Nations Unies

CCPR/C/SR.2771

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

9 novembre 2010

Original: français

Comité des droits de l’homme

Centième session

Compte rendu analytique de la 2771 e séance

Tenue au Palais des Nations, à Genève, le vendredi 29 octobre 2010, à 10 heures

Président:M. Iwasawa

S ommaire

Célébration de la centième session du Comité

La séance est ouverte à 10 h 20.

Célébration de la centième session du Comité des droits de l’homme

1.Le Président dit qu’il est heureux d’ouvrir la journée de célébration de la centième session du Comité des droits de l’homme. Intitulée «Bilans et perspectives», elle sera l’occasion de faire le point sur les travaux menés par le Comité à ce jour et de réfléchir aux moyens de l’aider à répondre au mieux aux difficultés qu’il peut rencontrer dans l’exécution de son mandat. Le Comité a été créé en 1976 pour interpréter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et en surveiller la mise en œuvre par les États parties. Depuis sa première session, en 1977, il a considérablement contribué à enrichir la jurisprudence relative aux droits civils et politiques, à travers notamment ses observations finales. Il faut rendre hommage au dévouement de tous les anciens membres du Comité qui, chacun à sa manière, ont contribué au développement du droit international des droits de l’homme. Outre le Pacte, le Comité surveille l’application de deux protocoles facultatifs: le premier établit la procédure d’examen des communications émanant de particuliers, et le deuxième vise à abolir la peine de mort. Les réalisations du Comité sont trop nombreuses pour être toutes citées, mais le fait qu’à ce jour 166 États aient ratifié le Pacte, 113 aient ratifié le premier Protocole facultatif et 72 aient ratifié le deuxième Protocole facultatif, est incontestablement le signe de la volonté croissante des États de respecter les droits civils et politiques.

2.À ce jour, le Comité a adopté à l’issue de l’examen des rapports périodiques des États parties des milliers d’observations finales, dans lesquelles il a indiqué aux États parties comment mieux s’acquitter de leurs obligations en matière de droits de l’homme en modifiant leur législation et en adoptant de nouvelles politiques publiques. Au fil des sessions, les États ont de mieux en mieux accepté le processus et les recommandations du Comité. Pour certains, cet exercice est également devenu l’occasion de faire le bilan de leurs actions et de soumettre leur législation, leurs politiques et leurs pratiques à un examen public. Avec l’aide des institutions nationales des droits de l’homme, des ONG, de la société civile et d’autres partenaires, les États parties ont mis en œuvre efficacement des milliers de recommandations du Comité.

3.De tous les organes conventionnels, le Comité des droits de l’homme est celui qui a la plus grande expérience de l’examen des communications émanant de particuliers. Il s’agit d’une procédure quasi judiciaire, et le Comité estime que ses constatations «présentent certaines caractéristiques principales d’une décision judiciaire». À ce jour, il a enregistré environ 2 000 plaintes et en a examiné plus de 700 au fond. Au fil des ans, le Comité a élaboré une jurisprudence abondante dans laquelle il a donné des interprétations décisives des droits protégés par le Pacte. Il a par exemple établi que l’article 26, qui consacre le principe de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi, prévoit un droit autonome et que son application n’est donc pas limitée aux droits énoncés dans le Pacte. Bien des affaires soumises au Comité ont connu une issue heureuse grâce à la mise en œuvre de ses constatations par les États: des condamnations à mort ont été commuées, des prisonniers ont bénéficié d’une libération anticipée, des demandeurs d’asile ont obtenu un permis de séjour et des victimes de violations des droits de l’homme ont été indemnisées. L’évolution des législations nationales à laquelle les constatations du Comité ont souvent contribué montre combien elles peuvent être bénéfiques pour l’ensemble des titulaires de droits d’un État lorsqu’elles sont mises en œuvre efficacement.

4.Un autre aspect important des travaux du Comité est l’élaboration d’observations générales. Dans ces textes, le Comité interprète les droits énoncés dans le Pacte. Il en a adopté 33 à ce jour. À sa centième session, il a achevé l’examen en première lecture du projet d’Observation générale no 34 sur l’article 19 du Pacte, relatif à la liberté d’expression. Nul doute qu’une fois adoptée, cette nouvelle Observation générale permettra une meilleure compréhension des droits protégés par cet article essentiel du Pacte.

5.Au fil des sessions, les procédures du Comité ont évolué pour servir au mieux les intérêts des victimes de violations des droits de l’homme. Le Comité est fier d’avoir été le premier organe conventionnel à mettre en place des procédures pour suivre l’application de ses observations finales et de ses constatations. Convaincus de l’utilité d’une telle pratique, d’autres organes conventionnels ont depuis mis en place une procédure similaire. La demande de mesures provisoires de protection pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à l’auteur d’une communication en cours d’examen constitue une autre innovation déterminante dans la pratique du Comité.

6.Le fait que les juridictions nationales, régionales et internationales fassent de plus en plus référence aux décisions, observations finales et observations générales des organes conventionnels, et notamment à celles du Comité, montre bien que les travaux de ces organes sont pris au sérieux. Par exemple, la Cour internationale de Justice s’est référée aux constatations et aux observations générales du Comité pour interpréter le Pacte dans son avis consultatif de 2004 sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans les territoires palestiniens occupés. Les observations finales et la jurisprudence du Comité sont également utilisées dans le cadre de l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme, dont elles inspirent en partie les recommandations finales. Le renforcement du dialogue entre les organismes nationaux, régionaux et internationaux qui s’occupent des droits de l’homme et l’enrichissement mutuel qui en résulte ne peuvent que donner plus de poids à l’action du Comité en faveur de la promotion et de la protection des droits de l’homme.

7.Un enjeu majeur pour le Comité à l’heure actuelle est de parvenir à améliorer ses méthodes de travail et à les harmoniser avec celles des autres organes conventionnels. Il a à cette fin adopté de nouvelles directives concernant l’établissement des rapports ainsi qu’une nouvelle procédure pour l’examen des rapports périodiques des États parties fondée sur l’établissement de listes de points avant la soumission du rapport. Ces mesures devraient réduire la charge de travail des États parties et celle du Comité et contribuer à l’élaboration de rapports mieux ciblés, dans l’intérêt de tous. En outre le Comité a participé, avec les autres organes conventionnels, aux discussions menées à Dublin et à Poznan au sujet du renforcement du système. Depuis sa création, le Comité des droits de l’homme a à plusieurs égards été un précurseur et il entend bien continuer à exercer ses fonctions le plus efficacement possible.

