Nations Unies

CCPR/C/SR.2930

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 octobre 2012

Original: français

Comité des droits de l ’ homme

10 6 e session

Compte rendu analytique de la 2930 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 18 octobre 2012, à 15 heures

Président e:Mme Majodina

S ommaire

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte (suite)

Sixième rapport périodique de l ’ Allemagne

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte (suite)

Sixième rapport périodique de l ’ Allemagne (CCPR/C/DEU/6; CCPR/C/DEU/Q/6; CCPR/C/DEU/Q/6/Add.1)

1.Sur l ’ invitation de la Présidente, la délégation allemande prend place à la table du Comité.

2.M. Giesler (Allemagne) dit que l’augmentation considérable du nombre de décisions judiciaires faisant référence aux instruments fondamentaux relatifs aux droits de l’homme et les nombreux débats tenus au Parlement sur les observations finales des organes conventionnels montrent combien s’est accrue dans l’État partie la prise de conscience des obligations découlant de ces traités.

3.Depuis la soumission du sixième rapport périodique de l’État partie, le Parlement a été saisi d’un projet de loi qui vise à permettre aux parents de donner légalement leur consentement à la circoncision de leur enfant à condition que celle-ci soit pratiquée selon les règles de l’art; cette pratique ne pourra donc plus être sanctionnée pénalement. Un autre projet de loi, visant à durcir encore les conditions du placement en détention provisoire, a été soumis au Parlement.

4.D’importants efforts sont faits pour garantir l’accès au logement pour tous sans discrimination. L’article 19, paragraphe 3, de la loi générale relative à l’égalité de traitement vise à favoriser une attribution des logements propice à la diversité au sein des quartiers. Le Gouvernement fédéral continue de juger cette disposition appropriée et indispensable à une intégration réussie.

5.Les femmes représentent aujourd’hui un tiers des parlementaires et 40 % de l’effectif judiciaire. Des progrès restent à faire pour ce qui est des postes de direction, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

6.Le crime de torture est codifié dans le Code pénal dans le cadre de l’infraction d’extorsion d’aveux. Depuis 2009, les statistiques concernant les enquêtes et poursuites visant des policiers sont établies séparément. Enfin, le débat politique se poursuit autour de la question du port de badges d’identité par les policiers, qui n’est pour l’instant obligatoire que dans quatre Länder et ne l’est pas dans la police fédérale.

7.L’Allemagne a décidé d’elle-même, dès le début de 2011, de suspendre les expulsions vers la Grèce au titre du Règlement Dublin II et continue par ailleurs d’estimer raisonnable et nécessaire le recours aux assurances diplomatiques, dans les conditions strictes définies par la Cour européenne des droits de l’homme.

8.M. Behrens (Allemagne) dit que le Gouvernement fédéral est conscient que d’importants efforts restent à faire, tant pour améliorer les installations que pour accroître les effectifs, en vue de réduire le nombre de personnes placées sous contention dans les établissements médicalisés, et qu’il continuera de suivre la situation.

9.Concernant l’élimination de l’esclavage et de la servitude, rien n’indique que le nombre de cas de traite soit en augmentation dans le pays.

10.Le Gouvernement fédéral déplore la persistance des crimes à caractère antisémite ou raciste, mais il ne constate pas de réelle tendance à la hausse de ce phénomène. Pour compléter l’action de prévention et de répression, il appuie des programmes visant à combattre les modes de pensée racistes et antisémites. Enfin, des enquêtes rigoureuses seront menées sur les incidents qui ont entouré les meurtres terroristes commis par le groupuscule d’extrême droite NSU (National Socialist Underground), et la création en 2011 d’un centre commun de défense contre l’extrémisme de droite renforcera la coopération entre la police et les services de renseignement de l’État fédéral et des Länder.

11.M. Kälin demande s’il existe dans l’État partie une procédure permettant d’assurer la mise en œuvre des recommandations du Comité et des autres organes conventionnels. Il serait intéressant de savoir, lorsque les dispositions du Pacte sont invoquées devant les tribunaux, si les jugements font simplement référence au Pacte ou s’ils examinent aussi les droits qui y sont consacrés, leur contenu et leur importance au regard de l’affaire jugée.

12.M. Neuman demande si le Ministère de la justice, qui assume désormais au premier chef la responsabilité des suites à donner aux constatations du Comité, a établi des procédures écrites et, le cas échéant, si la délégation pourrait les communiquer au Comité afin qu’elles puissent éventuellement servir de modèle.

