Nations Unies

CAT/C/65/D/691/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

6 février 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 691/2015 * , **

Communication présentée par :

S. (représentée par un conseil, Viktoria Nystrom)

Victime(s) présumée(s) :

S.

État partie :

Suède

Date de la requête :

1erjuin 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

16novembre 2018

Objet :

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement) ; prévention de la torture

Question(s) de procédure :

Recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question(s) de fond :

Expulsion de la requérante de la Suède vers la République islamique d’Iran

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1La requérante est S., de nationalité iranienne, née en mars 1981. Sa demande d’asile en Suède a été rejetée par le Conseil suédois des migrations le 27 juin 2014. La requête a été soumise le 1er juin 2015 et des informations complémentaires ont été communiquées le 21 juillet 2015. La requérante affirme que son expulsion vers la République islamique d’Iran constituerait une violation par la Suède des droits qu’elle tient de l’article 3 de la Convention. La requérante est représentée par un conseil.

1.2Le 28 juillet 2015, le Comité, agissant en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser la requérante vers la République islamique d’Iran tant que sa communication était à l’examen.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante a épousé l’homme qui est désormais son ex-mari en République islamique d’Iran le 7 octobre 2010. Celui-ci vivant déjà en Suède à l’époque, il était absent de la cérémonie et a contracté mariage par procuration. Le 30 octobre 2011, la requérante est arrivée en Suède où elle a obtenu un permis de séjour temporaire. Après son arrivée, son mari a dévoilé son « côté dominateur » et, avec sa sœur, a soumis régulièrement la requérante à des violences psychologiques et physiques, notamment en la frappant et en l’insultant. Ils l’ont aussi menacée de la renvoyer en République islamique d’Iran. Elle a contacté un avocat mais a décidé de ne pas porter plainte.

2.2En juin 2013, le mari de la requérante a présenté une demande en divorce mais l’a ultérieurement retirée. En novembre 2013, il a présenté une nouvelle demande en divorce sans en informer la requérante. Cette fois, le divorce a été officialisé. Une fois le divorce prononcé, le permis de séjour temporaire de la requérante n’a pas été renouvelé par les autorités suédoises.

2.3Étant donné les conséquences du divorce et les menaces qu’elle continuait de recevoir de son ex-mari, la requérante a décidé de demander l’asile en Suède. Le jour où elle s’est rendue au bureau du Conseil suédois des migrations pour s’enquérir de la procédure à suivre, un avocat a été commis d’office pour la représenter. Son ex-mari l’a extrêmement mal pris et l’a enfermée à clef dans leur chambre durant la nuit. Elle a eu si peur que le lendemain elle s’est rendue au commissariat de police et a contacté son avocat, qui l’a aidée à déménager dans un centre d’hébergement pour femmes. Son ex-mari a alors commencé à lui adresser des messages disant qu’il l’aimait et voulait qu’elle revienne. Comme elle ne répondait pas, il l’a menacée par téléphone et par l’intermédiaire d’amis, disant qu’il allait diffuser des photographies intimes d’elle en République islamique d’Iranet faire courir le bruit qu’elle avait des rapports avec d’autres hommes en Suède. Il l’a accusée d’infidélité et a répandu ces accusations auprès des membres de la famille de la requérante en République islamique d’Iran, chez qui ses frères se sont rendus en disant qu’elle les avait déshonorés et qu’elle serait punie. Des membres de la famille de son ex‑mari ont tenté de contacter la requérante par téléphone en Suède, mais elle a eu peur de répondre à leurs appels.

2.4La requérante affirme par ailleurs être membre du Parti démocratique du Kurdistan-Iran, considéré par les autorités iraniennes comme un groupe terroriste. Elle a produit deux lettres, datées respectivement du 29 avril 2014 et du 15 juillet 2015, émanant du bureau des relations internationales de ce parti en Europe et indiquant qu’elle était une sympathisante du parti et que sa vie serait en danger si elle était renvoyée en République islamique d’Iran. Elleaffirme qu’elle est membre du parti depuis l’âge de 18ans et que ses deux frères, qui vivent actuellement au Danemark, en sont également membres. Le Danemark leur a accordé l’asile en raison des menaces qu’ils avaient reçues des autorités iraniennes du fait de leur affiliation politique. Elle dit que son troisième frère a été tué parce qu’il était membre du parti.

2.5La requérante a demandé l’asile le 11 décembre 2013. Le 27 juin 2014, le Conseil suédois des migrations a rejeté sa demande, considérant que sa relation des événements n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas démontré qu’elle courrait un risque sérieux d’être victime d’un crime d’honneur à son retour en République islamique d’Iran, que ce soit aux mains de sa famille ou à celles de son ex-mari. Le Conseil n’a pas mis en question son appartenance au Parti démocratique du Kurdistan-Iranmais a considéré que ses allégations quant aux persécutions qu’elle risquerait si elle était renvoyée en République islamique d’Irann’était pas fiables.