8.M. Ndiaye (Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme) dit qu’en trente ans d’existence, le Comité des droits de l’homme a apporté une contribution décisive à la lutte internationale pour la défense des droits des victimes de violations des droits de l’homme et la protection de la dignité humaine en toutes circonstances. Par ses recommandations, il a amené les États à modifier leur législation, leurs politiques et leurs pratiques. L’introduction de la procédure de suivi a renforcé l’efficacité des recommandations du Comité en lui permettant d’en surveiller de près la mise en œuvre. Le Comité est également connu pour la jurisprudence qu’il élabore en examinant les communications émanant de particuliers, et l’interprétation des droits énoncés dans le Pacte qu’il donne dans ses constatations fait autorité. Ses constatations ne sont pas seulement citées dans les manuels de droit international des droits de l’homme à travers le monde; elles produisent des effets concrets. Ainsi, elles ont permis la commutation de condamnations à mort, la libération de détenus et l’indemnisation de victimes de violations. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme est fier d’assurer le secrétariat d’un organe aussi éminent. Les travaux du Comité sont une référence dans nombre de ses activités, notamment dans les domaines de la formation et de l’assistance technique aux États. L’une des priorités du Haut-Commissariat pour 2010-2011 est le renforcement des mécanismes de protection des droits de l’homme. Une assistance technique est fournie aux États et aux autres parties prenantes telles que les institutions nationales des droits de l’homme et les organisations de la société civile pour les aider à mettre en œuvre efficacement les recommandations des organes conventionnels. À ce sujet, on peut saluer l’initiative de certains États, qui ont entrepris de se doter d’une législation qui reconnaît en droit interne les constatations du Comité des droits de l’homme afin que les victimes puissent s’en prévaloir pour obtenir réparation devant les juridictions nationales. Pour célébrer sa centième session, le Comité a invité plusieurs figures éminentes du droit international qui ont chacune contribué à faire avancer la justice et à renforcer la conscience universelle des droits de l’homme. Les débats ne pourront en être que plus riches et plus édifiants.

9.M. Phuangketkeow (Président du Conseil des droits de l’homme) remercie le Comité des droits de l’homme de l’avoir invité à participer à la célébration de sa centième session. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques forme, avec le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le cœur de la Charte internationale des droits de l’homme. Toutefois, sans la surveillance impartiale et indépendante exercée par les organes conventionnels, il serait difficile d’évaluer le respect par les États parties des normes établies dans ces instruments. Il convient donc de saluer le travail inestimable du Comité qui, par son examen continu de la mise en œuvre du Pacte, sa jurisprudence et son dialogue constructif avec les États parties et les autres parties prenantes, a contribué de manière significative à la réalisation des droits civils et politiques.

10.Depuis sa création, le Conseil des droits de l’homme s’efforce de mener ses travaux dans un même esprit de dialogue et de coopération avec les États Membres. Il y aurait certainement beaucoup à gagner à ce que tous les organismes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme avancent dans ce sens en partageant leurs expériences.

11.Bien qu’il n’existe pas de voie officielle d’échange entre les deux organes, les travaux du Comité sont dans une large mesure pris en considération par le Conseil, en particulier dans le cadre de l’Examen périodique universel. En effet, les compilations établies par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme aux fins de l’Examen périodique ont contribué à faire mieux connaître les travaux du Comité, à les diffuser auprès d’un plus large public et à réaffirmer ses recommandations. En retour, l’Examen périodique universel a amené plusieurs États à ratifier de nouveaux instruments relatifs aux droits de l’homme ou à soumettre leurs rapports périodiques aux organes conventionnels. En outre, le travail normatif du Comité, ses Observations générales en particulier, nourrit les discussions du Conseil et aide les États à définir leurs positions. La future Observation générale sur l’article 19 est à cet égard attendue avec grand intérêt car elle éclairera très utilement le débat intense qui a lieu actuellement au Conseil sur la notion de «diffamation des religions». Les membres du Comité ont souvent mis leurs compétences au service des travaux du Conseil en participant à des groupes de travail, des tables rondes ou d’autres manifestations; ce type de collaboration devrait être renforcé.

12.L’un des rôles du Conseil des droits de l’homme étant de s’employer à ce que les activités du système des Nations Unies relatives aux droits de l’homme soient coordonnées et à ce que la question des droits de l’homme soit prise en compte systématiquement par tous les organismes du système, il faut continuer à accroître la synergie entre le Conseil et tous les organismes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme. La question sera débattue dans le cadre du processus de réexamen des travaux et du fonctionnement du Conseil; ce processus, qui devrait s’achever au printemps 2011, vise à évaluer ce qui a été accompli jusqu’ici et ce qui peut être amélioré pour que le Conseil contribue plus efficacement à la promotion et à la protection des droits de l’homme. Le Conseil a une profonde admiration pour les compétences et l’impartialité du Comité et lui souhaite de poursuivre ses travaux avec succès.

13.Le Président remercie M. Ndiaye et M. Phuangketkeow et donne la parole à M. Robert Badinter, ancien Garde des sceaux et ancien Président du Conseil constitutionnel de la France.

