NATIONS

UNIES

CAT  

Convention contre la torture

et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/75

25 Septembre 2003

FRANÇAIS

Original : ESPAGNOL

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trentième session

Genève, 28 avril – 16 mai 2003

RAPPORT SUR LE MEXIQUE ÉTABLI PAR LE COMITÉ

AU TITRE DE L'ARTICLE 20 DE LA CONVENTION

ET RÉPONSE DU GOUVERNEMENT MEXICAIN

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphes Page

PREMIÈRE PARTIE – RAPPORT DU COMITÉ1 – 2224

I.INTRODUCTION1 – 24

II.APPLICATION DE LA PROCÉDURE3 – 154

III.LA VISITE ÉFFECTUÉE AU MEXIQUE DU 23 AOÛT

AU 12 SEPTEMBRE 200116 – 217

A.Les activités des membres du Comité au cours

de la visite16 – 197

B.Les conditions générales de la visite 20 – 218

GE 03-42106

TABLE DES MATIÈRES (suite)

Paragraphes Page

IV.CARACTÉRISTIQUES ET FRÉQUENCE DES CAS DE

TORTURE22 – 1659

A.Témoignages de victimes présumées ou de leurs

proches23 – 469

B.Informations émanant d’organismes publics de défense

et de protection des droits de l'homme47 – 7915

C.Informations communiquées par des organisations non

gouvernementales80 – 12122

D.Informations émanant des autorités des Etats et des

autorités fédérales122 – 13627

E.Observations générales137 – 16530

V.LES MECANISMES LÉGISLATIFS DE PROTECTION

CONTRE LA TORTURE ET LEUR FONCTIONNEMENT166 – 21739

A.L'interdiction de la torture dans la législation mexicaine171 – 17439

B.Tout placement en détention est précédé d'un mandat

de l'autorité judiciaire: la règle générale et ses exceptions175 – 17940

C.Les délais de la garde à vue et de la détention dans les

locaux du ministère public180 – 18441

D.Il n'y a pas de contrôle judiciaire pendant que la personne

arrêtée est à la disposition du ministère public185 – 18642

E.L'obligation d'enregistrer toute personne arrêtée187 – 18942

F.Le droit du mis en examen à avoir accès à un avocat

de la défense190 – 19543

G.Les aveux de la personne arrêtée, l'autorité compétente

pour les recevoir et leur valeur probante196 – 20344

H.Enquêter sur les actes de torture dénoncés et

sanctionner les responsables204 – 21745

VI.CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS218 – 22048

TABLE DES MATIÈRES (suite)

Paragraphes Page

VII.L'ADOPTION DU RAPPORT PAR LE COMITÉ ET

SES SUITES22152

VIII.LA PUBLICATION DU RAPPORT DU COMITÉ ET DE

LA RÉPONSE DU GOUVERNEMENT MEXICAIN22252

SECONDE PARTIE - RÉPONSE DU GOUVERNEMENT MEXICAIN223 – 33653

I.INTRODUCTION223 – 23753

II.OBSERVATIONS GÉNÉRALES238 – 25154

III.CARACTÉRISTIQUES ET FRÉQUENCE DES CAS

DE TORTURE252 – 27958

IV.LES MÉCANISMES LÉGISLATIFS DE PROTECTION

CONTRE LA TORTURE ET LEUR FONCTIONNEMENT280 – 28464

V.CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS285 – 33665

Liste des annexes78

PREMIÈRE PARTIE

RAPPORT DU COMITÉ

I. INTRODUCTION

1.Conformément aux dispositions de l'article 20 de la Convention, le Comité, quand il reçoit des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des indications bien fondées que la torture est pratiquée systématiquement sur le territoire d'un Etat Partie, invite ledit Etat à coopérer à l'examen des renseignements et, à cette fin, à lui faire part de ses observations à ce sujet. Le Comité peut ensuite charger un ou plusieurs de ses membres de procéder à une enquête confidentielle laquelle peut comporter une visite sur le territoire de l'Etat Partie en question si ce dernier en est d'accord. Tous ces travaux du Comité sont confidentiels et à toutes les étapes desdits travaux, on s'efforce d'obtenir la coopération de l'Etat Partie. Une fois achevés les travaux relatifs à une enquête, le Comité peut décider de faire figurer un compte rendu succinct des résultats de ces travaux dans le rapport annuel qu'il présente aux Etats Parties à la Convention et à l'Assemblée générale.

2.Le Mexique a ratifié la Convention le 23 janvier 1986. Lors de cette ratification, le Mexique n'a pas déclaré ne pas reconnaître la compétence accordée au Comité aux termes de l'article 20 de la Convention comme il aurait pu le faire en vertu de l'article 28 de ladite Convention. La procédure prévue à l'article 20 est donc applicable au Mexique.

II. APPLICATION DE LA PROCÉDURE

3.En octobre 1998, le Comité a reçu d'une organisation non gouvernementale dont le siège est à Mexico et qui est dénommée "le Centre des droits de l'homme (Miguel Agustín Pro-Juárez" (PRODH)) un rapport intitulé "La torture: violence institutionnalisée au Mexique, avril 1997 – septembre 1998". Dans ce rapport, le Comité était prié de procéder à une enquête en vertu des dispositions de l'article 20 de la Convention.

4.A sa 21ème session (en novembre 1998), le Comité a demandé à l'un de ses membres, M. Alejandro González Poblete, d'étudier ce rapport en détail. Celui-ci a procédé à cet examen en tenant compte d'autres renseignements dont le Comité disposait, en particulier des informations transmises par le gouvernement mexicain à l'occasion de l'examen du troisième rapport périodique du Mexique et du rapport du Rapporteur spécial sur la torture de la Commission des droits de l'homme concernant la visite effectuée par celui-ci au Mexique en août 1997 (E/CN.4/1998/38/Add.2).

5.A la suite de l'examen confié à M. González Poblete, le Comité a estimé que les renseignements communiqués par le PRODH étaient dignes de foi et contenaient des indications bien fondées que la torture était pratiquée systématiquement au Mexique. Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 20 de la Convention et de l'article 76 de son règlement intérieur, le Comité a, dans une lettre datée du 30 novembre 1998, demandé au gouvernement mexicain de coopérer à l'examen des informations en question et de lui faire part de ses observations à ce sujet.

6.Les premier et 19 mars 1999, le gouvernement mexicain a adressé au Comité divers documents donnant la liste des textes de loi en vigueur et des mesures adoptées à différents niveaux de l'autorité publique lors des années précédentes pour lutter contre la torture tandis qu'il qualifiait par ailleurs les informations du PRODH de "partiales et tendancieuses".

7.A sa 22ème session (mai 1999), le Comité a chargé deux de ses membres, M. Alejandro González Poblete et M. Antonio Silva Henriques Gaspar, d'examiner la réponse du gouvernement mexicain. Les intéressés ont noté que le gouvernement mexicain reprochait au Comité de conclure trop vite que la torture était pratiquée systématiquement au Mexique car les informations portées à l'attention du gouvernement ne concernaient que 60 affaires, soit au total 177 victimes recensées dans 12 Etats de la Fédération qui en compte trente-deux. D'après le gouvernement mexicain, cet échantillon n'était pas représentatif de la réalité mexicaine. Le gouvernement mexicain signalait en outre que les cas en question n'avaient pas été portés à l'attention des autorités compétentes, en particulier le ministère public. Les deux représentants du Comité ont estimé que l'argument n'était pas valable car les informations émanant du PRODH montraient que la plupart des cas avaient fait l'objet de plaintes soit auprès de la Commission nationale des droits de l'homme soit auprès des commissions homologues existant dans les Etats. Des informations que le Comité avait reçues donnaient à penser qu'en dépit des mesures législatives et administratives adoptées par le gouvernement mexicain, la torture continuait d'être pratiquée systématiquement, en particulier par les membres de la police judiciaire et par les forces armées dans le cadre de la lutte contre les groupes subversifs. Le Rapporteur spécial sur la torture et la Commission interaméricaine des droits de l'homme de même que l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch étaient arrivés à la même conclusion dans leurs rapports sur la question. Dans sa réponse, le gouvernement mexicain avait fourni des statistiques sur toutes les recommandations formulées depuis 1990 par les commissions des droits de l'homme à l'encontre de fonctionnaires de l'administration de la justice, mais il n'avait pas donné d'indications sur le nombre de ces recommandations qui portaient sur des cas de torture ni sur les suites données à ces recommandations. Les deux représentants du Comité estimaient que celui-ci devait continuer de suivre la procédure prévue à l'article 20 de la Convention.

8.Le Comité a fait sienne la conclusion de ses deux membres et a décidé au cours de la même session de procéder à une enquête confidentielle conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 20 de la Convention et de l'article 78 de son règlement intérieur et il a désigné aux fins de ladite enquête M. González Poblete et M. Silva Henriques Gaspar. Il a en outre, en application des dispositions du paragraphe 3 de l'article 20 de la Convention et de l'article 79 de son règlement intérieur, invité le gouvernement mexicain à coopérer avec le Comité à la réalisation de ladite enquête. Il a décidé en dernier lieu, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 20 de la Convention et de l'article 80 de son règlement intérieur, de demander au gouvernement mexicain d'accepter que les deux représentants du Comité se rendent au Mexique en septembre 1999.

9.Dans une note verbale datée du 29 juin 1999, la Mission permanente du Mexique auprès de l'Office des Nations Unies à Genève a fait part de la surprise que le gouvernement mexicain éprouvait devant la décision du Comité puisqu’il avait fourni au Comité d'abondantes informations qui prouvaient sans l'ombre d'un doute que les renseignements communiqués par le PRODH étaient infondés, peu fiables, déformaient les faits et les arguments, ne correspondaient pas à la réalité du pays et n'autorisaient pas à conclure que la torture était pratiquée systématiquement au Mexique. La note disait néanmoins que le gouvernement mexicain était disposé à coopérer avec le Comité à la réalisation de cette enquête et à fournir les renseignements dont il disposait et que les membres du Comité estimeraient peut-être utiles pour l'examen des faits faisant l'objet de l'enquête. La note indiquait en outre que le gouvernement mexicain examinerait s'il était justifié et opportun d'autoriser une visite dans le pays une fois que son représentant accrédité, M. l'ambassadeur Miguel Angel González Félix, se serait entretenu avec les représentants désignés par le Comité.

10.Cette entrevue entre l'ambassadeur González Félix et les deux membres du Comité chargés de mener l'enquête en question a eu lieu les 19 et 20 octobre 1999 à Genève. Le gouvernement mexicain était représenté, aux côtés de l'ambassadeur González Félix, par Mme Perla Carvalho, représentante permanente adjointe à la Mission permanente du Mexique auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, par Mme Alicia Pérez Duarte, conseillère à la Mission permanente, par M. Florencio Madariaga, procureur adjoint de l'Etat du Chiapas et par M. Joaquín González Casanova, directeur aux droits de l'homme au Bureau du Procureur général de la République.

11.Les membres du Comité ont donné à la délégation mexicaine une liste de 394 cas présumés de torture. Sur ce total, 316 cas avaient été sélectionnés dans les rapports du Rapporteur spécial et 78 d'après les renseignements fournis par le PRODH. La ventilation des cas par Etat était la suivante: Campeche, 15 cas; Chiapas, 78 cas; Chihuahua, 9 cas; Guanajuato, 5 cas; Guerrero, 89 cas; Hidalgo, 11 cas; Jalisco, un cas; Mexico, 10 cas; Morelos, 18 cas; Oaxaca, 83 cas; Puebla, deux cas; Sonora, trois cas; Tabasco, 8 cas; Tamaulipas, 11 cas; Veracruz, 16 cas et district fédéral, 31 cas. Pour quatre des cas en question, l'Etat n'était pas connu. Pour un bon nombre des cas signalés dans les rapports du Rapporteur spécial, le gouvernement mexicain avait fourni des réponses que les membres du Comité avaient prises en considération.

12.Les membres de la délégation ont dit à nouveau que le gouvernement mexicain tenait à continuer à coopérer avec le Comité. Ils ont passé en revue les mesures adoptées dans le domaine des droits de l'homme depuis 1990, date de la création de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH). Ces mesures étaient notamment les suivantes: organisation d'ateliers d'experts ayant pour objet de déterminer les éléments qui favorisent le recours à la torture; création d'une commission des droits de l'homme dans tous les Etats du Mexique; entrée en vigueur de la loi fédérale sur la torture et de lois analogues dans pratiquement tous les Etats; création d'un service des droits de l'homme dans les bureaux des procureurs; et organisation par les commissions des droits de l'homme et le Bureau du Procureur général de la République d'une campagne visant à inciter la population à dénoncer les abus dont elle pouvait faire l'objet. La mise en application de toutes ces mesures avait fait sensiblement reculer le nombre de cas signalés. La torture figurait au deuxième rang des violations recensées dans le premier rapport de la CNDH (1990) mais n'occupait plus que le 32ème rang dans le dernier rapport en date (décembre 1998), avec 28 plaintes reçues et six recommandations à l'encontre de membres de la fonction publique. En outre, le système judiciaire avait manifestement ouvert la voie au rejet de la torture et au châtiment des responsables de la pratique de la torture, et l'on était aussi de plus en plus nettement disposé à indemniser les victimes de violations des droits de l'homme quand l'Etat était solidairement responsable de préjudices ou de dommages causés par ses fonctionnaires. La délégation mexicaine a expliqué quelles procédures appliquaient les autorités judiciaires compte tenu des recommandations formulées par les commissions des droits de l'homme et a précisé que l'autorité impartie aux inspecteurs des commissions permettait d’utiliser en justice les preuves qu'ils pouvaient réunir.

13.Les membres du Comité ont dit à la délégation mexicaine qu'ils s'inquiétaient de ne rien savoir de l'issue des cas qui avaient donné lieu à enquête pour faits de torture, en particulier sur la question des poursuites intentées contre les responsables et leur sanction. Quand il y avait eu recommandation de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) ou d'une commission d'Etat, on ne savait pas quelle suite avait été donnée à ladite recommandation. Il y avait un écart considérable entre le nombre de plaintes et le nombre de procédures pénales intentées à l’issue desquelles les responsables étaient sanctionnés. La délégation mexicaine a fait valoir qu'il était difficile de recueillir ces renseignements, en raison surtout de la structure fédérale du Mexique. Mais le gouvernement n'épargnerait aucun effort pour fournir au Comité les indications les plus récentes sur les 394 cas en question.

14.La délégation mexicaine a signalé par ailleurs qu'au cas où les membres du Comité tiendraient toujours à se rendre au Mexique, il serait malavisé de faire ce voyage avant les élections présidentielles fixées au 2 juillet 2000 car une visite de ce type pourrait faire l'objet de manipulations d'ordre politique de la part de groupes ayant des intérêts à défendre au cours de la campagne électorale. En outre, la nouvelle administration ne serait pas en place avant novembre 2000. Les membres du Comité ont admis qu'il ne serait peut-être pas judicieux de se rendre dans le pays pendant la campagne électorale mais ne pensaient pas qu'il serait opportun de reporter la visite jusqu'après l'installation de la nouvelle administration. Ils ont donc suggéré la date d'août 2000 pour la visite sur place. Ils ont expliqué que cette visite ne devait pas être perçue par les autorités mexicaines comme ayant un caractère négatif: elle faisait partie du processus et c'était un moyen de se former une opinion la plus objective et la mieux fondée possible sur la réalité dans le pays.

15.Le 30 janvier 2001, le gouvernement mexicain a invité les membres du Comité à se rendre au Mexique. Les membres du Comité ont proposé que cette visite se fasse entre le 23 août et le 12 septembre 2001 et le gouvernement mexicain a accepté ces dates. Entre-temps, le Comité avait désigné un troisième membre, M. Ole Vedel Rasmussen pour qu'il accompagne les deux membres désignés précédemment. Finalement, M. Silva Henriques Gaspar n'a pu, pour des raisons personnelles, faire ce voyage. Les membres du Comité ont été accompagnés de deux membres du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme Carmen Rosa Rueda Castañón, secrétaire du Comité, et Mme Mercedes Morales Fernández.

III. LA VISITE EFFECTUÉE AU MEXIQUE DU 23 AOÛT

AU 12 SEPTEMBRE 2001

A. Les activités des membres du Comité au cours de la visite

16.Au cours de leur séjour au Mexique, les membres du Comité se sont rendus dans le district fédéral où ils se sont entretenus avec les personnalités ci-après: le président et des juges de la Cour suprême; le directeur fédéral de la sécurité publique; le Procureur général de la République; le directeur de la sécurité publique au gouvernement du district fédéral; le procureur du district fédéral; le procureur général de la justice militaire; le président et les inspecteurs de la Commission nationale des droits de l'homme, le président et les inspecteurs de la commission des droits de l'homme du district fédéral; le directeur des services de médecine légale du tribunal supérieur de justice du district fédéral; le procureur général de la justice militaire; et la Commission interministérielle pour le suivi des engagements internationaux du Mexique en matière de droits de l'homme. En outre, les membres du Comité se sont entretenus avec des représentants d'organisations non gouvernementales et se sont rendus dans la prison de Mexico qui porte le nom de Reclusorio Norte. Ils se sont également entretenus avec le procureur chargé de la défense des droits de l'homme et de la protection civile de l'Etat de Basse-Californie qui se trouvait à Mexico à ce moment-là. Ils ont en dernier lieu rendu visite au Centre fédéral de réadaptation sociale de La Palma (Almoyola de Juárez, Etat de Mexico).

17.Les membres du Comité se sont également rendus dans les Etats de Tamaulipas, Oaxaca et Guerrero. A Ciudad Victoria, capitale de l'Etat de Tamaulipas, ils se sont entretenus avec le directeur de la police judiciaire, le procureur de l'Etat, le directeur adjoint des services d'experts, le président de la Cour suprême ainsi que trois de ses membres et le président de la Commission des droits de l'homme de l'Etat. Dans les villes de Reynosa et de Miguel Aleman, les membres du Comité se sont entretenus avec des représentants d'organisations non gouvernementales et se sont rendus dans les centres de réadaptation sociale (CERESO); à Reynosa, les membres du Comité se sont également rendus dans les locaux de la police judiciaire et de la police dite préventive et ils ont vu le commandant de la 8ème zone militaire.

18.Dans l'Etat d'Oaxaca, les membres du Comité se sont entretenus avec le président de la Haute Cour et certains de ses membres, avec le secrétaire à la sécurité publique et à la protection civile, avec le directeur de la prévention et de la réadaptation sociale, le procureur de l'Etat, le directeur de la police judiciaire et des responsables du service de médecine légale, avec le commandant de la 28ème zone militaire et avec le président et les inspecteurs de la Commission des droits de l'homme de l'Etat. Ils se sont également entretenus avec des représentants d'organisations non gouvernementales et se sont rendus dans les CERESOS de Ixcotel et Etla.

19.Dans l'Etat de Guerrero, les membres du Comité se sont entretenus dans la capitale Chilpancingo avec le président du tribunal de grande instance, le secrétaire à la sécurité publique et la protection civile, avec le directeur de la prévention et de la réadaptation sociale, avec le procureur, le commandant de la 35ème zone militaire et le président et les inspecteurs de la Commission des droits de l'homme de l'Etat. Ils se sont également entretenus avec des représentants d'organisations non gouvernementales et se sont rendus dans les CERESOS de Chilpancingo, Acapulco et Iguala.

B. Les conditions générales de la visite

20.Avant de commencer leur visite, les membres du Comité ont convenu avec les autorités mexicaines qu'elle se déroulerait conformément aux principes ci-après: ils auraient librement accès à tous les lieux où pourraient se trouver des personnes privées de liberté; l'accès leur serait garanti à l'intégralité des locaux et non seulement les cellules; ils auraient accès à tout document écrit qu'ils pourraient estimer utile de consulter, y compris les registres de détenus; ils pourraient s'entretenir en privé avec toutes les personnes qu’ils souhaiteraient interviewer, y compris des détenus et des fonctionnaires des centres de détention; ils pourraient en outre revenir dans des lieux de détention qu’ils auraient déjà visités.

21.Le gouvernement mexicain a donné son plein appui à cette visite et a été d'un bout à l'autre extrêmement coopératif, respectant les principes ci-dessus et prenant, tant dans le district fédéral que dans les Etats, les mesures voulues pour permettre aux membres du Comité de mener à bien leur programme de travail et pour garantir au besoin leur sécurité. Cette coopération a notamment permis aux membres du Comité de se rendre dans des lieux de détention sans s'être annoncés ou avec un préavis extrêmement réduit (une à deux heures). Ils ont pu s'entretenir en privé avec tous les détenus qu'ils ont demandé à voir. Ils ont également pu s'entretenir sans la moindre entrave avec des membres de la famille des détenus, avec d'anciens détenus et avec des représentants d'organisations non gouvernementales. Les membres du Comité ont informé toutes les personnes avec lesquelles ils se sont entretenus de l'objet de leur visite et de son caractère confidentiel.

IV. CARACTÉRISTIQUES ET FRÉQUENCE DES CAS DE TORTURE

22.Pour pouvoir apprécier les caractéristiques et la fréquence des cas de torture au Mexique, les membres du Comité ont pris leurs renseignements auprès des sources ci-après:

Les témoignages de victimes présumées ou de membres de leur famille proche;

L'information émanant d'organismes publics de protection et de défense des droits de l'homme;

L'information émanant d'organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme;

L'information émanant des autorités de l'Etat visité et des autorités fédérales.

A. Témoignages de victimes présumées ou de leurs proches

23.Au cours de leur visite au Mexique, les membres du Comité se sont entretenus avec 91 détenus qui ont été sélectionnés d'après deux critères: 1) il avait déjà été reçu à leur sujet des informations indiquant que ces personnes avaient été torturées; 2) il ressortait du dossier médical et juridique au lieu de détention qui portait sur les mois précédant la visite que les intéressés portaient des lésions quand ils étaient arrivés au lieu de détention. Sur les personnes interviewées, 59 ont déclaré avoir subi un traitement qui, de l'avis des membres du Comité, relève de la définition de la torture énoncée à l'article premier de la Convention. Dans un bon nombre de ces cas, le dossier médical correspond au récit. Deux personnes ont dit que, sans avoir été torturées, elles avaient été soumises à de fortes pressions psychologiques. Dans deux cas, on peut douter que le traitement subi réponde aux définitions énoncées aux articles premier et 16 de la Convention.

24.Les membres du Comité ont également entendu des témoignages concernant 17 autres victimes de torture. Certaines d'entre elles étaient en liberté mais d'autres étaient en détention, auquel cas le témoignage a été donné par des proches.

1. Témoignages de personnes privées de liberté

a) Tamaulipas

25.Lors de leur visite au CERESO de Reynosa, les membres du Comité se sont entretenus avec 13 détenus, dont 11 ont dit avoir subi, au moment où ils ont été placés en détention en différents endroits de l'Etat, un traitement qui, pour les membres du Comité, relève de la torture. Trois d'entre eux ont été placés en détention en 1999 et les autres entre janvier et juin 2001. Les intéressés ont tous dit avoir été frappés à maintes reprises au moment de leur arrestation ou bien pendant plusieurs heures ou plusieurs jours; faisait exception la seule et unique femme figurant parmi les détenus qui a dit avoir été menacée d'être jetée dans un canal et avoir été forcée d'assister aux tortures subies par son mari. Deux détenus ont dit avoir l'ouïe lésée de façon permanente à la suite des coups reçus et deux autres ont dit avoir dû garder le lit pendant plusieurs semaines. Trois ont dit avoir eu la tête enfermée dans un sac de plastique et l'un d'eux a dit qu'on lui avait été versé dans le nez et la bouche de l'eau contenant du piment en poudre. L'un d'eux a affirmé avoir été emmené à deux reprises au bord d'une rivière et être menacé d'y être jeté. Cinq détenus ont affirmé que les responsables appartenaient à la police judiciaire, un détenu a affirmé que l'institution responsable était la police judiciaire fédérale, cinq détenus, qu'il s'agissait de la police dite préventive et un détenu, qu'il s'agissait de l'armée.

26.Les membres du Comité ont également interviewé trois personnes qui avaient été placées en détention quelques heures auparavant seulement et étaient détenues dans des cellules de la police judiciaire de Reynosa. Les intéressés ont dit ne pas avoir été torturés ni maltraités.

27.Au CERESO de Miguel Alemán, les membres du Comité ont interviewé sept détenus. Deux d'entre eux qui se trouvaient en détention depuis août 2001 ont dit avoir été battus par des membres de la police judiciaire lors de leur arrestation; des certificats médicaux délivrés lors de l'incarcération faisaient état de lésions. L'un d'eux qui était en détention depuis novembre 2000 a dit avoir été tabassé à maintes reprises par la police municipale. Les quatre autres ont dit qu'ils n'avaient pas été torturés ni maltraités.

b) Oaxaca

28.Lors de leur visite au CERESO de Santa María Ixcotel, les membres du Comité se sont entretenus avec 14 détenus. Trois d'entre eux, placés en détention au mois d'août 2001 par la police dite préventive, ont dit avoir été tabassés au moment de leur placement en détention, bien que deux d'entre eux aient aussi dit n'avoir pas résisté lors de l'arrestation. Cinq détenus ont dit avoir été arrêtés par la police judiciaire dans la région de Loxicha à diverses dates, un en 1996, deux en 1998, un en 1999 et un en juin 2001; à l'exception d'un seul d'entre eux qui a dit avoir été forcé, sous peine de menaces de mort, de signer des feuilles de papier blanches mais n'avoir pas été battu, ils ont tous dit avoir été tabassés à maintes reprises et menacés; l'un d'eux a déclaré avoir reçu des décharges électriques. Un autre détenu incarcéré en septembre 1999 par la police a dit avoir été frappé au moment de son placement en détention et aussi pendant son séjour dans les cellules de la police judiciaire, où il avait également été menacé pour avouer sous la contrainte avoir participé à une affaire de coups et blessures et de viol. Les cinq autres détenus interviewés ont déclaré ne pas avoir été torturés ni maltraités.

29.Lors de leur visite au CERESO d'Etla, les membres du Comité se sont entretenus avec neuf détenus. Deux d'entre eux, des indigènes originaires de la région de Loxicha, ont dit avoir été sérieusement tabassés lors de leur arrestation par la police judiciaire en 1997, l'un dans la ville de Oaxaca et l'autre à Putla de Guerrero, accusés l'un et l'autre d'appartenir à des groupes subversifs et d'avoir commis divers délits liés à l'activité de ces groupes; l'un d'eux a dit avoir subi des décharges électriques, avoir reçu des jets d'eau gazeuse dans le nez et avoir eu la tête enfermée dans un sac de plastique. Un troisième homme a dit avoir reçu des coups de pied de la part des policiers quand il a été placé en détention et avoir été obligé de signer des feuilles blanches. Les autres détenus ont dit ne pas avoir été torturés ni maltraités.

c) Guerrero

30.Lors de leur visite au CERESO de Chilpancingo, les membres du Comité ont interviewé 11 détenus qui avaient été arrêtés dans diverses régions de l'Etat. Deux arrestations avaient eu lieu en 1998, deux en 1999, une en 2000 et pour les autres détenus, l'arrestation avait eu lieu entre mai et juin 2001. L'un des hommes arrêtés en 1998 a dit avoir été soumis à des pressions psychologiques mais non pas physiques; trois d'entre eux ont dit avoir été régulièrement tabassés; les autres ont dit avoir été frappés, menacés et soumis à d'autres formes de torture, consistant par exemple à procéder à l'injection d'eau dans le nez ou la bouche, à placer la tête dans un sac de plastique (qui dans un des cas contenait de la chaux), ou à procéder à un simulacre d'exécution. Une femme a dit avoir été violée à plusieurs reprises, affirmation confirmée par l'examen médical réalisée à son entrée en prison. Pour sept de ces cas, les responsables étaient des membres de la police judiciaire; dans deux cas, des membres de la police judiciaire et de la police dite préventive; dans l'un des cas, des membres de la police municipale et dans un autre cas, des membres d'une patrouille de police dite préventive.

31.Lors de leur visite au CERESO d'Acapulco, les membres du Comité se sont entretenus avec neuf détenus qui ont dit avoir été tabassés et avoir subi d'autres formes de torture. Ils avaient tous été arrêtés à Acapulco, à l'exception de la seule femme qui ait été interviewée et qui a dit avoir été arrêtée à Apango. Deux de ces détenus avaient été arrêtés en juillet 2000 et les autres en 2001. L'un d'eux a dit avoir été brûlé avec un briquet; un autre avait eu une oreille coupée; plusieurs autres, dont la femme, avaient eu la tête mise dans un sac et/ou avaient reçu dans le nez une injection d'eau gazeuse ou d'eau contenant du piment; un détenu avait reçu des décharges électriques. Dans six de ces cas, les auteurs étaient des membres de la police judiciaire; dans deux cas, des membres de la police dite préventive et dans un cas, des membres de la police municipale. Les tortures les plus graves avaient été infligées par les membres de la police judiciaire. A côté de ces neuf détenus, les membres du Comité ont interviewé trois détenus qui ont dit ne pas avoir été torturés ni maltraités.

