NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1052/20023 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1052/2002

Présentée par:

Mme Natalya Tcholatch (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur et sa fille, Julia Tcholatch

État partie:

Canada

Date de la communication:

3 février 1998 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 26 février 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

20 mars 2007

Objet:Déni à une mère du droit de voir sa fille

Questions de fond:Immixtion arbitraire dans la famille, protection de la famille, protection spéciale due à un enfant en raison de son statut de mineur, droit à un procès équitable, retard excessif dans la procédure

Questions de procédure:Griefs insuffisamment étayés

Articles du Pacte:14 (par. 1), 17, 23 et 24

Article du Protocole facultatif:2

Le 20 mars 2001, le Comité des droits de l’homme a adopté en tant que constatations le texte figurant en annexe, en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 1052/2002. Le texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑neuvième session

concernant la

Communication n o  1052/2002 **

Présentée par:

Mme Natalya Tcholatch (non représentée)

Au nom de:

L’auteur et sa fille, Julia Tcholatch

État partie:

Canada

Date de la communication:

3 février 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1052/2002 présentée Natalya Tcholatch en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Natalya Tcholatch, Canadienne d’origine ukrainienne, née le 28 juillet 1960. Elle soumet la communication également au nom de sa fille, Julia Tcholatch, née au Canada le 20 février 1993, dont la garde lui a été retirée le 2 août 1997 et qui a été par la suite adoptée. Dans un premier temps, l’auteur n’a pas invoqué de dispositions particulières du Pacte mais ensuite elle a déclaré que sa fille et elle‑même étaient victimes de violation par le Canada des articles 1er, 2, 3, 5 (par. 2), 7, 9 (par. 1, 3 et 5), 10 (par. 1 et 2 a)), 13, 14 (par. 1, 2, 3 d) et e) et 4), 16, 17, 18 (par. 4), 23, 24, 25 c) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est née en Ukraine où elle a obtenu un diplôme dans le domaine médical. Elle a émigré au Canada en 1989 et a été naturalisée en 1994. Après la naissance de sa fille le 20 février 1993, elle s’est occupée seule de l’enfant tout en suivant des études à l’université pour obtenir un certificat de qualification professionnelle canadien. Le père n’a jamais eu de contact avec l’enfant.

2.2Dans la nuit du 1er au 2 août 1997, l’auteur a appelé la police pour signaler des atteintes sexuelles dont sa fille alors âgée de 4 ans avait été victime. L’auteur avait également giflé sa fille pour l’empêcher d’aller chez les voisins et la gifle lui avait laissé une marque rouge sur le visage. D’après l’auteur, c’était la première et la dernière fois qu’elle avait frappé sa fille et c’était parce qu’elle s’inquiétait pour elle. D’après un rapport de police, l’auteur avait arrêté un automobiliste pour qu’il prenne sa fille et lui avait dit qu’elle ne voulait plus d’elle et que le Canada n’avait qu’à s’en occuper. Toutefois, cela a toujours été démenti par l’auteur qui affirme que sa fille était sur le trottoir à attendre qu’elle ait fini de parler à la police et qu’elle ne l’a jamais abandonnée. La police a conduit l’enfant au poste de police et l’a confiée à la garde de la Children’s Aid Society de la ville de Toronto, qui l’a ensuite placée dans un foyer d’accueil. Bien que l’auteur eût signalé que sa fille avait subi une agression sexuelle, il n’y a pas eu d’enquête et l’enfant n’a pas été examinée par un médecin.

2.3Quelques jours plus tard (le 5 août), l’auteur a été arrêtée et inculpée d’agression (pour ce qu’elle croyait être l’exercice de l’autorité parentale) contre sa fille. Dans une déclaration sous serment datée du 6 août, l’auteur expliquait les circonstances de l’incident et affirmait qu’elle se croyait capable de s’occuper de sa fille et qu’elle serait heureuse que la Children’s Aid Society se rende chez elle pour voir comment elle s’occupait de l’enfant. Néanmoins, le 7 août, le tribunal provincial de Scarborough a placé l’enfant temporairement (pour trois mois) auprès de la Catholic Children’s Aid Society (CCAS) de Toronto, avec pour la mère un droit de visite sous surveillance. D’après l’auteur, cette décision ne donnait pas autorité pour placer l’enfant définitivement dans un foyer d’accueil ni pour la déclarer adoptable. Elle affirme que jusqu’à ce que le procès pour la protection de l’enfant ait lieu et que le jugement ait été prononcé, le 26 juin 2000, aucune ordonnance de placement n’avait été rendue en faveur de la CCAS et il n’avait pas été établi que la petite fille avait besoin d’être protégée, comme l’exigeait la législation, c’est‑à‑dire les règles de pratique civile, le règlement de procédure du tribunal de la famille et la loi sur les services à l’enfance et à la famille, pour que l’enfant continue d’être placée, de 1997 à 2000. Certes, la petite fille avait dit au début que sa mère l’avait frappée mais elle avait exprimé à maintes reprises le souhait de rentrer chez elle et réagissait mal quand elle était séparée de sa mère à la fin des visites. Toutes les visites étaient strictement surveillées et la mère et la fille ne restaient jamais seules.

