Nations Unies

CCPR/C/SR.3427*

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

23 novembre 2017

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

1 2 1 e session

Compte rendu analytique de la 3427 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 25 octobre 2017, à 10 heures

Président (e):M. Iwasawa

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États part ies en application de l ’ article 40 du Pacte (suite)

Cinquième rapport périodique du Cameroun (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte (suite)

Cinquième rapport périodique du Cameroun (CCPR/C/CMR/5, CCPR/C/CMR/Q/5 et HRI/CORE/CMR/2013) ( suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation camerounaise reprend place à la table du Comité.

2.M me  Yaka (Cameroun), répondant à plusieurs questions posées par M. de Frouville au cours de la séance précédente, indique, concernant l’affaire Zé Onguéné, que ce colonel est poursuivi conjointement avec un chef d’escadron et un adjudant pour avoir placé en garde à vue dans des locaux non prévus à cet effet 60 personnes, dont 25 sont décédées. Compte tenu du nombre élevé de personnes arrêtées dans le cadre de la lutte contre la secte Boko Haram, les locaux prévus pour les gardes à vue se sont avérés insuffisants, et le colonel Zé Onguéné a dû faire aménager un nouveau local. L’expertise médicale ordonnée à la suite de décès en question a conclu qu’ils étaient consécutifs à l’ingérence de substances toxiques. Le colonel Zé Onguéné ainsi que les deux autres militaires impliqués ont été relevés de leurs fonctions, traduits devant le tribunal militaire de Yaoundé et renvoyés devant la juridiction de jugement. L’affaire est encore pendante en raison de la difficulté de convoquer les témoins et de la maladie grave contractée par l’un des accusés, mais le tribunal devrait statuer prochainement. S’agissant de l’affaire Laure Kamga, une lycéenne abattue par balles, Mme Yaka dit que les trois gendarmes mis en cause ont tous été traduits devant le tribunal militaire de Bafoussam. En septembre 2013, l’un des accusés a été condamné pour homicide involontaire et relevé de ses fonctions, et les deux autres condamnés respectivement à trois ans et deux ans d’emprisonnement. L’audience d’appel a été fixée au 27 octobre 2017. En ce qui concerne la question de la vindicte populaire, Mme Yaka fait savoir que le Code pénal camerounais ne prévoit pas cette infraction en tant que telle, mais que dans la mesure où la vindicte populaire se traduit par une atteinte à l’intégrité physique ou aux biens d’une personne, les responsables d’un tel acte sont poursuivis pour ce chef en vertu du Code pénal et du Code de procédure pénale, sur dénonciation par des témoins ou par la victime ou en cas de flagrant délit.

3.M me Kembo (Cameroun), revenant sur l’allégation selon laquelle en droit camerounais le crime de traite des personnes n’engloberait pas la notion de coercition, dit que cette allégation est correcte si l’on s’en tient à la version anglaise de la loi camerounaise de 2011. Toutefois, la définition du crime de traite des personnes donnée dans la version française de la loi de 2011 à l’article 2 c) prévoit effectivement la notion de coercition puisque la traite y est entendue comme le recrutement, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes aux fins d’exploitation « par menace, recours à la force ou à d’autres formes de contrainte ». Cette définition de la traite est parfaitement conforme à celle énoncée à l’article 3 a) du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (Protocole de Palerme). Mme Kembo ajoute qu’en lisant le paragraphe 1 de l’article 342 du Code pénal conjointement avec l’article 2 b) de la loi de 2011, on constate que la définition retenue est tout à fait compatible avec celles énoncées dans les protocoles des Nations Unies contre le trafic illicite de migrants et contre la traite des personnes.

4.En ce qui concerne l’impunité du personnel chargé de l’application des lois, Mme Kembo indique que les rapports annuels de 2014 et 2016 (en cours de publication) sur le respect des droits de l’homme au Cameroun contiennent de multiples exemples de cas tirés de la jurisprudence dans lesquels des personnes chargées de l’application des lois ont fait l’objet de sanctions de la part des juridictions civiles ou militaires.