32.Lors de leur visite au CERESO de Iguala, les membres du Comité ont interviewé sept détenus, dont cinq ont dit avoir été torturés. Deux d'entre eux, qui avaient été arrêtés par la police dite préventive à Atoyac en mai 2001, ont dit avoir été tabassés et frappés notamment sur les oreilles, avoir subi des simulacres d'exécution et des décharges électriques, avoir eu la tête mise dans un sac de plastique, avoir reçu des jets d'eau dans le nez et avoir eu la tête et les poignets bandés très serré. L'un d'eux a dit avoir été arrêté par la police judiciaire en août 2001 et avoir été tabassé, avoir reçu des injections d'eau dans le nez et des décharges électriques, et les marques en étaient encore visibles.

33.Les deux autres détenus qui ont dit avoir été torturés étaient Rodolfo Montiel et Teodoro Cabrera, l'un et l'autre membres de l’Organización de Campesinos Ecologistas de la Sierra de Petatlán y Coyuca de Catalán (Organisation de paysans défenseurs de l'environnement de Sierra de Petatlán et Coyuca de Catalán), organisme constitué en 1998 pour mettre un terme à l'abattage d'arbres considéré comme excessif dans la région. Les deux hommes ont dit avoir été arrêtés le 2 mai 1999 en l'absence de mandat par des membres du 40ème bataillon d'infanterie de l'armée dans le village de Pizotla, commune de Ajuchitlán del Progreso, dans l'Etat de Guerrero. Lors de leur arrestation, ils avaient été jetés à terre, battus, menacés d'exécution et traînés par les cheveux. Emmenés dans un poste de l'armée situé sur la rive de la rivière Pizotla, ils avaient eu les mains et les pieds attachés et forcés de rester couchés sur le ventre pendant plusieurs heures, après quoi M. Montiel avait été emmené à proximité pour être interrogé. Il avait dû rester les yeux bandés étendu sur le dos pendant qu'il était torturé comme suit: sa tête était rejetée en arrière par quelqu'un qui lui tenait la mâchoire; une personne se tenait sur ses épaules; il était frappé à l'abdomen et dans la région lombaire; quelqu'un tirait constamment sur ses testicules lui faisant perdre connaissance à plusieurs reprises; il recevait des décharges électriques dans la cuisse droite qui avait été au préalable mouillée par un jet d'eau; et il était menacé de mort ainsi que sa famille. Pendant qu'il subissait ce traitement, pendant une à deux heures, il était interrogé sur ses activités et on lui disait d'avouer appartenir à un groupe d'opposition armé. Il avait ensuite été ramené à l'endroit où se trouvait M. Cabrera et ce dernier avait été emmené dans un endroit où, après avoir eu les yeux bandés et avoir dû s'allonger par terre, il avait été torturé comme M. Montiel l'avait été. Les deux hommes avaient ensuite été emmenés au siège du 40ème bataillon d'infanterie, à Altamirano, où ils avaient été à nouveau menacés de mort, frappés, contraints d'avouer être en possession de drogue, en cultiver, et détenir illégalement des armes. Le 4 mai 1999, ils avaient été conduits au service du ministère public de Coyuca de Catalán, dans l'Etat de Guerrero, puis devant un juge. Ils étaient restés un mois au CERESO de Coyuca avant d'être transférés au CERESO de Iguala. En novembre 2001, un décret présidentiel ordonnait leur libération pour raisons humanitaires.

34.Le 14 juillet 2000, la Commission nationale des droits de l'homme adressait sa recommandation 8/2000 au secrétaire à la défense nationale en faisant état de violations des droits de l'homme au préjudice de la communauté de Pizotla et de MM. Montiel et Cabrera. La conclusion formulée était que l'arrestation des deux hommes avait été illicite et que les armes trouvées en leur possession avaient été placées là par les militaires désireux de les compromettre. La Commission disait aussi que, l'armée étant restée constamment silencieuse et s'abstenant de lui fournir les informations qu'elle avait demandées, on pouvait être sûr que les hommes avaient été torturés. Bien que les seules preuves retenues contre eux fussent des aveux obtenus sous la torture, le tribunal du cinquième district a jugé les deux hommes coupables le 28 août 2000. Teodoro Cabrera a été condamné à dix ans de prison pour être en possession d'une arme réservée à l'usage exclusif de l'armée et Rodolfo Montiel, à six ans et huit mois de prison pour avoir fait pousser de la marijuana, être en possession d'une arme sans permis et pour détention d'une arme réservée à l'usage exclusif de l'armée. La condamnation a été confirmée en appel en octobre 2000 et, à la suite d'une procédure d'amparo, confirmée à nouveau en juillet 2001 par la juridiction itinérante. Celle-ci n'a pas tenu compte du certificat médical délivré en juillet 2000 par deux experts légistes étrangers appartenant à l'agence danoise de l'association "Médecins pour les droits de l'homme" qui avait été sollicitée par les avocats de Cabrera et de Montiel, experts qui ont déclaré que les résultats de leur examen des deux intéressés correspondaient à leurs déclarations concernant les dates des tortures et les méthodes employées. La plainte de torture présentée par les avocats des deux hommes au ministère public a été transmise aux services du procureur militaire.

d) Le district fédéral

35.Lors de leur visite à la prison du district fédéral portant le nom de "Reclusorio Norte", les membres du Comité se sont entretenus avec neuf détenus arrêtés entre juillet et août 2001 pour lesquels le certificat médical délivré à l'entrée de l'établissement faisait état de lésions. Trois d'entre eux ont dit ne pas avoir été torturés ni maltraités. Cinq ont dit avoir été tabassés, parfois violemment, au moment où ils ont été arrêtés par la police préventive ou par la police municipale.

36.L'un des détenus a dit avoir été arrêté par la police judiciaire et avoir été roué de coups alors même qu'il n'opposait pas de résistance. Le médecin légiste avait demandé qu'il soit conduit à l'hôpital pour des radios de la poitrine. A l'hôpital, l'homme avait été suturé mais les policiers n'avaient pas autorisé la radiographie et avaient déchiré l'ordonnance qui lui avait été prescrite. De retour au commissariat, les policiers lui avaient donné des coups de pied et l'avaient obligé à sauter accroupi. Le certificat médical émanant du médecin des services d'experts du Bureau du Procureur général du district fédéral faisait état de multiples ecchymoses en divers endroits du corps et d'abrasions sur les deux jambes.

e) Le CEFERESO de La Palma (Etat de Mexico)

37.Lors de leur visite au CEFERESO de La Palma, les membres du Comité ont interviewé six détenus. L'un d'eux qui avait été arrêté en octobre 1999 a dit l'avoir été dans le district fédéral par des hommes qui ne s'étaient pas nommés et qu'il n'avait pas pu voir car il avait eu constamment les yeux bandés. A son avis toutefois, il s'agissait de membres de la police judiciaire et l'endroit où il avait été amené était un camp militaire. Pendant plusieurs jours il avait été tabassé, soumis à des simulacres d'asphyxie et des décharges électriques alors qu'il était enveloppé dans un drap humide, et il était en même temps interrogé sur sa prétendue appartenance et sur la prétendue appartenance d'autres personnes à l'armée révolutionnaire populaire.

38.L'un des détenus interviewés a dit avoir été arrêté par des hommes de la police fédérale et de l'armée qui, pour le punir, lui avaient tiré une balle dans la main à la suite de quoi il avait perdu l'usage d'un doigt. Un autre détenu a dit avoir été arrêté en août 2001 par le personnel du Bureau du Procureur général, avoir été frappé sur les oreilles et avoir eu la tête placée dans un sac de plastique. Le sixième détenu, qui avait été arrêté dans le district fédéral en 2001 par le personnel du service de la police judiciaire fédérale spécialisé dans le crime organisé a déclaré avoir été tabassé, menacé, et qu'on lui avait bouché le nez et la bouche par un bâillon auquel on ajoutait de l'eau jusqu'à ce qu'il ait pratiquement perdu connaissance.

39.Deux de ces détenus avaient été arrêtés dans le district fédéral les 9 et 10 mai 2000 respectivement par des agents de la police judiciaire fédérale appartenant à l'unité spécialisée contre le crime organisé qui les avait accusés d'avoir pris part à un enlèvement. Dans le véhicule qui les emmenait jusqu'aux locaux du Bureau du Procureur général de la République, ils avaient été frappés et menacés, leurs mains attachées dans le dos et les yeux bandés. A l'arrivée, ils avaient été frappés systématiquement sur différentes parties du corps, avaient eu la tête mise dans un sac de plastique et plongée dans l'eau tandis qu'ils étaient menacés. Les mêmes détenus ont signalé que d'autres personnes arrêtées se trouvant au même endroit avaient subi le même traitement. Ils avaient aussi été privés de sommeil et de nourriture et en outre de contacts (y compris de contacts téléphoniques) avec leur famille, à qui on disait qu'ils n'étaient pas détenus dans l'endroit en question. Ils avaient été présentés à plusieurs reprises à un fonctionnaire du ministère public mais comme ils refusaient d'avouer les délits dont ils étaient accusés, les policiers les ramenaient là où ils étaient détenus depuis leur arrestation (une sorte de garage) et avaient continué de les tabasser. Ils avaient fini par signer des déclarations mais n'avaient pas été autorisés à les lire. Ce n'est qu'après avoir signé lesdites déclarations qu'ils ont été placés dans des cellules et que leur famille a pu leur rendre visite. Les membres du Comité ont constaté que le rapport médical de l'expert du Bureau du Procureur général de la République, tout comme le certificat médical délivré aux intéressés à leur arrivée à la prison, faisaient état de lésions. L'un des détenus a dit aux membres du Comité que le juge chargé de son dossier avait dit que ces certificats ne suffisaient pas à prouver qu'il y avait eu torture et que c'était à lui, l'accusé, qu'il incombait de rapporter d'autres moyens de preuve pour établir que les lésions constatées résultaient bien de tortures.

2. Témoignages de personnes en liberté

40.Les membres du Comité ont entendu des témoignages de personnes qui avaient été torturées pendant leur détention mais libérées ensuite et aussi de parents de personnes ayant été torturées et toujours en détention. Dans deux de ces cas, les témoignages leur ont été donnés dans le district fédéral. Il s'agissait pour l'un des deux cas d'un mineur qui avait été arrêté à Quiroga, dans l'Etat de Michoacán, en novembre 2000 et torturé par la police judiciaire, c'est-à-dire tabassé et la tête placée dans un sac de plastique. Sous l'effet de la torture, il avait dénoncé un ami qui aurait participé au vol dont il était accusé.

41.Dans le second cas, le témoignage intéressait trois jeunes, deux hommes et une femme, arrêtés à Puebla en avril 2001 et soumis à divers types de torture par la police judiciaire qui les avait accusés du meurtre d'une femme commis en janvier de la même année. Le témoignage a été fourni par le père de l'un des détenus et la mère d'un autre détenu. La plainte déposée au ministère public décrit comme suit l'arrestation de l'un des hommes:

"Alors qu'il attendait le minibus pour aller en classe (…), deux hommes se sont présentés qui, sans dire un mot, ont immédiatement commencé à le frapper sur la tête et à le jeter à terre. Quand il essayait de se lever, les hommes le frappaient sur le corps. Presque immédiatement, une camionnette s'est présentée (…), plusieurs personnes en sont sorties et l'y ont fait entrer de force, tout en continuant à le frapper. Ils l'ont jeté face au sol sur le plancher de la camionnette et deux d'entre eux lui ont mis les pieds sur la tête et le dos en l'immobilisant complètement. Quand l'intéressé leur a demandé ce qu'ils lui voulaient, l'un d'eux a répondu: "La ferme, c'est un enlèvement" et lui a immédiatement mis un passe-montagne sur la tête". Une fois arrivé dans un endroit que l'intéressé ne pouvait pas identifier, on lui a enlevé le passe-montagne, on lui a bandé les yeux, et on l'a déshabillé en le laissant simplement en caleçon, puis on a commencé à le mouiller et à le jeter à terre, et l'un des hommes lui a dit: "Tu vas parler, sinon ça va aller de mal en pis." On lui a demandé combien de fois il avait volé quelque chose. Quand il a dit "jamais", on l'a de nouveau frappé, on lui a mis la tête dans un sac de plastique et on l'a aspergé d'eau. Quand on a vu qu'il avait du mal à respirer, on l'a laissé se reposer, puis on a recommencé à le frapper. La manœuvre s'est répétée de multiples fois (…). Puis, l'un d'eux a dit que "comme il allait coopérer, il fallait l'emmener chez le procureur" (…) et une fois qu'il se trouvait dans un bureau, il a commencé à se rétracter et on a recommencé à le frapper (…). Entre les coups et les menaces, on lui disait: "Tu ferais mieux de prier Dieu qu'on arrête tes amis sinon on sera obligé de te tuer" (…) et on l'a ainsi obligé à signer une confession qu'il n'avait jamais faite. A la suite de ces tortures, il portait un certain nombre de marques de lésions comme l'a indiqué la juge de défense sociale de la circonscription judiciaire de Puebla après avoir remis son rapport préliminaire et comme l'ont reconnu en même temps les experts médicaux de la défense et les médecins légistes assistant à l'examen."

42.A Reynosa, les membres du Comité ont entendu le témoignage d'une personne qui avait été arrêtée dans cette ville en avril 2001 et dont les oreilles avaient été abîmées par les coups de pied et le tabassage subi des mains de la police générale.

43.A Miguel Alemán, les membres du Comité ont entendu des témoignages concernant les tortures subies par quatre personnes arrêtées en 2000 et 2001 et tabassées par les militaires (un cas), par la police dite préventive (un cas) et par la police judiciaire (un cas). Le quatrième cas était celui d'une personne arrêtée par des militaires dont le cadavre avait ensuite été trouvé portant des marques de torture.

44.A Oaxaca, les membres du Comité ont entendu des témoignages de trois personnes arrêtées respectivement en 1996, 1997 et 1998 pour appartenance à des groupes armés qui avaient subi de multiples formes de tortures de la part de la police judiciaire.

45.A Chilpancingo, les membres du Comité ont entendu le témoignage de deux hommes qui ont dit avoir été arrêtés l'un en 2000 et l'autre en 2001 et torturés par la police judiciaire pour l'un d'eux et par la police municipale pour l'autre. Le premier a dit avoir été arrêté dans le cadre d'une enquête pour meurtre. Pendant les deux jours où il a été détenu au siège de la police judiciaire de l'Etat de Tlapa, il est resté les yeux bandés et les mains attachées, il a été frappé sur les oreilles et dans l'estomac. A trois reprises, on lui a placé la tête dans un sac de plastique jusqu'à ce qu'il perde conscience. Pendant tout ce temps, on le pressait de s'avouer coupable de l'homicide dont il s'agissait. L’intéressé a également été placé dans une cuve d'eau où des électrodes lui infligeaient des décharges électriques. On le menaçait de l'enflammer et on lui refusait boisson et nourriture. Il n'a jamais été autorisé à se servir du téléphone et quand ses proches sont venus prendre de ses nouvelles, on leur a dit qu'il n'était pas détenu. Les mêmes policiers avaient rédigé une déclaration qu'ils lui ont fait signer mais sa signature était fausse. Il avait également été décrit à la presse comment étant le coupable. De peur d'être à nouveau torturé, il n'avait pas dit au médecin ni au ministère public quel traitement il avait subi. Il en avait simplement parlé aux médecins qui étaient venus le voir au CERESO et au juge qui l'a vu quand il se trouvait déjà au CERESO. La commission de défense des droits de l'homme de l'Etat de Guerrero a formulé une recommandation dans laquelle elle concluait qu'il y avait eu torture et engageait le Procureur général de l'Etat à intenter une procédure administrative disciplinaire. Comme il n'existait pas d'autre preuve à l'encontre du détenu que la déclaration obtenue sous la torture, l'intéressé avait été acquitté après avoir passé dix mois en prison.

46.Les membres du Comité ont également entendu le témoignage de proches parents d'une personne arrêtée par des membres de la police judiciaire à Tierra Colorada en juin 2001. Les parents en question ont dit que l'intéressé avait été tabassé au moment de son arrestation et n'avait pas été vu depuis. D'autres membres de la famille ont relaté le cas de deux frères qui avaient été arrêtés à Tlapa en décembre 2000 et torturés de diverses façons par des membres de la police judiciaire (tabassage, claques sur la tête, électricité, tentative d'asphyxie); les deux frères étaient toujours en détention et leur famille était de ce fait dans le dénuement.

B. Les organismes publics de protection et de défense des droits de l'homme

47.Comme indiqué plus haut, les membres du Comité se sont entretenus avec des représentants de la Commission nationale des droits de l'homme et des commissions de défense des droits de l'homme de chacun des Etats visités et ils se sont également entretenus avec le procureur chargé des droits de l'homme de Basse-Californie qu'ils ont rencontré à Mexico. Tous ces interlocuteurs ont donné aux membres du Comité des documents pertinents, en particulier leurs rapports annuels les plus récents dans lesquels lesdits organismes indiquent quelles recommandations ils ont formulées. Les membres du Comité ont eu également accès aux rapports annuels de la Commission des droits de l'homme de l'Etat de Jalisco dont il sera question dans le présent chapitre.

1. La Commission nationale des droits de l'homme

48.Les représentants de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) ont dit que leurs statistiques et rapports annuels faisaient exclusivement état des cas de torture pour lesquels les faits avaient été prouvés et non des cas ayant donné lieu à plainte pour lesquels il n'avait pas été possible d'établir qu'il y avait eu torture. Les représentants de la Commission ont également indiqué que les autorités fédérales – c'est-à-dire les autorités relevant de la compétence de la Commission – s'étaient fermement employées à supprimer la torture mais que celle-ci continuait d'être pratiquée. Il fallait incriminer non pas la politique de l'Etat mais plutôt le manque de formation des membres de la police, problème qui était particulièrement aigu dans les services du ministère public qui étaient extrêmement pauvres en moyens. Il arrivait souvent que ses bureaux ne puissent recourir à aucun service d'experts, et cette situation ne pouvait que favoriser la pratique de la torture. La police responsable était non pas la police dite de prévention au niveau fédéral puisque celle-ci n'avait pas de détenus sous son contrôle, mais la police judiciaire qui avait à cet égard partie liée avec le ministère public. Les représentants de la Commission nationale ont également signalé qu'il y avait des cas "occultes" de torture qui n'étaient communiqués à aucune commission des droits de l'homme et que la CNDH tenait à se pencher sur ce problème d'omission.

49.D'après son rapport couvrant la période allant de novembre 1999 à novembre 2000, la Commission avait enregistré neuf nouveaux dossiers portant sur des allégations de torture. La Commission avait également enregistré 211 plaintes de traitement cruel et/ou dégradant, 133 plaintes de menaces, et 85 plaintes d'intimidation. Le rapport signale huit recommandations dans le cadre desquelles il a été constaté un recours abusif à la force à l'encontre d'une personne en détention ou bien un abus d'autorité se traduisant par une lésion corporelle ou un traitement inhumain ou dégradant susceptible d'être qualifié de torture (recommandation 19/2000). L'une des recommandations portant le n° 11/2000 vise Martín Zavala Limón, qui a été arrêté le 11 août 1997 par des membres de la direction de la sécurité publique de la municipalité de Zapopan, Etat de Jalisco, et brutalement tabassé à mort. La Commission a notamment relevé des irrégularités commises lors de la première enquête sur l'incident par le Bureau du Procureur général de l'Etat de Jalisco. De même, dans sa recommandation 19/2000, la Commission a examiné les lésions corporelles – résultant peut-être de tortures – infligées à M. Carlos Montes Villaseñor qui a été arrêté par des militaires le 13 novembre 1998 à El Achotal, municipalité de Atoyac de Alvarez, dans l'Etat de Guerrero.

50.Les représentants de la Commission nationale ont également indiqué qu'ils avaient enregistré six plaintes de torture entre janvier et août 2001. A la suite de l'une d'elles, la Commission a formulé la recommandation 8/2001 concernant les tortures infligées à Norberto Jesús Suárez Gómez, anciennement procureur dans l'Etat de Chihuahua, par des membres du service du crime organisé de la police judiciaire fédérale qui avaient été chargés de le surveiller dans une maison servant de "planque" où il était tenu au secret. Les tortures avaient consisté principalement en brûlures sur le dos, et avaient été infligées pour que l'intéressé signe certaines déclarations; ce sont 18 brûlures du second degré qui avaient été constatées. Au cours de la même période, la Commission nationale avait reçu 144 plaintes qu'elle avait classées parmi les plaintes de traitement cruel ou dégradant. Ces dossiers étaient toujours à l'étude.

2. La Commission des droits de l'homme de l'Etat de Jalisco

51.Les rapports des années 2000 et 2001 contiennent des recommandations concernant les dossiers ci-après au sujet desquels cette commission des droits de l'homme a constaté des violations du droit à l'intégrité physique ou du droit à ne pas être soumis à la torture.

52.Jorge Alberto Gallegos Lupián a été arrêté le 7 juin 1998 à Guadalajara par la police judiciaire relevant du Bureau du Procureur général de l'Etat; il a été tabassé et on lui a mis la tête dans un sac de plastique. L'expert médical de la Commission a confirmé l'existence de lésions. Il a été recommandé au Procureur général de l'Etat d'ouvrir une enquête préliminaire pour abus d'autorité (recommandation 4/2000 du 6 juillet 2000).

53.Ignacia de Jesús Cervera Horta a été arrêtée le 21 avril 1999 par des membres de la direction générale de la sécurité publique de Tonalá qui l'ont tabassée, lui cassant un bras et provoquant des contusions en divers endroits (recommandation 6/2000).

54.Le 4 novembre 1999, 13 manifestants appartenant à un groupe connu sous le nom de El Barzón ont été tabassés par des membres de la direction générale de la sécurité publique de l'Etat, d'où des lésions de divers types, dont certaines graves, aux dires d'un rapport médical de l'Institut de sciences légales de l'Etat de Jalisco (recommandation 9/2000).

55.José Ventura Ríos García a été arrêté le 22 août 1999 à Cocula par quatre membres de la police municipale qui l'ont tabassé. Les certificats médicaux pertinents ont confirmé l'existence de contusions multiples en diverses parties du corps qui étaient dues à un instrument contondant (recommandation 12/2000).

56.Jesús Cruz Briseño et Roberto Carlos Domínguez Robles, âgés de 14 ans, ont été arrêtés le 18 mai 1997 à Jaluco, municipalité de Cihuatlán, par des membres de la police judiciaire de l'Etat. Pour leur faire avouer avoir participé au meurtre d'un jeune homme, les policiers les ont tabassés, leur ont mis la tête dans un seau d'eau et les ont forcés à sauter accroupi. Les mineurs ont signé sans la lire une déclaration devant un fonctionnaire du ministère public. Les rapports du médecin de la municipalité et du médecin de la Commission ont constaté l'existence de lésions. L'un des mineurs a fait savoir au fonctionnaire du ministère public qu'il avait eu la tête mise dans un seau d'eau, mais le fonctionnaire n'a procédé à aucune enquête (recommandation 15/2000).

57.Alejandro de Jesús Ramírez Yáñez et Guillermo Dávalos Roldán ont été arrêtés le 30 novembre 1999 à Guadalajara par des membres de la police judiciaire de l'Etat qu'ils avaient abordés pour signaler le vol d'un objet leur appartenant. Les policiers les ont emmenés en un endroit désert, leur ont attaché les mains et les pieds, recouvert le visage d'une pièce de tissu pour le placer ensuite sous un jet d'eau. Les policiers leur ont dit de déclarer au procureur qu'ils avaient organisé le vol et devaient s'accuser l'un l'autre. Le lendemain, ils ont été tabassés. Le médecin du ministère public a certifié qu'ils ne présentaient pas de lésions, contrairement aux constatations du médecin de la Commission (recommandation 18/2000).

58.Samuel Ramos Roblada, Rosario Elías Padilla, José Roblada Michel et Sebastián de la Cruz Roblada ont été arrêtés le 18 février 1999 à Cuautitlán de García Barragán par des membres de la police judiciaire de l'Etat qui, une fois qu'ils sont arrivés dans le bâtiment que se partagent le ministère public et la police judiciaire, les ont tabassés et plongés dans une citerne d'eau dans laquelle les policiers ont constamment fait passer de l'électricité. Les policiers ont fait pression sur le médecin de la municipalité pour qu'il ne signale pas les brûlures d'électricité ni les marques de coups (recommandation 3/2001).

3. La Commission des droits de l'homme du district fédéral

59.Le Président de la Commission des droits de l'homme du district fédéral a fait savoir aux membres du Comité que si le nombre de cas de torture avait baissé au cours des dix dernières années dans le district fédéral, la torture n'avait pas disparu pour autant. Il était extrêmement difficile de prononcer des condamnations en raison de tout le réseau de complicités, de dissimulation de preuves, etc., qui s'était constitué au sein des services du Procureur, mais il avait néanmoins été possible de prononcer quatre condamnations dans le cadre de dossiers sur lesquels la Commission avait formulé des recommandations.

60.D'après son septième rapport annuel (portant sur la période allant d'octobre 1999 à septembre 2000), la Commission des droits de l'homme a enregistré pendant ses sept premières années d’activité 92 cas de torture et formulé 15 recommandations. Le rapport fait également état des cas ci-après de torture au sujet desquels il a été formulé des recommandations pendant la période considérée.

61.Luis David Villavicencio Mares a été arrêté le 1er août 1998 dans le district fédéral et emmené au bureau des enquêtes de la police judiciaire n° 50, à Arcos de Belén. Il y a été tabassé, ce qui lui a disloqué une épaule, il a eu la tête placée dans un sac de plastique, et il a été contraint de boire de l'eau pour être ensuite frappé dans l'estomac. Les médecins du Bureau du Procureur lui-même et ceux de la Commission ont constaté l'existence de lésions (recommandation 3/99).

62.Une personne arrêtée le 14 septembre 1998 dans le district fédéral, à Colonia Cuauhtémoc, par des membres de la police financière et industrielle du département de la sécurité publique, a résisté à l'arrestation et a été passée à tabac, d'où des lésions abdominales internes (recommandation 7/99).

63.José Luis Méndez Briano et Fernando Martínez Beltrán ont été arrêtés le 24 juin 2000 et emmenés dans les bureaux de la police judiciaire de la circonscription Gustavo A. Madero. Ils ont été fortement tabassés, en particulier dans la région des oreilles, et ont dû être hospitalisés. Il a été demandé au Procureur général du district fédéral de mener une enquête préliminaire sur délits de torture présumés mais la recommandation n'a pas été acceptée (recommandation 7/2000).

4. La Commission des droits de l'homme de l'Etat d'Oaxaca

64.Le quatrième rapport de la Commission des droits de l'homme de l'Etat d'Oaxaca qui porte sur la période allant de mai 2000 à avril 2001 énumère les cinq recommandations que l'organisme a formulées au sujet de la torture depuis 1994. Toutefois, tout comme le troisième rapport annuel qui portait sur la période allant de mai 1999 à avril 2000, ce rapport contient un exposé succinct de toutes les recommandations formulées pendant la période considérée. L'une des recommandations qualifie les faits dont il s'agit de torture: "Il a été établi que les plaignants ont été arrêtés par des officiers de la police judiciaire de l'Etat le 10 juin 2000 alors qu'ils étaient prétendument en train de procéder à un vol; ils ont été ensuite tabassés par les agents qui les avaient appréhendés comme ils l'ont déclaré eux-mêmes et comme l'indiquent les certificats médicaux que leur a délivrés le (…) médecin des services du Procureur général de l'Etat, d'où il ressort qu'ils ont été blessés principalement à l'abdomen et au thorax, devant et derrière; en outre, M. Melitón Ruiz Ruiz portait des brûlures du second degré."

65.Dans 23 recommandations, les faits dont il est question sont accompagnés de lésions. Les exposés succincts donnent à penser, indépendamment de la qualification émanant de la Commission des droits de l'homme de l'Etat, qu'un bon nombre des incidents en question relèvent de la torture au sens de l'article premier de la Convention. Voici des exemples:

"Il y a eu violation des droits de l'homme du plaignant car il a été établi que le 29 juillet celui-ci présentait des altérations de son état de santé se traduisant par des traces physiques sur le corps; l'infirmier-chef (…) de l'infirmerie de la prison et le (…) médecin en titre du bureau régional du procureur adjoint de La Costa ont en effet certifié que le détenu présentait des lésions non guéries qui avaient probablement été infligées par le directeur du pénitencier régional de Santa Catalina Juquila, de l'Etat d'Oaxaca lequel voulait obtenir des renseignements au sujet d'un vol commis au magasin du pénitencier; la version des faits donnée par le plaignant a été corroborée par les certificats médicaux et par les déclarations d'autres détenus. Au cours de l'enquête sur la plainte en question, il est apparu que le directeur du pénitencier encourageait aussi très probablement la confrontation entre les détenus pour favoriser des agressions dirigées contre les personnes ayant dit du mal de lui devant le représentant du ministère public et devant la Commission qui l'avaient désigné comme étant l'auteur des coups et des blessures du plaignant."

"Il y a eu violation des droits de l'homme aux dépens de Carlos Fernando Romero Luna quand celui-ci a été arrêté par des membres de la police municipale dans la rue, au centre de Salina Cruz, Etat d'Oaxaca, parce qu'il jetait des cailloux contre les corbeaux perchés dans les arbres. Une fois arrêté, il a été emmené au siège de la police municipale où il a été blessé; d'après le certificat médical, il présentait une fracture au tiers médian de l'humérus gauche."