2.4Le 1er décembre 1997, l’auteur a ramené sa fille à la maison à la demande de celle‑ci. Cela lui a valu d’être reconnue coupable d’enlèvement d’enfant et d’être condamnée à un mois d’emprisonnement. En prison, une détenue l’avait violemment frappée et elle avait donc été placée toute seule dans une cellule pendant dix jours sans recevoir de soins médicaux. Le 24 décembre 1997, elle a été libérée sous caution, la condition étant que, avant de pouvoir rendre visite à sa fille, la CCAS lui fasse passer une sorte d’examen et que chaque rencontre avec sa fille se fasse, dès le premier moment, sous la surveillance directe de la CCAS. Les contacts téléphoniques entre la mère et la fille avaient été supprimés parce que l’auteur avait eu des propos vifs avec la mère d’accueil.

2.5En mars 1998, à la demande de la CCAS, l’auteur a été examinée par le docteur K., psychiatre à l’Institut de psychiatrie Clarke, et l’examen a duré en tout quatre heures. Le médecin a établi un rapport de 14 pages dont le Comité n’a pas reçu copie. Il ressort toutefois du jugement du 26 juin 2000 que le médecin, qui a fait son expertise en se fondant sur deux entretiens et sur des renseignements indirects émanant d’autres psychiatres, a conclu que l’auteur souffrait de troubles délirants, délire érotomaniaque, délire de persécution et délire somatique. D’après le juge, le médecin avait également constaté que, comme l’auteur ne suivait pas de traitement, il y avait lieu de s’interroger sur sa capacité à s’occuper de sa fille.

2.6Le 29 septembre 1998, le docteur K., répondant à une lettre du conseil de l’auteur, a précisé un certain nombre de points, indiquant notamment qu’il n’avait pas pu déceler de délire érotomaniaque chez l’auteur pendant l’examen mais que cet élément figurait dans les notes du centre des services de santé de l’Université de Toronto qui laissaient entendre qu’elle avait été traitée dans ce service pour des troubles découlant de son délire érotomaniaque. Il ajoutait dans ses conclusions que, même si l’auteur souffrait de délire érotomaniaque, il ne semblait pas que cela ait eu des incidences sur sa capacité de s’occuper de sa fille.

2.7Le 12 mai 1998, l’auteur a été examinée par un médecin de l’hôpital de Toronto, le docteur G. Dans sa description de l’auteur, ce médecin a indiqué qu’elle ne présentait «aucun symptôme maniaque ou psychotique déclaré», qu’il n’y avait «pas de trouble de la pensée formelle» et que «son discours révélait essentiellement des idées de persécution qui apparaissaient exagérées, mais n’allaient pas jusqu’au délire». Le médecin considérait que la patiente avait probablement «une personnalité paranoïaque, encore qu’il soit difficile de l’affirmer à ce stade, après un seul entretien». Mais il concluait qu’elle n’avait pas besoin de traitement médicamenteux.

2.8Le 2 juillet 1998, le docteur G., médecin traitant de l’auteur depuis mai 1995, a écrit dans une lettre qu’il n’avait pas l’impression qu’il connaissait bien la patiente et qu’elle était difficile à décrire mais qu’elle ne semblait pas souffrir d’un trouble psychiatrique majeur et n’avait pas suivi de traitement médicamenteux.

2.9Dans une lettre datée du 6 juillet 1998, le pédiatre qui avait vu l’enfant en consultation de temps en temps depuis août 1993, le docteur T., a dit qu’il n’avait aucune raison de penser que l’auteur n’était pas une mère compétente et que rien ne l’indiquait.

2.10À cause du rapport du docteur K., qui évoquait un état pathologique, et malgré les réponses d’autres spécialistes qui avaient constaté qu’elle était en bonne santé et n’avait pas besoin de traitement médicamenteux, la CCAS a refusé de rétablir le droit de visite. En juin 1998, la demande initiale d’ordonnance de placement de trois mois déposée par la CCAS a été modifiée et c’est une ordonnance de placement sous tutelle de la Couronne sans droit de visite qui a été demandée, de façon à rendre l’enfant adoptable. L’auteur a fait plusieurs demandes pour recouvrer le droit de visite mais en juillet, en août et en novembre 1998, des ordonnances interdisant les visites ont été rendues.

2.11Dans un rapport d’expertise visant à évaluer l’adoptabilité de l’enfant, daté du 28 septembre 1998, une assistante sociale de la CCAS chargée des adoptions estimait que «depuis l’admission de Julia dans le foyer, ses compétences sociales se sont beaucoup améliorées». Elle constatait toutefois que «Julia [était] très attachée à sa mère» et qu’«elle [avait] dit qu’elle voulait vivre avec elle». «Dans une conversation avec cette assistante sociale, Julia a dit qu’elle voulait être avec sa mère, encore que ses sentiments à son égard soient toujours un peu ambivalents.» La petite fille avait dit qu’elle aimait sa mère bien qu’elle l’ait battue. «Elle ne [pouvait] pas imaginer pour le moment de vivre dans une autre famille.» L’assistante sociale concluait qu’il faudrait que l’enfant voie un psychologue qui chercherait spécifiquement à analyser les questions liées à l’attachement avant de décider que l’enfant était adoptable.