13.La délégation est invitée à expliquer pourquoi l’État partie a finalement décidé de ne pas lever sa réserve à l’article 15 du Pacte, sachant que le principe de la lex mitior, énoncé dans cet article l’est également dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et dans le Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, instruments au sujet desquels l’État partie n’a pas émis de réserve. Quant à la réserve indiquant que l’État partie ne reconnaît pas la compétence du Comité pour examiner les communications dénonçant une violation de l’article 26 du Pacte, elle semble en contradiction avec le fait que l’État partie accepte les obligations découlant de cet article, et il n’est pas certain qu’elle soit valide. Un dialogue avec la délégation sur ces questions serait bienvenu.

14.M. Flinterman souhaiterait des renseignements complémentaires sur la loi générale relative à l’égalité de traitement adoptée en 2006, notamment sur son champ d’application, les pouvoirs qu’elle confère à l’agence fédérale de lutte contre la discrimination, sa composition et l’existence éventuelle d’agences du même type au niveau des Länder.

15.Il serait bon de savoir si des progrès semblables à ceux accomplis au niveau fédéral en matière de représentation des femmes dans l’appareil législatif et judiciaire ont été constatés au niveau des Länder. Quoi qu’il en soit, il semble que l’objectif fondamental de l’égalité effective entre hommes et femmes n’ait pas encore été atteint. La délégation pourrait expliquer si cela est dû à la persistance de stéréotypes relatifs aux rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes ou à d’autres obstacles. Il serait utile par ailleurs de connaître les mesures prises pour aider hommes et femmes à concilier vie professionnelle et vie privée.

16.D’après l’organisation non gouvernementale Open Society Institute, les enfants d’immigrants sont très nettement sous-représentés dans l’enseignement secondaire. On peut y voir une discrimination indirecte que l’État partie ne saurait ignorer, et des renseignements sur les mesures prises ou envisagées pour y remédier seraient utiles. D’après la même ONG, certains établissements d’enseignement primaire et secondaire sépareraient les enfants de souche allemande des enfants d’immigrés au motif que ces derniers ne maîtrisent pas suffisamment bien la langue. La délégation voudra bien commenter ces informations à la lumière des articles 2 et 26 du Pacte.

17.M me  Motoc dit que la proportion d’enseignantes en université est très faible − 5 % seulement des chaires de droit sont occupées par des femmes − et voudrait connaître les mesures prises pour assurer une meilleure représentation des femmes dans cette profession.

18.M. Bouzid demande si les observations finales du Comité ont été discutées au Parlement à l’initiative de ce dernier ou après qu’elles lui ont été communiquées par le Gouvernement. Il voudrait également savoir si ces discussions ont débouché sur des projets de loi visant à mettre en œuvre les recommandations du Comité.

19.La Présidente remercieles membres du Comité et propose de suspendre la séance quelques minutes pour permettre à la délégation allemande de préparer ses réponses.

La séance est suspendue à 16 h 5; elle est reprise à 16 h 20.

20.M. Behrens (Allemagne) dit que les observations finales du Comité sont traduites en allemand et communiquées au Parlement (Bundestag), au Conseil fédéral (Bundesrat) ainsi qu’à tous les ministères fédéraux et aux gouvernements des Länder. Au Conseil fédéral, où sont représentés les gouvernements des Länder, elles ne font en principe pas l’objet de débats, sauf en ce qui concerne des points intéressant spécifiquement la mise en œuvre du Pacte au niveau local.

21.M me  Dahs (Allemagne) dit que la race, l’origine ethnique et le sexe ne sont pas les seuls motifs de discrimination interdits par la loi contre la discrimination, qui mentionne également l’âge, l’identité sexuelle et le handicap. La loi prévoit des mesures de réparation pour les victimes. L’Agence fédérale de lutte contre la discrimination offre des services d’aide aux victimes, réalise des études et établit des statistiques, et les décisions de justice rendues dans les affaires de discrimination sont enregistrées dans une base de données.

22.Les progrès constatés au niveau fédéral en matière de représentation des femmes dans la fonction publique se reflètent au niveau des Länder, par exemple dans celui de Berlin où 25 % des postes de direction sont actuellement occupés par des femmes − contre seulement 9,8 % en 2002 − et 15,1 % des juges et des procureurs sont de sexe féminin. Il n’en demeure pas moins vrai que la parité entre les sexes n’est pas encore atteinte. Il faut pour cela faire évoluer les mentalités, ce qui suppose un important travail de sensibilisation et d’éducation, et donner aux femmes les moyens de concilier plus facilement vie professionnelle et vie familiale, par exemple en développant l’offre de services de garde et le travail à temps partiel. Des efforts sont faits dans ce sens. Entre autres mesures spéciales provisoires, la loi générale relative à l’égalité de traitement dispose qu’une femme postulant dans un domaine où les femmes sont sous-représentées doit, à compétences égales, avoir priorité sur les candidats de sexe masculin.

