NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1341/200514 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

DÉCISION

Communication n o  1341/2005

Présentée par:

Ernst Zundel (représenté par un conseil, Barbara Kulaszka)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

4 janvier 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 13 janvier 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

20 mars 2007

Objet: Négation de l’Holocauste, expulsion de personnes représentant une menace pour la sécurité nationale

Questions de procédure: Épuisement des recours internes, abus du droit de présenter des communications, irrecevabilité ratione materiae

Questions de fond: Détention arbitraire, conditions de détention, procès équitable mené par un tribunal compétent et impartial, présomption d’innocence, droit d’être jugé sans retard excessif, liberté d’opinion et d’expression, discrimination, notion de «droits et obligations de caractère civil»

Article(s) du Pacte: 7, 9 (par. 1 et 3), 10, 14 (par. 1, 2 et 3), 18, 19 et 26

Article(s) du Protocole facultatif: 3 et 5 (par. 2 b)

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑neuvième session

concernant la

Communication n o  1341/2005 **

Présentée par:

Ernst Zundel (représenté par un conseil, Barbara Kulaszka)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

4 janvier 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Ernst Zundel, un Allemand né en 1939, actuellement incarcéré en Allemagne après avoir été expulsé du Canada vers l’Allemagne. Il se déclare victime de violations par le Canada de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, de l’article 10, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14, de l’article 18, de l’article 19 et de l’article 26. Il est représenté par un conseil, Barbara Kulaszka.

1.2Le 10 janvier et le 1er mars 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a rejeté les demandes de mesures provisoires visant à empêcher que l’auteur ne soit expulsé du Canada vers l’Allemagne.

1.3Le 11 mars 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications a décidé d’examiner la question de la recevabilité séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a vécu au Canada pendant quarante‑deux ans, de 1958 à 2000, au bénéfice d’un permis de résident. En 1959, il a épousé une Canadienne et il a deux fils et plusieurs petits‑enfants qui vivent au Canada. Vers la fin des années 60, l’auteur a demandé la nationalité canadienne mais le Ministre de l’immigration a refusé, sans lui donner de motif. Il a écrit et publié dans sa propre maison d’édition des textes sur ce qu’il appelle la propagande antiallemande. Dans les années 80, il a publié une brochure intitulée «Did six million really die?» («Est‑il vrai que six millions de personnes sont mortes?»), analysant la question historique du traitement par l’Allemagne des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et dans laquelle il émet des doutes sur les six millions de Juifs tués par les nazis. Il mettait également en doute l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentration comme Auschwitz et Birkenau. En 1984, la Présidente de l’Association canadienne pour la mémoire de l’Holocauste, Sabina Citron, a déposé plainte au pénal pour propagation de fausses nouvelles en raison de cette publication. Il a été donné suite à la plainte pénale et la Couronne a engagé des poursuites.

2.2D’après l’auteur, en 1984, peu de temps avant l’ouverture du procès, une bombe a explosé devant chez lui et a endommagé son garage. Il n’y a eu aucune inculpation. Alors qu’il se rendait aux convocations du juge, il a été frappé sur les marches du tribunal par, d’après lui, des membres d’un groupe juif violent. Personne n’a été condamné pour cette agression.

2.3L’auteur a été reconnu coupable des chefs d’inculpation retenus contre lui et condamné à un emprisonnement de quinze mois ferme et trois ans assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve, la condition étant qu’il «ne publie pas d’écrit ni prenne la parole en public, directement ou indirectement sous son nom ou sous tout autre nom, en tant que personne morale ou personne privée, sur le sujet de l’Holocauste ou sur tout autre sujet directement ou indirectement lié à l’Holocauste». L’auteur a fait appel de la déclaration de culpabilité et a obtenu d’être rejugé. En mai 1988, il a été reconnu coupable du chef de propagation de fausses nouvelles à raison de la brochure susmentionnée et a été condamné à un emprisonnement de neuf mois. Il a fait appel auprès de la Cour d’appel de l’Ontario qui l’a débouté en date du 5 février 1990. En revanche, la Cour suprême du Canada, devant laquelle il s’était pourvu, a acquitté l’auteur en 1992, au motif que l’application à l’auteur des dispositions relatives aux «fausses nouvelles» constituait une violation du droit à la liberté d’expression.

2.4En 1993, l’auteur a de nouveau demandé la nationalité canadienne. La presse a révélé cette information et sont alors parus divers articles et éditoriaux de journaux exigeant que la nationalité soit refusée à cause des idées révisionnistes de l’auteur. D’après celui‑ci, au printemps de 1994, plusieurs groupes de rue marxistes ont essayé de lui faire quitter le quartier. Ils ont distribué des pamphlets dans lesquels il était accusé de fomenter la haine et de promouvoir le «pouvoir blanc». Des affiches ont été apposées dans tout Toronto montrant sa photo dans un viseur de fusil et donnant son adresse personnelle et des instructions pour fabriquer des cocktails molotov. L’auteur a déposé plainte auprès de la police mais aucune enquête n’a été ouverte. Le 14 avril 1995, il a reçu par courrier une lame de rasoir accrochée à un piège à souris, que lui envoyait un groupe appelé «Anti‑Fascist Militia» («Milices antifascistes»). Il était prévenu que la prochaine fois ce serait une bombe. Il n’y a eu aucune inculpation.