2.12Le 12 décembre 1998, la psychologue qui suivait l’enfant, le docteur P., a établi un rapport sur les conséquences possibles que le placement sous la tutelle de l’État sans droit de visite pourrait avoir sur l’enfant. Elle précisait que la petite fille, qui à ce moment‑là n’avait pas vu sa mère depuis une année, risquait de développer des troubles de l’attachement. Elle ajoutait:

«Julia souffre de l’absence de sa mère, elle dit qu’elle veut la voir, elle est perturbée par l’absence de sa mère. […] Julia est une enfant un peu perdue. […] L’impression que j’ai eue à la suite de conversations avec la mère d’accueil de Julia et en entendant l’enfant elle‑même est qu’elle s’accroche au souvenir de sa mère, qu’elle est perturbée et ne sait pas ce qu’elle devrait et ce qu’elle peut ressentir pour sa mère. Elle risque de sombrer dans la dépression. […] Julia a besoin de se déterminer à l’égard de sa mère. […] Il serait bien qu’elle ait des contacts avec sa mère pour qu’elle puisse parvenir à cette résolution. […] Je recommande donc que les visites sous surveillance avec [l’auteur] soient rétablies de façon que Julia ait la possibilité de connaître sa mère. […] S’il apparaissait que les visites sont préjudiciables à Julia, il y serait mis fin et on expliquerait pourquoi à Julia.».

2.13Pour recouvrer la garde de sa fille ou obtenir le droit de visite, l’auteur s’est adressée à plusieurs avocats et a fini par faire en personne des démarches, déposant de nombreuses demandes et différents recours auprès des tribunaux entre 1997 et 2000. Le 11 janvier 1999, à la demande de la CCAS, la Cour de justice de l’Ontario, se fondant sur le rapport du docteur K., a conclu que l’auteur souffrait d’une «incapacité d’ordre mental» et a ordonné qu’elle ne soit plus autorisée à engager elle‑même de nouvelles actions en justice. Dans ces circonstances, le Bureau du tuteur et curateur public a été commis à l’auteur en tant que tuteur d’instance. L’auteur affirme que le Bureau n’a pas agi en son nom et a essayé de l’induire en erreur. Le tribunal a ordonné en outre que l’audience prévue pour février 1999 soit ajournée étant donné que le Bureau du tuteur et curateur public n’avait pas pu préparer le procès.

2.14En juin 1999, en application d’une ordonnance rendue le 17 mai 1999, les droits de visite ont été rétablis d’un commun accord, sous certaines conditions, qui étaient notamment:

«1.[L’auteur] pourra rendre des visites à sa fille, sous surveillance, et à la discrétion exclusive et absolue de la CCAS.

2.Les visites se feront toutes les trois semaines et ne dureront pas plus de quatre‑vingt‑dix minutes.

4.[L’auteur] restera toujours dans le parloir du bureau de la CCAS avec l’enfant pendant les visites, et des employés de la CCAS surveilleront intégralement les visites. Il y aura en permanence un employé de la CCAS dans la pièce et un employé derrière un miroir sans tain.

10.[L’auteur] ne demandera pas à Julia où elle habite, où elle va à l’école ni son numéro de téléphone.

13.Si [l’auteur] ne respecte pas l’une quelconque de ces conditions, il sera mis immédiatement fin à la visite et la CCAS aura le droit de décider s’il y aura d’autres visites à l’avenir.».

2.15En août 1999, les visites ont de nouveau été supprimées par la CCAS alors que tout s’était bien passé et que chaque fois l’auteur avait parfaitement respecté toutes les conditions. L’auteur a de nouveau fait une demande de rétablissement du droit de visite et l’ordonnance relative au droit de visite a été modifiée en date du 21 décembre 1999, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. En décembre 1999, la petite fille est partie vivre avec de nouveaux parents d’accueil, qui ont fait savoir qu’ils souhaitaient l’adopter.

2.16Le 8 décembre 1999, l’auteur a déposé une demande de réexamen judiciaire de l’ensemble de la procédure de protection de l’enfant auprès de la Cour supérieure de justice. La CCAS a déposé une contre-demande en application de l’article 140 de la loi sur les tribunaux judiciaires, pour interdire à l’auteur de continuer toute procédure qu’elle avait pu engager devant tout tribunal et l’empêcher d’en engager de nouvelles. Le 8 mars 2000, la Cour supérieure de justice a interdit à l’auteur d’engager de nouvelles procédures devant quelque tribunal que ce soit et a ordonné la suspension de toute action déjà engagée devant un tribunal. Le motif était que l’auteur avait engagé de nombreuses actions (demandes, motions et appels), ce qui avait saboté le calendrier des audiences pour le procès relatif à la protection de l’enfant, dont l’intérêt se trouvait ainsi gravement compromis.

2.17Le 26 juin 2000, dans le procès principal relatif à la protection de l’enfant, la Cour de justice de l’Ontario a rendu une ordonnance de tutelle par l’État (la Couronne) sans droit de visite, aux fins d’adoption. Elle estimait qu’il existait «des preuves écrasantes permettant de conclure que l’enfant avait besoin d’une protection et que son intérêt supérieur ne pouvait être protégé que par une ordonnance de tutelle par la Couronne sans droit de visite». Le tribunal avait la «ferme conviction» que l’auteur était «sérieusement malade» et que si l’enfant était laissée à sa garde, elle subirait non seulement des préjudices physiques mais aussi des dommages affectifs irréparables. Le tribunal fondait sa décision sur le rapport de 1998 du docteur K., sur la conclusion du docteur G., qui indiquait qu’il était «probable que la patiente souffre d’un trouble paranoïaque de la personnalité», et sur la déclaration d’un autre médecin, en date du 12 mai 1998: «Si je n’ai pas de preuves directes confirmant que la patiente souffre de troubles délirants, j’ai tendance à penser que les éléments présentés par le docteur K., et sans doute aussi aux tribunaux, auraient probablement résisté à un examen et résisteraient toujours.». Aucun de ces spécialistes n’est venu témoigner à l’audience.