5.S’agissant de la conformité de la loi portant répression des actes de terrorisme avec les instruments internationaux, Mme Kembo fait remarquer que la définition de l’« acte terroriste » donnée dans cette loi reprend mot pour mot celle énoncée à l’article 3 de la Convention de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme. Les infractions telles que le financement des actes de terrorisme, le recrutement et la formation de personnes en vue de leur participation à des actes de terrorisme ou l’apologie du terrorisme relèvent, selon Mme Kembo, de la forme de participation qualifiée de « complicité » en droit pénal. S’agissant des sanctions, le Cameroun applique le principe de la proportionnalité des peines, et les atteintes à la vie et à l’intégrité physique sont punies de la peine capitale ou de l’emprisonnement à vie, et les infractions moins graves de peines privatives de liberté ou de peines pécuniaires. Mme Kembo précise en outre que la compétence conférée à la juridiction militaire par la loi de 2014 s’explique par le fait que les actes de terrorisme commis en 2013 ont pris la forme de prises d’otages puis de confrontations armées avec les forces militaires. Elle assure que les garanties d’un procès équitable sont respectées étant donné que chaque accusé a le droit d’être assisté par un conseil désigné ou commis d’office, le droit à un interprète (la plupart des accusés qui comparaissent notamment devant le tribunal militaire de Maroua pour actes de terrorisme ne parlent ni le français ni l’anglais) et le droit de faire recours contre une condamnation. Elle ajoute qu’il n’est pas porté atteinte au principe de la présomption d’innocence puisque, dans de nombreuses affaires, des acquittements sont prononcés, et que de manière générale les droits de la personne humaine sont respectés.

6.En ce qui concerne l’application du Pacte et des autres conventions internationales, Mme Kembo fait observer que, dans une multitude d’affaires, les juridictions nationales appliquent, entre autres, les dispositions du Pacte, de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle souligne une tendance de plus en plus marquée, notamment dans le domaine du droit matrimonial, à ne pas appliquer les lois nationales qui seraient contraires aux instruments internationaux.

7.En ce qui concerne la coutume, Mme Kembo relève que, même dans les régions septentrionales où elle est très ancrée, il arrive de plus en plus fréquemment qu’elle soit jugée comme contraire à l’ordre public et écartée au profit de la loi. En outre, des cours de formation continue aux droits de l’homme sont dispensés aux personnes chargées de l’application des lois, aux magistrats civils et militaires et au personnel du Ministère de la justice, et le Cameroun met actuellement à jour, en collaboration avec la Coopération italienne, la compilation des instruments juridiques de protection des droits de l’homme auxquels il est partie et veille à ce que les juges soient de plus en plus familiarisés avec l’application directe des instruments de protection des droits de l’homme.

8.M me Banaken (Cameroun) dit qu’en ce qui concerne la ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, il convient de rappeler que le Cameroun applique un moratoire sur l’application de la peine de mort depuis plusieurs décennies. Seuls les crimes les plus graves sont passibles de la peine capitale : assassinat, atteinte à la sécurité de l’État, atteinte aux biens et actes de terrorisme. Les condamnations à mort sont généralement commuées en emprisonnement à vie après une demande de grâce. La peine de mort demeure toutefois dans l’arsenal juridique du pays en raison de son effet dissuasif et pour stigmatiser les crimes les plus odieux. Aussi le Cameroun n’envisage-t-il pas, pour le moment, d’adhérer au deuxième Protocole facultatif, mais il continuera d’observer le moratoire de fait sur l’application de la peine de mort.

9.S’agissant de la ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, Mme Banaken dit que le Cameroun a adopté en 2010 une loi portant promotion et protection des personnes handicapées, qui reprend les principales dispositions de la Convention. Il a donc accepté le principe de la ratification de la Convention et a entamé les démarches à cet effet.