"Il y a eu violation des droits de l'homme du plaignant à qui il a été infligé des lésions par des membres de la police judiciaire de l'Etat en poste à Tuxtepec, Etat d'Oaxaca; d'après ce que le plaignant a dit au médecin du pénitencier régional de Tuxtepec, il a été au moment de son arrestation battu et traîné sur le sol par les policiers, contusionné sur la face antérieure de son flanc gauche, blessé à l'œil droit, a souffert un hématome avec coloration du tissu cutané ainsi que des douleurs musculaires secondaires; en outre, dans sa première déclaration devant le second tribunal pénal de Tuxtepec, Oaxaca, l'intéressé a notamment déclaré qu'il avait été arrêté par des membres de la police judiciaire qui l'avaient emmené à la rivière Papaloapan, lui avaient mis la tête dans un sac de plastique jusqu'au cou, puis l'avaient mis dans l'eau, battu sur tout le corps, lui avaient donné des coups de pied et l'avaient traîné ensuite sur le sol; des éraflures rougeâtres ont été constatées sur la face antérieure du flanc gauche, ainsi que des éraflures sur le côté droit du visage, près de la pommette (entre la pommette droite et l'oreille), une inflammation de l'œil droit et des bleus en-dessous de l'œil droit, des éraflures horizontales rougeâtres sur l'abdomen, des éraflures sur l'avant-bras gauche, des éraflures sur le côté droit du cou, des éraflures sur la région lombaire gauche et sur l'avant-bras droit, ainsi que des éraflures et des inflammations sur les deux poignets."

"La police judiciaire (…) s'est rendue coupable de violations des droits de l'homme aux dépens des plaignants, car, s'il est vrai qu'il avait été délivré un mandat d'arrêt contre Jose Manuel Saavedra Lázaro et que la police voulait exécuter le mandat, il est vrai aussi que ce mandat n'autorisait pas à entrer de force dans un domicile privé, à commettre un abus de pouvoir ou un usage excessif de la force publique que la police est autorisée à utiliser, mais c'est ce que les policiers ont fait en entrant au domicile de Mme Virginia Díaz Díaz sans permission ni consentement; en recourant sans motif à la force brutale contre le plaignant au moment de l'arrêter; et en se comportant triomphalement tandis qu'ils le frappaient et le blessaient; les mêmes policiers ont en outre tiré un coup de feu, blessant Mme Consuelo Lázaro Díaz."

66.La police municipale de San Antonio de la Cal "s'est rendue coupable de violer les droits de l'homme des plaignants, car non seulement les a-t-elle arrêtés sans motif juridique, mais encore les a-t-elle tabassés en leur causant les lésions que les intéressés présentaient, lesquelles ont été certifiées par l'inspectrice adjointe chargée de l'affaire et par le médecin légiste de l'Etat. La présente Commission constate que les membres de la police de la municipalité pratiquent quotidiennement l'abus d'autorité sous la forme du recours à la force publique pour agresser et châtier sans fondement les personnes qu'elle est censée arrêter pour une raison quelconque."

67.Lors de son entretien avec les membres du Comité, le président de la Commission des droits de l'homme de l'Etat a dit que, si la pratique de la torture avait considérablement reculé au Mexique, il se produisait encore des incidents, imputables principalement à la police judiciaire, et que les programmes de formation étaient insuffisants. La même personnalité a dit aussi qu'il fallait faire prendre conscience au personnel chargé de l'administration de la justice du problème de la torture et lui apprendre à qualifier correctement les faits, ce qui n'était pas toujours le cas actuellement. Le président de la Commission a précisé qu'entre janvier et août 2001 il avait reçu 17 plaintes pour abus d'autorité commis par la police dite préventive et 20 plaintes d'abus d'autorité imputés à la police judiciaire. Il avait également été saisi de cinq plaintes dans le cadre desquelles c'était l'armée qui était prétendument responsable.

5. La Commission de défense des droits de l'homme de l'Etat de Guerrero

68.Dans son neuvième rapport annuel, qui porte sur la période allant de novembre 1998 à octobre 1999, ladite Commission dit avoir formulé neuf recommandations pour faits de torture, quatre pour coups et blessures, une pour menaces et une pour intimidation. Dans son dixième rapport annuel, lequel couvre la période allant de novembre 1999 à octobre 2000, la même Commission indique avoir formulé 12 recommandations pour coups et blessures, six pour menaces et sept pour torture. Les cas de torture étaient imputés à la police judiciaire de l'Etat. En outre, la Commission a formulé un avis et des propositions dans 48 cas de coups et blessures, neuf cas de torture, cinq cas de tabassage, 17 cas d'intimidation et 16 cas de menaces.

69.Lors de son entretien avec les membres du Comité, le président de la Commission de l'Etat a dit que la torture avait sans doute reculé mais n'avait pas été supprimée ni au Mexique en général ni dans l'Etat de Guerrero; les responsables étaient en règle générale des membres de la police judiciaire et le parquet ne prenait aucune mesure pour sanctionner les auteurs.

6. La Commission des droits de l'homme de l'Etat de Tamaulipas

70.Le président de la Commission de l'Etat de Tamaulipas a lui aussi dit aux membres du Comité que la torture avait reculé pendant les années 90 mais se manifestait encore. Si elle était infligée aux fins d'obtenir des informations, la Commission qualifiait le traitement en question de torture au titre de la loi de l'Etat. Si le traitement infligé avait un autre objet, la qualification était différente, et il s'agissait par exemple d'abus d'autorité ou de coups et blessures.

71.Le rapport annuel de la Commission pour l'année 2000 indique comment sont classées certaines des plaintes pour violation du droit à l'intégrité et à la sécurité de la personne dont elle a été saisie:

Motif de la plainte

Total

Atteintes à l'honneur (coups et violences physiques simples, insultes, diffamation, et autres formes d'humiliation)

114

Coups et blessures

114

Intimidation

  85

Menaces

  77

Torture

  33

72.Le même rapport donne un résumé synthétique des 157 recommandations formulées par la Commission au cours de l'année. Dans 45 d'entre elles approximativement, les faits sont notamment qualifiés de lésions corporelles ou, dans une moindre mesure, de torture, d'usage excessif de la force ou de violation du droit à l'intégrité de la personne.

73.Dans son rapport de 1999, la Commission classe comme suit les plaintes dont elle a été saisie:

Motif de la plainte

Total

Tabassage

101 

Lésions corporelles

83

Menaces

77

Intimidation

66

Violences physiques

50

Torture

34

Violation du droit à l'intégrité et à la sécurité de la personne

32

74.D'après le rapport, il a été formulé des recommandations pour les violations ci-après: tabassage (28), torture (7), harcèlement (6), lésions corporelles (6), mauvais traitements (4), menaces (2), abus d'autorité (1).

75.Les membres du Comité considèrent, indépendamment de la qualification donnée par la Commission, qu'un bon nombre de ces cas pourraient relever de la torture au titre de l'article premier de la Convention.

76.D'après les renseignements communiqués par les services du Procureur général de l'Etat de Tamaulipas aux membres du Comité, sur les 135 recommandations transmises à ces services en 1999, 2000 et pendant les quelques premiers mois de 2001, 21 portaient sur des cas de tabassage, lésions corporelles et torture.

7. Le Procureur aux droits de l'homme et à la protection civile

de l'Etat de Basse-Californie

77.Le Procureur a fait savoir aux membres du Comité qu'au cours de l'année 2000, ses services avaient reçu quatre plaintes pour torture et il avait été établi pour l'une d'entre elles que les autorités n'étaient pas responsables. Entre le 1er janvier et le 30 juin 2001 toutefois, ses services avaient été saisis de 12 plaintes et, au sujet de la plupart d'entre elles, l'enquête était toujours en cours. Pour sept des cas en question, les faits s'étaient déroulés à Tijuana et, pour cinq des cas en question, à Mexicali. Les faits étaient imputés à des membres de la police judiciaire de l'Etat pour tous les cas sauf un, pour lequel c'était la police judiciaire fédérale qui était présumée responsable.

78.L'une des plaintes concernait Isidro Carrillo Vega, décédé à Tijuana le 24 mai 2001, apparemment des suites de la torture pratiquée par la police judiciaire qui l'avait arrêté parce qu'il était soupçonné d'agression contre une banque. L'autopsie pratiquée par le service de médecine légale a montré que le décès était imputable à une rupture de l'intestin et des fractures dues à des coups sévères portés dans la région abdominale et la cage thoracique. Quatre autres personnes arrêtées pour les mêmes faits ont déclaré avoir été torturées et présentaient des lésions corporelles.

79.Le 9 juin 2001, ces services ont adressé une déclaration au Congrès de l'Etat, au tribunal de grande instance, au gouverneur et au Procureur général dans laquelle ils se disaient préoccupés par la pratique de la torture dans l'Etat: "Malgré les déclarations officielles des autorités de l'Etat qui proclament que la violence est désormais exclue du gouvernement des affaires publiques, dans les cellules et les quartiers d'isolement de la police judiciaire de l'Etat qui fait partie des services du Procureur général de l'Etat de Basse-Californie, on torture les détenus pour leur faire avouer les délits dont ils sont accusés ou pour qu'ils incriminent des tiers en les accusant d’avoir participé à différents délits."

C. Informations communiquées par des organisations non gouvernementales

80.Les organisations non gouvernementales (ONG) interviewées par les membres du Comité ont communiqué par écrit des renseignements portant notamment sur des cas de torture. L'une de ces organisations connue à l'échelle nationale a donné des détails sur des cas enregistrés dans 26 Etats entre septembre 1998 et juin 2001, dont 73 avaient été recueillis grâce à la presse et concernaient au total 177 victimes présumées. Vingt-six autres cas avaient été signalés directement à des ONG et concernaient au total 40 victimes présumées. Des ONG travaillant à l'échelle de l'Etat ont également fourni au Comité des renseignements sur des cas individuels dont elles se sont occupées. On trouvera ci-dessous certains des cas les plus récents et les plus représentatifs; il s'agit d'autres cas que ceux dont il était question plus haut. On peut trouver le nom des victimes présumées ainsi que d'autres détails concernant leur arrestation dans la documentation transmise aux membres du Comité.

Coahuila

81.Deux personnes ont été arrêtées le 10 février 2001 à Torreón par la police judiciaire et ont été tabassées, ont eu la tête placée dans un sac de plastique, ont subi des décharges électriques et ont été menacées afin qu'elles signent sous la contrainte un document qu'elles n'ont pas été autorisées à lire. Le cas a été soumis à la Commission des droits de l'homme de l'Etat.

Colima

82.Un homme a été arrêté le 24 avril 2001 à Tecomán par des membres de la police judiciaire des services du Procureur de l'Etat, qui l'ont passé sérieusement à tabac en présence de son fils de dix ans jusqu'à ce qu'il ait besoin d'être hospitalisé. Pendant qu'il se trouvait à l'hôpital, des policiers lui ont arraché son goutte-à-goutte et l'ont emmené au centre de réadaptation sociale (CERESO). Le cas a été soumis à la Commission des droits de l'homme de l'Etat.

Chiapas

83.Trois personnes ont été arrêtées le 18 mai 2001 à Venustiano Carranza par la police judiciaire de l'Etat et ont été tabassées, la tête placée dans un sac en plastique et ont été menacées. L'une d'elles a été brûlée au poignet, une autre frappée aux oreilles. Le cas a été soumis à la Commission des droits de l'homme de l'Etat.

84.Une personne a été arrêtée le 7 juin 2001 à Comitán de Domínguez par la police judiciaire de l'Etat et tabassée, surtout dans la région des oreilles, la tête placée dans un sac de plastique et menacée de noyade dans une rivière. La personne a dû être hospitalisée.

85.Une personne a été arrêtée le 8 juin 2001 à Comitán de Domínguez par la police judiciaire de l'Etat et tabassée, la tête placée dans plusieurs sacs de plastique (six en même temps), menacée de subir des décharges électriques et frappée aux oreilles.

86.Deux autochtones de souche chole ont été arrêtés le 8 mai 2001 à Palenque par des membres de la police municipale, brutalement tabassés et menacés de mort.

Chihuahua

87.Un mineur âgé de 17 ans a été arrêté le 17 août 2001 dans la ville de Chihuahua par des membres de la police municipale et tabassé, d'où en particulier des côtes cassées.

88.Une personne a été arrêtée le 20 mai 2000 dans la ville de Chihuahua par des membres de la police municipale et le tabassage subi a provoqué de multiples traumatismes crâniens. L'intéressé est décédé quelques jours après. La Commission des droits de l'homme de l'Etat a recommandé la mise en examen des responsables.

Guerrero

89.Trois personnes ont été arrêtées le 24 octobre 2000 dans le village d'El Camarón, Petatlán, par la police judiciaire de l'Etat et tabassées, la tête placée dans un sac de plastique et soumises à des injections d'eau dans le nez. Elles ont été présentées au juge sept jours après leur arrestation.

90.Deux femmes ont été violées par des membres de l'armée le 21 avril 1999 alors qu'on recherchait leurs enfants mineurs qui avaient disparu la veille dans le village de Barrio Nuevo, Tlacoachistlahuaca.

91.Une personne a été arrêtée le 21 février 1999 au village de Los Achotes, Zihuatanejo, par la police judiciaire fédérale. Son cadavre a été trouvé à la décharge de Los Achotes: il était émasculé, portait des signes de torture et on lui avait tiré une balle dans la nuque.

92.Une personne a été arrêtée le 22 août 1999 à Tlapa par la police de l'Etat chargée de la circulation et passée à tabac au point de perdre connaissance.

93.Une personne a été arrêtée le 13 juillet 2001 à Chilapa de Alvarez par des membres de la police préventive et frappée en divers endroits du corps. Le cas a été signalé à la Commission des droits de l'homme de l'Etat.

94.Cinq personnes ont été arrêtées le 30 avril 2000 à El Lucerito, municipalité d'Atlixtac, par la police judiciaire de l'Etat appartenant au siège régional de Tlapa: elles ont eu les yeux bandés et les mains attachées, ont été frappées sur plusieurs régions du corps, reçu des injections d'eau dans le nez et la bouche. Le cas a été signalé à la Commission des droits de l'homme de l'Etat.

95.Deux personnes ont été arrêtées le 22 novembre 2000 à Tlapa de Comonfort par des membres de la police judiciaire et ont eu en particulier la tête placée dans un sac de plastique, ont reçu des coups à l'abdomen, ont été suspendues, ont dû ingérer du vinaigre par la bouche, ont été plongées dans l'eau et ont été menacées de mort, une arme placée sur la tempe.

96.Trois personnes ont été arrêtées le 9 janvier 2001 à Zoquitlan, municipalité d'Atlixtac, par des membres de l'armée et frappées en divers endroits du corps. Le cas a été signalé à la Commission nationale des droits de l'homme.

97.Trois femmes ont été arrêtées le 2 mars 2001 à Zoyatlan de Juárez, municipalité d'Alcozauca, par la police judiciaire de l'Etat. Elles ont été traînées sur le sol par les cheveux et battues avec des crosses de fusil. Il y a eu tentative de viol sur l'une d'elles.

98.Une personne a été arrêtée à Chilpancingo le 30 octobre 2000 par la police judiciaire de l'Etat: les yeux bandés, elle a été soumise à des insultes, menacée de disparaître et a reçu des coups au visage et au corps. Elle a subi des injections d'eau dans le nez (jusqu'à l'asphyxie), un individu se tenant en même temps sur son estomac, et elle a subi également un simulacre de viol. L'objectif était de faire avouer à l'intéressé qu'il était l'auteur d'un enlèvement et d'un viol.

99.Une personne a été arrêtée le 16 janvier 2000 à Huamuxtitlán par la police judiciaire de l'Etat: les yeux bandés, elle a été frappée à l'abdomen et la tête placée dans un sac de plastique.

Etat de Mexico

100.Un autochtone de souche mazatèque a été arrêté par la police de l'Etat le 10 février 2001 à Tlalnepantla. Il a été menacé, frappé au visage, aux jambes et à l'estomac et contraint de signer un document qu'il ne pouvait pas lire. Il n'a pas pu recourir à un interprète ni à un avocat pendant qu’il se trouvait dans les locaux du ministère public.

101.Deux personnes ont été arrêtées le 28 avril 2000 par des membres de la police judiciaire de l'Etat chargés de récupérer des véhicules à Ixtapaluca. Elles ont eu les yeux bandés, ont été tabassées, menacées, subi des injections d'eau dans le nez. La police les a gardées au secret pendant 30 heures environ avant de les présenter au procureur.

Nueva León

102.Une personne a été arrêtée le 14 juillet 1999 à Monterrey par la police judiciaire et frappée à la bouche au point de perdre plusieurs dents, et frappée aussi en d'autres endroits du corps. La personne remise en liberté, elle a été retrouvée morte à Montemorelos le 23 juillet 1999.

103.Une personne a été arrêtée à Monterrey le 12 mars 2001 par des membres de la police municipale: elle a été tabassée au point de souffrir d'une insuffisance rénale aiguë.

104.Le 13 décembre 2000, un détenu du centre de réadaptation sociale (CERESO) de Nueva León a été tabassé et soumis à une tentative de pendaison par des gardiens. Il a été en outre menacé à maintes reprises pour avoir signalé les faits en question.

105.Le 7 décembre 2000, un détenu du CERESO de Nuevo León a été tabassé et a subi des sévices sexuels de la part des gardiens.

106.Une personne a été arrêtée en juin 2001 à Monterrey par des membres de la police judiciaire: elle a été tabassée et eu une côte cassée.

Oaxaca

107.L'organisation non gouvernementale portant le nom de "Action des chrétiens pour l'abolition de la torture" a fait savoir qu'elle avait depuis 1996 constitué un dossier de plus de 70 cas où des autochtones de souche zapotèque ont été torturés et contraints de signer des aveux par lesquels ils se reconnaissaient coupables de terrorisme, de détention d'armes à feu, de sabotage, d'association de malfaiteurs, etc. Sont cités ci-dessous certains des cas les plus récents.

108.Une personne a été arrêtée le 14 juin 2000 à Mixistlán de la Reforma Mixe par des membres de la police municipale sur l’ordre d'un député du PRI. L'intéressé est décédé un jour plus tard dans la prison municipale. Le corps portait des marques de torture.

109.Un mineur autochtone de souche tojolabale âgé de 17 ans a été arrêté et roué de coups le 26 avril 2000 à Tapanatepec par des membres de l'Institut national des migrations et de la police judiciaire fédérale. Le cas a été signalé à l'Institut national des migrations, à la Commission nationale des droits de l'homme et au Procureur général de la République.

110.Trois personnes ont été arrêtées le 12 août 1999 à Tehuantepec par la police judiciaire de l'Etat, ont eu les yeux bandés et ont été tabassées. L'une d'elles a perdu plusieurs dents et une autre a reçu des coups de couteau dans l'avant-bras et l'estomac.

111.Un autochtone de souche zapotèque a été arrêté le 14 septembre 1999 dans la ville d'Oaxaca par la police municipale et judiciaire et détenu jusqu'à ce qu'il signe des aveux.

112.Un autochtone a été arrêté le 2 septembre 1999 à Tierra Blanca de San Agustín Loxicha par des membres de la police judiciaire et soumis pendant deux jours à un tabassage généralisé et à des tentatives de pendaison.

113.Un autochtone de souche zapotèque a été arrêté le 7 juin 2001 dans le village de Llano Palmar, San Agustín Loxicha, par des membres de la police judiciaire de l'Etat accompagnés de gardes blancs et a été roué de coups et de coups de pied.

114.Deux autochtones ont été arrêtés le 25 mai 2000 à San Isidro Miramar, Loxicha, par des membres de la police judiciaire de l'Etat: ils ont été frappés, ont reçu des coups de pied et ont été menacés de mort pour être amenés à s'incriminer.

Puebla

115.Une personne a été arrêtée le 30 mars 2001 dans la ville de Puebla par la police judiciaire de l'Etat et a été tabassée, a subi des injections d'eau dans le nez et a eu la tête placée dans un sac de plastique.

Sinaloa

116.Une personne a été arrêtée le 6 août 1999 à Culiacán par la police judiciaire fédérale: elle a été frappée à coups de pied, a reçu des injections d'eau dans la bouche et le nez. La Commission des droits de l'homme de l'Etat a formulé une recommandation sur ce cas.

Tamaulipas

117.Une personne a été arrêtée le 26 juillet 2000 à Reynosa par la police fiscale fédérale: elle a été frappée au visage et dans les parties génitales en particulier et soumise à intimidation et menaces. Le cas a été signalé à la quatrième agence du ministère public fédéral et à la Commission des droits de l'homme de l'Etat.

118.Trois personnes ont été arrêtées le 27 février 1999 au ranch "La Presita" par des membres du 21ème régiment de l'armée, septième zone: elles ont eu les mains et les pieds attachés, eu les yeux bandés, puis frappées dans l'estomac et menacées avec des mitraillettes et des pistolets sur la bouche et la nuque.

119.Une personne a été arrêtée le 28 mai 2001 au cimetière municipal de Ciudad Mier par la police judiciaire de l'Etat. Elle a été menottée aux poignets et aux pieds, un pistolet lui a été placé sur la tempe, des rafales de coups de feu ont été tirées près de ses oreilles et elle a reçu des coups au visage et à la poitrine notamment.

120.Une personne a été arrêtée le 22 mars 2000 au carrefour des rues Escobedo et P.J. Méndez à Reynosa par des fonctionnaires de l'Institut national des migrations: elle a été battue et menacée. Le cas a été signalé à la Commission des droits de l'homme de l'Etat.

121.Une personne a été arrêtée le 1er mai 2000 à son domicile à Colonia Barrera, Miguel Alemán, par la police municipale: elle a été menacée de mort et tabassée, d'où des lésions et des ecchymoses aux bras et sur le dos.

D. Informations émanant des autorités fédérales et des autorités des Etats

1. Les autorités fédérales

122.A l'occasion des réunions qu'ils ont eues avec la Commission interministérielle pour le suivi des engagements internationaux du Mexique en matière de droits de l'homme et avec des représentants du ministère des affaires étrangères, les membres du Comité ont été informés de la volonté qui animait le gouvernement mexicain de consolider la protection et la défense des droits de l'homme. Cette détermination se manifestait par l'adoption du Programme national de promotion et de renforcement des droits de l'homme. Les objectifs dudit programme sont les suivants:

Renforcer une culture de respect des droits de l'homme;

Consolider les mécanismes intellectuels de protection;

Poursuivre l'action menée pour supprimer l'impunité lorsqu'il y a violation des droits de l'homme et que la violation est établie;

Concevoir des mécanismes permettant d'identifier périodiquement et systématiquement les progrès et les obstacles lors de la mise en œuvre des politiques de défense des droits de l'homme;

Diffuser plus largement dans l'opinion publique les mécanismes de promotion et de protection;

Aider à garantir le respect des engagements internationaux en matière de droits de l'homme;

Renforcer l'autonomie du système non judiciaire;

Promouvoir la coopération entre le secteur public et la société civile grâce aux mécanismes institutionnels et juridiques existants qui visent à renforcer la protection des droits de l'homme.

123.En matière de sécurité publique, le même Programme national fixe notamment les objectifs ci-après:

Supprimer la corruption au sein de la police ainsi que certaines pratiques comme celles de l'extorsion et de la torture;

Donner aux services de sécurité un caractère plus nettement professionnel et mettre en place des systèmes d'enquête qui fassent reculer l'impunité et permettent de mieux protéger la vie, l'intégrité physique et les biens;

Supprimer les procédures illicites, comme la détention arbitraire et le harcèlement de l'individu ayant pour seul objectif d'établir un casier judiciaire;

Faire largement place à une formation systématique aux droits de l'homme dans les programmes des établissements de formation en matière de sécurité publique.

124.Le même programme définit en outre 25 actions à mener pour lutter contre la torture qui s'inspirent des recommandations adressées au Mexique par les mécanismes internationaux de défense des droits de l'homme.

125.Le directeur fédéral de la sécurité publique dont relève la police fédérale dite préventive (qui est l’ancienne police fédérale des routes chargée du maintien de l'ordre) a dit aux membres du Comité que de graves problèmes de corruption existaient au sein de l’institution mais qu'il n'avait été informé d'aucun cas de torture. Il n'avait pas non plus été avisé de cas de torture survenus dans les prisons fédérales lesquelles relèvent également de sa compétence. En revanche, la police judiciaire recourait incontestablement à la pratique de la torture et souffrait par ailleurs de graves problèmes de corruption; nombreux étaient les officiers de police qui se rendaient coupables du même type de délits que ceux qu'ils étaient censés examiner lors de leurs enquêtes et réprimer. A son avis, le ministère public et la police judiciaire devraient être assujettis à l'autorité des tribunaux. Le ministère public devrait agir pour le compte des tribunaux et être sujet au contrôle de légalité, ce qui n'était pas actuellement le cas. De leur côté, les victimes devraient pouvoir s'associer aux poursuites pénales, c'est-à-dire pouvoir porter plainte en justice, produire des moyens de preuve, interjeter appel sous toutes les formes possibles et introduire une procédure d'amparo.

126.Le Procureur général de la République a dit qu'il était mené une action pour supprimer la pratique de la torture dans ses services: la torture avait représenté un problème sérieux mais celui-ci était en voie de solution. A cette fin, il avait été organisé une campagne de caractère interne et il avait été mis en place un programme de formation. Au titre de cette campagne, il avait été installé une ligne téléphonique ouverte 24 heures sur 24 pour recevoir les appels de quiconque voulait porter plainte. On avait également commencé à lutter fermement contre l'impunité. Il avait été engagé quelque 400 enquêtes dont un grand nombre portaient sur des violations des droits de l'homme. Un bon nombre de policiers avaient été licenciés et leur nom inscrit au registre national du personnel de la police pour qu'ils ne puissent plus trouver d'emploi dans d'autres forces de police.

2. Les autorités des Etats

a) Le district fédéral

127.Le Procureur du district fédéral a dit ne pas avoir eu connaissance de cas de torture depuis qu'il avait pris ses fonctions. Peut-être y avait-t-il eu quelques cas isolés, mais la pratique de la torture en tant que méthode d'enquête avait été supprimée depuis des années. Entre 1996 et 2001, il n'avait été signalé que quatre cas de torture et 2.017 cas d'abus d'autorité. En outre, le Procureur avait reçu huit recommandations pour faits de torture de la part de la Commission des droits de l'homme de l'Etat depuis que celle-ci avait été créée. Il avait été donné suite à cinq de ces recommandations, l'une d'elles avait été rejetée et dans les deux autres cas, il avait été émis des mandats d'arrêt. Le Procureur a signalé que ses services faisaient un gros effort de formation auprès de leurs policiers.

128.Le directeur de la sécurité publique du district fédéral a déclaré ne pas avoir reçu de plaintes de torture mettant en cause la police préventive du district fédéral. Depuis 1997, il n'avait été reçu qu'une seule recommandation de la Commission des droits de l'homme du district fédéral et il s'agissait d'un cas d'abus d'autorité; il n'y avait eu aucune recommandation concernant des faits de torture. A la différence de la corruption, la torture ne faisait guère problème au sein de l'institution. Celle-ci n'était même pas dotée de cellules et toute personne arrêtée était immédiatement mise à la disposition de la police judiciaire.

b) Tamaulipas

129.Le directeur de la police judiciaire de Tamaulipas a nié que ladite police pratiquât la torture sur les personnes arrêtées. Les inspecteurs de la Commission des droits de l'homme de l'Etat se rendaient périodiquement dans les cellules de la police et la surveillance exercée par le ministère public de même que les contrôles intérieurs de la police elle-même empêchaient la pratique de la torture. Des accusations mensongères étaient fréquemment formulées à l'encontre de la police, mais le directeur ne connaissait pas de cas de policier sanctionné pour faits de torture. D'après lui, les personnes arrêtées avaient la possibilité de voir leur avocat à tout moment et ces entretiens avaient lieu en privé.

130.Le Procureur de l'Etat a dit que la torture ne faisait pas problème dans l'Etat de Tamaulipas et que la pratique de la torture était du reste inutile pour le type de délits dont ses services avaient à s'occuper. En revanche, il pouvait y avoir des cas d'usage excessif de la force au moment de l'arrestation. Comme il était obligatoire de déférer l'individu arrêté devant un juge à peu près immédiatement après son arrestation, la police n'avait pratiquement pas le temps de le soumettre à la torture. D'après ce procureur, une fois que la police avait placé l'individu arrêté à la disposition du ministère public qui en était avisé par écrit, l'individu ne devait plus revoir les policiers pour de nouveaux interrogatoires; le retour devant les policiers avait lieu fréquemment autrefois à l'échelon fédéral mais ce n'était plus le cas. Aucune des recommandations adressées aux services de ce procureur par la Commission des droits de l'homme de l'Etat ne portait sur des faits de torture, bien qu'en pareil cas il soit peut-être utile de se poser la question de la qualification des faits.