14.M. Badinter salue l’action constante du Comité au service des droits de l’homme et le remercie de lui avoir fait l’honneur de l’inviter à s’exprimer devant lui à l’occasion de la célébration de sa centième session. Lorsque la France a aboli la peine de mort en 1981, elle était le trente-cinquième État dans le monde à le faire. Aujourd’hui, 138 des 192 États Membres de l’Organisation des Nations Unies sont abolitionnistes en droit ou en fait; c’est dire les progrès qui ont été accomplis en trente ans vers l’abolition universelle. Ce bilan encourageant est dû à l’action des États bien sûr, mais surtout à la prise de conscience internationale, dont témoigne la multiplication d’instruments internationaux engageant juridiquement les États à ne plus appliquer la peine de mort, et à l’action des organisations non gouvernementales et des militants abolitionnistes à travers le monde. En ce qui concerne les instruments internationaux, il faut citer pour l’Europe la Convention européenne des droits de l’homme et le Protocole no 6 qui interdit aux États parties de recourir à la peine de mort, au moins en temps de paix, ainsi que le Protocole no13, qui étend l’interdiction de la peine de mort aux situations de guerre. Le Protocole no 6 a été ratifié par tous les États d’Europe sauf le Bélarus, dernier État totalitaire d’Europe; mais même dans ce pays un fort mouvement pour le moratoire est en marche et la cause de l’abolition progresse. On peut donc dire que la peine de mort a été bannie du continent européen. C’est là une grande victoire pour les droits de l’homme, surtout au regard de l’histoire européenne, souillée par d’innombrables crimes, en particulier au cours du XXe siècle. D’autres instruments régionaux prévoient l’abolition de la peine de mort. Le Protocole à la Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1990 a été ratifié par 11 États d’Amérique latine; en Afrique, 27 États parties à la Charte africaine ont aboli en droit ou en pratique la peine de mort et en 2009, le Burundi et le Togo ont rejoint le courant abolitionniste. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a en outre adopté en 2008 une résolution engageant les États africains à observer un moratoire sur les exécutions capitales.

15.Aux instruments régionaux s’ajoutent les instruments internationaux. Deux sont particulièrement importants: le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, qui a à ce jour été ratifié par 72 États, et le Traité de Rome de 1998 portant création de la Cour pénale internationale, ratifié à ce jour par 111 États. Le deuxième instrument a une portée morale particulière: à travers la création d’une juridiction pénale internationale permanente, qui est chargée de poursuivre et de punir les auteurs des pires crimes mais qui refuse d’appliquer la peine de mort, l’humanité s’interdit de livrer au bourreau même les bourreaux de l’humanité. Un autre élément déterminant de l’avancement de la cause abolitionniste a été l’adoption en 2007 et en 2008 par l’Assemblée générale des Nations Unies de deux résolutions appelant à un moratoire sur la peine de mort (A/RES/62/149 et A/RES/63/168). De nouvelles discussions sur l’abolition vont être menées et il appartient à chacun d’y prêter son concours.

16.Toutefois il reste encore des pôles de préoccupation majeure et des zones de combat essentiels. Ainsi, parmi les États qui pratiquent encore la peine de mort, il en est trois qui appellent particulièrement l’action militante. La Chine est actuellement l’État où ont lieu le plus d’exécutions. Le chiffre étant secret d’État et les exécutions n’étant pas toujours publiques, nul ne sait exactement le nombre de condamnés mis à mort chaque année. Selon les estimations, ce chiffre oscille entre 2 000 et 10 000 exécutions; on s’accorde généralement à penser qu’il est de 8 000. Il convient de lutter et de soutenir l’action du mouvement abolitionniste chinois, trop peu connu, mouvement porteur d’espoir qui prend de l’importance notamment dans les milieux universitaires et judiciaires.

17.Le deuxième pôle de préoccupation majeure ce sont les États-Unis. Première puissance, ce pays, qui a tant lutté pour le triomphe des régimes de liberté sur les régimes de dictature, recourt encore à la peine de mort. Encore faut-il préciser que cette pratique se concentre pour l’essentiel dans les États du Sud, notamment le Texas, la Floride et la Virginie, que 13 États sur 50 l’ont abolie et que trois États viennent de le faire, le New Jersey, l’État de New York et le Nouveau Mexique. La Cour suprême de son côté a rendu un certain nombre de décisions qui ont réduit considérablement le champ d’application de la peine de mort. Le mouvement abolitionniste américain ne cesse de marquer des points; le nombre des exécutions a considérablement diminué (puisqu’il s’est réduit de moitié en l’espace de dix ans). La pratique du moratoire ne cesse de s’étendre dans les différents États. Il faut donc remercier les organisations qui, à l’intérieur des États-Unis, luttent pour l’abolition et rappeler aux États-Unis que le «Soft Power» implique de leur part la nécessaire adhésion au mouvement qui fait qu’aujourd’hui ils sont la seule démocratie occidentale à pratiquer encore la peine de mort.

18.Enfin, face à ce bilan qui incite à l’optimisme, il y a une question particulièrement difficile qui se pose dans la bataille pour l’abolition universelle de la peine de mort. En effet, il est une zone qui non seulement résiste à l’abolition mais qui applique de plus en plus la peine de mort. Elle est située pour l’essentiel au Proche et Moyen-Orient. Les statistiques montrent que 624 exécutions ont été recensées dans sept pays: l’Arabie saoudite, l’Irak, l’Iran, l’Égypte, la Lybie, la Syrie et le Yémen. En Iran, le nombre de condamnations à mort ne cesse d’augmenter. En 2009, au moins 388 personnes ont été exécutées 5 mineurs, en violation du droit international, ainsi qu’un nombre important de femmes, dont certaines par lapidation. La difficulté dans ces pays tient au fait que la peine de mort est pratiquée au nom de la loi divine, à laquelle les responsables disent ne pas vouloir manquer. Mais on sait, par l’opinion de théologiens musulmans éminents et éclairés, que la charia permet la peine de mort mais elle ne la rend pas obligatoire. La même position se retrouve dans les textes bibliques, qui ne sont pas abolitionnistes dans toutes leurs parties. Il faut donc se tourner du côté des militants musulmans de l’abolition et leur demander instamment de continuer à montrer ce que doit être le choix offert aux États par une interprétation ouverte de la charia. C’est de ce choix que dépend le progrès de la cause de l’abolition dans cette région du monde.

19.M. Badinter conclut en disant que l’instinct de mort anime toujours les êtres humains qui sont la seule espèce, avec les rats, à tuer pour tuer. C’est précisément parce que l’abolition de la peine de mort permet d’en finir avec cet instinct et de le maîtriser qu’elle est non seulement l’une des plus grandes causes des droits de l’homme mais aussi l’une des rares, grandes et nobles victoires que l’humanité peut remporter sur elle-même.

20.Le Président remercie M. Badinter et donne la parole à M. Bedjaoui, ancien Président de la Cour internationale de Justice, ancien Ministre des affaires étrangères et ancien Président du Conseil constitutionnel de l’Algérie.

21.M. Bedjaoui explique que, faute de temps, il sacrifie la première partie de son exposé, consacrée au rayonnement international du Comité des droits de l’homme, et limitera son intervention à la nécessaire conciliation entre universalité et diversité, avec une référence particulière à l’Afrique.

