Nations UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1219/200322 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

DÉCISION

Communication n o  1219/2003

Présentée par:

Vladimir Raosavljevic (non représenté)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bosnie-Herzégovine

Date de la communication:

3 juillet 2003 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 novembre 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la décision:

28 mars 2007

Objet: Non‑renouvellement de la nomination d’un juge à la Cour suprême en raison de la participation à des jugements controversés − Absence d’un recours utile pour contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature

Questions de fond: Droit d’accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques − Droit à un recours utile

Questions de procédure: Recevabilité ratione materiae − Justification des griefs − Épuisement des recours internes

Articles du Pacte: 2 (par. 1 et 3), 17, 25 c)

Articles du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 [par. 2 a) et b)]

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑neuvième session**

concernant la

Communication n o  1219/2003

Présentée par:

Vladimir Raosavljevic (non représenté)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bosnie-Herzégovine

Date de la communication:

3 juillet 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.1L’auteur de la communication est Vladimir Raosavljevic, ressortissant de Bosnie‑Herzégovine, né le 28 juillet 1939. Il se déclare victime de violations par la Bosnie‑Herzégovine de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu seul et conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 ainsi que, indirectement, de l’article 17. Il n’est pas représenté.

1.2Dans une lettre datée du 19 janvier 2004, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément du fond, conformément au paragraphe 3 de l’article 97 du Règlement intérieur. Le 11 février 2004, par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, le Comité a décidé d’examiner la recevabilité en même temps que le fond.

Exposé des faits

2.1De 1965 à 2003, l’auteur a occupé les fonctions de juge au tribunal municipal de Prnjavor (cinq ans), au tribunal de district (vingt‑trois ans) et de 1993 à 2003 à la Cour suprême de la Republika Srpska dont il présidait la chambre pénale.

2.2En 2002, le Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine a mis en place des conseils supérieurs de la magistrature au niveau de la Fédération et dans chacune des deux entités. Tous les postes de l’administration judiciaire existants ont été déclarés vacants et leurs titulaires ont dû poser de nouveau leur candidature. Le Conseil supérieur de la magistrature de la Republika Srpska a dirigé le processus de sélection et de nomination dans la Republika Srpska (RS) en appliquant les critères énoncés à l’article 41 de la loi de la RS sur le Conseil supérieur de la magistrature.

2.3Le 4 novembre 2002, à l’issue d’une audience extraordinaire, une chambre de la Cour suprême de la Republika Srpska présidée par l’auteur avait annulé un jugement définitif de deux tribunaux de première instance de Bijeljina (le tribunal municipal et le tribunal de district) qui avaient reconnu les accusés coupables d’enlèvement et d’avortement forcé et les avaient condamnés à des emprisonnements allant de quatre ans et six mois à six ans et six mois. La Cour avait renvoyé l’affaire au tribunal de première instance. Dans une autre affaire, une chambre présidée également par l’auteur et siégeant en tant que juridiction de deuxième degré, avait confirmé une condamnation pour meurtre, alors que, selon les informations, les preuves étaient insuffisantes, et sans avoir procédé à un réexamen réel du verdict. Dans les deux affaires, des plaintes avaient été portées contre l’auteur, par le Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme dans la première affaire et par le père du condamné pour meurtre dans la deuxième.

2.4Selon l’auteur, au début de 2003, le bureau local du Conseil supérieur de la magistrature à Banja Luka a examiné la candidature de l’auteur qui souhaitait être nommé de nouveau à la Cour suprême de la Republika Srpska. Ayant enquêté sur les deux plaintes, le Conseil a conclu que les jugements rendus avaient été irréguliers et faisaient douter de l’aptitude de l’auteur à occuper la charge de juge. Le 12 mars 2003, le Conseil supérieur de la magistrature a décidé de ne pas nommer de nouveau l’auteur juge à la Cour suprême. Le fait qu’il n’ait pas été retenu cette fois ne l’empêcherait pas d’être nommé ultérieurement juge ou procureur. La décision était fondée sur un système complexe de notation (voir aussi le paragraphe 5.2 ci‑dessous).