131.Le sous-directeur des services d'experts a déclaré que, depuis 1999, ces services n'avaient pas eu à examiner de cas de brutalité policière sur la personne de détenus.

c) Oaxaca

132.Le Procureur de l'Etat et le directeur de la police judiciaire ont dit aux membres du Comité que l'on cherchait actuellement à former les policiers et à les payer davantage, car c'étaient là des conditions indispensables pour mettre fin à la torture et à l'abus d'autorité. Par ailleurs, grâce au registre national du personnel de police désormais en place depuis deux ans, il n'était plus possible pour un policier expulsé d'un corps de police dans un Etat de retrouver du travail dans un autre Etat ou dans un autre corps de police. La base de données du registre était exhaustive et facile d'accès. Les deux personnalités ont déclaré n'avoir pas reçu pendant l'année en cours de plaintes de personnes arrêtées faisant état de torture de la part de la police. Mais ils avaient reçu un petit nombre de plaintes concernant des abus d'autorité. Il n'y avait eu qu'un seul cas de poursuites intentées contre des policiers pour faits de torture au titre de la loi de l'Etat de 1993 qui fait de la torture une infraction pénale; l'affaire en question, dans laquelle sont inculpés deux membres de la police judiciaire, en est encore à la phase de l'instruction. Par ailleurs, le nombre d’avocats commis d'office avait considérablement augmenté et leur formation s'était également améliorée.

133.Les responsables du service de médecine légale attaché au parquet ont dit ne pas avoir eu à s'occuper de cas de lésions corporelles causées par la police au cours de l'année et ont indiqué que les dommages corporels infligés aux personnes arrêtées étaient, le cas échéant, probablement constatés plus souvent en milieu rural que dans la capitale où les systèmes de contrôle étaient plus nombreux.

d) Guerrero

134.Le directeur de la sécurité publique et de la protection civile dont relèvent les centres de réadaptation sociale de l'Etat (CERESOS) a fait savoir que les détenus présentant des lésions corporelles à leur entrée en prison constituaient moins d’un pour cent de l'effectif total.

135.Le Procureur de l'Etat a dit que les cas de torture n'étaient guère fréquents et a expliqué que ses services avaient mis en place un programme de formation aux droits de l'homme destiné à la police judiciaire qui mettait l'accent sur la nécessité d'adopter pour principe non pas « arrêter d’abord, enquêter ensuite » mais « enquêter d'abord, arrêter ensuite » et sur la nécessité d'agir conformément à la loi.

3. Les autorités militaires

136.Les membres du Comité se sont également entretenus avec les commandants des zones militaires qui ont leur siège dans les villes de Reynosa, Oaxaca et Chilpancingo. Les commandants ont tous dit que les militaires ne procédaient à des arrestations qu'en cas de flagrant délit ou bien lors d'opérations organisées en commun sous l'autorité du ministère public; les militaires ne procédaient pas à l'interrogatoire des personnes arrêtées et ne gardaient pas celles-ci dans leurs locaux car ils n'en avaient pas le pouvoir et les personnes arrêtées étaient donc mises immédiatement à la disposition du ministère public. Ils n'avaient pas connaissance de cas de torture dans lesquels des militaires seraient impliqués et s'ils apprenaient par quelque moyen que ce fût qu'un membre de leur personnel avait commis un acte illicite, ils procéderaient immédiatement à une enquête, au besoin de leur propre initiative.

E. Observations générales

1. La torture dans le cadre de l'enquête pénale

137.En dépit des déclarations émanant de certaines autorités, l'information recueillie par les membres du Comité donne à penser que la torture est toujours pratique fréquente au Mexique, bien que des sources dignes de foi, tant dans le secteur public que dans le secteur non gouvernemental, ainsi que des commissions de défense des droits de l'homme déclarent que cette pratique a reculé au cours des dernières années. Dans la plupart des cas, la torture est pratiquée comme un moyen d'obtenir rapidement et facilement des renseignements à utiliser ultérieurement dans le cadre d'une procédure pénale soit au titre d'un délit de droit commun relevant de la compétence des autorités de l'Etat (l'homicide, le délit sexuel, l'enlèvement, le vol sont les délits les plus fréquemment cités), soit au titre de délits relevant de la loi fédérale comme le trafic de drogue ou les infractions à la loi sur les armes à feu et les explosifs, l'appartenance à un groupe armé, etc. Les principaux responsables de la pratique de la torture sont dans ce contexte les membres de la police judiciaire (policías judiciales, appelés dans certains Etats policías ministeriales), tant à l'échelon des Etats qu'à l'échelon fédéral.

138.Les éléments qui favorisent la persistance de la pratique de la torture sont nombreux. Plusieurs d'entre eux ont été signalés aux membres du Comité par les autorités des Etats et ont déjà été cités dans le présent rapport. L'un de ces facteurs, comme nous le verrons plus loin, est l'absence quasi générale de toute sanction, administrative et pénale, dont bénéficient les responsables et que facilite encore la collusion entre les services du ministère public et la police judiciaire. Plusieurs interlocuteurs des membres du Comité ont évoqué le manque de formation et le manque de moyens, y compris de moyens techniques permettant de procéder à des enquêtes de caractère véritablement professionnel et ont évoqué aussi les réseaux de corruption auxquels participent beaucoup de policiers. Dans une recommandation récente, la Commission des droits de l'homme de l'Etat de Jalisco dit ceci:

"Il existe (…) des éléments inhérents à la structure administrative qui favorisent la pratique de la torture et en assurent le maintien. Ces facteurs sont les suivants: le manque de formation des forces de sécurité publique, notamment celles qui relèvent du ministère public; le poids de la charge de travail et le manque de moyens techniques; un recrutement médiocre; une rémunération trop faible, des prestations insuffisantes et la corruption; le fait que les cadres supérieurs n'éprouvent aucun intérêt pour la lutte contre la torture; et la conviction que traiter durement le délinquant a un effet dissuasif et réduira l'incidence des délits. Les autorités se sont constamment servi de ces arguments pour justifier les cas de torture."

139.La torture s'accompagne de toute une série d'irrégularités qui sont autant d'infractions à la législation relative à la détention. Sur cette question, la Commission des droits de l'homme de l'Etat de Tamaulipas dit dans son rapport de 1999 ceci:

"Les policiers pratiquent constamment la détention arbitraire, les coups, les lésions corporelles, l'humiliation et les fouilles. La police judiciaire continue de procéder à des arrestations en l'absence de tout mandat de l'autorité compétente, en prenant pour prétexte le simple ordre de mener enquête émanant du ministère public; c'est-à-dire que l'individu sera arrêté pour les besoins d'une enquête, y compris une fouille du domicile et il arrivera maintes fois que, pour justifier la détention illicite, on introduise dans le vestiaire de la victime un objet dont l'usage ou la détention est illicite, ce qui permet de prétendre a posteriori qu'il y a eu flagrant délit, de sorte que la procédure pénale porte sur la découverte de la fausse preuve et non sur le délit qui prêtait prétendument à enquête. La torture est moins souvent dénoncée mais demeure une technique d'enquête policière; certes, les aveux obtenus par ce moyen illicite n'ont aucune valeur lors de la procédure, conformément aux réformes constitutionnelles et juridiques adoptées récemment, mais la torture sert de moyen d'obtenir des renseignements."

140.Il arrive souvent que la famille s'entende dire que l'intéressé n'a pas été arrêté ou bien qu'on empêche l'individu arrêté de prendre contact avec sa famille pour l'informer de sa détention. Plusieurs personnes interviewées ont dit qu'alors qu'elles étaient détenues à domicile, les responsables avaient maltraité des membres de leur famille. Plusieurs personnes interrogées ont également dit que leur arrestation s'était accompagnée du vol ou de la destruction d'objets leur appartenant ou appartenant à leur famille.

141.Les membres du Comité ont également eu connaissance de cas où l'individu a disparu après avoir été arrêté dans la violence en présence de témoins et dans des conditions qui donnent à penser que l'intéressé a peut-être été torturé. Parmi les cas de ce type sur lesquels les membres du Comité ont eu des renseignements figurent celui de Faustino Jiménez Alvarez, disparu après avoir été arrêté par des membres de la police judiciaire de l'Etat de Guerrero le 17 juin 2001 à Tierra Colorada; et le cas de Jerónimo Gómez López, arrêté par des membres de la police municipale le 27 décembre 2000 à Simojovel de Allende, au Chiapas. En outre, les membres du Comité ont eu également connaissance de personnes qui étaient décédées en détention et dont le corps portait des signes de torture; voir sur ce point les paragraphes 90 et 107 ci-dessus.

142.La torture sera parfois infligée dans les locaux même de la police mais il arrive fréquemment aussi que la personne arrêtée soit emmenée dans un lieu désert, une "maison" que la victime présumée ne peut pas localiser parce qu'elle y a été emmenée les yeux bandés ou encore elle est amenée sur la rive d'une rivière et on menace de l'y jeter. Beaucoup de victimes disent avoir été tabassées à l'intérieur des véhicules de la police.

Les méthodes de torture

143.La personne arrêtée a fréquemment les mains attachées dans le dos, les bras tirés en arrière; ses pieds sont également attachés et elle a les yeux bandés. Elle est souvent privée de sommeil, de nourriture et d'eau et empêchée d'aller aux toilettes. Plusieurs personnes interviewées ont dit avoir été amenées sur la rive d'une rivière et menacées de noyade si elles n'avouaient pas. Il a également été fait état de simulacres d'exécution, une arme à feu étant placée sur la tempe ou des coups de feu étant tirés à proximité des oreilles, et il est fait état également de décharges électriques, souvent une fois que la victime a été mouillée.

144.Les menaces, y compris les menaces dirigées contre les membres de la famille, ont été signalées dans pratiquement tous les cas, de même que les coups sur diverses régions du corps, notamment les oreilles, qui sont donnés avec les poings, les armes du policier ou des matraques, soit au moment de l'arrestation ou bien sans arrêt pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, et qui laissent souvent des marques. On parle aussi fréquemment de sacs de plastique sur la tête qui sont fermés autour du cou pour provoquer un sentiment d'asphyxie, souvent à plusieurs reprises, et on parle d'injection d'eau dans la bouche et/ou le nez, eau qui contient souvent des substances irritantes comme l'acide carbonique ou la poudre de chili et l'injection est accompagnée de pressions sur l'estomac de la victime. Les responsables sautent fréquemment sur le corps de leurs victimes quand elles sont allongées par terre et font souvent mine de les étrangler pour provoquer une sensation d'asphyxie.

Le rôle des fonctionnaires du ministère public

145.La pratique de la torture par la police judiciaire est étroitement liée à la façon dont les services du parquet sont organisés et dirigés. Les interlocuteurs avec lesquels les membres du Comité se sont entretenus ont souvent affirmé qu'il existait une incontestable complicité entre les fonctionnaires du ministère public et la police judiciaire, que les premiers non seulement étaient au courant des pratiques en question mais parfois même en étaient les témoins directs ou indirects, savaient qu'il y avait eu ou qu'il y avait torture mais ne prenaient que très rarement des mesures contre les responsables. Certaines des personnes interviewées ont en outre fait observer que, du point de vue administratif, il n'y a pas véritablement de relation hiérarchique entre les procureurs et les chefs de police de sorte qu'il est difficile aux premiers d'exercer leur autorité sur les seconds.

146.Certains des témoins interrogés par les membres du Comité ont dit qu'un fonctionnaire du ministère public était présent pendant qu'ils étaient torturés; ou bien que le fonctionnaire du ministère public n'a pas fait état dans le dossier de leur condition physique; ou bien qu'ils n'avaient pas dit au fonctionnaire qu'ils avaient été torturés de peur d'être à nouveau maltraités. Certains ont dit avoir été conduits devant le fonctionnaire du ministère public par la police pour faire leur déposition; comme ils refusaient d'avouer les délits dont la police les accusait, le procureur les remettait aux mains de la police qui continuait de les torturer et les ramenait devant le procureur une fois qu'ils avaient été contraints de signer des dépositions établies par la police dans lesquelles ils s'accusaient et qu'ils devaient se contenter de ratifier. D'autres témoins ont dit que les policiers qui les avaient torturés étaient présents quand ils déposaient devant le procureur. Dans sa recommandation 9/2001, la Commission nationale des droits de l'homme a dit estimer que le procureur était coupable de violations des droits de l'homme aux dépens de M. Mateo Hernández Barajas pour n'avoir pas pris en considération lors de l'instruction le concernant le fait que, d'après le rapport médical du médecin du parquet, l'intéressé présentait diverses lésions corporelles; lesdites lésions, que l'on pouvait présumer avoir été infligées lors de sa détention par des policiers de la police judiciaire fédérale et dont le fonctionnaire était tenu de certifier l'existence, auraient dû donner lieu à enquête.

Le rôle des experts médicaux

147.Les experts médicaux affectés aux services du parquet ne paraissent pas avoir l'attitude qui convient quant à l'obligation leur incombant de prévenir la torture ou d'attester des actes de torture commis. Certaines des personnes interviewées ont dit avoir été torturées après avoir été examinées par l'expert; d'autres ont dit que le médecin avait vu les marques de torture mais ne leur avait pas demandé quelle en était l'origine; ou bien le médecin ne les avait pas constatées par écrit ou n'en avait pas rendu compte correctement; ou encore le détenu n'avait pas dit au médecin qu'il avait été torturé de peur de l'être à nouveau.

148.Dans sa recommandation 14/2000, la Commission nationale des droits de l'homme dit ceci: "Le médecin qui fournit ses services au ministère public et qui a été le premier à examiner le plaignant n'a pas rendu compte à ses supérieurs des anomalies dénoncées dont il aurait dû constater officiellement l'existence pour faire ouvrir une enquête." Dans sa recommandation 9/2001, la Commission nationale a constaté que le médecin dont le procureur utilise les services à León Guanajuato s'était rendu coupable de violations des droits de l'homme aux dépens d'une personne arrêtée en produisant des rapports médicaux ambigus dans lesquels les lésions corporelles de l'intéressé étaient insuffisamment décrites de sorte qu'il était difficile de savoir comment elles avaient été provoquées et depuis quand elles existaient et, en outre, lesdites lésions n'étaient pas définies suivant le classement à opérer.

149.Dans sa recommandation 19/2000, la Commission nationale fait observer ceci: "Le 15 novembre 1998, le sous-lieutenant (…), chirurgien affecté à la 27ème zone militaire dont le quartier général est situé à Plaza de El Ticuí, Etat de Guerrero, a examiné M. Carlos Montes Villaseñor. Loin de faire état des lésions corporelles que présentait M. Montes à ce moment-là et de les définir d'après le classement à appliquer, le certificat médical établi à la même date dit que M. Montes ne présentait pas de lésions apparentes, ce qui était une infraction à l'article 545 du code de justice militaire qui prescrit que les médecins-experts doivent faire tout en leur pouvoir pour établir les circonstances sur lesquelles ils fondent leurs rapports. Le fait est grave car l'attitude du sous-lieutenant (…) a empêché l'autorité militaire compétente en matière judiciaire de mener enquête pour savoir si des membres du 68ème bataillon d'infanterie s'étaient rendus coupables de torture à Pie de la Cuesta, Guerrero."

150.Dans sa recommandation 3/2001, la Commission des droits de l'homme de Jalisco dit ceci: "Le docteur P.G.V. a déclaré devant [ladite] Commission que sous l'effet d'intimidations de la part des enquêteurs de la police pendant qu'il examine les individus portant des lésions corporelles, il ne pouvait pas procéder correctement à son travail et délivrait des certificats médicaux sans avoir examiné les détenus comme il aurait dû; le fait témoigne de l'intimidation qui émane de la simple présence des policiers chargés de l'enquête."

151.Dans sa recommandation 5/2000, le bureau du procureur de Basse-Californie aux droits de l'homme et à la protection civile cite comme suit la déclaration d'une personne arrêtée: "Avant d'être photographié par la presse, lui-même et un médecin ont été emmenés au second étage du bâtiment des services judiciaires où le médecin l'a examiné. Quand il s'était déshabillé et que le médecin avait commencé à l'examiner, celui-ci a remarqué des ecchymoses sur son corps et lui a demandé ce qui s'était passé. Comme des policiers étaient présents et qu'il avait peur, l'intéressé a répondu qu'il était tombé. Le médecin a demandé à nouveau ce qui était arrivé à ses poignets, et l'intéressé a répondu qu'on avait un peu appuyé dessus; finalement, le médecin a rédigé une prescription et ce fut tout."

152.Les membres du Comité ont pu s'entretenir avec les experts médicaux qui fournissent leurs services à certains bureaux du ministère public dans lesquels les membres du Comité se sont rendus et ils ont pu consulter les certificats médicaux figurant dans les dossiers d'un bon nombre des personnes arrêtées qu'ils ont rencontrées. Ces dossiers doivent contenir les certificats médicaux du médecin du ministère public et du médecin de la prison. S'agissant des détenus qui disaient avoir été torturés, le certificat délivré par le médecin du ministère public ne figurait parfois pas dans le dossier, ou bien, parfois encore, ne faisait état d'aucune lésion corporelle, et d'autres fois, plus rarement, décrivait en détail les lésions corporelles constatées. Dans la grande majorité des cas, le certificat délivré par le médecin de la prison figurait dans le dossier et ce certificat faisait souvent état de lésions corporelles. Mais l'origine des lésions n'était jamais signalée et il était simplement donné une idée de leur gravité car il était dit combien de temps leur guérison prendrait.

153.Certains interlocuteurs des membres du Comité ont évoqué le fait que beaucoup d'experts médicaux ne sont guère formés aux questions liées à la torture, notamment ceux qui prêtent leurs services au ministère public et ceux qui exercent en milieu rural. D'autres interlocuteurs ont noté que ces médecins ne sont pas indépendants de la police ni du procureur. Dans sa recommandation 5/2000, le Procureur aux droits de l'homme et à la protection civile de Basse-Californie dit ceci:

"Les références médicales ci-dessus permettent d'affirmer plus fermement encore que Héctor Alejandro Gutiérrez et Luis Enrique Medina Castillo ont subi un traitement qu'il convient de qualifier de torture et que, malgré les dénégations des fonctionnaires du bureau du Procureur et bien que le docteur Aurelio Rojas Navarro des services d'experts auprès du Bureau du Procureur général n'ait pas fait état des lésions corporelles longuement décrites ci-dessus, l'explication du phénomène tient à la façon dont l'arrestation se déroule: bien que mises à la disposition du Procureur ou présentées à un médecin pour que celui-ci délivre un certificat, en pratique, les personnes arrêtées restent sous le contrôle et la surveillance des policiers qui ont procédé à leur arrestation et soumises aux pressions qu'ils exercent."

154.Les membres du Comité considèrent que cette situation n'est guère satisfaisante et estiment qu'il s'impose de façon urgente d'adopter un modèle de rapport médical différent de celui qui est utilisé actuellement. Ils sont favorables à la proposition formulée par le Conseil international de réadaptation pour les victimes de la torture (CIRT) dans le cadre du Programme de coopération technique dans le domaine des droits de l'homme exécuté par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et le gouvernement mexicain. D'après cette proposition, il conviendrait d'adopter deux modèles de certificat médical qui seraient obligatoires: l'un pour les examens qui ont lieu dans le cadre d'une enquête pour faits de torture et l'autre pour les examens médicaux de routine. Le second modèle serait à utiliser toutes les fois qu'une personne incarcérée, arrêtée (et détenue dans un commissariat) ou en liberté est examinée par un médecin et porte des signes objectifs et non anamnestiques de torture ou de mauvais traitements qu’il y a lieu de porter à la connaissance des autorités compétentes et qui justifient évidemment l'établissement d'un rapport.

Le rôle des avocats

155.Aux termes de l'article 20 de la Constitution, les aveux faits devant toute autorité autre que le ministère public ou le juge, ou faits devant ceux-ci sans l'assistance d'un défenseur n'ont aucune valeur probante. En principe, la présence du défenseur ou d'une autre "personne de confiance" suffit à empêcher la torture. En pratique toutefois, dans la majorité des cas, la mesure n'est nullement efficace. Les avocats ne sont présents qu'au moment où l'intéressé doit faire sa déposition devant le procureur, moment auquel, comme nous l'avons vu, beaucoup de personnes arrêtées ont peur de dire qu'elles ont été torturées. En outre, dans un grand nombre de cas, l'avocat est commis d'office, la personne arrêtée ne le connaît pas, n'a pas confiance en lui ou ne comprend pas quel est son rôle, n'est pas autorisée à s'entretenir avec lui en privé et, très souvent, ne le reverra plus jamais.

156.Les personnes interviewées par les membres du Comité ont été nombreuses à leur dire que ce système du défenseur commis d'office était déficient et que, de surcroît, contrairement à la règle, il n'existait même pas dans les services de tous les procureurs du pays.

157.Dans sa recommandation 4/2000 du 5 avril 2000, la Commission des droits de l'homme du district fédéral cite un document du département des services juridiques du district fédéral qui dit ceci: "Dans le district fédéral, le service assuré au titre du système du défenseur commis d'office ne répond pas aux normes minimales de qualité parce que l'effectif recruté à cette fin est insuffisant (…). En particulier, en ce qui concerne les défenseurs, ils sont 33, c'est-à-dire 11 pour chacune des trois équipes, à desservir 74 bureaux d'enquête de procureur, 11 directions générales et 36 tribunaux. Dans la pratique, cela veut dire que chacun des défenseurs a la charge de huit bureaux d'enquête au moins et défend en moyenne neuf personnes tous les jours."

158.Le président du tribunal de grande instance de Oaxaca a dit aux membres du Comité que, sur le plan qualitatif, ce système de l'avocat commis d'office était fort mauvais, que, dans bien des cas, le défendeur ne voyait plus son défenseur après avoir fait sa déposition initiale, de sorte que l'avocat parvenait d'autant moins à présenter des moyens de preuve en sa faveur. Le président du tribunal de grande instance de Guerrero a dit à peu près la même chose en indiquant que le défenseur commis d'office ne jouait guère qu'un rôle passif. Le Procureur de l'Etat de Guerrero a quant à lui dit que la qualité professionnelle du défenseur commis d'office s'était améliorée, car il était désormais tenu d'avoir un diplôme de droit et l'effectif des défenseurs avait été étoffé.

159.Le directeur de l'Institut fédéral de formation des avocats de la défense, qui était présent quand les membres du Comité ont vu le président et des juges de la Cour suprême, a fait savoir que les effectifs et la qualité professionnelle des avocats de la défense issus de l'Institut s'étaient considérablement améliorés depuis l'adoption en 1998 de la loi fédérale relative à la défense publique des inculpés. Tous les bureaux d'enquête du ministère public fédéral, des tribunaux de district et des juridictions itinérantes à juge unique qui connaissent de questions pénales relevant du fédéral peuvent s'assurer les services des défenseurs issus de l'Institut.

2. La responsabilité de l'armée dans les cas de torture

160.Certains cas de torture ont également été imputés à l'armée, agissant seule ou conjointement avec d'autres forces. En vertu de l'article 16 de la Constitution, l'armée n'a pas le pouvoir d'arrêter ou d'interroger des suspects et toute personne qu'elle arrête en flagrant délit ou dans le cadre d'une opération conjointe doit immédiatement être mise à la disposition du ministère public. Cette règle n'est toutefois pas toujours respectée. Dans sa recommandation 8/2000, la Commission nationale des droits de l'homme a déclaré que des membres du 40ème bataillon d'infanterie de la 35ème zone militaire qui avaient procédé à l'arrestation de Rodolfo Montiel Flores et de Teodoro Cabrera García le 2 mai 1999 s'étaient rendus coupables de violation du principe de légalité et du droit à la liberté des individus en question car ils les avaient maintenus en détention sans justification pendant deux jours et demi avant de les présenter au procureur. MM. Montiel et Cabrera ont dit avoir été torturés pendant cette période et la Commission a tenu ces allégations pour vraies.

161.De même, la Commission nationale dit dans sa recommandation 19/2000: "Il convient de signaler, et le fait est grave, qu'avant de présenter M. Carlos Montes Villaseñor au représentant du ministère public fédéral affecté à la base d'opérations conjointe d'El Paraíso dans l'Etat de Guerrero, les membres de l'armée mexicaine qui l'avaient arrêté l'auraient soumis à un traitement inhumain ou dégradant et ont également exercé des pressions d'ordre psychologique pour le contraindre à avouer avoir participé aux délits dont il était accusé. En le privant pendant 45 heures environ de sa liberté ainsi que de la vue car il a eu les yeux bandés très serré et les mains attachées pour le forcer à reconnaître appartenir au groupe appelé "Ejército Revolucionario Popular Insurgente" ("Armée révolutionnaire populaire"), on a ainsi provoqué une lésion dans la région du nez et un œdème du poignet droit." Dans sa recommandation 20/2000, la Commission nationale considère que l'armée s'est rendue coupable d'infraction à l'article 16 de la Constitution en menant le 7 juin 1998 une opération dirigée contre la communauté autochtone de souche mixtèque d'El Charco, dans la municipalité d'Ayutla de los Libres, Guerrero, car elle n'a pas présenté immédiatement les personnes arrêtées en flagrant délit à l'autorité compétente qui, de surcroît, se trouvait sur place.

3. La torture dans le cadre de la prévention de la délinquance

162.Quand des policiers membres de la police dite préventive et de la police municipale procèdent à des arrestations dans le cadre du maintien de l'ordre public et de la prévention de la délinquance ou bien arrêtent des personnes en flagrant délit, ils frappent et menacent souvent les personnes arrêtées, que celles-ci résistent ou non à l'arrestation, avant de les déférer à l'autorité compétente qui est normalement le ministère public. Ce traitement répond principalement à l'intention de punir ou d'intimider. La plupart du temps, ce traitement est considéré comme un traitement cruel et non comme des actes de torture. Dans de nombreuses recommandations, les commissions des droits de l'homme à l'échelon fédéral comme à l'échelon local évoquent ce type de cas en les classant souvent sous les rubriques "usage excessif de la force", "abus d'autorité", ou tout simplement "lésions corporelles". Comme nous l'avons déjà indiqué au sujet de la Commission des droits de l'homme de Tamaulipas, les membres du Comité considèrent qu'un bon nombre de ces cas-là relèvent de la torture au sens de l'article premier de la Convention.

163.Dans son rapport annuel pour 1999, la Commission des droits de l'homme de l'Etat de Tamaulipas dit ceci: "Chez les membres de la police préventive, l'arrestation arbitraire continue d'être pratique courante et s'accompagne généralement de harcèlement, d'insultes, de coups ou de menaces. Le délinquant présumé peut s'exposer à ce traitement illicite tout simplement en demandant pourquoi on l'arrête."

164.Le directeur de la sécurité publique du district fédéral a indiqué aux membres du Comité que la Commission des droits de l'homme du district fédéral avait transmis à ses services aux fins d'enquête et de mesures à prendre, depuis le début de l'année, 23 plaintes pour abus d'autorité et lésions corporelles. Les membres du Comité ont reçu des copies de ces plaintes ; voici quelques exemples:

"Le 7 février 2001, l'auteur a porté plainte contre les membres de la patrouille n° 02087 du département de la sécurité publique pour abus d'autorité, vol, etc., disant que l'un des membres de la patrouille s'était servi d'un pieu pour le forcer à sortir du taxi qui le conduisait et l'a frappé à l'oreille droite, le faisant tomber par terre et lui cassant ses lunettes et que, lorsqu'un portefeuille contenant 370 dollars est tombé de la poche de sa chemise, le policier s'est emparé de l'argent; alors qu'il était par terre, le policier lui a donné deux coups de pied dans les testicules et deux dans l'abdomen."

"Le 14 mai 2001, à 14 heures 30 environ, l'auteur de la plainte était dans son magasin, dans la municipalité d'Iztapalapa, accompagné de son frère [R.M.C.], qui était à l'intérieur du magasin en train de boire une bière, quand trois policiers du département de la sécurité publique du district fédéral sont arrivés et, abusant de leur autorité, ont roué son frère de coups ainsi que de coups de pied, l'ont forcé à entrer dans la voiture de police n° 27042 et l'ont emmené en un lieu inconnu. Quand l'auteur de la plainte a essayé d'intervenir pour empêcher l'arrestation, il a lui-même été menacé de recevoir des coups. Le même jour, vers 23 heures 30, il a reçu un coup de téléphone d’une personne disant être secouriste à la Croix-Rouge qui lui a dit que son frère se trouvait au coin de la rue à l'extérieur du 44ème bureau d'enquête (…); il s'est rendu à l'endroit indiqué, y a trouvé son frère passé à tabac et en train de saigner. Son frère a été transporté à la Croix-Rouge de Polanco où il se trouve actuellement avec plusieurs côtes cassées, un collapsus pulmonaire et plusieurs hémorragies internes; son état est jugé grave. Son frère lui a dit qu'après l'avoir emmené, les policiers ont continué de le frapper et l'ont conduit dans une pièce obscure du 44ème bureau d'enquête où ils l'ont à nouveau tabassé mais, quand ils ont constaté qu'il avait du mal à respirer et était sur le point de s'évanouir, les policiers l'ont jeté dehors, au coin."