2.6À une date non précisée, la requérante a formé contre la décision du Conseil un recours que le Tribunal des migrations a rejeté le14 octobre 2014, considérant qu’elle avait donné des informations contradictoires sur ses relations avec son ex-mari et n’avait donc pas démontré qu’elle était exposée à un degré de violence qui justifierait l’octroi d’un permis de séjour. Le Tribunal a en outre considéré que l’une des lettres qu’elle avait produites pour prouver qu’elle était membre du Parti démocratique du Kurdistan-Iranétait de « mauvaise qualité », et qu’elle n’avait pas rapporté la preuve qu’elle risquait de subir un préjudice aux mains des autorités iraniennes, de sa famille ou de celle de son ex-mari. Àune date non précisée, la requérante a décidé d’interjeter appel de ce jugement devant la Cour d’appel des migrations qui, le 18 décembre 2014, a refusé de l’y autoriser. La décision d’expulsion est donc devenue exécutoire. La requérante affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

2.7Le 9 février 2015, la requérante a présenté une demande de mesures provisoires à la Cour européenne des droits de l’homme. Le 10 février, la Cour, agissant par l’intermédiaire d’un président de section par intérim siégeant en formation de juge unique, a décidé de ne pas s’opposer à l’expulsion. Elle a déclaré la requête irrecevable, considérant, à la lumière des éléments dont elle disposait et dans la mesure où les violations alléguées relevaient de sa compétence, qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme).

Teneur de la plainte

3.1La requérante affirme que son expulsion vers la République islamique d’Iran constituerait une violation des droits qu’elle tient de l’article 3 de la Convention. Elle fait valoir qu’il existe un risque sérieux qu’elle soit arrêtée et torturée à son retour à cause de son divorce et de son affiliation politique. Elle craint en particulier d’être maltraitée par la famille de son ex-mari, lequel l’a accusée d’être infidèle et de vivre avec un autre homme en Suède. Elle allègue que la famille de son ex-mari a déclaré que « l’honneur de la famille a[vait] été bafoué » et qu’elle la punirait, et que son ex-mari possède des photographies intimes d’elle qui pourraient être utilisées pour l’accuser de vivre dans la « promiscuité » et de se prostituer. Elle dit aussi avoir peur de sa propre famille, qui a déclaré qu’à son retour en République islamique d’Iran elle la punirait et la rejetterait pour restaurer l’honneur familial. Elle craint également les autorités iraniennes, car la famille de son ex-mari est très influente et puissante en République islamique d’Iran. Le père de son ex-mari est un imam qui entretient de bonnes relations avec les autorités, et son témoignage aurait donc davantage de poids que celui de la requérante. Il est donc fort probable qu’elle serait reconnue coupable si elle était arrêtée et inculpée en République islamique d’Iran. La requérante rappelle que le Code pénal islamique réprime l’adultère, qui est passible d’une peine de flagellation ou de lapidation, voire de la peine de mort. Les crimes d’honneur et les châtiments publics sont quotidiens dans les régions kurdes de la République islamique d’Iran et, selon la requérante, les auteurs de crimes d’honneur y jouissent de l’impunité.

3.2La requérante indique que les autorités iraniennes ignorent qu’elle est membre du Parti démocratique du Kurdistan-Irancar les personnes qui sont membres de ce parti le dissimulent pour éviter d’être persécutées, mais que son ex-mari ou la famille de celui-ci en informeraient les autorités pour la punir de les avoir « déshonorés ». Elle déclare également que dès que les autorités apprendront qu’elle est membre de ce parti, elles l’arrêteront ou en tout cas l’interrogeront, ce qui signifie qu’elle risque d’être soumise à la torture ou à des violences sexuelles, qui sont de pratique courante en République islamique d’Iran. Elle affirme que les autorités iraniennes mènent de vastes opérations de renseignement à l’étranger et savent peut-être déjà qu’elle est membre du Parti démocratique du Kurdistan-Iranpuisqu’elle a assisté publiquement à des réunions du parti en Suède. À cet égard, elle se réfère à un rapport du Ministère suédois des affaires étrangères indiquant que les Kurdes qui expriment leurs opinions politiques risquent fort d’être arrêtés, emprisonnés ou torturés en République islamique d’Iran. D’après un rapport du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, les personnes pouvant montrer qu’elles sont des membres ou des sympathisants du parti et risquent d’être persécutées devraient se voir accorder un permis de séjour et la protection internationale. La requérante cite en outre le rapport de 2014 du Département d’État des États-Unis d’Amérique sur les droits de l’homme en République islamique d’Iran, qui contient des informations sur les violations de leurs droits fondamentaux dont les femmes sont victimes dans ce pays.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 25 septembre 2013, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête, faisant valoir que la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà examiné la même question que celle dont le Comité était saisi. Renvoyant à la jurisprudence du Comité, l’État partie rappelle que celui-ci a toujours considéré que l’expression « la même question », au sens de l’alinéa a) du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, devait s’entendre comme se rapportant aux mêmes parties, aux mêmes faits et aux mêmes droits substantiels. À cet égard, il fait observer que la communication à l’examen soulève des griefs au titre de l’article 3 de la Convention s’agissant du risque de torture auquel la requérante allègue qu’elle serait exposée si elle était renvoyée en République islamique d’Iran. Il fait valoir qu’il ressort de la lettre datée du 10 février 2015 adressée par la Cour européenne des droits de l’homme à la requérante que celle-ci a saisi la Cour, notamment d’une demande tendant à empêcher son expulsion vers la République islamique d’Iran.