2.5À la fin du mois de mai 1995, une bombe artisanale («bombe tuyau») a été envoyée par la poste. L’auteur s’est méfié et a apporté le paquet à la police sans l’ouvrir. La police de Toronto a déclaré que la bombe aurait tué la personne qui aurait ouvert le paquet et quiconque se trouvait dans un rayon de 90 mètres. L’auteur laisse entendre que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) connaissait l’existence de la bombe. Deux hommes ont bien été inculpés en mars 1998, mais n’ont pas été inculpés de tentative de meurtre sur la personne de l’auteur. En 2000, toutes les poursuites contre les deux hommes ont été abandonnées.

2.6En août 1995, l’auteur a été avisé que la procédure concernant sa demande de nationalité avait été suspendue parce que le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration estimait qu’il existait des motifs suffisants de croire qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale du Canada. En octobre 1995, l’auteur a reçu une déclaration exposant les raisons pour lesquelles il était considéré comme une menace pour la sécurité. Si lui‑même n’avait commis aucun acte de violence, le fait qu’il soit «de droite» signifiait qu’il pouvait inciter d’autres personnes à la violence. En décembre 2000, l’auteur a retiré sa demande de naturalisation.

2.7En 2000, l’auteur a quitté le Canada pour aller vivre avec sa femme aux États‑Unis. Le 19 février 2003, il a été expulsé des États‑Unis vers le Canada en raison d’irrégularités dans la procédure d’immigration. Il a demandé le statut de réfugié et dans un premier temps a été placé en rétention en application de l’article 55 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la loi). Le 24 février 2003, la Section de la protection des réfugiés a été avisée par le Service de la citoyenneté et de l’immigration qu’en application de l’article 103, paragraphe 1, de la loi, elle devait surseoir à l’examen de la demande de statut de réfugié parce que le cas de l’auteur avait été renvoyé à la Section de l’immigration qui devait rendre un avis d’irrecevabilité pour des raisons de sécurité nationale.

2.8L’auteur a été entendu plusieurs fois dans le cadre de la procédure de réexamen de la détention conformément à l’article 58 de la loi. À chaque fois, on lui confirmait que le Ministre faisait le nécessaire pour déterminer s’il existait des motifs suffisants de considérer que l’auteur représentait une menace pour la sécurité nationale.

2.9Le 1er mai 2003, le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration et le Solliciteur général (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile) (les Ministres) ont délivré un certificat attestant que l’auteur était interdit de territoire pour des raisons de sécurité, conformément à l’article 77 de la loi. Il a fait l’objet d’un mandat d’arrestation en vertu de l’article 82 de la loi alors qu’il était au centre de détention de Niagara. L’affaire a été renvoyée à la Cour fédérale du Canada pour qu’elle vérifie le bien‑fondé du certificat de sécurité et détermine s’il était nécessaire de maintenir l’auteur en détention en attendant qu’il soit statué sur le bien‑fondé du certificat. Conformément à l’article 77 de la loi, la Cour a examiné les renseignements présentés par les Ministres à huis clos et a conclu que certains renseignements ne devaient pas être divulgués pour ne pas mettre en danger la sécurité nationale. Le 5 mai 2003, la Cour fédérale a ordonné que soit communiqué à l’auteur un «exposé résumant les éléments d’information et de preuve» (le résumé) dans lequel était exposés la place tenue par l’auteur dans le mouvement du «pouvoir blanc» et ses contacts avec les membres de ce mouvement et d’autres mouvements d’extrême droite. En plus du résumé, les Ministres ont communiqué à l’auteur un index renvoyant à plus de 1 600 pages de documents non considérés comme secrets, qui appuient les informations données dans le résumé.

2.10Le 6 mai 2003, l’auteur a déposé un avis de question constitutionnelle auprès de la Cour fédérale du Canada. Il indiquait qu’il avait l’intention de contester la constitutionnalité du système des certificats de sécurité, qu’il considérait comme incompatible avec la Charte canadienne des droits et des libertés (la Charte canadienne). En 2003, il a également contesté la validité de sa détention devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en déposant un bref d’habeas corpus, tout en contestant la constitutionnalité de la loi. Le 14 octobre 2003, il a retiré son avis de question constitutionnelle, empêchant l’examen par la Cour fédérale de son action en inconstitutionnalité. Le 25 novembre 2003, la Cour supérieure a refusé d’examiner la requête au motif qu’elle visait à court‑circuiter le régime statutaire général et à usurper une procédure qui était déjà en cours et que les arguments d’ordre constitutionnel avaient déjà été avancés devant la Cour fédérale. Cette décision a été confirmée en appel par la Cour d’appel de l’Ontario le 10 mai 2004 puis par la Cour suprême le 21 octobre 2004.