10.Pour ce qui est de la santé sexuelle et reproductive des femmes, la politique nationale sur le genre adoptée en 2014 vise notamment à favoriser l’accès des femmes à des services de santé de qualité, notamment en matière de santé reproductive. Des actions sont menées pour assurer une prise en charge complète et globale des jeunes femmes enceintes, en particulier celles qui sont atteintes du VIH/sida. Un plan stratégique pour la santé maternelle, néonatale et infantile a également été adopté pour la période 2014-2020. En ce qui concerne le cas malheureux de Mme Monique Koumateke, il convient de signaler que l’hôpital central de Yaoundé prend en charge les patients dès leur arrivée, y compris les femmes enceintes. Cette pratique devrait être progressivement généralisée à tout le pays. Enfin, s’agissant de la dépénalisation de l’avortement en cas de viol ou d’inceste, Mme Banaken explique qu’en application des articles 337 à 339 du Code pénal, l’avortement en cas de viol n’est pas passible de sanctions ; dans un tel cas, l’avortement thérapeutique est autorisé après attestation de la matérialité des faits par le ministère public.

11.M. Politi s’enquiert du nombre de condamnations à mort prononcées en application de la loi de 2014 sur le terrorisme, et demande des précisions sur la définition des atteintes aux biens qui sont passibles de la peine de mort. Dans ses précédentes observations finales, le Comité avait demandé à l’État partie de prendre des mesures appropriées pour que les garanties contre l’arrestation illégale et arbitraire énoncées dans le Code de procédure pénale soient respectées dans la pratique, notamment en dispensant une formation aux agents de la force publique. Le Comité contre la torture avait aussi demandé au Cameroun de prendre des mesures efficaces pour protéger les droits des personnes placées en détention. M. Politi note que l’État partie a pris des mesures en ce sens et le remercie pour les statistiques fournies au sujet des mesures disciplinaires et des procédures judiciaires engagées contre des policiers ou des militaires, mais ajoute qu’il conviendrait toutefois de disposer de statistiques sur les violations dénoncées dans les années récentes, d’informations sur les organes administratifs ou judiciaires qui ont eu à en connaître et sur les résultats des enquêtes et procédures, notamment pénales, engagées par la suite. Par ailleurs, l’État partie reconnaissant que la Commission pour l’examen des demandes d’indemnisation pour détention arbitraire n’est pas encore opérationnelle, M. Politi souhaiterait savoir s’il est prévu qu’elle prenne ses fonctions dans un délai raisonnable et s’enquiert des difficultés rencontrées à cet égard. Il souhaiterait aussi des précisions sur la composition de la Commission et sur les garanties de son indépendance. Il rappelle que, selon un rapport récent du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, il demeure dans le Nord du pays plusieurs dizaines de personnes soupçonnées de liens avec Boko Haram et livrées aux bataillons d’intervention rapide par des groupes d’autodéfense locale dans le cadre de règlements de compte, dont on ignore toujours le sort.

12.S’agissant de la durée de la détention provisoire, le Comité contre la torture avait demandé à l’État partie, en 2010, de réviser le Code de procédure pénale afin que toute personne bénéficiant d’une ordonnance d’habeas corpus puisse être libérée immédiatement, sans devoir attendre un ordre de libération du Procureur de la République. M. Politi demande si l’État partie a réformé la procédure pénale de manière à mieux garantir les droits des suspects et des accusés, et si ces mesures ont produit un effet positif sur la durée des procès et de la détention provisoire. Il invite la délégation à fournir des statistiques actualisées et ventilées par âge, sexe, origine ethnique et statut sur la population carcérale, ainsi que sur les personnes privées de liberté se trouvant dans des hôpitaux psychiatriques ou des institutions pour personnes handicapées.

13.Enfin, s’agissant des réfugiés, M. Politi demande des informations sur l’état d’avancement du décret d’application des dispositions principales de la loi de juillet 2005 relative au statut des réfugiés. Le Comité contre la torture avait exprimé des inquiétudes concernant le pouvoir qu’avaient les chefs des postes frontières de refouler les individus jugés indésirables, et concernant le manque d’informations sur les recours juridiques offerts aux personnes concernées pour éviter qu’elles ne risquent d’être soumises à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans leur pays de destination. M. Politi souhaiterait aussi savoir si les commissions chargées de la détermination du statut des réfugiés ont bien été mises en place, et si des initiatives de formation aux droits des réfugiés ont été prises depuis 2012.

