Nations Unies

CCPR/C/SR.3695

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 mars 2020

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

1 2 8 e session

Compte rendu analytique de la 3695 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 5 mars 2020, à 10 heures

Président (e):M. Fathalla

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40du Pacte (suite)

Trois ième rapport périodique de la République centrafricaine (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40du Pacte (suite)

Troisième rapport périodique de la République centrafricaine (CCPR/C/CAF/3, CCPR/C/CAF/Q/3, CCPR/C/CAF/Q/3/Add.1 et HRI/CORE/1/Add.100) (suite)

1.Sur l ’ invitation du Président, la délégation centrafricaine reprend place à la table du Comité.

2.M.  Koitaconstate que, dans ses réponses écrites, l’État partie n’a pas fourni de données sur la population carcérale, ventilées par lieu de détention, âge, sexe et statut des détenus. Il prend note de la situation de surpopulation dans la maison d’arrêt de Ngaragba, qui compte plus de 1 000 détenus pour une capacité de 400 places, et dans la prison de Bangui, qui accueille les auteurs d’infractions commises dans d’autres localités. Actuellement, huit établissements pénitentiaires, à savoir ceux de Bimbo, de Mbaiki, de Bossembélé, de Bossangoa, de Bouar, de Berberati et la succursale de Camp de Roux, seraient encore opérationnels. Mais qu’en est-il des 12 prisons situées dans les 12 préfectures occupées par des groupes armés ? Sont-elles devenues opérationnelles depuis la signature de l’Accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine, en février 2019 ? Et, dans l’affirmative, combien de détenus comptent-elles ? Sachant que les centres pénitentiaires de l’État partie sont dans un état de délabrement avancé et ne satisfont pas à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, M. Koita demande quelles mesures ont été prises pour remédier aux conditions inadéquates de détention, particulièrement en matière de qualité de l’alimentation et d’accès aux soins de santé, et où en est le projet de réhabilitation de 32 maisons d’arrêt. Il souhaite savoir si l’État partie a pris des dispositions en vue d’améliorer les conditions déplorables de la garde à vue et s’il est prévu de faire le nécessaire pour garantir la séparation entre mineurs et adultes, et entre prévenus et condamnés, dans les lieux de détention. Il invite la délégation à expliquer quels obstacles continuent d’empêcher la mise en place d’un mécanisme national de prévention de la torture. Relevant que, depuis sa création, la Commission nationale des droits de l’homme n’a effectué aucune visite dans des lieux de détention, contrairement à ce que prévoit la loi l’instituant, il demande, si le manque de moyens en est la cause, pourquoi la Commission n’accepte pas l’aide offerte par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA). Selon l’article 424 du Code de procédure pénale, le juge de l’application des peines, le juge d’instruction, le Président de la chambre d’accusation, le Procureur de la République et le Procureur général visitent les établissements pénitentiaires. Dans la pratique, ces visites sont rares, les rapports qui en découlent ne sont pas rendus publics et la suite donnée à leurs conclusions n’est pas connue. Quant aux organisations de la société civile, il leur est difficile d’obtenir l’autorisation requise pour accéder aux lieux de détention. Or, ces contrôles des conditions de détention sont importants, surtout s’il s’avère, comme l’indiquent certaines informations que M. Koita invite la délégation à commenter, que des auteurs présumés d’infractions peuvent être incarcérés sans mandat de dépôt. Enfin, M. Koita demande si des mécanismes sont prévus pour diffuser, dans toutes les langues et sur tout le territoire de l’État partie, les observations finales que le Comité aura adoptées à l’issue de l’examen du rapport.

