Présentée par:

Teun Sanders (représenté par un conseil, B. W. M. Zegers)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays‑Bas

Date de la communication:

12 juin 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 97, communiquée à l’État partie le 3 juillet 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

25 juillet 2005

Objet: Indépendance de la magistrature: Nomination d’avocats comme juges suppléants

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Droit à un procès équitable et impartial

Article du Pacte: Article 14

Article du Protocole facultatif: Article 2

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt ‑quatrième session

concernant la

Communication n o  1193/2003 *

Présentée par:

Teun Sanders (représenté par un conseil, B. W. M. Zegers)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays‑Bas

Date de la communication:

12 juin 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est M. Teun Sanders, de nationalité néerlandaise. Il affirme être victime d’une violation par les Pays‑Bas de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. B. W. M. Zegers.

1.2Le 28 août 2003, comme suite aux observations de l’État partie sur la recevabilité, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.

Rappel des faits

2.1Le 4 février 1997, l’auteur a engagé une action civile contre le Club automobile néerlandais (ANWB) et l’Institut technique néerlandais (TNO) pour demander au tribunal: a) d’ordonner à l’ANWB de publier un rectificatif à un article paru dans le magazine de l’ANWB concernant le fonctionnement et la sécurité d’un stabilisateur d’attelage conçu par l’auteur; b) d’interdire à l’ANWB de distribuer cet article et d’ordonner à l’ANWB et au TNO de l’indemniser pour le préjudice subi; c) d’ordonner à l’ANWB et au TNO de remettre le «rapport» mentionné dans le mandat de comparution.

2.2Le 10 février 1997, au début de l’audience, l’auteur a demandé au juge du fond de renvoyer l’affaire devant une autre juridiction, au motif que le Tribunal régional de La Haye ne pouvait pas être considéré comme indépendant et impartial. Il a fait valoir qu’«un certain nombre d’avocats» travaillant pour le même cabinet que les avocats représentant l’ANWB et le TNO siégeaient également en tant que juges suppléants au Tribunal régional de La Haye et à la cour d’appel. Le juge n’a pas fait droit à sa demande.

2.3L’auteur a saisi la cour d’appel de La Haye et, au début de l’audience, a demandé le renvoi de l’affaire devant une autre cour d’appel, pour la même raison que celle énoncée au paragraphe 2.2 ci‑dessus. Le 22 septembre 1998, la cour d’appel de La Haye a déclaré la requête irrecevable étant donné qu’en vertu de la loi néerlandaise la décision de ne pas renvoyer l’affaire devant une autre juridiction ne pouvait pas faire l’objet d’un recours indépendant du jugement sur le fond. Le 30 juin 2000, son appel devant la Cour suprême a été rejeté.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur prétend être victime d’une violation de l’article 14 du Pacte, dans la mesure où il n’a pas bénéficié d’un «procès équitable» devant un tribunal indépendant et impartial. Il affirme que ni le Tribunal régional de La Haye ni la cour d’appel ne pouvaient être considérés comme des juridictions indépendantes et impartiales, étant donné qu’un certain nombre d’avocats travaillant pour le même cabinet que les avocats représentant l’ANWB et le TNO y siégeaient en tant que juges suppléants, ce qui entraînait un conflit d’intérêts. Il soutient que le refus de renvoyer l’affaire devant un autre tribunal régional prouve que la cour d’appel de La Haye avait «intérêt» à statuer sur son affaire.

3.2L’auteur ajoute que l’avocat représentant l’ANWB était également professeur à l’Université Vrije d’Amsterdam et que trois autres professeurs de cette même université étaient juges suppléants au Tribunal régional de La Haye. Il affirme que le juge du fond était membre du Conseil disciplinaire du barreau de La Haye jusqu’en 1996, avec Mme Nouwen‑Kronenberg, juge au tribunal (municipal) de Dordrecht et belle‑sœur de M. Nouwen, lui‑même ancien responsable de l’ANWB. Lorsque son attention a été appelée sur ce point, le juge du fond a répondu qu’il n’était pas au courant de ce fait mais que ce n’était pas une raison pour qu’il se dessaisisse de l’affaire.