22.Quand la Déclaration universelle des droits de l’homme a été signée, en 1948, dans le foisonnement de la diversité culturelle des peuples, il n’était nullement aisé d’aboutir à une telle approche conceptuelle et cette reconnaissance universelle relevait et relève toujours d’un généreux pari pour l’homme. Le droit international contemporain pose dorénavant comme postulat l’existence d’une conception universelle des droits de l’homme, à travers un faisceau de droits affirmés comme communs à tous, en tous lieux, en tous temps, et constituant selon les termes de la Déclaration de 1948 «l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations». Face à l’approche traditionnelle du droit international, reflet de la politique internationale des États, caractérisée par la violence et l’agression, c’était une victoire de l’homme sur lui-même que d’alimenter l’approche contemporaine du droit international par l’idée simple et évidente de la commune condition de tous les hommes. Pour affirmer l’universel par-delà la diversité des cultures, il fallait rechercher l’invariant majeur, c’est-à-dire l’unicité et la singularité de l’humain menant tout naturellement au postulat de la dignité de l’homme par-delà toutes les diversités culturelles. Cette découverte contemporaine rappelle la grande controverse développée aux XVe et XVIe siècles dans la péninsule ibérique au sujet de la nature des «sauvages» d’Amérique. En affirmant que ces sauvages appartenaient bien au genre humain, les théologiens-juristes et canonistes, dont Francisco de Vitoria, Francisco Suarez et surtout Bartolomeo de las Casas, sont devenus les pères fondateurs authentiques de l’universalité des droits de l’homme. Il existe donc des droits fondamentaux qui sont consubstantiels à l’homme et qui, de ce fait, sont indépendants du temps et de l’espace. De ce point de vue, on peut être fondé à affirmer que les droits fondamentaux universels de l’homme possèdent un caractère métajuridique. Incontestablement, le droit à la vie est dans sa reconnaissance universelle indépendant du droit international et du droit interne de l’État. Il est préexistant au droit. La conséquence logique du droit à la vie, c’est le droit pour tout être de vivre à sa manière, librement et sans contrainte, ce qui ouvre aux droits de l’homme des perspectives considérables. Néanmoins, la réalité enseigne que chaque société interne et chaque catégorie sociale vivent des moments différents tant dans la réalisation que dans les aspirations en matière de droits de l’homme. Les espérances sont distinctes pour chaque homme, chaque communauté et chaque peuple, et chacun définit diversement le contenu des droits de l’homme dont il jouit ou auxquels il aspire. C’est pourquoi la Déclaration universelle de 1948, dès son article premier, parle d’un «idéal commun» qui ne peut être atteint qu’au prix de combats incessants.

23.Il y a donc désormais des droits qui échappent à toute compétence de l’État et sont internationalement protégés. C’est le cas d’abord des droits des peuples et notamment du droit à l’autodétermination. Ce sont ensuite les droits considérés comme «fondamentaux» et en particulier les droits primaires attachés à la dignité de la personne. Par ailleurs il est généralement admis que les situations dans lesquelles les droits de l’homme sont violés de manière dite «massive et systématique» doivent échapper au domaine réservé de l’État et autoriser une intervention internationale. Cela dit, le droit n’est pas ce qu’en disent les textes mais bien ce qu’en font les acteurs et, si l’universalité des droits de l’homme est un requis absolument nécessaire, elle doit être réalisée sur la base d’un tout aussi nécessaire dialogue des cultures. C’est peut-être par cette voie que le Comité des droits de l’homme pourrait le mieux approcher la singularité et la spécificité de l’Afrique dans le domaine des droits de l’homme. Le relativisme culturel ne doit pas être regardé comme une menace mortelle à l’universalité des droits de l’homme.

24.Dans le débat récurrent autour du couple universalité des droits de l’homme et relativisme culturel, l’Afrique n’est pas la seule concernée; l’Asie et l’Amérique du Sud le sont aussi. Ainsi à la Cour interaméricaine des droits de l’homme, les juges prennent en considération les croyances, rites et modes de vie des sociétés traditionnelles, forts de la conviction que la prise en compte des réalités sociologiques d’une société humaine ne contredit pas l’universalité des droits de l’homme et est fondamentale pour répondre à l’exigence de cette universalité. La Cour a ainsi accordé des réparations pour les souffrances vécues par la communauté Maya Achi au Guatemala à la suite du massacre de 268 personnes en juillet 1982, parce qu’elle ne pouvait pas honorer ses morts conformément aux rituels ancestraux. De même, dans une affaire dans laquelle le Paraguay avait vendu de grandes propriétés à des entreprises britanniques en méconnaissance des droits des Indiens, la Cour a déclaré que pour les autochtones «la relation à la terre est un élément à la fois matériel et spirituel dont ils doivent pleinement jouir pour préserver l’héritage culturel et le transmettre aux générations futures». Quant au relativisme culturel concernant l’Asie, l’ASEAN réfléchit à la mise en place d’un système régional de protection des droits de l’homme, prévu pour 2020; et en attendant, la Déclaration de Bangkok adoptée en 1993 par les ministres et représentants des États d’Asie dans le contexte des préparatifs de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, affirme en son article 8 que les droits de l’homme «doivent être considérés (…) en ayant à l’esprit l’importance des particularismes nationaux et régionaux comme des divers contextes historiques, culturels et religieux».