3.M. Santos Pais dit que, selon l’article 40 du Code de procédure pénale de l’État partie, le délai de garde à vue est de soixante-douze heures, renouvelable une fois, dans les lieux où réside un magistrat du ministère public et de huit jours, renouvelable une fois, dans les autres lieux. Il invite la délégation à commenter cette différence de traitement entre les personnes gardées à vue et à indiquer si elle est toujours justifiée. Il demande si les garanties juridiques fondamentales prévues aux articles 40 et 48 du Code de procédure pénale − à savoir le droit pour la personne gardée à vue d’être informée sans délai des motifs de son arrestation et de recevoir l’assistance d’un avocat et d’un médecin, et la notification de l’arrestation à la famille ou aux proches − sont respectées en pratique, tout au moins à Bangui. Il invite la délégation à commenter les informations selon lesquelles la garde à vue est souvent d’une durée excédant les délais légaux, malgré les efforts de la police et du parquet, et s’effectue dans des conditions déplorables (accès impossible à l’eau et à des toilettes, nombre insuffisant de lits, absence de lumière). Il invite également la délégation à commenter les informations selon lesquelles les délais de détention prévus à l’article 96 du Code de procédure pénale, en matière correctionnelle, et à l’article 97, en matière criminelle, ne sont jamais respectés. Il demande quelles mesures de formation ont été prises à l’intention des magistrats et des officiers de police judiciaire aux fins du respect des délais de garde à vue et de détention. Il demande quel a été, ces dernières années, le pourcentage de mesures de substitution à la détention par rapport aux mesures privatives de liberté.

4.M. Santos Pais aimerait savoir où en est le processus de redéploiement des tribunaux et des magistrats sur le territoire de l’État partie et, plus précisément, dans quelles préfectures, parmi les 16 existantes, il a été mené à bonne fin, compte tenu des informations selon lesquelles seules les juridictions des préfectures de Bangui, Lobaye, Sangha Mbaéré, Mambéré Kadéï et Nana Mambéré seraient opérationnelles. Il demande si les sessions criminelles ont repris, notamment à Bangui, à Bouar et à Bossangoa. Il s’enquiert du nombre de magistrats du siège et du parquet dans l’État partie, des mesures prises en vue d’augmenter leur nombre et de renforcer leur formation, et de la proportion de femmes parmi eux. Il demande si les juridictions sont suffisamment nombreuses pour couvrir tout le territoire national et si l’État partie a pris des mesures pour faciliter l’accès de tous à la justice, par exemple, par le recours aux audiences foraines. Il souhaite savoir combien de temps sera nécessaire à la Cour pénale spéciale pour traiter les affaires de violations graves des droits de l’homme dont elle est saisie, étant donné que ces violations perdurent malgré les engagements pris par le Gouvernement centrafricain et les groupes armés dans l’accord de paix de février 2019.

5.M. Santos Pais invite la délégation à exposer les principaux axes de la réforme de la magistrature, notamment pour ce qui est du statut des magistrats, de leur indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif, et de la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Il invite également la délégation à réagir aux allégations selon lesquelles le pouvoir exécutif interviendrait fréquemment dans les procédures judiciaires pour obtenir une libération ou une mise en détention. Il demande si des mesures ont été prises pour lutter contre la corruption dans le système judiciaire et l’appareil étatique, si des procédures ont déjà été ouvertes pour des actes de corruption, et ce qui est fait pour que les décisions des tribunaux soient respectées par tous les organes de l’État. Enfin, il souhaite savoir qui nomme le Procureur de la République et les magistrats du parquet, quelles sont les règles qui président au déroulement de leur carrière, et quel est le rôle du parquet dans la Cour pénale spéciale.

6.M me Pazartzis invite la délégation à préciser quels sont les moyens à la disposition de la Haute autorité chargée de la bonne gouvernance, quelles mesures sont effectivement appliquées pour lutter contre la corruption, et si des fonctionnaires ont été poursuivis et condamnés pour des faits de corruption, en application des articles 369 et 370 du Code pénal. Elle demande quelles mesures concrètes ont été prises pour faciliter le retour des personnes déplacées dans leur communauté d’origine et quelles mesures ont été adoptées ou sont envisagées pour protéger les réfugiés, notamment congolais et tchadiens, sur le territoire de l’État partie. Des renseignements sur les procédures de détermination du statut de réfugié, assortis d’exemples d’application, seraient également les bienvenus. Selon les informations portées à la connaissance du Comité, la majorité des enfants de l’État partie ne seraient pas enregistrés à la naissance, ce qui compromet leur droit à la nationalité et leur fait courir le risque de devenir apatride. La délégation pourra peut-être expliquer ce qu’il advient lorsqu’un enfant n’est pas enregistré auprès des services de l’état civil dans le délai fixé par l’article 134 du Code de la famille, c’est-à-dire dans les trente jours suivant la naissance.

