NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.240710 janvier 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑huitième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2407e SÉANCE*

tenue au Palais Wilson, à Genève,le lundi 23 octobre 2006, à 10 heures

Présidente: Mme CHANET

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Sixième rapport périodique de l’Ukraine

La séance est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Sixième rapport périodique de l’Ukraine (CCPR/C/UKR/6; CCPR/C/UKR/Q/6)

1. Sur l’invitation de la Présidente, M. Kotlyar, M me Shestakova, M. Panchenko et M. Zadvornyi (Ukraine) prennent place à la table du Comité.

2.M. KOTLYAR (Ukraine), présentant le rapport de l’Ukraine (CCPR/C/UKR/6), souhaite donner au Comité un aperçu général des derniers faits nouveaux survenus en Ukraine en ce qui concerne la situation des droits de l’homme. Les élections présidentielles de décembre 2004 ont permis l’avènement d’un gouvernement démocratique dont la politique de réforme, connue sous le nom de «révolution orange», a renforcé un certain nombre de droits de l’homme et de libertés fondamentales tels que la liberté d’expression et le droit de réunion. En mars 2006, les élections parlementaires se sont déroulées librement, sous la surveillance d’observateurs internationaux.

3.En juillet 2006, l’Ukraine a ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, lequel est entré en vigueur en septembre de la même année et fait désormais partie intégrante du droit interne. Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, sera prochainement examiné par le Parlement en vue de sa ratification. L’Ukraine est également partie au Protocole n° 12 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans lequel est énoncée une interdiction générale de la discrimination.

4.Le Gouvernement ukrainien s’emploie activement à réformer le système judiciaire. Il a à cet effet élaboré un plan d’action d’une durée de dix ans qui prévoit notamment une réforme de la législation. En juillet 2006, une nouvelle loi a été adoptée en vertu de laquelle toutes les décisions rendues par les tribunaux nationaux doivent être rendues publiques via l’Internet. La mise en œuvre est en cours et les jugements des juridictions les plus élevées sont d’ores et déjà accessibles pour le public. L’objectif est de rendre le système judiciaire plus transparent et, ce faisant, de limiter la corruption. En septembre 2005, un nouveau code de procédure civile est entré en vigueur, ainsi qu’un code de justice administrative portant création d’une nouvelle juridiction, les tribunaux administratifs, chargés spécifiquement de sanctionner les violations des droits de l’homme commises par des responsables de l’application des lois. Un projet de loi visant à instituer l’aide juridictionnelle gratuite est sur le point d’être achevé. L’administration pénitentiaire n’est plus sous autorité militaire mais relève depuis mai 2006 du Ministère de la justice. Un programme quinquennal adopté en août 2006 et doté d’un budget d’environ 2 milliards de hryvnias devrait permettre d’améliorer sensiblement les conditions dans les prisons et les centres de détention.

5.La PRÉSIDENTE invite la délégation à répondre aux questions nos 1 à 16 de la liste des points à traiter en résumant ses réponses écrites, le Comité n’ayant pas pu en prendre connaissance car elles ont été communiquées en langue russe uniquement.

6.M. KOTLYAR (Ukraine), répondant à la question n° 1, dit que, conformément à la Constitution, le Pacte fait partie du droit interne et l’emporte sur les lois nationales en cas de conflit entre leurs dispositions. Le Pacte peut donc être directement invoqué devant les tribunaux et cité dans les jugements rendus par ces derniers.

7.M. YATSENKO (Ukraine), répondant à la question n° 2, dit que depuis sa création, le Médiateur a été saisi de plus de 700 000 plaintes, dont plus du tiers a donné lieu à des actions en justice qui ont abouti dans un tiers des cas à donner gain de cause au plaignant. Le Médiateur soumet chaque année au Conseil suprême (Parlement) et au Conseil des ministres un rapport sur ses activités dans lequel il recommande les mesures à prendre pour améliorer la situation des droits de l’homme, dont les organes du pouvoir tiennent de plus en plus compte. À l’initiative du Médiateur et avec le soutien du PNUD, les observations finales des organes conventionnels sont désormais publiées sous forme de recueil en ukrainien, en russe et en anglais. La spécificité du Médiateur en Ukraine est qu’il siège également au Parlement. Il a ainsi eu l’occasion de soumettre des propositions législatives, notamment en vue de ramener la durée de la détention à titre de mesure préventive temporaire de soixante‑douze heures à quarante‑huit heures, conformément aux recommandations formulées par le Comité des droits de l’homme à l’issue de l’examen du cinquième rapport périodique de l’Ukraine.

8.M. ZADVORNYI (Ukraine) invite les membres du Comité à se reporter aux deux rapports du Médiateur qui leur ont été remis, l’un sur la protection des droits de l’homme des nationaux ukrainiens à l’étranger et l’autre sur la protection des droits et libertés des minorités nationales, pour avoir un aperçu des différentes solutions proposées par le Médiateur aux organes législatifs et exécutifs dans ces domaines.