14.M me Pazartzis note que les réformes de 2016 ont introduit des peines de substitution à la détention et souhaiterait des statistiques actualisées à cet égard. La surpopulation carcérale semble s’aggraver, notamment dans le Nord-Ouest. Amnesty International ayant fait état de 40 personnes mortes en détention entre mars et mai 2015 et indiquant qu’en moyenne, six personnes meurent chaque mois en prison, Mme Pazartzis demande si l’État partie diligente des enquêtes sur ces décès et si des mesures sont prises pour remédier à cette situation alarmante. Il semble par ailleurs que la séparation entre prévenus et condamnés soit encore moins bien assurée depuis 2016 en raison de l’augmentation du nombre d’arrestations. Or la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés signale qu’elle a été empêchée de visiter certains établissements carcéraux. Mme Pazartzis demande si la Commission a bien accès à tous les lieux de détention, y compris dans le Nord. Elle souhaiterait savoir aussi si les visites de famille nécessitent une autorisation officielle du procureur militaire. Enfin, elle demande si le mécanisme national de prévention prévu par le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a bien été institué.

15.M me Waterval note que selon l’État partie, il n’existe aucun cas d’emprisonnement pour dette. Toutefois, le juge peut ordonner le paiement de dommages et intérêts en cas de défaut de paiement d’une dette, et si l’intéressé ne les règle pas, il peut être condamné à une peine de prison. Mme Waterval demande s’il est possible d’être emprisonné pour défaut de paiement d’un loyer.

16.M. de Frouville remercie la délégation pour ses réponses détaillées et précises. Il note toutefois qu’en ce qui concerne les opérations de rétablissement de l’ordre du 19 novembre 2014, des allégations font état d’exécutions sommaires et de décès subséquents en détention. Pour ce qui est des opérations du 27 décembre 2014, les familles des 25 personnes disparues n’auraient pas été informées de l’identité ni du lieu d’inhumation des victimes. Enfin, M. de Frouville invite la délégation à faire parvenir au Comité dans les quarante-huit heures des informations sur la jurisprudence de l’État partie au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

17.S’agissant des garanties d’indépendance et d’impartialité de la magistrature, M. de Frouville demande si l’article 64 du Code pénal a été modifié. Il rappelle que le Comité, dans ses dernières observations finales, s’était dit préoccupé par des allégations de subordination du pouvoir judiciaire à l’exécutif, d’ingérences de l’exécutif et de corruption de l’appareil judiciaire. Il s’enquiert du fonctionnement, de la structure et des prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature, et demande si l’État partie a mis en évidence des possibilités d’amélioration de cette instance.

18.S’agissant de l’affaire Thierry Atangana, M. de Frouville remercie et félicite l’État partie d’avoir libéré l’intéressé, conformément à la demande du Groupe de travail sur la détention arbitraire, mais regrette que l’État partie ne lui ait toujours pas versé d’indemnisation ni n’ait pris de sanctions contre les responsables de cette détention arbitraire. Il demande aussi des explications sur les cas de Paul Kingue et de Hamidou Yaya, au sujet desquels le Groupe de travail sur la détention arbitraire a déjà exprimé sa préoccupation.

19.En ce qui concerne les tribunaux militaires, M. de Frouville s’enquiert des mesures prises par l’État partie pour donner suite aux précédentes observations finales du Comité. En effet, la compétence de ces tribunaux semble avoir été étendue en 2017, notamment aux crimes contre la sécurité de l’État. Il semble que des juridictions militaires aient eu à juger des civils, pratique à laquelle le Comité est fermement opposé.