4. La torture en milieu carcéral

165.Le troisième contexte dans lequel la torture se trouve pratiquée est celui du châtiment en milieu carcéral. Les membres du Comité ont par exemple reçu des informations sur le traitement infligé aux détenus du centre de réadaptation sociale (CERESO) de l'Etat de Nuevo León, lequel a fait l'objet de la recommandation 42/99 de la Commission nationale des droits de l'homme. Dans ses observations, la Commission dit en particulier ceci:

"Lors de l'inspection du centre de réadaptation sociale de Nuevo León, les 17 et 18 mars 1999, plusieurs détenus se sont plaints (…) d'être tabassés et maltraités par le personnel de sécurité et les gardiens (…). Ils ont également dit que le directeur du centre (…) les avait tabassés à plusieurs reprises ou avait toléré que le personnel de sécurité le fasse (…).

Ce sont environ 50 détenus qui ont formulé ce type de plaintes et leurs comptes rendus sont clairs, précis et concordants. Il ne faut pas oublier non plus que ces plaintes sont formulées malgré la surveillance étroite du personnel de sécurité et le fait que tous les gestes des inspecteurs étaient photographiés et filmés, ce qui les empêchait d'avoir des entretiens confidentiels avec les détenus et de s'entretenir avec un grand nombre d'entre eux.

Le tabassage et les mauvais traitements infligés consistaient en "coups claqués" sur les oreilles, de façon à provoquer des lésions du tympan et en coups de pied et coups sur diverses régions du corps; cela consistait aussi à déshabiller les détenus et à les enfermer dans une pièce glaciale et climatisée pendant plusieurs journées d'affilée; cela consistait à menotter les détenus pendant plusieurs jours d'affilée, parfois aux mains seulement, d'autres fois aux mains et aux pieds de sorte que les détenus devaient se nourrir en lapant dans un récipient placé sur le sol et faire leurs besoins au même endroit (…).

Les indications ci-dessus permettent de conclure (…), à la suite de l'ensemble des preuves fournies, que les détenus du centre de réadaptation sociale de Nuevo León, situé à Apodaca, Etat de Nuevo León, sont tabassés, maltraités et torturés par les agents de la fonction publique affectés à cet établissement pénitentiaire."

V. LES MECANISMES LÉGISLATIFS DE PROTECTION CONTRE

LA TORTURE ET LEUR FONCTIONNEMENT

166.Depuis sa deuxième session tenue en avril 1989, le Comité a examiné quatre rapports présentés au titre de l'article 19 de la Convention dans lesquels l'Etat partie expose en détail les nombreuses dispositions constitutionnelles, législatives et administratives qu'il a adoptées pour décourager la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants et pour sanctionner les agents de la fonction publique qui peuvent se livrer à ces pratiques.

167.Pendant la période écoulée entre cette date et l'enquête qui fait l'objet du présent rapport, le Comité a reçu de sources fiables des informations faisant état d'une pratique courante de la torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants infligés aux personnes privées de liberté, tout particulièrement pendant les premiers stades de l'instruction. Lors de l'examen des rapports périodiques de l'Etat partie, le Comité a fait observer à ce dernier quel contraste existait en l'occurrence entre la législation de l'Etat et la réalité que traduisaient les informations reçues.

168.Dans les observations et recommandations formulées à l'issue de l'examen du deuxième rapport périodique, le Comité a dit avoir "constaté avec une profonde préoccupation que, selon les sources officielles elles-mêmes, les actes de torture de tous ordres perpétrés au Mexique étaient extrêmement nombreux en dépit de mesures juridiques et administratives prises en vue de les prévenir et de les réprimer."

169.A l'issue de l'examen du troisième rapport, le Comité exprime à nouveau parmi ses sujets de préoccupation celui-ci: "Le Comité a reçu de nombreuses informations dignes de foi selon lesquelles, malgré les mesures législatives et administratives prises par le gouvernement (…) en vue d'éliminer la torture, celle-ci a continué d'être pratiquée systématiquement au Mexique, notamment par la police judiciaire fédérale et la police judiciaire des Etats et, depuis quelque temps, par des membres des forces armées, sous prétexte de lutte contre la subversion. Le Comité constate avec préoccupation l'écart considérable entre l'importance de l'arsenal juridique et administratif mis en place pour éliminer la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants et la réalité révélée par les informations reçues."

170.Les informations relatives à des accusations de torture recueillies massivement au cours de l'enquête et de la visite du Comité au Mexique, l'examen de rapports et d'études réalisées par des organismes internationaux, des organisations non gouvernementales nationales et internationales ainsi que les avis que les autorités de l'Etat et des juristes s'occupant activement de promouvoir, de défendre et de protéger les droits de l'homme ont donnés directement et personnellement aux membres du Comité n'ont fait que confirmer ce que le Comité a déjà dit lors de ces précédentes occasions et mettent en évidence des déficiences ou des carences qui expliquent en partie l'écart séparant au Mexique la législation en vigueur et la réalité.

A. L'interdiction de la torture dans la législation mexicaine

171.L'article 22 de la Constitution politique mexicaine interdit toutes les sortes de peines cruelles, inhumaines ou dégradantes et tout supplice ("tormento") de quelque sorte qu'il soit. Comme elle a été promulguée en 1917, la Constitution ne vise pas précisément à interdire la torture mais c'est en ce sens qu'il faut comprendre le terme "supplice" ("tormento").

172.La loi fédérale visant à prévenir et à réprimer la torture promulguée en juin 1986, remplacée ensuite par une autre loi portant le même nom qui est entrée en vigueur en décembre 1991, définit à l'article 3 la torture comme un délit.

173.Cette loi, qui est applicable dans tout le pays pour ce qui concerne les infractions de caractère fédéral et dans le district fédéral pour ce qui concerne les infractions ne relevant pas de la compétence fédérale, a inspiré dans treize Etats du Mexique qui ont légiféré spécialement à cette fin des lois homologues pour ce qui concerne les infractions ne relevant pas de la compétence fédérale. Dans onze autres Etats, la torture fait partie des délits sanctionnés pénalement en vertu du code pénal ou de dispositions législatives du même ordre.

174.Le Mexique a ratifié le 23 janvier 1986 la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et a ratifié le 22 juin 1987 la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture. En vertu des dispositions de l'article 133 de la Constitution politique, comme il est indiqué dans le rapport initial du Mexique, ces deux conventions font partie intégrante depuis leur ratification de "la loi suprême de toute l'Union". Les deux conventions doivent donc être appliquées et peuvent servir de base à toute action en justice. En vertu de la même disposition, les tribunaux de chaque Etat de la Fédération sont tenus d'appliquer les deux conventions "en dépit de toute disposition en sens contraire qui peut exister dans la Constitution ou la législation des Etats."

B. Tout placement en détention est précédé d'un mandat de l'autorité judiciaire:

la règle générale et ses exceptions

175.L'article 16 de la Constitution énonce une règle générale qui est que toute arrestation est subordonnée à mandat préalable de l'autorité judiciaire, mais la règle s'accompagne de deux exceptions importantes qui ont une incidence particulière sur la pratique de la torture.

176.La première exception est celle du "flagrant délit": en pareil cas, tout un chacun peut arrêter le suspect ("indiciado") et le remettre sans retard à la disposition de l'autorité la plus proche laquelle doit présenter l'intéressé avec la même célérité au représentant du ministère public. La seconde exception vise les "cas urgents" relatifs à un délit grave qualifié comme tel par la loi dans lesquels il existe un risque sérieux de voir le suspect se soustraire à la justice alors que le moment, le lieu ou les circonstances interdisent de faire appel à l'autorité judiciaire: dans ces conditions-là, la disposition visée autorise le ministère public à ordonner l'arrestation du suspect sous sa propre responsabilité sous réserve que le procureur motive sa décision.

177.Dans les cas de flagrant délit, la législation des Etats autorise la plupart du temps à procéder à l'arrestation en l'absence de mandat préalable de l'autorité judiciaire. Mais la législation mexicaine donne au "flagrant délit" une portée supérieure à celle qui découle du sens naturel et manifeste de l'expression. L'article 193 du code fédéral de procédure pénale envisage cinq cas possibles de flagrant délit. Les deux premiers correspondent à ce que l'on trouve dans la plupart des législations et répondent à la définition doctrinale de la formule: le mis en examen est surpris lors de la commission même du délit ou bien est poursuivi et attrapé immédiatement après avoir commis le délit et est donc arrêté.

178.Les trois autres cas possibles de flagrant délit autorisent à arrêter l’intéressé quand il est désigné comme étant le coupable par la victime, désigné par une tierce personne témoin des faits sur les lieux ou désigné par un complice; quand l'objet, l'instrument ou le produit d'un délit sont trouvés en sa possession; ou quand il est trouvé des indices ou des éléments de preuve autorisant à présumer que l'intéressé a pris part à l'acte illicite donnant lieu à enquête. Dans ces trois derniers cas, il ne peut y avoir flagrant délit que si le délit en question fait partie de ceux que la loi qualifie de graves, si le ministère public a déjà ouvert l'enquête préliminaire appropriée, si les suites du délit n'ont pas été interrompues et s'il ne s'est pas écoulé plus de 48 heures depuis que le délit a été commis. Ces conditions à remplir sont moins strictes que celles qui sont imposées au ministère public quand celui-ci doit obtenir du juge un mandat d'arrêt. On s'en aperçoit tout particulièrement quand la preuve de la participation au délit est fournie 48 heures après la commission dudit délit (72 heures dans le district fédéral, où le code de procédure pénale accorde un délai de cette durée pour procéder à une arrestation fondée sur des indices ou des témoignages). Le délai est multiplié par deux si le motif invoqué pour procéder à l’arrestation est que le suspect prend part au crime organisé même si, finalement, le chef d’inculpation retenu est un délit de droit commun.

179.S'agissant de l'autorisation que peut donner le ministère public de se passer du mandat de l'autorité judiciaire dans les cas urgents, on a dit aux membres du Comité que l'on peut facilement remplir la condition prescrite, qui est que le moment, le lieu ou les circonstances rendent impossible de faire appel à l'autorité judiciaire, en indiquant simplement dans le dossier que l'arrestation a eu lieu alors que les tribunaux avaient cessé le travail.

C. Les délais de la garde à vue et de la détention

dans les locaux du ministère public

180.Quand l'arrestation a lieu sur mandat émanant de l'autorité judiciaire, l'autorité qui exécute ledit mandat est tenue de mettre "immédiatement" l'individu arrêté à la disposition du juge qui a décerné le mandat comme le prescrit au troisième alinéa l'article 16 de la Constitution. Toutefois, dans les cas de flagrant délit et dans les cas urgents visés ci-dessus, cas dans lesquels le mandat de l'autorité judiciaire n'est pas indispensable, le ministère public est habilité à maintenir le suspect en garde à vue pendant un délai maximal de 48 heures.

181.Etant donné la portée des deux exceptions dont il s'agit, comme on l'a vu plus haut, la pratique de ces deux types de cas est pratiquement aussi fréquente que la pratique de la règle générale, voire plus fréquente encore. D'après les services du Procureur général de la République, ce sont 30.751 individus au total qui ont été présentés à l'autorité judiciaire en 1998; sur ce total, 16.754 suspects (soit 54 %) n'étaient pas en détention à ce moment-là, tandis que 13.997 individus (46 %) étaient déjà en détention. Pour ces derniers, il faut obligatoirement que la détention procède du pouvoir exceptionnel d'arrêter un suspect sans mandat préalable dans les cas de flagrant délit ou dans les cas urgents.

182.D'après les renseignements recueillis lors de la visite au Mexique, dans plus de 51 pour cent des cas (7.045) où le Procureur du district fédéral a en 1999 fait passer le suspect en jugement, le suspect était déjà en détention tandis que dans 49 pour cent des cas (6.646 cas), le suspect n'était pas détenu.

183Dans la pratique, la faculté dont le ministère public dispose de se passer du mandat de l'autorité judiciaire avant de procéder à une arrestation lui donne ainsi qu'à la police judiciaire le pouvoir discrétionnaire d'ordonner des arrestations et d'y procéder et de qualifier les preuves disponibles de preuves suffisant à maintenir l'individu en détention pendant 48 heures – 72 heures dans le district fédéral – à la suite du délit dont l'individu est soupçonné ou pendant un délai deux fois plus long si le procureur ou la police judiciaire disent que le suspect prend part à la délinquance organisée.

184.A cet égard, ce que dit la Commission des droits de l'homme de l'Etat de Jalisco dans sa recommandation 4/2000 est révélateur: "Il faut que le ministère public renonce au système de l'enquête initiale de caractère inquisitoire en faveur d'un régime accusatoire. Notre système actuel de justice pénale donne au ministère public des fonctions proches de celles du juge au stade de l'instruction mais le système peut être amélioré. Une première démarche consisterait à assurer le respect et la protection des garanties juridiques de l'individu; nous ne devons pas permettre qu'il puisse y avoir enquête sans que soit garantie la liberté de la personne, sa liberté physique et sa liberté de mouvement telles que lesdites libertés sont reconnues dans nos textes fondamentaux et il ne saurait y avoir d'arrestation que sous réserve des considérations de la loi."

D. Il n'y a pas de contrôle judiciaire pendant que la personne arrêtée

est à la disposition du ministère public

185.Pendant les longs délais dont dispose le ministère public avant de déférer la personne arrêtée au tribunal compétent, il n'existe aucun mécanisme de contrôle judiciaire sur la situation de l'intéressé. Quand le délai vient à expiration, le ministère public peut ordonner sa libération ou le placer à la disposition de l'autorité judiciaire. Dans le premier cas, il n'y aura pas de contrôle judiciaire du tout, ni sur la légalité de la détention ni sur le traitement subi par la personne arrêtée, sauf si celle-ci intente à l'encontre du ministère public ou de la police judiciaire une action distincte pour détention arbitraire, pour contrainte ou bien pour torture.

186.C'est précisément pendant leur séjour dans les locaux de la police ou du ministère public que les personnes accusées sont les plus vulnérables aux abus. D'après les rapports faisant état de tortures dont les membres du Comité ont pris connaissance pendant leur enquête et pendant leur visite au Mexique, les cas de torture sont les plus fréquents pendant la période qui s'écoule entre l'arrestation et le renvoi devant le tribunal. C'est la période pendant laquelle il s'impose le plus de pouvoir procéder à un contrôle judiciaire de la légalité de la détention et du traitement de la personne arrêtée. L'absence de tout contrôle de ce type incite policiers et procureurs à préférer une procédure qui leur épargne pendant un temps considérable toutes les interventions et restrictions de l’extérieur susceptibles de les empêcher de réunir toutes preuves autorisant le renvoi du suspect devant le tribunal.

E. L'obligation d'enregistrer toute personne arrêtée

187.L'article 128 du code fédéral de procédure pénale dispose qu'il faut inscrire au registre toute personne arrêtée ainsi que la date, l'heure et le lieu du placement en détention. Il faut également porter au registre l'identité de la personne dont émane le mandat d'arrêt et des personnes qui ont procédé à l'arrestation. Le code de procédure pénale du district fédéral prescrit qu'il faut porter au registre les mêmes indications. Mais l'obligation n'est pas toujours respectée fidèlement. L'infraction la plus courante consiste à postdater le jour et l'heure de l’arrestation pour dissimuler le retard manifeste avec lequel la personne arrêtée est déférée à l'autorité judiciaire. Il est arrivé qu'une personne soit détenue pendant des heures, voire des jours, par ceux qui l'ont arrêtée avant d'être présentée au ministère public et que son arrestation soit enregistrée.

188.Lors de leur visite au Mexique, les membres du Comité se sont entretenus avec une personne arrêtée pour qui non seulement la date et l'heure de l'arrestation avaient été postdatées mais pour qui le dossier indiquait même qu'elle avait été arrêtée dans un autre Etat très éloigné de celui dans lequel elle disait avoir été arrêtée. Le dossier omet parfois les indications relatives aux policiers qui ont procédé à l'arrestation. Très souvent, quand une personne mise en examen a contesté ses aveux en disant qu'ils lui ont été extorqués par la torture, l'enquête préalable échoue parce que les responsables éventuels ne peuvent pas être identifiés.

189.Dans les divers lieux où ils se sont rendus, on a généralement dit aux membres du Comité que la procédure d'enregistrement des personnes arrêtées n'était guère officialisée, manquait de cohérence, situation qu'aggrave encore le fait qu'il n'est prescrit aucun contrôle judiciaire des centres de détention. D'après ces comptes rendus, il est courant de voir la police judiciaire garder en détention les personnes arrêtées beaucoup plus longtemps que le délai légal. Les personnes arrêtées qui ne sont pas enregistrées sont d'autant plus vulnérables et sensibles aux sévices et aux mauvais traitements physiques et psychologiques.

F. Le droit du mis en examen à avoir accès à un avocat de la défense

190.Nous avons déjà signalé les restrictions auxquelles se heurte dans la pratique l'exercice effectif du droit à la défense de la part des personnes arrêtées. L'article 20 de la Constitution déjà cité dispose au paragraphe IX que dans tout procès pénal, le mis en examen "dès le début de la procédure… aura droit à une défense adéquate qui sera assurée par lui-même, par un avocat ou par une personne de confiance." L'article 20 prescrit en outre que si [le mis en examen] ne veut ou ne peut désigner de défenseur… le juge lui en commet un d'office" et "le défenseur a le droit et le devoir d'être présent à tous les actes de procédure." Le même article 20 de la Constitution dispose encore que ladite garantie s'applique également pendant l'enquête préliminaire "dans les conditions prévues par la loi".

191.L'allusion à la réglementation légale de l'exercice du droit en question pendant l'enquête préliminaire a donné lieu à des interprétations restrictives, c'est-à-dire en particulier que le droit aux services d'un défenseur ne peut être exercé qu'à partir du moment où le suspect dépose devant le procureur, le suspect ne bénéficiant pas de ladite garantie pendant qu'il est maintenu en détention et qu’il est interrogé par la police judiciaire. Par suite, les avocats privés, même quand ils ont été désignés, n'ont pas accès au suspect pendant que celui-ci est détenu dans les locaux de la police. Quant aux avocats commis d'office, ils sont désignés précisément au moment où la personne arrêtée est présentée au procureur.

192.Certaines dispositions des codes de procédure pénale au Mexique sont contradictoires. Certaines d'entre elles reconnaissent le droit du mis en examen à confier sa défense à un avocat ou à une personne de confiance "à partir de l'enquête préliminaire" et, s'il s'abstient de désigner un avocat, le mis en examen a droit à un défenseur commis d'office et lesdites dispositions précisent que l'intéressé doit être informé de ce droit dès son placement en détention. L'une de ces dispositions reconnaît même au mis en examen le droit d'entrer en contact avec la personne de son choix pour organiser sa représentation légale.

193.En revanche, d'autres dispositions ne paraissent reconnaître ce droit au mis en examen qu'à partir du moment où celui-ci dépose devant le procureur. C'est sur ce type de libellé que l'on se fonde pour refuser au mis en examen le droit à un défenseur pendant qu'il est aux mains de la police, avant qu'il fasse sa déposition. Et, d'après les informations recueillies au cours de la visite au Mexique, ce paraît être là la politique officielle du ministère public.

194.Pour que la garantie énoncée dans la disposition en question de la Constitution soit pleinement respectée, il s'impose, semble-t-il, d'énoncer clairement dans les codes de procédure pénale du pays, en des termes n'autorisant aucune divergence d'interprétation, le droit imparti à toutes les personnes arrêtées d'avoir accès aux services d'un défenseur à compter du moment où elles sont arrêtées, pendant qu'elles sont interrogées par la police et à tous les stades de la procédure pénale à laquelle elles sont tenues de participer. Les personnes arrêtées doivent être informées immédiatement lors de leur arrestation du droit qu'elles peuvent ainsi exercer ainsi que du droit qu'elles ont de garder le silence. Elles doivent aussi se voir donner la possibilité de prendre contact avec qui elles veulent pour faire savoir dans quelles conditions elles ont été arrêtées et où elles sont détenues.

195.La présence de l'avocat pendant la détention dans les locaux de la police ou le fait de savoir que l'avocat peut se présenter à tout moment contribuerait à décourager tout comportement arbitraire ainsi que les mauvais traitements et permettrait au défenseur de faire savoir au mis en examen quels sont ses droits, y compris le droit de garder le silence.

G. Les aveux de la personne arrêtée, l'autorité compétente pour les recevoir

et leur valeur probante

196.En vertu de l'article 20 de la Constitution, section A, deuxième alinéa, l'inculpé ne peut être obligé de parler; seuls ont valeur de preuve les aveux faits devant le procureur ou le juge; et même ces aveux-là sont sans valeur si l'avocat de la défense n'est pas présent. Le code fédéral de procédure pénale prescrit à l'article 207 que l'aveu est une déclaration volontaire… faite devant le représentant du ministère public, le juge ou le tribunal chargé de la cause, … conformément aux normes définies à l'article 20 de la Constitution. A l'article 287, le même code énonce la même prescription mais précise que la police judiciaire peut faire rapport sans être habilitée à recueillir des aveux, et que, le cas échéant, les aveux sont dénués de toute valeur probante. Le code de procédure pénale du district fédéral énonce des dispositions voisines.

197.De son côté, la loi fédérale visant à prévenir et à réprimer la torture dispose à l'article 9 que "les aveux ou les renseignements adressés à une autorité policière, à un représentant du ministère public ou à l'autorité judiciaire en l'absence de l'avocat de la défense ou d'une personne de confiance de l'inculpé ou encore, le cas échéant, de l'interprète n'ont aucune valeur probante." La même loi stipule à l'article 8 que des aveux ou des informations obtenus sous la torture ne peuvent pas être produits comme des moyens de preuve.

198.Les dispositions ci-dessus qui ont été adoptées aux fins de supprimer les abus constants commis à l'encontre de délinquants présumés par des policiers au cours de l'instruction n'ont pas produit l'effet escompté, en particulier parce que le ministère public est toujours habilité à recueillir des aveux.

199.Dans la pratique, les règles interdisant à la police d'obtenir des aveux susceptibles d'être utilisés comme des moyens de preuve n'ont pas été interprétées comme interdisant à la police d'interroger les personnes arrêtées. La police judiciaire et le ministère public travaillent en étroite coopération pour arrêter les suspects et obtenir les preuves indispensables (lesquelles revêtent généralement la forme d'aveux) dont le ministère public a besoin pour renvoyer les suspects devant le tribunal. Il est donc assez fréquent que la personne arrêtée fasse la navette entre les deux services. La police aux mains de laquelle l'intéressé demeure pendant un certain temps l'interroge et l'incite brutalement à formuler des aveux ou à donner des informations concernant le délit qui fait l'objet de l'enquête. Les policiers vont parfois forcer l'intéressé à signer des aveux qui ont déjà été mis sur papier en l'avertissant qu'en présence du procureur il devra se contenter de confirmer ce que dit le papier.

200.Pendant leur visite au Mexique, les membres du Comité ont vu un certain nombre de détenus incarcérés qui leur ont dit que lorsqu'ils ont refusé de confirmer en présence du procureur la teneur des aveux auxquels la police les avait contraints, ils avaient été ramenés dans le quartier de détention de la police de façon que celle-ci puisse continuer de les interroger. Après avoir signé une déclaration établie par la police dans laquelle ils se disaient coupables, ils étaient ramenés une seconde fois devant le procureur et n'avaient pas d'autre choix que de confirmer leur déclaration.

201.En règle générale, les représentants du ministère public ne se préoccupent guère de chercher à savoir si des aveux ont été volontaires ou non. Il arrive exceptionnellement, quand un suspect formule des allégations de torture à l'encontre de la police qui le présente au ministère public, ou quand le suspect porte des marques visibles de coups et blessures, que le représentant du ministère public ait en consignant la déposition du suspect ouvert une enquête préliminaire sur les causes des coups et blessures ou sur les allégations de torture mais cela ne l'empêche pas nécessairement de se servir des aveux contestés pour renvoyer le plaignant devant le tribunal.

202.Malgré les dispositions impératives de la Constitution et de la législation sur l'irrecevabilité de preuves tirées de dépositions obtenues sous la contrainte, il est dans la pratique extraordinairement difficile à une personne mise en examen de faire exclure de l'ensemble des preuves réunies contre elle des aveux qu'elle aura formulés sous la contrainte. Concrètement, quand la personne mise en examen revient sur les aveux dont le procureur s'est servi pour la renvoyer devant le tribunal et qu'elle soutient avoir été forcée de formuler ces aveux sous la torture ou la contrainte, les tribunaux n'ont aucun moyen indépendant d'établir si lesdits aveux ont été ou non volontaires. Tout au plus peuvent-ils demander au ministère public d'ouvrir une enquête préliminaire mais ni le fait qu'une enquête indépendante est désormais en train ni les preuves qu'il sera possible de réunir au cours de ladite enquête n'ont d'incidence sur la procédure pénale engagée contre la personne mise en examen dont les aveux ont été obtenus par la contrainte.

203.Lors d'un entretien sur cette question que les membres du Comité ont eu avec les juges de la Haute Cour de l'Etat de Tamaulipas, ces magistrats ont fait savoir que la rétractation devait s'accompagner d'autres éléments de preuve, faute de quoi la première déposition est considérée comme valide. La charge de la preuve ne pèse pas nécessairement sur l'individu: le tribunal peut faire procéder à des examens, mais il ne le fait généralement pas.

H. Enquêter sur les actes de torture dénoncés et sanctionner les responsables

204.Quand il a examiné le troisième rapport périodique du Mexique, le Comité a fait état de l'un de ses sujets de préoccupation dans les termes suivants: "l'inefficacité des mesures prises pour mettre fin à la pratique de la torture tient, entre autres facteurs, à l'impunité dont jouissent les responsables d'actes de torture ainsi qu'au fait que les autorités judiciaires continuent d'accepter à titre de preuves des aveux ou déclarations obtenus par la torture, malgré les dispositions expresses qui l'interdisent." Au cours de leur visite dans le pays, les membres du Comité chargés de l'enquête ont reçu assez d'informations pour conclure que cette critique demeure valable.

205.L'indifférence des autorités judiciaires à l'égard d'une pratique aussi fréquente de la torture fait que, pour les coupables, l'éventualité de la traduction en justice et, plus encore, de la condamnation est aujourd'hui purement théorique. L'impunité est apparemment la règle et non l'exception.

206.Rapporter la preuve de la torture est l'un des éléments qui explique largement pourquoi les cas atteignant finalement le stade du tribunal restent impunis: malgré la clarté des dispositions citées ci-dessus, en réalité la pratique judiciaire au Mexique a fini par faire peser la charge de la preuve sur les victimes de la torture. Ce sont les victimes qui doivent prouver que leurs aveux ont été obtenus sous la contrainte. Les certificats médicaux faisant état de lésions corporelles, s'ils sont utiles, ne sont pas nécessairement déterminants car l'individu portant plainte doit prouver que lesdites lésions sont dues à la torture. Un bon nombre des personnes arrêtées que les membres du Comité ont interviewées ont formulé cette observation et regrettaient de devoir constater qu'une fois en détention, sans avoir les moyens de recruter les services d'un avocat pour défendre correctement leur cause, il leur était impossible de rassembler tous les moyens de preuve voulus pour prouver qu'il y avait eu torture.

207.Plusieurs présidents de commissions des droits de l'homme des Etats avec lesquels les membres du Comité se sont entretenus leur ont dit qu’ils n'approuvaient guère une pratique courante chez les procureurs et les instances judiciaires qui consiste à modifier la qualification des faits reprochés. Les cas qui, dans leurs recommandations, étaient qualifiés de cas de torture recevaient une nouvelle qualification de délit passible d'une sanction moins grave, comme l'abus d'autorité ou l’atteinte à l'intégrité physique.

208.L'un des arguments communément invoqués pour écarter les allégations de torture consiste à dire que, d'après le rapport du médecin légiste émanant tant du ministère public que de l'établissement pénitentiaire où l'individu condamné est incarcéré, les lésions que présente le mis en examen prennent moins d'une quinzaine de jours pour guérir. Dans la plupart des rapports établis à la suite d'examens médicaux que les membres du Comité ont examinés lorsqu'ils se sont rendus dans plusieurs prisons, on n'oublie en effet pas de dire combien de temps va prendre la guérison des lésions constatées. Dans la plupart des cas, la période indiquée est inférieure à 15 jours.

209.Des avocats de certaines victimes ont expliqué aux membres du Comité que, pour refuser de qualifier ces cas-là de cas de torture, on s'appuie sur l'article 289 du code pénal fédéral appliqué à la définition de la torture énoncée à l'article 3 de la loi fédérale visant à prévenir et réprimer la torture. L'article 289 du code énonce les peines encourues par l'auteur de lésions corporelles et stipule que la peine la plus légère est prévue "pour quiconque inflige à la victime une lésion ne mettant pas sa vie en danger qui prend moins de 15 jours pour guérir"; dans le reste de l'article sont indiquées les peines encourues pour le cas où la lésion prend plus longtemps à guérir et les peines prévues pour d'autres issues ou conséquences de l'atteinte à l'intégrité physique sont définies dans les articles qui suivent. Par suite, l'atteinte de la catégorie la moins grave en vertu du droit pénal ne relève pas du délit de torture puisque la loi fédérale, tout comme la Convention, dit que la torture a pour effet d'infliger "des douleurs ou des souffrances aiguës". Bien entendu, ni la loi fédérale ni la Convention n'intègrent à leur définition du délit le temps que prennent les lésions corporelles de la victime pour guérir. En outre, la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture, que le Mexique a également ratifiée, fait uniquement mention à l'article 2 des peines ou souffrances physiques ou mentales qui sont infligées sans préciser que lesdites peines ou souffrances doivent être aiguës. Quand il a vu les membres du Comité, le Procureur du district fédéral a dit que, pour les tribunaux, la torture n’était avérée que lorsque les lésions corporelles étaient graves.