9.M. KOTLYAR (Ukraine) ajoute qu’il est essentiel de renforcer le rôle du Médiateur en Ukraine. Dans cette optique, le Ministre de la justice travaille actuellement à des amendements à la loi régissant les attributions du Médiateur en vue de l’habiliter à examiner les plaintes faisant état de violations des droits de l’homme commises pendant la détention et à veiller à l’application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

10.En réponse à la question n° 3, M. KOTLYAR (Ukraine) indique que les observations finales du Comité des droits de l’homme et les constatations adoptées par ce dernier au titre du premier Protocole facultatif sont transmises par la Mission permanente de l’Ukraine à Genève au Ministère des affaires extérieures, qui les fait tenir à son tour au Gouvernement, accompagnées de recommandations précises sur les mesures à prendre pour en assurer la mise en œuvre. Le Gouvernement donne ensuite des instructions aux organes compétents qui se chargent de la mise en œuvre. En ce qui concerne les constatations adoptées par le Comité dans l’affaire A. Aliev c. Ukraine (communication n° 78/1997), établissant qu’il y avait eu violation de l’article 14 du Pacte au motif que l’auteur n’avait pas bénéficié des services d’un conseil et que son recours devant la Cour suprême avait été examiné en son absence, elles ont été communiquées à la Cour suprême ainsi qu’à la juridiction régionale qui avait statué en première instance, afin d’éviter que des violations similaires ne se reproduisent. Parallèlement, la Cour suprême a adressé des recommandations aux juridictions inférieures leur rappelant que les garanties d’une procédure régulière, telles que la représentation par un conseil à tous les stades de la procédure, devaient être respectées.

11.L’égalité entre hommes et femmes (question n° 4) est un principe consacré par la Constitution et la législation. Sur la question spécifique de la représentation des femmes dans la haute fonction publique, il est vrai que malgré une légère progression de la proportion de sièges parlementaires détenus par des femmes − 39 sur 450 en 2006 contre 23 en 2002 − , les femmes restent minoritaires, voire complètement absentes, dans les plus hautes sphères du pouvoir. Elles sont en revanche très nombreuses − près de 70 % des effectifs − aux échelons inférieurs de la fonction publique. En vertu de la loi sur l’égalité des droits et des chances entre hommes et femmes, adoptée en septembre 2005, le Gouvernement est tenu d’examiner la législation en vigueur ainsi que tous les projets de loi sous l’aspect de l’égalité entre hommes et femmes, tâche que le Ministère de la justice a entreprise en septembre 2006. La loi prescrit également que les listes des partis politiques doivent comporter aussi des femmes sans toutefois instaurer de quotas, le Parlement n’étant pas favorable à cette idée. La loi interdit en outre aux employeurs, tant publics que privés, de préciser le sexe dans leurs offres d’emploi mais les autorise à prendre des mesures positives pour garantir une représentation équilibrée d’hommes et de femmes au sein de leur personnel. Les femmes victimes de discriminations dues à leur sexe peuvent saisir le Médiateur, les tribunaux et, lorsque les recours internes ont été épuisés ou que l’examen de leur plainte subit un retard injustifié, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Le droit d’obtenir réparation est prévu par la loi.

12.M. YATSENKO (Ukraine) dit que bien que la législation énonce un certain nombre de garanties en faveur de l’égalité entre hommes et femmes, dans la pratique la situation n’est pas encore à la hauteur des prescriptions internationales dans ce domaine. La société ukrainienne est marquée par une tradition patriarcale qui freine la réalisation de l’égalité. Des audiences publiques auront lieu au Parlement en novembre 2006 dans le but de dresser un bilan de la situation actuelle et de définir les mesures à prendre.

13.Le problème de la violence au sein de la famille (question n° 5) est plus que jamais d’actualité en Ukraine. Les plaintes adressées au Médiateur pour ce motif ont doublé au cours des deux dernières années. D’après une étude réalisée par des sociologues, une femme ukrainienne sur cinq est confrontée au moins une fois dans sa vie à la violence domestique. La loi sur la prévention de la violence dans la famille met en place un ensemble d’organes et d’institutions auxquels il incombe de prendre des mesures pour prévenir la violence familiale et prévoit la mise en place de centres de crise et de foyers pour accueillir les victimes de ce type de violence.

14.M. KOTLYAR (Ukraine) précise que l’étude de la loi sur la prévention de la violence dans la famille fait partie de la formation du personnel du Ministère de l’intérieur et qu’un manuel a été élaboré à l’intention de la police. En outre, depuis 2003, les actes de violence familiale peuvent être poursuivis en tant qu’infraction administrative.

15.En ce qui concerne la question no 6 relative aux dérogations pendant l’état d’urgence, l’article 64 de la Constitution dispose que les droits constitutionnels ne peuvent être restreints qu’en cas de proclamation de la loi martiale ou de l’état d’urgence. En outre, l’exercice de certains droits ne peut être suspendu en aucune circonstance. L’état d’urgence a été proclamé en Ukraine en décembre 2005 après que plusieurs décès dus à la grippe aviaire eurent été signalés. Des villages ont été mis en quarantaine. Il est vrai que le décret instituant l’état d’urgence aurait dû en préciser la durée, mais il était difficile, sur le moment, d’évaluer les mesures à prendre face à ce problème urgent et d’ampleur mondiale.

16.M. PANCHENKO (Ukraine) (question no 7) explique, au sujet de l’expulsion, que l’article 6 du nouveau Code de procédure administrative reconnaît aux étrangers et apatrides les mêmes droits qu’aux Ukrainiens. Un étranger ne peut être placé en détention ou expulsé que sur ordre d’un tribunal, et il peut faire appel de cette décision. Des mécanismes sont prévus pour aider les particuliers à saisir la justice lorsqu’ils s’estiment victimes d’arbitraire de la part d’un fonctionnaire. Le juge peut même aller au-delà de la teneur de la plainte si c’est dans l’intérêt du plaignant. En outre, c’est au fonctionnaire mis en cause, et non au plaignant, qu’incombe la charge de la preuve.

17.M. KOTLYAR (Ukraine) ajoute que la loi de 2001 sur les réfugiés a été harmonisée avec la Convention relative au statut des réfugiés et son protocole, auxquels l’Ukraine est devenue partie en 2002. L’article 3 de cette loi interdit d’expulser une personne vers un pays où elle risque d’être torturée, dans les mêmes termes quasiment que la Convention contre la torture. La décision d’expulser les 10 demandeurs d’asile ouzbeks (question no 8) avait été prise par les autorités judiciaires locales, après examen du dossier présenté par le Ministère de l’intérieur. La délégation admet que la procédure officielle n’a pas été respectée car ces personnes n’ont pas pu faire appel de la décision d’expulsion ni consulter le représentant du Haut-Commissariat pour les réfugiés. Les Ministères de la justice, de l’intérieur et des affaires étrangères ont été saisis de cette affaire, ainsi que le Président lui-même, et tout sera mis en œuvre pour qu’une telle erreur ne se reproduise pas.