2.5Par une lettre datée du 17 mars 2003, l’auteur et un autre juge de la Cour suprême, dont la nomination avait été refusée parce qu’il avait participé au jugement qui avait abouti aux verdicts cités plus haut, ont contesté la décision du Conseil supérieur de la magistrature en faisant valoir que, dans le procès pour enlèvement et avortement forcé, les juridictions inférieures auraient dû ordonner qu’il soit procédé à une expertise pour évaluer la capacité mentale du principal accusé au moment des faits; leur appréciation des preuves médicales avait été dépourvue d’objectivité.

2.6Le 20 mars 2003, l’auteur a demandé au Conseil supérieur de la magistrature de reconsidérer sa décision de mettre fin à sa charge de juge, en soulignant son professionnalisme, l’efficacité de la chambre pénale de la Cour suprême de la Republika Srpska qu’il avait présidée et le respect dont il jouissait parmi ses collègues. Le 2 avril 2003, le Conseil a rejeté la demande et a déclaré que la décision n’était pas susceptible d’appel.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le non-renouvellement de sa nomination motivé par l’application de la loi qu’il avait faite dans les deux affaires pénales mentionnées était discriminatoire, qu’il a représenté un déni du droit d’accès dans des conditions d’égalité à des fonctions publiques, a constitué une atteinte à son indépendance en tant que juge et a porté préjudice à son honneur et à sa réputation, en violation du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, de l’article 17 et de l’alinéa c de l’article 25, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 (en l’absence d’un recours utile pour contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature).

3.2L’auteur réaffirme que la chambre pénale de la Cour suprême de la Republika Srpska dont il était président était la plus efficace de toute la Bosnie-Herzégovine à telle enseigne qu’au 12 février 2003 il n’y avait que trois affaires en souffrance. Il avait participé à plusieurs équipes d’experts chargés de réviser la législation et d’élaborer des textes de loi dans la Republika Srpska et dans le district de Brcko. Alors que la notation de l’auteur était supérieure à celle de tous les candidats qui ont été nommés à la Cour suprême, le Conseil a décidé de mettre fin à sa nomination avant qu’il n’atteigne 70 ans, âge de la retraite, uniquement sur le fondement de deux jugements controversés. Le Conseil supérieur de la magistrature n’a pris en considération aucun des critères suivants: l’efficacité de la chambre dont il avait été le Président, son professionnalisme et son expérience professionnelle, l’absence d’irrégularités dans les affaires qu’il avait jugées et l’absence de toute action disciplinaire contre lui.

3.3Se référant à l’article 258 du Code de procédure pénale, l’auteur fait valoir que la décision rendue le 4 novembre 2002 d’annuler les condamnations prononcées dans l’affaire d’enlèvement et d’avortement forcé était tout à fait légale car elle était fondée sur l’avis de plusieurs experts psychiatriques qui estimaient que l’accusé souffrait d’une maladie mentale au moment des faits.

3.4L’auteur fait valoir que, outre qu’il a porté atteinte à son indépendance de magistrat, le Conseil supérieur de la magistrature n’était pas composé comme il aurait dû l’être quand il s’est prononcé sur sa candidature, étant donné que l’un des membres du Conseil qui avait été désigné était issu de la catégorie professionnelle la moins élevée alors qu’il aurait fallu que ce soit le Bureau de l’avocat général qui le désigne.

3.5L’auteur affirme qu’il n’a pas pu faire appel de la décision du Conseil supérieur de la magistrature auprès d’une autre autorité juridictionnelle et qu’il n’a pas eu accès aux dossiers quand le processus d’évaluation a été terminé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.Par une note datée du 19 janvier 2004, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en faisant valoir que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes parce qu’il n’avait pas déposé de demande de réexamen de la décision du Conseil supérieur de la magistrature auprès de la Cour suprême de la Republika Srpska et ne s’était pas non plus pourvu devant la Cour constitutionnelle ou devant la Chambre des droits de l’homme de Bosnie‑Herzégovine instituée en vertu de l’annexe V de l’Accord de Dayton. L’État partie demande au Comité de vérifier que la même question n’est pas en cours d’examen devant la Cour européenne des droits de l’homme.

5.1Dans une note du 30 avril 2004, l’État partie a réitéré les arguments avancés pour contester la recevabilité de la communication et a fait des observations sur le fond, faisant valoir que les faits présentés ne soulèvent aucune question au regard de l’article 17 ni des alinéas a et b de l’article 25 du Pacte.