2.11En ce qui concerne le réexamen de la procédure de délivrance du certificat, l’auteur affirme que des éléments de preuve «secrets» avaient été présentés contre lui et que ni lui ni son avocat n’avaient pu les consulter. Aucun témoin à charge n’avait été appelé pendant l’audience et les seuls éléments à charge consistaient en cinq volumes principalement d’articles de journaux, d’autres articles d’information, de pages Web, d’extraits de livres et d’autres écrits de même nature émanant de personnes que les Ministres n’avaient pas appelées à la barre. L’auteur a soulevé des incidents, en vain, pour obtenir que le Président de la Cour fédérale (le Président) se dessaisisse de l’affaire en raison de sa partialité, étant donné qu’il avait été le Ministre de tutelle du Service canadien du renseignement de sécurité, organe qui avait produit toutes les preuves à charge pendant la période en question. Au sujet de l’un de ces incidents, la Cour d’appel fédérale a déclaré le 23 novembre 2004 que l’auteur n’avait pas réussi à atteindre le niveau voulu, qui est élevé, pour établir de façon suffisante qu’il pouvait y avoir partialité de la part du Président. Au moment où l’auteur et l’État partie rédigeaient leurs observations, l’auteur attendait toujours de la Cour suprême une décision sur la question de savoir si elle autoriserait un appel contre cette décision (voir plus loin par. 4.18 au sujet de la décision de la Cour suprême).

2.12Le 21 janvier 2004, le juge qui présidait l’audience consacrée à l’examen du bien‑fondé de la détention et du certificat de sécurité a ordonné le maintien en détention de l’auteur, ayant considéré qu’il présentait un danger pour la sécurité nationale. Le tribunal a établi que l’auteur était directement impliqué dans le «mouvement raciste et extrémiste violent» et avait consulté un certain nombre d’individus appartenant à ce mouvement. L’auteur avait objecté que la seule chose qu’il avait en commun avec ces mouvements était un intérêt général pour leurs idées, mais le tribunal a conclu que l’auteur avait eu partie liée avec ces individus et dans certains cas avait financé leurs activités. Il a établi que les Ministres avaient correctement appliqué tous les critères requis pour établir qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’auteur constituait un danger pour la sécurité nationale, ce qui justifiait son maintien en détention. Le Président a refusé d’accorder la libération sous caution alors que l’auteur n’était pas violent. L’auteur affirme que la loi ne lui permet pas de faire recours contre le refus d’accorder la libération sous caution.

2.13Le 24 novembre 2004, l’auteur a déposé une déclaration de plainte auprès de la Cour fédérale, faisant valoir que les dispositions de la loi en vertu desquelles il était en détention étaient contraires aux articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne et que son placement au secret pendant que la Cour fédérale examinait le bien‑fondé du certificat de sécurité était contraire à la loi et à la Constitution.

2.14La procédure concernant le bien‑fondé du certificat de sécurité a été achevée le 4 novembre 2004. La Cour fédérale a confirmé le bien‑fondé du certificat dans un exposé des motifs rendu le 24 février 2005. Elle a conclu que les éléments sur le fondement desquels le certificat avait été délivré montraient de façon indéniable que l’auteur représentait un danger pour la sécurité du Canada. L’auteur n’a pas fait de nouvelles démarches pour empêcher l’expulsion que la décision de la Cour fédérale rendait désormais possible, et a été expulsé vers l’Allemagne le 1er mars 2005; il a rapidement été arrêté pour négation publique de l’Holocauste. Le 14 février 2007, la Cour régionale de Mannheim a reconnu l’auteur coupable d’incitation à la haine raciale et de négation de la Shoah, et l’a condamné à cinq ans d’emprisonnement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation des articles 7 et 10 du fait de son maintien en détention de février 2003 à mars 2005 et de ses conditions de détention. Il se plaint de souffrir d’une dépression causée par sa détention prolongée à l’isolement. Il a également d’autres revendications: il n’a pas le droit d’avoir une chaise dans sa cellule; il n’a pas le droit de porter des chaussures; la lumière est allumée vingt‑quatre heures par jour dans sa cellule et l’intensité n’est que légèrement baissée la nuit; il ne peut pas utiliser de stylo et n’a le droit qu’à un bout de crayon; il n’a pas le droit de prendre ses médicaments phytothérapeutiques pour son arthrite et sa pression artérielle élevée; il a demandé à voir un dentiste mais n’a pas obtenu de consultation pendant un an; il n’a droit qu’à dix minutes de promenade par jour et n’a pas accès au gymnase ni à d’autres installations pour marcher ou faire de l’exercice; en hiver la cellule est froide au point qu’il est obligé de s’envelopper dans les draps et les couvertures; la nourriture, de mauvaise qualité, arrive toujours froide; le courrier est souvent retenu pendant des semaines; il subit de nombreuses fouilles corporelles qui ne sont pas justifiées; il a une «boule» dans la poitrine qui est «peut‑être ou n’est peut‑être pas» cancéreuse. Les autorités le savent depuis plus d’un an mais refusent de lui accorder la libération sous caution.

3.2L’auteur se déclare victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 parce que l’État partie n’a pas garanti la sécurité de sa personne, en particulier en ne faisant rien pour enquêter sur les nombreuses menaces et agressions dont lui‑même et ses biens ont fait l’objet et pour poursuivre les responsables.