2.18L’enfant n’a pas été entendue au procès. Il ressort toutefois du jugement que «la position prise au nom de l’enfant par l’avocat de celle-ci était qu’elle souhaitait rester avec ses parents d’accueil actuels mais disait toujours qu’elle voulait recevoir des visites de sa mère». Au procès, la psychologue de l’enfant a affirmé que Julia était fortement attachée à sa mère, qu’elle avait besoin de garder des contacts avec elle et que le maintien de l’interdiction de toute visite serait pour elle source de souffrances.

2.19En ce qui concerne l’état de l’auteur et son comportement, le tribunal relevait également ce qui suit:

«Il est difficile de déterminer où la maladie [de l’auteur] finit et où commencent ses intentions malveillantes, car les deux choses sont liées. L’appréhension de l’enfant a eu lieu tôt le matin du 2 août 1997 et à partir de ce moment jusqu’à ce que l’affaire soit jugée, en mai et en juin 2000, il y a eu d’interminables procédures juridiques concernant cette appréhension qui ont retardé les audiences sur la question initiale et [l’auteur] avec l’assistance de sept ou huit avocats, a couru dans tous les sens pour attaquer les uns et les autres avec des motions et des appels contre toutes les décisions, jusqu’à ce qu’enfin, cette année, une ordonnance soit prise par la Cour supérieure déclarant que [l’auteur] était un plaignant de mauvaise foi et qu’elle ne devait plus être autorisée à engager des actions en justice sans autorisation préalable de la Cour.».

Enfin, le tribunal considérait que le maintien des visites ne ferait que perpétuer la situation d’insécurité dans laquelle l’enfant se trouvait et qu’il n’y avait pas de circonstances spéciales attestées qui justifieraient le rétablissement du droit de visite. Le 10 octobre 2000, l’auteur a été déboutée de l’appel qu’elle avait tenté de former le 26 juillet 2000, pour des motifs de procédure.

2.20En novembre 2000, l’auteur a demandé à la CCAS de lui communiquer des renseignements relatifs au placement de Julia aux fins d’adoption. L’organisme a répondu qu’il n’avait «aucune obligation de [lui] notifier si [sa] fille a été placée en vue d’adoption».

2.21Il ressort d’une déclaration sous serment datée du 22 juin 2001 signée par la mère d’accueil de l’enfant que l’auteur avait essayé plusieurs fois de prendre contact avec sa fille. Elle avait téléphoné en février, en août et en octobre 2000 et s’était rendue deux fois à l’école, en mai et en juin 2001. D’après la mère d’accueil, l’enfant avait pris la fuite en voyant l’auteur et s’était réfugiée auprès d’un enseignant. Julia avait dit à sa mère d’accueil que l’auteur s’était approchée d’elle mais qu’elle «savait qu’il ne fallait pas qu’elle lui parle» et qu’elle avait «toujours peur de sa mère». Une «reconnaissance de placement aux fins d’adoption», datée du 9 août 2001 et signée par les parents d’accueil, indique qu’ils avaient l’intention d’adopter l’enfant.

2.22L’auteur a déposé de nouvelles motions et de nouveaux recours qui ont tous été rejetés pour des motifs de procédure. Enfin, le 13 septembre 2001, la Cour suprême du Canada a rejeté une demande d’autorisation de faire appel et une motion de sursis à l’adoption déposées par l’auteur. Celle-ci s’est également adressée à la Commission des droits de la personne de l’Ontario, au Ministère des services sociaux et communautaires et à «de nombreuses autres autorités», mais en vain.

Teneur de la plainte

3.1Même si elle n’a pas initialement invoqué de violation d’une disposition précise du Pacte, l’auteur a par la suite, dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, mentionné des violations des articles 1er, 2, 3, 5 (par. 2), 7, 9 (par. 1, 3 et 5), 10 (par. 1 et 2 a)), 13, 14 (par. 1, 2, 3 d) et e), et 4), 16, 17, 18 (par. 4), 23, 24, 25 c) et 26 du Pacte. Après analyse de la plainte, le Comité a estimé qu’elle soulevait les questions examinées ci‑après.

3.2L’auteur invoque, en ce qui la concerne, des violations de l’article 14 du Pacte relativement à ses condamnations et à l’emprisonnement prononcés pour l’agression et l’enlèvement de sa fille, et des articles 9 et 10 relativement au traitement qu’elle a subi en détention.

3.3L’auteur dit, en invoquant des violations à l’égard de sa fille et d’elle-même, que sa fille a été «enlevée» et demande qu’elle lui soit rendue ou qu’elle puisse lui rendre visite. Elle dit que sa famille a été «illégalement détruite» car sa fille a été appréhendée et retenue par la CCAS sans ordre de placement légitime. Ses visites à sa fille ont été illégalement et arbitrairement supprimées par la CCAS, sans la moindre explication, et en dépit d’une ordonnance du tribunal autorisant les visites. Sa fille est restée à la garde de la CCAS bien au-delà de la durée maximale réglementaire d’une année. Rien n’a été tenté pour lui rendre l’enfant, ou rechercher une solution moins restrictive, pendant toute la procédure. Ces griefs soulèvent des questions au regard des articles 17, 23 et 24 du Pacte.