25.Dans le cas de l’Afrique, cet espace a d’abord été avili par le colonialisme puis détérioré par le néocolonialisme. Le discours sur les droits de l’homme a été historiquement et culturellement associé à ce colonialisme et au capitalisme de l’Europe. Sa lourde ambiguïté pendant l’ère de la dépendance, où il était enseigné sans pouvoir être appliqué, en faisait une mystification idéologique. L’État africain d’aujourd’hui, issu des indépendances d’il y a cinquante ans seulement, souffre trop souvent de tous les maux du sous-développement; il est régi trop souvent par un ordre juridique fait de bric et de broc. L’État africain possède la plupart du temps des structures institutionnelles fragiles ainsi que des frontières souvent artificielles emprisonnant plusieurs ethnies et en émiettant d’autres, source évidente de conflits. De surcroît, il vit dans une indépendance parfois simplement nominale, et si le continent se caractérise par une certaine prévalence de régimes politiques autoritaires, c’est que ceux-ci sont considérés comme mieux à même d’assurer à peu près la sécurité, la santé, la solidarité et le salaire et de sauvegarder un communautarisme sécurisant. En Afrique, l’individu n’est rien sans la communauté. Enfin, il faut bien voir que la culture de la démocratie moderne est encore neuve en Afrique. L’Africain ne peut que rarement savourer le bonheur de se gouverner librement lui-même par une pratique authentique de la contestation et de la participation. Dès lors et sauf à nier singulièrement toutes ces réalités handicapantes, l’observateur impartial ne peut d’emblée attendre de l’Afrique qu’elle lui renvoie l’image d’un espace illuminé par les bienfaits des droits de l’homme. Aujourd’hui, l’Afrique est en train de dessiner sa trajectoire propre des droits de l’homme. Il y existe une extrême vitalité, une grande profusion et de profonds échos de l’activité intellectuelle sur les droits de l’homme de la part d’ONG, d’organisations interétatiques, d’universités, de partis politiques et d’associations de toutes sortes. Il n’est donc pas imaginable que toute cette activité ne débouche pas sur une synthèse empirique, marquant l’adhésion en profondeur aux droits de l’homme. L’histoire de toutes les sociétés humaines montre que les évolutions sont le résultat d’emprunts réciproques. L’Afrique n’y échappera pas et c’est là un message d’optimisme et d’espérance. Mais il faut laisser s’écouler un temps suffisant pour donner à l’Afrique tout le recul et toute l’expérience nécessaires. Cinquante ans de décolonisation ne représentent qu’une durée infime dans la marche d’un continent et d’un monde. Les droits de l’homme, inventés en Europe, sont le résultat d’un temps historique long, le fruit mûri à toutes les expériences, bonnes et mauvaises, de l’histoire européenne. En Afrique, des évolutions favorables se dessinent. Avec le temps, de nouveaux rapports à l’égard des héritages culturels s’établiront par la volonté des Africains eux-mêmes. Plus qu’à tout autre continent probablement, les droits de l’homme sont indispensables à l’Afrique. Ils sont et seront le langage normatif par excellence de l’émancipation des Africains et le moyen de leur avenir plus heureux; mais il faut pour cela que les Africains soient eux-mêmes les acteurs de leur destin. Les droits de l’homme sont une arme pour l’Afrique. Ils constituent un puissant vecteur de libération de l’autoritarisme et du néocolonialisme. Cependant, les droits de l’homme à vertu émancipatrice authentique ne pourront être que le produit biologique du temps et de l’espace africain. Les générations des indépendances sont assurément plus promptes à rompre avec les pesanteurs traditionnelles.

26.Il est clair que la démocratie et les droits de l’homme ne peuvent pas attendre. Les batailles contre les déficits de développement doivent inspirer une stratégie commune, unique, qui se déploiera simultanément pour la promotion de droits de l’homme aussi. Le processus de transformation économique et sociale doit inclure et non pas exclure les droits de l’homme. Ce serait une erreur que de renvoyer la promotion des droits de l’homme à des étapes ultérieures du développement car chaque matière, chaque secteur, chaque élément puise dans les autres l’énergie pour progresser.

27.Il faut avoir une pensée pour toutes les victimes de l’attentat permanent commis sur l’homme par l’homme au cours des siècles et jusqu’à nos jours. Les rescapés des nations indiennes réclament encore aujourd’hui justice et l’indicible tragédie du destin de l’homme noir se lit sur les murs du Musée de Gorée, au Sénégal, qui portent un message poignant, empreint d’humanité, du poète mauricien Édouard Maunick.

28.Le Président remercie M. Bedjaoui et dit qu’après les exposés introductifs le programme prévoit un dialogue qui peut porter sur tout aspect du travail du Comité mais aussi sur les questions traitées par les orateurs invités.

29.M. Saganuma (Japon) souligne que l’examen des rapports périodiques par le Comité a toujours suscité des idées novatrices, permettant d’apporter des améliorations à la situation des droits de l’homme dans les États. La réunion est une excellente occasion de réfléchir aux pratiques passées et aux moyens d’obtenir une plus grande efficacité. Comme le Conseil des droits de l’homme a entrepris de débattre de son fonctionnement, le moment est propice à une étude de la façon dont le Comité pourrait renforcer sa coopération avec le Conseil. Par exemple, les recommandations issues de l’Examen périodique universel mis en place par le Conseil pourraient être prises en considération systématiquement dans les listes de points à traiter envoyées aux États parties, en particulier pour les listes établies avant l’élaboration des rapports. Le Président du Comité pourrait également rendre compte des travaux du Comité devant le Conseil, comme il le faisait devant la Commission des droits de l’homme, afin que le Conseil soit mieux informé des activités du Comité et puisse tirer parti de son expérience et de ses compétences. Il importe toutefois de veiller à préserver l’indépendance du Comité.

30.M. Jazairy (Algérie) dit que la journée consacrée à la célébration de la centième session du Comité constitue une occasion rare pour les États parties et les membres du Comité d’avoir un véritable échange de vues. En effet quand le Comité rencontre les États parties c’est généralement pour élire ses membres et il ne reste guère de temps pour traiter de questions relatives au fonctionnement du Comité et aux moyens de l’améliorer, dans l’intérêt de la cause des droits de l’homme. M. Jazairy joint donc sa voix à celle du représentant du Japon qui appelle à un renforcement des relations entre le Comité, par l’intermédiaire de son président, et le Conseil des droits de l’homme.

31.M. Jazairy souhaite évoquer une difficulté que rencontrent les États parties quand des communications émanant de particuliers leur sont transmises et qu’il leur est demandé de faire leurs observations. Le Règlement intérieur du Comité prévoit la possibilité pour les États de répondre simultanément sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Or si l’État considère qu’une plainte n’est pas recevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés, c’est-à-dire que les procédures judiciaires sont toujours en cours, il est difficile de faire part de commentaires sur le fond; cela relève du pouvoir exécutif. Demander au pouvoir exécutif d’un État de prendre une position sur une question qui est sous la responsabilité de l’autorité judiciaire est contraire au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. M. Jazairy serait reconnaissant au Comité de reconsidérer la question et d’envisager de ne faire jouer l’article du Règlement intérieur qui prévoit ce qui n’est rien d’autre qu’une option que dans le cas où il apparaît que le système judiciaire de l’État en cause est sinistré.