7.M. Shany dit que si, comme il est indiqué dans le rapport de 2019 du Département d’État des États-Unis d’Amérique, le Gouvernement centrafricain fait de véritables efforts pour lutter contre la traite des êtres humains, les mesures prises restent insuffisantes au regard des normes internationales minimales, et des poursuites ne sont pas toujours engagées contre les auteurs de tels actes. Il aimerait savoir s’il est prévu un plan d’action national pour lutter contre la traite et si des formations sur le sujet sont dispensées aux fonctionnaires, des informations dénonçant la participation d’agents de l’État à des faits de traite dans des zones frontalières. Il demande si la Cour pénale spéciale joue un rôle dans la lutte contre la traite, et si la justice traditionnelle (non judiciaire) y a également part.

8.M. Shany observe que les informations dont dispose le Comité ne font pas état de cas récents de recrutement et d’utilisation d’enfants soldats impliquant les autorités de l’État, et que celui-ci a ratifié le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en 2017. Pourtant la pratique du recrutement d’enfants perdure dans l’État partie, aussi bien aux fins des combats qu’à des fins d’exploitation. M. Shany demande si l’État partie a le moyen de rassembler des informations sur la situation à cet égard en dehors des zones qu’il contrôle et comment il vient en aide aux enfants qui ont été victimes de telles pratiques. Des informations faisant état de l’utilisation d’enfants à des fins de travail forcé dans le secteur minier, il demande si l’État partie a le moyen de mettre fin à cette pratique.

9.Si l’État partie a souscrit aux normes internationales relatives aux droits des peuples autochtones, les discriminations persistent sur le terrain et M. Shany aimerait savoir ce que fait le Gouvernement pour surveiller la situation des populations autochtones et résoudre les problèmes qu’elles rencontrent, y compris s’agissant des Mbororos. Il aimerait des précisions sur le rôle que joue à cet égard la Haute Autorité chargée de la bonne gouvernance. Il demande si le Gouvernement a conscience des difficultés auxquelles se heurtent les Bakas pour jouir de leurs terres ancestrales et du fait que des enfants bakas sont recrutés de force pour travailler dans le secteur agricole, et demande quelles mesures l’État met en œuvre pour remédier à ces situations. M. Shany souhaiterait des informations plus précises sur les mesures que prend le Gouvernement pour améliorer l’enregistrement des naissances dans les communautés autochtones ainsi qu’un complément d’information sur la représentation des peuples autochtones dans la vie politique.

10.M. Quezada Cabrera aimerait en savoir plus sur les problèmes rencontrés par les populations musulmanes dans l’exercice de leur liberté de religion, notamment sur les déplacements auxquels elles sont contraintes, et sur les mesures prises par l’État partie pour y remédier. Il souhaiterait aussi des renseignements précis sur les mesures adoptées pour garantir l’exercice effectif de toutes les religions sur l’ensemble du territoire. Au sujet de la liberté d’expression, il voudrait connaître l’état d’avancement des enquêtes menées sur la mort de trois journalistes russes en 2018 et celle d’un journaliste français en 2014, et demande si le procureur de Bangui a rendu publics les résultats de son enquête sur la mort des journalistes russes et, dans l’affirmative, quelle en est la teneur. Le Gouvernement ayant déclaré qu’un projet de loi sur les défenseurs des droits de l’homme était en cours d’élaboration, M. Quezada Cabrera s’enquiert de l’état d’avancement de ce projet et demande s’il a déjà été soumis au Parlement. Il souhaiterait enfin savoir si l’ordonnance no 05.002 de 2005 sur la liberté de la presse est un acte qui émane du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif et où en est sa révision.