3.3L’auteur invoque une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du fait de sa détention, qu’il qualifie d’arbitraire et de prolongée et parce qu’on lui refuse la libération sous caution. Il sait qu’il a été arrêté en vertu de la loi sur la sécurité nationale mais il n’a jamais été informé de ce qui lui est «réellement» reproché. Selon le conseil de l’auteur, le Gouvernement a reconnu que le dossier ne prouvait pas qu’il était une menace pour la sécurité nationale. Donc ce sont les pièces de procédure secrète qui constituent le véritable dossier, celui qui a été renvoyé au juge sans que l’auteur soit informé de son contenu et ait la possibilité de le contester. La procédure pour examiner la légalité de sa détention a été d’une durée excessive et il a fallu huit mois avant que la décision de lui refuser la libération sous caution ne soit prise. Cela lui a été refusé alors qu’il n’a jamais usé de violence, qu’il n’a pas de casier judiciaire au Canada et que pendant une procédure pénale en cours de 1985 à 1992 il avait rempli toutes les conditions pour obtenir la libération sous caution. Le refus de libération sous caution n’est pas susceptible d’appel.

3.4L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14 parce qu’il n’a pas été jugé sans retard excessif et équitablement par un tribunal compétent et impartial. Il dit qu’il y a également eu violation du paragraphe 2 de l’article 14 parce qu’il n’a pas été présumé innocent. Les actions engagées contre lui ne sont pas des actions pénales mais relèvent de la loi sur la sécurité nationale. Il n’est inculpé d’aucune infraction mais est considéré comme «se livrant au terrorisme», «représentant un danger pour la sécurité du Canada», «se livrant à des actes de violence qui mettraient ou pourraient mettre en danger la vie ou la sécurité des personnes au Canada» et «appartenant à une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera» aux actes susmentionnés. Il risque d’être expulsé vers l’Allemagne, où il sera poursuivi aussi, mais pour des infractions qui ne s’appliquent pas au Canada. Il fait valoir qu’il devrait bénéficier du principe de la présomption d’innocence et des garanties judiciaires et que le Gouvernement devrait être tenu de prouver tout ce qu’il avance et non pas se limiter à conclure qu’il existe des motifs raisonnables de le croire. Enfin, l’auteur invoque une violation du paragraphe 3 de l’article 14 parce qu’il s’est écoulé une durée excessive avant qu’il ne soit jugé, ainsi qu’une violation de tous les éléments permettant de garantir une procédure régulière et un procès équitable car il a des motifs de supposer que le Président de la Cour fédérale a des préventions contre lui parce qu’il était Ministre de la sécurité publique du Canada et à ce titre avait la responsabilité directe du Service du renseignement et de sécurité en 1989, c’est‑à‑dire pendant la période durant laquelle l’auteur serait devenu une menace pour la sécurité.

3.5L’auteur invoque une violation des articles 18 et 19 du Pacte parce qu’à son avis il a été placé en détention pour ses opinions sur certaines questions de l’histoire mondiale et pour avoir exprimé ces opinions. Il est considéré comme une menace pour la sécurité nationale en raison de ce qu’il pourrait dire à l’avenir et de ce que d’autres pourraient faire après l’avoir écouté, ou lu ses écrits. Il n’a jamais fait usage de violence. Même si l’État partie n’aime pas sa vision de l’histoire, il n’a jamais été inculpé d’incitation à la haine contre les Juifs ou contre toute autre communauté au Canada malgré les efforts déployés par de nombreux groupes pour obtenir qu’il soit inculpé. Il dit qu’il a été placé en détention en vertu de la législation sur la sécurité nationale uniquement à cause de sa conviction qu’il existe de nombreux aspects de l’historiographie établie sur le sort des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui devraient faire l’objet de recherches plus poussées et être révisés, et qu’il travaille à faire connaître aux autres cette idée. Il fait valoir que c’est précisément ce genre d’activités que les articles 18 et 19 du Pacte visent à protéger et que les accusations au titre de la sécurité nationale portées contre lui ont des motifs politiques et sont arbitraires, en violation de ces deux articles.

3.6Enfin, l’auteur invoque une violation de l’article 26 du Pacte parce que depuis longtemps les autorités canadiennes ne le traitent pas sur un pied d’égalité avec les autres et qu’il a été l’objet de discrimination, que la nationalité lui a été refusée en raison de ses idées sur l’histoire et de ses opinions politiques. Les publications, notamment «Did six million really die?» ont donné lieu à de nombreuses plaintes et poursuites pénales, engagées en vertu de différents textes portant sur le courrier, les infractions pénales, les droits de l’homme et la sécurité nationale, mais toutes avaient pour but de persécuter l’auteur en raison de ses opinions, licites, au sujet de la Deuxième Guerre mondiale. L’État partie aurait prétendu qu’il représentait une menace pour la sécurité du Canada afin de lui refuser la naturalisation, appliquant donc de façon discriminatoire les dispositions relatives à la sécurité nationale.