23.M me  Hentschel (Allemagne) dit qu’en 2007, à l’échelon national, la proportion de postes de professeurs d’université occupés par des femmes était en moyenne de 16,2 %. Le Land de Berlin, où cette proportion atteint 29,5 %, se démarque nettement grâce à sa politique active en faveur de la féminisation du corps enseignant universitaire, qui prévoit notamment un système de quotas. La maîtrise de la langue est un élément clef de l’accès à l’éducation et c’est souvent parce qu’ils ne connaissent pas assez bien l’allemand que les élèves de langue maternelle étrangère réussissent moins bien à l’école. L’amélioration du taux de réussite scolaire de ces enfants est un objectif prioritaire et des programmes axés sur l’apprentissage de la langue sont mis en œuvre pour l’atteindre.

24.M me  Behr (Allemagne) dit que l’article 19 3) de la loi générale relative à l’égalité de traitement n’a aucune visée discriminatoire et tend au contraire à favoriser l’intégration en évitant la formation de quartiers d’habitation cloisonnés souvent à l’origine de tensions entre communautés.

25.M. Kälin dit que l’article 19 3) de la loi générale relative à l’égalité de traitement peut néanmoins conduire à exclure certaines catégories de personnes de certains quartiers au motif que leur présence pourrait être un facteur d’instabilité. Il serait intéressant de savoir comment cette disposition est interprétée par les tribunaux.

26.M. Flinterman demande pourquoi, dans la mesure où, comme la délégation le reconnaît elle-même, des efforts restent à faire pour que l’égalité des sexes soit inscrite dans les faits, les mesures temporaires spéciales autorisées par la loi ne semblent être utilisées qu’à titre exceptionnel. Dans le rapport concernant sa visite en Allemagne en 2009 (A/HRC/14/43/Add.2), le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée faisait observer que l’Agence fédérale de lutte contre la discrimination devait être renforcée pour pouvoir jouer un rôle efficace dans la promotion de l’égalité entre les sexes. Des mesures ont-elles été prises dans ce sens? Le Rapporteur spécial constatait par ailleurs que l’objectif visé par l’article 19 3) de la loi générale relative à l’égalité de traitement n’était pas atteint dans les faits. Il serait intéressant de savoir ce qu’il en est à l’heure actuelle.

27.M me  Chanet demande, en référence à la réserve de l’État partie au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, quels sont ces cas exceptionnels dans lesquels, lorsqu’une affaire est en cours de jugement et qu’une législation plus douce entre en vigueur, les tribunaux continuent à poursuivre et à réprimer selon la législation antérieure. Elle relève avec satisfaction que l’État partie, tenant compte de la décision adoptée par le Comité en mars 2012 sur une communication le concernant,est disposé à examiner la possibilité de retirer sa réserve au Protocole facultatif, par laquelle il refuse de reconnaître la compétence du Comité pour examiner les communications dénonçant une violation de l’article 26 du Pacte lorsque la violation dénoncée se réfère à des droits autres que ceux garantis dans le Pacte Elle encourage vivement l’État partie à lever ladite réserve.

28.M me  Behr (Allemagne) dit qu’elle doute de l’existence d’une quelconque jurisprudence concernant l’article 19 3) de la loi générale relative à l’égalité de traitement mais qu’elle en demandera confirmation aux autorités compétentes. Elle ajoute que la loi a été reconnue conforme aux directives européennes antidiscrimination et qu’aucun cas d’exclusion discriminatoire résultant de l’application de l’article 19 3) n’a à sa connaissance été signalé à ce jour.

29.M me  Dahs (Allemagne) dit que des mesures provisoires spéciales peuvent être prises en faveur des femmes en vertu de l’article 5 de la loi générale relative à l’égalité de traitement, qui autorise un traitement différencié fondé sur le sexe pour corriger des inégalités. Par ailleurs, les rapports régulièrement établis sur l’état d’avancement de l’application de la loi permettent de mesurer les progrès accomplis, d’identifier les domaines où des efforts supplémentaires sont requis et de prendre les mesures voulues.

30.La Présidente remercie la délégation de ses réponses complémentaires et invite les membres du Comité à passer au groupe de questions suivant.