3.4L’auteur dénonce, au nom de sa fille et en son nom propre, les retards pris à examiner l’affaire, en particulier le fait qu’il se soit écoulé près de trois ans entre le début de la procédure de protection, en août 1997, et le procès en juin 2000, ce qui soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.5L’auteur affirme que le procès concernant l’action en protection de l’enfant a été inéquitable. Elle fait valoir que pendant le procès qui a abouti au jugement du 26 juin 2000, le tribunal n’a pas appelé à la barre les principaux témoins et n’a pas non plus relevé les nombreuses contradictions que présentaient les déclarations des témoins. De plus, l’expertise psychiatrique sur laquelle le tribunal s’est fondé avait été réalisée deux ans avant le procès et comportait des renseignements fondés sur la rumeur qui n’avaient pas été étudiés à l’audience. Le juge avait fondé sa décision exclusivement sur un vieux rapport établi par un psychiatre à la demande de la CCAS et payé par cet organisme. Le psychiatre n’avait pas témoigné au procès. Ces griefs soulèvent également des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.6L’auteur fait valoir, en ce qui concerne sa fille, que les décisions des tribunaux n’ont pas été prises dans l’intérêt supérieur de l’enfant et que l’iniquité et la durée excessive de la procédure ont été pour elle source de souffrance mentale, ce qui soulève des questions au regard de l’article 7 du Pacte.

3.7L’auteur n’étaye pas plus avant ses griefs au titre des articles 1er, 2, 3, 5, 13, 16, 18, 25 et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans une note datée du 15 mai 2002, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il relève que dans sa communication l’auteur décrit ses démêlés avec différentes institutions juridiques et sociales canadiennes, et fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable faute d’être étayée, étant donné que les griefs de l’auteur sont formulés de façon très vague et que les dispositions du Pacte qui auraient été violées ne sont pas spécifiées. L’État partie objecte que vu cette imprécision, il ne peut pas répondre aux plaintes de l’auteur.

4.2L’État partie renvoie à la décision prise par le Comité dans l’affaire J. J. C. c. Canada, dans laquelle le Comité avait estimé que la plainte n’était pas suffisamment étayée en raison du «caractère trop général» des allégations portées contre le système judiciaire canadien et avait conclu à l’irrecevabilité de la communication. Il fait valoir que la communication à l’examen souffre des mêmes carences que cette autre communication et qu’elle devrait également être déclarée irrecevable.

4.3L’État partie objecte que les allégations de l’auteur ne révèlent pas de violation spécifique de l’une quelconque des dispositions du Pacte et que la communication est donc sans fondement.

4.4L’État partie indique qu’il se réserve le droit de faire de nouvelles observations concernant la recevabilité et le fond de la communication s’il reçoit de plus amples informations.

Commentaires de l’auteur

5.1Par une note du 21 septembre 2003, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie, soulignant que la seule chose qu’elle veut c’est avoir la possibilité de voir sa fille unique. Toutes ses démarches et les actions auprès des tribunaux visaient à rétablir le contact avec sa fille, qui a été séparée d’elle contre le gré de l’une et de l’autre.

5.2En réponse à l’argument de l’État partie qui fait valoir que sa communication ne révèle pas de violations spécifiques des dispositions du Pacte, l’auteur énumère les dispositions qu’elle considère avoir été violées (voir plus haut, par. 1). Elle réaffirme que sa fille lui a été illégalement retirée, étant donné que l’ordonnance provisoire de placement du 7 août 1997 avait expiré au bout de trois mois. Quand elle a décidé de ramener sa fille à la maison après l’expiration de cette ordonnance, elle a été immédiatement arrêtée et placée en détention pendant deux mois sans jugement. Elle affirme que la suppression ultérieure du droit de visite a été arbitrairement décidée par la CCAS malgré un ordre du tribunal octroyant le droit de visite.

5.3L’auteur répète que sa fille voulait avoir des contacts avec elle, ce dont le juge n’a tenu aucun compte, et elle mentionne l’expertise pour déterminer l’adoptabilité de sa fille et la recommandation de la psychologue qui disait qu’il fallait que l’auteur rende visite à sa fille.

5.4Enfin, l’auteur dit que sa fille a présenté des symptômes d’anxiété et de dépression graves à la suite de la séparation. Les mesures d’une sévérité injustifiée qui avaient été prises à l’égard de la famille ont provoqué un traumatisme psychologique irréversible chez l’enfant, qui risque d’avoir des troubles du développement. Pour l’auteur, il s’agit là d’une peine cruelle et inusitée infligée à sa fille.

5.5En ce qui concerne sa qualité pour représenter sa fille, l’auteur a confirmé qu’elle souhaitait présenter la plainte également au nom de sa fille. Le 19 août 2006, elle a informé le Comité que sa fille avait été adoptée et qu’elle n’avait plus aucun contact avec elle. À la suite des incidents de 2001 où elle avait essayé d’entrer en contact avec sa fille, les parents d’accueil de l’époque, devenus parents adoptifs, l’avaient traînée en justice et elle avait été arrêtée. L’auteur indique également qu’elle n’a pas été informée de la date de l’adoption.

5.6Le 31 octobre 2006, l’auteur a fait savoir qu’elle avait cherché à prendre contact avec sa fille mais que la nouvelle famille l’en avait empêchée et qu’elle n’avait donc pas pu obtenir de sa fille l’autorisation nécessaire pour lui permettre d’agir en son nom dans ses démarches auprès du Comité. En conséquence, elle avait saisi la justice et la procédure était en cours. Le 22 février 2007, elle a confirmé qu’une audience qui devait avoir lieu en décembre 2006 avait été reportée au 9 mars 2007.