20.M me Brands Kehris demande, en ce qui concerne la traite des personnes, si les « task forces » établies dans les différentes régions du pays sont toutes opérationnelles, ou si des difficultés financières font obstacle au fonctionnement de certaines d’entre elles. Elle souhaite également savoir s’il est exact que la Commission interministérielle contre la traite ne s’est pas réunie depuis un an, faute de ressources. Elle invite la délégation à communiquer au Comité des informations statistiques à jour sur les poursuites, enquêtes et condamnations pour traite dans les quarante-huit heures. Elle prend note des assurances de la délégation au sujet du respect du droit à la vie privée des personnes homosexuelles, mais souligne que les enquêtes menées à ce sujet font souvent suite à des dénonciations, lesquelles peuvent être fondées sur des rumeurs ou des soupçons, et s’enquiert du nombre de personnes incarcérées au titre de l’article 347 bis du Code pénal, qui incrimine les relations homosexuelles entre adultes consentants.

21.S’agissant de la participation à la vie politique, Mme Brands Kehris note que l’indépendance de l’ELECAM, l’instance chargée d’organiser les élections, est consacrée par la loi, mais rappelle toutefois qu’une disposition légale n’est pas toujours, en pratique, un gage d’indépendance et d’impartialité par rapport au pouvoir exécutif. Or les 12 membres de l’ELECAM sont nommés par décret présidentiel. Mme Brands Kehris s’enquiert de la composition actuelle de cette instance et des éventuelles affiliations politiques de ses membres. Elle souhaiterait également savoir quels sont les partis politiques représentés au sein des différentes commissions électorales et comment s’opère la sélection des membres de ces commissions de manière à assurer une représentation équitable des quelque 300 partis politiques existant au Cameroun, dont une trentaine sont représentés à l’Assemblée nationale.

22.M. Ben Achour prend note des mesures prises par l’État partie en faveur des Pygmées et des Mbororos mais s’interroge sur leur efficacité car, d’après des rapports du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones et de l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités, ces peuples éprouvent de grandes difficultés à exercer leur droit à la terre et à l’eau. Il souhaiterait donc des informations sur le suivi de l’application de ces mesures, sur les obstacles éventuels rencontrés dans leur mise en œuvre et sur leurs effets sur la situation des minorités concernées.

23.Compte tenu des allégations selon lesquelles le droit de réunion pacifique de la population dans les régions anglophones aurait été soumis à des restrictions bien avant les événements du 1er octobre 2017, la délégation voudra bien préciser si les autorités prévoient de prendre des mesures pour garantir la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression de la minorité anglophone au cours des mois qui précéderont les élections de 2018.

24.M. Ben Achour note que, dans ses réponses aux allégations d’actes de torture et de mauvais traitements infligés à des journalistes, l’État partie a affirmé à propos du décès en détention de Germain Ngota qu’il s’agissait d’une mort naturelle et, dans les affaires Robert Mintya, Serge Sabouang et Hervé Nko’o, qu’il n’avait été saisi d’aucune allégation de torture. Pourtant, de nombreux rapports d’ONG font état de décès en détention résultant d’actes de torture, de procès à caractère politique intentés contre des médias, de condamnations de journalistes et de représailles exercées contre des défenseurs des droits de l’homme. À ce propos, la délégation est instamment priée de donner au Comité des assurances que les deux représentantes du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC), Mme Maximilienne Ngo Mbé et Mme Alice Nkom, qui ont participé à une rencontre entre les membres du Comité et des ONG dans le cadre de la session en cours et qui craignent de faire l’objet de représailles, ne seront pas inquiétées à leur retour au Cameroun.

25.M. Shany souhaiterait savoir si les filles et les femmes enceintes dont la grossesse est le fruit d’un inceste peuvent se prévaloir des dispositions du Code pénal prévoyant une exception en cas de viol afin d’interrompre leur grossesse. Il souhaiterait également savoir si une femme portant un fœtus non viable a le droit d’avorter pour des raisons thérapeutiques et si l’État partie estime qu’il existe une corrélation entre l’existence de dispositions pénales réprimant l’interruption de grossesse et les avortements non médicalisés.