18.M. YATSENKO (Ukraine) passe aux renseignements demandés concernant la torture (question no 9). Le Médiateur a été le premier à attirer l’attention sur ce problème, et plusieurs mesures ont été prises à son initiative: le Code pénal a été modifié et désormais la torture aux fins d’obtenir des aveux est passible de poursuites et des peines plus lourdes sont prévues lorsqu’elle est pratiquée par un agent de l’État ou a entraîné la mort de la victime; de plus la milice et les organes du Ministère de l’intérieur ne peuvent pas interroger un détenu avant l’arrivée de l’avocat et doivent prévenir la famille dans les deux heures suivant l’arrestation, alors que ce délai était auparavant de vingt‑quatre heures. En outre, afin de lutter contre l’impunité, un accord de coopération a été conclu entre le Médiateur et le Ministère de l’intérieur, avec notamment la création d’un poste de conseiller chargé de la torture au sein du Ministère. Le Médiateur soutient la recommandation du Comité tendant à créer un organe indépendant chargé d’enquêter sur les cas de violences imputées à la milice. Enfin, l’Ukraine a ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture.

19.Mme SHESTAKOVA (Ukraine) ajoute que le Bureau du Procureur a un service spécialement chargé de surveiller le comportement de la milice. Toute plainte pour utilisation excessive de la force est examinée attentivement. En 2005, le Bureau du Procureur avait été saisi de quelque 1 500 plaintes pour recours à des méthodes d’enquête illégales; en 2006, ce chiffre a diminué de moitié. Une procédure de surveillance des postes de la milice et des centres de détention du Ministère de l’intérieur a été instituée par décret en 2005. Des inspections sont effectuées tous les dix jours sans préavis. Les représentants du Bureau du Procureur s’entretiennent directement avec les détenus qui se plaignent de violences et font procéder au besoin à des examens médicaux.

20.M. KOTLYAR (Ukraine) ajoute que les inspections sont faites par des équipes mobiles du Ministère de l’intérieur qui comptent parmi leurs membres des représentants d’organisations non gouvernementales et de la société civile; en outre, leurs activités sont supervisées par un Conseil public au sein du Ministère, qui est formé d’éminents militants pour les droits de l’homme.

21.En ce qui concerne les minorités nationales (question no 10), il n’est pas exclu qu’en raison de préjugés sociaux les membres de certaines communautés, comme les Roms, soient parfois victimes de traitements illégaux, mais ce sont des cas isolés et les autorités font leur possible pour sensibiliser les forces de l’ordre à l’égalité des droits.

22.M. ZADVORNYI (Ukraine) ajoute que le Médiateur accorde beaucoup d’attention à cette question. Il y a cinq ou six ans encore, des Roms étaient détenus illégalement, voire torturés, mais le Médiateur travaille beaucoup avec la milice sur ce problème et ses efforts commencent à porter leurs fruits. Les minorités nationales sont en effet la cible d’une certaine intolérance mais celle-ci est parfois suscitée par leur propre attitude. Les Tatars de Crimée constituent un cas particulier qui sera abordé ultérieurement.

23.M. KOTLYAR (Ukraine), en réponse à la question no 11, dit que la définition de la traite de personnes a été harmonisée avec celle de la Convention contre la criminalité transnationale organisée et son protocole additionnel. Un service est spécialement chargé de cette question au Ministère de l’intérieur, et le service des mineurs s’en occupe également dans le cadre de la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants. En outre, un programme de prévention est mis en œuvre. Quelque 57 réseaux de traite de personnes ont été démantelés et plus de 700 victimes ont été rapatriées de l’étranger.

24.Mme SHESTAKOVA (Ukraine) ajoute que le Bureau du Procureur joue lui aussi un rôle dans la lutte contre la traite. C’est une tâche difficile car il s’agit d’une activité transnationale, de surcroît favorisée par l’instabilité économique du pays. Le Bureau du Procureur réalise des études aux niveaux local et national pour définir des moyens d’action. Il organise des séminaires de formation et a élaboré une méthodologie spéciale pour les enquêtes dans ce domaine. En 2006, 42 trafiquants ont été condamnés, dont la moitié à des peines d’emprisonnement.

25.M. YATSENKO (Ukraine) rappelle que l’Ukraine est le troisième pays d’Europe à avoir introduit l’incrimination de la traite dans sa législation pénale. Beaucoup d’efforts sont faits depuis 1998 pour recenser les victimes: 3 000 ont déjà été identifiées avec l’aide des organisations non gouvernementales.

26.M. KOTLYAR (Ukraine) dit que la protection des détenus (question no 12) a été considérablement améliorée depuis janvier 2005 grâce à plusieurs réformes législatives. Tout détenu doit être immédiatement informé de ses droits, et notamment de son droit de s’entretenir avec un avocat en privé. Toute violation de ces droits entraîne réparation. Le Code de procédure pénale prévoit qu’un avocat est commis d’office à tout détenu qui n’a pas les moyens d’engager un conseil privé. Dans la pratique, cependant, cette disposition est inefficace car les avocats de l’État sont peu rémunérés et ne veulent donc pas s’occuper de ce genre d’affaires. C’est pourquoi le Gouvernement a adopté en juin une stratégie en vue de réformer complètement le système de l’aide juridictionnelle, et notamment de l’étendre aux procédures civiles et administratives, pour lesquelles il n’est pas encore prévu. Le Ministère de la justice est déjà en train de mettre à l’essai plusieurs formules pilotes avec l’aide d’organisations non gouvernementales.