3.7Sur la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur dit qu’il pourrait s’écouler jusqu’à cinq ans avant que la Cour fédérale ne statue sur l’action qu’il a engagée pour contester sa détention et la constitutionnalité de la loi et fait valoir que les recours internes dureraient trop longtemps. Il ajoute que sa détention est illimitée parce que, à supposer que le certificat de sécurité soit annulé par la Cour si celle‑ci l’estimait non fondé, la Couronne peut en délivrer un autre et toute la procédure recommencerait depuis le début.

3.8L’auteur affirme qu’il n’a pas soumis sa plainte à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie

4.1Dans une note datée du 9 mars 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour les motifs suivants: non‑épuisement des recours internes, irrecevabilité ratione materiae en ce qui concerne les griefs au regard des articles 9 et 14 et abus du droit de plainte en ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 9.

4.2L’État partie indique que l’auteur est un dirigeant notoire du pouvoir blanc, connu depuis longtemps au Canada. Il s’est associé avec des individus et des organisations influents et violents au sein de ce mouvement, au Canada et dans le monde entier, qui ont propagé des messages de violence et de haine et prôné la destruction de gouvernements et de sociétés multiculturelles, et il exerce un ascendant sur eux. La place qu’il occupe dans le mouvement du pouvoir blanc est telle que les adhérents sont incités à traduire en actes son idéologie. L’État partie est convaincu que l’auteur est impliqué dans la propagation de violence politique grave au même titre que ceux qui passent à l’acte. C’est pourquoi il affirme que l’auteur représente effectivement un danger pour la sécurité nationale et une menace pour la communauté internationale, ce qui justifie son expulsion.

4.3L’État partie fait remarquer que l’examen des preuves pour déterminer le bien‑fondé de la délivrance du certificat de sécurité et la nécessité de maintenir l’auteur en détention a eu lieu à plusieurs dates en 2003 et 2004. En 2003 en particulier, il a fallu reporter l’examen parce que le conseil de l’auteur était indisponible de façon répétée. La procédure a également été interrompue plusieurs fois par les incidents soulevés à la dernière minute par l’auteur, notamment pour obtenir que le Président du tribunal se récuse, en raison d’un prétendu parti pris à son encontre, tentatives qui ont toutes échoué.

4.4En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas montré que s’il utilisait tous les recours internes offerts, la procédure serait d’une durée excessive. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité qui a toujours affirmé qu’une procédure engagée pour des violations des droits et libertés comme ceux qui sont garantis par la Charte canadienne ainsi que d’autres recours prévus par la loi, en passant par la voie judiciaire normale, ne serait pas d’une durée excessive au sens de l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif. Il ajoute que l’auteur n’a pas épuisé les recours disponibles et l’a lui‑même implicitement reconnu.

4.5En ce qui concerne les griefs de violation des articles 7 et 10 du Pacte, l’État partie indique que la Charte canadienne garantit que les conditions de détention respectent la dignité des détenus. L’auteur aurait pu se plaindre de ses conditions de détention en invoquant l’article 2 ou les articles 7, 8, 10 et 12 de la Charte. De surcroît, d’autres dispositions plus précises régissent la détention et l’auteur aurait pu les faire appliquer par un tribunal par la voie du réexamen judiciaire, ce qui aurait constitué un recours approprié pour le genre de grief avancé.

4.6Au sujet des griefs de violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, relativement à sa détention, l’État partie rappelle que l’auteur a engagé une procédure en invoquant la Charte canadienne, essentiellement pour réitérer les mêmes plaintes que celles qu’il soulève dans la communication au titre de l’article 9 du Pacte. Le motif de l’action constitutionnelle qu’il a engagée auprès de la Cour fédérale du Canada est que la procédure de délivrance des certificats de sécurité, telle qu’elle a été appliquée dans son cas, constitue une violation des articles 7, 9 et 10 c) de la Charte. Comme dans la communication adressée au Comité, l’auteur avance des violations de la Charte fondées sur la non‑divulgation de toutes les preuves à charge, la durée de sa détention et le fait qu’il n’a pas été jugé sans délai et de façon équitable. Étant donné les différents recours formés par l’auteur et qui sont en cours, l’État partie affirme que cette partie de la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

4.7En ce qui concerne le grief au titre du paragraphe 1 de l’article 9, relativement à des violations qui seraient dues à des incidents survenus entre 1984 et 1995, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas montré qu’il ait jamais tenté de se prévaloir des recours internes existants pour redresser un tort prouvé, imputable à des policiers ou des procureurs de la Couronne. Plusieurs recours judiciaires étaient et sont toujours potentiellement ouverts à l’auteur, notamment le réexamen judiciaire pour mauvaise foi, partialité, irrégularité manifeste, abus d’autorité, etc., et d’autres actions fondées sur la Charte canadienne. De plus, des procédures de plainte administrative auraient pu utilement être exploitées, mais l’auteur n’a pas non plus utilisé ces voies de recours. L’auteur ne prétend pas avoir engagé des recours pour contester les actes des autorités chargées de faire appliquer la loi. Toujours en ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie ajoute que l’auteur n’a pas fait preuve de la diligence voulue pour introduire ses plaintes à l’effet que l’État se serait abstenu de protéger sa sécurité en ne procédant pas à des enquêtes sur les agressions prétendument commises contre lui‑même et ses biens entre 1984 et 1995 et en ne poursuivant pas les éventuels responsables. Pour l’État partie, le fait d’avoir attendu entre dix et vingt ans sans justification raisonnable pour porter plainte rend ce grief irrecevable et en fait un abus du droit de plainte.

