations du requérant, les autorités suisses en matière d’asile ont estimé que ces allégations n’étaient pas plausibles. En particulier, le requérant a fourni, quant aux infractions dont il aurait été accusé en République islamique d’Iran, des renseignements vagues et en partie contradictoires. Il n’a pas expliqué pourquoi il avait été libéré sous caution alors qu’apparemment son avocat pensait qu’il serait condamné à la peine maximale. De même, ses allégations concernant la manière dont il est arrivé en Suisse ne sont pas plausibles, car le requérant prétend avoir voyagé caché dans un camion et n’avoir pu en sortir qu’une fois, en Turquie.

4.11Compte tenu de ce qui précède, l’État partie considère que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il risquait personnellement et spécifiquement d’être soumis à la torture par les autorités iraniennes.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie le 30 janvier 2018. L’État partie ne conteste pas qu’il était politiquement actif en République islamique d’Iran, mais avance simplement que ses activités n’étaient pas d’une ampleur suffisante pour que les autorités iraniennes se soucient de ses opinions politiques. Son engagement politique en République islamique d’Iran n’est donc pas contesté. S’agissant des observations de l’État partie quant au caractère vague et contradictoire de ses déclarations concernant les infractions dont il était accusé en République islamique d’Iran, le requérant fait valoir que les autorités iraniennes elles-mêmes ont été très vagues à ce sujet. Il est plus que courant que les autorités iraniennes accusent les citoyens d’infractions qu’ils n’ont pas commises et formulent donc à dessein des allégations aussi vagues que possible.

5.2En ce qui concerne les activités politiques du requérant, l’État partie les analyse une à une et n’a donc pas procédé à leur appréciation globale. Or, prises ensemble, les nombreuses activités du requérant prouvent bien qu’il est politiquement très actif, et donc exposé. Ses activités et responsabilités au sein de l’Association démocratique pour les réfugiés prouvent qu’il est devenu un membre important, voire essentiel, de cette association. Le requérant est responsable du site Web de celle-ci et écrit, pour son journal Kanou n, de nombreux articles très critiques à l’égard du Gouvernement de la République islamique d’Iran.

5.3Contrairement à ce qu’allègue l’État partie, le requérant joue de fait un rôle de premier plan lors des manifestations et des rencontres organisées par l’Association démocratique pour les réfugiés et l’alliance des forces démocratiques iraniennes. Prises ensemble, les nombreuses tâches dont il est responsable au sein de l’Association démocratique pour les réfugiés − rédaction d’articles, administration du site Web et conduite de manifestations − prouvent qu’il y joue un rôle important et qu’il est une personnalité en vue et un membre très actif de l’opposition. Le fait qu’il a adhéré à l’association par conviction personnelle ne saurait être contesté sur la seule base du mois au cours duquel il en est devenu membre, d’autant moins que le processus d’adhésion à une organisation peut prendre plusieurs mois.

5.4Le requérant rappelle également qu’il anime l’émission de radio de l’opposition intitulée « La voix de la résistance » et que les articles qu’il a écrits pour Kanoun ont été diffusés à l’antenne. Il est l’un des plus fréquents animateurs de l’émission. Le requérant produit en outre une lettre de la section suisse du Parti démocratique du Kurdistan-Iran datée du 24 mars 2015 et une autre du Comité à l’étranger du parti Komala du Kurdistan iranien datée du 10 mars 2015, qui confirment qu’il est connu pour son militantisme en faveur des droits civils. Ces deux lettres indiquent qu’en raison de ses activités politiques, le requérant risque d’être persécuté s’il est renvoyé en République islamique d’Iran.

5.5Le requérant évoque en outre son profil public sur Facebook et les messages qu’il publie quotidiennement sur les violations graves des droits de l’homme auxquelles se livre le régime iranien. Des rapports indiquent que les autorités iraniennes exercent une surveillance généralisée, par l’intermédiaire de leurs services secrets, sur les personnes qu’elles considèrent comme des détracteurs du régime. Le Comité lui-même a reconnu que les autorités iraniennes surveillaient effectivement les communications sur Internet et les détracteurs du régime, tant en République islamique d’Iran qu’à l’étranger. Le requérant rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, dans l’affaire R .  C .c. Suède, que non seulement les dirigeants politiques mais aussi les personnes qui participaient pacifiquement à des manifestations étaient exposés à des persécutions et à des arrestations arbitraires. Il fait en outre valoir qu’en 2010, le Gouvernement a créé une unité de police chargée de lutter contre la cybercriminalité qui a pour mission de scruter le Web à la recherche des personnes qui « répandent des mensonges » sur le régime et l’« injurient ».

5.6Avec l’aggravation des tensions en 2017 et le mouvement généralisé de contestation auquel on assiste à présent en République islamique d’Iran, la répression des autorités iraniennes contre toute forme de dissidence s’est intensifiée. Il n’est pas surprenant qu’en 2017, le Gouvernement ait adopté de nouvelles lois réprimant pénalement toute forme d’expression jugée « contraire à la gestion du pays et à ses institutions politiques ». Le Secrétaire général a lui aussi exprimé son inquiétude face aux restrictions constantes des libertés publiques et aux persécutions dont font l’objet les acteurs de la société civile (A/HRC/34/40).