27.M. YATSENKO (Ukraine) ajoute que cette question est en effet une priorité. Les deux tiers de la population sont pauvres et ne peuvent pas payer les honoraires d’un avocat. Le Parlement étant saisi de plusieurs projets de loi visant à garantir le droit à l’aide juridictionnelle, on peut espérer qu’un mécanisme adéquat sera mis en place prochainement.

28.Mme SHESTAKOVA (Ukraine), répondant à la question no 13 concernant les cas de réparation pour détention provisoire illégale, précise qu’en 2005 et au premier semestre de 2006, les juridictions civiles ont examiné 15 affaires d’arrestation ou de détention arbitraire. Dans 10 d’entre elles, les tribunaux ont conclu que les plaintes étaient fondées et ont ordonné l’indemnisation des victimes, pour un montant total de plus de 430 000 hryvnias. Dans deux autres affaires, ils ont débouté les plaignants. À l’heure actuelle, la justice doit encore se prononcer dans cinq autres affaires. En outre, en 2005‑2006, les tribunaux ont rendu 17 décisions dans des affaires d’arrestation ou de garde à vue illégale, et ont ordonné l’indemnisation des victimes pour un montant total supérieur à 1,8 million de hryvnias.

29.M. PANCHENKO (Ukraine) ajoute que les cas de détention provisoire illégale peuvent également être contestés en vertu du Code de procédure administrative, qui réprime les comportements illicites des forces de l’ordre, et prévoit la réparation du préjudice moral ou matériel subi dans ce type de situation.

30.M. KOTLYAR (Ukraine), répondant à la question relative à la détention «provisoire à titre préventif» (question no 14), dit que, conformément à l’article 29 de la Constitution, le délai légal de la garde à vue peut être porté à soixante‑douze heures en cas de nécessité urgente pour prévenir une infraction ou y mettre fin. Si, à l’expiration de ce délai, le juge n’ordonne pas le maintien en détentions du suspect, celui‑ci est relâché. Cette disposition constitutionnelle est globalement conforme à l’article 9 du Pacte, même s’il faut bien reconnaître que le délai de soixante‑douze heures est excessif. Toutefois, comme il serait très compliqué de modifier la disposition pertinente de la Constitution, les autorités prévoient plutôt de reprendre la question dans le cadre de la réforme du Code de procédure pénale. Quant à la disposition prévoyant la prolongation de la garde à vue jusqu’à dix jours, voire quinze, il s’agit d’une norme obsolète, héritée du Code de procédure pénale en vigueur à l’époque soviétique. Un groupe d’experts a entrepris d’élaborer des propositions de modification du Code de procédure pénale, et les autorités ukrainiennes espèrent que leurs travaux permettront de supprimer la disposition en question ainsi qu’un certain nombre d’autres qui ne sont plus adaptées à la situation actuelle.

31.M. YATSENKO (Ukraine) ajoute que le Comité contre la torture a formulé des recommandations à ce sujet, auxquelles le Médiateur souscrit pleinement. Le Médiateur a ainsi établi un projet tendant à modifier l’article 29 de la Constitution, et il espère que le Conseil suprême approuvera le projet et annulera ainsi les dispositions de cet article 29 qui sont incompatibles avec l’article 9 du Pacte.

32.M. KOTLYAR (Ukraine) répond à la question des détentions arbitraires d’étudiants qui ont eu lieu pendant la période électorale de 2004 (question no 15). De multiples violations des droits de l’homme ont été commises durant cette période, ce qui a d’ailleurs conduit la Cour suprême à invalider les résultats du second tour de scrutin et à demander l’organisation d’un nouveau second tour. À l’origine, les manifestations d’étudiants auxquelles le Comité fait référence étaient liées à un conflit portant sur l’université, mais le mouvement a ensuite évolué vers des préoccupations électorales. Des mesures ont été prises contre les responsables présumés des détentions arbitraires. Le chef du Département de la police régionale a été démis de ses fonctions et poursuivi au pénal, mais sa culpabilité n’a pas été établie; son adjoint a été jugé et condamné à une peine de prison, avant de bénéficier d’une mesure d’amnistie. En ce qui concerne plus généralement les violations des droits de l’homme commises durant la période électorale, les services de police et le Bureau du Procureur général ont enquêté sur plus de 2 000 affaires pénales concernant plus de 6 000 personnes. Un certain nombre de décisions judiciaires ont été rendues, et des sanctions ont été prises, y compris à l’égard de membres des commissions électorales et de candidats. Les mesures adoptées ont porté des fruits puisqu’il est généralement considéré que la campagne électorale de 2006 s’est déroulée dans des conditions satisfaisantes, et les sanctions ont eu manifestement un effet dissuasif pour les commissions électorales régionales.