4.8En ce qui concerne les griefs de violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 du Pacte, l’État partie indique que l’auteur a engagé des procédures devant la Cour fédérale du Canada pour essentiellement les mêmes motifs que les plaintes soumises dans la communication au regard de l’article 14. Une des actions concerne la prétendue partialité du Président du tribunal appelé à statuer sur le bien‑fondé du certificat de sécurité délivré et sur le maintien en détention de l’auteur, et l’autre action porte sur la constitutionnalité de la procédure de délivrance des certificats de sécurité en ce qu’elle s’applique à l’auteur. Dans l’action constitutionnelle, l’auteur avance des griefs au regard des articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne, relativement à la rapidité et à l’équité de la procédure de jugement, notamment des questions liées à la charge de la preuve, à la divulgation de certains éléments et à des droits de procédure, et relativement à la durée et à la légalité de sa détention. Étant donné les recours internes disponibles, dont l’auteur s’est prévalu et qui sont toujours pendants, l’État partie estime que cette partie de la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

4.9Pour ce qui est des griefs au titre des articles 18 et 19 du Pacte, l’État partie fait valoir que l’article 2 de la Charte canadienne garantit la liberté d’opinion, de pensée, de conscience et d’expression, limitée de façon compatible avec les termes des articles 18 et 19 du Pacte dans les cas où les besoins d’une société libre et démocratique l’exigent. L’auteur n’a pas utilisé ce recours potentiel, et cette partie de sa communication est donc également irrecevable.

4.10En ce qui concerne le grief de discrimination au titre de l’article 26, l’État partie signale que l’article 15 de la Charte canadienne garantit le droit de chacun à l’égalité sans discrimination. Il renvoie à la décision précédente du Comité relative à une communication soumise par l’auteur, et rappelle que le fait de ne pas avoir saisi une juridiction nationale d’une action fondée sur l’article 15 pour une discrimination particulière rend la plainte devant le Comité irrecevable.

4.11L’État partie objecte que l’auteur n’a pas étayé ses griefs. En ce qui concerne le grief au titre de l’article 9, il relève qu’il a trait à sa détention du fait qu’il représente une menace pour la sécurité nationale et renvoie à la jurisprudence du Comité qui a établi que le placement en détention d’un étranger sur la foi d’un certificat de sécurité dont la délivrance est prévue par la loi ne constitue pas ipso facto une détention arbitraire. Pour l’État partie, la communication fait clairement apparaître que l’auteur sait pourquoi il a été placé en détention conformément à la loi et connaît les textes en vertu desquels il a été placé en détention et ensuite expulsé. Il a eu toute latitude pour faire valoir ses arguments devant différentes juridictions et juges au sujet de la légalité de son maintien en détention et d’avancer des arguments pour contester la conclusion des Ministres qui estimaient qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale. La loi dispose expressément qu’en tant que résident permanent du Canada, l’auteur avait le droit de faire réexaminer la légalité de sa détention au moins tous les six mois. Dans le cas de l’auteur, les réexamens n’ont pas abouti à sa libération parce qu’à chaque fois, les juges ont considéré qu’il constituait un danger pour la sécurité nationale. Toutefois, ces réexamens sont sérieux et peuvent permettre d’obtenir la libération. L’État partie objecte donc que ce grief est incompatible ratione materiae  avec le Pacte.

4.12En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14, l’État partie signale que la procédure d’expulsion ne comporte pas de décision sur une accusation pénale ou sur des contestations sur des droits et obligations de caractère civil mais relève de l’administration publique. Pour ce qui est de l’aspect pénal de l’article 14 («toute accusation en matière pénale»), il fait valoir que la procédure d’expulsion a encore moins de rapport avec une décision sur une accusation pénale que la procédure d’extradition, que le Comité a considérée comme n’entrant pas dans le champ d’application de l’article 14. En conséquence, l’État partie fait valoir que les griefs de l’auteur qui se rapportent spécifiquement aux paragraphes 2 et 3 de l’article 14 sont irrecevables pour incompatibilité ratione materiae avec le Pacte.

4.13Pour ce qui est de l’aspect «civil» de l’article 14 («contestations sur ses droits et obligations de caractère civil»), l’État partie réitère les arguments qu’il avait avancés dans l’affaire V. R. M. B. c. Canada et rappelle que les procédures d’expulsion ne portent pas sur une décision relative à une accusation pénale ni à des contestations sur des «droits et obligations de caractère civil». Les procédures d’expulsion sont du domaine du droit public et relèvent de la faculté de l’État de réglementer les questions de nationalité et d’immigration. Le Comité s’est abstenu de donner son avis sur la question de savoir si une procédure d’expulsion porte sur une «contestation des droits et obligations de caractère civil» dans cette affaire ainsi que dans l’affaire Ahani c. Canada, qui concernait également l’expulsion d’une personne représentant une menace pour la sécurité nationale.