210.L'impunité règne dans le cadre des enquêtes administratives comme dans celui des enquêtes pénales. Les quelques rares cas qui se traduisent par des sanctions sont en règle générale ceux où une commission des droits de l'homme d'un Etat ou bien la Commission nationale des droits de l'homme a préalablement formulé une recommandation. On trouvera ci-dessous des indications sur les réactions suscitées par ces recommandations dans certains des cas dont les membres du Comité ont pris connaissance au cours de leur visite.

211.D'après les renseignements fournis par les services du Procureur général de l'Etat de Tamaulipas, à la suite des 21 recommandations formulées par la Commission de l'Etat en 1999, 2000 et dans les premiers mois de 2001 en ce qui concerne des cas de tabassage, d'atteintes à l'intégrité physique et de torture, les suites données ont été les suivantes: dans 11 cas, les coupables ont été sanctionnés par une suspension de 3 à 30 jours; dans un autre cas, il a été demandé un réexamen pour insuffisance de preuves; dans un autre cas encore, il a été décidé qu'il n'y avait pas lieu d'engager une procédure administrative; dans un cas, la seule chose qu'il fût possible de prouver était la détention arbitraire; une affaire a été classée parce que l'individu visé ne travaillait pas dans l'institution; dans un autre cas, la torture n'a pas été prouvée; deux cas étaient toujours à l'examen; et dans trois cas, les recommandations de la Commission n'avaient pas été acceptées.

212.Les informations fournies au sujet de l'Etat de Jalisco indiquent qu'aucun agent de la fonction publique n'avait été condamné pour faits de torture jusqu'au mois d'août 2001; il n'y avait eu qu'exceptionnellement renvoi devant la justice en dépit des recommandations de la Commission des droits de l'homme de l'Etat, dont certaines n'avaient pas même été acceptées.

213.Dans son septième rapport annuel (octobre 1999 – septembre 2000), la Commission des droits de l'homme du district fédéral signale que les 15 recommandations qu'elle a formulées pour faits de torture depuis sa création mettaient en cause 54 agents de la fonction publique. Sur ce total, 27 agents ont été licenciés, un radié et deux suspendus sans traitement. Dans cinq autres cas, il a été prononcé une dispense de travail définitive et dans deux autres cas, provisoire. Dans les 54 cas, il a été ouvert une enquête préliminaire: il y a eu renvoi devant la justice dans 27 cas; l'enquête n'a pas été concluante dans trois cas; dans sept cas, il a fallu la mener en privé; et dans 17 cas il n'y a pas eu de procédure pénale. Sur les 27 agents de la fonction publique renvoyés en justice, deux ont bénéficié d'une décision de non-incarcération, trois ont été protégés contre le mandat d'arrêt à leur encontre et un mandat d'arrêt a été annulé; un agent a été renvoyé en justice et se trouvait en détention préventive; deux ont bénéficié de l'annulation du mandat d'arrêt pour faits de torture et seraient arrêtés pour abus d'autorité; dans sept cas, le mandat d'arrêt n'a pas été exécuté; six agents de la fonction publique ont été condamnés et cinq renvoyés en justice pour faits de torture mais condamnés pour abus d'autorité, un agent a été condamné à six ans et neuf mois de prison et les derniers à quatre ans et sept mois.

214.Sur les six agents de la fonction publique condamnés pour faits de torture, l'un a bénéficié d'une exemption directe de condamnation et le mandat d'arrêt correspondant a été annulé; un autre a été condamné à neuf ans et trois mois de prison mais est parvenu à échapper à la justice; l'un d'eux a été acquitté; deux autres ont été condamnés à trois ans et un mois de prison et à une amende correspondant à 215 jours de traitement mais leur condamnation a été suspendue; l'un d'eux a été condamné à cinq ans et trois mois de prison et radié de la fonction publique pendant cinq ans.

215.Lors de leurs entretiens avec les représentants du ministère public, y compris le procureur militaire, les membres du Comité ont cherché à savoir comment les services d'inspection interne enquêtaient sur des cas de torture et les renseignements qu'ils ont recueillis étaient en général extrêmement vagues. On leur a affirmé que tout rapport transmis à l'encontre de membres de la police faisait l'objet d'une enquête approfondie mais l'affirmation ne fut guère corroborée par des indications concrètes et précises. Tout au contraire, le président de la Commission nationale des droits de l'homme a affirmé que les inspecteurs "couvraient" tout comportement blâmable des fonctionnaires et ne trouvaient aucune faute à sanctionner dans la plupart des cas.

216.Les membres du Comité pensent aussi que les organisations non gouvernementales ont raison de dire que, le ministère public ayant le monopole de l'action pénale, les constatations de torture sont examinées par l'institution même contre laquelle elles sont dirigées. C'est peut-être aussi la raison principale pour laquelle les victimes s'adressent immanquablement aux commissions des droits de l'homme pour qu'elles interviennent à leur place au lieu de s'adresser comme on s'y attendrait directement à l'organe qui devrait ouvrir l'enquête pénale.

217.Le fait que les tribunaux ne connaissent finalement qu'un nombre extrêmement faible d'affaires de torture a été confirmé lors des entretiens que les membres du Comité ont eus avec des représentants de l'autorité judiciaire, qui ont semblé "ne pas savoir" que la torture continuait d'être pratiquée au Mexique. Le monopole dont jouit le ministère public sur l'action pénale explique peut-être en partie cette « ignorance ». Les représentants de la Haute Cour de l'Etat de Tamaulipas ont affirmé que la torture ne faisait pas problème dans l'Etat en question et que, si elle avait bien été saisie au cours des deux dernières années de sept cas d'abus d'autorité, la Cour n'avait été saisie d'aucune affaire de torture. De son côté, le président du tribunal de grande instance de Guerrero a dit qu'il était rare que le ministère public ait à enquêter sur des affaires de torture et qu'il n'avait pas entendu parler de plus de deux ou trois cas de ce type. Selon les juges de la Cour suprême, il pouvait y avoir des affaires de "torture" ("tormentos") mais leur nombre était particulièrement faible par rapport au nombre de causes pénales traitées par la justice dans le pays et plus faible encore à l'échelon fédéral.

VI. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

218.D'après les renseignements qu'ils ont recueillis au cours de leur visite au Mexique, les membres du Comité constatent que le nombre de plaintes de torture adressées aux organismes publics de défense des droits de l'homme et aux ONG paraît avoir baissé au cours des quelques dernières années. Toutefois, les renseignements recueillis au cours de cette visite, lesquels n'ont pas été réfutés par les autorités; la description des cas de torture, dont la plupart ont eu lieu au cours des mois précédant la visite et au cours de l'année précédente – l'information émanant directement des victimes; le caractère à peu près uniforme des conditions dans lesquelles la torture est pratiquée; l'objet des actes de torture (qui est presque toujours d'obtenir des renseignements ou des aveux de culpabilité); la quasi-uniformité des méthodes employées; et le fait que lesdites méthodes sont très largement utilisées, voilà autant d'éléments qui ont convaincu les membres du Comité qu'il ne s'agissait pas là de situations exceptionnelles ni de violations occasionnelles imputables à un petit nombre de policiers mais qu'au contraire, la police pratique communément la torture et l'utilise systématiquement à titre de méthode supplémentaire d'enquête pénale dont on peut constamment se servir pour faire avancer ladite enquête. A ce sujet, les membres du Comité rappellent l'avis qu'exprimait déjà le Comité en novembre 1993 et qu'il renouvelait en mai 2001 quant aux principaux facteurs qui indiquent que la torture est pratiquée systématiquement dans un Etat partie. Cet avis est le suivant:

"Le Comité considère qu'il y a pratique systématique de la torture lorsqu'il apparaît que les cas de torture rapportés ne se sont pas produits fortuitement en un endroit ou à un moment donné mais comportent des éléments d'habitude, de généralité et de finalité déterminée au moins sur une portion non négligeable du territoire du pays en cause. D'autre part, la torture peut avoir un caractère systématique sans qu'elle résulte de l'intention directe d'un gouvernement. En effet, celle-ci peut être la conséquence de facteurs que le gouvernement peut avoir des difficultés à contrôler et son existence peut signaler une lacune entre la politique déterminée au niveau du gouvernement central et son application au niveau de l'administration locale. Une législation insuffisante qui laisse en fait la possibilité de recourir à la torture peut encore ajouter au caractère systématique de cette pratique."

219.Divers facteurs permettent d'expliquer la persistance de la pratique de la torture chez les policiers de l'Etat partie et la plupart de ces facteurs ont déjà été évoqués dans le présent rapport:

a)la garantie constitutionnelle consistant à émettre obligatoirement un mandat avant de pouvoir procéder à une arrestation s'accompagne de larges exceptions;

b)autre élément à prendre en compte, la durée du délai qui s'écoule avant de déférer la personne arrêtée à l'autorité judiciaire;

c)le droit imparti à la personne mise en examen par l'article 20 de la Constitution de s’abstenir de toute déposition n'est généralement pas respecté de même que les dispositions législatives qui interdisent à la police d'obtenir des aveux, interdiction tournée par la présentation de ces aveux comme d'une déposition officielle devant un agent du ministère public;

d)sont également à mettre en cause l'absence de tout contrôle judiciaire pendant la période où la personne arrêtée est à la disposition du ministère public (c'est-à-dire en fait en garde à vue à la police) et l'absence de toute procédure efficace de surveillance des lieux de détention exercée par une autre autorité que l'administration des lieux en question ;

e)il faut aussi mettre en cause les restrictions au droit de la personne arrêtée de faire appel aux services d'un défenseur – la personne arrêtée n'est généralement pas autorisée à s'entretenir en privé avec un conseil de confiance à compter du début de son placement en détention ni à recevoir des conseils ou une assistance de la part d'un conseil avant de déposer devant le procureur et pendant la déposition devant le procureur – et il faut tenir en outre compte des carences d'ordre quantitatif et d'ordre qualitatif du système de l'avocat commis d'office;

f)il faut relever l'impunité dont bénéficient les policiers qui pratiquent la torture: cette impunité paraît être la règle plutôt que l'exception. Les services d'inspection interne qui existent au sein même des forces de police sont réticents et peu efficaces et, comme le ministère public jouit du monopole de l'exercice de l'action pénale, c'est lui qui enquête obligatoirement sur les plaintes pour actes de torture et l'auteur de la plainte ne dispose d'aucun recours quand le ministère public refuse d'exercer l'action pénale et ne peut pas non plus, quand elle est exercée, ce qui est exceptionnel, contester les motifs de ladite action pénale qui ne sont plus les actes de torture invoqués par l’auteur de la plainte;

g)les dispositions visant à exclure de l'ensemble des moyens de preuve toute déposition ou preuve obtenue par la torture ou par d'autres moyens de contrainte du même ordre ne sont pas respectées. Dans la pratique, les aveux obtenus par la contrainte ne sont généralement pas invalidés dans le cadre de la procédure quand le ministère public en tire des motifs de mise en examen;

h)les insuffisances de la formation professionnelle des agents du ministère public et de la police judiciaire, d'une part, expliquent que les enquêtes pénales soient mal conduites et peu efficaces de sorte que le suspect n'est identifié que dans une faible proportion des cas signalés et, d'autre part, incitent à recourir à la torture et à la contrainte pour obtenir aveux et moyens de preuve;

i)il faut aussi dénoncer le fait que les experts médicaux ne sont pas indépendants du ministère public ainsi que les modalités de l'établissement des comptes rendus médicaux à la suite de l'examen des personnes arrêtées. En réalité, ces médecins remplissent un formulaire qui est différent dans tous les Etats et permet uniquement de décrire les lésions corporelles sans permettre d'en indiquer les causes.

220.Compte tenu des considérations ci-dessus, les membres du Comité estiment opportun de formuler les recommandations ci-après:

a)Il conviendrait de renforcer la garantie constitutionnelle consistant à rendre obligatoire l'émission d'un mandat judiciaire avant de procéder à une arrestation, c'est-à-dire qu'il faudrait ôter au ministère public le pouvoir de décerner le mandat d'arrêt à la seule et unique exception de l'arrestation en flagrant délit, laquelle doit exclusivement viser l'individu surpris en train de commettre le délit ou surpris immédiatement après avoir commis le délit avec les instruments ayant servi au délit encore en sa possession ou bien l’indidvidu poursuivi et rattrapé immédiatement après avoir commis le délit. L'arrestation en flagrant délit ne doit en aucun cas être possible plus de 24 heures après la commission du délit. En ce qui concerne les cas urgents, la réglementation en vigueur devrait être remplacée par une procédure adaptée permettant au ministère public de solliciter et d'obtenir du tribunal un mandat d'arrêt à n'importe quel moment;

b)Il faudrait imposer à la suite de toute arrestation l'obligation de signaler immédiatement ladite arrestation à l'autorité judiciaire et le délai à l'expiration duquel la personne arrêtée doit être présentée à l'autorité judiciaire devrait être fixé à 24 heures. La loi devrait prévoir que la personne arrêtée peut ainsi être présentée au magistrat tous les jours, à n'importe quel moment, et que l'autorité judiciaire doit être en permanence disponible à cette fin. Il faudrait aussi mettre en place un système permettant d'informer le grand public des arrestations opérées dans le pays et l'information devrait être accessible dans les grandes villes, tout au moins dans le district fédéral et dans les capitales des Etats;

c)Il faudrait instaurer une procédure judiciaire de surveillance des lieux de détention et des établissements pénitentiaires qui serait exercée au moyen d’inspections fréquentes, opérées sans préavis. La même surveillance devrait être exercée indépendamment par les organismes publics de défense des droits de l'homme, sans préjudice de toute inspection qui pourrait être nécessaire dans certaines situations particulières dont ces organismes pourraient avoir connaissance d'une façon quelconque ou par le truchement de plaintes;

d)La loi devrait prévoir que le juge qui reçoit une personne arrêtée dont le renvoi en justice a été décidé par le ministère public doit s'enquérir expressément du traitement subi par l'intéressé depuis son arrestation et poser des questions tendant à vérifier si la déposition devant le procureur a été faite librement et sans aucune forme de coercition. La loi devrait aussi prévoir dans tous les cas que la personne arrêtée doit être examinée par un médecin qui soit indépendant de la police et du ministère public;

e)La police devrait être légalement tenue d'informer toute personne arrêtée des droits qu'elle peut exercer au moment où elle est arrêtée et en particulier du droit de garder le silence et de faire appel à un avocat en qui elle a confiance ou, si elle ne veut pas faire appel à un tel avocat ou n'en a pas les moyens, du droit d'avoir un avocat commis d'office. A cette fin, la personne arrêtée doit se voir donner les moyens de prendre contact avec la personne de son choix pour faire connaître les conditions de son arrestation et le lieu où elle est détenue. La loi doit prévoir que l'avocat de la défense aura toujours le droit, à compter du moment même du placement en détention, de voir la personne arrêtée en privé et en l'absence de tout témoin. De son côté, l'Etat devrait aussi affecter les moyens voulus aux aménagements à apporter sur le plan quantitatif comme sur le plan qualitatif aux services de la défense publique, lesquels il conviendrait d'organiser comme des organismes publics, indépendants de toute autorité de caractère fédéral ou relevant des Etats et dotés d'une autonomie organique et fonctionnelle;

f)Il faudrait adopter des dispositions législatives ayant force de loi tant au niveau fédéral qu'au niveau du droit commun qui excluent obligatoirement des moyens de preuve toute déposition et toute preuve obtenues sous la torture ou par des méthodes coercitives du même ordre;

g)Il conviendrait de limiter l'exercice de la justice militaire aux délits correspondant à des manquements officiels et adopter le dispositif législatif voulu pour habiliter les juridictions civiles à connaître des délits commis aux dépens des droits de l'homme, en particulier des actes de torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants imputés à des militaires même quand les actes en question sont dits être liés aux nécessités du service;

h)Il y aurait lieu de créer un bureau spécial de procureurs autonome et indépendant du pouvoir exécutif qui serait chargé de procéder à l'enquête préliminaire lors de toute plainte faisant état de violation des droits de l'homme définis dans des traités ratifiés par l'Etat partie; ce bureau devrait être compétent à l'échelle nationale, indépendamment du point de savoir si la décision définitive revient aux juridictions fédérales ou bien aux juridictions de droit commun;

i)D'un point de vue général, il y aurait lieu de modifier par voie d’amendements appropriés de la législation les méthodes nettement inquisitoires de la procédure pénale, tout particulièrement aux premiers stades de l'enquête préliminaire. Lesdits amendements doivent viser à instaurer une procédure accusatoire authentiquement ouverte et transparente qui soit assortie des mécanismes nécessaires pour établir l'équilibre voulu des pouvoirs et des droits entre les différentes parties à une procédure pénale – le juge, le ministère public, la victime et le mis en examen, le défenseur et la police – et qui soit également assortie de mécanismes de contrôle et de moyens permettant de corriger tous abus éventuels;

j)Il conviendrait également de prendre des mesures pour garantir que les médecins-experts soient complètement indépendants du ministère public. Il faudrait aussi modifier les formulaires que doivent remplir ces médecins pour que ces derniers puissent donner des indications sur l'origine des lésions corporelles, leur date et leur auteur. Le formulaire doit également permettre à l'expert de dire si les lésions constatées sont compatibles avec l'origine que leur attribue la personne examinée;

k)Chaque fois qu'une personne dit avoir été torturée, les autorités compétentes doivent ouvrir une enquête rapide et impartiale qui comprend un examen médical effectué conformément au Protocole d'Istanbul.

VII. L'ADOPTION DU RAPPORT PAR LE COMITÉ ET SES SUITES

221.A sa vingt-huitième session (tenue du 29 avril au 17 mai 2002), le Comité a fait sien le rapport établi par les deux membres du Comité qui avaient été chargés d'enquêter au Mexique. Le Comité a également décidé, conformément aux dispositions du paragraphe 4 de l'article 20 de la Convention, de transmettre ledit rapport au gouvernement mexicain. En application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 83 de son règlement intérieur, le Comité a invité le gouvernement du Mexique à l'informer des mesures prises pour donner suite aux conclusions et recommandations qu'il a formulées. Le 31 août 2002, le gouvernement mexicain a fourni les informations qui font l'objet de la seconde partie du présent document.

VIII. LA PUBLICATION DU RAPPORT DU COMITÉ ET DE LA RÉPONSE DU GOUVERNEMENT MEXICAIN

222.Le 20 février 2003, l'Etat partie a fait savoir au Comité qu'il donnait son accord à la publication du rapport intégral de l'enquête menée au Mexique en application de l'article 20 de la Convention accompagné de la réponse du gouvernement mexicain. Le Comité a autorisé cette publication à sa trentième session (29 avril-16 mai 2003).

SECONDE PARTIE

RÉPONSE DU GOUVERNEMENT MEXICAIN

I. INTRODUCTION

223.Le gouvernement mexicain accueille avec intérêt le rapport que MM. Alejandro González Poblete et Ole Vedel Rasmussen, membres du Comité contre la torture, ont établi à la suite de la visite qu'ils ont effectuée au Mexique du 23 août au 12 septembre 2001.

224.Le gouvernement mexicain note également avec satisfaction que le Comité contre la torture s'est félicité de l'appui qu'il a reçu dudit gouvernement aux fins de cette visite, appui qui confirme la volonté d'ouverture et de coopération de ce dernier avec les mécanismes internationaux d'inspection, en particulier dans le domaine des droits de l'homme.

225.Le Mexique tient à réaffirmer qu'il est résolu à appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

226.Le gouvernement mexicain est résolu à respecter et à faire respecter tous les droits et libertés reconnus dans la Convention et accorde une grande importance aux travaux des mécanismes créés en vertu d'arrangements internationaux relatifs aux droits de l'homme ainsi qu'à leurs conclusions et recommandations. C'est dans cet esprit qu'il s'engage à évaluer l'application des recommandations du Comité afin de manifester sa volonté de respecter et faire respecter les libertés fondamentales.

227.Le gouvernement mexicain remercie donc le Comité contre la torture de ses recommandations qu'il s'emploie à analyser de façon approfondie afin de mettre sur pied des politiques et des mesures en vue de les appliquer.

228.Le gouvernement mexicain tient à faire savoir au Comité que l'administration actuellement en place s'attache à tenir les engagements pris dans le Plan national de développement pour la période 2001-2006 en s'appuyant sur de nouvelles orientations de base, dans le respect absolu de la légalité et en particulier des droits de l'homme et des principes de l'état de droit, de façon à garantir la protection des droits des personnes dans toutes les actions qui touchent l'ensemble de la collectivité. Il a en outre commencé à prendre les mesures voulues pour honorer les engagements internationaux du Mexique en matière de droits de l'homme.

229.Pour montrer que le gouvernement mexicain a véritablement souscrit à la cause des droits de l'homme, le Président Vicente Fox a présenté le 28 août 2002 un rapport sur les politiques mises en œuvre et les résultats obtenus en matière de droits de l'homme et a annoncé une série de mesures tout particulièrement pertinentes qui visent à mettre sur pied une politique intégrale dans ce domaine. (On trouvera en annexe au présent document le rapport et le discours du Président du Mexique.)

230.La lutte contre la torture constitue dans ce contexte une priorité du gouvernement mexicain qui est particulièrement soucieux de favoriser le respect des droits de l'homme et de sanctionner toute violation et tout abus de pouvoir dans le cadre institutionnel en responsabilisant les agents de la fonction publique.

231.Lors des négociations relatives à la première phase du programme de coopération technique entre le gouvernement mexicain et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, il a été convenu de retenir la formation des agents de la fonction publique comme thème central et d'élaborer deux protocoles types.

232.Lors de cette première phase, deux éléments du programme ont été consacrés à la question de la torture: l'un concernait l'examen médical des victimes de tortures et autres sévices et l'autre, les enquêtes médico-légales sur les morts suspectes résultant de violations des droits de l'homme.

233.De même, l'une des priorités de la deuxième phase du programme de coopération technique est l'organisation de cours de perfectionnement pour les participants à la première phase et de séminaires de formation à l'intention des juges et des avocats.

234.Le gouvernement mexicain considère que le rapport et les recommandations du Comité lui seront très utiles pour procéder à l'évaluation de la situation des droits de l'homme dans le pays et mettre sur pied le programme national relatif aux droits de l'homme au cours de cette deuxième phase dont l'un des thèmes principaux est précisément la lutte contre la torture.

235.Le gouvernement mexicain souhaite appeler l'attention du Comité sur la réforme de l'article 113 de la Constitution des Etats-Unis du Mexique, en date du 14 juin 2002, qui dispose que la responsabilité de l'Etat sera objective et directe en cas d'atteintes aux biens ou aux droits des particuliers découlant de dysfonctionnements de l'administration. Les particuliers lésés auront droit à indemnisation selon les critères, les limites et les procédures définis par la loi.

236.Le nouvel article de la Constitution entrera en vigueur le 1er janvier 2004. Conformément au décret publié à cet effet au Journal officiel de la Fédération le 14 juin 2002, la législation subsidiaire devra être modifiée en conséquence. Le gouvernement central ainsi que les Etats et les municipalités devront adopter d'ici là des dispositions législatives ou bien modifier les dispositions en vigueur concernant la réparation des dommages.

237.On trouvera dans le présent document des précisions sur ce que dit le rapport du Comité et des renseignements actualisés sur les mesures prises aux fins de la lutte contre la torture et des suites à donner aux recommandations du Comité. Le gouvernement mexicain s'étant engagé à fournir en outre des renseignements à jour sur les 394 cas signalés au paragraphe 13 du rapport, on trouvera à l'annexe III au présent document des fiches présentant les données dont l'Etat mexicain dispose sur certains de ces cas.

II. OBSERVATIONS GÉNÉRALES

238.Le rapport est très détaillé, notamment pour ce qui est de l'examen de cas individuels. Le gouvernement mexicain tient à appeler l'attention du Comité sur les difficultés pratiques et techniques qu'éprouvent les pays pour recenser les cas présumés de torture. Cela étant, le Mexique est parfaitement disposé à examiner les allégations de torture figurant dans le rapport établi par le Comité et à faire la lumière à ce sujet.

239.Le gouvernement mexicain tient à informer le Comité de certains progrès accomplis récemment en matière de formation et de protection contre la torture dont le rapport ne rend pas compte.

240.Sur le plan judiciaire, le Bureau du Procureur général de la République a mis sur pied une nouvelle politique axée sur trois grands objectifs:

Instaurer en son sein une culture de la protection des droits de l'homme;

Faire comprendre aux citoyens que le respect des droits fondamentaux est aussi un de leurs devoirs;

Combattre et prévenir les causes des violations des droits de l'homme ayant fait l'objet de plaintes et donné lieu à des recommandations de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH).

241.Le Bureau du Procureur général a organisé des stages de formation et pris des mesures de sensibilisation en vue de lutter contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants. On trouvera au tableau ci-dessous des précisions concernant ces stages:

Formation à la lutte contre la torture et autres traitements cruels,

inhumains et dégradants

Date

Participants

Durée (en heures)

Bénéficiaires

20/04/01

38

7

Représentants du ministère public fédéral (MPF), agents du Bureau fédéral d'enquête (BEF), experts, personnel administratif

4/05/01

16

7

MPF, BEF, personnel administratif

18/05/01

23

7

MPF, BEF, experts, personnel administratif

01/06/01

18

7

MPF, BEF, experts, personnel administratif

15/06/01

18

7

MPF, BEF, experts, personnel administratif

03/06/01

34

8

Experts légistes, experts stagiaires

Période

Activités

Participants

Nombre d'heures

Janvier-décembre 2001

5

113

35

Janvier-juin 2002

1

 34

 8

Total

6

147

43

242.Au nombre des activités de sensibilisation menées entre janvier et décembre 2001, il convient de signaler que le Bureau du Procureur général a publié deux affiches intitulées "La tortura deja huellas profundas" et "Tortura, botellita de jerez…? Te gustaría que fuera al revés?", qui ont été tirées à 2.000 exemplaires chacune et distribuées aux différents agents concernés. (Des exemplaires de ces affiches seront fournis au Comité.)

243.Aux fins de promouvoir une culture des droits de l'homme, il a été conçu et publié sept autres affiches dans différents services du Bureau du Procureur qui ont également été distribuées à différents ministères, divers bureaux relevant de la Fédération, dans les transports en commun (METRO) et dans les centres commerciaux.

244.Le ministère de la défense (SEDENA) a pris diverses mesures pour favoriser cette culture de respect des droits de l'homme au sein des forces armées, notamment les mesures suivantes:

Introduction des droits de l'homme et du droit international humanitaire parmi les matières enseignées dans les écoles militaires ainsi que dans tous les programmes d'entraînement et d'instruction au sein des différentes unités et installations de l'armée de terre et des forces aériennes;

Organisation de cycles nationaux de conférences en vue de promouvoir le respect des droits de l'homme auprès du personnel militaire dans les régions et les zones militaires du pays, en collaboration avec la CNDH;

Mesures visant à inciter le personnel militaire du service de la justice militaire à suivre des cours de spécialisation et des cours de troisième cycle relatifs aux droits de l'homme qui sont dispensés par les services de l'administration fédérale et divers grands établissements d'enseignement nationaux et étrangers;

Diffusion d'une culture de respect des droits de l'homme dans l'ensemble de la société, en particulier par l'organisation de congrès avec la participation et le concours du personnel de divers services et organismes, notamment des organismes publics et des organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme et du public en général;

Formation d'enseignants des droits de l'homme dans le cadre d'un cours mis sur pied par le Centre d'études de l'armée de terre et de l'armée de l'air auquel ont déjà participé 40 chefs et 175 officiers;

Publication du manuel intitulé "Les droits de l'homme et le droit international humanitaire" et du "Précis des droits de l'homme".

245.Une autre des mesures s'inscrivant dans la lutte contre la torture et contre l'impunité a consisté à créer, le 27 novembre 2001, un ministère public auprès des juridictions d'exception chargé d'examiner les faits susceptibles de constituer des délits fédéraux commis directement ou indirectement par des agents de la fonction publique contre les personnes liées à des mouvements sociaux et politiques.

246.Il convient par ailleurs de signaler que le Bureau du Procureur général et la Commission nationale des droits de l'homme ont signé un accord de collaboration institutionnelle. Cet instrument prévoit la mise en œuvre de mesures visant à lutter contre la torture et la création de mécanismes permettant au Bureau du Procureur général de suivre efficacement les diverses décisions prises par la Commission nationale des droits de l'homme – demandes d'information, propositions de règlement à l'amiable et recommandations.