32.M. Garrigues (Espagne) dit que la démocratie espagnole a au nombre de ses principes fondamentaux la garantie et la réalisation des droits de l’homme, forte de la conviction qu’ils constituent un patrimoine universel et inaliénable auquel doivent accéder tous les êtres humains. La défense des droits de l’homme figure en première place dans la politique du Gouvernement espagnol, qui collabore activement avec tous les organes conventionnels.

33.L’Espagne est convaincue de l’utilité des observations et recommandations formulées par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et accorde donc une grande importance au mécanisme de suivi créé par le Comité, qui a servi de modèle à d’autres organes.

34.L’abolition de la peine de mort, châtiment cruel et attentatoire à la dignité humaine, est inscrite dans l’universalité des droits de l’homme, valeur portée à l’origine par les juristes de l’École de Salamanque. M. Garrigues est particulièrement heureux que M. Badinter et M. Bedjaoui soient membres de la Commission internationale contre la peine de mort qui a été créée le 7 octobre 2010 à l’initiative du Gouvernement espagnol et se compose de 10 personnalités éminentes de toutes les régions du monde. Le Comité des droits de l’homme a un rôle majeur à jouer dans le combat pour l’abolition de la peine de mort, dont la première étape doit être l’application d’un moratoire sur les exécutions. Dans ce combat il peut compter sur l’appui indéfectible de l’Espagne, membre du «groupe d’amis» du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort.

35.M. S c haringer (Allemagne) dit que le Pacte est, avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, le texte de référence en ce qui concerne les droits civils et politiques et le Comité des droits de l’homme est l’organe le plus important pour en assurer la mise en œuvre. L’analyse approfondie à laquelle il procède quand il examine les rapports périodiques et les discussions ouvertes qu’il a avec les États sont particulièrement utiles. Les Observations générales aident les États à mieux s’acquitter de leurs obligations. Mais pour les citoyens ordinaires c’est son rôle dans l’examen des plaintes individuelles soumises en application du premier Protocole facultatif qui est le plus concret, puisque le Comité est perçu comme un organe de recours quand les droits sont bafoués. La contribution du Comité des droits de l’homme à l’enrichissement du contenu des droits fondamentaux est inestimable et l’Allemagne ne doute pas que le Comité saura faire face à sa lourde charge de travail et répondre à la nécessité d’harmoniser davantage ses activités.

36.M. Bichet (Suisse) rappelle l’importance que la Suisse accorde aux activités du Comité des droits de l’homme, en tant qu’État hôte et en tant qu’État partie au Pacte. À ce titre elle a pu constater la contribution essentielle des travaux du Comité et l’incidence concrète de ses recommandations au niveau national. Le Comité est beaucoup plus qu’un simple contrôleur du respect des droits consacrés par le Pacte; il en est le premier interprète et promoteur. Par ses Observations générales il a précisé le contenu et les implications de nombreuses obligations dans divers domaines. Ainsi il a mis en exergue le principe de proportionnalité dans l’application de la clause de dérogation en cas d’urgence et a fait progresser considérablement la lutte contre la peine capitale, contribuant par son autorité morale à la décision de quelques pays d’abolir la peine de mort. Il a aussi contribué à l’extension de l’application extraterritoriale du Pacte par les États parties, renforçant ainsi la protection des droits de l’homme. Enfin il a établi des normes pour garantir le droit à un procès équitable.

37.La journée de célébration est aussi l’occasion de regarder vers l’avenir. Des efforts devraient être faits pour accroître la visibilité du Comité, dont les travaux gagneraient ainsi en reconnaissance et en légitimité. Un effort de vulgarisation à l’intention des non-spécialistes et une plus large diffusion des documents seraient bénéfiques.

38.M me  Khanna (États-Unis d’Amérique) dit qu’il faut saluer les notables contributions du Comité des droits de l’homme à la promotion des droits civils et politiques, qui sont universels, par delà la culture propre à chaque pays. Dans la recherche inlassable d’une meilleure protection des droits fondamentaux, l’examen des rapports périodiques joue un rôle majeur. C’est pour les États parties l’occasion de faire un bilan de leurs politiques et pratiques. Ce faisant, ils se soumettent aussi à la critique de la communauté internationale et de la société civile. Les États-Unis ne sont pas toujours d’accord avec les recommandations formulées mais ils en tiennent compte et sont convaincus que l’exercice permet à tout État d’apporter des améliorations à la situation interne. Il reste en effet beaucoup à faire. Dans le monde entier des hommes et des femmes ne jouissent pas de libertés jugées élémentaires par les autres, comme la liberté d’expression, de réunion et de religion et le droit d’élire ses dirigeants. Le rôle du Comité est donc toujours aussi crucial et il importe qu’il dispose des ressources suffisantes pour lui permettre de continuer à promouvoir la dignité et l’exercice par tous de leurs droits inaliénables.

39.M me  Hubert (Norvège) dit que les organes conventionnels tiennent une place essentielle dans le système des droits de l’homme. Toutefois leur rôle serait renforcé s’ils étaient plus visibles et leurs travaux plus accessibles. La diffusion sur l’Internet des séances consacrées à l’examen des rapports périodiques serait un excellent moyen d’atteindre cet objectif. Il est également nécessaire d’obtenir plus de cohérence et d’harmonisation entre les méthodes de travail des différents comités. Ainsi quand, comme la Norvège en a fait l’expérience récemment, les États parties sont appelés à soumettre à des intervalles rapprochés leur rapport à plusieurs organes conventionnels, il serait bon qu’ils soient invités à traiter tous les rapports périodiques et le document de base commun comme un tout, et donc à pouvoir faire dans un rapport à un organe précis des références renvoyant au rapport établi au titre d’un autre instrument. La charge de travail des États s’en trouverait considérablement allégée. De son côté le Comité voit sa charge de travail s’alourdir toujours plus et les services de conférence ont de plus en plus de difficultés à assurer la traduction des rapports des États; ces derniers doivent donc s’astreindre à respecter la limite du nombre de pages et veiller à ce que la rédaction soit d’un niveau de qualité suffisant.