La séance est suspendue à 10h50 ; elle est reprise à 11h25.

11.M. Ngbeng Mokoue (République centrafricaine) dit que la mise en œuvre de l’Accord de Khartoum, signé le 6 février 2019, passe par des négociations continues et prendra du temps. Pour combattre l’incitation à la haine, le Gouvernement a recours à la radio, à la télévision et aux médias, ainsi qu’aux comités locaux de paix et de réconciliation nationale, qui relaient les campagnes sur le terrain. Un plan national pour la prévention de l’incitation à la haine et à la violence va être élaboré. Bien qu’il soit résolu à faire cesser les violations des droits de l’homme, l’État centrafricain est confronté à l’impossibilité d’accéder aux parties du territoire qui sont contrôlées par les groupes armés. Les juges nationaux et internationaux mènent cependant leur travail de documentation et d’enquête, ce qui permettra de traduire les auteurs de violations en justice dès que la situation le permettra. La Cour pénale spéciale est pleinement opérationnelle mais les promesses de financement de la communauté internationale n’ont pas été honorées, ce qui freine ses activités. La Cour est une juridiction autonome et indépendante ; par conséquent, l’État ne connaît pas précisément l’état d’avancement des instructions qu’elle mène. La Commission vérité, justice, réparation et réconciliation a pour objectifs, comme son nom l’indique, d’établir la vérité, de rendre justice et d’apporter réparation. La Commission nationale des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans sa mission de surveillance des centres de détention, n’a pas de comptes à rendre au Gouvernement, qui ne connaît dès lors pas le détail des visites qu’elle a pu effectuer ; mais selon les informations dont celui-ci dispose, aucune visite de lieu de détention n’a été refusée à la Commission. Les juridictions nationales, la Cour pénale spéciale et la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation sont complémentaires ; lorsque les juridictions nationales, qui détiennent la compétence générale, estiment qu’elles ne sont pas en mesure de juger un crime, elles se dessaisissent au profit de la Cour pénale spéciale ou de la Cour pénale internationale.

12.Les dispositions du Pacte sont indirectement appliquées par les juridictions nationales, la législation nationale − y compris le Code pénal − les intégrant largement. S’agissant de la situation des minorités, un cadre juridique complet consacre l’égalité de tous les Centrafricains. Le Code électoral adopté en février 2020 fait obligation aux partis politiques de se conformer à la loi de 2016, qui a institué un quota de 30 % de femmes dans les mandats électoraux et les fonctions électives. Les juges connaissent et respectent les droits des femmes et font droit aux demandes que celles-ci leur adressent lorsqu’elles sont fondées (y compris en matière d’héritage), indépendamment des stéréotypes existant dans la société. Le Code pénal autorise l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à huit semaines seulement après la conception mais le Gouvernement envisage d’allonger ce délai, ce qui serait particulièrement utile dans le cas des jeunes filles. Il est difficile d’établir des statistiques sur les mutilations génitales féminines car les victimes portent rarement plainte. Le Ministère de la promotion de la femme, de la famille et la protection de l’enfant les encourage pourtant à le faire dans le cadre de campagnes de sensibilisation. L’Unité mixte d’intervention rapide et de répression des violences faites aux femmes et aux enfants accompagne les victimes dans leurs démarches, jusque devant le juge. Des formations sur les violences faites aux femmes sont régulièrement dispensées à tous les juges par l’École nationale de la magistrature. Les consultations de la population menées dans le cadre de la réforme du Code de la famille ont été suspendues en raison de la crise que traverse le pays, mais elles reprendront dès que la paix sera revenue.

13.Les principaux objectifs de l’État pour l’avenir sont l’élimination des causes profondes de la crise et la promotion de la réconciliation, afin, notamment, de permettre le redéploiement des forces centrafricaines et de l’administration publique sur l’ensemble du territoire. S’agissant des crimes commis à Boali, une commission d’enquête poursuit ses travaux, mais elle manque malheureusement de moyens, y compris pour se déplacer. La Commission vérité, justice, réparation et réconciliation interviendra également sur ce dossier.