26.M. Shany dit que la loi de 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité au Cameroun suscite des préoccupations quant au respect de la vie privée, du fait que son article 25 dispose que les administrateurs de réseaux et les fournisseurs de services de communications électroniques ont l’obligation de conserver les données de connexion et de trafic pendant dix ans, ce qui est extrêmement long, et que son article 83 punit d’une peine d’emprisonnement et d’une amende toute personne qui utilise les moyens de communication électroniques pour faire des rencontres avec des personnes du même sexe, ce qui constitue une ingérence dans la vie privée, contraire au Pacte. La délégation est invitée à formuler des observations sur ces dispositions.

27.M. Muhumuza Laki relève que la délégation a indiqué dans ses réponses que les personnes arrêtées pour terrorisme dans la région de l’Extrême-Nord ne parlaient ni français, ni anglais, et demande si cette méconnaissance des langues officielles du pays par la population locale est due à la qualité inférieure de l’enseignement dispensé dans les écoles publiques, laquelle serait imputable à un désintérêt de l’État central pour les régions reculées.

28.Le Président propose de suspendre la séance pour permettre à la délégation de préparer ses réponses.

La séance est suspendue à 11 h 35 ; elle est reprise 12 h 5.

29.M me  Yaka (Cameroun) dit que les manifestations prétendument pacifiques qui ont eu lieu le 1er octobre 2017 dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest s’inscrivent dans le prolongement de toute une série d’événements survenus tout au long de l’année précédente. Un rappel historique s’impose donc pour bien comprendre la situation. En octobre 2016, des avocats anglophones ont réclamé la traduction en anglais du traité de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et se sont mis en grève, lançant des appels au rétablissement du fédéralisme. Peu de temps après, les enseignants se sont joints à ce mouvement et des manifestations ont eu lieu dans les deux régions anglophones. Au cours de ces manifestations, des détonations d’armes à feu ont été entendues, ce qui démontre la volonté des activistes d’aboutir à une insurrection armée pour remettre en cause l’ordre constitutionnel. En novembre 2016, le Président de la République a tenté de négocier avec les grévistes, sans succès. Par ailleurs, il a accédé aux revendications des étudiants de l’université de Buéa, qui réclamaient le versement d’une bourse de 50 000 francs CFA par personne et la prolongation du délai d’inscription. Également en novembre 2016, les avocats anglophones ont boycotté une conférence des barreaux francophones qui devait se tenir à Yaoundé au début de décembre et ont annoncé leur intention de créer un barreau anglophone. En décembre 2016, une réunion organisée à Baminda par le Premier Ministre a tourné au drame et la ville a été mise à feu et à sang. Des activistes ont été arrêtés et, le 1er février 2017, leur procès s’est ouvert à Yaoundé. Au mois d’août, les services de sécurité ont découvert une cache d’armes dans la localité de Mbengwi, dans la région du Nord-Ouest. Le 30 août, le Président a néanmoins demandé la remise en liberté de 51 chefs de file anglophones. Le 1er octobre 2017, les forces de défense et de sécurité se sont trouvés face à une insurrection armée dans les régions du Nord-Ouest et au Sud-Ouest, où les sécessionnistes ont été les premiers à ouvrir le feu. Parmi les personnes arrêtées ce jour-là se trouvaient certains des chefs de file qui avaient été remis en liberté en août à la demande du Président. Les forces de défense et de sécurité ont pour consigne d’encadrer les manifestations en vue de protéger les personnes et les biens. Elles doivent se montrer stoïques face aux provocations des manifestants et agir uniquement sur ordre d’un supérieur hiérarchique. On ne saurait dire que les personnes qui ont participé à la manifestation du 1er octobre étaient pacifiques car elles ne disposaient d’aucune autorisation de manifester et étaient armées de gourdins, de pierres, d’armes blanches et même de lances. Pendant la manifestation, plusieurs membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité ont été blessés et des dégâts matériels importants ont été causés. Une liste détaillée des agents de l’État qui ont subi des blessures lors de ces événements pourra être fournie ultérieurement au Comité s’il le souhaite.