247.Le rapport ne fait état d'aucun cas de torture de la part des membres des forces navales mais le secrétariat de la marine militaire du Mexique s'est engagé, eu égard aux politiques du gouvernement actuel, à moderniser et actualiser sa législation pour assurer le strict respect des droits de l'homme par les forces navales. A cet effet, le secrétariat a publié les documents ci-après:

La décision 040, publiée au Journal officiel de la Fédération le 20 avril 2001, laquelle énonce des directives à l'intention des commandants des unités opérationnelles de la marine mexicaine chargées des inspections dans les eaux territoriales mexicaines;

La directive 06/2001, publiée au Journal officiel de la Fédération le 27 décembre 2001, par laquelle l'état-major de la marine mexicaine ordonne aux commandements navals de veiller au respect des droits de l'homme;

La décision 036 publiée au Journal officiel de la Fédération le 6 mai 2002 qui présente le manuel des droits de l'homme destiné au personnel des forces navales mexicaines.

248.Il convient de signaler également qu'à la suite de la visite du Comité au Mexique, le gouvernement fédéral a créé un mécanisme de dialogue entre la Commission interministérielle pour le suivi des engagements internationaux du Mexique en matière de droits de l'homme et les organisations de la société civile. Ledit mécanisme comprend huit groupes de travail dirigés paritairement par le même nombre de représentants de la Commission interministérielle et des organisations de la société civile. Le mécanisme a pour objectif de mettre au point des mesures conjointes visant à donner effet aux engagements internationaux du Mexique et de définir la position de ce dernier au sein des instances internationales.

249.L'un des groupes de travail se consacre aux questions relatives aux droits civils et politiques. Compte tenu de la priorité accordée à la lutte contre la torture, sa première tâche a consisté à analyser les 25 mesures de lutte contre la torture adoptées pour donner effet aux recommandations internationales en la matière, y compris celles du Comité.

250.L'activité de ce groupe de travail est coordonnée par le Bureau du Procureur général de la République et par la Fondation mexicaine pour la réadaptation intégrale. Le même groupe de travail a étudié par ailleurs divers documents en vue de définir la position du Mexique au sein des instances internationales, dont le questionnaire diffusé par l'Organisation des Etats américains sur les droits et le traitement des personnes soumises à toute forme de détention ou de réclusion. (On trouvera en annexe au présent document un rapport sur les travaux dudit groupe de travail.)

251.La Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) approuve le rapport du Comité qui traduit assez fidèlement les observations qu'elle a formulées elle-même en la matière à travers ses recommandations.

III. CARACTÉRISTIQUES ET FRÉQUENCE DES CAS DE TORTURE

252.Aux paragraphes 25, 38, 39, 77 et 109 du rapport, il est signalé divers cas dans lesquels des actes présumés de torture auraient été commis en 2000 et 2001 par des représentants du Bureau du Procureur général de la République.

253.Il importe de préciser à cet égard que, conformément à l'article 44 du règlement d'application de la loi portant organisation du Bureau du Procureur général de la République, la Direction générale de la protection des droits de l'homme reçoit et examine les plaintes pour violations présumées des droits de l'homme transmises par la Commission nationale des droits de l'homme, parmi lesquelles figurent les plaintes concernant des actes présumés de torture.

254.Il convient d'indiquer également que, comme il est dit au paragraphe 48 du rapport, les représentants de la CNDH ont fait savoir que leurs statistiques et rapports annuels ne font état que des cas de torture pour lesquels les faits ont été prouvés et ne font pas état de ceux pour lesquels, malgré les plaintes présentées, la torture n'a pas pu être prouvée. On peut en conclure que c'est exclusivement dans les cas où, à son avis, la CNDH estime qu'il y a effectivement eu torture qu'elle est strictement tenue par sa loi organique comme par son règlement intérieur de formuler des recommandations; or, ce n'était pas le cas pour les affaires visées aux paragraphes 25, 38, 39, 77 et 109 du rapport dans lesquelles le personnel du Bureau du Procureur général serait lié à des actes présumés de torture.

255.On trouvera au tableau ci-après une récapitulation des plaintes reçues par la CNDH qui sont liées à des actes présumés de torture et qui sont ventilées en fonction de l'état de la procédure.

Plaintes

2000

2001

2002

Total

Procédure achevée

48

28

7

83

Plainte enregistrée

-

 4

2

 6

Examen en cours

-

-

3

 3

Total

48

32

12 

92

256.En ce qui concerne l'arrestation de MM. Rodolfo Montiel Flores et Teodoro Cabrera García par des militaires le 2 mai 1999 dans le hameau de Pizotla (district de Ajuchitan del Progreso, Etat de Guerrero) dont il est question au paragraphe 33 du rapport, le ministère de la défense nationale a pris les dispositions suivantes à la suite de la recommandation 8/2000 formulée par la CNDH:

L'enquête préliminaire a été réalisée (sous la cote SC/304/2000/VII/I) puis, le 3 novembre 2001, le parquet militaire chargé de l'enquête a classé l'affaire car il n'avait pas pu établir qu'un délit quelconque ait été commis par des militaires;

De même, les services d'inspection et de contrôle général de l'armée de terre et de l'armée de l'air ont ouvert une enquête qui n'a pas permis d'établir la responsabilité de militaires dans l'exercice de leurs fonctions; le Bureau du Procureur militaire a néanmoins transmis à ces services les conclusions de l'enquête préliminaire pour qu'ils déterminent, à partir des constatations relevées, s'il y a eu dysfonctionnement;

L'avis rendu par la CNDH concernait l'arrestation et la mise à disposition de la justice de Montiel Flores et Cabrera García par des militaires mais rien n'a permis d'établir que des actes de torture ont été commis par des membres du ministère de la défense nationale.

257.En ce qui concerne le cas de M. Carlos Montes Villaseñor qui, d'après ce que dit le paragraphe 49 du rapport, aurait été maintenu en détention prolongée et aurait subi des actes de torture imputés à des membres du ministère de la défense nationale le 13 novembre 1998 à Pie de la Cuesta (Guerrero), il convient de signaler que le Bureau du Procureur militaire a ouvert une enquête préliminaire (SC/149/2000/VIII) et a classé l'affaire, aucun élément ne permettant d'établir que les militaires aient torturé M. Montes Villaseñor, d'autant que, dans les heures précédant sa mise à la disposition du représentant du ministère public fédéral, il avait été confié à la police judiciaire fédérale.

258.Les services d'inspection et de contrôle général de l'armée de terre et de l'armée de l'air ont procédé à une enquête administrative et décidé de mettre aux arrêts de rigueur le capitaine d'infanterie Constantino Alfonso Rodríguez Quiroz, commandant de la base "Quiroz", pour avoir prolongé à l'excès la détention de M. Montes Villaseñor avant de le remettre aux autorités civiles.

259.Compte tenu des enquêtes administratives rappelées ci-dessus, le 1er août 2001, l'enquête préliminaire SC/149/2000/VIII a été rouverte et réenregistrée sous le numéro SC/220/2001/I, aux fins de nouvelles recherches et de décisions; le dossier est actuellement en cours de constitution.

260.Le cas visé au paragraphe 50 du rapport qui fait l'objet de la recommandation 8/2001 de la Commission nationale des droits de l'homme formulée à l'intention du Bureau du Procureur général de la République est présenté comme un "cas de torture avéré". Il convient d'apporter sur ce cas les précisions ci-après:

Suite à ladite recommandation 8/2001, le Bureau du Procureur général a ouvert l'enquête préliminaire 5247/DGPDH/2001 contre plusieurs de ses fonctionnaires soupçonnés d'avoir commis des actes de torture et d'avoir abusé de leur autorité dans l'exercice de leurs fonctions à l'encontre de M. Norberto Jesús Suárez Gómez qui était à l'époque délégué du Bureau du Procureur général dans l'Etat de Chihuahua;

Lors de la constitution du dossier pour enquête préliminaire, le ministère public fédéral a demandé plusieurs expertises. (Voir en annexe copie des avis techniques.)

Une fois le dossier dûment constitué, la représentation sociale fédérale (ministère public) a décidé de ne pas engager d'action pénale (publique) car "le délit de torture n'était pas établi";

Par la note 3532 en date du 21 février 2002, le Président de la Commission nationale des droits de l'homme a fait savoir qu'il avait "décidé de clore le suivi [de la recommandation 8/2001] et considérait celle-ci comme acceptée puisqu'il disposait de preuves de sa mise en œuvre intégrale, ce dont il informerait l'opinion publique dans le prochain rapport d'activité de la Commission nationale."

Le délit présumé de torture aux dépens de M. Norberto Jesús Suárez Gómez n'a pas été établi. Quand la décision de ne pas engager d'action pénale à la suite de l'enquête 524/DGPDH/2001 a été communiquée à la CNDH, celle-ci n'a opposé aucune objection; elle a même considéré la recommandation 8/2001 comme intégralement appliquée.

261.En ce qui concerne le cas de Gregorio Vásquez Álvarez visé au paragraphe 109 du rapport, le gouvernement mexicain tient à faire savoir au Comité qu'après enquête, l'organe de contrôle interne de l'Institut national des migrations a infligé une sanction administrative aux fonctionnaires ayant commis des irrégularités dans l'exercice de leurs fonctions. M. Roel Magdaleno Guillén, fonctionnaire des services des migrations, a été suspendu de ses fonctions et privé de rémunération pendant 15 jours. En outre, Mme Yazmín Manuel Castillejos, chef du département des formalités et de l'établissement des documents de voyage, et M. Felipe Río Orozco, délégué local de l'Institut, ont reçu un blâme public pour avoir maltraité le plaignant. (Le texte de la décision administrative 076/00 en date du 14 août 2001 est reproduit en annexe.)

262.En ce qui concerne la campagne visée au paragraphe 126 du rapport, le Procureur général de la République a pris deux grandes mesures: il a tout d'abord instauré un système de surveillance et d'inspection en matière de droits de l'homme applicable aux opérations de transfert, d'assignation à résidence et d'extradition des auteurs présumés de délits de caractère fédéral. Il a par ailleurs pris des dispositions pour apporter l'assistance juridique nécessaire aux personnes placées en détention. On trouvera ci-dessous des détails sur les 112 cas dans lesquels il est intervenu pendant l'année en cours:

Mesures de surveillance et d'inspection en matière de droits de l'homme

Type d'action

Nombre de cas

Bénéficiaires

Assignation à résidence

47

86

Visite à des détenus

6

12

Examen médical

46

46

Extradition

42

42

Inspections et déclarations

23

28

Participation aux interventions

1

100

Examens médicaux

6

6

Assignation à résidence

10

131

Total

181

451

263.La seconde mesure adoptée, d'ordre préventif, a consisté à mettre en place un système de permanence assurée 24 heures sur 24 et 365 jours par an ; au cours de ces permanences, les représentants du ministère public relevant de la Direction générale de la protection des droits de l'homme reçoivent toutes les plaintes dénonçant des irrégularités et fournissent les conseils qui leur sont demandés par voie téléphonique ou lors d'entretiens personnels.

264.Il importe en outre de faire savoir que les enquêtes relatives aux délits de caractère fédéral et les poursuites engagées contre leurs auteurs par le ministère public de la Fédération et ses auxiliaires doivent être conduites dans le plus strict respect du droit et des garanties individuelles ainsi que des droits fondamentaux des administrés, conformément aux dispositions de la Constitution politique des Etats-Unis du Mexique, de la législation pertinente et des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels le Mexique est partie. C'est pourquoi le Procureur général de la République a publié la circulaire C/003/2001 qui rappelle aux représentants du ministère public de la Fédération et aux agents du Bureau d'enquête fédéral qu'ils ne doivent imposer ni tolérer aucune forme de détention illégale, et a publié aussi la décision A/068/02 portant création d'unités de protection des droits de l'homme au sein des divers services organiques du Bureau du Procureur général et définissant des lignes directrices aux fins des inspections à réaliser en matière de droits de l'homme. (On trouvera en annexe au présent rapport la circulaire C/003/2001 et la décision A/068/02).

265.De même, les plaintes reçues qui sont au nombre de 243 ont toutes été examinées dans le cadre du programme institutionnel d'orientation et de suivi en matière de droits de l'homme.

Action des représentants du ministère public

266.Dans les paragraphes 146 et 148 du rapport il est fait état de la recommandation 9/2001 de la CNDH laquelle porte sur le cas de M. Mateo Hernández Barajas. Il s'agit en fait, non de la recommandation 9/2001 mais de la recommandation 12/2001. Comme il est dit au paragraphe 148 du rapport, la CNDH a signalé que "le médecin rattaché au Bureau du Procureur général avait violé les droits fondamentaux d'une personne arrêtée (Mateo Hernández Barajas) en établissant à la suite de l'examen de l'intéressé un rapport médical ambigu… permettant difficilement d'établir comment et quand les blessures avaient été infligées et en omettant de surcroît de classer ces blessures."

267.Il convient d'apporter sur ce cas particulier les précisions suivantes:

A la suite de la recommandation 12/2001, le Bureau du Procureur général a ouvert l'enquête préliminaire portant la cote 759/DGPDH/2001 à l'encontre de plusieurs de ses fonctionnaires soupçonnés d'abus d'autorité sur la personne de M. Mateo Hernández Barajas;

Lors de la constitution du dossier pour enquête préliminaire, le ministère public fédéral a demandé plusieurs expertises. (Les avis et résultats d'expertise sont joints en annexe au présent document.);

Une fois le dossier constitué, le ministère public fédéral a engagé une action pénale à l'encontre de trois enquêteurs fédéraux soupçonnés d'être coupables du délit d'abus d'autorité et de violation de domicile;

Le délit présumé de torture ou de traitement cruel à l'encontre de M. Mateo Hernández Barajas n'a pas été établi. Quand la décision d'engager une action pénale à la suite de l'enquête 759/DGPDH/2001 lui a été communiquée, la CNDH n'a formulé aucune objection; dans sa note 15318 en date du 3 juillet 2002, elle a même considéré que sa recommandation 12/2001 était dûment appliquée;

Le Bureau du Procureur général de la République estime que le cas de M. Mateo Hernández Barajas ne doit pas être considéré comme l'un de ceux "où le comportement des experts médicaux affectés aux bureaux des procureurs pour prévenir les actes de torture ou attester qu'il y a eu torture n'aurait pas été approprié."

268.S'agissant de son programme de formation à la prévention et à la lutte contre la torture, le Bureau du Procureur général de la République a pris l'initiative d'élaborer un guide intitulé Dictamen Médico para Posibles Casos de Tortura y/o Maltrato (L'examen médical des victimes présumées d'actes de torture et/ou de mauvais traitements) en vue de prévenir les cas présumés d'actes de torture physique et psychologique et de traitements cruels, inhumains ou dégradants et de mener enquête sur ces actes. Ce guide a été remis à titre de document de travail à la coordonnatrice nationale du Programme de coopération technique entre le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et le gouvernement mexicain.

269.Le personnel du Bureau du Procureur général de la République a participé activement à l'élaboration de la procédure type pour la réalisation d'enquêtes médicales sur les tortures et autres sévices physiques, entreprise en collaboration avec le Conseil international de réadaptation pour les victimes de la torture (CIRT).

270.Le Bureau du Procureur général a procédé à la révision de son guide pour l'examen médical des victimes présumées de torture ; cette mesure, dite de contextualisation, faisait appel aux principes énoncés dans le Protocole d'Istanbul (document établissant des normes universelles en matière d'enquête médicale sur les actes de torture); la demande de révision avait été présentée aux experts internationaux du CIRT, lesquels ont donné leur aval; le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme a officiellement prié l'organisation de procéder à une évaluation dudit projet.

271.Il convient aussi de signaler que le Bureau du Procureur général de la République a sollicité l'assistance technique de l'organisation non gouvernementale portant le nom de Médecins pour les droits de l'homme (Etats-Unis d'Amérique).

272.C'est dans ce contexte qu'a été entrepris un ambitieux programme dont les objectifs sont les suivants:

mettre définitivement au point le document intitulé Dictamen Médico Especializado para Casos de posible Tortura y/o Maltrato;

établir un manuel pour l'application du document ci-dessus, manuel qui fournira aux experts médicaux du Bureau du Procureur général de la République les éléments techniques nécessaires pour se prononcer en se fondant sur les normes internationales en vigueur sur les cas éventuels de torture et/ou de mauvais traitements;

mettre en œuvre le programme de formation intensive destinée aux experts médicaux du Bureau du Procureur général. Cette formation, assurée par des spécialistes de l'ONG des Etats-Unis Médecins pour les droits de l'homme revêt une importance particulière car elle doit permettre d'unifier les critères appliqués par lesdits experts pour enquêter et émettre un avis sur les cas éventuels de torture et/ou de mauvais traitements. La mise en œuvre du programme est prévue pour octobre 2002 et les modalités seront les suivantes:

les premiers bénéficiaires du programme de formation en question seront 48 médecins légistes dont cinq membres d'institutions de la société civile, d'institutions nationales de défense des droits de l'homme et de parquets locaux. Les autres seront des médecins légistes rattachés aux délégations du Bureau du Procureur général dans les différents Etats;

treize conférenciers de renommée mondiale prendront part à ce programme de formation;

les participants à ce programme recevront la version préliminaire du guide de la pratique de l'examen médical des cas présumés de torture et/ou de mauvais traitements ainsi que le manuel du Bureau du Procureur général de la République pour l'application du guide, une sélection d'articles sur le thème de la torture et un CD-ROM contenant des photographies présentant des cas de torture;

il est prévu de faire appel à cinq particuliers choisis par les ONG pour représenter les victimes de torture afin de montrer aux médecins comment procéder pour interroger et examiner les victimes;

il sera établi un code de déontologie mettant l'accent sur l'engagement éthique des médecins légistes chargés d'examiner les victimes d'actes présumés de torture et/ou de mauvais traitements;

il sera constitué un groupe d'experts juridiques composé de représentants d'organisations non gouvernementales, d'institutions nationales de défense des droits de l'homme, de parquets locaux, des différents ministères et barreaux qui sera chargé d'approfondir différentes questions relatives à la protection contre la torture et à l'élimination de cette pratique dans le cadre du domaine de compétence de chacun d'eux.

273.Le gouvernement mexicain travaille actuellement à l'établissement d'une norme officielle en matière de torture qui permettrait de mettre en place une procédure standardisée pour la pratique des examens médicaux et des autopsies visant à déceler d'éventuels cas de torture.

Action des avocats

274.En ce qui concerne le paragraphe 159 du rapport, il convient de signaler que l'Institut fédéral de la défense publique, qui est un organe subsidiaire du Conseil fédéral de la magistrature, exerce des fonctions à la fois de défense et de conseil juridique. Cet Institut est doté de 22 délégations régionales couvrant tout le pays.

275.Il est possible de dire aujourd'hui que ce système s'est consolidé et que les services fournis à la société sont de plus en plus efficaces, principalement parce que ce système relève du pouvoir judiciaire fédéral.

276.Ces services de "défenseur du peuple" (aide juridictionnelle) ont permis de renforcer considérablement la protection des groupes les plus vulnérables de la société mexicaine.

277.Actuellement, l'aide juridictionnelle en matière pénale qui est garantie par les dispositions du paragraphe IX de l'article 20 de la Constitution est accordée à compter de l'enquête préliminaire jusqu'au terme de l'exécution de la sentence pour toutes les procédures judiciaires ordinaires et extraordinaires y compris l'action en protection, de sorte qu'à aucun moment de la procédure ladite garantie ne fait défaut au mis en examen.

278.Qui plus est, il est rattaché un défenseur public à compétence fédérale au moins à chaque organisme d'enquête du ministère public, à chaque tribunal de district qui connaît des affaires pénales et à chaque tribunal itinérant à juge unique.

279.Conformément au code de la fonction publique, seuls peuvent accéder au poste de défenseur ou de conseiller, au premier échelon, les lauréats d'examens organisés sur le mode du concours, ce qui permet de sélectionner les meilleurs candidats.

IV. LES MÉCANISMES LÉGISLATIFS DE PROTECTION CONTRE

LA TORTURE ET LEUR FONCTIONNEMENT

L'interdiction de la torture dans la législation mexicaine

280.En ce qui concerne les renseignements donnés au paragraphe 173 du rapport, concernant en particulier la compilation établie par le Bureau du Procureur général sur les Etats de la Fédération qui ont défini la qualification du délit de torture, il convient de signaler que seul l'Etat de Yucatán n'a pas encore pris de mesures législatives en ce sens.

281.S'agissant de l'article 133 de la Constitution, le gouvernement mexicain tient à faire savoir au Comité qu'il a été formulé une proposition de réforme de la Constitution dans le cadre du mécanisme de dialogue mis en place par la Commission interministérielle pour le suivi des engagements internationaux du Mexique en matière de droits de l'homme. Cette proposition a pour objet d'accorder le statut de disposition constitutionnelle aux normes internationales protégeant la personne humaine, ce qui revient à modifier l'article 133 de la Constitution pour y faire figurer toutes lesdites normes de protection, y compris celles qui sont inscrites dans d'autres instruments que ceux qui sont consacrés spécialement aux droits de l'homme, c'est-à-dire en particulier les normes du droit international humanitaire et du droit des réfugiés.

282.L'amendement en question a pour objet de faire prévaloir dans tous les cas les droits consacrés dans les instruments internationaux qui en règle générale accordent une protection plus large que les normes de droit interne.

L'obligation d'être doté d'un mandat de l'autorité judiciaire pour procéder à une arrestation est une règle générale assortie d'exceptions

283.Le gouvernement mexicain estime qu'il y a confusion au paragraphe 178 du rapport dans lequel il est dit que "le délai est multiplié par deux si le motif invoqué pour procéder à l'arrestation est que le suspect prend part au crime organisé même si, finalement, le chef d'inculpation retenu est un délit de droit commun."

284.Dans la législation mexicaine, le délai de 48 heures est doublé pour prolonger la détention sous la responsabilité du ministère public quand celui-ci a affaire au crime organisé et cela ne vise pas à doubler le délai pendant lequel il est possible de poursuivre l'intéressé pour flagrant délit, car, dans ce dernier cas, l'intéressé peut être maintenu en détention sans mandat d'arrêt jusqu'à 48 heures après les faits comme le dispose l'article 193 du code de procédure pénale qui ne prévoit pas de prolongation du délai en question.

V. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

285.Le gouvernement mexicain affirme à nouveau être disposé à donner suite aux recommandations du Comité et à prendre toutes les mesures voulues pour les mettre dûment en œuvre car il tient non seulement à s'acquitter de ses obligations internationales mais tout particulièrement à montrer qu'il est convaincu que c'est là un moyen légitime et efficace de promouvoir les changements qui s'imposent sur le plan intérieur pour garantir au Mexique le plein exercice des droits de l'homme.

286.C'est ainsi que l'examen de ces recommandations et l'élaboration des mesures à prendre pour leur donner suite contribueront à la mise au point de la politique des droits de l'homme que le gouvernement mexicain s'est engagé à adopter et en particulier à la révision des mesures à prendre pour lutter efficacement contre la torture.

287.L'importance que le Mexique accorde aux travaux du Comité ressort également du fait que le Mexique a récemment reconnu la compétence du Comité pour examiner des communications et a soutenu l'adoption du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, Protocole autorisant des visites dans les centres de détention.

288.Cela dit, le Mexique présente ci-après quelques réflexions d'ordre juridique sur les questions dont le Comité fait état dans ses recommandations afin de compléter l'information dont le Comité dispose.

289.Il convient avant tout de faire observer que le rapport met en évidence, parmi les facteurs qui expliquent pourquoi la pratique de la torture persiste au Mexique, divers éléments étroitement liés aux amendements apportés aux articles 16 et 20 de la Constitution des Etats-Unis du Mexique et publiés au Journal officiel de la Fédération le 3 septembre 1993.

290.Ces amendements à ces articles de la Constitution visaient à établir un juste équilibre entre les principes de sécurité et de liberté dans l'intérêt de la société elle-même et aux fins de protéger les droits de l'homme, les garanties individuelles, l'administration efficace et rapide de la justice tant au stade de l'enquête que lors de la procédure judiciaire; cette réforme visait également à consolider le cadre civilisé des comportements en affirmant à nouveau implicitement que le système pénal mexicain s'appuie sur les garanties consacrées par la Constitution et sur une règle impérative qui est que le ministère public et le juge ne peuvent ni ne doivent aller plus loin que ce qu'autorise le cadre juridique.

291.Le gouvernement mexicain examine pourtant aujourd'hui la possibilité de réformer le système de l'administration de la justice et de prendre en considération à cette fin les observations formulées dans son rapport par le Comité.

292.Le Mexique tient à dire une fois encore qu'il veut supprimer la pratique de la torture et prendre pour y parvenir les mesures qui s'imposent. Tout comme le Comité il est d'avis qu'on ne doit pas considérer le phénomène de la torture comme ayant un caractère systématique au sens d'une pratique tolérée ou approuvée par les autorités.

293.En ce qui concerne le paragraphe 217 du rapport où il est dit que les cas de torture sont méconnus, le Mexique signale que, lors de l'entretien entre le Comité et le pouvoir judiciaire, le fait qu'il ait pu être infligé des souffrances a été évoqué comme une simple possibilité, c'est-à-dire que l'existence de tels cas n'a été ni confirmée ni écartée.

294.De même, à l'échelon fédéral, l'existence de cas de souffrances infligées a été qualifiée d'hypothétique.

295.En ce qui concerne les alinéas c) et g) du paragraphe 219 du rapport, nous rappelons que le paragraphe II de l'article 20 de la Constitution impose aux autorités de respecter les droits de l'homme en faveur des personnes faisant l'objet d'une procédure pénale, ladite obligation s'énonçant comme suit: "[Le mis en examen] ne peut être contraint de déposer contre lui-même…" Et cette obligation est énoncée plus fermement encore dans la législation subsidiaire car l'article 134 du code fédéral de procédure pénale dispose à l'avant-dernier alinéa: "… Quand un individu est détenu plus longtemps qu'il n'est prévu à l'article 16 de la Constitution, il y aura présomption de détention au secret et les dépositions du suspect seront sans valeur." En outre, la loi fédérale visant à prévenir et à réprimer la torture, publiée au Journal officiel de la Fédération le 27 décembre 1991 dispose à l'article 8 qu'il n'est pas possible de produire des aveux ou des renseignements obtenus sous la torture car ils sont sans valeur probante. Et l'article 9 de la même loi ajoute que les aveux faits devant l'autorité de police, le ministère public ou l'autorité judiciaire hors de la présence du défenseur ou d'une personne de confiance du mis en examen et, le cas échéant, du traducteur n'ont pas valeur de preuve.

296.Il est donc évident qu'est sanctionnée toute détention au secret, toute intimidation et toute torture et que les aveux du mis en examen doivent être faits librement, devant le ministère public ou devant le juge et en présence de son défenseur, faute de quoi ils n'ont aucune valeur probante. Dans cet esprit, le pouvoir judiciaire de la Fédération a reconnu dans sa jurisprudence et affirmé à nouveau l'idée que les aveux obtenus de manière illicite n'ont pas valeur probante, que la police n'est aucunement habilitée à recueillir des dépositions ayant le caractère d'aveux et que, même si lesdites dépositions sont confirmées devant le ministère public, cette circonstance leur confère non pas valeur de preuve mais seulement valeur de simples indices.

297.Quant aux aveux du mis en examen portant sur des faits susceptibles d'être retenus contre lui, ils doivent être parfaitement conformes à l'obligation énoncée à l'article 127 bis, premier alinéa lu conjointement avec l'article 287, paragraphe II du code susvisé, ladite obligation consistant à respecter le droit du mis en examen de désigner un avocat ou une personne de confiance qui sera présente lors de la déposition, faute de quoi celle-ci n'aura strictement aucune valeur de preuve; par conséquent, si cet élément de preuve devait être le fondement principal d'une décision, celle-ci serait prise en violation des garanties individuelles de l'intéressé qui sont consacrées à l'article 16 de la Constitution fédérale.

298.Les dispositions rappelées ci-dessus montrent bien que, même quand une personne lui est "présentée aux fins de déposer", le ministère public a l'obligation absolue de respecter les garanties individuelles de ladite personne.

299.En ce qui concerne l'alinéa f) du paragraphe 219 du rapport, où il est indiqué que l'impunité semble être la règle à l'égard des policiers se livrant à la pratique de la torture, il convient de ne pas oublier que, conformément à l'article 21 de la Constitution, c'est au juge exclusivement qu'incombe l’obligation de prononcer les peines, il ne peut s'y soustraire au bénéfice des parties, c'est-à-dire qu'il est dans l'impossibilité de déléguer ce pouvoir. De même, c’est le ministère public qui est tenu d'assurer les poursuites en cas de délit en exposant sa thèse de façon à orienter lesdites poursuites mais sans indiquer du tout quelle décision il faut adopter, car, dans le cas contraire, le pouvoir de décision serait soumis à la volonté de l'une des parties ce qui serait incompatible avec nos principes constitutionnels.

300.En sus de l'article 21 de la Constitution qui dit à qui incombe l'exercice de l'action pénale, plusieurs dispositions de la législation qui a été adoptée à la suite de la Constitution indiquent que le pouvoir judiciaire de la Fédération n'a pas à veiller à ce que les résultats de chaque procédure correspondent à ce que souhaite celui qui exerce l'action pénale. Il suffit de s'en tenir à ce sujet aux dispositions des articles 4 et 5 du code fédéral de procédure pénale qui se lisent comme suit:

"Article 4 – Les procédures d'instruction préliminaire, d'instruction et de première instance ainsi que la seconde instance devant la juridiction d'appel constituent la procédure pénale fédérale dans le cadre de laquelle il appartient exclusivement aux tribunaux fédéraux de déterminer si un fait constitue ou non un délit fédéral, d'établir la responsabilité ou l'irresponsabilité pénale des personnes poursuivies devant ces tribunaux et de prononcer les peines et mesures de sûreté requises conformément à la loi.