5.2Pour ce qui est du grief de violation de l’alinéa c de l’article 25, l’État partie fait valoir que la candidature de l’auteur s’inscrivait dans le processus de nomination de 16 juges à la Cour suprême de la Republika Srpska. Sur les 98 candidats qui s’étaient présentés aux 16 postes, 91 ont été entendus. Tous remplissaient les conditions de nomination à la Cour suprême fixées par la loi. Le Conseil supérieur de la magistrature avait compétence pour sélectionner les candidats qu’il estimait le plus qualifiés, en fonction des critères énoncés à l’article 41 de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature. En vertu de la Constitution de l’État et de la Constitution de la Republika Srpska, la composition ethnique de la Cour suprême doit refléter la composition ethnique de la population de la Republika Srpska telle qu’elle ressortait des résultats du recensement mené en 1991 dans l’ancienne République socialiste de Yougoslavie. Ainsi, sur les 13 magistrats proposés par la Commission des nominations, il y avait 8 Serbes, 2 Bosniaques, 2 Croates et 1 «autre». L’auteur a été très bien noté par la Commission mais n’atteignait pas le seuil fixé pour les huit juges d’origine serbe. Le processus de sélection reposait sur des critères objectifs et non pas sur l’opinion ou l’appartenance politique et était de nature à donner à l’auteur une «bonne chance» d’obtenir un poste de juge, conformément à la législation interne et à l’alinéa c de l’article 25 du Pacte.

5.3L’État partie fait valoir que pendant le processus de sélection, le Conseil supérieur de la magistrature était composé selon les prescriptions de l’article 5 et de l’article 76 de la loi de la RS sur le Conseil supérieur de la magistrature. Si l’article 5 définissait dans les grandes lignes les modalités de composition du Conseil, l’article 76 donnait au Haut Représentant une certaine latitude lui permettant de s’écarter de cette disposition pour la nomination des membres du Conseil pendant la période de transition.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1Dans une réponse du 22 mai 2004, l’auteur a déclaré qu’il n’avait jamais pressenti la Cour européenne des droits de l’homme et que l’État partie n’avait pas cité une seule disposition de la législation interne qui lui aurait permis de contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature devant un autre organe. L’auteur s’est prévalu du seul recours qui lui était ouvert en déposant une demande de réexamen en vertu du paragraphe 3 de l’article 79 de la loi de la Republika Srpska sur le Conseil supérieur de la magistrature. Dans la décision de rejet, il était expressément indiqué qu’elle n’était pas susceptible d’appel. En outre, l’article 86 de la même loi définit la loi comme étant une «lex specialis», ce qui interdit l’exercice de tout recours prévu dans d’autres lois. La disposition relative à la protection des juridictions, ajoutée récemment dans le nouveau projet de loi fédérale sur le Conseil supérieur de la magistrature, ne visait que les procédures disciplinaires et n’avait pas d’effet rétroactif. La chambre des droits de l’homme avait cessé de recevoir des plaintes quand il avait voulu contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature. Ce n’était pas un recours interne. Il avait donc épuisé tous les recours internes disponibles.

6.2L’auteur mentionne des rapports statistiques qui montrent qu’il avait dépassé le quota de travail de 217,4 % en 2000 et de 161,5 % en 2001 et il réaffirme qu’il a été mis fin à son mandat bien qu’il eût obtenu les notes les plus élevées de tous les candidats, selon les critères établis à l’article 41 de la loi de la Republika Srpska sur le Conseil supérieur de la magistrature. Conformément à l’article 17 du Règlement intérieur du Conseil, les dossiers d’évaluation sont confidentiels et ne sont pas portés à la connaissance des candidats. L’État partie n’a pas porté ces dossiers à la connaissance du Comité parce qu’il voulait cacher les notes que l’auteur avait obtenues et celles des autres candidats.

6.3L’auteur ne conteste pas la sélection des juges selon un quota ethnique mais il fait valoir que la question de l’origine ethnique ne se posait pas dans son cas puisque les huit juges désignés pour siéger à la chambre pénale de la Cour suprême de la Republika Srpska étaient tous serbes. Quatre d’entre eux venaient de juridictions inférieures; l’un d’eux n’avait jamais eu dans toute sa carrière à statuer en appel.