Absence d’observations supplémentaires de la part de l’État partie

6.En date du 10 décembre 2003, les commentaires de l’auteur ont été transmis à l’État partie qui n’a pas fait parvenir de nouvelles observations.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il relève que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication au motif du non-épuisement des recours internes et que la demande d’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême faite par l’auteur a été rejetée en date du 13 septembre 2001. Il considère donc que l’auteur a épuisé les recours internes.

7.3Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable faute d’être étayée, parce que les allégations de l’auteur étaient formulées de façon imprécise et trop générale, sans mention des dispositions du Pacte. Il relève toutefois que dans sa réponse aux observations de l’État partie, l’auteur, qui n’est pas représentée par un conseil, s’est efforcée d’organiser ses griefs et a fait référence à différents articles du Pacte, encore que d’une façon un peu générale. L’État partie n’a pas répondu à ces griefs alors que la possibilité de le faire lui avait été donnée. Le Comité conclut que les griefs de l’auteur ne sont pas irrecevables pour ce motif.

7.4Pour ce qui est de la qualité de l’auteur pour représenter sa fille relativement aux griefs de violation des articles 7, 14, 17, 23 et 24, le Comité note que la fille de l’auteur a aujourd’hui 14 ans et a été adoptée. Il note aussi que l’auteur n’a pas fourni d’autorisation de sa fille pour agir au nom de celle-ci. Il rappelle toutefois qu’un parent qui n’a pas la garde de son enfant a qualité suffisante pour représenter celui-ci devant le Comité. Les liens existants entre une mère et son enfant et les allégations formulées dans la présente affaire sont suffisants pour justifier que la mère représente sa fille. En outre, le Comité note que l’auteur a, maintes fois, essayé, sans succès, d’obtenir une autorisation de sa fille pour la représenter (voir par. 5.6 ci‑dessus). Dans ces circonstances, le Comité n’est pas empêché d’examiner les griefs formulés au nom de sa fille par l’auteur.

7.5Le Comité croit comprendre que les griefs de l’auteur au titre de l’article 9, de l’article 10 et du paragraphe 2 de l’article 14 portent sur ses condamnations pour agression et pour enlèvement, et sur l’emprisonnement qui en a résulté. Il note que l’auteur n’a pas donné d’éléments à l’appui de ses griefs et n’a pas non plus décrit les faits d’une façon suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et conclut donc que ces griefs sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité considère que le grief de l’auteur qui affirme que sa fille a été victime de souffrance mentale en violation de l’article 7 du Pacte n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et déclare ce grief irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7Le Comité considère que les autres griefs soulèvent des questions au regard du Pacte et sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et déclare la communication recevable en ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, de l’article 17, de l’article 23 et de l’article 24.

Examen au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2En ce qui concerne le grief de violation de l’article 17 du Pacte, le Comité rappelle que le terme de «famille» doit être entendu dans un sens large et qu’il vise non seulement le foyer familial pendant le mariage ou la cohabitation, mais aussi les relations en général entre parents et enfants. Dans le cas de liens biologiques, il existe une forte présomption qu’une «famille» est constituée et ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que cette relation ne sera pas protégée par l’article 17 du Pacte. Le Comité note que l’auteur et sa fille vivaient ensemble jusqu’à ce que l’enfant ait 4 ans et qu’elle ait été placée en institution, et que l’auteur avait conservé des contacts avec sa fille jusqu’en août 1999. Dans ces circonstances, le Comité ne peut que conclure qu’au moment où les autorités sont intervenues l’auteur et sa fille formaient une famille au sens de l’article 17 du Pacte.

8.3En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme qu’elle a perdu illégalement la garde de sa fille et le droit de visite et que sa famille a été détruite, le Comité relève que le retrait d’un enfant à la garde de sa mère ou de son père constitue une immixtion dans la vie de famille des parents et de l’enfant. La question se pose donc de savoir si cette immixtion a été arbitraire ou illégale et donc contraire à l’article 17 du Pacte. Le Comité estime que, quand il s’agit de garde d’enfant et de droit de visite, les critères qui doivent être pris en considération pour apprécier si l’ingérence spécifique dans la vie de la famille peut ou non être justifiée par des motifs objectifs doivent être examinés, d’une part, au regard du droit effectif d’un parent ou d’un enfant de maintenir des relations personnelles et des contacts réguliers l’un avec l’autre et, d’autre part, à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant.

8.4Le Comité note qu’à l’origine le retrait par les autorités de la fille de l’auteur à la garde de celle-ci, le 2 août 1997, confirmé par une ordonnance judiciaire datée du 7 août et la plaçant sous la garde de la CCAS, était fondé sur la conviction des autorités, ultérieurement confirmée par la condamnation de l’auteur, que celle-ci avait agressé sa fille. Le Comité note que bien que l’ordonnance ait été provisoire (pour une durée de trois mois), elle ne conférait un droit de visite à l’auteur que dans des circonstances extrêmement difficiles. Il considère que le premier placement de trois mois de la fille de l’auteur sous la garde de la CCAS était excessif.