4.2L’État partie indique que, selon les instructions de la Cour européenne concernant les demande de mesures provisoires, les requérants doivent exposer les éléments sur lesquels se fondent leurs craintes, la nature des risques invoqués et les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme dont la violation est alléguée. Étant donné que la Cour européenne des droits de l’homme a décidé, le 10 février 2015, de rejeter la demande de mesures provisoires de la requérante et de déclarer sa requête irrecevable, la requérante a dû motivé sa demande à la Cour. Il est donc évident pour l’État partie que la requête et la demande de mesures provisoires présentées par la requérante à la Cour européenne des droits de l’homme devaient invoquer, comme la communication soumise au Comité, les risques auxquels elle serait, selon elle, exposée si elle était renvoyée en République islamique d’Iran. L’État partie conclut donc que la présente communication porte sur la même question que la requête précédemment soumise par la requérante à la Cour européenne des droits de l’homme.

4.3S’agissant de savoir si la Cour européenne des droits del’homme a examiné la requête au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, l’État partie rappelle que le Comité a estimé à maintes reprises qu’une communication avait été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement si la décision rendue n’était pas fondée uniquement sur des simples procéduraux mais aussi sur des motifs qui indiquaient une prise en considération suffisante du fond de l’affaire. L’État partie fait observer que, selon les déclarations de la requérante et la lettre de la Cour européenne, celle-ci a déclaré la requête irrecevable le 10février 2015 au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’État partie fait également observer que rien dans les déclarations de la requérante n’indique que sa requête devant la Cour européenne ne satisfaisait pas aux critères énoncés à l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme, puisque les faits de la cause montrent à l’évidence que la décision d’expulser la requérante avait acquis force exécutoire et que la requérante avait épuisé les recours internes en 2014 avant de saisir la Cour européenne. De plus, selon la jurisprudence de la Cour européenne, dans les affaires d’expulsion le délai de six mois ne s’applique pas de facto lorsque le requérant n’a pas encore été expulsé. Par conséquent, de l’avis de l’État partie, il est clair que la Cour européenne n’a pas rejeté la requête parce que les recours internes n’avaient pas été épuisés ni parce qu’elle n’avait pas été présentée dans le délai de six mois.

4.4L’État partie affirme que les informations fournies par la requérante ne contiennent aucun élément indiquant que les motifs d’irrecevabilité énoncés aux alinéasa) et b) du paragraphe 2 de l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme seraient applicables, et que les seuls autres motifs d’irrecevabilité à prendre en considération sont ceux énoncés aux alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l’article 35. L’État partie fait en outre valoir qu’il ressort du texte de la Convention européenne que l’évaluation de ces deux motifs implique dans une certaine mesure un examen du fond de l’affaire. Cela étant, il affirme que la Cour européenne des droits de l’homme doit avoir déclaré la requête irrecevable pour des raisons touchant au fond et pas simplement pour des motifs procéduraux, et qu’elle a donc déjà examiné la même question que celle dont le Comité est saisi. L’État partie conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’alinéaa) du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Le 4janvier 2016, la requérante a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication. S’agissant de la décision de la Cour européenne en date du 10février 2015, la requérante affirme que la question de savoir si le juge unique a examiné l’affaire, de même que les raisons sur lesquelles il a fondé sa décision de déclarer la requête irrecevable, ne sont pas claires. La requérante considère que, compte tenu du peu d’informations figurant dans la lettre de la Cour européenne en date du 10 février 2015, rien ne permet de supposer que la Cour a examiné l’affaire au sens de l’article 22 de la Convention et il est très probable qu’elle n’a pas procédé à un examen en bonne et due forme de celle-ci. Elle estime donc que le Comité devrait déclarer sa requête recevable et l’examiner au fond.

5.2Même si le Comité considère que les circonstances présentées devant les deux instances internationales sont les mêmes, de nouvelles circonstances se sont fait jour depuis que la requérante a saisi la Cour européenne des droits de l’homme qui démontrent le risque qu’elle courrait si elle était renvoyée en République islamique d’Iran. Son ex-mari s’est remarié en République islamique d’Iran et a fait venir sa nouvelle épouse en Suède. Or il n’a pas officiellement divorcé de la requérante en République islamique d’Iran, ce qui fait qu’il en est toujours le « propriétaire » et qu’il peut la contrôler si elle revient. De plus, la requérante ne vit plus dans un centre d’hébergement et n’est plus soutenue par son mari ni par un autre homme. Ce mode de vie indépendant aurait des conséquences néfastes si elle était renvoyée dans son pays d’origine. La requête qu’elle a soumise au Comité est donc différente de celle dont elle a saisi la Cour européenne des droits de l’homme et devrait être considérée comme telle par le Comité.