14.M. Samba (République centrafricaine) dit que la population du pays est à plus de 50 % catholique et animiste ; la population musulmane est donc statistiquement minoritaire. Jusqu’aux événements de 2013, aucun conflit de religion n’avait été à déplorer. La guerre n’est donc pas d’origine confessionnelle. La religion n’est qu’un prétexte ou un stratagème pour justifier l’implication des différentes parties au conflit, qui, en réalité, est le fruit de circonstances particulières. En témoigne le fait qu’à Birao, théâtre d’attaques fratricides, les belligérants sont tous musulmans. Les statistiques montrent que les tueries sont autant le fait des anti-balaka que des Seleka, assimilés aux musulmans (bien qu’ils comptent des chrétiens dans leurs rangs). On ne saurait donc parler de conflit institutionnalisé opposant chrétiens et musulmans. Aujourd’hui, des mesures de sensibilisation et d’éducation sont prises dans les villes et les quartiers afin de réconcilier les Centrafricains de différentes confessions et de rétablir la situation qui prévalait avant les troubles. En ce qui concerne les Pygmées, qui constituent le peuple autochtone, M. Samba rappelle qu’ils sont présents majoritairement dans les préfectures de la Lobaye, de la Sangha-Mbaéré et de la Mambéré‑Kadéï. Si, depuis l’époque de la colonisation, ces populations ont été laissées pour compte sur le plan socioculturel, ce n’est plus le cas aujourd’hui, puisqu’elles jouissent désormais des mêmes droits que les autres Centrafricains et ne font pas l’objet de discrimination. Elles ont, en revanche, du mal à accéder à certains services parce qu’elles résident à distance des infrastructures publiques. Les membres des peuples autochtones sont des Centrafricains à part entière et ne sont aucunement vassalisés ou traités comme des esclaves. La République centrafricaine est un pays jeune qui, s’il est en proie à des troubles, souscrit à la norme universelle du respect des droits de l’homme, qu’elle s’attache à mettre en œuvre, à son rythme et avec l’aide du Comité et de la communauté internationale. M. Samba rappelle que l’Accord de Khartoum, qui a été un mal nécessaire, est le vade‑mecum du Gouvernement et des Centrafricains, et a permis de réduire considérablement les massacres.

15.M. Ngbeng Mokoue (République centrafricaine) dit que depuis 2019, un comité de réflexion créé par le Ministère de la justice et des droits de l’homme est chargé, avec l’appui d’un expert international, de mettre en œuvre le Plan sectoriel de la justice. Cette démarche inclusive, associant les organisations de la société civile, permettra de préciser la méthode de nomination des magistrats et les modalités de fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, et débouchera sur un texte de loi renforçant l’indépendance de la magistrature. Quant au plan sectoriel de la justice, il mettra en place des outils de surveillance de la corruption en milieu judiciaire, facilitera l’analyse des textes internationaux et nationaux de lutte contre la corruption, et leur diffusion en langue sango auprès des acteurs judiciaires et des dirigeants communautaires et religieux, et permettra d’instaurer, avec l’aide des partenaires financiers extérieurs, un système de plainte auprès de l’Inspection générale des services judiciaires.

16.Le redéploiement des magistrats sur le territoire se poursuit, mais il est régulièrement entravé par l’action des groupes armés, à l’image des événements survenus à Bambari, qui ont contraint les magistrats de la Cour d’appel à se replier, un temps, à Bangui. Dans les zones plus éloignées, où les services judiciaires sont inexistants, l’Accord de Khartoum prévoit la mise en place d’unités spéciales mixtes de sécurité, qui doivent permettre de redéployer l’ensemble des services publics dans les zones contrôlées par les groupes armés. En ce qui concerne les enfants soldats, M. Ngbeng Mokoue rappelle que le Code de protection de l’enfant, qui reprend les dispositions du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, a été approuvé par l’Assemblée nationale et est en attente de promulgation. Aux termes d’un accord qui sera prochainement signé avec le Gouvernement, la MINUSCA prendra en charge tous les enfants associés à des groupes rebelles et récupérés sur les lieux de conflit afin de les remettre notamment à l’UNICEF, qui s’attachera à les renvoyer dans leur communauté d’origine. Contrairement à certains dires, le nombre d’enfants enrôlés est en diminution, les groupes armés étant de plus en plus sensibilisés à cette question. En ce qui concerne l’assassinat des journalistes français et russes, M. Ngbeng Mokoue dit que l’enquête suit son cours et qu’il ne dispose d’aucun élément nouveau. Il confirme que l’ordonnance régissant l’activité des journalistes et des médias a force de loi, mais qu’elle fera l’objet d’une concertation avec les professionnels, à leur demande, en vue de l’adoption d’une loi protégeant davantage l’exercice de la profession de journaliste.