33.La corruption au sein de l’appareil judiciaire (question no 16) préoccupe les autorités. Une réforme du pouvoir judiciaire est prévue qui devrait apporter différentes améliorations, notamment en ce qui concerne la procédure de nomination des juges, les sanctions disciplinaires, etc., mais on estime qu’il faudra dix ans pour mener à bien tous les aspects de la réforme. Dans une première étape, des projets de loi sur la lutte contre la corruption et sur le statut des magistrats seront présentés prochainement au Conseil suprême. L’un des grands problèmes auxquels se heurte la réforme du pouvoir judiciaire est l’insuffisance des ressources financières, et notamment la faible rémunération des juges. Le traitement des juges a été relevé en 2005, mais il reste insuffisant. Une nouvelle loi sur l’accès aux décisions judiciaires est entrée en vigueur en juin 2006, qui permettra à tous les citoyens de pouvoir prendre connaissance de l’ensemble de ces décisions grâce à leur diffusion sur Internet, diffusion qui sera assortie de la protection nécessaire des données personnelles des parties. Pour l’heure, seuls les arrêts de la Cour suprême sont consultables sur Internet, mais progressivement les décisions de toutes les juridictions inférieures devraient l’être également. D’une façon générale, les autorités ukrainiennes sont tout à fait conscientes de la nécessité de réformer la législation pour lutter contre la corruption du système judiciaire et, à cette fin, le Président de la République a établi récemment plusieurs projets de loi, ainsi que les instruments de ratification de la Convention des Nations Unies contre la corruption et des deux conventions du Conseil de l’Europe se rapportant à cette question. Tous ces textes sont actuellement examinés par le Conseil suprême et le Gouvernement ukrainien espère que leur adoption permettra de rendre la législation conforme aux normes internationales en vigueur et de lutter comme il convient contre la corruption, en particulier au sein du pouvoir judiciaire.

34.La PRÉSIDENTE remercie la délégation ukrainienne et invite les membres du Comité à poser oralement des questions complémentaires.

35.Mme WEDGWOOD voudrait savoir si l’étude des instruments internationaux figure dans les programmes des facultés de droit, ce qui permettrait aux futurs juristes et avocats d’être familiarisés avec leurs dispositions. Elle voudrait également savoir si une formation continue est dispensée aux juristes et avocats qui s’occupent des questions relevant du droit international. En outre, il serait bon que les effectifs de police bénéficient aussi d’une formation continue dans ce domaine, de façon qu’ils prennent conscience que la protection des droits de l’homme n’est pas un principe abstrait mais revêt une importance pratique pour l’exercice de leurs fonctions. En ce qui concerne plus spécifiquement le Pacte, en cas de conflit entre cet instrument et la Constitution de l’Ukraine, Mme Wedgwood voudrait savoir quel texte l’emporte.

36.Pour ce qui est du respect de l’article 9 du Pacte, et plus précisément de la protection contre la torture et les mauvais traitements, les difficultés auxquelles se heurtent les autorités ukrainiennes dans ce domaine se retrouvent d’un bout à l’autre de la planète, et même dans les États les plus respectueux des droits de l’homme, la torture est parfois pratiquée dans les cellules de garde à vue. Il est donc essentiel que le pouvoir exécutif sensibilise les forces de l’ordre à l’interdiction de la torture et des mauvais traitements. À ce propos, Mme Wedgwood souhaiterait recevoir des informations concernant plusieurs affaires, notamment le cas d’un homme de 36 ans (non identifié) qui aurait été battu à mort le 7 avril 2005 dans une cellule de garde à vue à Jhitomir. Une enquête aurait été ouverte, et le Comité souhaiterait en connaître l’issue. Un autre suspect, Armen Melkonian, aurait succombé à des mauvais traitements en garde à vue le 17 décembre 2005, dans le centre de détention de Kharkiv. Le Directeur de ce centre, M. Tkachenko, aurait dissimulé les causes du décès. Une instruction pénale a apparemment été ouverte et Mme Wedgwood voudrait en connaître l’issue et savoir, en particulier, si le Directeur du centre en question est toujours en fonctions ou s’il a fait l’objet de sanctions. Une autre personne, Mykola Zahachevsky, serait également décédée en détention provisoire en 2004 et, là encore, Mme Wedgwood voudrait savoir quelles mesures les autorités ukrainiennes ont prises.

37.Les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme sont manifestement très actives en Ukraine, ce dont il convient de se féliciter. En particulier, l’Institut de recherches sociales de Kharkiv a publié une étude indiquant que 62 % des personnes détenues par la police se plaignent d’avoir subi des tortures, et 44 % affirment que les forces de l’ordre les ont brutalisés. Le Médiateur reconnaît d’ailleurs que la torture et les mauvais traitements continuent d’être pratiqués durant la garde à vue. L’un des dispositifs essentiels pour mettre fin à cette situation consiste à permettre aux suspects d’entrer le plus rapidement possible en contact avec un conseil, ce qui évite que la détention échappe à tout regard extérieur. À ce propos, Mme Wedgwood voudrait savoir si les autorités ukrainiennes envisagent la mise en place de commissions de contrôle de la police locale qui seraient composées de membres de la société civile. À l’évidence, c’est imposer une charge trop lourde au Médiateur que de lui confier tous les dossiers de violations présumées des droits des suspects placés en garde à vue − dossiers sur lesquels il n’a en outre aucun pouvoir de décision −, et les membres de la société civile locale sont souvent mieux à même d’identifier les situations problématiques. Il serait utile également de savoir comment les autorités entendent régler le problème de l’accès à l’aide juridictionnelle. Dans de très nombreux pays, il existe maintenant des avocats préposés à ce titre, ce qui permet d’éviter de compter uniquement sur la bonne volonté des barreaux locaux.

38.Toujours à propos de la garde à vue, Mme Wedgwood a noté qu’un suspect peut rester détenu par la police pendant soixante‑douze heures et ce délai peut être ensuite porté à dix, voire quinze, jours, par le juge. Une aussi longue période de détention dans les locaux de la police est susceptible d’entraîner des violations des droits de l’homme et Mme Wedgwood suggère aux autorités de prévoir à tout le moins l’enregistrement vidéo systématique des interrogatoires. Le Bureau du Procureur de New York, par exemple, a adopté ce principe et a pu constater que l’enregistrement vidéo facilitait l’établissement des faits et faisait gagner du temps aux services chargés de l’instruction. En recueillant les dépositions des suspects dans des conditions humaines, les autorités sont mieux à même de sanctionner les coupables et évitent d’avoir à écarter des dépositions au motif qu’elles ont été extorquées par la violence.