5.3Le 9février 2016, la requérante a informé le Comité que, dans l’affaire Yakunova et autres c. Suède (requête no 60300/14), la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, avait conclu à l’absence de violation des droits consacrés dans la Convention européenne des droits de l’homme et déclaré la requête irrecevable. La requérante fait observer que dans cette affaire, la Cour européenne avait examiné l’affaire au fond avant de déclarer la requête irrecevable. Elle indique que la Cour européenne ne s’est pas exprimée de la même manière dans son affaire et donc qu’elle ne l’a pas dûment examinée. Elle conclut que la requête qu’elle a soumise à la Cour européenne n’empêche pas le Comité d’examiner sa communication.

Décision du Comité sur la recevabilité

6.Le 25novembre 2016, à sa cinquante-neuvième session, le Comité a examiné la recevabilité de la requête et décidé que celle-ci était recevable. Le Comité a conclu que le caractère succinct des motifs sur lesquels la Cour européenne des droits de l’homme avait fondé sa décision du 10 février 2015 ne lui permettait pas de déterminer dans quelle mesure la Cour avait examiné la requête, notamment si elle avait procédé à une analyse approfondie des éléments se rapportant au fond de l’affaire.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Par une note verbale en date du 30 mars 2017, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la requête. L’État partie présente sa propre relation des faits et relève que la requérante a déposé une première demande de permis de séjour en Suède en octobre 2010 à l’ambassade de Suède à Téhéran, en fondant juridiquement cette demande sur son mariage avec un homme qui avait alors acquis la nationalité suédoise. Le10 janvier 2011, l’Office suédois des migrations (qui avait succédé au Conseil suédois des migrations) a rejeté cette demande au motif que les conjoints ne se voyaient plus depuis treize ans et n’avaient pas pu prouver qu’ils étaient restés en contact. L’Office a en outre considéré qu’ils n’étaient pas présents ensemble à leur mariage et qu’ils n’avaient pas cherché à se voir dans un pays tiers avant celui-ci. Il a conclu que le seul but du mariage avait été d’obtenir un permis de séjour pour la requérante.

7.2Suite au recours formé par la requérante, le Tribunal des migrations a annulé la décision de l’Office des migrations et accordé à la requérante un permis de séjour temporaire pour une durée d’un an. Le Tribunal a conclu que le mariage était juridiquement contraignant et justifiait donc l’octroi d’un permis de séjour à la requérante. L’Office des migrations a alors accordé à la requérante un permis de séjour pour la période allant du 4octobre 2011 au 4octobre 2012.

7.3La requérante est arrivée en Suède le 30 octobre 2011 et, le 5 août 2012, a demandé une prolongation de son permis de séjour. Dans une lettre à l’Office des migrations en date du 20 juin 2013, le mari de la requérante a joint la copie d’une demande de divorce datée du 10 juin 2013. Il déclarait notamment dans sa lettre que la requérante avait contracté mariage sous des prétextes fallacieux, essentiellement dans le but d’obtenir un permis de séjour en Suède. Le 7 octobre 2013, un agent de l’immigration s’est entretenu par téléphone avec le mari de la requérante, qui se trouvait alors en République islamique d’Iran. Celui-ci l’a informé que sa relation avec la requérante était terminée depuis quelques mois et qu’il avait demandé le divorce. Il a également déclaré que la requérante l’avait frappé à plusieurs reprises pour le pousser à la frapper en retour, de sorte qu’elle puisse se rendre dans un centre d’hébergement pour femmes et porter plainte, tout cela dans le but d’obtenir un permis de séjour. Il a ajouté qu’il avait été menacé par les frères de la requérante et avait porté plainte contre elle. Il est ultérieurement apparu que le mari de la requérante avait, le 18 août 2013, porté plainte contre celle-ci pour voies de fait.

7.4Le 18 octobre 2013, la requérante et son mari ont été convoqués à l’Office des migrations. Seule la requérante s’est présentée. Elle a expliqué que son mari dormait quand elle était sortie de chez eux, que leur couple n’avait pas de problèmes, que son mari avait changé d’avis à propos du divorce et qu’il avait retiré sa plainte pour voies de fait. Lorsqu’on lui a demandé si quelque chose l’empêchait de retourner en République islamique d’Iran, la requérante a déclaré qu’elle n’avait aucun problème avec les autorités iraniennes et qu’elle pouvait rentrer. Plus tard le même jour, l’agent de l’immigration a appelé le mari de la requérante qui lui a appris qu’il était revenu de la République islamique d’Iran la semaine précédente mais qu’il n’avait pas vu la requérante et qu’ils ne vivaient pas dans le même appartement. Il a dit qu’il ne voulait pas que la requérante demande un permis de séjour en sa qualité d’épouse ou se prévale des liens qu’elle avait avec lui. Il a ajouté qu’il avait retiré sa demande en divorce parce que sa famille et lui-même avaient fait l’objet de menaces en République islamique d’Iran, mais qu’il avait l’intention d’intenter une procédure de divorce dès que l’Office des migrations aurait pris sa décision.