5.7Il est par conséquent fort probable qu’en raison des nombreuses activités du requérant en Suisse, le Gouvernement iranien a connaissance de ses opinions et du rôle actif qu’il joue dans l’opposition. L’État partie n’a pas apprécié l’ensemble des activités du requérant et ne s’est donc pas rendu compte que celui-ci était très actif et qu’il jouait un rôle décisif au sein de l’opposition au régime iranien en Suisse, de sorte qu’il est très exposé et risque d’être persécuté par les autorités iraniennes à son retour.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles.

6.3Ne trouvant aucun autre obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité déclare recevable la requête soumise en vertu de l’article 3 de la Convention et va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant en République islamique d’Iran constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour en République islamique d’Iran. Pour ce faire, le Comité doit, aux termes du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour considérer qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne. Le Comité relève en outre que la République islamique d’Iran n’étant pas partie à la Convention, dans l’éventualité d’une violation dans ce pays des droits qu’il tient de la Convention, le requérant serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour obtenir une quelconque forme de protection.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, aux termes de laquelle l’obligation de non-refoulement visée à l’article 3 de la Convention existe chaque fois qu’il y a des motifs sérieux de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité a pour pratique de considérer que des motifs sérieux existent chaque fois que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel (par. 11). Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment, l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant, les actes de torture subis antérieurement, la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine, et la fuite clandestine du pays d’origine suite à des menaces de torture (par. 45). Le Comité accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais il n’est pas tenu par ces constatations et il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

7.5En l’espèce, le Comité relève que le requérant soutient qu’il a été emprisonné en République islamique d’Iran pour avoir participé à une manifestation. Il relève en outre que, d’après le requérant, l’État partie ne conteste pas qu’il était politiquement actif en République islamique d’Iran, mais conteste le degré de son engagement politique. Le Comité relève également que l’État partie signale des incohérences et des contradictions dans les propos et allégations du requérant.

7.6Le Comité relève aussi que, selon l’État partie, les activités politiques du requérant en Suisse ne constituent pas une activité durable et intense qui pourrait être perçue comme une menace réelle et sérieuse par le Gouvernement iranien. Il note que le requérant n’a pas clairement démontré qu’il avait commencé à être politiquement actif en Suisse avant que sa première demande d’asile soit rejetée. Selon l’État partie, les activités politiques du requérant en Suisse n’auront pas attiré l’attention des autorités iraniennes car, bien que les services secrets iraniens surveillent les activités politiques menées à l’étranger contre le régime, ils s’intéressent principalement aux personnes qui ont un profil particulier et qui occupent des fonctions ou se livrent à des activités susceptibles de représenter une menace sérieuse et concrète pour le régime. À cet égard, le Comité prend note des preuves de sa participation à de telles activités produites par le requérant.

7.7Le Comité note que l’État partie reconnaît que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran peut légitimement susciter des préoccupations. À cet égard, le Comité rappelle qu’il est indiqué dans le rapport le plus récent de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran que la législation du pays continue d’autoriser la condamnation de personnes reconnues coupables de certaines infractions à des peines telles que la flagellation et l’amputation (A/HRC/37/68, par. 29). Selon ce rapport, le Gouvernement de la République islamique d’Iran nie que les amputations et les flagellations relèvent de la torture et maintient qu’elles sont efficaces pour dissuader les délinquants potentiels. Le Secrétaire général a lui aussi exprimé son inquiétude face aux restrictions constantes des libertés publiques et aux persécutions dont font l’objet les acteurs de la société civile (voir supra par. 5.6). Le Comité note aussi que l’État partie lui-même reconnaît que les autorités iraniennes surveillent les activités politiques des Iraniens à l’étranger, bien qu’il soutienne que les services secrets s’intéressent principalement aux personnes qui ont un profil particulier, et qui occupent des fonctions ou se livrent à des activités susceptibles de représenter une menace sérieuse et concrète pour le régime iranien (voir supra par. 4.5).

7.8Le Comité rappelle néanmoins que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine d’un requérant ne suffit pas en soi pour conclure que celui-ci risque personnellement d’être soumis à la torture. Le Comité note également que le requérant a eu amplement la possibilité d’étayer et de préciser ses griefs devant les autorités suisses au cours des trois procédures d’asile le concernant. Toutefois, les éléments de preuve qu’il a produits n’étayent pas suffisamment ses griefs et ne permettent pas de conclure que, du fait de sa participation à des activités politiques en République islamique d’Iran et en Suisse, il risque d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants à son retour en République islamique d’Iran.

7.9Au vu des informations dont il dispose, le Comité conclut que le requérant n’a pas rapporté la preuve que ses activités politiques sont suffisamment importantes pour avoir attiré l’attention des autorités de son pays d’origine et constate que les informations fournies ne démontrent pas qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les informations soumises par le requérant ne sont pas suffisantes pour établir qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, décide que le renvoi du requérant en République islamique d’Iran ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.