4.14L’État partie fait valoir que, comme l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 14 du Pacte sont équivalents, la jurisprudence de la Cour européenne peut être invoquée et elle montre bien que les procédures d’expulsion contestées par l’auteur n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 14 du Pacte. À ce sujet, il renvoie à l’affaire Maaouia c. France, dans laquelle la Cour européenne a estimé que la décision d’autoriser ou de ne pas autoriser un étranger à rester dans un pays dont il n’est pas ressortissant n’entraîne pas de décision sur des droits ou obligations de caractère civil ni sur une accusation pénale portée contre lui, au sens du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne.

4.15À titre subsidiaire, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas montré que les réexamens du bien‑fondé du certificat de sécurité et de sa détention aient été menés d’une façon qui ne soit pas parfaitement conforme à l’article 14 du Pacte. L’expulsion de l’auteur, fondée sur le fait que les autorités canadiennes avaient des raisons sérieuses de croire qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale, a été décidée en application de la loi canadienne, de façon équitable et impartiale, l’auteur ayant bénéficié de l’assistance d’un conseil et de la possibilité de contester les éléments de preuve, y compris en faisant interroger un représentant du SCRS. Si l’auteur n’a pas pu contester toutes les preuves à charge, c’est pour des raisons de sécurité nationale, conformément à la loi canadienne que le Comité a qualifiée à une autre occasion de satisfaisante, et qui est compatible avec le Pacte (art. 13).

4.16L’État partie conteste qu’il y ait eu partialité dans la procédure d’expulsion de l’auteur. Les tribunaux nationaux ont correctement évalué les faits et les principes de droit applicables quand ils ont rejeté les allégations de partialité. L’État partie invoque la jurisprudence du Comité à ce sujet. L’auteur n’est pas fondé à prétendre que l’appréciation des preuves a été entachée d’arbitraire et de partialité et n’a même pas un commencement de preuve. L’État partie affirme que tout grief au titre de l’article 14 fondé sur des allégations de partialité est irrecevable conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

4.17Par une note du 16 septembre 2005, l’État partie a informé le Comité que le 25 août 2005, la Cour suprême du Canada avait refusé à l’auteur l’autorisation de former recours contre la décision de la Cour d’appel fédérale du 23 novembre 2004. L’État partie précise que cette décision ne remet pas en cause sa position et qu’il continue de considérer la communication comme irrecevable, en particulier en ce qui concerne l’allégation de partialité du juge qui avait présidé l’audience de réexamen du bien‑fondé du certificat de sécurité.

Commentaires de l’auteur

5.Par une note du 3 novembre 2005, l’auteur a fait savoir qu’il souhaitait maintenir sa communication mais n’a pas commenté les observations de l’État partie.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que l’État partie conteste l’intégralité de la communication. En ce qui concerne les griefs de l’auteur au regard des articles 7 et 10 concernant ses conditions de détention et la durée de la détention, l’État partie objecte que l’auteur aurait pu se prévaloir de recours pour violations de la Charte canadienne, en particulier en vertu de l’article 12 qui garantit «le droit à la protection contre tous les traitements ou peines cruels et inusités». De plus, l’auteur pouvait se plaindre de ses conditions de détention en vertu de la loi sur les services correctionnels, en particulier l’article 28 du Règlement qui concerne les plaintes des détenus et l’article 34 relatif à l’isolement. En l’absence de commentaires ou d’objections de la part de l’auteur, qui a déposé une action constitutionnelle en vertu d’autres articles de la Charte, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non‑épuisement des recours internes.

6.3En ce qui concerne les griefs de l’auteur au regard des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, du fait de la détention qu’il qualifie d’arbitraire et de prolongée et à cause du refus de libération sous caution, le Comité note que l’auteur a introduit une action constitutionnelle devant la Cour fédérale du Canada, au motif que la procédure de délivrance du certificat de sécurité qui lui avait été appliquée était contraire aux articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Comité note en outre que ces articles, qui traitent de la liberté, de la détention arbitraire et du réexamen de la validité de la détention, correspondent aux griefs de l’auteur qui se plaint d’une détention arbitraire et prolongée et du refus de la libération sous caution en invoquant l’article 9 du Pacte. Ces procédures sont toujours pendantes. Le Comité a pris note de l’argument de l’auteur qui affirme que se prévaloir de cette voie de recours durerait trop longtemps. Il remarque que l’auteur a déposé cette action le 24 novembre 2004. Au moment de l’examen de la communication il s’est écoulé un peu plus de deux ans depuis le dépôt de la première action. L’auteur n’a pas montré pourquoi il est convaincu qu’il faudrait jusqu’à cinq ans pour que l’action constitutionnelle soit examinée. Dans les circonstances, le Comité ne considère pas qu’une durée de deux ans pour examiner une action constitutionnelle est excessive. Étant donné que la procédure constitutionnelle est en cours, le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes pour ses griefs. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Le grief au titre du même article constitué par le fait que l’auteur n’a pas été informé du «véritable dossier» contre lui parce que certaines audiences se sont déroulées à huis clos, semble se rapporter aux griefs au regard de l’article 14 et sera traité avec les autres allégations de violation de cet article.