7.5Dans la lettre en date du 26 novembre 2013 qu’elle a adressée à l’Office des migrations, la requérante expliquait notamment que son mariage était un vrai mariage mais que, depuis son arrivée en Suède, elle avait subi des violences de la part de son mari et de la sœur de celui-ci. Elle affirmait que son mari l’invectivait et qu’elle craignait qu’il ne devienne physiquement violent ; elle avait donc emménagé dans un centre d’hébergement pour femmes et avait porté plainte contre lui. Elle déclarait également que son mari et la famille de celui-ci les avaient menacées elle et sa famille, et que son mari appartenait à une famille puissante en République islamique d’Iran, bien introduite auprès des autorités locales. Elle affirmait que si elle était renvoyée en République islamique d’Iran, elle serait arrêtée et soumise à la torture et probablement violée.

7.6L’État partie note que dans la demande d’asile qu’elle a déposée le 11 décembre 2013, la requérante a déclaré que sa vie était en danger à cause de son mari et de la famille de celui-ci. Elle a affirmé que ses beaux-frères s’étaient rendus au domicile de son père en République islamique d’Iran et l’avaient menacé. Ils avaient aussi menacé de la tuer pour des raisons d’honneur si elle rentrait en République islamique d’Iran. Lors du premier entretien qu’elle a eu dans le cadre de la procédure d’asile, le 31 mars 2014, la requérante a déclaré que sa famille était politiquement active et très connue en République islamique d’Iran. L’un de ses frères avait travaillé pour le Parti démocratique du Kurdistan-Iranet perdu la vie. À la question de savoir s’il était exact, comme elle l’avait précédemment affirmé, qu’elle n’avait eu aucun problème avec les autorités en République islamique d’Iran, la requérante a confirmé que c’était bien le cas. Elle a toutefois ajouté qu’elle craignait que son mari ne révèle aux autorités iraniennes que son frère était engagé aux côtés du Parti démocratique du Kurdistan-Iran. Un deuxième entretien a eu lieu le 28 avril 2014. Les deux entretiens se sont déroulés en présence d’un conseil et d’interprètes.

7.7Le 27 juin 2014, l’Office des migrations a décidé d’expulser la requérante. LeTribunal des migrations a rejeté le recours de cette dernière le 4 octobre 2014. Par décision du 15 janvier 2015, l’Office des migrations a prolongé jusqu’au 12février 2015 le délai imparti à la requérante pour son retour volontaire. Aux dires de la requérante, elle avait l’intention de rentrer en République islamique d’Iran mais voulait éviter une décision lui interdisant de revenir en Suède et avait donc besoin de davantage de temps pour préparer son retour. Le 13 février 2015, l’Office des migrations a décidé d’interdire à la requérante de revenir en Suède pendant un an et a chargé la police de procéder à son expulsion car elle était désormais considérée comme en fuite.

7.8L’État partie explique que, conformément à la loi relative aux étrangers, une décision d’expulsion qui n’émane pas d’un tribunal est caduque quatre ans après être devenue définitive et non susceptible d’appel. Le délai de quatre ans expirant en l’espèce le 18décembre 2018, l’État partie prie le Comité d’examiner l’affaire bien avant cette date pour que les dispositions nécessaires à l’expulsion puissent être prises au cas où l’examen conduirait le Comité à conclure à l’irrecevabilité de la requête ou ne ferait pas apparaître de violation de la Convention.

7.9S’agissant de la recevabilité de la communication, l’État partie affirme que celle-ci est manifestement dénuée de fondement et donc irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité.

7.10En ce qui concerne le fond de la requête, l’État partie fait observer que, pourdéterminer si le renvoi forcé de la requérante en République islamique d’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, il convient de tenir compte des considérations ci-après : a) la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran, et, en particulier ; b) le risque personnel, prévisible et réel que courrait la requérante d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Selon l’État partie, si la situation actuelle des droits de l’homme et la condition des femmes en République islamique d’Iran peuvent légitimement susciter des inquiétudes, elles ne suffisent pas en soi à établir que l’expulsion de la requérante entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie affirme par conséquent que l’expulsion de la requérante vers la République islamique d’Iran ne constituerait une violation de la Convention que si la requérante prouvait qu’elle risque personnellement d’être soumise à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

7.11Selon l’État partie, étant donné que l’Office des migrations et les tribunaux connaissant des affaires d’immigration sont des organes spécialisés dotés de compétences particulières en matière de droit d’asile et de pratique dans ce domaine, il n’y a pas de raison de conclure que les décisions nationales ont été inadéquates ou que l’issue des procédures nationales a été en quoi que ce soit arbitraire ou a constitué un déni de justice. Parconséquent, l’État partie fait observer qu’un poids considérable doit être accordé aux opinions des autorités suédoises en matière de migration telles qu’elles sont énoncées dans leurs décisions ordonnant l’expulsion de la requérante vers la République islamique d’Iran. L’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait que la requérante est arrivée en Suède en octobre 2011 et a obtenu un permis de séjour temporaire du fait de ses liens avec son mari. Elle n’a déposé une demande d’asile qu’en décembre 2013, après que son ex-mari eut demandé et obtenu le divorce et cessé de cautionner sa demande de permis de séjour. Elle aurait donc eu amplement le temps de faire valoir ses motifs d’asile devant les autorités suédoises si elle avait jugé bon de demander l’asile en raison des activités politiques qu’elleallègue.