6.4L’auteur souligne que la seule raison pour laquelle il n’a pas été renommé à la Cour suprême de la Republika Srpska tient à l’appréciation qu’il avait faite de la loi dans les deux verdicts, en fonction de laquelle le Conseil supérieur de la magistrature avait écarté sa candidature alors qu’il avait nommé à la Cour suprême de la Republika Srpska ou à la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine d’autres candidats qui avaient pourtant participé aux mêmes jugements. Non seulement le Conseil supérieur de la magistrature l’a empêché d’exercer son droit d’accéder dans des conditions d’égalité à des fonctions à la Cour suprême de la Republika Srpska mais il a en outre recommandé le rejet de sa candidature pour toute autre charge judiciaire.

6.5Pour l’auteur, le fait que le Conseil supérieur de la magistrature ait déclaré les jugements irréguliers après avoir reçu des plaintes de parties mécontentes représente une atteinte grave à son indépendance de magistrat ainsi qu’une usurpation par un organe du pouvoir exécutif de facultés judiciaires qui ne peuvent être exercées que par un tribunal supérieur. Quand il étudiait ces dossiers, il a subi des pressions considérables de la part des enquêteurs du Conseil supérieur de la magistrature qui manifestaient un très vif intérêt pour les deux affaires. Ces enquêteurs n’étaient pas compétents pour exercer une autorité judiciaire mais ils n’en ont pas moins étudié à fond les verdicts, qui étaient le résultat d’années de travail, en quelques jours, et ont résumé leur analyse de ces affaires complexes en quelques phrases. Leur appréciation des deux verdicts a été arbitraire, incomplète et imprécise.

6.6L’auteur fait valoir que la composition du Conseil supérieur de la magistrature est régie en détail dans la loi de la Republika Srpska sur le Conseil supérieur de la magistrature afin de garantir l’impartialité et la transparence de la procédure de nomination. La procédure a été à son égard entachée d’irrégularités puisque l’un des membres du Conseil, S. M., substitut du procureur d’un tribunal de première instance, n’avait pas été élu par l’Association des juges et procureurs de la Republika Srpska comme l’exige l’article 5 de la loi. S. M. ne figurait pas sur la liste des candidats élus communiquée pour approbation au Haut Représentant. Il aurait de plus été possible de nommer un procureur du parquet de la Republika Srpska conformément à l’article 5. La clause de souplesse de l’article 76, qui oblige le Haut Représentant à nommer des membres selon les critères de l’article 5 seulement «dans la mesure du possible» pendant la période de transition, ne pouvait pas être invoquée pour justifier l’irrégularité dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature commise quand il a été mis fin aux fonctions de l’auteur. L’État partie aurait dû divulguer les éléments pertinents s’il voulait montrer que la composition du Conseil était régulière.

6.7L’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas mis en place de recours utile pour permettre le réexamen des décisions concernant les nominations des juges, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. La décision par laquelle le Conseil a rejeté sa demande de réexamen était une décision stéréotypée destinée à la communication de masse et qui ne traitait pas une seule des questions qu’il avait soulevées. La possibilité de déposer une telle requête ne pouvait pas être considérée comme un recours utile puisqu’elle n’aboutissait pas à un réexamen par une autre juridiction. Le pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil supérieur de la magistrature pour nommer les juges ne peut pas être illimité: il doit être exercé dans le respect des normes internes et internationales applicables.

6.8L’auteur fait valoir qu’il n’a pas eu la possibilité de présenter ses arguments et de défendre ses droits. Toute accusation portée contre lui aurait dû être traitée dans le cadre d’une procédure disciplinaire en application de l’article 49 de la loi de la Republika Srpska sur le Conseil supérieur de la magistrature. C’est seulement après que l’État partie eut reçu la communication qu’il a eu accès aux dossiers du Conseil supérieur de la magistrature. Il demande une indemnisation pour le préjudice moral et matériel subi, notamment l’atteinte à son honneur et à sa réputation après trente‑huit ans au service de la justice.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas déposé de demande de réexamen de la décision du Conseil supérieur de la magistrature datée du 12 mars 2003 auprès de la Cour suprême de la Republika Srpska et ne s’est pas non plus pourvu auprès de la Cour constitutionnelle ni auprès de la Chambre des droits de l’homme de Bosnie-Herzégovine. Il prend aussi note de l’objection de l’auteur, qui affirme que sa demande de réexamen en vertu du paragraphe 3 de l’article 79 de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, était la seule possibilité de recours qui lui était offerte.