40.La Norvège salue les initiatives concrètes prises par certains comités pour rationaliser les activités relatives à l’examen des rapports périodique, en particulier la nouvelle pratique du Comité contre la torture, que le Comité des droits de l’homme a décidé d’adopter, consistant à établir une liste de points devant être traités dans les rapports périodiques, ce qui devrait permettre de rédiger des rapports ciblés et précis. Pour que la nouvelle méthode soit vraiment efficace il importe que les comités prévoient d’examiner le rapport ainsi établi dans des délais raisonnables et ne demandent pas de complément d’information. Il faut aussi que la société civile et les institutions nationales des droits de l’homme soient en mesure de participer à l’élaboration de la liste préalable.

41.La Norvège apprécie l’interprétation que les organes conventionnels donnent de leur instrument et les précisions qu’ils apportent au sujet des obligations qui en découlent, par leurs observations finales, leurs Observations générales et leurs décisions concernant les plaintes de particuliers. Le suivi de la mise en œuvre au plan national de ces recommandations est un gage d’efficacité et de crédibilité pour l’ensemble du système des droits de l’homme. Il en va de même pour les recommandations faites dans le cadre de l’Examen périodique universel et la Norvège appuie toute initiative tendant à renforcer la coordination entre les travaux des organes conventionnels et le Conseil des droits de l’homme.

42.M. Pellet (France) dit que la France salue l’action du Comité des droits de l’homme, comité le plus ancien du système des Nations Unies, qui joue un rôle essentiel en matière de protection et de promotion des droits de l’homme, notamment à travers ses Observations générales et son examen des communications individuelles.

43.La France est particulièrement attachée à l’indépendance du Comité. Il importe qu’il dispose des moyens humains et matériels suffisants pour mener à bien sa mission dans les meilleures conditions possibles et M. Pellet souhaiterait connaître le sentiment du Comité sur ce point. Il importe également que les recommandations faites par le Conseil des droits de l’homme dans le cadre de l’Examen périodique universel ne viennent jamais affaiblir les observations finales du Comité des droits de l’homme mais au contraire les renforcent; le Comité pourrait commenter les évolutions récentes dans ce domaine.

44.M. Pellet demande aussi où en est le Comité dans ses réflexions concernant la peine de mort depuis l’adoption, en 1982, de l’Observation générale no 6 relative au droit à la vie, notamment en ce qui concerne la définition des «crimes les plus graves». Il souhaiterait connaître l’avis du Comité sur la tendance générale dans ce domaine.

45.M. Lepatan (Philippines) demande comment le Comité applique l’article 14 du Pacte lorsqu’il examine les communications individuelles et rend ses décisions. En effet il est arrivé que le Comité se soit prononcé sur la culpabilité ou sur l’innocence d’accusés alors que ces derniers n’étaient pas en mesure de lui présenter des explications. Or même la Cour internationale de Justice (CIJ), lorsqu’elle examine des affaires de peine capitale, essaye d’éviter dans la mesure du possible de se prononcer sur l’innocence ou la culpabilité des personnes concernées.

46.M. Herzenni (Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (CIC)) remercie M. Badinter et M. Bedjaoui de leur plaidoyer en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort. Le Pacte insiste sur un grand nombre de valeurs fondamentales universelles et il convient, à l’occasion de la célébration de la centième session, de reconnaître le rôle de premier plan que joue le Comité des droits de l’homme dans la mise en œuvre du Pacte et de ne pas oublier ceux qui sont encore privés de leurs droits et libertés fondamentales.

47.Les institutions nationales, organismes indépendants établis conformément aux Principes concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de paris), s’attachent à réduire le fossé entre les normes internationales relatives aux droits de l’homme et les réalités nationales. Il est essentiel que des mesures soient prises pour soutenir l’action de ces institutions et leur permettre de participer davantage encore aux efforts déployés pour défendre et promouvoir les droits de l’homme. À ce propos, M. Herzenni s’étonne que le Comité n’ait toujours pas pris de décision, par exemple sous la forme d’une Observation générale, concernant le rôle des institutions nationales, alors même qu’il se réfère de plus en plus souvent dans les observations finales qu’il adopte à l’issue de l’examen des rapports périodiques au rôle que jouent les institutions nationales et que ces dernières sont considérées comme une source d’information faisant autorité dans le processus d’examen des rapports des pays. De leur côté, les institutions nationales s’appuient régulièrement sur la jurisprudence et sur les Observations générales du Comité pour interpréter le Pacte et vérifier si ses dispositions ont été enfreintes.

48.Il est nécessaire et possible de renforcer la coopération stratégique entre le Comité des droits de l’homme et les institutions nationales en vue de favoriser l’application du Pacte. La Déclaration de Marrakech, adoptée en juin 2010 à l’issue d’un séminaire d’experts d’institutions nationales du monde entier sur la question du renforcement des organes conventionnels, met l’accent sur la nécessité de rationaliser les relations entre les organes conventionnels et les institutions nationales.

49.M me Marshall (Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés(HCR)) dit que la coopération avec le Comité des droits de l’homme est importante pour le HCR, notamment parce que le Pacte et les deux Protocoles facultatifs s’y rapportant, ainsi que les autres instruments relatifs aux droits de l’homme, font partie intégrante du cadre juridique dans lequel s’inscrit la mission de protection du HCR en faveur des demandeurs d’asile, des réfugiés, des apatrides et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Le HCR a pris l’habitude de faire part au Comité des droits de l’homme de ses préoccupations concernant les risques de violations des droits fondamentaux que l’application de certaines procédures et l’absence de garanties peuvent faire courir aux personnes qui ont besoin d’une protection internationale, y compris le risque d’être renvoyées dans un pays où elles seraient en danger ou le risque d’apatridie.