7.12L’État partie fait en outre observer que l’Office des migrations et le Tribunal des migrations ont tous deux considéré qu’il y avait des raisons de mettre en doute la crédibilité de la relation des faits donnée la requérante. L’Office des migrations a considéré notamment que ses allégations relevaient de la pure conjecture et reposait sur des suppositions. Les seuls faits concrets sur lesquels reposait la crainte de la requérante étaient la visite que les frères de son ex-mari auraient faite chez ses parents, certaines tentatives de la famille de son ex-mari pour l’appeler au téléphone, et le comportement de son ex-mari en Suède lorsqu’ils vivaient ensemble.

7.13L’État partie note que, d’après l’Office des migrations, le certificat du bureau parisien du Parti démocratique du Kurdistan-Iranproduit par la requérante indique que celle-ci a quitté la République islamique d’Iran à cause de la répression du régime du fait de ses activités politiques, ce qui ne concorde pas avec l’explication qu’elle-même a donnée de son départ de la République islamique d’Iran. L’État partie note d’autre part que, par rapport à ce qu’a déclaré la requérante devant les autorités nationales, la version des faits qu’elle présente au Comité s’est aggravée, en particulier s’agissant des allégations concernant les accusations de son ex-mari et la volonté de celui-ci de la punir en diffusant des photographies d’elle et concernant sa crainte d’être inculpée et condamnée par les autorités iraniennes. Enoutre, la requérante a déclaré au Comité qu’elle était politiquement active depuis l’âge de 18ans, alors qu’elle n’en avait rien dit devant les autorités suédoises.

7.14En ce qui concerne les menaces de son ex-mari ou de la famille de celui-ci alléguées par la requérante, l’Office des migrations a considéré que rien n’indiquait qu’ils voulaient lui nuire, et donc que sa crainte semblait reposer uniquement sur des conjectures et des ouï‑dire. Aucun élément de preuve ni argument n’a été présenté à l’appui de l’allégation de la requérante selon laquelle son ex-mari l’avait accusée ou allait l’accuser d’être infidèle ou de vivre dans la promiscuité ou qu’il allait, par exemple, faire parvenir des photographies intimes d’elle aux autorités en République islamique d’Iran.

7.15L’État partie appelle l’attention du Comité sur un autre document produit par la requérante à l’appui de son allégation selon laquelle son ex-mari l’aurait brutalisée et menacée. Il s’agit d’une décision de la police de clore une enquête visant l’ex-mari de la requérante pour violences et menaces illicites le 18 août 2013. L’État partie fait toutefois observer que, malgré la très mauvaise qualité du document en question, il semble qu’il soit adressé à l’ex‑mari de la requérante et non à la requérante elle-même. Il fait aussi observer que, selon des informations figurant dans le dossier de l’Office des migrations concernant la requérante, c’est elle-même qui était soupçonnée de s’être livrée à des voies de fait le 18 août 2013. Aucune information officielle n’indique que son ex-mari ait été soupçonné d’avoir commis une infraction ce jour-là. D’après ces dossiers, c’est l’ex-mari de la requérante qui a porté plainte contre elle à la police pour voies de fait sur sa personne, ce que la requérante n’a pas contesté.

7.16L’État partie souligne qu’aux fins de la Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës sont intentionnellement infligées à une personne par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Une menace de violence émanant de membres proches de la famille, ou l’opprobre ou le déshonneur dont une personne peut souffrir en raison d’un divorce ne constituent pas en soi des actes de torture au sens de la Convention. L’État partie relève que le Comité a souligné que la question de savoir si un État partie a l’obligation de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès ou tacite des autorités, n’entre pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