31.M. Sarsembayev demande des précisions sur les mesures visant à combattre la violence sexiste, en particulier sur les multiples organismes qui interviennent dans ce domaine, les nombreuses initiatives de formation et de sensibilisation, les foyers (financement, construction et améliorations prévues) et les formes d’aide proposées aux victimes de violence familiale. Le problème des mutilations génitales féminines existe-t-il dans l’État partie?

32.En ce qui concerne la torture et les mauvais traitements, plusieurs points appellent aussi des explications complémentaires: il ne semble pas y avoir de définition de la torture dans la législation, il n’existe pas de statistiques nationales relatives aux plaintes visant le personnel pénitentiaire, les victimes de brutalités policières ne sont pas informées des mécanismes de plainte existants, et la police fédérale enquête elle-même sur les allégations de torture ou de mauvais traitements imputés à son personnel. Dans certains Länder, le port du badge est recommandé aux policiers mais pas imposé. Une étude universitaire a montré qu’une telle identification ne rendait pas leur travail plus efficace, mais c’est la direction générale de la police qui l’a demandée, et non le ministère public par exemple, ce qui suscite certaines interrogations.

33.M. Kälin espère que la suspension provisoire des transferts vers la Grèce en application du Règlement Dublin II sera prolongée au-delà de janvier 2013. Pour ce qui est des décisions de suspension en général, il est vrai que certains tribunaux interprètent l’article 34a 2) de la loi sur les procédures d’asile à la lumière du Pacte et de la Convention européenne des droits de l’homme, interdisant le renvoi dès lors qu’il existe un «risque réel», mais d’autres suivent la jurisprudence du Tribunal constitutionnel fédéral et appliquent le critère plus strict d’une «situation exceptionnelle», ce qui crée une insécurité juridique et réduit la protection contre les renvois contraires à l’article 7 du Pacte.

34.Les statistiques relatives à la procédure accélérée d’instruction des demandes d’asile mise en place dans les aéroports montrent que 90 % des demandeurs ont obtenu un permis de séjour ces dernières années, contre moins de 50 % les années précédentes; cette tendance encourageante mais à la fois troublante − en ce qu’elle peut témoigner d’un examen insuffisant des demandes antérieures − mérite d’être analysée. Le délai de deux jours dont disposent les demandeurs déboutés pour faire appel semble très court, surtout s’ils ne sont pas aidés dans cette démarche complexe. La délégation est invitée à expliquer davantage les critères appliqués pour accorder le statut de réfugié aux objecteurs de conscience. Il serait également utile d’avoir des précisions sur les assurances diplomatiques, et notamment de savoir à quelle autorité du pays de destination elles sont demandées, et que fait l’État partie si elles ne sont pas respectées.

35.L’État partie n’a pas expliqué pourquoi certaines décisions de placement sous contention d’une personne atteinte de démence ne respectaient pas les conditions requises (10 % des cas, selon certaines informations), ni comment ces irrégularités étaient corrigées, la victime ne pouvant à l’évidence exercer elle-même les recours prévus.

36.M. Neuman relève que l’État partie a analysé la hausse de la délinquance des jeunes − et pris nombre de mesures à cet égard − mais pas le taux élevé de personnes issues de l’immigration parmi les détenus, comme l’avait demandé le Comité. Si ce taux est également plus important en détention préventive, il ne peut s’expliquer par des comportements délictueux présumés plus fréquents chez cette catégorie de personnes. Les informations données par l’État partie sur la rétention de sûreté semblent viser le cas où celle-ci intervient rétroactivement à la fin de la peine, mais cette mesure peut également être imposée au moment de la décision condamnatoire. Les explications, ainsi que les modifications législatives annoncées, concernent-elles les deux régimes? Le principe de «différenciation» par rapport aux régimes ordinaires de détention sera-t-il appliqué dans les deux cas? Des précisions seraient bienvenues sur les modalités d’application, notamment en ce qui concerne l’autorité qui décide de la mesure, la fréquence à laquelle celle-ci sera réexaminée, les possibilités de contrôle juridictionnel, la charge de la preuve, et le double critère des troubles mentaux et de la dangerosité.

37.M. Behrens (Allemagne) dit que le placement en rétention de sûreté peut en effet être décidé soit au moment de la condamnation soit rétroactivement à l’échéance de la peine. Les modalités des deux formules sont toutefois très similaires. La délégation reviendra plus en détail sur cette question à la séance suivante.

La séance est levée à 18 heures.