30.M me  Kembo (Cameroun) dit que les personnes arrêtées dans le contexte de la lutte contre le terrorisme dans l’Extrême-Nord étaient de nationalité nigériane et que la population de cette région ne fait nullement l’objet de préjugés ni d’un désintérêt de la part de l’État. On trouve sur l’ensemble du territoire des personnes qui ne parlent ni français, ni anglais, et cette méconnaissance des langues officielles n’est pas propre à la région de l’Extrême-Nord.

31.S’agissant de la population carcérale, à la fin de 2016, le taux global d’occupation des prisons était de 163,8 %. Ce chiffre n’est toutefois qu’une moyenne et dans certaines régions, comme le Nord et l’Ouest, les prisons sont sous-peuplées. Diverses mesures procédurales et infrastructurelles ont été prises pour remédier à la surpopulation carcérale là où elle existe et améliorer les conditions de détention, parmi lesquelles la rénovation de prisons existantes et la construction de nouveaux centres pénitentiaires à Bali et à Bembis ; l’agrandissement, la réfection et l’assainissement de la prison de Maroua, rendus possibles grâce à la collaboration de divers partenaires et financés au moyen d’un fonds spécial constitué pour faire face à l’urgence créée par la multiplication du nombre de personnes incarcérées pour terrorisme ; le raccordement des établissements pénitentiaires au réseau de distribution d’eau ou, à défaut, le forage de puits ; l’augmentation des crédits alloués à l’alimentation et à la santé des détenus, dont le nombre a plus que doublé au cours des dix dernières années ; et le recrutement et la formation de personnel de santé supplémentaire. De surcroît, les autorités s’emploient à faciliter la prise en charge des détenus par le système de santé national lorsque les infirmeries et les hôpitaux pénitentiaires n’ont pas la capacité de les traiter, et à Douala, où le taux de surpopulation carcérale est le plus élevé, il est envisagé de construire une prison centrale d’environ 5 000 places. Sur les 29 341 personnes actuellement privées de liberté, on compte 16 439 prévenus et 12 902 condamnés. En raison de problèmes infrastructurels et budgétaires, et notamment du fait que les fonds disponibles sont alloués en priorité à l’accroissement de la capacité d’accueil du parc pénitentiaire, la séparation entre ces deux catégories de détenus n’est pas encore une réalité dans l’ensemble du pays.

32.Des consultations ont été menées avec des organisations de la société civile au sujet de la prévention de la torture dans les lieux de détention, et il est actuellement envisagé de confier cette mission soit à la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés, soit à un nouveau mécanisme, selon que les contraintes budgétaires le permettront. Le Cameroun ne nie pas que la torture et la violence en détention soient un problème. Toutefois, il applique une politique de tolérance zéro à l’égard de pareilles pratiques. Les allégations de tortures ou de violences donnent lieu à des enquêtes et des poursuites et les coupables sont condamnés, y compris lorsqu’il s’agit de personnes chargées de l’application des lois ou, depuis la dernière réforme du Code pénal, de représentants des autorités traditionnelles.

33.S’agissant de l’interdiction de l’emprisonnement pour défaut de paiement d’une dette, l’article 322-1 du Code pénal, qui punit la filouterie de loyer, n’incrimine pas le non-paiement d’un loyer, mais le refus de quitter l’immeuble pris à bail dont le loyer n’a pas été payé. Cette mesure est pleinement justifiée par la nécessité de protéger les propriétaires, dont près de 95 % sont des particuliers ayant durement épargné pour investir dans la construction d’un logement et qui se trouvent dans l’impossibilité de rentabiliser leur placement, ou même de rembourser leur crédit, si le locataire ne s’acquitte pas de son dû.

34.Pour ce qui est des 25 personnes décédées dans l’affaire concernant Zé Onguéné, qui n’auraient pas été identifiées et dont on ignorerait où se trouve le corps, des communiqués ont été diffusés afin que les familles puissent se manifester. Certaines sont venues récupérer la dépouille de leurs proches, et les corps qui n’ont pas été réclamés ont été inhumés par la communauté.