7.17S’agissant du risque que la requérante dit courir aux mains des autorités iraniennes du fait de son engagement politique, l’État partie fait observer que la requérante a elle‑même déclaré qu’elle ne jouait pas un rôle de premier plan au sein du Parti démocratique du Kurdistan-Iran, même si elle en était membre. L’Office des migrations a considéré que ses déclarations n’étaient pas crédibles et qu’elle n’avait pas démontré de façon plausible que son engagement était tel qu’elle aurait attiré l’attention des autorités. Le Tribunal des migrations a estimé comme l’Office des migrations que les informations figurant dans le certificat écrit produit par la requérante à l’appui de son allégation relative à son activité politique ne concordaient pas avec l’explication qu’elle avait donnée de son départ de la République islamique d’Iran, ce qui fait que la force probante de ce certificat est très faible. Le fait que la requérante figure sur des photographies aux côtés, selon elle, de membres importants de l’organisation, n’a pas fait changer d’avis le Tribunal des migrations quant à l’éventuelle nécessité d’une protection. Les arguments de la requérante selon lesquels son ex-mari exercerait des pressions sur elle et répandrait de fausses accusations de diverses manières relèvent de la pure conjecture et ne sont étayés par aucun élément de preuve ou fait concret. Comme l’a conclu l’Office des migrations, rien n’est venu indiquer que son ex-mari aurait accès à des photographies la montrant dans des réunions politiques. De plus, la requérante a été autorisée à quitter la République islamique d’Iran légalement, munie de son passeport iranien, ce qui donne à penser que les autorités iraniennes ne s’intéressaient pas particulièrement à elle. Par conséquent, l’État partie conclut que la requérante n’a pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’elle courrait personnellement un risque d’être soumise à la torture au sens de la Convention à son retour en République islamique d’Iran.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

8.1Le 14 août 2017, la requérante a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication. À propos de la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran, la requérante dit que le besoin d’être protégé contre un risque de torture en République islamique d’Iran ne dépend pas de la question de savoir si la situation des droits de l’homme dans ce pays est telle que les persécutions y sont généralisées. Elle souligne que dans ses observations, l’État partie n’a pas pris en considération le fait qu’elle était non seulement une femme mais aussi d’origine kurde, et qu’à ce titre, elle appartenait, en République islamique d’Iran,à une minorité marginalisée et exposée à des mauvais traitements de la part du régime comme de la société en général. De ce fait, l’appréciation de la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran aujourd’hui, telle qu’elle s’applique à son cas, ne saurait se limiter à la situation des femmes mais doit aussi prendre en compte la situation des Kurdes dans ce pays. La requérante renvoie à un rapport du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni indiquant qu’en République islamique d’Iran les Kurdes font l’objet d’une discriminations qui compromet leur accès aux services essentiels. D’après ce rapport, les Kurdes politiquement actifs sont soumis par les autorités iraniennes à des arrestations arbitraires, des détentions prolongées et des sévices. Le rapport conclut que les personnes qui peuvent prouver avec un degré raisonnable de certitude qu’elles sont connues des autorités iraniennes ou susceptibles d’être signalées à leur attention du fait de leur appartenance réelle ou supposée à un groupe politique kurde devraient se voir accorder l’asile.

8.2La requérante affirme que le fait qu’elle n’ait pas demandé l’asile avant que son mari ne se dise préoccupé par leur relation n’enlève rien à la validité ou à la sincérité de son besoin de protection. Elle n’avait pas besoin de demander une protection avant que son mari ne la menace. Il est aussi indiqué dans sa requête que sa situation était alors très précaire et qu’une demande d’asile de sa part aurait pu constituer une provocation pour son mari et la placer dans une situation encore plus périlleuse. Cela est corroboré par le fait qu’elle a cherché à se protéger de son mari et été accueillie dans un centre d’hébergement pour femmes.

8.3La requérante explique que si sa relation des faits s’est quelque peu modifiée avec le temps, c’est parce que sa situation a changé et que les menaces à son endroit se sont accrues. Son manque de précision ou de cohérence tient peut-être au stress dans lequel elle vivait et à la peur que lui inspiraient son mari et la famille de celui-ci. Mais elle souligne que, quelles que soient sa version des faits et l’évaluation qu’en donne l’État partie, le Comité doit se fonder, pour apprécier définitivement le bien-fondé de ses griefs, sur le fait qu’elle est divorcée et a obtenu une protection contre son ex-mari dans un centre d’hébergement ainsi que sur les informations pertinentes concernant son pays d’origine.

8.4La requérante rejette l’argument de l’État partie affirmant qu’elle n’a présenté aucun élément de preuve ou argument pour étayer ses allégations selon lesquelles son ex-mari l’accusait d’infidélité ou de promiscuité et avait l’intention de faire parvenir des photographies intimes d’elle aux autorités en République islamique d’Iran. Selon elle, il est loin d’être déraisonnable ou même illogique de penser qu’un ex-mari abusif qui s’estime trahi par sa femme tire parti de sa position de force pour chercher à lui nuire de diverses façons, car il est bien attesté que dans ce genre de situations les femmes font l’objet d’abus et de manipulations. La requérante dit qu’il en va de même du risque qu’elle court d’être soumise à des mauvais traitements du fait de son affiliation politique. L’État partie n’apporte rien de nouveau à cet égard dans ses observations, se bornant à reprendre les conclusions des autorités nationales, qui ne constituent pas nécessairement une appréciation exacte de la situation.