17.M. Koita fait observer que le mandat de la Commission électorale arrivera à échéance juste avant la tenue des prochaines élections présidentielles ; il souhaiterait connaître les dispositions qui ont été prises pour que ce scrutin soit organisé dans les délais légaux par une autorité ayant la légitimité requise et qu’il se déroule sur l’ensemble du territoire, étant donné que le Gouvernement n’en contrôle que 20 %. Il s’enquiert également des mesures prises pour interdire et sanctionner l’incitation à la haine ethnique ou religieuse et l’instrumentalisation de cette haine dans les médias.

18.M. Quezada Cabrera prend acte du dialogue interreligieux encouragé par le Gouvernement dans le cadre de la plateforme interconfessionnelle mise en place en République centrafricaine par les responsables des communautés chrétienne et musulmane et prie la délégation d’exposer les résultats que ce dialogue a permis d’obtenir.

19.M. Santos Pais souhaiterait savoir si, à la faveur du redéploiement des structures de l’État dans certaines régions qui ne sont plus occupées par les groupes rebelles, les audiences foraines ont pu reprendre et si des poursuites ont été engagées contre des magistrats ou des fonctionnaires pour des faits de corruption. Il invite la délégation à commenter les informations faisant état d’ingérences de l’exécutif dans le pouvoir judiciaire visant à obtenir une libération ou une mise en détention. Il note que la loi portant statut de la magistrature est en cours de révision et souhaiterait savoir s’il est prévu d’accorder au parquet une indépendance complète par rapport au Ministère de la justice afin de rompre avec le modèle en vigueur inspiré du système français. Il demande également si les magistrats du siège et ceux du parquet relèvent du même corps judiciaire et quelles sont les relations entre les magistrats du parquet et ceux de la Cour pénale spéciale.

20.M. Shany rappelle qu’il souhaiterait savoir si l’État partie entend revoir, d’une part, les conditions strictes de l’interruption volontaire de grossesse, à savoir le délai maximum de huit semaines après la conception et l’obtention d’une autorisation délivrée par un collège de médecins, et d’autre part, les peines sévères encourues en cas de non-respect de ces conditions. Il prend acte de la baisse du nombre d’enfants soldats mais relève avec préoccupation que le recrutement de ces enfants n’a pas totalement disparu. Il demande à la délégation de commenter l’information selon laquelle des enfants travaillent encore dans le secteur minier en dépit des dispositions du Code minier qui interdisent l’emploi d’enfants dans ce secteur. Il salue les mesures prises pour garantir aux populations autochtones les même droits que ceux qui sont reconnus à l’ensemble des citoyens, et demande toutefois si le principe du consentement préalable, libre et éclairé est respecté lorsque des décisions qui concernent ces populations sont prises, et si les autochtones sont représentés au niveau du gouvernement central. Il note que le Haut Conseil de la communication est à l’origine d’une campagne visant à combattre la diffusion sur les réseaux sociaux de contenus incitant à la haine entre groupes ethniques et demande si le Gouvernement considère que cette campagne a atteint son objectif ou que des progrès restent à faire.

21.M me Pazartzis relève que la délégation n’a pas indiqué si des condamnations avaient été prononcées sur le fondement des articles 369 ou 370 du Code pénal ni de quelle manière était garantie la sécurité des personnes déplacées et des réfugiés regagnant leur communauté d’origine.