6.5En ce qui concerne le grief au regard du paragraphe 1 de l’article 9, du fait que l’État partie n’aurait pas assuré la sécurité de l’auteur, l’État partie considère que cette partie de la communication constitue un abus du droit de plainte. Le Comité rappelle qu’il n’existe pas de date limite précise pour la soumission de communications en vertu du Protocole facultatif et que le fait d’avoir attendu longtemps avant d’adresser la communication ne constitue pas en soi un abus du droit de plainte. Néanmoins, dans certaines circonstances, le Comité attend une explication raisonnable pour justifier le retard. Les agressions dont l’auteur se plaint ont eu lieu entre 1984 et 1995, c’est‑à‑dire il y a entre douze et vingt‑trois ans. Le Comité relève que l’auteur a déjà utilisé deux fois la procédure de soumission de communications prévue par le Protocole facultatif et n’a pas saisi l’occasion pour dénoncer ces agressions dans les précédentes communications. En l’absence d’une explication raisonnable pour justifier un aussi long retard, le Comité considère que soumettre ce grief au bout de tant de temps devrait être considéré comme un abus du droit de plainte. Il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.6En ce qui concerne les griefs de l’auteur au titre de l’article 14, le Comité a noté l’argument de l’État partie qui fait valoir qu’une action constitutionnelle sur le fondement des articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne était toujours pendante devant la Cour fédérale. Toutefois, comme il a été noté plus haut, ces articles de la Charte portent sur la détention et non pas sur des questions d’équité et d’impartialité des audiences qui sont visées par l’article 14 du Pacte. Le Comité relève que, dans sa demande d’action constitutionnelle, l’auteur contestait non seulement sa détention mais aussi l’intégralité de la procédure qui avait été suivie pour déterminer le bien‑fondé du certificat de sécurité. Toutefois, le Comité estime que les garanties prévues à l’article 14 du Pacte diffèrent fondamentalement de celles qui sont protégées par l’article 9, lesquelles donnent une protection analogue à celle qui est assurée par les articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne. Il conclut qu’une action constitutionnelle en cours sur le fondement des articles 7, 9 et 10 c) de la Charte ne l’empêche pas d’examiner des griefs au regard de l’article 14 du Pacte. De plus, la procédure relative à la partialité alléguée du Président du tribunal s’est achevée le 25 août 2005, avec le refus de la Cour suprême d’autoriser l’auteur à former recours contre la décision de la Cour d’appel fédérale. L’État partie n’a pas cité d’autre recours qui aurait pu être ouvert à l’auteur pour ses griefs au titre de l’article 14. Le Comité conclut que l’auteur a épuisé les recours internes en ce qui concerne les griefs de violation de l’article 14 et que la communication n’est pas irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui affirme qu’une procédure d’expulsion n’a pas trait à une décision sur une accusation pénale ni sur des «droits et obligations de caractère civil». Il relève que l’auteur n’a pas été inculpé ni condamné pour une infraction pénale dans l’État partie et que son expulsion n’est pas une sanction prononcée à l’issue d’une procédure pénale. Le Comité conclut que la procédure qui vise à déterminer si un individu constitue une menace pour la sécurité nationale et l’expulsion à laquelle cette procédure peut aboutir ne se rapporte pas à la détermination du bien‑fondé d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 14 du Pacte.

6.8Le Comité rappelle de plus que la notion de «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, repose sur la nature du droit en question et non pas sur le statut de l’une des parties. Dans la présente affaire, la procédure porte sur le droit de l’auteur, qui est un résident permanent en toute légalité, de continuer à résider sur le territoire de l’État partie. Le Comité estime que la procédure relative à l’expulsion d’un étranger, qui doit être entourée des garanties prévues à l’article 13 du Pacte, n’entre pas dans le champ d’application de la détermination des «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Il conclut que la procédure d’expulsion de l’auteur, dont il a été établi qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale, ne relève pas du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et que ce grief est irrecevable ratione materiae, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.9Pour ce qui est du grief de violation des articles 18 et 19 du Pacte, le Comité relève que l’auteur ne s’est pas prévalu du recours que la Charte canadienne lui offrait en vertu de l’article 2 qui dispose que «chacun a les libertés fondamentales suivantes: a) liberté de conscience et de religion; b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; c) liberté de réunion pacifique; et d) liberté d’association». Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5, pour non‑épuisement des recours internes.

6.10Le Comité parvient à la même conclusion pour ce qui est du grief de violation de l’article 26, étant donné que l’auteur n’a pas formé de recours sur le fondement de l’article 15 de la Charte canadienne, qui dispose: «La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.» Même si l’opinion politique ou toute autre opinion, expressément mentionnée à l’article 26 du Pacte, ne figure pas au nombre des motifs de discrimination interdits par l’article 15 de la Charte, cette énumération est précédée et qualifiée par le mot «notamment» qui donne à penser que la liste des motifs n’est pas exhaustive. L’auteur aurait donc pu se prévaloir de cette voie de recours et ici encore il n’a pas satisfait à la condition prescrite au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur, par l’intermédiaire de son conseil.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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