8.5La requérante conclut que sa situation met en jeu plusieurs facteurs différents qui, considérés et appréciés ensemble, en même temps que la situation alarmante à laquelle les femmes et les Kurdes politiquement actifs font face aujourd’hui en République islamique d’Iran, obligent en dernière analyse à conclure qu’elle court un risque personnel, prévisible et réel d’être soumise à la torture en République islamique d’Iran et que son expulsion constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi de la requérante en République islamique d’Iran constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de ne pas expulser ou renvoyer une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture. Relèvent également de cette disposition les autres mauvais traitements infligés par des entités non étatiques, y compris des groupes qui commettent illégalement des actes de nature à causer une douleur ou des souffrances aiguës à des fins proscrites par la Convention, sur lesquels les autorités de l’État concerné n’exercent de fait aucun contrôle ou seulement un contrôle partiel ou dont elles ne sont pas en mesure de contrer l’impunité.

9.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait personnellement d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en République islamique d’Iran. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, ycompris l’existence éventuelle en République islamique d’Iran d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressée courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture dans le pays où elle serait renvoyée. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellementun risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), au paragraphe 45 de laquelle il indique qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion.

9.5Le Comité prend note du grief de la requérante selon lequel elle sera maltraitée par la famille de son ex-mari et par sa propre famille parce que son ex-mari l’a accusée d’être infidèle et de vivre avec un autre homme en Suède. Le Comité prend également note de l’observation de l’État partie selon laquelle ces allégations de la requérante relèvent de la pure conjecture et reposent sur des suppositions, et que les seuls faits concrets sur lesquels sa crainte se fonde sont la visite des frères de son ex-mari au domicile de ses parents, certaines tentatives de sa famille de l’appeler au téléphone et le comportement de son mari en Suède lorsqu’il vivaient ensemble. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel une menace de violence émanant de membres proches de la famille, ou l’opprobre ou le déshonneur résultant d’un divorce dont une personne peut souffrir, ne constituent pas en soi une torture au sens de la Convention.

9.6Le Comité rappelle que l’article 3 doit être interprété compte tenu de la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention. Aux termes de cette disposition, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.

9.7Par ailleurs, le Comité prend note du grief de la requérante qui affirme que les autorités iraniennes ne savent pas qu’elle est membre du Parti démocratique du Kurdistan-Iran mais que son ex-mari ou la famille de celui-ci les en informeront pour se venger de ce qu’elle les ait « déshonorés » et que, une fois que les autorités sauront qu’elle est membre de ce parti, elle sera probablement arrêtée ou en tout cas interrogée, ce qui signifie qu’elle risquerait d’être soumise à la torture ou à des violences sexuelles, qui sont de pratique courante en République islamique d’Iran. Le Comité relève que, la République islamique d’Iran n’étant pas partie à la Convention, dans l’éventualité d’une violation dans ce pays des droits qu’elle tient de la Convention, la requérante serait privée de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour obtenir une forme quelconque de protection. En outre, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’Office des migrations a considéré que les déclarations de la requérante n’étaient pas crédibles et que la requérante n’avait pas démontré de manière plausible que son activité politique était telle que les autorités s’intéresseraient à elle.

9.8Le Comité prend note de l’affirmation de la requérante disant qu’elle est membre du Parti démocratique du Kurdistan-Irandepuis l’âge de 18ans ainsi que de l’information figurant dans le certificat délivré par le bureau du parti à Paris indiquant qu’elle a quitté la République islamique d’Iran à cause de la répression du régime du fait de ses activités politiques. Le Comité prend toutefois note de l’objection de l’État partie, qui fait valoir que la requérante n’en a jamais rien dit aux autorités suédoises. D’après les documents communiqués par l’État partie, la requérante a confirmé lors de son entretien avec l’Office des migrations que rien ne l’empêchait de retourner en République islamique d’Iran et qu’avant de quitter ce pays elle n’avait eu aucun problème avec les autorités iraniennes. Le Comité note en outre que, d’après les autorités de l’État partie, les arguments de la requérante selon lesquels son ex-mari allait faire pression sur elle et répandre de fausses accusations de diverses manières relèvent de la pure conjecture et ne sont étayés par aucun élément de preuve ni fait concret. Par exemple, la requérante produit des photographies de membres de sa famille et d’elle-même en compagnie de divers membres du Parti démocratique du Kurdistan-Iran comme preuves de ses liens avec le parti, mais elle n’indique pas si son ex-mari en connaissait l’existence ni comment les autorités iraniennes les auraient obtenues.

10.Le Comité renvoie au paragraphe 38 de son observation générale no 4, selon lequel la charge de la preuve incombe à l’auteur de la communication, qui doit présenter des arguments défendables. De l’avis du Comité, la requérante ne s’est pas acquittée de cette charge de la preuve. La requérante n’a pas non plus établi que les autorités de l’État partie n’avaient pas dûment enquêté sur ses allégations.

11.Le Comité conclut donc que la requérante n’a pas apporté d’éléments suffisants pour lui permettre de considérer qu’elle serait personnellement exposée à un risque réel, prévisible et actuel d’être soumise à la torture à son retour en République islamique d’Iran.

12.Le Comité contre la torture, agissant en application du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi de la requérante en République islamique d’Iran par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.