22.M. Samba (République centrafricaine) signale que le Gouvernement veille à ce que les personnes déplacées et les réfugiés regagnent leur communauté d’origine et vivent en harmonie même avec les personnes qui les ont forcés à fuir. Il fait remarquer que le droit à l’avortement est remis en cause dans d’autres pays que la République centrafricaine et déplore que la crainte de la stigmatisation contraigne une partie de la population à recourir à des avortements clandestins qui font encore de nombreuses victimes. Il ajoute que la paix confessionnelle entre chrétiens et musulmans est assurée en République centrafricaine par le dialogue interreligieux mis en place par les responsables de ces communautés religieuses. En ce qui concerne la capacité du Gouvernement à organiser des élections, il rappelle qu’en 2016, des élections présidentielles se sont tenues alors que plus de 80 % du territoire était aux mains des groupes armés ; il assure que le Gouvernement reste déterminé à organiser de nouvelles élections et estime qu’en raison des moyens limités dont dispose l’État centrafricain, la communauté internationale doit l’aider à faire en sorte que ce scrutin se déroule sur tout le territoire de manière transparente et crédible.

23.M. Ngbeng Mokoue (République centrafricaine) dit que le Haut Conseil de la communication veille à ce que les participants aux élections respectent un code de bonne conduite visant à assurer le bon déroulement de celles-ci. Il confirme la reprise des audiences foraines dans les régions où la sécurité a été rétablie et ajoute que ces audiences permettent de délivrer des actes de naissance et des cartes d’identité aux enfants qui en étaient dépourvus. Des représentants de différents ministères se sont réunis en décembre 2018 à Bangui à l’occasion d’un atelier consacré à l’apatridie. M. Ngbeng Mokoue confirme en outre l’indépendance des juges du siège à l’égard du pouvoir exécutif et précise que les magistrats du siège comme ceux du parquet suivent la même formation et qu’une réflexion est en cours pour revoir le mode de désignation des juges à des postes de responsabilité et pour renforcer l’indépendance de la magistrature. Les juridictions nationales et la Cour pénale spéciale ont leur propre mode de fonctionnement et exercent leurs compétences de manière complémentaire. Le Gouvernement a prévu de revoir les conditions dans lesquelles un avortement peut être pratiqué et de renforcer les droits des personnes qui ont recours à une interruption volontaire de grossesse. Il est également conscient que le travail des enfants dans le secteur minier est une réalité dans les zones contrôlées par les groupes armés mais, étant donné qu’il éprouve des difficultés à accéder à ces zones, il n’est pas actuellement en mesure d’intervenir concrètement pour éradiquer ce fléau.

24.M. Samba (République centrafricaine) conclut en soulignant que toutes les parties à l’Accord politique pour la paix et la réconciliation, à savoir la communauté internationale, le Gouvernement centrafricain et les groupes armés, ont l’obligation de le respecter et de l’appliquer pour que la République centrafricaine puisse participer à nouveau au concert des nations.

25.Le Président rappelle que la délégation a souligné l’attachement du Gouvernement centrafricain à l’application des dispositions du Pacte et salue la franchise avec laquelle elle a reconnu que l’incapacité du Gouvernement à mener des consultations populaires sur la révision du Code de la famille ou l’abolition de la peine de mort ou à éradiquer le travail des enfants dans le secteur minier tenait au fait qu’une majeure partie du territoire était contrôlée par les groupes armés. Le Comité apprécie à leur juste valeur la mise en place de la Cour pénale spéciale et la création de la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation. Il espère que le régime de l’interruption volontaire de grossesse pourra être réexaminé et modifié, qu’une solution sera trouvée prochainement avec le concours de la MINUSCA au sujet du recrutement des enfants soldats, que les efforts du Gouvernement visant à renforcer l’indépendance de la magistrature aboutiront à des résultats positifs et que son action en matière de législation pourra être menée à bien en attendant que l’État prenne le contrôle de l’ensemble du territoire centrafricain.

La séance est levée à 12 h 45.