50.Le HCR se félicite de ce que le Comité inclue dans ses observations finales des recommandations visant à renforcer la mise en œuvre du Pacte à l’égard de personnes qui relèvent de la compétence du HCR. Il a intensifié sa coopération avec le Comité au fil des ans et se fonde sur les recommandations et la jurisprudence du Comité pour plaider en faveur de la protection des personnes relevant de sa compétence et dans les activités de persuasion qu’il mène auprès des États. En ce sens, le Comité peut considérer le HRC comme un partenaire opérationnel sur le terrain. Dans le cadre de la commémoration du soixantième anniversaire de la Convention relative au statut des réfugiés et du cinquantième anniversaire de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie, qui aura lieu en 2011, le HCR redouble d’efforts pour promouvoir l’adhésion des États à ces deux Conventions. Le Comité pourrait l’aider dans cette action en recommandant systématiquement aux États parties, à l’occasion de l’examen des rapports périodiques, d’adhérer à ces Conventions et de les mettre en œuvre de manière effective en adoptant les lois nécessaires. Le HCR souhaiterait aussi encourager le Comité à prendre en considération d’autres questions essentielles, qui ne sont pas toujours abordées dans le dialogue avec les États parties, comme le respect du principe de non-refoulement, notamment dans les zones frontalières, le droit à la liberté de circulation pour les réfugiés et les personnes déplacées et les apatrides, les conditions de détention des personnes qui ont besoin d’une protection internationale, en particulier dans les aéroports, le droit au regroupement familial, l’accès effectif à l’enregistrement des naissances, la nécessité pour les États d’introduire dans leur législation sur la nationalité des garanties pour empêcher l’apatridie des enfants, la protection des enfants demandeurs d’asile non accompagnés, la lutte contre la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, la protection à accorder aux victimes de la traite, l’amélioration des possibilités d’accès à l’éducation et à l’emploi pour les femmes et les filles réfugiées, la sécurité et la protection des personnes déplacées et la création d’un environnement propice à la mise en œuvre de solutions durables. Le HCR souhaiterait élaborer, en collaboration avec le Comité des droits de l’homme et le Comité des droits de l’enfant, une Observation générale consacrée au droit d’acquérir une nationalité.

51.M. Last (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) réaffirme l’admiration de son gouvernement pour les travaux du Comité. Les autorités britanniques notent avec satisfaction la mise en place d’une procédure de suivi des observations finales, qui favorise l’interaction entre le Comité et les États parties entre deux examens d’un rapport périodique. Il serait bon que tous les organes conventionnels mettent en place une procédure analogue. Le projet de fonder l’examen des rapports périodiques sur une liste des points à traiter établie avant la soumission des rapports est une excellente initiative car le dialogue sera plus ciblé et la charge que l’établissement des rapports constitue pour les États parties s’en trouvera allégée. La Grande-Bretagne rend hommage au rôle joué par les ONG qui appuient l’action du Comité et engage celui-ci à renforcer sa coopération avec les organisations de la société civile et les institutions nationales de défense des droits de l’homme.

52.M. Lallah remercie M. Badinter et M. Bedjaoui de leurs exposés, qui resteront dans les mémoires et constitueront une véritable source d’inspiration pour les travaux futurs du Comité. Membre le plus ancien, il a pu constater au fil des ans l’intérêt croissant que portent les États parties aux travaux du Comité. Cette évolution est très encourageante et les suggestions et les critiques formulées par les États sont souvent très enrichissantes.

53.M me Chanetdit que, au-delà de la célébration de sa centième session, la réunion doit surtout permettre au Comité de se projeter vers l’avenir en tenant compte tout particulièrement des critiques formulées par les États parties. La remarque du représentant de l’Algérie a ainsi été dûment notée. En revanche Mme Chanet n’est pas sûre d’avoir compris ce que visait le représentant des Philippines car elle ne voit pas dans quelle décision le Comité aurait pris un parti quelconque sur la culpabilité de quelqu’un. Le Comité n’intervient pas sur les décisions des juridictions internes et son rôle se limite à vérifier si la procédure appliquée est conforme au Pacte.

54.La critique relative à la visibilité insuffisante des travaux du Comité est fondée. Des progrès ont été accomplis mais il reste beaucoup à faire. Le Comité s’efforce d’améliorer ses procédures et d’être moins bureaucratique, mais il faut reconnaître que l’ONU parfois est une lourde bureaucratie. Le Comité a des programmes très ambitieux. Il va s’attacher à l’avenir à être plus ouvert aux ONG et à renforcer l’efficacité du dialogue avec les États parties.

55.Les normes universelles relèvent du jus cogens et ne peuvent être amoindries par la défense de particularités culturelles ou locales. Le Pacte lui-même prévoit dans son article 27 la diversité religieuse, linguistique et culturelle et permet certaines restrictions, spécialement en matière de liberté d’expression, qui visent notamment à lutter contre la haine religieuse. S’il est vrai que le Pacte a été négocié pendant la période coloniale et peut refléter des valeurs américano-européennes, force est de constater que, dans des conventions élaborées ultérieurement avec des États qui n’étaient pas des négociateurs du Pacte, comme la Convention relative aux droits de l’enfant, les droits énoncés dans le Pacte ont été repris. Cela renforce l’universalité des droits consacrés dans le Pacte.

56.Au nombre des points positifs, Mme Chanet note que les États se servent des instruments internationaux pour améliorer leur doit interne, comme le Canada qui, suivant la jurisprudence du Comité, a appliqué la décision selon laquelle un État qui a aboli la peine de mort ne peut pas extrader une personne vers un pays où elle encourt la peine de mort. Il conviendra de modifier l’Observation générale no 6 sur le droit à la vie en tenant compte de la nouvelle jurisprudence du Comité et des évolutions positives mentionnées par M. Badinter, que le Comité se doit d’accompagner, voire de provoquer. Les juridictions internationales, comme la Cour internationale de Justice, se réfèrent à la jurisprudence du Comité et il faut encore renforcer l’interpénétration des juridictions nationales et internationales et des organes conventionnels.

57.Le Conseil des droits de l’homme et l’Examen périodique universel ont pris beaucoup d’importance et il est nécessaire que les organes conventionnels coordonnent leurs procédures pour pouvoir travailler dans les meilleures conditions. Lorsqu’il examine la situation des droits de l’homme dans un État donné, le Conseil des droits de l’homme pourrait prendre en compte, outre les observations finales du Comité, les constatations formulées au sujet des communications concernant l’État en question. Mme Chanet pense que l’Observation générale relative à la liberté d’opinion (art. 19) que le Comité a entrepris de rédiger sera prise en considération par le Conseil des droits de l’homme, avec lequel le Comité continuera à avoir des échanges très fructueux.

La séance est levée à 13 heures.