8.5En ce qui concerne les griefs de l’auteur portant sur la période qui commence après l’expiration des trois mois visés par l’ordonnance provisoire du 7 août 1997 jusqu’au procès, en mai 2000, le Comité note que l’enfant restait sous la garde de la CCAS. D’après l’ordonnance du 7 août 1997, l’auteur devait pouvoir rendre visite à sa fille, encore que sous des conditions très strictes. Après l’«enlèvement» de sa fille par l’auteur, le 1er décembre 1997, et sa condamnation en avril 1998, le droit de visite a été retiré. Il n’a été rétabli qu’en juin 1999, également dans des conditions très dures, comme suite à une ordonnance du 17 mai 1999 rétablissant le droit de visite. Par exemple, l’auteur et sa fille ne pouvaient se voir que dans les locaux de la CCAS, toutes les trois semaines pendant quatre-vingt‑dix minutes. Les visites étaient totalement surveillées par le personnel de la CCAS. L’auteur n’avait pas le droit de téléphoner à sa fille. La CCAS a une nouvelle fois ordonné la cessation des visites de sa propre initiative alors que l’ordonnance du 17 mai 1999, prévoyant les visites, était toujours en vigueur. Dans les conditions fixées pour les visites jointes à cette ordonnance, il était indiqué que l’auteur pourrait rendre visite à sa fille, sous surveillance, à la discrétion exclusive et absolue de la CCAS. La question des visites n’a pas été reconsidérée par une autorité judiciaire jusqu’au 21 décembre 1999, quand le juge a décidé de ne pas redonner à l’auteur le droit de visite. Depuis lors, l’auteur n’a jamais plus eu le droit de visite.

8.6Le Comité relève que l’enfant a exprimé à maintes reprises le désir de rentrer chez elle, qu’elle pleurait à la fin des visites et que sa psychologue avait recommandé le rétablissement des visites. Il considère que les conditions d’accès, qui interdisaient également les appels téléphoniques, étaient très sévères à l’égard d’une enfant de 4 ans et de sa mère. Le fait que l’auteur et sa mère d’accueil se soient querellées au téléphone ne suffit pas à justifier la suppression définitive de ce contact entre l’auteur et sa fille. Le Comité estime que l’exercice unilatéral par la CCAS de son pouvoir de supprimer les visites, comme elle l’a fait en décembre 1997 et en août 1999, sans qu’une autorité judiciaire réexamine la situation et sans que l’auteur ait eu la possibilité de présenter sa défense, a constitué une immixtion arbitraire dans la famille de l’auteur et de sa fille, en violation de l’article 17 du Pacte.

8.7En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 23 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions nationales d’apprécier les circonstances des affaires particulières. Néanmoins, la loi devrait établir certains critères de façon à permettre aux tribunaux d’appliquer la totalité des dispositions de l’article 23 du Pacte. «Il apparaît essentiel, sauf circonstance exceptionnelle, qu’au nombre de ces critères figure le maintien des relations personnelles et des contacts directs et réguliers entre l’enfant et ses parents.» En l’absence de circonstances spéciales, le Comité rappelle que la suppression de toute visite d’un parent à son enfant ne peut pas être réputée être dans l’intérêt supérieur de cet enfant.

8.8Dans la présente affaire, le juge a considéré, en 2000, lors de l’audience en protection d’enfant, qu’il «n’y avait pas de circonstances spéciales attestées qui justifieraient le rétablissement du droit de visite» au lieu de s’interroger sur la question de savoir s’il y avait des circonstances exceptionnelles justifiant la suppression des visites, inversant ainsi la perspective dans laquelle de telles questions devraient être examinées. Eu égard à la nécessité de préserver les liens familiaux, il est essentiel que toute procédure qui a une incidence sur l’unité familiale traite de la question de savoir si les liens familiaux doivent être rompus, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant et des parents. Le Comité n’estime pas que l’incident de la gifle, l’absence de coopération de l’auteur avec la CCAS et le fait, contesté, de son incapacité d’ordre mental constituaient des circonstances exceptionnelles justifiant de couper définitivement tout contact entre l’auteur et sa fille. Il estime que le processus qui a conduit le système judiciaire de l’État partie à décider de refuser complètement toute visite de sa fille à l’auteur, sans examiner la possibilité d’une option moins radicale et restrictive, a abouti à une absence de protection de l’unité de la famille, en violation de l’article 23 du Pacte. Ces faits entraînent de plus une violation de l’article 24 à l’égard de la fille de l’auteur, qui avait droit à une protection spéciale en raison de son état de minorité.

8.9En ce qui concerne le grief de la longueur de la procédure, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité rappelle sa jurisprudence et affirme que le droit à un procès équitable garanti par cette disposition suppose que la justice soit rendue avec diligence, sans retard excessif, et que la nature même d’une procédure de garde ou d’une procédure relative au droit de visite d’un parent divorcé exige qu’il soit statué rapidement. Le Comité considère que cette jurisprudence s’applique également à une action en protection d’un enfant qui tend à retirer à un parent l’autorité parentale et les droits de visite à l’égard de son enfant. Pour examiner cette question, le Comité doit tenir compte de l’âge de l’enfant et des conséquences qu’une procédure trop longue peut avoir sur le bien-être de l’enfant et sur l’issue de l’affaire.