Au cours de ces procédures, le ministère public et la police judiciaire qui en relève exercent, le cas échéant, les fonctions indiquées au paragraphe II de l'article 2 et il appartient au ministère public de veiller à ce que les tribunaux fédéraux appliquent strictement les lois pertinentes et à ce que leurs décisions soient dûment appliquées.

Article 5 – Au stade de la procédure d'exécution, le pouvoir exécutif par l'intermédiaire de l'organe déterminé par la loi applique les peines et les mesures de sûreté prononcées par les tribunaux et il appartient au ministère public de veiller à ce que les décisions de justice soient dûment exécutées."

301.Dans le même sens, la loi organique portant organisation du Bureau du Procureur général de la République dispose:

Article premier: "La présente loi a pour objet d'organiser le Bureau du Procureur général de la République qui relève du pouvoir exécutif fédéral et a pour fonctions d'exécuter les tâches imparties au ministère public de la Fédération et à son représentant, le Procureur général de la République, par la Constitution politique des Etats-Unis du Mexique, par la présente loi et par les autres dispositions applicables."

Article 2: "Les attributions du ministère public de la Fédération sont les suivantes:

Veiller à faire respecter la constitutionnalité et la légalité dans son domaine de compétence sans préjudice des attributions imparties à d'autres autorités juridictionnelles ou administratives;

Faire en sorte que justice soit rendue dans les meilleurs délais et en bonne et due forme;

Veiller au respect des droits de l'homme dans son domaine de compétence;

Intervenir auprès des autorités judiciaires dans toutes les affaires dans lesquelles la Fédération est partie quand il y va de ses intérêts propres ou qu'elle engage son intérêt juridique ainsi que dans les affaires concernant les diplomates et les consuls généraux;

Assurer les poursuites quand sont commis des délits de caractère fédéral;

XI.Exercer toutes les autres fonctions définies par la loi."

302.En outre, sans méconnaître pour autant l'obligation qui incombe donc aux organes juridictionnels d'administrer la justice avec célérité et efficacité, nous rappellerons qu'il existe d'autres organismes que la loi habilite également à exercer un contrôle et à empêcher que les policiers pratiquant la torture bénéficient de l'impunité. La loi portant création de la Commission nationale des droits de l'homme dispose à ce sujet:

Article 71: "La Commission nationale peut présenter un rapport spécial lorsque, malgré les requêtes qu'elle a adressées aux autorités et agents de la fonction publique qui sont tenus d'intervenir ou de collaborer aux enquêtes qu'elle mène, ces derniers persistent à recourir aux faux-fuyants ou à faire preuve d'immobilisme.

La Commission nationale dénonce aux organes compétents les délits ou fautes commis par les autorités ou agents de la fonction publique en question, indépendamment des comportements visés ci-dessus.

S'agissant des particuliers qui commettent des erreurs ou des délits dans le cadre des procédures de la Commission nationale, celle-ci les signale aux autorités compétentes qui les sanctionneront conformément aux lois en la matière."

Article 72: "La Commission nationale doit porter à la connaissance des autorités supérieures compétentes les actes ou omissions imputables aux autorités et aux agents de la fonction publique au cours des enquêtes ou à l'occasion des enquêtes réalisées par la Commission aux fins des sanctions administratives prévues. L'autorité supérieure doit informer la Commission nationale des mesures adoptées ou des sanctions disciplinaires prononcées."

Article 73: "La Commission nationale non seulement signale les délits et fautes administratives que peuvent commettre les autorités et agents de la fonction publique lors de ses enquêtes mais peut aussi demander que le responsable du service dont il s'agit fasse l'objet d'un avertissement public ou privé selon le cas."

303.Il convient donc de souligner que le monopole de l'action pénale et des poursuites à engager en cas de délit appartient bien, conformément à l'article 21 de la Constitution, au ministère public qui, dans l'exercice de ladite fonction, est tenu de veiller à l'application de la loi devant les tribunaux relevant de sa compétence. Le juge, quant à lui, doit se limiter à recueillir les preuves présentées par les parties en vertu de la loi sans chercher à se situer à charge ou à décharge, afin de conserver son indépendance de jugement. C'est au juge et au juge exclusivement qu'il appartient de prononcer les peines.

Observations sur les recommandations

304.La recommandation formulée à l'alinéa a) du paragraphe 220 du rapport a trait à l'une des conclusions dudit rapport qui est que l'un des facteurs expliquant la persistance de la pratique de la torture au Mexique est que la garantie constitutionnelle en vertu de laquelle il n'est possible de placer une personne en détention que sur présentation d'un mandat émanant de l'autorité judiciaire est assortie d'exceptions très étendues. Lesdites exceptions autorisent à arrêter le suspect dans les cas d'urgence et de flagrant délit.

305.Il convient de préciser à cet égard que l'article 16 de la Constitution prévoit au troisième alinéa que, dans les cas de flagrant délit, un particulier quelconque peut arrêter le suspect puis le mettre sans délai à la disposition de l'autorité la plus proche laquelle doit avec la même célérité le mettre à la disposition du ministère public.

306.L'article 193 du code fédéral de procédure pénale stipule ce qui suit:

"Les conditions du flagrant délit sont réunies lorsque:

I.Le mis en examen est arrêté au moment où il commet le délit;

II.Le mis en examen est poursuivi matériellement immédiatement après avoir commis le délit; ou

III.Le mis en examen est désigné comme responsable de l'acte par la victime, par un témoin présent au moment des faits ou ayant participé à la commission du délit, ou bien le mis en examen est trouvé en possession de l'objet, de l'instrument ou du produit du délit ou encore lorsque des traces ou des indices font présumer de manière fondée que l'intéressé a pris part au délit, à condition qu'il s'agisse d'un délit grave, qualifié comme tel par la loi, que le délai écoulé à compter du moment où l'acte délictueux a été commis n'est pas supérieur à 48 heures, que l'enquête préliminaire ait été ouverte et que les poursuites engagées contre l'auteur du délit n'aient pas été interrompues.

En pareil cas, le ministère public décide le placement en détention du suspect si les conditions requises sont réunies à cette fin et si le délit dont il s'agit est puni d'une peine privative de liberté, ou bien ordonne sa mise en liberté quand la peine encourue n'est pas une peine privative de liberté ni une peine de substitution.

Quiconque ordonne le placement en détention en violation des dispositions de l'alinéa précédent engage sa responsabilité pénale et la personne placée en détention doit être immédiatement remise en liberté.

Quand il décide de placer l'intéressé en détention, le ministère public ouvre immédiatement l'enquête préliminaire pertinente s'il ne l'a pas déjà fait."

307.La seconde exception à la garantie relative à l'obligation d'être muni d'un mandat de l'autorité judiciaire pour procéder au placement en détention du mis en examen est énoncée au quatrième alinéa de l'article 16 de la Constitution qui habilite le ministère public à ordonner, sous sa responsabilité, la capture du suspect dans les cas d'urgence, quand le délit commis est un délit grave aux termes de la loi, quand on court réellement le risque de voir le suspect se soustraire à l'action de la justice et quand, en raison de l'heure, du lieu ou des circonstances, on ne peut pas s'adresser à l'autorité judiciaire; le procureur doit préciser les indices et les normes juridiques qui motivent et fondent l'ordre de placement en détention qu'il émet à ce moment-là.

308.La règle constitutionnelle ci-dessus dispose en outre que le placement en détention doit être confirmé par le juge saisi de l'affaire et qu'au cas où ces conditions ne seraient pas remplies, le suspect doit être remis immédiatement en liberté. Cette disposition est développée à l'article 193 bis du code fédéral de procédure pénale dans les termes suivants:

"Dans les cas d'urgence, le ministère public peut sous sa responsabilité ordonner par écrit le placement en détention d'une personne quelconque en précisant les indices qui donnent à penser:

que le suspect a participé à la commission de l'un des délits qualifiés de graves à l'article suivant;

qu'il existe un risque réel de voir le suspect se soustraire à l'action de la justice; et

qu'en raison de l'heure, du lieu ou de toute autre circonstance, il n'est pas possible de demander à l'autorité judiciaire de décerner le mandat d'arrêt.

La violation de cette disposition engage la responsabilité pénale du ministère public ou du fonctionnaire qui ordonne le placement en détention et la personne détenue est immédiatement remise en liberté."

309.A l'examen, les règles constitutionnelles et les dispositions subsidiaires adoptées qui sont citées ci-dessus délimitent très clairement "l'étendue" de l'autorisation donnée par la Constitution de placer le suspect en détention dans les cas de flagrant délit et dans les cas d'urgence. L'article 193 du code fédéral de procédure pénale définit en effet de façon limitative les circonstances du flagrant délit: l'arrestation a lieu au moment où le délit est commis; immédiatement après la commission du délit et le suspect est poursuivi matériellement, ou doit être désigné comme responsable par la victime, par un témoin présent lors des faits ou ayant participé au délit avec le suspect, ou bien le suspect est trouvé en possession de l'objet, de l'instrument ou du produit du délit ou encore présente des traces ou des indices faisant présumer qu'il a participé au délit. En outre, l'article en question renforce encore le principe de la sécurité juridique en prescrivant que, pour que l'arrestation soit légale, le délit imputé au suspect doit être de ceux que la loi qualifie de graves et que le délai écoulé depuis la commission de l’acte délictueux ne doit pas être supérieur à 48 heures. Enfin, il faut que l'enquête préliminaire ait été ouverte et que le délit fasse toujours l'objet de poursuites.

310.En ce qui concerne le pouvoir imparti au ministère public d'ordonner le placement en détention du suspect dans les cas d'urgence, les conditions à remplir sont également définies par l'article 16 de la Constitution et par l'article 193 bis du code fédéral de procédure pénale. Le privilège est limité en ce sens que son exercice n'est légal que s'il est assuré exclusivement par le représentant du ministère public, uniquement quand des éléments indiquent que le mis en examen a pris part à l'un des délits que la loi qualifie de graves et quand on court le risque réel de voir le suspect se soustraire à l'action de la justice. Il faut aussi qu'en raison de l'heure, du lieu ou de toute autre circonstance on ne puisse pas s'adresser à l'autorité judiciaire pour lui demander de décerner le mandat d'arrêt. La règle constitutionnelle dont il s'agit fait en outre état d'un moyen de contrôle de la légalité de l'acte par le juge qui, quand il reçoit - sans délai – l'acte lui déférant le suspect doit immédiatement établir que l'acte est conforme à ce qu'autorise la Constitution et, dans le cas contraire, doit ordonner la mise en liberté de la personne arrêtée.

311.Les dispositions législatives ci-dessus permettent de conclure que, dans les cas de flagrant délit comme dans les cas d'urgence, il est possible de tenir le ministère public ou le fonctionnaire qui ordonne indûment l'incarcération ou le placement en détention pour pénalement responsable.

312.En outre, l'article 193 du code fédéral de procédure pénale prévoit de revenir à titre préliminaire sur le pouvoir d'ordonner le placement en détention pour flagrant délit en disposant qu'en pareil cas, le ministère public ne doit ordonner le placement en détention du suspect que si les conditions requises à cette fin sont remplies et si le délit commis est passible d'une peine privative de liberté, ou que le ministère public libère la personne mise en examen si le délit commis n'est pas passible d'une peine privative de liberté ni d'une peine de substitution.

313.Renforçant encore l'obligation d'examiner les décisions par lesquelles le ministère public ordonne l'incarcération ou le placement en détention telle qu'elle a été définie par la Constitution et la législation subsidiaire à l'étude, le pouvoir judiciaire de la Fédération a maintes fois décrété que le juge, quand un suspect lui est déféré, doit non seulement voir si l'arrestation a été opérée en flagrant délit ou relève de l'un des cas d'urgence définis par la loi, mais encore préciser quel est le délit ou quels sont les délits imputé(s) au suspect isolé ou aux divers suspects, en quoi consistait l'état de flagrant délit ou, le cas échéant, l'état d'urgence, et sur quelles preuves tout cela repose. Ce dispositif consolide le principe de certitude juridique dans l'intérêt d'une meilleure protection des droits de l'homme car c'est cette décision-là qui va restreindre la liberté individuelle du suspect jusqu'à ce que sa situation juridique soit réglée.

314.De même, les articles 193 et 193 bis visés ci-dessus prescrivent catégoriquement que la violation de leurs dispositions engage la responsabilité pénale de celui qui ordonne indûment l'incarcération ou le placement en détention et que la personne détenue doit être immédiatement remise en liberté. Ces indications sont corroborées par les extraits de la jurisprudence qui sont cités en annexe.

315.Par ailleurs, pour considérer que l'on a affaire à un cas de flagrant délit au sens du troisième alinéa de l'article 193 du code fédéral de procédure pénale, il faut que le délai écoulé depuis l'arrestation ne soit pas supérieur à 48 heures, mais, en ce qui concerne cette condition, le pouvoir judiciaire de la Fédération a estimé qu'il n'était pas toujours indispensable de respecter précisément ce délai, ni de maintenir un délai aussi long car il convient d'analyser les circonstances propres à chaque cas d'espèce; on constate donc une tendance à réduire ce délai comme cela ressort de la jurisprudence jointe en annexe.

316.D'autre part, voulant renforcer le principe de la sécurité juridique en faveur des justiciables, le pouvoir judiciaire de la Fédération a aussi considéré que le recours en appel représentait une autre mesure de contrôle et pouvait donc être formé contre la qualification du placement en détention qui est retenu dans les cas d'exception visés à l'article 16 de la Constitution.

317.Supprimer le pouvoir imparti au ministère public d'ordonner le placement en détention du mis en examen dans les cas de flagrant délit et les cas d'urgence impose d'amender la Constitution, ce qui ne relève pas du pouvoir judiciaire de la Fédération.

318.Pour ce qui est du délai qui détermine le caractère "quasi flagrant" du délit, comme il est dit dans le rapport, le pouvoir judiciaire de la Fédération a déjà indiqué, comme nous l'avons vu, que cet élément temporel ne doit pas être interprété comme devant être strictement de 48 heures ni même peut-être de 24 heures comme il est proposé mais est fonction des caractéristiques propres à chaque affaire.

319.Pour les cas d'urgence, remplacer la législation actuellement en vigueur par une procédure qui permette au ministère public d'obtenir plus facilement de l'autorité judiciaire un mandat d'arrêt à tout moment, qui l'oblige par ailleurs à rendre immédiatement compte à l'autorité judiciaire de toute arrestation, à déférer le suspect dans le délai de 24 heures, la nouvelle procédure comprenant en outre un système d'information du public permettant de diffuser sur tout le territoire mexicain des renseignements relatifs aux arrestations opérées, représente un autre aspect du problème qui imposerait d'amender divers textes législatifs, notamment la Constitution, ce qui ne relève pas du pouvoir judiciaire de la Fédération.

320.En ce qui concerne l'alinéa c) du même paragraphe 220 du rapport, dans lequel le Comité recommande la mise en place d'une procédure d'inspection des lieux de détention, il y a lieu de signaler que le gouvernement mexicain a soutenu activement l'adoption du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants visant à mettre en place un système de visites dans tous les centres de détention qui serait à réaliser par un mécanisme international secondé par un mécanisme national.

321.Le Mexique a manifesté beaucoup d'intérêt pour la méthode de prévention et de coopération adoptée dans le Protocole, qui est à la fois efficace et de large portée et vise la mise en pratique des recommandations faisant suite aux visites effectuées dans les centres de détention. C'est pourquoi le Mexique a soutenu l'action menée par le Groupe de travail chargé de l'élaboration du Protocole pour produire finalement un texte équilibré, lequel a été adopté à la 58ème session de la Commission des droits de l'homme.

322.En ce qui concerne l'alinéa e) du même paragraphe 220 du rapport, la législation subsidiaire en vigueur (avant-dernier alinéa de l'article 134 du code fédéral de procédure pénale) prévoit ceci:

"Au cas où la détention aurait une durée supérieure aux délais indiqués à l'article 16 de la Constitution, il y aura présomption de mise au secret et les dépositions du suspect seront nulles et non avenues…"

323.Il ne faut pas non plus oublier que, en vertu des dispositions du paragraphe I de l'article 4 et du paragraphe III de l'article 11 de la loi fédérale relatives aux services du défenseur public, lesquelles autorisent les défenseurs publics fédéraux à intervenir dans la procédure pénale, ces défenseurs qui ne sont pas à proprement parler des autorités judiciaires peuvent exercer une surveillance sur le comportement de l'autorité chargée de l'enquête en ce qui concerne les suspects incarcérés ou placés en détention. Les articles en question se lisent comme suit:

Article 4: "Les services de défense publique sont assurés:

I.Dans les affaires pénales fédérales, par des avocats de la défense publique, depuis l'ouverture de l'enquête préliminaire jusqu'à l'exécution de la peine."

Article 11: "Le service du défenseur public devant le ministère public de la Fédération consiste notamment:

III.A s'entretenir avec le défendeur pour recueillir oralement sa version personnelle des faits motivant l'ouverture d'une enquête préliminaire contre lui et de connaître les arguments et les preuves susceptibles de justifier ou d'expliquer sa participation aux faits afin de les faire valoir devant l'autorité chargée de connaître de l'affaire…".

324.S'agissant des restrictions apportées au droit à défense des personnes arrêtées, une analyse systématique et téléologique des raisons profondes qui sont à l'origine des amendements apportés à l'article 20 de la Constitution fédérale et publiés au Journal officiel de la Fédération le 3 septembre 1993 ainsi que l'analyse des décisions des commissions du Congrès de l'Union et de leurs débats montrent que le pouvoir constituant, pour répondre aux besoins sociaux et économiques du pays et pour supprimer d'anciennes pratiques vexatoires et infamantes auxquelles l’individu était soumis lors de l'enquête relative à un délit, a mis en place les bases voulues pour qu'au cours du procès le responsable présumé d'un délit bénéficie d'une défense adéquate: le mis en examen aura donc la possibilité d'apporter des preuves, de contester les décisions de l'autorité qui compromettent les intérêts légitimes de la défense, d'exposer de façon systématique le droit applicable à l'espèce et de tirer parti de tous les avantages que la législation offre à la défense; le Congrès a également élargi les garanties du mis en examen au stade de l'enquête préliminaire, sous réserve que lesdites garanties soient compatibles "avec la nature administrative de ladite enquête", c'est-à-dire que, à condition que la nature des actes ou procédures nécessaires dans le cadre de l'enquête préliminaire le permettent, les garanties reconnues au mis en examen dans la phase juridictionnelle pourront être parfaitement respectées.

325.La législation subsidiaire rend bien compte de l'esprit dont procédaient les amendements à la Constitution: l'article 128 du code fédéral de procédure pénale dispose:

"Quand le mis en examen est arrêté ou se présente spontanément devant le ministère public fédéral, la procédure à suivre immédiatement est la suivante:

I.La personne ayant procédé à l'arrestation ou la personne devant laquelle le suspect a comparu consigne le jour, l'heure et le lieu de l'arrestation ou de la comparution ainsi que, le cas échéant, le nom et les fonctions de la personne ayant ordonné l'arrestation. Si cette dernière a été opérée par une autorité ne relevant pas du ministère public, le rapport portera ou portera ensuite les renseignements détaillés signés par la personne ayant opéré l'arrestation ou ayant reçu la personne arrêtée;

II.Le mis en examen sera informé des faits qui lui sont reprochés et du nom de l'accusateur ou du plaignant;

III.Le mis en examen sera informé des droits que lui confère la Constitution des Etats-Unis du Mexique et, notamment pendant l'enquête préliminaire, des droits ci-après:

S’abstenir de toute déposition s'il ne souhaite pas déposer, ou, dans le cas contraire, déposer avec le concours de son défenseur;

Assurer lui-même sa défense ou se faire défendre par un avocat ou une personne de confiance, ou bien, s'il ne veut pas ou ne peut pas désigner de défenseur, se faire attribuer un avocat commis d'office;

Bénéficier de la présence de son défenseur lors de la présentation de tous les moyens de preuve liés à l'enquête;

Recevoir tous les éléments qu'il aura demandés pour se défendre et qui figurent dans le dossier d'instruction et, à cet effet, être autorisé avec son défenseur à consulter dans les bureaux du ministère public et en présence de son personnel les pièces du dossier de l'enquête préliminaire;

Produire les témoins et autres preuves à décharge pour que ceux-ci soient pris en compte par l'autorité qui prendra la décision pertinente, en disposant du temps nécessaire à cet effet, à condition que cela ne retarde pas indûment l'enquête et que les personnes qu'il veut faire témoigner se trouvent sur les lieux de l'enquête. Quand il n'est pas possible d'administrer les preuves que le mis en examen ou son défenseur veut produire, l'autorité judiciaire devra se prononcer sur la recevabilité des preuves et sur leur examen; et

Bénéficier dès qu'il en fait la demande de la mise en liberté provisoire sous caution, conformément aux dispositions du paragraphe I de l'article 20 de la Constitution et aux termes du deuxième alinéa de l'article 135 du présent code;

Aux fins des alinéas b) et c), le suspect sera autorisé à entrer en contact avec les personnes de son choix, par téléphone ou par tout autre moyen de communication disponible ou en personne si les intéressés sont présents;

Les informations données au mis en examen au sujet des droits visés ci-dessus sont consignées au procès-verbal;

IV.Quand le mis en examen est un autochtone ou un étranger qui ne parle pas suffisamment ni ne comprend suffisamment l'espagnol, il lui sera désigné un traducteur qui l'informera des droits visés au paragraphe précédent. S'il s'agit d'un étranger, l'arrestation est immédiatement signalée à la représentation diplomatique ou consulaire du pays concerné; et

V.Dans tous les cas, les hommes et les femmes seront séparés dans les lieux de détention ou d'incarcération.

En interprétant la disposition ci-dessus, les tribunaux du pouvoir judiciaire de la Fédération ont adopté pour principe que le mis en examen doit bénéficier des services d'un défenseur à compter du moment même de son arrestation."

326.Sur le même point, le pouvoir judiciaire de la Fédération a souligné dans plusieurs décisions une conséquence découlant nécessairement de l'obligation ci-dessus qui est faite à l'autorité: c'est bien celle-ci qui est tenue de désigner un défenseur pour le suspect à compter du moment où il est déféré devant elle, mais c'est au mis en examen lui-même qu'il incombe de faire respecter son droit.

327.En ce qui concerne le droit qu'ont les autochtones d'être aidés par des interprètes et des défenseurs, la Constitution dispose à l'article 2 que "les autochtones ont à tout moment le droit d'être assistés par des interprètes et des défenseurs qui connaissent leur langue et leur culture." Le droit aux services d'un traducteur est également prévu dans le code pénal fédéral et dans la majorité des législations locales comme dans d'autres textes législatifs subsidiaires.

328.Pour mettre cette disposition en pratique, les autorités judiciaires adoptent diverses mesures et font appel à diverses stratégies. Les tribunaux agraires fédéraux, par exemple, dispensent un programme de formation de traducteurs et tiennent un répertoire de locuteurs de différentes langues. Dans d'autres cas, l'Institut national des questions autochtones (el Instituto Nacional Indigenista) vient en aide aux tribunaux en leur envoyant des interprètes ou en les mettant en contact avec des interprètes. Dans les situations d'urgence, on fait également appel à des proches de la famille du mis en examen.

329.Toutefois, à ce jour, la majorité des services du parquet et la majorité des tribunaux ne disposent pas véritablement d'un corps de traducteurs à même de garantir dans l'immédiat le respect de ce droit et la situation est encore plus complexe pour les autochtones qui sont arrêtés hors de leur communauté d'origine. De même, la diversité des langues autochtones parlées dans le pays et de leurs variantes explique qu'il soit souvent très difficile de trouver le bon interprète. Pour savoir comment cette garantie est véritablement respectée actuellement, il faudrait procéder à une enquête à l'échelle nationale qui puisse donner les pourcentages, la fréquence, les modalités du recours aux interprètes.

330.En ce qui concerne la recommandation formulée à l'alinéa g) du paragraphe 220 du rapport, laquelle vise à limiter la compétence des tribunaux militaires aux délits commis dans l'exercice des fonctions et à adopter les dispositions législatives nécessaires pour confier aux juridictions civiles les décisions relatives aux délits d'atteinte aux droits de l'homme, en particulier la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants perpétrés par des militaires, même quand il est indiqué que le délit est commis dans l'exercice des fonctions, il y a lieu de signaler que les décisions des juridictions militaires sont actuellement, en vertu de la Constitution, soumises à l'examen des juridictions fédérales ordinaires par le biais du recours en amparo.

331.En ce qui concerne les alinéas b), c) et d) du paragraphe 221 du rapport qui ont trait au délai à respecter pour déférer les personnes arrêtées à l'autorité judiciaire, le cinquième alinéa de l'article 16 de la Constitution fixe, à titre de règle générale, un délai de 48 heures, ce qui laisse au ministère public assez de temps pour procéder aux investigations voulues alors que le suspect est arrêté, ce qui est logique puisque c'est la personne arrêtée qui va donner les preuves voulues pour renvoyer l'affaire en justice, tout particulièrement quand il y a lieu de mener une enquête préliminaire. C'est encore plus logique si l'on considère que ce délai est inférieur à celui qui est accordé au juge par l'article 19 de la Constitution pour apprécier l'ensemble des preuves recueillies lors de l'enquête préliminaire; mais surtout il s'agit d'un délai qui s'écoule au bénéfice du suspect et du droit qu'il a d'apporter des preuves au cours de l'interrogatoire. De toute façon, la définition d'un délai limite le temps dont les autorités disposent pour enquêter sur les faits et tout dépassement du délai est sanctionné par la loi.

332.Il est également logique, dans les cas relevant aux termes de la loi du crime organisé, que le ministère public soit habilité à allonger d'autant le délai prévu car sa tâche est alors plus complexe en raison de la gravité du délit, de la difficulté éprouvée à mener l'investigation jusqu'au bout car il faut non seulement établir qu'un délit a été commis et que la personne du suspect lui est liée mais aussi faire la preuve des liens existant entre le suspect et les autres éléments de l'organisation criminelle car la délinquance organisée, en prenant de l'ampleur, devient constamment plus complexe et plus perfectionnée.

333.Le délai à respecter pour déférer le suspect au ministère public est déterminé par différents facteurs.

334.Il est dit dans le rapport que si la pratique de la torture subsiste au Mexique, c'est aussi qu'il n'existe pas de contrôle exercé par un organe judiciaire pendant que les personnes arrêtées sont placées à la disposition du ministère public et qu'il n'existe pas de procédure d'inspection efficace des lieux de détention par une autre autorité que leur autorité de tutelle. Toutefois, dans notre système juridique, même si le suspect arrêté ou détenu par le ministère public ne bénéficie pas d'une procédure spécifique à cette fin de contrôle, il bénéficie néanmoins de la procédure d'amparo. Cela lui permet d'être mis à la disposition du juge d'amparo pour ce qui concerne sa liberté personnelle, même si pour ce qui concerne la procédure, il est à la disposition du juge devant lequel il a été déféré ou, le cas échéant, du ministère public. La procédure d'amparo peut être engagée, quand la loi applicable au délit dont il s'agit le permet, non seulement par le plaignant mais aussi par des tiers.

335.En outre, le pouvoir judiciaire de la Fédération exerce sa fonction de surveillance quand la Constitution l'y autorise, c'est-à-dire lorsque le ministère public engage l'action pénale.

336.Par ailleurs, dans l'hypothèse où le placement en détention ordonné par le ministère public dans les cas relevant de sa compétence serait illégal, il incombe au pouvoir judiciaire de la Fédération de prendre immédiatement les mesures voulues pour que le mis en examen jouisse à nouveau de sa liberté.

Liste des annexes

1.Rapport sur les politiques adoptées en matière de droits de l'homme et les progrès réalisés. Gouvernement de la République, août 2002.

2.Allocution du Président Vicente Fox présentant le rapport sur les politiques adoptées en matière de droits de l'homme et les progrès réalisés, août 2002.

3.Informations mises à jour sur les cas visés au paragraphe 13 du rapport du Comité.

4.Bureau du Procureur général de la République, affiches de la campagne organisée pour la lutte contre la torture.

5.Circulaire C/003/2001 du Procureur de la République rappelant aux fonctionnaires du ministère public et aux agents du Bureau d'enquête fédéral qu'ils doivent s'abstenir de toutes les formes d'arrestation illégale.

6.Rapport du comité chargé des droits civils et politiques.

7.Avis techniques rendus dans le cas de Norberto Jesús Suárez Gómez.

8.Résolution administrative 076/00 de l'Institut national des migrations.

9.Bureau du Procureur général de la République, décision n° A/068/02 portant création d'unités de protection des droits de l'homme dans les divers services du Bureau et définissant les principes directeurs à observer pour opérer des inspections en matière de droits de l'homme.

10.Avis techniques rendus dans le cas de Mateo Hernández Barajas.

11.Analyse du rapport émanant de la Cour suprême de la Nation.

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