3.3Enfin, l’auteur affirme que l’existence même de juges suppléants, qui exercent toujours d’autres fonctions en dehors de celle de juge, est contraire aux dispositions de l’article 14 du Pacte, dans la mesure où elle entraîne inévitablement des conflits d’intérêts.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur sur ces observations

4.1Dans une réponse datée du 27 août 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour deux motifs. Premièrement, il affirme que l’on ne peut reconnaître à l’auteur la qualité de «victime» au sens de l’article premier du Protocole facultatif, étant donné que le juge ayant présidé la procédure concernant la demande de décision avant dire droit (désigné par l’auteur sous le terme de «juge du fond») n’avait aucun lien personnel avec le cabinet d’avocats représentant le défendeur. Il rappelle que le Protocole facultatif ne vise pas des plaintes formulées de façon abstraite et portant sur des lacunes supposées de la législation nationale ou de la pratique juridique nationale. Selon lui, toute demande de récusation d’un juge doit être étayée par des éléments spécifiques tendant à prouver que l’impartialité du juge en question était discutable ou, en tout état de cause, qu’il existait des doutes fondés sur des éléments objectifs concernant son impartialité réelle ou apparente.

4.2Deuxièmement, l’État partie affirme que l’affaire n’entre pas dans le champ d’application du Pacte, dans la mesure où elle concerne une action engagée devant le juge‑président (désigné sous le terme de «juge du fond» par l’auteur) en vue d’obtenir une décision avant dire droit. En vertu du paragraphe 1 de l’article 254 du Code de procédure civile, tout juge saisi d’une demande de mesure provisoire peut prononcer un jugement avant dire droit «dans tous les cas urgents dans lesquels une ordonnance exécutoire est nécessaire compte tenu de l’intérêt des parties». L’article 257 du Code dispose que les décisions exécutoires ne préjugent pas de la demande principale. L’État partie fait valoir que l’affaire à l’examen ne porte pas sur un droit civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Il signale que la Cour européenne des droits de l’homme est parvenue à la même conclusion le 29 mai 2002, lorsqu’elle a déclaré la requête irrecevable au motif qu’elle ne relevait pas de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

5.1Dans une lettre datée du 30 septembre 2004, l’auteur fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie et réaffirme que sa requête relève bien des dispositions du Pacte, en soutenant qu’elle porte sur un droit civil, à savoir le «droit à un procès équitable», et qu’il a été victime d’une violation de ce droit au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Il reconnaît que le juge du tribunal régional saisi de l’affaire n’était pas un juge suppléant appartenant au cabinet d’avocats mentionné mais un juge à plein temps. Toutefois, celui‑ci avait des «liens personnels» avec les avocats de ce cabinet. L’auteur fait valoir que, dans la pratique, les juges consultent d’autres juges suppléants qui appartiennent également au cabinet d’avocats [DBB] ou s’entretiennent avec eux. Il affirme en outre que le Pacte n’établit aucune distinction entre les procédures incidentes et les procédures principales et le fait que la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré sa requête irrecevable ne signifie pas que le Comité doit parvenir à la même conclusion.

5.2Enfin, l’auteur renvoie à une autre affaire examinée par le Tribunal régional de La Haye le 21 juin 2001, dans laquelle la demande du requérant tendant à renvoyer l’affaire devant un autre tribunal a été approuvée compte tenu des liens étroits entre les juges du Tribunal régional et le cabinet d’avocats DBB.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que cette affaire a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme le 29 mai 2002. Il rappelle toutefois sa jurisprudence, selon laquelle ce n’est que lorsque la même question est déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement que le Comité n’est pas compétent pour examiner une communication soumise en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les dispositions dudit paragraphe n’empêchent donc pas le Comité d’examiner la communication.

6.3Le Comité note que l’auteur affirme que le tribunal n’était pas indépendant et impartial dans la mesure où «un certain nombre de juges» du Tribunal régional et de la cour d’appel de La Haye appartenaient également au cabinet d’avocats représentant les institutions contre lesquelles étaient dirigées les poursuites. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le juge ayant présidé la procédure concernant la demande de décision avant dire droit n’avait aucun lien avec le cabinet d’avocats en question et du fait que l’auteur lui‑même a reconnu, dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, que le juge saisi de l’affaire exerçait ses fonctions à plein temps et ne travaillait pas pour le cabinet en question. Le Comité note que l’auteur n’a pas fourni de renseignements complémentaires tendant à étayer ses allégations de manque d’impartialité ou d’indépendance des juges saisis de l’affaire. Par conséquent, il conclut que l’auteur n’a pas étayé ses plaintes aux fins de la recevabilité en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif et que celles‑ci sont donc irrecevables.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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