8.10En l’espèce, l’enfant avait 4 ans quand elle a été sortie du domicile de sa mère, en août 1997, et 7 ans quand le procès en protection de l’enfant a eu lieu, en juin 2000. La psychologue de l’enfant a mis en garde contre un risque de dépression et de troubles de l’attachement que courait la petite fille en raison de la longueur de la procédure et a souligné qu’elle se trouvait dans un état d’incertitude étant donné qu’elle ne savait plus où était son foyer. De plus, le juge a fondé en partie sa décision sur le fait que l’enfant avait noué des liens très forts avec ses parents d’accueil, qui voulaient l’adopter, et qu’elle souhaitait rester avec eux. Le Comité note qu’au début l’enfant voulait retourner auprès de sa mère et que ce n’est qu’avec le temps que son avis a changé.

8.11Il ressort du dossier que l’auteur a changé d’avocat plusieurs fois et a déposé un grand nombre de motions judiciaires qui ont retardé la procédure. Elle a également été qualifiée de plaignant de mauvaise foi qui, par ses nombreuses motions et ses nombreux recours, avait saboté le calendrier du procès. Toutefois, il s’agissait dans tous les cas de démarches visant à recouvrer le droit de visite pour son enfant. Le Comité considère que le dépôt d’une motion pour obtenir le droit de visite ne devrait pas avoir comme conséquence nécessaire le report du procès principal. De plus, le retard ne peut pas être attribué uniquement à l’auteur. Le Comité relève par exemple que c’est à la demande de la CCAS que le Bureau du tuteur et curateur public a été désigné pour représenter l’auteur et que cette désignation a entraîné l’ajournement du procès. Le Comité estime qu’étant donné le jeune âge de l’enfant, un laps de temps de près de trois ans entre le placement de l’enfant sous la garde de la CCAS et l’audience sur l’action en protection d’enfant, retard qui ne peut pas être uniquement imputé à l’auteur, était excessif et constituait une violation du droit de l’auteur et de sa fille à être jugées avec diligence, comme le garantit le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.12En ce qui concerne les griefs de violation du droit à un procès équitable garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que le juge a fondé sa conclusion sur sa conviction que la mère était «sérieusement malade». Cette conclusion reposait sur l’expertise établie deux ans auparavant par le docteur K., psychologue, qui avait dit que l’auteur souffrait «d’un trouble délirant» et de «délire érotomaniaque, délire de persécution et délire somatique» et sur d’autres rapports psychiatriques. Il ressort du jugement que le juge a utilisé ces rapports de façon sélective et incorrecte. En particulier, il apparaît qu’il a mal interprété l’appréciation du docteur K. (voir par. 2.5 et 2.6 ci‑dessus), qui avait précisé que, si l’auteur avait effectivement un délire érotomaniaque, cela ne semblait pas avoir d’incidence sur sa capacité de s’occuper de sa fille. De plus, le juge n’a pas pris en considération l’opinion du docteur G., un autre spécialiste, qui avait établi qu’il n’y avait pas de troubles de la pensée formelle et que les idées de persécution de l’auteur n’allaient pas jusqu’au délire. Le juge n’a pas entendu le docteur K., psychologue, que l’auteur avait appelé à la barre mais qui ne s’est pas présenté, pas plus qu’aucun des autres médecins qui l’avaient examinée.

8.13Il ressort du dossier que le juge a décidé de retirer l’enfant à sa mère en raison d’un incident d’agression isolé et en fonction de faits, dont la réalité était contestée, qui s’étaient produits trois ans plus tôt. De plus, rien dans le dossier ne montre que le juge avait envisagé d’entendre l’enfant ou que l’enfant ait été appelée à participer à un moment ou à un autre à la procédure. Certes, les souhaits de l’enfant ont été exprimés au procès par son avocat, qui a dit qu’elle souhaitait «rester avec ses parents d’accueil actuels, mais disait toujours qu’elle voulait recevoir des visites de sa mère», mais le juge a conclu que «le maintien des visites ne ferait que perpétuer cet état d’incertitude que le docteur P. considère comme très préjudiciable à l’enfant» et qu’il «faudrait cesser totalement les visites pour que l’enfant puisse aller de l’avant maintenant qu’elle a la possibilité de vivre une nouvelle vie heureuse». Le Comité note toutefois que la psychologue de l’enfant a considéré que la petite fille était dans un état d’incertitude parce qu’elle était «perturbée par l’absence de sa mère». De plus, le juge a souligné qu’il «faut bien voir que l’enfant que nous avons devant nous aujourd’hui n’est pas la même que la petite fille que nous avons appréhendée étant donné que la procédure a pris près de trois ans et que nous avons ici une enfant de 7 ans qui a pu exprimer son désir de ne pas retourner chez elle». Le Comité a noté que le juge avait bien tenu compte des souhaits de l’enfant et avait ordonné le placement sous tutelle de l’État sans visite dans l’intérêt supérieur de l’enfant, mais il ne peut pas approuver l’appréciation du tribunal qui a conclu que la suppression de tout contact entre la mère et l’enfant pourrait servir l’intérêt supérieur de l’enfant en l’espèce. Étant donné ce qui précède, le Comité estime que l’auteur et sa fille n’ont pas bénéficié d’un procès équitable dans l’action en protection d’enfant, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, de l’article 17 lu seul et conjointement avec l’article 2, de l’article 23 et de l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur et à sa fille un recours utile, consistant à autoriser l’auteur à rendre régulièrement visite à sa fille et à lui accorder une indemnisation appropriée. En outre, il doit prendre des mesures pour faire en sorte que de telles violations ne se reproduisent plus.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre-vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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