7.4Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement de l’article 97 de son règlement intérieur et du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties au Pacte doivent porter à la connaissance du Comité tous les renseignements dont ils disposent, ce qui, au stade de la recevabilité d’une communication, comprend des renseignements détaillés sur les recours qui sont ouverts, dans les circonstances propres à leur cas, aux personnes qui se disent victimes de violations de leurs droits. Il considère que l’État partie s’est certes référé en termes généraux aux recours devant la Cour suprême, la Cour constitutionnelle et la Chambre des droits de l’homme de Bosnie‑Herzégovine mais n’a pas donné de détails sur la possibilité d’exercer ces recours et leur utilité dans le cas de l’auteur. Le Comité estime par conséquent que l’auteur a bien épuisé les recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, quand il a déposé une demande de réexamen auprès du Conseil supérieur de la magistrature.

7.5En ce qui concerne les griefs de violation des droits consacrés aux alinéas a et b de l’article 25 du Pacte, le Comité relève que ces griefs sont irrecevables ratione materiae au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6En ce qui concerne le grief au regard de l’alinéa c de l’article 25 parce que la décision du Conseil supérieur de la magistrature de ne pas renommer l’auteur juge à la Cour suprême a constitué une violation du droit d’accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques, le Comité note que l’alinéa c de l’article 25 garantit non seulement l’accès à la fonction publique mais aussi le droit d’y être maintenu dans des conditions générales d’égalité. Par conséquent, en principe, le grief de l’auteur entre dans le champ d’application de cette disposition. Le principe de l’accès à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité suppose pour l’État partie l’obligation de ne pas exercer de discrimination à l’encontre de quiconque, pour l’un quelconque des motifs exposés au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. L’auteur prétend que la seule raison pour laquelle il n’a pas été renommé tenait à l’appréciation juridique qu’il avait faite dans deux jugements et que d’autres juges, qui avaient pris part aux mêmes verdicts, ont été désignés juges à la Cour suprême de la Republika Srpska ou à la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine. Le Comité note, toutefois, que le système de notation utilisé pour sélectionner les candidats considérés comme qualifiés et aptes à occuper les fonctions de juge était complexe et fondé sur des critères objectifs (voir le paragraphe 5.2), et que l’auteur a certes été bien noté par la Commission, mais n’a pas atteint le seuil fixé pour les juges d’origine serbe. Compte tenu des éléments d’information dont il dispose, le Comité est d’avis que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle son élimination de la liste des nominations était due exclusivement aux deux jugements controversés qu’il avait rendus, et non à d’autres critères objectifs inclus dans le système de classement. En conséquence, ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme que la composition du Conseil supérieur de la magistrature n’était pas régulière, que le Conseil avait nui à son indépendance de magistrat et porté atteinte à son honneur et à sa réputation, le Comité note que l’auteur n’invoque pas explicitement une disposition particulière du Pacte en rapport avec ce grief. Il considère qu’il n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi la nomination d’un substitut du procureur issu du parquet d’un tribunal de première instance, qui n’avait pas été élu par l’Association des juges et des procureurs de la Republika Srpska, ne devait pas être visée par la clause de souplesse prévue à l’article 76 et constituait donc une violation de l’article 5 de la loi. De même, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que l’évaluation de son aptitude à siéger à la Cour suprême faite par le Conseil supérieur de la magistrature, qui s’était notamment fondé sur deux jugements, lesquels avaient donné lieu à des plaintes mettant en cause son intégrité et son impartialité, avait porté atteinte à son indépendance de magistrat ou à son honneur et à sa réputation. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8L’auteur a invoqué l’article 2 du Pacte lu conjointement avec l’article  17 et l’article 25 c). Cela soulève la question de savoir si le fait que l’auteur n’a pas eu la possibilité de contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature devant un autre organe a constitué une violation du droit à un recours utile tel qu’il est garanti par les paragraphes 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte. Le Comité rappelle que l’article 2 ne peut être invoqué que conjointement avec un article du Pacte qui protège un droit précis. Étant donné que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs de violation des articles 17 et 25 c), l’allégation de violation de l’article 2 du Pacte est par conséquent irrecevable également en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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