35.En ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif, on ne saurait interpréter l’article 64 du Code de procédure pénale comme permettant l’ingérence du second dans les affaires du premier puisque le système juridique de la common law, dont le droit camerounais est partiellement inspiré, donne au ministère public toute discrétion en ce qui concerne les poursuites. Le recours à cet article, employé pour la dernière fois en août 2017 dans l’affaire des dirigeants anglophones, requiert de surcroît l’existence d’une situation exceptionnelle, par exemple un risque sérieux d’atteinte à la paix publique. Au sujet du cas de Marafa Hamidou Yaya, l’État camerounais a déjà fait observer que l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire était contradictoire étant donné que le Groupe de travail a demandé la libération de l’intéressé alors qu’il n’a pourtant pas estimé que la détention était arbitraire au sens de la catégorie I, ni établi que l’action publique était prescrite ou que M. Marafa avait été poursuivi pour des raisons politiques. De manière générale, l’indépendance des magistrats est garantie par des garde-fous d’ordre procédural, à savoir la récusation ; d’ordre disciplinaire, tels que la sanction ou la révocation ; et d’ordre organique, les membres du Conseil supérieur de la magistrature étant nommés non seulement par le Président de la République, mais aussi par l’Assemblée nationale.

36.Le Comité interministériel de prévention et de lutte contre la traite des personnes s’est réuni pour la dernière fois en octobre 2017. Ses différents groupes de travail rencontrent effectivement des difficultés, mais on s’emploie néanmoins à faciliter la collaboration entre les différents secteurs, et notamment entre les représentants des gouverneurs, des forces de l’ordre et des groupements de travailleurs sociaux, en fonction des moyens disponibles. Des informations sur les poursuites engagées seront fournies ultérieurement.

37.La Commission d’indemnisation des victimes de détention abusive créée en vertu de l’article 237 du Code de procédure pénale a été constituée en novembre 2015 sur ordonnance du Président de la Cour suprême, et diverses autres mesures sont actuellement prises pour garantir le respect du Code de procédure pénale, et notamment pour remédier aux lenteurs judiciaires et à la durée excessive de certaines détentions provisoires. Ces problèmes doivent être abordés sous plusieurs angles et compte tenu des contraintes infrastructurelles existantes − à Yaoundé, par exemple, les diverses chambres de la Cour d’appel du Centre n’ont qu’une salle d’audience à leur disposition. Il s’agit non seulement de favoriser le respect des procédures, c’est-à-dire d’améliorer le contrôle et le suivi des dossiers par les autorités pénitentiaires et judiciaires, mais aussi de protéger les droits des personnes privées de liberté. Plusieurs ordonnances en habeas corpus ont du reste été rendues en faveur de personnes maintenues en détention provisoire au-delà des délais légaux.

38.Le Gouvernement n’envisage pas de décriminaliser l’avortement, considéré au Cameroun comme une atteinte au droit à la vie, et s’emploie plutôt à promouvoir une sexualité responsable dans le cadre du programme de santé procréative. L’inceste n’entrera pas dans le cadre des dérogations prévues par la loi.

39.M me Yaka (Cameroun) dit que les portes du Ministère de la justice sont ouvertes à Alice Nkom et à Maximilienne Ngo Be et que des mesures ont été prises en vue d’engager des consultations immédiates avec la société civile dans le cadre de l’Examen périodique universel.

40.M. Nkou (Cameroun) remercie le Comité des échanges de grande qualité tenus avec la délégation et réaffirme que le Cameroun est et restera fermement engagé auprès du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, avec lequel il espère poursuivre sa précieuse collaboration.

41.Le Président remercie à son tour l’ensemble de la délégation du dialogue constructif qu’elle a entretenu avec le Comité, ainsi que des efforts qu’elle a déployés pour répondre aux questions de ce dernier. Revenant sur les points abordés au cours du débat, il souligne que malgré les progrès constatés en ce qui concerne le respect des droits de l’homme, notamment l’adoption de la loi du 12 juillet 2016 portant Code pénal, les membres du Comité ont exprimé des préoccupations à de nombreux égards, et particulièrement au sujet de la question des représailles, qu’ils continueront à suivre de près en gardant à l’esprit les assurances fournies par l’État partie.

La séance est levée à 13 heures.