39.M. WIERUSZEWSKI constate avec regret que le pouvoir exécutif ukrainien, en particulier le Ministère de l’intérieur, n’est guère représenté au sein de la délégation de l’État partie. D’un autre côté, le Comité regrette que les organisations non gouvernementales, pourtant très actives en Ukraine, ne lui aient pas communiqué d’informations sur la situation des droits de l’homme.

40.M. Wieruszewski se félicite de la ratification par l’État partie du Protocole no 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui constitue un pas important pour le respect des droits de l’homme. Il a noté toutefois, en ce qui concerne le traitement des plaintes adressées au Médiateur, qu’une violation des droits de la personne n’avait été établie que dans un cas sur trois. La proportion est faible et, même s’il est évidemment possible que des plaintes ne soient pas fondées, il conviendrait de savoir pourquoi un tiers seulement des plaignants a obtenu gain de cause. La situation décrite par la délégation ukrainienne conduit à s’interroger sur l’efficacité de l’institution du Médiateur et M. Wieruszewski souhaiterait entendre la délégation à ce sujet. Plus généralement, il souhaiterait recevoir de plus amples renseignements sur les réformes envisagées pour le Bureau du Procureur.

41.En ce qui concerne l’égalité entre hommes et femmes, force est de constater que peu de progrès ont été réalisés depuis l’examen du précédent rapport périodique (CCPR/C/UKR/99/5). Il conviendrait de savoir si le Conseil sur l’égalité des droits et des chances pour les hommes et les femmes, dont la création a été annoncée, fonctionne déjà et quels ont été les effets du décret présidentiel adopté le 26 juillet 2005 concernant l’amélioration des travaux des organes du pouvoir exécutif dans ce domaine. Des mesures ont‑elles déjà été prises en application de ce décret? En outre, la loi actuellement en vigueur interdit de favoriser l’un ou l’autre sexe dans les offres d’emploi, et M. Wieruszewski voudrait savoir comment cette loi est mise en œuvre dans la pratique. Selon les informations dont il dispose, il existe encore des discriminations dans le domaine de l’emploi, et des commentaires de la délégation ukrainienne sur tous ces points seraient bienvenus.

42.Pour ce qui est des violations de l’article 7 du Pacte dont seraient victimes les membres de certaines minorités, le texte des réponses écrites à la liste des points (CCPR/C/UKR/Q/6) n’apporte aucun élément concret sur ce point, et la délégation a indiqué que les choses étaient en train de changer. D’après les informations dont dispose le Comité, il semble que les discriminations au motif de la race constituent un réel problème en Ukraine, où dans certaines régions les forces de police ont tendance à arrêter les personnes qui ont la peau plus foncée et à procéder à la vérification de leur identité plus souvent qu’elles ne le font pour d’autres individus. Le fait que, comme il est dit dans le texte des réponses écrites, le Bureau du Procureur général ne dispose pas d’informations sur des comportements discriminatoires des forces de police à l’égard des minorités ne signifie pas que ces discriminations n’existent pas mais fait plutôt penser que les victimes ont peur de déposer plainte ou, à tout le moins, ne font pas confiance aux autorités pour les rétablir dans leurs droits. Le Médiateur ne peut pas régler à lui seul tous les problèmes, et il convient de l’appuyer dans sa tâche avec un mécanisme assurant la protection des droits des minorités. Il est également important d’offrir aux forces de l’ordre une formation appropriée en matière de respect des droits de l’homme. M. Wieruszewski serait reconnaissant à la délégation de bien vouloir indiquer le point de vue des autorités ukrainiennes sur toutes ces questions.

43.M. ANDO dit qu’il a pris note de l’existence du mécanisme permettant la mise en œuvre des recommandations du Comité mais fait observer que, en sa qualité de rapporteur chargé du suivi des communications, il a eu plusieurs fois l’occasion de devoir prendre contact avec les représentants de la Mission permanente de l’Ukraine à Genève, et que les contacts étaient souvent difficiles à établir. Il espère qu’avec la mise en place du nouveau Gouvernement ukrainien cette situation s’améliorera et que le rapporteur qui lui succédera rencontrera moins de difficultés que lui. Certains pays ont mis en place un mécanisme particulier pour mettre en œuvre les décisions du Comité au titre du Pacte ou du Protocole facultatif, et M. Ando demande si un tel mécanisme est envisagé en Ukraine. En ce qui concerne plus précisément la suite donnée aux constatations du Comité concernant la communication no 781/1997 (Aliev  c. Ukraine), M. Ando rappelle que le Comité avait demandé à l’État partie de remettre l’auteur en liberté, et il voudrait savoir si les autorités ukrainiennes ont donné effet à cette demande.

44.Mme PALM, revenant sur la question des dérogations autorisées en situation d’urgence, demande quelles restrictions à la liberté de religion peuvent être imposées dans ce cadre et, en particulier, si toutes les restrictions prévues sont compatibles avec les dispositions de l’article 4 du Pacte.

45.À propos des articles 9 à 14 du Pacte, la délégation ukrainienne a indiqué qu’une réforme du pouvoir judiciaire avait été décidée par les autorités. Mme Palm s’en félicite, car la lecture du rapport comme les informations dont le Comité dispose montrent que l’indépendance du pouvoir judiciaire est encore loin d’être une réalité en Ukraine. À ce sujet, elle souhaiterait savoir plus précisément comment sont nommés les juges et pour quelle durée, et elle voudrait également des informations sur le niveau de leur rémunération, aspect d’autant plus important que la corruption sévit apparemment parmi les magistrats.

46.Mme PALM, relevant que l’aide juridictionnelle pose un problème important, du fait en particulier que les avocats commis d’office sont très mal payés et rechignent à s’occuper de certaines affaires, souhaite savoir si les mesures que l’État partie envisage de prendre visent à faciliter l’accès des détenus à un avocat et à leur permettre de choisir celui-ci, si le nombre d’avocats pouvant être commis d’office dans des affaires pénales est suffisant et s’il est prévu que des avocats privés puissent être rémunérés par l’État.

47.En ce qui concerne le droit à la défense et les mesures à prendre pour améliorer son efficacité, certaines sources ont fait savoir que les suspects et les détenus n’étaient pas toujours informés de leurs droits, alors que d’après la délégation ils le sont dès leur placement en détention; elle demande donc quelles mesures concrètes l’État partie a prises pour veiller à ce que cette obligation soit respectée dans la pratique, notamment si les policiers doivent appliquer des procédures de routine ou des instructions particulières et si des mécanismes ont été mis en place pour vérifier que ces règles sont appliquées. D’après le rapport de l’État partie, la présence d’un avocat est obligatoire à partir du moment de l’arrestation. Mme Palm demande à la délégation si elle peut confirmer qu’il ne peut pas y avoir d’interrogatoire en dehors de la présence d’un avocat, car le rapport n’indique pas clairement ce qu’il faut entendre par «moment de l’arrestation», c’est-à-dire s’il s’agit du moment où la police appréhende physiquement le suspect physique ou de celui où elle enregistre l’arrestation.

48.Sir Nigel RODLEY se félicite de la ponctualité exemplaire avec laquelle l’État partie présente ses rapports ainsi que de la sincérité et de l’ouverture dont fait preuve la délégation. Il souhaiterait des précisions sur le manuel relatif à la violence dans la famille qui a été distribué aux services de police, notamment sur sa nature, ses objectifs, sa date d’élaboration et de diffusion et les services destinataires. Relevant que, d’après le rapport du Département d’État des États-Unis pour 2005, les médias ukrainiens rendent très peu compte de la violence dans la famille, il demande ce que le Gouvernement compte faire pour sensibiliser la société, et en particulier les juges, à des faits qui semblent liés à une culture traditionnelle et qui ne sont passibles que de peines légères.

49.Sir Nigel Rodley a bien noté que la législation de l’État partie prévoit l’obligation de ne pas renvoyer une personne vers un pays dans lequel elle risque d’être soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et que l’Ukraine est également partie à la Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, des Ouzbeks, mais aussi des Tchétchènes et des ressortissants d’autres pays de la Communauté d’États indépendants ont été expulsés; il se demande dans quelle mesure le Haut‑Commissariat pour les réfugiés est associé à la prise de décisions, car il semble que celui-ci ne reçoive pas toujours en temps voulu les renseignements dont il a besoin. Il se félicite de ce que la délégation ait reconnu qu’il y avait eu violation des règles de procédure dans l’affaire des 10 Ouzbeks qui ont été expulsés et qu’elle ait donné l’assurance que des mesures avaient été prises pour éviter que cette situation se reproduise et il souhaite savoir si l’État partie s’est enquis du sort des personnes expulsées ou a tenté de les faire revenir sur son territoire. En d’autres termes, il souhaite savoir si l’État partie reconnaît qu’il a violé l’article 7 du Pacte en expulsant ces personnes – et dans le cas contraire, pourquoi – et si des mesures ont été prises pour sanctionner les fonctionnaires du Ministère de l’intérieur qui ont exposé ces personnes au risque d’être torturées et les ont privées de leur droit de recours.

50.Sir Nigel Rodley a entendu avec intérêt que des inspections inopinées avaient lieu sur les lieux de détention pour déceler d’éventuels mauvais traitements ou actes de torture; il demande pourquoi les atteintes découvertes sont signalées à la hiérarchie mais ne font pas l’objet de poursuites de la part du Bureau du Procureur. Il croit également comprendre que la définition de la torture est reprise de l’article premier de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et non de l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et souhaite connaître les raisons de ce choix, car ces définitions sont sensiblement différentes. Enfin, il se félicite des mesures que l’État partie a prises pour lutter contre la traite – création d’un service spécialisé, démantèlement des gangs, poursuites engagées, etc. – mais il relève qu’il n’existe pas de programme de protection des témoins pour protéger les victimes de la traite, qui sont en général très vulnérables et peuvent avoir peur de témoigner; il souhaite savoir ce que le Gouvernement a prévu dans ce domaine.

51.M. LALLAH dit qu’il est impressionné par les progrès accomplis par le pays, en particulier en matière de modernisation de la législation. Il souscrit aux observations de Mme Wedgwood, de M. Wieruszewski, de Sir Nigel Rodley et de Mme Palm et demande à la délégation si elle peut décrire précisément ce qui se passe dans le poste de police à partir du moment où un suspect est arrêté par la police. Il voudrait savoir quelle est l’attitude des policiers à l’égard de l’avocat, quel est le statut des avocats dans la société, s’ils ont peur de la police et s’ils sont trop respectueux, dans une société où le respect absolu de la police a longtemps prévalu, compte tenu du rôle qu’elle jouait dans le système. Il s’interroge aussi sur le rôle exact de l’avocat, se demander s’il doit simplement s’assurer que son client ne subit pas de sévices ou qu’il bénéficie des soins médicaux nécessaires, ou doit veiller à ce que les policiers n’utilisent pas de méthodes «musclées» pour obtenir des aveux, s’il peut dire à son client, en présence des policiers, qu’il n’est pas tenu de répondre aux questions ni de reconnaître quoi que ce soit, et s’il peut dénoncer d’éventuels mauvais traitements auprès du Procureur. Il voudrait savoir enfin s’il existe une procédure permettant de contester des aveux pendant le procès et, dans l’affirmative, comment elle se déroule, si des plaintes ont déjà été déposées par des suspects et des poursuites ont été engagées contre des policiers.

52.M. SHEARER note, à titre de suivi d’une question qu’il avait posée en 2001 lors de l’examen du cinquième rapport de l’État partie, que le bizutage des jeunes recrues de l’armée ukrainienne se poursuit, comme en témoignent l’Association des mères de soldats et les informations reçues par le Comité. Il craint que la fin de la conscription, prévue en 2010, ne suffise pas à faire disparaître ces pratiques et souhaite savoir quelles mesures l’État partie a prises depuis 2001 pour lutter contre ce fléau.

53.M. CASTILLERO HOYOS, relevant que peu de femmes accèdent aux postes de responsabilité, demande si l’État partie envisage de prendre des mesures législatives pour encourager la participation des femmes à la vie publique, notamment de mettre en place un système de quotas dans le système législatif, quelles mesures concrètes il a prises pour combler l’écart salarial entre hommes et femmes, qui s’élève à 27 %, et s’il prévoit d’inscrire dans le Code du travail le principe de l’égalité des salaires.

54.En ce qui concerne l’article 6 du Pacte, il souhaite savoir quelles mesures ont été prises pour protéger les journalistes, car trois au moins ont été assassinés, et si la délégation a des informations sur l’affaire Georgiy Gongadzé. Il demande également ce que l’État partie a fait pour lutter contre la discrimination à l’égard des Juifs car d’après le Département d’État des États-Unis, les autorités ukrainiennes ne reconnaissent pas l’existence d’infractions à caractère antisémite.

55.Enfin, en ce qui concerne l’article 8 du Pacte, il souhaite savoir en quoi consistaient les observations (par. 115 du rapport), faites par l’Ukraine lorsqu’elle a ratifié la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, ainsi que le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants, et le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air.

56.Mme WEDGWOOD demande pourquoi le Vice-Directeur de la police, qui avait été condamné à la suite de la répression des manifestations étudiantes, a bénéficié d’une amnistie. Elle souhaite également savoir si des normes claires et objectives ont été définies en ce qui concerne les manifestations pacifiques, afin qu’à l’avenir, les chefs de la police n’aient plus toute latitude pour réprimer ce type de manifestation.

57.M. KOTLYAR (Ukraine) dit, en réponse aux questions posées par Mme Wedgwood, que le droit international et le droit international humanitaire sont des matières obligatoires des études universitaires de droit. Cinq années d’études supérieures sont nécessaires pour devenir avocat, juge ou procureur. Les avocats privés peuvent choisir de poursuivre leurs études pour se spécialiser. Les policiers, les procureurs et les juges, comme tous les fonctionnaires, bénéficient régulièrement de cours et de formations dispensés dans des établissements spécialisés qui ont été mis en place dans tout le pays.

58.Bien qu’il n’existe pas de jurisprudence de la Cour constitutionnelle, seule habilitée à interpréter la Constitution, M. Kotlyar estime que, si une disposition de la Constitution se révèle contraire à un instrument international auquel l’Ukraine envisage d’adhérer, il faut modifier la Constitution puisque ce sont les dispositions de l’instrument international qui l’emportent.

59.En ce qui concerne les cas précis d’actes de torture ou de mauvais traitements infligés par la police, la délégation essaiera de communiquer des informations dans le cadre de la procédure de suivi. Le Ministère de l’intérieur a mis en place dans toutes les régions du pays des conseils locaux de surveillance de la police, constitués par des défenseurs des droits de l’homme. En collaboration avec le Service de la sécurité intérieure du Ministère de l’intérieur, ces conseils se rendent sans préavis dans des centres de détention qu’ils sont habilités à inspecter pour vérifier le respect des droits des détenus.

60.Pour ce qui est de l’aide juridictionnelle, il faut d’abord modifier la législation car les dispositions actuelles sont inefficaces, notamment parce que les avocats commis d’office sont très peu payés. La durée de la garde à vue est fixée à soixante‑douze heures mais elle peut être prolongée jusqu’à dix jours par un tribunal, conformément à la Constitution. À l’évidence, cette disposition est incompatible avec les normes internationales et la législation devra être modifiée. L’enregistrement vidéo des interrogatoires serait certainement très efficace mais outre que cette mesure serait difficile à mettre en place, elle exigerait des ressources dont l’Ukraine ne dispose pas actuellement. Le pays s’efforce donc, pour l’heure, de respecter les droits essentiels des personnes détenues dans les postes de police et les centres de détention. Le Code de procédure pénale prévoit que les témoignages doivent être confirmés pendant le procès, c’est-à-dire que le prévenu ou son défenseur peuvent invoquer d’éventuels actes de torture ou mauvais traitements. Si ceux-ci sont établis, le témoignage est irrecevable.

61.Le Vice-Directeur de la police a été amnistié dans le cadre de l’amnistie générale prononcée en 2005, à la suite des élections, en faveur des auteurs d’infractions mineures. La mesure avait été décidée pour tenir compte de la sévérité de la loi, qui prévoit des peines privatives de liberté dans des cas où une simple condamnation serait suffisamment dissuasive, et pour éviter la surpopulation carcérale. Le Ministère de la justice a élaboré un projet de loi relatif aux manifestations pacifiques car il n’existait aucune disposition législative dans ce domaine. Ce projet a été transmis au Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE et à la Commission de Venise du Conseil de l’Europe pour examen et sera ensuite soumis au Parlement par l’intermédiaire du Gouvernement. Une fois adopté, ce texte garantira le droit de se réunir pacifiquement et donnera des directives claires à la police afin de garantir également la sécurité des manifestants.

62.La PRÉSIDENTE remercie la délégation ukrainienne et l’invite à répondre aux autres questions à la séance suivante.

La séance est levée à 13 heures.

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